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Age d'or (1) : pendants à thème

Le XVIIIème siècle est véritablement l’âge d’or des pendants, qui sont à la peinture ce que le pas de deux est à la danse solo : une extension au carré de l’expressivité.

L’oeil des amateurs s’est accoutumé à rechercher les symétries, les oppositions, les concordances : la sempiternelle composition en V tend à s’effacer devant des compositions plus malignes, qui donnent des gages de spontanéité tout en restant profondément travaillées.

Le prix élevé n’est pas un problème, mais au contraire un signe de prestige. Et les châteaux rococos regorgent de boiseries à garnir.

Pendants à thème

Dominants à l’Age classique, les pendants très démonstratifs passent de mode : on ne rencontre plus de sujets purement binaires, et les thèmes illustrés sont soit des standards hérités de l’époque précédente (voir Les pendants d’histoire : le thème de la Clémence), soit des originalités sans lendemain.

Ricci 1700-25 Ermites tourmentes par des démons Musee EpinalErmites tourmentés par des démons Ricci 1700-25 Ermites tourmentes par le diable Musee EpinalErmites tourmentés par le diable

Ricci, 1700-25 Musée d’Epinal

Le grand spécialiste des diableries est Magnasco, dont on possède de nombreux pendant sur ce thème (voir ZZZ). Ce pendant en V de Ricci conduit l’oeil du clocher en haut à gauche à la croix en haut à droite, en passant par deux trios d’ermites accablés par les démons.



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Natoire 1731 ca AA Danae et la pluie d’or Troyes, Musee des Beaux-ArtsDanaé et la pluie d’or Natoire 1731 ca AA L’enlevement de Ganymede par Jupiter Troyes, Musee des Beaux-ArtsJupiter et Ganymède

Natoire, vers 1731, Musée des Beaux-Arts, Troyes

Pour son château de La chapelle Godefroy, Philippe Orry a commandé de nombreuses oeuvres à Natoire, dont plusieurs séries. Parmi les neuf tableaux de l’« Histoire des Dieux », première série réalisée à partir de 1731, ces deux dessus de porte, qui décoraient la seconde chambre du château, sont les seuls à constituer des pendants.

Aucune symétrie n’apparaît, et seul le thème des Amours de Jupiter justifie cet appariement :

  • métamorphosé en pièces d’or, il descend féconder une mortelle ;
  • métamorphosé en aigle, il remonte au ciel en emportant son favori.



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Natoire 1732 La Rencontre de Jacob et de Rachel au puits coll privLa Rencontre de Jacob et de Rachel au puits, collection privée Natoire 1732 Jacob et Rachel quittant la maison de Laban Atlanta, High Museum of ArtJacob et Rachel quittant la maison de Laban, Atlanta, High Museum of Art

Natoire, 1732

Réalisé pour la résidence du Duc d’Antin, Superintendant des Beaux-Arts, ce pendant montre deux moments choisis de l’histoire de Jacob :

  • au puits, il tombe amoureux de sa cousine Rachel ;
  • après sept ans de domesticité au service de Laban, le père de Rachel, il s’enfuit enfin avec elle.

Deux objets quadrangulaires illustrent la complicité du couple :

  • le puits de Rachel, dont Jacob fait ôter la pierre pour abreuver ses moutons ;
  • le coffre dans lequel Rachel montre qu’elle a caché les idoles volées par Jacob à Laban, et qui va être porté par le chameau (allusion à l’épisode ultérieur où, Laban ayant rattrapé les fugitifs, Rachel restera assise sur le coffre pour éviter qu’il ne récupère ses idoles).


Natoire 1722 Agar et Ismael dans le desert Louvre

Agar et Ismaël dans le désert, Natoire, 1732, Louvre

Ce troisième panneau, de format différent, complétait la décoration de l’hôtel d’Antin.



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Conca Sebastiano 1736 Alexander-the-Great-in-the-Temple-of-Jerusalem Prado 53 x 71 cmAlexandre le Grand dans le Temple de Jérusalem, 1736 Conca Sebastiano 1750 Idolatry_of_Solomon Prado 54 x 71 cmL’Idolatrie de Salomon, vers 1750

Sebastiano Conca, Prado, 53 x 71 cm

On considère aujourd’hui que ces deux ébauches ne constituent pas des pendants, à cause de l’écart temporel et des circonstances différentes de leur composition : on sait que le premier tableau était destiné à faire partie d’un série confiée aux plus grands peintres de l’époque et illustrant, à travers la Vie d’Alexandre, les vertus qui devaient orner un bon roi (en l’occurrence Philippe V). On ne sait rien sur le second, qui n’a donné lieu à aucun tableau terminé.

Pour expliquer la parenté entre les deux, on peut soutenir que Conca s’est plagié lui-même en recyclant, une quinzaine d’années plus tard, sa propre composition invendue.


Un sujet commun (SCOOP !)

Conca Sebastiano Prado Schema
Mais la taille identique et les symétries internes prouvent que le second tableau a été conçu comme pendant du premier, même si cela n’était pas prévu initialement :

  • le triangle pieux des prêtres, culminant dans l’autel (en bleu à gauche), s’inverse en un triangle idolâtre de musiciennes, culminant dans la statue (en rouge à gauche) ;
  • de même, les musiciens sacrés de la tribune s’inversent en prêtresses païennes, dans la chapelle supérieure ;
  • à la lance du soldat et au bouclier d’Alexandre correspondent des accessoires futiles, l’ombrelle et le plat d’or (en jaune)
  • le sceptre d’Alexandre et la tiare du grand Prêtre (en blanc) symbolisent une harmonieuse séparation des pouvoir ; par contraste, l’encensoir, alimenté par une femme et balancé par un roi, prouve un dangereux mélange des genres.

Le thème du pendant est donc le Culte, respecté ou bafoué.



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diziani Gaspare 1745 ca sofonisba reçoit le poison envoyé par massinissa Museo civico (Prato),Sophonisbe reçoit le poison envoyé par Massinissa diziani Gaspare 1745 ca Antoine et Cleopatre Museo civico (Prato),Antoine et Cléopâtre

Gaspare Diziani, vers 1745, Museo civico, Prato

Ici encore, il s’agit de chercher le renouvellement en appariant un sujet rare à un sujet standard : sur ce dernier – Cléopâtre ridiculise Antoine en dissolvant dans du vinaigre une perle inestimable, voir 6 Le perroquet, le chien et la femme.


Sophonisbe reçoit le poison

Pour lui éviter le déshonneur d’être prise comme captive par Scipion , son époux le roi numide Massinissa lui fit porter une coupe de poison. Le tableau montre l’instant où une servante dénoue le corsage de Sophonisbe, évanouie après avoir lu l’avis de livraison, tandis que le fatal colis arrive sur un plateau.


La logique du pendant (SCOOP !)

Un objet commun fait le lien entre les deux épisodes : coupe de poison ou coupe de vinaigre, l’une assure le suicide de Sophonisbe; l’autre le triomphe de Cléopâtre.

Le pendant compare donc la fierté de deux reines exotiques refusant de se soumettre à un Romain, l’une par la magnificence et l’autre par la mort.

Mais il va même plus loin, en nous faisant comprendre le sens profond de l’anecdote de Pline : la dissolution de la perle n’est autre que la mort symbolique de la plus belle des reines.



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Vernet-1757-Vornehme-Türken-beim-Fischfang-zusehend-Kunsthalle-KarlsruheDeux nobles turcs regardant un pêcheur Vernet , 1757, Toilette turque, Staatliche Kunsthalle,, Karlsruhe 27x34Jeune turque à sa toilette

Vernet, 1757, Staatliche Kunsthalle, Karlsruhe (27 x 34 cm)

Cette turquerie est l’occasion d’oppositions binaires, comme Vernet les affectionne :

  • soir et matin ;
  • centre ouvert / centre fermé ;
  • mer et cité ;
  • occupation masculine et occupation féminine.



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vien-1763 la-marchande-damoursLa marchande d’amours, 1763, château de Fontainebleau Vien 1789 L Amour fuyant l esclavageL’Amour fuyant l’esclavage, 1789, Musée des Augustins, Toulouse

Vien

Ce pendant est intéressant par sa genèse :

  • exposé au Salon de 1763 en suivant fidèlement un modèle antique, le premier tableau fut acheté par le duc de Brissac, qui l’offrit à Madame du Barry ;
  • vingt six ans plus tard, le pendant fut commandé par le duc au même peintre, âgé alors de 73 ans, toujours comme cadeau à Madame du Barry.

Nous sommes donc dans le cas d’un pendant conçu a posteriori, à partir d’une composition obéissant à une autre contrainte : recopier fidèlement un modèle antique.


Wall Fragment with a Cupid Seller from the Villa di Arianna, Stabiae, Roman 1st century A.D.
Fragment provenant de la Villa d’Arianna, Stabiae

On remarque que Vien est revenu au modèle pour la forme de la cage du second tableau, une sorte de temple circulaire à colonnes : d’où l’idée astucieuse d’assimiler le portique à une grande cage d’où s’envole l’amour, cohérente avec la convention du pendant intérieur / extérieur.

Quelques détails assurent la symétrie des décors : l’urne fumante, la table aux pattes de lion (rectangulaire puis circulaire), les pilastres cannelés qui se transforment en colonnes (même passage du rectangulaire au circulaire).

Le sujet de l’amour s’échappant de la cage est le prolongement assez convenu du thème bien plus original de la marchande d’amour : l’oiseau qui s’envole est au XVIIIème siècle une métaphore courante de la perte de la virginité (voir La douce prison). C’est pourquoi – détail bien propre à plaire à la Du Barry – deux jeune romaines du second tableau ont maintenant la poitrine dénudée.


vien-1763 la-marchande-damoursLa marchande d’amours Vien 1789 L Amour fuyant l esclavage inverseL’Amour fuyant l’esclavage (inversé)

A noter que, du strict point de vue de la narration, le second pendant aurait gagné à être inversé, afin que l’amour s’envole dans le sens de la lecture. Mais Vien a préféré la formule classique du pendant en V inversé, plus appropriée d’un point de vue décoratif, et évitant une redondance visuelle jugée à l’époque disgracieuse.

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circle_of_michel_garnier_the_artists_family_and_the_musicians_family coll privee

La famille de l’Artiste, La famille du Musicien
Cercle de Michel Garnier, vers 1780, collection privée

Le chevalet et le pupitre, montrant le revers de la toile et de la partition, créent à la fois un effet de masquage et un effet de symétrie, font le charme de ce pendant au sujet très convenu.



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PHILIBERT-LOUIS DEBUCOURT 1787 Le_Compliment gallicaLe Compliment, ou la Matinées du Jour de l’An, dédiée aux pères de famille
1787
PHILIBERT-LOUIS DEBUCOURT 1788 Les_Bouquets gallicaLes bouquets, ou la fête de la Grand-Maman, dédiés aux mères de famille, 1788

Philibert-Louis Debucourt, gallica

Ces deux gravures comportent sept personnages :

  • le grand père et la grand mère ;
  • le couple et leurs deux enfants ;
  • une tante affectueuse et un domestique attendri.

Chacune propose une charmante surprise :

  • les cadeaux mal cachés dans le placard, un pantin et un cheval de bois ;
  • le bouquet que le petit garçon tient dans son dos.



PHILIBERT-LOUIS DEBUCOURT 1789 Le menuet de la marieeLe menuet de la mariée PHILIBERT-LOUIS DEBUCOURT 1789 La noce au chateau gallicaLa noce au château, gallica

Philibert-Louis Debucourt, 1789

Ces deux célèbres aquatintes en couleur, d’une grande virtuosité technique, illustrent, l’année même le Révolution, le thème très Ancien régime des noces villageoises et du bonheur à la campagne, déjà illustré par des pendants de Watteau (voir Les pendants de Watteau) et de Lancret (voir Les pendants de Lancret). Les deux sont construites de la même manière :

  • à gauche un arrière-plan lointain (danseurs sous les arbres, voiture déposant des visiteurs au portail) ;
  • en haut à droite une scène surélevée (estrade du banquet, perron où les invités sont accueillis au son du violon);
  • en bas la scène principale, avec la danse comique d’un couple mal assorti :
    • le gros notaire en noir avec la frêle mariée en blanc ;
    • le jeune marié timide invité par la dame du château.

Ces couples disparates, qui veulent illustrer avec bonhommie le joyeux mélange des classes, trahissent une forme de gêne sociale bien décrite par les Goncourt :

 

Tout le village fait cercle autour du gros et court bailli emperruqué, tout de noir vêtu qui, rondissant la jambe pour la première danse, présente, sous son manteau, le poing à la main timide de la marée, fluette, blanche, éblouissante, transparente, dans sa virginale toilette de villageoise d’opérette« .

« la Noce au château, un de ces divertissements de châtelaine à la mode des proverbes de Carmontelle. Au bas de l’escalier d’une terrasse, pleine de saluts d’abbés et du jet des eaux sautantes, que garnit toute la société, la dame du château ouvre le bal avec le grand dadais de marié au gilet rose, en s’amusant et en souriant, au fond d’elle, de la gêne du villageois. « 

Edmond et Jules de Goncourt [0]


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Michel Garnier 1793 La jeune femme eploree ou l'attente 55,5 x 46,5La jeune femme éplorée ou L’attente 55,5 x 46,5 cm Michel Garnier 1793 La douce résistance 55 x 45La douce résistance, 55 x 45 cm

Michel Garnier 1793, collection particulière

Datés de 1793 et de taille pratiquement identique, ces deux tableaux ont beaucoup de similitudes :

  • le parquet,
  • le divan et son coussin,
  • la cheminée et son miroir,
  • les roses (en couronne et en bouquet),
  • l’instrument à corde (lyre et guitare),
  • la statue symbolique : l’amour bandant son arc du côté de l’attente, les deux amours s’affrontant du côté de la querelle,
  • l’instrument révélateur : l’horloge qui n’avance pas, le baromètre qui marque Variable.

S’il n’y a pas de preuve que les deux tableaux aient été destinés à être vendus en pendant, ils se révèlent redoutablement complémentaires :

  • d’un coté la tension amoureuse est exacerbée par l’attente ;
  • de l’autre elle se décharge à coups de cravache.

Le titre « la Douce Résistance » est évidemment ironique, puisque le tableau inverse la convention habituelle : ici ce n’est pas le jeune fille qui résiste !



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gandolfi Gaetano 1788-90 Le triomphe de venusLe Triomphe de Vénus gandolfi Gaetano 1788-90 Diane et CallistoDiane et Callisto

Gaetano Gandolfi, 1788-90, Collection privée

On sait que ce pendant a été peint pour un collectionneur moscovite (sans doute le prince Youssoupov).


Le Triomphe de Vénus [1]

Vénus est juchée sur une coquille Saint Jacques portée par des Tritons. Elle tient d’une main une colombe, un amour la couronne de roses tandis que Cupidon aux yeux bandés s’empare de sa main droite pour l’inciter à lui désigner une cible, au lieu de prendre le collier de perles qu’une naïade présente dans une coquille de nacre. Derrière, les Trois Grâces, servantes de la déesse, s’enlacent sur un nuage.


Diane et Callisto

Callisto, la nymphe favorite de Diane, avait été secrètement engrossée par Jupiter. Comme elle refusait de se dénuder pour le bain, ses compagnes la déshabillèrent de force et découvrirent son malheureux état. Gandolfi nous montre l’une qui la tire par les cheveux, l’autre qui lui lève le bras, gestes qui font écho à ceux des amours dans l’autre tableau : Callisto humiliée mime, à l’envers, Vénus triomphante. Dans l’autre moitié de la composition, Diane courroucée lui montre la direction de l’exil.


La logique du pendant

gandolfi Gaetano 1788-90 Le triomphe de venus detail gandolfi Gaetano 1788-90 Diane et Callisto detail

L’arc en attente de cible et l’arc cassé résument discrètement la dialectique : d’un côté le Triomphe de l’Amour, de l’autre ses Inconvénients (grossesse et désespoir). Mais l’idée ici s’efface devant la richesse plastique, qui oppose :

  • une scène marine, en extérieur, mouvementée et centrée,
  • une scène terrestre, dans une grotte, statique et divisée en deux.



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gandolfi Gaetano 1788-90 Le triomphe de venus esquisseTriomphe de Vénus (esquisse) gandolfi Gaetano 1788-90 Diane et Callisto esquisseDiane et Callisto (esquisse)

Gaetano Gandolfi, 1788-90, Collection privée

On peut apprécier la virtuosité de Gandolfi dans ces deux ébauches où tout est déjà en place (la seule différence avec l’état final est que Vénus tient une rose à la place de la colombe).


Ricci, Sebastiano; The Triumph of GalateaLe triomphe de Galathée Ricci, Sebastiano; Diana and her Nymphs BathingLe bain de Diane et des nymphes

Ricci, 1713-15, Royal Academy of Arts, Londres

On pense que Gandolfi s’est inspiré de ces pendants de Ricci peints pour Lord Burlington, qu’il avait pu voir lors de son voyage à Londres en 1787. On y trouve la même opposition entre une scène maritime agitée et une scène champêtre paisible, mais l’idée se limite à opposer les Richesses de la Mer et celles de la Terre, que portent dans des vases les ignudi du premier plan. La scène terrestre ne comporte pas la trouble histoire de Callisto et se limite au côté chasseresse de Diane : la nymphe en rouge désigne un gibier invisible, que poursuivent déjà deux autres nymphes et un chien.

 

Références :
[0] Gazette des beaux-arts, courrier européen de l’art et de la curiosité. Redacteur en chef, C. Blanc, Volume 20 p 202 https://books.google.fr/books?id=aDUFAAAAQAAJ&pg=PA201&dq=debucourt+%22menuet+de+la+mariee

One Comments to “Age d'or (1) : pendants à thème”

  1. Bonjour,
    j’ai récupéré de mon grand père une tableau représentant la noce au château dédié a monsieur le chevalier Bargeton, œuvre qui a l’air d’être assez ancienne. est ce que cette dernière peut avoir de la valeur? comment connaitre l’authenticité? Pouvez vous me laisser un email de sorte a en discuter et vous envoyer une photo de l’œuvre.
    Merci
    Steeve

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