Monthly Archives: juin 2025

1 Revers allégoriques

10 juin 2025

Il existe un continent perdu de l’art de fin du Moyen-Age et de la Renaissance, entre 1440 et 1580, auquel le MET a consacré en 2024 la toute première exposition [8] : celui des panneaux bifaces et des couvercles de tableaux. Les revers sont rarement exposés, peu reproduits, et ont été quelquefois séparés par sciage ; les couvercles, autrefois très fréquents, ont été pour la plupart perdus et ceux qui restent sont dispersés. Les ouvrages généraux sur le sujet se comptent sur les doigts d’une main, sont peu accessibles et anciens, et il faut le plus souvent se référer aux monographies, qui restent aveugles sur la vue d’ensemble.

Cette série d’articles élargit le périmètre de l’exposition du MET en présentant, de manière thématique, géographique (Italie et Pays du Nord) et chronologique, l’essentiel de ce qui nous est parvenu : l’exhaustivité pour les formules les plus rares (revers allégoriques ou religieux, couvercles coulissants), les cas notables pour la formule bien plus fréquente – et très répétitive – des revers armoriés.

Commençons par le cas le plus intéressant par les énigmes qu’il pose, celui des revers à thème allégorique.

 

En Italie

Le Double Portrait des Ducs D’Urbino

sb-line

L’avers du diptyque

Piero,_Double_portrait_of_the_Dukes_of_Urbino avers

Battista Sforza

Federico da Montefeltro

Le Triomphe de la Chasteté ou Double Portrait des Ducs D’Urbino
Piero della Francesca, 1467-72, Offices, Florence

On ne sait rien sur la raison d’être ni la disposition d’origine de ce petit diptyque [2] : sans doute s’ouvrait-il comme un livre, à la manière des diptyques conjugaux flamands de la même époque. Si l‘ordre héraldique n’est pas respecté (l’épouse à main droite du mari), c’est peut être  par coquetterie, afin de dissimuler l’oeil droit crevé et le nez blessé du duc. Une autre possibilité est que le portrait de la duchesse soit posthume, ce qui expliquerait cette position à la place d’honneur, ainsi que son teint pâle [1] (voir Couples irréguliers).


Le revers

Piero,_Double_portrait_of_the_Dukes_of_Urbino_06 Piero,_Double_portrait_of_the_Dukes_of_Urbino_05

Trônant sur son char de triomphe tiré par deux chevaux blancs, Federico révèle ici, sans problème, son mauvais profil et son oeil crevé.  On comprend alors la raison principale de l’inversion :  pour que les époux apparaissent dans l’ordre héraldique sur une des faces du diptyque, il fallait que cet ordre soit interverti sur l’autre face. Cette formule unique des deux profils affrontés, à l’avers, et des deux allégories affrontées, au revers, traduit l’intention de transposer en peinture le caractère officiel et antiquisant des médailles.

Les vers latins sculptés sur les soubassements en faux marbre suggèrent l’idée d’un monument commémoratif, sur lequel réapparaissent, en majesté, les deux personnages que le recto montrait dans un dialogue intime.

 Le texte côté duc commente la composition :

Illustre est-il, noblement porté en triomphe, semblable aux plus grands généraux, celui que la Renommée éternelle des Vertus célèbre comme digne de porter son sceptre (traduction personnelle).

Clarus insigni vehitur triumpho,

Quem, parem summis ducibus, perhennis

Fama virtutum celebrat decenter

Sceptra tenentem.


Le revers côté duc

Piero,_Double_portrait_of_the_Dukes_of_Urbino_ 06_detail duc
Federico, vêtu en condottiere, porte le bâton de commandement et la Fortune sur sa boule le couronne de lauriers.


Piero,_Double_portrait_of_the_Dukes_of_Urbino_ 06_detail vertus
Il a confié son épée à la Justice, qui tient également la balance. A l’avant de son char, tiré par deux chevaux blancs et conduit par un Amour, on reconnaît aisément deux autres Vertus :

  • la Prudence tenant son miroir, avec son visage en Janus,
  • la Force tenant une colonne brisée.

La femme vue de dos qui surveille le paysage ne peut donc être que la quatrième des Vertus cardinales, la Tempérance.


Tarot de Mantegna Vertus cardinalesVertus cardinales, Tarot dit de Mantegna, Ferrare, 1465

Piero di Francesca s’est clairement inspiré du tarot de Mantegna (sauf pour la Tempérance).


Le revers côté duchesse

Piero,_Double_portrait_of_the_Dukes_of_Urbino_05_detail vertus theologales

En face, sur un char tirée par deux licornes brune, on reconnaît deux des vertus théologales :

  • la Charité avec un pélican se déchirant pour nourrir ses enfants (représentation « en deuil' » qui pourrait faire allusion à la mort en couches de la duchesse, à l’âge de 26 ans) ;
  • la Foi portant une croix, un calice avec sons hostie, et ayant à son côté un petit chien (le chien est représenté aux pieds des gisants féminins, pour symboliser la fidélité au travers de la Mort)

Tarot de Mantegna Vertus théologales
Vertus théologales, Tarot dit de Mantegna, Ferrare, 1465

Voici l’équivalent dans le tarot de Mantegna.


L’Espérance retrouvée (SCOOP !)

Piero,_Double_portrait_of_the_Dukes_of_Urbino_05_detail duchesse

La duchesse est absorbée dans la lecture d’un opuscule : attitude méditative qui complète la vie active menée par le duc, tout comme les vertus théologales complètent les cardinales.  La troisième de ses compagnes, l’Espérance, n’est pas simple à identifier. Selon les commentateurs, c’est tantôt la femme en blanc vue de face, tantôt la femme en bleu vue de dos.

Par symétrie avec le cortège du duc, il est clair que la femme drapée de sombre et voilée fait pendant à la Fortune : elle représente donc le Malheur, sous forme d’une pleureuse, ce qui confirme le caractère posthume du portrait de la duchesse. La femme en blanc qui nous regarde en souriant représente alors la troisième Vertu théologale : l’Espérance


Un éloge funèbre

Celle qui garda la mesure dans les circonstances heureuses, ornée de louanges par les entreprises victorieusement menées par son illustre époux, qu’elle vole par toutes les bouches. (traduction personnelle)

Que modum rebus tenuit secundis,

Conjugis magni decorata rerum

Laude gestarum, volitat per ora

Cuncta victorum

Derrière la versification ampoulée, il est clair que les termes « circonstances heureuses (rebus secundis) » et les « entreprises victorieusement menées (rerum gestarum victorum) » font allusion, avec élégance, à un mérite bien particulier : celui d’avoir, sans se décourager, engendré six filles avant de mourir en donnant le jour à l’héritier mâle, tant attendu.

Le fait que le panégyrique de la duchesse soit écrit au passé (tandis que celui du duc est au présent) confirme qu’il s’agit bien d’un éloge posthume.


La question du panorama (SCOOP !)

Les nombreuses tentatives pour identifier le paysage, à six siècles de distance, relèvent le plus souvent de l’autopersuasion [3].

Plus intéressante est la question de savoir si le panorama est continu :

  • entre les deux panneaux d’une même face (apparemment oui) ;
  • entre les faces avant et arrière.

La difficulté est que celles-ci n’obéissent pas au même point de vue : les Triomphes sont vus en plongée (ce qui fait que l’ensemble du cortège, sauf la tête de la Fortune, se situe sous la ligne d’horizon) alors que les Faces sont vues en légère contreplongée.



Piero_della_Francesca_-_Portrait_of_Federico_da_Montefeltro panorama 1
C.J.Hessler a remarqué récemment [4] qu’en décalant les versos de la hauteur du piédestal, les lignes d’horizon correspondent et les paysages se recollent, mais sans aboutir à un cycle complet. Car en admettant que la continuité du paysage entre le recto et le verso du panneau féminin ne soit pas une coïncidence, il est clair que cette continuité  n’existe pas côté masculin.


Un Duché idéal (SCOOP !)

Piero_della_Francesca_-_Portrait_of_Federico_da_Montefeltro panorama 2

Mon interprétation personnelle est que le paysage du verso, avec sa position en contrebas et ses ombres irréalistes. évoque une contrée idéale, que nous pourrions baptiser le Duché de la Renommée pérenne (perhennis fama). Dans le Duché idéal, les deux rives se rejoignent par la route surélevée ; dans le Duché réel,  un fleuve sépare les deux époux.

Dès lors la continuité/discontinuité du paysage se justifie par le sens de lecture qu’elle impose : depuis le portrait du duc, avec son âge et ses disgrâces physiques, nous passons au portrait posthume de son épouse, laquelle fusionne, puisqu’elle est morte, avec son portrait moral au verso : là, les chars des époux progressent l’un vers l’autre, mais c’est seulement à sa mort que le Duc rejoindra le sein.



sb-line

En aparté : la naissance de la médaille [5]

Ce premier exemple trouve certainement sa source dans l’art de la médaille qui se développe en Italie à partir des années 1430, corrélatif au goût pour les médailles antiques.


Pisanello 1438 Medaille Jean VIII PaleologueMédaille Jean VIII Paléologue, Pisanello, 1438

Les premières médailles montrent le même personnage en vue rapprochée et en vue lointaine.


Pisanello 1447-48 Medaille de Ludovic GonzagueMédaille de Ludovic Gonzague, 1447-48, Pisanello

Le plus souvent, la direction est inversée entre le visage et la figure en pied, de manière à confirmer que les deux vues capturent le même personnage, comme pris en sandwich dans l’épaisseur : on pourrait baptiser cet effet « travelling circulaire ».


Pisanello 1447 Medaille de Cecilia GonzaqueMédaille de Cecilia Gonzague, 1447, Pisanello

Bientôt le côté pile devient une « impresa » (mot italien pour « emblème ») qui, dans une optique platonicienne , donne l' »idée » qui complète le visage représenté côté face : ici la licorne et le croissant de lune – l’emblème de Diane – traduisent les idées de chasteté et de pureté. Ici, le « travelling circulaire » n’est pas respecté, peut  être par décence, afin d’éviter de déshabiller trop clairement Cecilia.


Valerio Belli, medaille de Pietro Bembo 1532
Le poète Pietro Bembo
Médaille de Valerio Belli, 1532

Le revers montre ici le poète dans la Nature, vêtu à l’antique sous un bosquet de lauriers, allongé sur un livre qui n’est autre qu’une fontaine.


Le tableau biface italien suit, au départ, les mêmes principes que les médailles :

  • le côté face montre la représentation ressemblante de la personne, focalisée sur son profil ;
  • le côté pile montre son portrait allégorique, en pied dans un paysage.

Les deux images regardent en sens inverse, suggérant que ces vues à plat sont celles d’un personnage unique.




sb-line

Le portrait de Ginevra de Benci

sb-line

Leonardo_da_Vinci_-_Ginevra_de'_Benci_-_Google_Art_Project Leonardo_da_Vinci_-_Ginevra_de'_BenciNational_gallery_in_washington verso

Portrait de Ginevra de Benci
Léonard de Vinci, 1474-76, NGA, Washington

On a depuis longtemps identifié la jeune femme, grâce à l’arbrisseau très particulier qui se développe derrière elle,et qui donne l ‘image parlante de son prénom : le genièvre.

Mais le verso, moins célèbre, est tout aussi astucieux. Une banderole porte la devise latine en trois mots :

La beauté orne la vertu

Virtutem forma decorat

Elle s’entrelace autour de trois arbres ou arbustes bien identifiables : le laurier, le genévrier et le palmier.
« Forma » (la beauté) entoure le genièvre, assimilant d’une nouvelle manière celui-ci avec la belle Ginevra.


L’hypothèse Bernardo Bembo [6]

Au départ, on a pensé (K.Clark) qu’il s’agissait d’un tableau réalisé à l’occasion du mariage de Ginevra en 1474, à l’âge de dix sept ans. Mais en 1989, Jennifer Fletcher a développé l’idée que le portrait de Ginevra avait été commandé par Bernardo Bembo, ambassadeur de Venise à Florence en 1474-75.


Bernardo Bembo by Hans Memling Musee des Beaux Arts AnversPortrait d’un homme tenant une monnaie de Néron (Bernardo Bembo)
Hans Memling, Musée des Beaux Arts, Anvers

On est quasiment certain que ce tableau représente Bernardo Bembo, en collectionneur de monnaies. De plus, un palmier est bien reconnaissable sur la droite, et on remarque sur le bord inférieur deux feuilles de laurier.



Leonardo_da_Vinci_-_Ginevra_de'_Benci_-Devise Bernrado BemboIllustration tirée de l’article de Mary D. Garrard [7]

Or il se trouve que l’emblème de Bernardo Bembo était une feuille de laurier et une palme, entourant la devise « VIRTUS ET HONOR (Vertu et honneur). De plus Bernardo est connu pour son amour platonique envers Ginevra de Benci, pour laquelle il avait commandé à deux lettrés florentins un poème célébrant sa vertu.


Leonardo_da_Vinci_-_Ginevra_de'_Benci National_gallery_in_washington verso infrared reflectogram
Illustration tirée de l’article de Mary D. Garrard [7]

En 1998, on découvre sous le texte de la banderole la devise exacte de Bernardo Bembo, ce qui semble confirmer définitivement son lien étroit avec le portrait : on peut même dire que le verso représente exactement la situation :

Bernardo (le laurier et la palme) entourant Ginevra (le genièvre) de ses louanges.


Le portrait complet

Leonardo_da_Vinci_-_Ginevra_de'_Benci_reconstitution by Susan Dorothea White
Reconstruction par Susan Dorothea White, reproduit par E.J.Duckworth [6]

Le bas du tableau ayant été perdu, on a proposé une hypothèse de reconstruction, sur la base d’un croquis de mains par Léonard qui aurait pu être une esquisse pour le tableau. Ginevra aurait tenu une fleur : fleur d’oranger (pour les partisans de la théorie du mariage) ou rose (fleur qui figure dans les armoiries de Bembo).

Cette reconstruction a été contestée ([7], p 25), car elle a pour inconvénient de décentrer considérablement l’emblème du verso : on peut imaginer qu’un parapet, moins large, constituait la partie manquante, et noter que l’hypothèse des mains et de la fleur fait dériver l’interprétation vers les représentations conventionnelles de la femme, qu’elle soit épouse ou icône platonique.


Une relecture féministe

En 2006, Mary D. Garrard reprend de fond en comble la question, dans un article brillant qui constitue un petit bouleversement copernicien, non dénué de présupposés idéologiques, mais étayé par une logique et une érudition impeccables. Pour le lecteur pressé, en voici les grandes idées, mais l’article est un modèle de retournement de situation qui mérite une lecture attentive.

Jusqu’alors en Italie, les portraits de femme étaient toujours de profil, pour faciliter la ressemblance, mais aussi parce qu’il était gênant pour le spectateur d’être toisé frontalement. Pour ce tout premier portrait de la main de Vinci, autoriser la modèle à tourner la tête vers le spectateur était une attitude « progressiste » , encouragée par le fait que le tableau n’était sans doute pas pas un tableau de mariage, et que Ginevra était une personnalité très originale pour l’époque : belle, poétesse, riche, et semble-t-il ne voulant pas d’enfants ([7], p 42).



Leonardo_da_Vinci_-_Ginevra_de'_Benci_-dessin licorne
Mary D. Garrard a retrouvé un dessin de Léonard qui pourrait être un projet pour le revers. Se conformant au formalisme habituel des tableaux bifaces, Léonardo aurait prévu tout d’abord, au revers du visage, un portait en pied dans un paysage, constituant le portrait moral de Ginevra : la chasteté, représentée par la licorne. Puis il aurait finalement opté, avec la devise et l’emblème, pour une représentation abstraite de la même idée ([7], p 30). Une autre possibilité est que ce dessin ait été prévu pour un couvercle (voir 2 Couvercles coulissants )

Par ailleurs, cet emblème n’est pas celui de la famille de Bembo, et il n’apparait de manière certaine comme marque dans les manuscrits de sa bibliothèque que bien plus tard, après 1483.


Leonardo_da_Vinci_-_Ginevra_de'_Benci_-Devise Bernrado Bembo Mausolee Dante
Illustration tirée de l’article de Mary D. Garrard [7]

On le retrouve dans le mur du mausolée de Dante à Ravenne, commandé en 1482 par Bernardo Bembo : une banderole marquée « Vertu et Honneur » entoure une branche de genièvre, exactement comme dans le premier état du verso du tableau de Vinci !

L’explication renversante de Mary D. Garrard est la suivante :

« Etant donné la séquence d’évènements et l’apparition tardive de l’emblème « Vertu et Honneur » dans les manuscrits de Bembo, l’explication la plus plausible de l’ajout, à Ravenne, du rameau de genièvre dans l’emblème est que Bembo a, pour des raisons politiques, emprunté au portrait de Léonard l’emblème et la devise personnelle de Ginevra et qu’ensuite il les a fait siens. » ([7], p 41)

C’est durant sa seconde ambassade à Florence, en 1478-80 que Bembo aurait, pour s’assurer la bienveillance des Florentins, fait mousser son adoration pétrarquienne pour Ginevra (dans la foulée de l’aventure entre Lorenzo de Medici et Simonette Vespucci, que la mort de celle-ci venait de conclure). Et il est possible que Ginevra se soit retirée au couvent à cette époque, afin de fuir ses assiduités médiatiques.

« A la fin de leur relation, si l’histoire est correctement reconstituée, Bembo aurait fait un pas de plus, en revendiquant l’emblème personnel de Ginevra comme tribut de sa conquête… Dans cette perspective, il n’est pas impossible que Ginevra elle-même, ou sa famille, ait demandé à modifier la devise au revers du portrait, afin de récupérer ou remodeler cette identité «  ([7], p 44).

Léonard n’ayant quitté Florence qu’en 1481, il aurait pu lui même effectuer cette correction. En remplaçant le mot « Honneur » par le mot « Beauté », la devise perd la symétrie entre les mots et l’emblème, mais gagne en portée symbolique. Car « Virtus decorat forma » se prête à plusieurs lectures, dans lesquels la « Beauté » occupe à la fois visuellement et sémantiquement une place centrale ([7], p 45) :

  • éloge personnel de Ginevra : « Elle ajoute la beauté à la vertu » ;
  • affirmation d’une cohérence entre apparence et monde intérieur : « sa beauté est le décor de sa vertu »
  • éloge de l’habileté de Léonard : « Il orne sa vertu par la beauté ».

En conclusion, Mary D. Garrard proclame l’importance idéologique de l’oeuvre :

« Nous devons ôter ces oeillères pour voir que l’importance du portrait de Ginevra de Benci par Léonard de Vinci ne tient pas à son association supposée avec Bernardo Bembo. Nous rencontrons ici la rare convergence d’un artiste mâle exceptionnellement réceptif et d’une femme forte. Léonard, intéressé et non effrayé par les capacités intellectuelles de cette femme, a fixé en peinture une image au grand potentiel, celle d’une jeune femme dont la dignité et la tranquille affirmation de soi correspondent largement à l’éveil de la conscience, à la voix des femmes… » ([7], p 47)


Une inversion florentine (SCOOP !)

La palme et le laurier, végétaux toujours verts, sont dans la tradition gréco-romaine deux emblèmes de la victoire. Mais dans la tradition chrétienne, la palme évoque spécifiquement la victoire des martyrs, ces champions des vertus chrétiennes. De ce fait, il aurait été plus naturel de placer la palme côté VIRTUS et la laurier côté HONOR. Or aussi bien dans le premier état du revers que dans le bas-relief de la tombe de Dante, les deux plantes sont inversées.

Il faut tenir compte ici d’une spécificité de Florence, où le laurier, emblème de Laurent de Médicis, est associé à la Vertu dans sa devise « Ita ut virtus (ainsi est la vertu) ». Et plus spécifiquement à la Chasteté, en référence à Daphné se transformant en laurier pour échapper à Apollon. Chasteté qui est évoquée également par la licorne, dans le projet de revers ou de couvercle.

L’association quelque peu forcée entre Honneur et palme a, selon Mary D. Garrard ([7], p 29, note 20) au moins un précédent florentin. Reste qu’il donne au terme Honneur une tonalité chrétienne et sacrificielle. Si l’emblème a été conçu par et pour Ginevra jeune épouse, il semble que déjà son idée de l’honneur féminin consistait à renoncer au monde.

Ceci rajoute à l’argumentation de Mary D. Garrard une touche ironique : par ce qui ne serait pas le premier contresens de l’histoire, une devise essentiellement féminine a été récupérée par un homme qui l’a copieusement utilisée, sans tenir compte de l’inversion des valeurs que trahit l’inversion du dessin.


sb-line

Agnolo di Domenico del Mazziere Bildnis einer jungen Frau 1485-90 Gemaldegalerie Berlin

Portrait d’une jeune femme
Agnolo di Domenico del Mazziere, 1485-90, Gemäldegalerie Berlin, photo Christoph Schmidt 

Cette jeune femme, les bras cachés derrière le bandeau NOLI ME TANGERE, donne une bonne idée de ce à quoi ressemblait le portrait de Ginevra de Benci avant d’être tronqué en bas. La citation évangélique « Ne me touche pas » suggère que la jeune femme devait se prénommer Madeleine ( [8], p 126).

Au revers, un blason gratté est encadré par des exhortations à la chasteté :

  • en haut une citation du Triomphe de la Chasteté de Pétrarque (vers 87) :

    Peur de l’infamie, ou seulement désir de l’honneur

    Timore d’infamia et / solo disio d’onore

  • en bas un vers du poète florentin Antonio di Matteo di Meglio :

    J’ai d’abord pleuré / pour ce que je désirais / puis pour ce que j’ai eu

    Piansi gia / quello ch’io volli / poi ch’io l’ebbi

  • sur les côtés, un proverbe florentin connu :

    Ce fut ce que Dieu voulait, ce sera ce que Dieu voudra

    Fu che Idio volle / Sarà che Idio vorrà.

Ces textes donnent, en somme, trois raisons à l’exhortation du recto. « Ne me touche pas… » :

  • par crainte du scandale,
  • par peur des suites,
  • pour obéir à Dieu.

Ce portrait d’une jeune femme isolée sur son balcon et qui proclame être « intacte » est, dans la Florence de l’époque, une puissante invitation au mariage.


sb-line

Suiveur de Botticelli Femme de profil 1490 National Gallery Suiveur de Botticelli Figure allégorique 1490 National Gallery

Suiveur de Botticelli, vers 1490, National Gallery [9]

On ne sait pratiquement rien de ce portrait ni de la figure du revers : on a proposé la muse de l’Astronomie, Uranie (à cause de la sphère armillaire qu’elle tient de la main gauche). Mais que dire de ce qui semble être un paquet de mousse verte, qu’elle élève vers le ciel de la main droite ?

L’interprétation de A.Dülberg (1990)

andrea-mantegna-Tarot CosmicoIl Cosmico (Le Génie du Monde), Tarot dit de Mantegna, Ferrare, 1465 Lucas-Cranach-d.-J.-Allegorie-der-Tugend-Tugendberg 1548 Lindenholz. Kunsthistorisches MuseumLe mont de la Vertu, Lucas-Cranach le Jeune, 1548, Kunsthistorisches Museum, Lindenholz.

A.Dülberg ( [10] p 133 et ss), qui a beaucoup avancé sur cette énigme, a monté que l’allégorie développe la figure de l’Homme cosmique du tarot de Mantegna, en lui ajoutant le thème du mont de la Vertu : son sommet rocailleux, sur lequel est montée la figure ailée de la Vertu, contraste avec la forêt obscure (la « selva oscura » de Dante) qui représente l’existence terrestre.

Pour A.Dülberg, aussi bien la sphère armillaire que la mousse sont des symboles de l’Espérance chrétienne en la vie éternelle : la sphère parce qu’elle est céleste, la mousse parce qu’elle se replante facilement et reverdit après avoir été desséchée.


Un décollage paradoxal (SCOOP !)

On comprend bien que la figure ailée a escaladé le mont rocailleux, protégée par ses sandales, et est en train de décoller du sol. Mais, indépendamment de leur valeur symbolique; il est paradoxal que l’objet céleste (la sphère armillaire) soit abaissé vers la terre par la main néfaste, et l’objet terrestre (la mousse) élevé vers le ciel par la main favorable. De plus, la mousse a partie liée avec le sous-bois et est l’antithèse du mont (avec sa roche nue et hérissée de pointes) ; quant à la sphère, elle ressemble au mont (avec sa forme sphérique et ses marches de pierre). Mousse et sphère apparaissent donc, visuellement, comme deux objets antithétiques, l’une dans le camp de la forêt et l’autre dans le camp du roc.


Suiveur de Botticelli Figure allégorique 1490 National Gallery schema

Une manière de résoudre ces paradoxes est de penser la scène en mouvement. En traversant les forêts, la jeune femme a ramassé de la mousse, qui ne pousse que dans l’obscurité – ce pourquoi on n’en trouve pas en pleine lumière sur le mont de la Vertu. Sur Terre, douceur et Vertu sont incompatibles, elles ne se cohabitent qu’au Ciel, autrement dit après la mort.


Suiveur de Botticelli Figure allégorique 1490 National Gallery detail sphere

De même, il faut penser la sphère armillaire en mouvement. A.Dülberg a bien noté que la planète Terre, au centre, dépasse juste la cime des arbres : la figure ailée est en train d’élever son bras gauche qui va rejoindre son bras droit pour tracer le V de Virtus (déjà amorcé par les ailes). La sphère armillaire n’est pas à prendre ici comme un symbole purement céleste : c’est bien une Terre épurée, idéalisée, cosmique, que la femme vertueuse emporte dans son envolée, comme un souvenir de son origine


Un portrait posthume

Suiveur de Botticelli Femme de profil 1490 National Gallery Simonetta_Vespucci Marubeni collection, Tokyo
960px-Profilbildnis_einer_jungen_Frau_-_Gemäldegalerie_Berlin Botticelli_-Simonetta_Vespucci_as_Maria_Lactans Cook collection

On connaît plusieurs portraits de profil montrant la même femme-fantasme, avec une coiffure extravagante : on considère habituellement qu’il s’agit d’évocations de Simonetta Vespucci, morte tragiquement à 22 ans, en 1476.

Le portrait de la National Gallery est le seul avec un revers peint. L’orientation inverse de la demi-figure et de la figure en pied rappelle le « travelling circulaire » des médailles, dans lequel le revers constitue le portrait moral de l’avers : le rappel d’un ange au ciel   traduit assez bien le destin d’une jeune morte, d’autant plus lorsque ses ailes tracent le V de Vespucci.

L’inscription très effacée de la banderole, « CHI B / I / N » n’a pas été déchiffrée.


sb-line

Ansano di Michele Ciampanti attr ritratto_di_procuratore_veneziano,_1490-1500_ca Museo Poldi Pezzoli Milan Ansano di Michele Ciampanti attr ritratto_di_procuratore_veneziano,_1490-1500_ca Museo Poldi Pezzoli Milan revers

Portrait d’homme
Ansano di Michele Ciampanti (attr) ,1490-1500, Museo Poldi Pezzoli, Milan

A cause de la présence des deux ours au revers, on a supposé que l’homme pouvait être un membre de la famille Orsucci.


sb-line

jacometto veneziano national gallery jacometto veneziano national gallery revers Horace

Portrait d’homme (probablement Pietro Bembo)
Jacometto Veneziano, vers 1498, National Gallery, Londres

Le revers montre une allégorie modeste : deux branches de laurier nouées par un « lac d’amour », sur fond vert. Ceux-ci sont un argument en faveur de Pietro Bembo, par analogie avec l’emblème de son père Bernardo (la palme et le laurier). Qu’un jeune poète pétrarquien prenne pour emblème un double laurier est logique, d’autant plus que qu’il illustre à merveille le vers bien choisi des Odes d’Horace :

Heureux trois fois et plus ceux qui sont unis par un lien indéfectible.

Felices ter et amplius, Quos irrupta tenet copula

Selon Alison Manges Nogueira ( [8] , p 107), Bembo aurait pu commander ce portrait vers 1495 comme cadeau pour sa maîtresse Costanza Fregoso.


sb-line

Jacometto Veneziano 1470 Philadelphia Museum of Arts Jacometto Veneziano 1470 Philadelphia Museum of Arts revers

Portrait de femme
Jacometto Veneziano (cercle), vers 1470, Philadelphia Museum of Arts

Cet autre portrait de Veneziano porte également au revers une inscription à l’antique, sur un fond imitant le porphyre. Plusieurs propositions ont été faites pour déchiffrer la première ligne : « V LLLL F ». La suite semble être une exhortation à la vie spirituelle :

Rassasies ton âme de délices, car après la mort, pas de volupté.

DELITIIS ANIMUM EXPLE, POST MORTEM NULLA VOLUPTAS

Si le voile jaune que porte la jeune femme est bien un signe distinctif des prostituées vénitiennes, alors l’exhortation morale prend un sens bien plus ironique ([8], p 114).


sb-line

Portrait d’un Allemand

sb-line

Jacopo_de'_Barbari_-_Ritratto_di_un_Tedesco 1497-1500 Gemaldegalerie Berlin Jacopo_de'_Barbari_-_Una_stanza_con_gli_amanti

Portrait d’un Allemand
Jacometto Veneziano ou Jacopo de Barbari, Gemäldegalerie, Berlin

Les historiens d’art n’ont aucune certitude ni sur l’auteur, ni sur la signification de l’ovni surréaliste qui figure au revers de cet austère portrait de marchand, comme peint directement depuis le futur par le pinceau d’un Chirico ou d’un Magritte.


Un revers indépendant

Une chose est certaine : l’homme brun du verso n’a aucun rapport physique avec le personnage blond du recto. La seule manière d’avancer est la comparaison avec d’autres oeuvres du même cercle artistique.


Un objet-emblème

Portrait de Luca Pacioli, attribué à Jacometto Veneziano ou Jacopo de Barbari, 1495, Musée Capodimonte, Naples.

Même s’il est aventureux de prétendre expliquer une énigme par une autre, relevons ce que les deux oeuvres ont en commun, au moins dans leur composition : un objet surdimensionné, en verre à demi rempli d’eau ( un rhombicuboctaèdre suspendu à un fil dans un cas, un verre d’eau posé sur une embrasure dans l’autre) qui attire le regard, et semble emblématique de l’activité des deux autres protagonistes : faire de la géométrie dans un cas ; et dans l’autre quoi, faire l’amour ?

Sur le détail de la mouche sur le cartouche, voir  4-2 Préhistoire des mouches feintes : dans les tableaux


Le bras droit de la femme

Jacopo_de'_Barbari_-_Una_stanza_con_gli_amanti detail couple Jacopo de Barbari Venus 1503-04 inverseeJacopo de Barbari, Vénus, gravure, 1503-04 (inversée)

Par comparaison avec la gravure, il est raisonnable de penser que la femme tient un petit miroir circulaire, attribut habituel de Vénus.


Jacopo_de'_Barbari_-_Una_stanza_con_gli_amanti schema
Une des interprétations récentes [12] est de voir dans le panneau une vanité des sens, qui pénètrent dans le cerveau comme la lumière dans la pièce : la vue et le toucher, symbolisés par les gestes du couple, ont leur limite, démontrée au premier plan par la tige qui semble coupée en deux.


Jacopo_de'_Barbari_-_Una_stanza_con_gli_amanti detail couple Baldung Grien 1511 Hans Adam EveAdam et Eve, Hans Baldung Grien, 1511 

Mais la femme pourrait tout aussi bien tenir une pomme, et le couple évoquer Adam et Eve. C’est l’époque où Eve enfreint assez souvent la convention héraldique et passe à main droite d’Adam, ce qui tend à souligner son rôle d‘initiatrice de la Faute (voir L’inversion Eve-Adam).


Le bras gauche de la femme

Jacopo_de'_Barbari_-_Una_stanza_con_gli_amanti detail couple Jacopo de Barbari Triton et Nereide vers 1503Jacopo de Barbari, Triton et Néréide, gravure, vers 1503

On trouve chez Jacopo une scène amoureuse comparable, mais sous couvert de mythologie : le Triton n’a pas encore porté la main au sein de la Néréide, en revanche cette dernière s’est déjà aventurée à un geste  audacieux.


L’idée de la mort

Jacopo_de'_Barbari_-_Una_stanza_con_gli_amanti detail couple Jacopo de Barbari (maniere de) Mors omnia mutat (retourne)Gravure à la manière de Jacopo de Barbari (retournée)

Ce burin (complétée sur d’autres épreuves par le monogramme BD et l’inscription Mors omnia mutat / la mort transforme tout [13]) comporte également un couple debout qui s’enlace, la femme tenant dans son dos une pomme : manière de l’assimiler à la fois à Vénus et à une Eve classicisée et érotisée. Mais ce qui nous intéresse est que la scène amoureuse est mise en balance avec un emblème de la Mort, non plus le serpent biblique mais le crâne et le sablier.


Le laurier-poison (SCOOP !)

Jacopo_de'_Barbari_-_Una_stanza_con_gli_amanti detail verre bouture-laurier-rose

Nous pouvons maintenant revenir au trompe-l’oeil du premier plan, et au réalisme optiquement exact, mais symboliquement négatif, de la tige cassée par la réflexion et de l’ombre qui enveloppe la lumière.

Le laurier est, dans le contexte vénitien, un symbole éminemment positif (célébrité pour les hommes, chasteté pour les femmes, fidélité dans le mariage pour les couples  [13a]). Joint à la transparence de l’eau et du verre, il évoque également l’eau bénite et le dimanche des Rameaux. Cependant, tout ceci peut être retourné en un symbole négatif.

Il faut savoir qu’une branche de laurier réduite à quelques feuilles et posée dans un verre a une signification très concrète : elle illustre la manière de reproduire par bouture, non pas l’inoffensif laurier-sauce, mais le laurier-rose qui, comme on sait, est un poison violent. Au point que l’eau dans lequel on le met à tremper pour développer ses racines devient elle-même un poison.


De même que la moitié gauche du panneau oscille entre la Volupté (Vénus) et le Péché (Eve), de même la moitié droite nous montre, derrière la plante bénite et l’eau pure, le poison du péché originel, inhérent à la reproduction.


sb-line

Doni Agnolo (Strozzi) Raphael 1503 Offices Doni Maddalena (Strozzi) Raphael 1503 Offices

Portraits d’Agnolo et Maddalena Doni
Raphaël, 1503, Musée des Offices, Florence

Ce double portrait fut terminé juste après le mariage d’Agnolo Doni avec Maddalena Sforza. Quelques années après, un revers en grisaille fut ajouté par un élève peu connu de Raphaël (probablement pour des raisons financières), sans intérêt pictural et donc rarement reproduit.


Doni Maddalena Raphael Offices Deucalion et Pyrrha-versoDeucalion et Pyrrha (revers Maddalena) Doni Agnelo Raphael 1503 Offices Deluge -versoLes divinités de l’Olympe au dessus du Déluge (revers Agnolo)

Maestro di Serumido, vers 1506

L’intérêt est iconographique : Ovide raconte que Zeus ayant puni par un déluge tous les habitants de la Terre, seuls Deucalion et Pyrrha en réchappèrent. Hermès leur ordonna de se voiler la face et de jeter les os de leur mère par-dessus leurs épaules pour repeupler la terre. Après avoir longtemps cherché le sens de ces paroles, ils comprirent que les os n’étaient rien d’autre que les pierres qui couvraient leur Mère à tous, la Terre, et ils exécutèrent l’ordre des dieux. Les pierres jetées par Deucalion se changèrent en hommes ; celles qui furent jetées par Pyrrha en femmes.

A noter que si les deux panneaux avaient été montés en diptyque (comme supposé ci-dessus), le revers aurait présenté les scènes à rebours de l’ordre chronologique : le repeuplement avant la catastrophe. Il est donc certain que les deux panneaux étaient accrochés séparément, et retournés à l’occasion : on commençait par celui du mari, avec le temple sur une île entourée de noyés ; en retournant celui de l’épouse, le temple redevenait accessible au dessus d’une humanité multipliée. Ce temple sur la colline  peut être vu comme une espérance de stabilité et de pérennité pour la maison des Doni ([10], p 150).


Doni Maddalena (Strozzi) Raphael 1503 Offices detail arbre
Le « Deucalion et la Pyrrha » au verso du portait de l’épouse matérialise le désir d’enfant du couple, que Raphaël avait seulement suggéré par l’image de l’arbre qui, au recto, semble prendre racine dans l’épaule de l’épousée. Ils auront une fille en 1507 et de un fils en 1508.


sb-line

Marco_Marziale_Portrait_of_a_man_1493_1507_louvre Marco_Marziale_Portrait_of_a_man_1493_1507_reverse armoiries famille Mellini

Portrait d’homme
Anonyme vénitien, 1490-1500, Louvre, Paris

Il s’agit probablement d’un portrait de présentation en vue de fiançailles. On retrouve au dos le symbole de l’arbre fertile, ici un oranger, qui était alors un cadeau et un symbole nuptial. Deux écus sont accrochés au tronc : celui de l’époux est visible [14] , tandis que celui de la future épouse est retourné

En bas, deux amours s’apprêtent à ramasser les fruits qui tomberont dans le vase de marbre.

« La faune représentée à l’arrière-plan est également significative : le cerf, les lapins, les canards, la pintade et le boeuf symbolisent le pouvoir de l’amour et de la fertilité ; le paon à l’extrême droite était connu comme l’attribut de Junon, la déesse qui veille sur le mariage. » Frank Zöllner [15].

N’oublions pas le lézard devant le vase, qui pour Léonard de Vinci était un symbole de fidélité.

Cette iconographie prolonge, dans le domaine profane, celle de l’oranger qui apparaît à l’époque dans plusieurs retable vénitiens consacrés à la Vierge.


Cima_da_Conegliano_-_Madonna_of_the_Orange_Tree_-_WGA04887Madonne de l’Oranger
Cima da Conegliano, 1497, Offices, Florence

L’arbre prend racine non pas dans le sol rocailleux mais dans l’épaule même de Marie, tandis qu’une jeune branche s’incline au-dessus de l’Enfant comme si celui-ci y était suspendu. Ainsi l’oranger évoque tout à la fois :

  • l’Arbre des Vertus médiéval (Marie est dite « radix virtutum »),
  • l’Arbre de Vie qui régénère l’arbre fatal de la Genèse,
  • l’engendrement de Jésus, fruit de Marie.[15]


sb-line

Gian_Pietro_Rizzi_called_Giampietrino_-_The_Virgin_and_Child_Icosidodecahedron 1510-15 Museo Poldi Pezzoli MilanVierge à l’enfant Gian_Pietro_Rizzi_called_Giampietrino_-_The_Virgin_and_Child_Icosidodecahedron 1510-15 Museo Poldi Pezzoli Milan versoIcosidodécahèdre

Gian Pietro Rizzi dit Giampietrino, 1510-15, Museo Poldi Pezzoli, Milan

L’icosadodécahèdre (vingt triangles équilatéraux et douze pentagones) apparaît dans le Codex Atlanticus de Léonard de Vinci, le maître de Giampietrino, ainsi que dans le « De divina proportione », le traité de mathématiques de Luca Pacioli en 1509.

Vu la direction du regard de la Vierge et de l’Enfant, Angelica Dülberg fait l’hypothèse que le panneau constituait le volet gauche d’un diptyque de dévotion, le panneau de droite étant un portrait disparu de Lucas Pacioli ([10], p 295). De ce fait, le polyèdre serait une sorte d’emblème géométrique de l’imbrication entre la Vierge et l’Enfant.


sb-line

allessandro allori 1570-80 ca Bianca Capello Offices FlorencePortrait de Bianca Capello allessandro allori 1570-80 ca allegory of dream Offices FlorenceAllégorie du Songe

Allessandro Allori, vers 1570-80, Offices, Florence

Bianca Capello était la maîtresse du grand duc de Toscane François I de Médicis, qu’elle épousera en 1579. Le revers de ce petit portrait sur cuivre reprend une allégorie imaginée quarante ans plus tôt par Michel-Ange.


Michelangelo Buonoarroti The Dream (Il sogno), c.1533 The Courtauld Gallery, London
Le Songe
Michelangelo Buonarroti, vers 1533, Courtauld Gallery, Londres

Le cuivre reproduit très fidèlement ce dessin : un rêveur, réveillé par une trompette angélique, échappe aux six péchés capitaux représentés dans les nuées (à gauche la Gourmandise et la Luxure), à droite l’Avarice, l’Envie, la Colère et le Paresse. L’Orgueil étant absent, il est très possible qu’il soit symbolisé par la figure centrale, qui croit maîtriser le Globe alors qu’il n’a en sa possession qu’un collection de masques. Le sens moral de la composition pourrait donc être celui d’une mise en garde contre l’Orgueil, mais d’autres lectures ont été proposées [16].

Il faut noter que François I s’intéressait particulièrement au thème de la Nuit et du Rêve, comme le montre un char réalisé pour le cortège de ses noces avec Bianca Capella [17]. Selon Alison Manges Nogueira ( [8], p 175), la plaque aurait pu être réalisée à l’occasion de ce mariage, pour légitimer le passage d’une union pécheresse à une union sanctifiée. Un inventaire de 1621 précise qu’elle était conservée dans une boîte en noyer.


Dans les Pays du Nord

Dans les Pays du Nord, le revers allégorique est bien moins répandu et sophistiqué qu’en Italie. On n’y rencontre pratiquement que des  revers armoriés (voir 4.1 Revers armoriés : portraits isolés ) ou des revers macabres (voir La mort recto-verso), mis à part les quelques rares cas que nous allons voir.

Un houx énigmatique

Van der Weyden Portrait of a Man Guillaume Fillastre 1440 Courtauld Institute Londres Van der Weyden Portrait of a Man Guillaume Fillastre 1440 Houx - je hais ce que je mords Courtauld Institute Londres

Portrait d’homme (Guillaume Fillastre ?)
Van der Weyden, 1440, Courtauld Institute, Londres

On n’est pas sûr de l’identité du modèle, ce qui est fréquent. Mais on n’est pas sûr non plus, ce qui est plus rare, de la signification de l’emblème (une branche de houx) et de la devise (“Je He Ce Que Mord »), problème auquel se sont attelés de célèbres historiens d’art. Etat de la question, d’après l’étude de Thomas Lüttenberg [18], et dans l’ordre d’apparition.


  • « Je hais ce qui pique » (Friedrich Winkler, 1950)
  • « Je hais ce que je pique » (Panofsky, 1953)

Une partie du problème vient de ce verbe « he », qui n’existe nulle part ailleurs. Panofsky conteste l’ancienne lecture « J’ai ce qui pique », qui casse toute idée d’identification entre l’homme du verso et l’emblème. Par ailleurs le verbe ne peut être qu' »haïr« . Sa traduction, qui assimile « mordre » et « piquer« , s’éloigne cependant du français et laisse un grand point d’interrogation sur ce que l’homme du portrait haït tant.


  • « Je hais ce qui mord », Bambeck, 1981

Bambeck se focalise sur la devise et lui trouve un sens chrétien, « mordre » faisant allusion à la pomme du Péché originel, et par là à la Mort. Mais ceci n’explique pas le houx.


  • « Je hais ce qui est mort », Dülberg, 1990, Dirk De Vos, 1999

Ces deux auteurs poussent l’idée plus loin, en lisant phonétiquement « mort » dans « mord ». De plus, la branche de houx coupée est morte, ce qui crée un lien entre la devise et l’emblème (même si, du coup, n’importe quel arbuste aurait fait l’affaire). Au passage, on perd l’identification entre le personnage et l’image.

Pour Dülberg, l’emblème piquant inviterait le spectateur à deviner ce que hait l’homme du portrait, à savoir la Passion du Christ.


  • « Je hais ce qui mord », Thomas Lüttenberg, 2000

Lüttenberg revient à une explication moins alambiquée, en remarquant qu’au XVème siècle, le visuel prime sur le textuel : il faut donc partir du houx, qui assurément ne mord pas, mais pourrait être mordu (brouté par le bétail) : ce sont ses piques le protègent. Dans la devise, c’est donc tout simplement le houx qui parle. Et à travers lui, le personnage du recto, un homme qui se défend efficacement en piquant.


Mon avis (SCOOP !)

La synthèse de Lüttenberg est astucieuse et convaincante, d’autant plus qu’elle se rapproche d’autres emblèmes et devises français de l’époque.

Le houx est un bon substitut au fagot d’épines, emblème supposé de Louis XI, lequel avait pour devise « Non nu tus premor » (« on n’y touche pas impunément ») .


Chardon lorrainChardon, décor d’assiette lorraine

C’est aussi un avatar du chardon lorrain qui, depuis la victoire de Nancy sur Charles le Téméraire en 1477 , accompagne la devise de la ville : « Non inultus premor » « Ne toquez mi, je poins. (Ne me touchez pas, je pique)



Porc epic
Ou encore du porc-épic de Louis XII, qui agrémente la devise « Cominus et eminus » « de près et de loin » (on pensait que le porc-épic était capable de lancer ses piquants).

Au final, dans “Je He Ce Que Mord », le mot « He » si déconcertant n’est peut-être qu’un calembour jouant sur une vague assonance avec HAIE et HOUX. Et cet arbuste toujours vert ne fait au fond que reprendre, en version masculine et agressive, l’image de pérennité du laurier italien.


sb-line

Hans_Memling_triptic_Pagagnotti 1480 Offices FlorenceTriptyque Pagagnotti, Memling, 1480
Panneau central : Offices, Florence, Panneaux latéraux, National Gallery, Londres

Hans_Memling_triptic_Pagagnotti_1480 revers_grues Offices FlorenceRevers des panneaux latéraux

Le revers aux neuf grues, qui pourrait sembler purement décoratif, recèle un petit détail qui a permis à Michael Rohlmann [19] de prouver que les panneaux latéraux, conservées aujourd’hui à Londres, se rattachaient bien au panneau central conservé à Florence, et que l’on savait commandité par Benedetto Pagagnotti.

Le paysage illustre un passage de Pline l’Ancien concernant les grues :

« Pendant la nuit elles posent des sentinelles qui tiennent un caillou dans la patte; si la sentinelle s’endort, le caillou tombe, et trahit la négligence ; les autres dorment la tête cachée sous l’aile, et se tenant tantôt sur un pied, tantôt sur l’autre. Le chef, le cou tendu, prévoit et avertit. » Pline, Histoire naturelle, livre X, XXX. (XXIII)

On remarque que, sous les armoiries des Pagagnotti, la grue du bas tient un caillou dans sa patte : c’est elle la sentinelle qui, comme Benedetto, veille sur sa famille [20].



Hans_Memling_triptic_Pagagnotti_1480 revers_grues Offices Florence detail
L’ennemi, un renard peu lisible, se trouverait dans les feuillages du panneau de droite.


sb-line

Memling_Portinari_Reconstitution Ouvert Memling_Portinari_revers

Memling, Triptyque de Benedetto Portinari 1487

Des trois panneaux, le panneau de droite est le seul qui est décoré sur son revers, avec un chêne dont s’échappent des pousses nouvelles, et une banderole portant la devise « De bono in melius » (« Du bon au meilleur »).

On pense qu’il s’agit d’une affirmation de continuité de la lignée, après la mort précoce du père de Benedetto, directeur de la branche milanaise de la banque Médicis.

Sur ce triptyque, voir 4 Le triptyque de Benedetto.


sb-line

 

Durer 1507 portrait of a young man Kunsthistorischesmuseum Vienne Durer 1507 Vanitas, Kunsthistorischesmuseum Vienne

Portrait d’un jeune homme
Dürer, 1507, Kunsthistorischesmuseum, Vienne

Fait lors d’un voyage à Venise ou juste après son retour, ce portrait montre au revers une vieille femme, image hideuse de l’avarice. Dürer renouvelle ainsi la formule du revers répulsif en évitant la figure banale du crâne ou du squelette grimaçant (voir La mort recto-verso).


sb-line

 

Hans Suss von Kulmbach Portrait of a young man 1508 MET Hans Suss von Kulmbach Portrait of a young man 1508 MET reverse

Portrait d’un jeune homme
Hans Süss von Kulmbach, 1508, MET, New York

Au dos du portrait du jeune homme, une jeune fille à sa fenêtre confectionne une couronne de fleurs. L’absence de coiffe nous signale qu’elle n’est pas mariée. Dans la banderole, elle nous dit ce qu’elle fait :

Je tresse des myosotis (ne-m’oublie-pas)

ICH PINT MIT VERGIS MEIN NIT

Le chat blanc est également, à cette époque, un symbole d’attachement, d’amour durable. [21]


sb-line

Lucas Cornelisz Portrait de Sir Thomas Wyat 1530 Coll priveePortait de Thomas Wyatt l’aîné Lucas Cornelisz reversLabyrinthe

Fin XVIème, Collection Earl of Romney

L’inscription attribuant le portait au peintre Lucas Cornelli semble rajoutée. Le revers fait allusion à une anecdote racontée par Sir George Wyatt à la fin du XVIème siècle :

« Lors de son séjour à Rome, Thomas Wyatt s’était arrêté dans une auberge pour changer de chevaux . Sur le mur de sa chambre, Thomas dessina un « Labyrinthe et, dedans, un Minotaure portant une triple couronne sur la tête, tous deux semblant tomber » et, au-dessus, il plaça l’inscription « Laqueus contritus est et nos liberate sumus » (Le piège a été brisé et nous avons été libérés) [22].


sb-line

Maarten de Vos (attr) 1550-75, Portrait de l’orfèvre Martin Marquart Vienne, Kunsthistorisches MuseumPortrait présumé de l’orfèvre d’Augsbourg Martin Marquart Maarten de Vos (attr) 1550-75, Portrait de l’orfèvre Martin Marquart Kunsthistorisches Museum Faun, Nymphe und Amor in LandschaftNymphe, Faune et Amour

Maarten de Vos (attr), 1550-75, Vienne, Kunsthistorisches Museum

L’inscription et le revers peint ne sont pas de la même main que le portrait, d’où l’incertitude sur l’identité de l’homme :

A l’âge de trente quatre ans et deux lustres survivant (44 ans), ces choses, moi MARCKARDVS IULTUS (?), sur cette rive j’ai porté.

AESTATES QVATVOR TRIA, BIS QVOCR LVSTRA SVPERSTES / HOS MARCKARDVS EGO IVLTVS, HAC ORA FEREBAM

Ce distique elliptique n’éclaire guère la scène mythologique du verso : sur une rive, on y voit Cupidon dépité, pleurant d’avoir cassé sa flèche, tandis que le satyre gratifie d’un collier de corail la nymphe déshabillée. Comme celle-ci tient dans sa main un dard très fonctionnel, sans doute faut-il comprendre qu’en amour, l’expérience vient avec l’âge.



Article suivant : 2 Couvercles coulissants

Références :
[1] Creighton Gilbert, « New Evidence for the Date of Piero della Francesca’s Count and Countess of Urbino », Marsyas 1 (1941): 41-53.
[2] Pour une synthèse récente des connaissances sérieuses sur ce diptyque, voir
https://elainethoysted.wordpress.com/2014/09/01/battista-sforza-countess-of-urbino-an-illustrious-woman-part-one/
[4] Christiane J. Hessler, « Dead Men Talking: The Studiolo of Urbino. A Duke in Mourning and the Petrarchan Tradition », dans Solitudo Spaces, Places, and Times of Solitude in Late Medieval and Early Modern Cultures, 2018, p 395
Dans une étude antérieure, cet auteur avait proposé une continuité différente, en alternant les panneaux avant et arrière (de sorte que le paysage s’enroulait selon un 8 autour des panneaux) : Christiane J. Hessler « Piero della Francescas Panorama », Zeitschrift für Kunstgeschichte, 55. Bd., H. 2 (1992), pp. 161-179 https://www.jstor.org/stable/1482609
[5] Michel Pastoureau, « La naissance de la médaille : le problème emblématique. », Revue Numismatique Année 1982 24 pp. 206-221
https://www.persee.fr/doc/numi_0484-8942_1982_num_6_24_1829
[6] Une bonne synthèse sur l’hypothèse Bembo : E.J.Duckworth, LEONARDO and VERROCCHIO’s GINEVRA,
http://e-arthistory5.blogspot.com/2018/04/leonardo-and-verrocchios-ginevra.html
[7] Mary D. Garrard, « Who Was Ginevra de’ Benci? Leonardo’s Portrait and Its Sitter Recontextualized » Artibus et Historiae, Vol. 27, No. 53 (2006), pp. 23-56 https://www.jstor.org/stable/20067109
[8] Alison Manges Nogueira, « Hidden Faces: Covered Portraits of the Renaissance » 2024
[10] Angelica Dülberg, « Privatporträts : Geschichte und Ikonologie einer Gattung im 15. und 16. Jahrhundert », 1990
[12] Jill Burke, Stephen J. Campbell, « The Renaissance Nude » p 331
[13] Pour une collection presque exhaustive des gravures, voir https://books.openedition.org/editionsbnf/1371
[13a] A Venise, le laurier se trouve souvent associé à la Vierge pour évoquer sa pureté. De là, dans un contexte profane, il a pris le sens de « pureté dans le mariage », associé à l’idée de permanence (toujours vert). Voir Enrico Maria Dal Pozzolo, « Il lauro di Laura e delle maritate venetiane », Mitteilungen des Kunsthistorischen Institutes in Florenz, 37. Bd., H. 2/3 (1993), pp. 257-292 https://www.jstor.org/stable/27654354
[14] L’identification des armoiries comme celle de la famille Mellini est aujourd’hui rejetée ( [8], p 117)
[15] Sur ce tableau et sur l’iconographie de l’arbre fertile, voir Frank Zöllner Zu den Quellen und zur Ikonographie von Sandro Botticellis « Primavera », Wiener Jahrbuch für Kunstgeschichte, 1997, p 148 https://archiv.ub.uni-heidelberg.de/artdok/174/1/Zoellner_WJBFKG_97.pdf
[16] Alessandro Cecchi, ‎Yves Hersant, La Renaissance et le Rêve, p 146
[17] Valentina Conticelli, « Conoscere per imagine : l’invenzione di Vincenzio Borghini per l’Allegoria dei sogni nello Stanzino di Francesco I de’ Medici » dans Alfredo Perifano, Frank La Brasca « La transmission des savoirs au Moyen Age et à la Renaissance: Au XVIe siècle » p 124 https://www.academia.edu/75433381/Conoscere_per_immagini_L_invenzione_di_Vincenzio_Borghini_per_l_Allegoria_dei_Sogni_nello_Stanzino_di_Francesco_I
[18] Lüttenberg, Thomas. “‘Je He Ce Que Mord’. Die Bedeutung Von Motto Und Emblem Auf Einem Rogier Van Der Weyden Zugeschriebenen Porträt.” Zeitschrift Für Kunstgeschichte, vol. 63, no. 4, 2000, pp. 558–561.  https://www.jstor.org/stable/1594963
[19] Rohlmann a retrouvé la grue et le compas sur un fragment d’un projet de tombeau pour Benedetto Pagagnotti.  Michael Rohlmann, « Memling’s ‘Pagagnotti Triptych » , The Burlington Magazine Vol. 137, No. 1108 (Jul., 1995), pp. 438-445 https://www.jstor.org/stable/886499
[20] Pour d’autres exemples (plus récents) de cet emblème, voir http://www.symbolforschung.ch/Tier-Allegorien.html

2 Couvercles coulissants

10 juin 2025

Les tout premiers portraits réalistes étaient des objets officiels et de grand prix, ayant à voir avec la Renommée et avec l’Immortalité. Ils étaient donc très souvent protégés par un couvercle de bois, lui-aussi peint et parfois tout aussi richement, qu’on ne faisait coulisser que dans les grandes occasions. Ces dispositifs amovibles, italiens ou allemands (timpano, tirella, coperta di ritratto, rittrato a tirella, Schiebedeckel, Porträtdeckel),se sont pour la plupart perdu mais il arrive encore, de temps à autre, qu’on réussisse à apparier un tableau et son couvercle, souvent conservés dans des lieux différents.

Pour les portraits de petite taille, souvenirs de famille qui n’étaient pas accrochés en permanence, le couvercle facilitait le rangement.

La plupart de ces couvercles ont un sujet allégorique – et c’est souvent ainsi qu’on les détecte : comme l’effet de surprise, en  faisant glisser un couvercle n’est pas si différent de celui en retournant un panneau, ils son conceptuellement proches des panneaux bifaces que nous venons de voir.

Article précédent : 1 Revers allégoriques

En Italie

Le portrait d’Alvise Contarini

sb-line

Jacometto Veneziano 1485-95 Portrait of Alvise Contarini MET Jacometto Veneziano 1485-95 Portrait of a Woman, Possibly a Nun of San Secondo MET

Portrait d’Alvise Contarini et d’une femme inconnue
Jacometto Veneziano, 1485-95, MET, New York

On a d’abord cru que ces deux petits panneaux (11 cm x 8 cm) avaient été montés en diptyque : mais à la différence du portrait du duc et de la duchesse d’Urbino (voir 1 Revers allégoriques), le paysage derrière les deux figures n’est pas continu.




La  configuration retenue aujourd’hui est que le portrait masculin, légèrement plus grand et muni en bas d’un bord en biseau facilitant la préhension, aurait pu constituer  un couvercle coulissant, tout en étant situé au revers de ce couvercle  (une description ancienne signale  en effet « sur le couvercle des dits portraits, un cerf dans un paysage ».

Malgré des recherches intensives [1], on n’a pas de certitude sur l’identité de la jeune femme (une nonne, d’après un ancien témoignage ?) et la nature de la relation amoureuse entre les deux jeunes gens. Selon l’étude très récente d’Alison Manges Nogueira [2], il s’agirait tout simplement de la jeune épouse de Contarini, Daria Querini.



Jacometto Veneziano 1485-95 Portrait of Alvise Contarini reverse MET
Au revers du portrait masculin, un chevreuil est attaché par une chaîne d’or à un médaillon portant l’inscription AIEI (« pour toujours » en grec), sur un fond imitant le porphyre rouge. Homme et chevreuil regardent dans des directions opposées : selon le principe du « travelling circulaire » qu’on constate sur les médailles de l’époque (voir 1 Revers allégoriques), le cerf attaché représenterait bien le portrait moral de l’homme. Pour certains, il s’agit d’un symbole de continence sexuelle : mais le mot « pour toujours » parle plutôt pour l’attachement et la fidélité.


Le revers du panneau féminin est malheureusement presque complètement effacé (ce qui est normal s’il constituait le dos de la boîte, exposé aux frottements). ). La réflectographie montre une silhouette masculine assise sur un rocher et jouant du luth, dans un paysage boisé, avec à gauche une gondole. Selon Alison Manges Nogueira [2], il s’agirait d’Orphée suppliant Charon sur les rives du Styx :

« En vain le chantre de la Thrace veut repasser le Styx et fléchir l’inflexible Charon. Toujours refusé, il reste assis sur la rive infernale, ne se nourrissant que de ses larmes, du trouble de son âme, et de sa douleur. » Ovide, Métamorphoses, Livre X, 72

La boîte prendrait alors le caractère d’un mémorial dans lequel Alvise rend hommage à sa femme morte [3].


Un mode d’emploi symbolique (SCOOP !)

 

 

La structure même de l’objet confirme avec délicatesse cette intention :

  • en faisant glisser vers le haut Orphée bloqué devant le Styx (flèche rouge), apparait d’abord le vêtement noir d’Alvise, désolé devant la lagune ;
  • en faisant glisser vers le bas le cerf qui garde la tombe (flèche verte), apparait d’abord la demeure céleste, puis la partie spirituelle de la défunte ;
  • pour voir côte à côte les deux portraits, il faut démonter et retourner le couvercle : c’est seulement après sa propre mort qu’Alvise pourra regarder à nouveau sa femme en face ;
  • mais lorsque la boîte est fermée, les deux époux, visage contre visage, s’embrassent déjà dans l’obscurité.

sb-line

Sandro_botticelli,_giuditta_con_la_testa_di_oloferne,_1470_ca._Cincinnati Art MuseumJudith portant la tête d’Holopherne Sandro_botticelli,_composizione_araldica_con_cervi_e_scimmia,_1470_ca._02Paysage avec deux daims et deux singes

Sandro Botticelli, vers 1470, Cincinnati Art Museum

Comme aucun lien apparent ne relie le recto et le verso, on a fait récemment l’hypothèse que ce panneau biface constituait le couvercle d’un portrait féminin disparu, la scène  sacrée et la scène profane constituant deux allégories complémentaires destinées à une dame vertueuse ( [14] p 31).


sb-line

Le portrait de Simonetta Vespucci

sb-line

 

Piero_di_Cosimo_-_Portrait_de_femme_dit_de_Simonetta_Vespucci_-_Google_Art_Project Piero-di-Cosimo-Allegorie-de-la-Chastete-NGA

Portrait de Simonetta Vespucci, Musée Condé, Chantilly.

Allégorie de la Chasteté, National Gallery of Art

Piero di Cosimo, vers 1480

L’hypothèse que le très célèbre portrait de Chantilly ait pu avoir pour couvercle l’allégorie de Washington a été proposée en 1990 par Angelina Dülberg, vu la taille quasiment identique des deux panneaux. L’étude comparative la plus complète a été faite par Dennis Geronimus, qui se range à cette hypothèse [5].


Le portrait

Le portrait de Simonetta Vespucci a été largement étudié [6], et je ne vais rappeler que quelques points particuliers.

Il s’agit d’un portrait posthume, dans le genre très particulier des « portraits de fantaisie » qui visaient à mette en scène une beauté idéale, plutôt qu’une image ressemblante.

La coiffure complexe appelée vespaio (nid de guêpes), rappelle celle des jeunes mariées : il pourrait s’agir d’un jeu de mot avec le nom de son mari (Marco Vespucci était le cousin d’Amerigo l’explorateur). Elle reste néanmoins outrageusement sophistiquée, accessoire de théâtre et de séduction.

L’inscription « SIMONETTA IANUENSIS VESPUCCIA » (Simonetta Vespucci la Génoise) met au centre une référence à Janus, fondateur mythique de la ville, qui semble inviter à une lecture binaire :

  • dans le dos de Simonetta, sa vie passée (sol vert, arbre vert, nuage blanc),
  • devant elle son fatal destin (sol caillouteux, arbre sec, nuage noir, ville fortifiée inondée et en ruines).

Le possible couvercle

Sur un ilot rocheux, une femme ailée tient un cheval par une cordelette nouée autour de son encolure. On y reconnait habituellement la Tempérance, ou bien le Triomphe de la Chasteté sur la Luxure : il est vrai que la branche de genévrier qu’elle tient dans sa main gauche peut être un symbole de l’une, et le cheval de l’autre.


Genièvre ou if ?

Dennis Geronimus pense qu’il s’agit plutôt d’une branche d’if, dont les fruits sont un poison violent, notamment pour le bétail qui le broute ; il s’agirait d’un symbole funèbre, qui renvoie au serpent du portrait, enroulé autour du cou de Simonetta.


Maîtriser l’animal (SCOOP !)

Piero_di_Cosimo_-_Portrait_de_femme_dit_de_Simonetta_Vespucci_detail serpent
On considère souvent ce serpent comme une allusion à Cléopâtre, ou bien à l’ouroboros (symbole d’éternel retour). On aurait tout aussi bien pu convoquer le serpent d’Eve. Le point crucial, jamais commenté, est qu’il ne s’enroule pas autour du cou : à l’instar de Mercure faisant sinuer ses serpents autour de son caducée, Simonetta asservit  le sien à son collier doré, écailles contre maillons.



Piero di Cosimo Allegorie de la Chastete NGA detail licou
Là réside un lien possible entre le portrait et le couvercle, qui nous montre lui aussi un mince licou maîtrisant un animal dangereux…
Piero di Cosimo Allegorie de la Chastete NGA detail cheval
…en l’occurrence un étalon bien membré.


La sirène comme caricature (SCOOP !)

Piero di Cosimo Allegorie de la Chastete NGA detail genievre eau
La sirène à deux queues, en dessous, prend appui du bras gauche sur la berge, incapable d’aller plus loin. Par sa position ridicule entre les sabots et les pieds, cette chimère mi-poisson, mi-fille, barbotant avec sa chevelure mal tressée, apparaît comme une pâle imitation du couple que forment le cheval viril et la déesse à la coiffure impeccable : comme  l’autre  arbuste de l’ilot, à gauche, est complètement dépouillé, elle a dû  faire le tour de l’île pour tenter d’attraper ce que la divine lui a laissé, quelques brins tombés à terre.


Piero di Cosimo Allegorie de la Chastete NGA detail barques Piero di Cosimo Allegorie de la Chastete NGA detail genievre

La présence de barques et d’un bateau, proies habituelles des sirènes, confirme l’importance du thème pour la compréhension du panneau.


Une dimension humoristique (SCOOP !)

Sans le couvercle, nous ne pourrions pas saisir la dimension humoristique qui se cache dans le portrait. N’oublions pas que Piero, esprit facétieux, est l’auteur d’un Mars et Vénus qui caricature ouvertement celui de Botticelli (voir Le lapin et les volatiles 1). La réputation de Simonetta tenait à sa chasteté vantée par tous les admirateurs de sa beauté, chasteté que la culture pétrarquienne voyait moins comme un obstacle que comme un attrait supplémentaire.

Donc, très peu d’années après sa mort de Simonetta (en 1476), Piero détourne l’idole en la présentant, à l’inverse, comme une pin-up dénudée, cachée  soue une allégorie  ollé-ollé. Il y a  probablement une ambiguïté voulue entre le genièvre de la chasteté et l’if de l’intoxication :  nous avons vu  un calembour végétal de la même farine, entre le laurier-vertu et le laurier-poison,  dans le Portrait d’un allemand attribué à  Jacopo de Barbari (voir 1 Revers allégoriques).


Piero-di-Cosimo-Allegorie-de-la-Chastete-NGA Piero_di_Cosimo_-_Portrait_de_femme_dit_de_Simonetta_Vespucci_-_Google_Art_Project

D’une certaine manière, l’ilot fatal du couvercle prolonge la mer fatale du portrait : comme si Simonetta, depuis sa vie terrestre, contemplait l’existence qu’elle continue à mener dans l’Au-delà,  faisant valser les étalons comme elle  charmait les serpents, nouvelle femme fatale éclipsant les antiques sirènes.


Un V récurrent ?

Suiveur de Botticelli Femme de profil 1490 National Gallery Suiveur de Botticelli Figure allégorique 1490 National Gallery

Suiveur de Botticelli, vers 1490, National Gallery

La dompteuse de Piero semble répondre, en souriant, à l’allégorie de la National Gallery, où l’ange remontant au ciel évoque probablement le destin tragique de Simonetta (voir 1 Revers allégoriques). Les deux motifs très appuyés, le V des ailes et le S du Serpent, pourraient bien être un jeu graphique sur les initiales de l’icône :

le_mythe_bb

sb-line

raphael-.songe.du.chevalierLe songe du chevalier
Raphaël, 1504, National Gallery, Londres
Raphael_-_Les_Trois_Graces_-_Google_Art_ProjectLes Trois Grâces
Raphaël, Musée Condé, Chantilly

Après avoir proposé qu’il s’agisse de pendants, les historiens d’art pensent désormais que le trio habillé servait de couvercle au trio nu [7]. Sur l’analyse des deux scènes, voir Les variantes habillé-déshabillé (version chaste)

sb-line

La_vecchia_di_GiorgioneLa Vieille, 1506, Giorgione, Offices, Florence

On sait par un inventaire de 1596 que ce portrait de la mère de Giorgione, qui a conservé son cadre original, avait pour couvercle « un homme avec une veste de fourrure noire » (Giorgione lui-même ?).

Il semble donc que le portrait disparu ait fonctionné selon le même principe de surprise horrifiée que le jeune homme de Dürer qui porte sur son revers la figure répulsive d’une vieille femme (voir 1 Revers allégoriques) : c’est ici en ouvrant le panneau (et non en le retournant) qu’apparaissait le visage hideux du futur, avec l’inscription « Col tempo » : « Avec le temps (tu deviendras comme moi »).


sb-line

Lotto : le portrait de Bernardo de Rossi

sb-line

 

Lorenzo Lotto Allégorie_de_la_Vertu_et_du_Vice Portrait_of_Bishop_Bernardo_de Rossi National Museum of Capodimonte, Naples Lorenzo Lotto Allégorie_de_la_Vertu_et_du_Vice_NGA reduit

Portrait de l’évêque Bernardo de Rossi, National Museum of Capodimonte, Naples (51,5 x 43,5 cm)

Allégorie de la Vertu et du Vice, National Gallery of Art, Washington (56,5 x 43,2 cm

Lorenzo Lotto, 1505

Voici un des rares exemples où l’on soit sûr que l’allégorie est bien le couvercle du portrait : les armoiries de Bernardo de Rossi (un lion dressé) figurent sur l’écu appuyé à l’arbre et sur la bague à la main droite du modèle. Le revers du couvercle donne les indications détaillées sur l’évêque [8] :

Bernardo Rossi
de Berceta, Comte papal
de Trévise, âgé de
36 ans, 10 mois, 5 jours
Peint par Lorenzo Lotto
1er juillet 1505

BERNARD. RVBEVS
BERCETI COM. PONT
TARVIS. NAT.
ANN. XXXVI. MENS. X.D.V.
LAVRENT.LOTVS P. CAL.
IVL. M.D.V.

On perçoit bien ici le côté utilitaire et auxiliaire du couvercle : protéger, décorer, donner des indications sur la personne, mais sans rivaliser avec le morceau de bravoure : le portrait, dans toute sa ressemblance et sa vie.


Lorenzo Lotto Allégorie_de_la_Vertu_et_du_Vice_NGA reduit

L’allégorie ici n’est pas destinée à servir de portrait moral du prélat : c’est un hors d’oeuvre plaisant, plein de fantaisie et apparemment  facile à comprendre avec, alignés comme à l’exercice, à gauche la Vertu et à droite le Vice.


Côté Vertu

Lorenzo Lotto Allégorie_de_la_Vertu_et_du_Vice_NGA detail vertus

Un enfant sage a pour compagnons d’étude deux livres, deux compas, deux instruments de géométrie (une équerre et un fil à plomb) et deux d’astronomie (un quadrant et un astrolabe). Et pour compagnons de loisir une flûte de Pan, une flûte droite, une trompe et une partition.


Lorenzo Lotto Allégorie_de_la_Vertu_et_du_Vice_NGA detail vertus ange

Il est accroupi sur un sol rocailleux, devant une haie épineuse. Mais au delà on découvre son avenir glorieux : équipé  de quatre paires d’ailes, courir sur le sentier raide qui monte, en bordure d’une côte tranquille, jusqu’à la lumière divine.


Côté Vice

Lorenzo Lotto Allégorie_de_la_Vertu_et_du_Vice_NGA detail vices

Un satyre bandant regarde au fond d’une urne ce qui reste  (geste conventionnel de l’ivrogne, voir La cage hollandaise). Il a renversé une amphore de vin et une de lait, posé par terre des grappes de raisin. Un peu de lait reste dans la cuillère, un peu de vin dans la coupe.


Lorenzo Lotto Allégorie_de_la_Vertu_et_du_Vice_NGA detail tempete

 

Il est assis sur une pelouse fleurie, devant trois arbres verdoyants qui ne barrent pas l’accès à la falaise (cachée) et à la côte rocheuse où, sous un ciel noir, un navire est en train de se fracasser.


<>Allegory 1530 ca anonyme venitien NGAAllégorie, Anonyme vénitien, vers 1530, NGA

Dans le même ordre d’idées, ce panneau postérieur oppose, à un enfant vertueux imité de Lotto, une femme vicieuse en compagnie de deux satyres, l’un aviné et l’autre libidineux.


L’arbre central (SCOOP !)

Lorenzo Lotto Allégorie_de_la_Vertu_et_du_Vice NGA detail arbre
L’écu de l’évêque est attaché à la base du tronc, calé par un petit caillou, du côté de la branche qui reverdit. Un autre écu de même forme, mais orné de la face effrayante de Méduse, est accroché plus haut, à la brisure.

S’il faut chercher dans le couvercle un portrait moral de l’évêque, c’est sans doute dans cet arbre, blessé mais renaissant : Rossi avait échappé de peu à un attentat en le 29 septembre 1503, moins de deux ans auparavant (d’où peut être l’insistance étrange sur son âge : 36 ans, 10 mois, 5 jours).


Des oppositions tranchées

De part et d’autre de l’arbre, d’autres éléments reprennent la dichotomie entre putto et satyre :

  • un voilier paisible figurait autrefois en regard du bateau qui sombre ;
  • les symboles de la Mesure (instruments des Sciences et de la Musique) s’opposent à ceux de l’Excès (vase vides ou renversés) ;
  • l’écu familial glorieux avec le Lion, côté lumière et à la base du tronc, s’oppose à l’écu fatal, tourné vers l’ombre, comme responsable de la brisure et du naufrage.


L’interprétation de Maria Ruvoldt

Bien sûr, tout le monde sait qu’il n’y a rien de plus vicieux qu’un satyre. Mais dans une allégorie supposément manichéenne, celui-ci ne fait pas horreur. De plus, penché sur l’urne, sa posture décalque exactement celle de l’enfant sage penché sur ses instruments. Dans son livre pénétrant [9], Maria Ruvoldt a bien senti le côté paradoxal et inhabituel de ce couvercle :

« Même si De Rossi est symboliquement du côté vertueux de la composition, le choix d’accorder au vice une place – et à fortiori la moitié – dans un revers ou dans un couvercle, constitue une dérive notable par rapport à la tradition. Une allégorie de la vertu et du vice est non seulement inhabituelle en tant que sujet pour un couvercle de portrait, mais semble trop simple, trop réductrice, pour exprimer la variété des intérêts de De Rossi… A Trévise, De Rossi cultivait une atmosphère de curiosité intellectuelle et d’inventivité, une ambiance qui semble plus complexe que celle que suppose la lecture traditionnelle du couvercle du portrait de Lotto. Au contraire, le cercle de De Rossi aurait pu être particulièrement enclin à voir la riche imagerie du couvercle comme un puzzle à déchiffrer, avec des permutations de sens variées, voire infinies, plutôt qu’une allégorie immédiatement compréhensible de la vertu et du vice. »


Au terme d’une longue analyse sur la signification de l’ivresse, elle conclut par une réhabilitation du satyre :

« Incarnant la pulsion irrationnelle, le satyre représente la nature véritable de l’inspiration. Décrit ici comme se livrant totalement aux effets du vin, il pourrait personnifier l’esprit qui s’abandonne à la frénésie divine. Le putto, de l’autre côté, est actif, utilisant ses instruments et son intellect, engagé dans un acte de création. La juxtaposition du satyre et du putto, nature et culture, pourrait illustrer une idée de progrès dans la recherche de la connaissance, la nécessité de passer d’un stade à l’autre, de l’inspiration à la créativité ».


L’aporie du bouclier transparent (SCOOP !)

Dans le mythe de Persée, son bouclier de bronze poli comme un miroir lui a été donné par Athéna afin qu’il puisse trancher la tête de Méduse sans affronter directement son regard pétrifiant. On pourrait donc l’interpréter aussi bien négativement (la Mort) que positivement (la Sagesse, la Prudence). Mais le fait extraordinaire qu’il soit ici en cristal en fait une aporie, puisque la transparence supprime justement toute protection contre le regard de Méduse.


Lorenzo Lotto Allégorie_de_la_Vertu_et_du_Vice_NGA detail vertus ange Lorenzo Lotto Allégorie_de_la_Vertu_et_du_Vice NGA ecu 1

Les deux écus, de même forme,  fonctionnent comme les emblèmes opposés du putto et du satyre  :

  • le lion « rampant » évoque le putto grimpant, magnifié par ses ailes ;
  • l’écu incapable  de refléter renvoie à la  déception du satyre devant le vase vide, qui ne peut lui renvoyer son reflet.

Ainsi la moitié droite s’articule autour de deux images déceptives  :

  • il n’existe pas de bouclier contre la Mort,
  • l’ivresse ne permet pas de se connaître soi-même.

Mais la moitié gauche n’est pas si positive qu’il paraît :

  • les moignons noirs ne permettent pas au putto de décoller du sentier ;
  • le lion n’est pas moins ithyphallique que le satyre :

Lorenzo Lotto Allégorie_de_la_Vertu_et_du_Vice_NGA detail lion

Cette accumulation de paradoxes, qui  se découvrent progressivement lorsqu’on entre dans le détail du panneau, semble conçue pour déjouer  les lectures hâtives,  et proposer au spectateur un exercice d’interprétation.


Un satyre épicurien (SCOOP !)

La mienne invoquerait volontiers un des passages les plus célèbres du De natura rerum de Lucrèce (première édition imprimée à Venise en 1495) :

« Il est doux, quand la vaste mer est soulevée par les vents, d’assister du rivage à la détresse d’autrui ; non qu’on trouve si grand plaisir à regarder souffrir ; mais on se plaît à voir quels maux vous épargnent… Mais la plus grande douceur est d’occuper les hauts lieux fortifiés par la pensée des sages, ces régions sereines d’où s’aperçoit au loin le reste des hommes, qui errent çà et là en cherchant au hasard le chemin de la vie, qui luttent de génie ou se disputent la gloire de la naissance, qui s’épuisent en efforts de jour et de nuit pour s’élever au faîte des richesses ou s’emparer du pouvoir… Au corps, nous voyons qu’il est peu de besoins. Tout ce qui lui épargne la douleur est aussi capable de lui procurer maints délices. La nature n’en demande pas davantage… du moins nous suffit-il, amis étendus sur un tendre gazon, au bord d’une eau courante, à l’ombre d’un grand arbre, de pouvoir à peu de frais réjouir notre corps, surtout quand le temps sourit et que la saison émaille de fleurs l’herbe verte des prairies« . Lucrèce, De Natura rerum, début du Livre II


Lorenzo Lotto Allégorie_de_la_Vertu_et_du_Vice NGA schema
Il se peut que ce soit par pure coïncidence, mais le texte de Lucrèce nous aide à voir non pas les deux, mais les quatre secteurs qui divisent la composition, ainsi que les mouvements au travers de leur frontières : de l’épreuve (bateau et branche fracassés) à la joie du corps, puis à celle de l’esprit, puis à l’ascension ailée vers les hauteurs, le tableau illustre un cycle évolutif. Faut-il y lire la biographie tumultueuse de l’évêque, du luxe au travail intellectuel, en passant par l’attentat, comme le pensent certains ( Giuseppe Liberali, Götz Pochat) ? Ou bien un programme d’évolution spirituelle à l’usage de tout honnête homme ?


Un évêque humaniste

Pour ce toute premier portrait de sa carrière, le jeune artiste de 25 ans a mis toute sa virtuosité au service de la figure d’autorité de son premier patron, homme de pouvoir, sourcilleux de ses prérogatives.

Mais le couvercle est d’une autre farine : en se faisant représenter sous forme d’un grand arbre cassé qui va bientôt repousser afin d’ombrager à nouveau les satyres, Rossi se montre sous son autre face : celle d’un protecteur des Arts, qui élèvent l’âme, et d’un amateur de la Sagesse antique, qui l’apaise.


sb-line

Lotto : l’allégorie de la Chasteté

sb-line

Lorenzo Lotto,Portrait de femme, vers 1502-1505, Dijon, musee des beaux-artsPortrait de femme, Musée des Beaux-Arts, Dijon (36 x 28 cm) Lorenzo Lotto, Allegorie de la Chastete, vers 1502-1505. Washington, National GalleryAllégorie de la Chasteté, National Gallery of Art, Washington (43 x 33 cm)

Lorenzo Lotto, 1502-1505


Une identification fragile

Pour cette seconde Allégorie de Lotto, nous sommes dans le royaume des hypothèses : que le panneau de Washington soit bien le couvercle du portrait de Dijon – le tout premier portrait féminin peint par Lotto ; et que la femme soit ou pas une parente de de Rossi.


Première option : allégorie pour une femme inconnue

Selon l’opinion la plus répandue, le portrait est celui d’une femme inconnue qui, séduite par celui de l’évêque avec son couvercle allégorique, en aurait commandé une variante personnelle [10] .



Lorenzo Lotto, Allegorie de la Chastete, vers 1502-1505. Washington, National Gallery
Au premier plan, une satyresse regarde en souriant un satyre bandant qui lui tourne le dos, à moitié immergé et buvant à la régalade.

Au second plan, une femme assoupie est accoudée à un laurier tronqué, à côté d’un point d’eau ; un amour ailé, en suspension au dessus, déverse sur elle le contenu de son tablier : des pétales de fleurs.

Cette scène sans équivalent a reçu de nombreuses interprétations [11] :

  • Danaé (ou bien la rarissime nymphe Rodi) fécondée par la pluie d’or, traduite par une pluie de fleurs par association avec les florins de Florence (Morelli 1893, Berenson 1894, Eisler 1949, Shaplay 1968 ) ;
  • une femme endormie dont on nous montre le rêve : avoir une descendance (là encore à cause du laurier qui semble sortir d’elle (Cook, 1906) [12] ;
  • le choix entre le vice – le sexe, la boisson – et la vertu – le laurier de la chasteté, les pétales de l’amour divin (Conway 1928, Tervarent 1958-59) ;
  • une allégorie du Repos ( Gandolfo 1978, Arasse 1980, Gentili 1980 et 1981) ;
  • la Laure de Pétrarque (à cause du laurier sur son flanc, de l’homophonie entre l’Aurora et Laura ora, et de la pluie de fleurs, tous présents dans le Canzone 126), lequel cependant n’explique pas les deux satyres (Dal Pozzolo, 1992).

Un premier-plan ambigu

Pour un message moral, tout serait plus normal si c’était le satyre qui reluquait la femelle : l’inverse, à savoir la représentation franche du désir féminin, est inconcevable pour l’époque, d’autant plus s’il s’agit du couvercle d’un portrait féminin.

Une autre lecture du premier plan s’impose : la satyresse ne reluque pas le mâle, mais s’est cachée derrière un arbre pour lui échapper pendant qu’il se rafraîchit. Son sourire montre qu’il ne s’agit que d’un jeu temporaire : les satyres sont les satyres. Mais on pourrait baptiser cette scène : archéologie de la pudeur. Vue ainsi, la satyresse ne s’oppose pas à la femme moderne du second plan, mais la précède dans le temps : un peu comme dans l’allégorie de Bernardo, le satyre déçu par les Excès représente un stade antérieur à l’Enfant découvrant la Mesure.


Seconde option : un couvercle dont le portrait manque

Dal Pozzolo [11] propose que le portrait perdu ait été celui de l’humaniste Augurello.


Troisième option : un double portrait frère-soeur

Dans cette hypothèse, la femme représentée serait Giovanna Rossi, sœur de l’évêque et veuve Malaspina depuis au moins 1493 (l’absence de tous bijoux signalerait sa condition de veuve). Certains commentateurs supposent que le tableau a été commandé par son frère à l’occasion de sa mort, en octobre 1502, ce qui en ferait une sorte de prototype du portrait de Bernardo, en 1505. D’autres pensent, pour des raisons stylistiques, qu’il a été fait après le portrait de 1505, en souvenir de la défunte et comme une sorte de pendant. D’autres enfin qu’il a été fait avant 1502, et commandé à Lotto par Giovanna elle-même.



Lorenzo Lotto, Allegorie reconstitution 1
Le fait que le portrait féminin se place à gauche et soit de taille inférieure (environ de moitié) évite toute confusion avec un double portait conjugal (le mari étant toujours à gauche). Pourquoi pas, alors, un double portrait frère-soeur ?



Lorenzo Lotto, Allegorie reconstitution 2
Avec un nombre bien plus réduit d’éléments (la satyresse, la femme endormie, l’amour ailé, le satyre buveur), l’allégorie féminine en partage la moitié (les deux derniers) avec l’allégorie masculine.



Lorenzo Lotto, Allegorie de la Chastete, vers 1502-1505. Washington, National Gallery comparaison arbres
De plus, la dormeuse est accoudée à un olivier coupé d’où sort une nouvelle branche, qui rappelle l’arbre central dans lequel nous avons reconnu une métaphore de la vie de Bernardo.

Enfin, la fausse piste de Danaé (la pluie de roses vertueuses imite et inverse facétieusement la pluie d’or fécondante) ressemble à celle de la lecture facile Vice/Vertus qui masque les subtilités de l’allégorie masculine.

Ces similitudes militent moins en faveur de la théorie du prototype que de la théorie de la conception simultanée, en 1505, donc comme mémorial à la soeur disparue.


Une scène crépusculaire (SCOOP !)

Tandis que dans l’allégorie de Bernardo, Lotto s’était attaché à montrer le contraste entre le beau et le mauvais temps, il s’est appliqué ici à transcrire une troisième ambiance lumineuse : le crépuscule (et non pas l’Aurore, comme on le dit dans l’hypothèse de Laure).

D’où ma proposition personnelle : celle que la jeune femme endormie soit Giovanna en jeune morte, vertueuse et regrettée, ensevelie sous les pétales. Et que l’arbre coupé sur lequel elle s’appuie représente, ici encore, son frère Bernardo, veillant sur son sommeil éternel.



Lorenzo Lotto, Allegorie de la Chastete, vers 1502-1505. Washington, National Gallery schema
Schématiquement on retrouve les même quatre zones que dans l’allégorie masculine, avec la même idée d’évolution (de la satyresse à la jeune femme) et de communication entre le ciel et la terre (sauf qu’ici c’est l’au-delà qui descend saluer l’ici-bas).



Lorenzo Lotto, Allegorie de la Chastete, vers 1502-1505. Washington, National Gallery comparaison droite
Enfin, la zone noire des fracas (la tempête) laisse ici place à un sous-bois paisible, sorte de Champs-Elysées où seules se promènent des âmes invisibles.

sb-line

Ghirlandaio Dame au voile vers 1510-1515 Florence OfficesDame au voile (la Monaca) Ghirlandaio Couvercle vers 1510 Florence OfficesCouvercle avec masque

Ghirlandaio, vers 1510-1515, Offices, Florence

La dame est installée dans une loggia montrant par la fenêtre de gauche l’hôpital San Paolo, et par celle de droite une vue vers les remparts, ce qui respecte à peu près la topographie florentine mais ne correspond pas à un panorama continu [13].

Sur le couvercle supposé du portrait est inscrite la devise :

A chacun son propre masque,

Senèque, De Beneficiis II,17

SUA CUIQUE PERSONA

Au dessus, deux dauphins encadrent une urne enflammée et un bucrâne, en dessous deux griffons entourent un masque vu de face, chacun posant une patte sur un autre petit masque vu de profil. Tous ces symboles peuvent être recrutés comme éléments de l’imagerie funéraire, y compris le masque ( [14], p 123). Mais les masques mortuaires, déjà utilisés par les Romains (imago) avaient pour fonction de conserver les traits de défunt, alors qu’ici le masque a la fonction inverse : gommer toute ressemblance. Cette interprétation funéraire est donc largement forcée.

On a beaucoup glosé sur le rapport entre le masque et le portrait, impliquant que celui-ci constitue lui-aussi une forme de masque : et sur l’effet de révélation que devait produire le glissement du couvercle, substituant à la grisaille les couleurs vivantes du portrait.


Un masque peut en montrer un autre (SCOOP !)

Ghirlandaio Couvercle vers 1510 Florence Offices modifie Ghirlandaio Dame au voile vers 1510-1515 Florence Offices

Mis à part la symétrie autour de l’axe vertical, il n’y a pas grand rapport entre le contenant et le contenu : si l’idée avait été de superposer le masque au visage, rien n’empêchait de positionner l’inscription en bas et le masque en haut.


 

Ghirlandaio Couvercle vers 1510 Florence Offices Ghirlandaio Dame au voile vers 1510-1515 Florence Offices

La disposition retenue implique que la devise, superposée à la bouche de la femme, est l’opinion qu’elle exprime ; et que le masque est, superposé au livre, un objet qui lui appartient : ce pourquoi, échappant au fond en grisaille, il est rendu en couleurs naturelles, vue en trompe-l’oeil d’un objet réel, et non élément du décor sculpté, auquel il est d’ailleurs accroché par deux liens. Et c’est pour bien nous faire saisir la différence qu’ont été ajoutés les deux masques sculptés sous la patte des griffons, purement décoratifs quant à eux.

Même si la devise peut en évoquer une autre « SVA CVIQVE MIHI MEA », « A eux la leur, à moi la mienne », la mention explicite du mot « Persona » ( au sens propre le masque de théâtre, au sens figuré le rôle) attire l’attention sur le masque en tant qu’objet, et nous mène à une interprétation plus subtile que la première qui vient à l’esprit. Plutôt qu’à une banale métaphysique du masque, du visage et de la personnalité, l’inscription nous invite à un jeu purement pictural : distinguer le sujet, l’objet et le décor.


« A chacun son masque » est à prendre au sens littéral, comme une devinette énoncée par la dame : « Moi, j’ai le mien, que j’ai posé à l’extérieur ; et toi, mon portrait, tu as le tien : ton propre couvercle. » Ainsi le masque ôté est une invitation à ôter le couvercle.


sb-line

Pontormo Portrait of a Halberdier (Francesco Guardi) 1528-30 Getty Museum Bronzino galatea-and-pygmalion Offices Florence

Portrait d’un Hallebardier (Francesco Guardi pendant le siège de Florence) Pontormo, 1528-30, Getty Museum, Malibu

Pygmalion et Galatée , Bronzino, 1528-30, Offices, Florence

Bien que le tableau de Bronzino soit légèrement plus petit que celui de son maître Pontormo, la plupart des érudits s’accordent maintenant à les apparier, y reconnaissant un portrait à couvercle décrit par Vasari. Pour toute l’histoire de cette passionnante controverse, voir le livre exhaustif que Elizabeth Cropper lui a consacrée [15].

Un des arguments en faveur de cette identification est que, tout comme Ginevra de Benci devant un genièvre (voir 1 Revers allégoriques), le jeune homme a été peint dans une posture parlante : en gardien (Guardi ) devant les remparts.


Bronzino galatea-and-pygmalion Offices Florence detail Hercule AnteeMédaillon de béret, avec Hercule soulevant Antée. Bronzino galatea-and-pygmalion Offices Florence detail Venus MarsAutel de sacrifice avec Vénus et Mars

Les deux oeuvres se répondent via un « tableau dans le tableau » à sujet mythologique, comme l’a expliqué magistralement Elizabeth Cropper :

« Aux XVIe et XVIIe siècles, l’histoire de Pygmalion est indissociable du thème de la virtuosité artistique et de la concurrence entre les arts… l y a tout lieu de supposer que Bronzino, en choisissant Pygmalion et Galathée comme sujet du couvercle, commentait le rendu magistral de la vie et la perfection idéale du Hallebardier de Pontormo. Le thème de l’artiste sacrifiant à Vénus (ou la Beauté), laquelle a pacifié Mars (ou la Guerre), renforce ce lien… Dans le bas-relief de l’autel peint par Bronzino, Vénus est représentée dans les bras de Mars, ce qui ne se trouve pas chez Ovide. Dans la célèbre invocation d’ouverture du De Rerum Natura, le poète Lucrèce prie pour que Vénus vainque Mars afin que Rome puisse jouir de la paix et les arts prospérer. Que Bronzino ait ajouté Mars sur l’autel de Vénus indique que le sacrifice de Pygmalion est offert pour obtenir la fin de la guerre, il ne prie pas seulement Vénus, mais aussi pour la paix.

Il y a une ironie profonde dans cette invention de Bronzino, car Vénus est représentée tenant la pomme de la discorde <celle qui a mené à la Guerre de Troie>… L’autel élevé par Pygmalion porte la dédicace REV VI VENVS (hélas, Vénus a gagné), qui combine curieusement l’épigraphie des inscriptions romaines et la poésie lyrique, comme l’indique le mot « hélas » . Le paradoxe amusant de consacrer un autel à Vénus à la fois en tant que cause de la Guerre et en tant que déesse de la Paix suggère que la source de la Guerre est l’Amour et le désir de Beauté.

Dans le même temps, cette invention par Bronzino de l’autel avec Vénus enlaçant Mars s’oppose directement à l’image d’Hercule combattant Antée sur le médaillon de Francesco Guardi. La beauté de Vénus illustre la cause et les effets des arts de la paix, qui remplacent désormais les combats tragiques du siège et de la guerre civile. «  [15], p 97-98



Dans les Flandres

Memling 1470-80 Allégorie de la Chasteté Musee Jacquemart André
Allégorie de la Chasteté
Memling, 1479-80, Musée Jacquemart André, Paris

La troupe près de la ville, au fond à gauche, va-t-elle remonter la rivière jusqu’à la source pure, gardée par un couple de lions, dans laquelle on devine rubis, perles et branches de corail, tandis qu’une sorte de nymphe nordique surgit, toute vêtue, en haut d’un rocher d’améthyste ? Le fait que de nombreux éléments du paysage sont empruntés à d’autres oeuvres de Memling suggère que l’oeuvre a été lourdement restaurée au XIXème siècle [16], ce qui rend suspecte toute interprétation d’ensemble.

On a fait l’hypothèse que le panneau aurait pu constituer le couvercle allégorique d’un portrait féminin disparu.


Sainte Barbe échappe à son père en traversant un rocher Maître de la Légende de sainte Barbe, 1470-90 Bruxelles, Musées Royaux des Beaux Arts Bruxelles
Sainte Barbe échappe à son père en traversant une montagne
Maître de la Légende de sainte Barbe, 1470-90, Musées Royaux des Beaux Arts Bruxelles

Surgissant de sa « tour » de cristal comme Saint Barbe de sa montagne, l’allégorie aurait pu servir à vanter la pureté d’une jeune femme prénommée Barbara ([14], p 92)

Sur deux autres panneaux allégoriques de la même période, attribués eux-aussi à Memling, voir 6 La dame, le singe et les deux chevaux et 5 Le Polyptyque de Strasbourg .



En Allemagne

Moins sophistiqués que les couvercles italiens, les couvercles germaniques n’ont pas pour ambition de proposer une devinette allégorique : la figure abstraite du portraituré se réduit le plus souvent à ses armoiries.

 

Hieronymus II. Haller zu Kalchreuth Bernhard Strigel 1503 Alte Pinakothek MünchenPortrait de Jérôme II Haller zu Kalchreuth
Alte Pinakothek, Münich
Hieronymus II. Haller zu Kalchreuth Schiebedeckel für das Porträt , 1503 GERMANISCHEN NATIONALMUSEUMSCouvercle coulissant
Germanisches National Museum, Nuremberg

Bernhard Strigel, 1503

Le blason principal est celui de Hieronymus Haller, patricien de Nuremberg, surmonté par un casque, une couronne et une figurine de femme à la peau rouge . Le petit blason en bas à droite est celui de son épouse Katharina Wolf von Wolfsthal [17]. Le couvercle, qui coulissait vers le bas, porte à l’arrière une poignée.

sb-line

Martin Kaldenbach Jakob Stralenberger, 1506 Städel Museum, Frankfurt am Main 40.8 × 28.1 cmStädel Museum, Frankfurt am Main (40.8 × 28.1 cm) Martin Kaldenbach Sliding Cover with Stralenberg Coat of Arms, 1506. 28.6 × 27.7 × 0.7 Historisches Museum, Frankfurt am MainHistorisches Museum, Frankfurt am Main (28.6 × 27.7 cm)

Portrait et armories de Jakob Stralenberger, Martin Kaldenbach, 1506

Le couvercle coulissant, recoupé, est conservé dans un autre musée de Francfort.

sb-line

Portrait de Lazarus I. Holzschuher gravure de Johann Alexander BonerPortrait de Lazarus Holzschuher, gravure de Johann Alexander Boner Portrait de Lazarus I. HolzschuherAtelier de Jakob Elsner, 1497 Nuremberg couvercleCouvercle coulissant (Jakob Elsner ou atelier), 1497,Germanisches National Museum, Nuremberg

Le portrait a été perdu, mais une gravure du XVIIème ou XVIIème siècle nous en donne un aperçu.

Sur le couvercle, un homme sauvage présente le blason des familles Holzschuher – une chaussure en bois, arme parlante – et Bühl : un griffon. Le mariage entre Lazarus et Katharina avait eut lieu l’année précedente, en 1496. Trois oiseaux sont cachés dans les volutes végétales ; un chardonneret, un bouvreuil et un troglodyte.

Comme le remarque Judith Hentschel, l’homme sauvage, dans ce contexte nuptial, n’a pas uniquement une fonction décorative :

« La force et la puissance de l’homme sauvage – soulignées par son pagne rouge ostensiblement déployé – témoignent également de la fécondité sexuelle espérée. Tandis que les pampres font du désert un espace de vie , les oiseaux de compagnie qui s’y nichent suggèrent l’apprivoisement de l’homme sauvage au service de l’amour, et le bouvreuil et le chardonneret, dans ce contexte profane, sont peut être à comprendre comme la Vertu et l’Affection attendues d’un mariage harmonieux. » [18]


sb-line
Durer, Albrecht Portraut de Hieronymus Holzschuher, 1526 Gemaeldegalerie - Staatliche Museen zu Berlin bisPortrait de Hieronymus Holzschuher
Dürer, 1526 Gemäldegalerie, Berlin

Le dispositif actuel, toujours fonctionnel, n’est pas celui d’orgine : des traces d’abrasion montrent qu’originellement le couvercle glissait vers le bas (Beate Fücker).


Durer, Albrecht Portrait de Hieronymus Holzschuher, 1526 Gemaeldegalerie - Staatliche Museen zu Berlin Durer Wappen der Familien Holzschuher und Münzer

Le couvercle porte, entourées par une couronne de laurier, les armoiries d’alliance des familles Holzschuher et Müntzer : pour cette dernière, le serpent d’Esculape fait allusion au métier du père de Dorothea, l’humaniste et médecin Hyeronymus Münzer, tandis que la colonne se réfère aux « piliers d’Hercule » (Gibraltar) et à son intérêt pour la géographie.

Pour son ami Hieronymus Holzschuher (le frère de Lazarus) , Dürer a repris la même figure sommitale, un maure, que sur les propres armoiries d’alliance de ses parents, en 1490 (voir 6.2 Devinettes acrobatiques), moins les ailes d’aigle qui faisaient partie des armoiries de sa mère.


sb-line

ortrat-Hans-Froschauers-in-einem-Holztafelchen-mit-SchiebedeckelPortrait de Hans Froschauer dans une petite boîte avec couvercle coulissant , 1526 Landesmuseum Württemberg, Stuttgart

A part son âge, 29 ans, on ne sait rien sur ce Hans Froschauer. Cette petite boîte à portrait ( 7,3 X 6,3 cm) est sans équivalent connu [19].

sb-line

Bildnis des Wolfgang Ronner Wofgang Ronner par Hans Maler 1529 Schiebedeckel Alte Pinakothek Munchen

Portrait de Wofgand Ronner
Hans Maler, 1529, Alte Pinakothek, Münich

Wolfgang Ronner était représentant de commerce pour la famille Fugger d’Augsbourg. La lettre est adressée à « Ronner/ZwHannd(en)/Swats“, Swatz étant la ville du Tyrol où il était en poste.

Ses armoiries (une fleur de lys sur un croissant de lune) figurent en miniature sur sa chevalière, et en grand sur le couvercle, dans un disque circulaire peint en trompe l’oeil comme un objet précieux accroché au mur.

sb-line

Lucas-Cranach-d.-J.-Allegorie-der-Tugend-Tugendberg 1548 Lindenholz. Kunsthistorisches MuseumLe Mont de la Vertu
Lucas-Cranach le Jeune, 1548, Kunsthistorisches Museum, Lindenholz

Ce panneau n’est pas sans rappeler, une cinquantaine d’années plus tard, l’Allégorie de la Chasteté de Memling. On suspecte qu’elle a pu elle-aussi servir de couvercle à un portrait, coulissant ou à charnières ([14], p 172).

Cependant la signification est pratiquement opposée : la Vertu n’est pas inexpugnable, mais accessible en passant par la porte marquée DURATE (Persévérez) et par la fissure dangereuse. Hercule, en bas, relayé par la Vertu en haut, désignent du doigt la récompsne à atteindre : une couronne de lauriers et un collier d’or accrochées à un palmier, avec la banderole DEO ET VIRTUTE (DUCE) : (Mené) par Dieu et par la Vertu. [14], p 172).

sb-line

Portrait de dame Ludger Tom Ring vers 1560 Suermondt-Ludwig Museum, Aachen
Portrait de dame
Ludger Tom Ring, vers 1560, Suermondt-Ludwig Museum, Aachen

Le couvercle porte un éloge de l’amitié, citation de Jesus Sirach (6, 14-15) :

Un ami fidèle est un rempart solide, celui qui en possède un possède un grand trésor, et n’a rien à payer, ni avec de l’or ni avec des biens

Ein trewer Freund ist ein starcker Schutz, wer den hat, der hat einen grosen Schaz und ist mit keinem geldt noch gut zu bezahlen


sb-line

Bürgermeister Johann Wolfgang Peilicke und Auferstehung Christi Hieronymus Lotter d. J. und Johann de Perre 1579-80

Johann Wolfgang Peilicke, par Hieronymus Lotter le Jeune, 1579-80,
Couvercle avec la Résurrection, par Johann de Perre, vers 1596
Stadtgeschichtliches Museum, Leipzig

Le portrait, réalisé à l’occasion de la réélection de Peilicke comme bourgmestre de Leipzig, en 1580, le montre dans son habit officiel, doublé d’une coûteuse fourrure de martre.


Un luthérien convaincu

Le cadre et le couvercle, commandés par ses descendants après sa mort en 1596, sont un intéressant témoignage religieux.

Sur le côté gauche du cadre, le serpent d’airain et l’épée font référence à l’Ancien Testament, l’ère sous la Loi ; en face, le Christ en croix et le lys font référence au Nouveau, l’ère sous la Grâce.

Sur la peinture du couvercle, le tombeau de la Résurrection est fermé. Or une querelle théologique avait agité en 1593 le Protestantisme, particulièrement à Leipzig, quant à la présence réelle du Christ dans l’Eucharistie. Luther, qui était pour, avait pris comme argument, en 1528, le fait que Jésus avait traversé le couvercle de son tombeau [20] ; mais les calvinistes, qui étaient contre, préféraient représenter le tombeau ouvert.

Le couvercle fermé du tombeau affirme la prise de parti du maire en faveur du luthérianisme .


Un couvercle autoréférent (SCOOP !)

Mais, couvercle peint sur un autre couvercle, il exprime aussi l’espérance que le bourgmestre, à l’instar du Christ, puisse sortir vivant de son propre portrait. Et nous fait saisir une métaphore oubliée depuis qu’on ne les couvre plus : celle des portraits comme tombeaux.



Article suivant : 3 Revers religieux

Références :
[2] Alison Manges Nogueira « Concealing portraits in Renaissance Venice: Jacometto’s painted box », The Burlington Magazine, vol. 166, February 2024, pp. 126-139 https://www.academia.edu/114322226/_Concealing_Portraits_in_Renaissance_Venice_Jacometto_s_Painted_Box_The_Burlington_Magazine_vol_166_February_2024_pp_126_139
[3] On ne connaît rien de Daria Querini, pas même la date de sa mort. Alison Manges Nogueira propose à l’appui de sa thèse que les lettres AI/EI pourraient être lues non comme les initiales, mais comme les dernières lettres des nom des deux époux. Pourquoi pas ? Un argument plus contestable est qu’un cerf avec un collier couché sur le vert gazon est cité dans les Métamorphoses, quelques lignes après la passage concernant Charon et Orphée. Après vérification, l’animal décrit par Ovide court librement, possède de grandes cornes et un collier d’or, et surtout se rattache à une tout autre histoire, celle de Cyparissus.
[5] Dennis Geronimus, Piero Di Cosimo: Visions Beautiful and Strange, 2008
[7] Roger Jones; Nicholas Penny, « Raphael », 1987, Yale University Press, p. 8
[9] Maria Ruvoldt, « The Italian Renaissance Imagery of Inspiration: Metaphors of Sex, Sleep, and Dream », 2004, p 44 et suivantes
[10] David Alan Brown, Sylvia Ferino Pagden, Jaynie Anderson, « Bellini, Giorgione, Titian, and the Renaissance of Venetian Painting »,  Kunsthistorisches Museum (Vienne), National Gallery of Art (U.S.), Kunsthistorisches Museum (Wenen), Yale University Press, 2006
[11] Enrico Maria Dal Pozzolo « Laura tra Polia e Berenice » di Lorenzo Lotto, Artibus et Historiae, Vol. 13, No. 25 (1992), pp. 103-127 https://www.jstor.org/stable/1483459
[12] Dans la peinture vénitienne, c’est souvent l’oranger qui symbolise la fertilité (voir 1 Revers allégoriques);
[14] Alison Manges Nogueira « Hidden Faces: Covered Portraits of the Renaissance », 2024
[15] Elizabeth Cropper,  » Pontormo: Portrait of a Halberdier », Getty Publications, 1997 http://d2aohiyo3d3idm.cloudfront.net/publications/virtuallibrary/0892363665.pdf
[16] Didier Martens, En marge de l’exposition exposition Amour au Louvre Lens : la Chasteté de Hans Memling, document-historique de la fin du Moyen-Age ? https://koregos.org/fr/didier-martens-marge-exposition-amour-louvre-lens-chastete-hans-memling-document-historique-fin-du-moyen-age/
[18] Judith Hentschel, « Porträtdeckel mit wildem Mann », Heidelberger OJS-Journals, Kulturgut, 2018 II Quartal, Heidelberg lUniversität, https://journals.ub.uni-heidelberg.de/index.php/kulturgut/article/download/45880/39262
[20] Luther, Confession de 1528, XXX, 207. Voir un résumé dans  Muhammad Wolfgang G. A. Schmidt « And on this Rock I Will Build My Church“. A New Edition of Schaff’s „History of the Reformation 1517-1648 » https://books.google.fr/books?id=SKwyDwAAQBAJ&pg=PA250

3 Revers religieux

10 juin 2025

Le revers à thème religieux relèvent-ils de la même logique que les revers allégoriques, fournissant un portait abstrait mas en puisant à un registre chrétiens ? Où relèvent-il d’une logique propre ? Nous allons voir que les exemples, peu nombreux, relèvent d’intention variées.

Article précédent : 2 Couvercles coulissants

Les revers de polyptiques

Certains panneaux bifaces qui nous sont parvenus faisaient partie d’un projet plus large : aussi il est vain de chercher à mettre en correspondance le recto et le verso, sans connaître le programme d’ensemble du polyptique.

Quadriptyque Anvers-Baltimore 1400 ca reconstitution Verougstraete fig 95Quadriptyque Anvers-Baltimore, vers 1400, reconstitution Verougstraete ( [1] fig 95)

Par exemple, dans ce quadriptyque complexe, deux versos formaient, à la première ouverture, un diptyque comparant deux scènes aquatiques, le Baptême du Christ et le Miracle de Saint Christophe, l’un au tout début de la Vie du Christ et l’autre après sa mort. L’ouverture complète montrait, chronologiquement, quatre scènes de la vie du Christ.


sb-line

Volets de triptyques isolés

1470-1500 Manner_or_circle_of_the_Master_of_the_Virgo_inter_Virgines The Cartin Collection Hartford, Connecticut 1470-1500 Manner_or_circle_of_the_Master_of_the_Virgo_inter_Virgines The Cartin Collection Hartford, Connecticut Saint Clement revers

Résurrection

Saint Clément

Cercle du maître de la Virgo inter Virgines, The Cartin Collection, Hartford, Connecticut

Saint Clément est identifié par l’instrument de son martyre, l’ancre. On ne connaît pas la raison de sa présence au verso de la Résurrection, qui faisait probablement partie d’un ensemble plus large, comprenant au moins deux autres panneaux, une Crucifixion et une Lamentation [1a].


Jean Beugier Maître des Portraits princiers, Portrait d'homme en saint André, vers 1470-80, Madrid, musée Thyssen-Bornemisza, inv. 251bo Jean Beugier Maître des Portraits princiers,Saint Sébastien en grisaille (revers), vers 1470-80, Madrid, musée Thyssen-Bornemisza, inv. 251bo

Portrait d’homme en saint André

Saint Sébastien

Jean Beugier (Maître des Portraits princiers), , vers 1470-80, Madrid, musée Thyssen-Bornemisza (inv. 251bo)

Vu le revers en grisaille, il s’agit probablement du volet droit d’un triptyque, le donateur ayant choisi de se faire représenter à la guise de Saint André.


Un triptyque perdu de Bosch (SCOOP !)

Hieronymus Bosch Christ Carrying the Cross (1490-1510) ( Gemäldegalerie, Kunsthistorisches Museum, Vienna Hieronymus Bosch Christ Child (1490-1510) ( Gemäldegalerie, Kunsthistorisches Museum, Vienna.

Portement de Croix

Enfant avec moulinet et trotteur

Hieronymus Bosch, 1490-1510, Kunsthistorisches Museum, Vienne

Le garçonnet du verso n’est pas nimbé: il ne s’agit donc pas de l’Enfant Jésus, mais d’un enfant générique, apprenant à marcher en jouant avec son moulinet. Cette scène charmante constituait donc l’antithèse de la scène tragique du recto, où le Christ effectue ses derniers pas, écrasé par le poids de la Croix : d’autant plus que celle-ci, au recto, tombe exactement sur l’épaule du garçonnet.


Hieronymus Bosch Reconstitution Kunsthistorisches Museum, Vienna.

Il s’agissait probablement du volet gauche d’un triptyque classique Portement / Crucifixion / Résurrection (tel que par exemple le retable de la Passion de Memling).


Concernant la grisaille au revers du volet droit, on en est réduit aux hypothèses. On a supposé [2] qu’il pouvait s’agir de Saint Jean Baptiste enfant venant à la rencontre de son cousin, un sujet rare que l’on trouve dans cette gravure contemporaine :

Israhel van Meckenem 1465-1500 Bristh MuseumIsrahel van Meckenem 1465-1500, British Museum


Si l’on tient compte des symétries du triptyque supposé, la grisaille de droite devait à la fois servir d’antithèse à la Résurrection du verso et, lorsque le triptyque était fermé, de pendant à l’Enfant apprenant  à marcher…. 

Hieronymus Bosch Reconstitution Ph.Bousquet Kunsthistorisches Museum, Vienna fermé.

…pourquoi pas  un Mort sortant du tombeau ?


Un Saint Patron

En principe, un saint ou une sainte au recto d’un portrait indique le prénom du modèle.

L’exception qui confirme la règle

Van der Weyden 1465 Laurent Froimont 1 Van der Weyden 1465 Laurent Froimont 2

Musée des Beaux-Arts de Caen

Musées Royaux des Beaux Arts de Belgique, Bruxelles

Diptyque de Jean de Froimont, Van der Weyden, vers 1460

Côté Vierge à l’Enfant, l’inscription est la salutation angélique : AVE MARIA G(raci)A PLENA.
Côté donateur, la devise est « RAISON LANSEIGNE (l’enseigne) »


Van der Weyden 1465 Laurent Froimont 3
Revers du panneau du donateur

La figure de Saint Laurent, en grisaille, a fait longtemps identifier le donateur comme étant Laurent de Froimont (nom inscrit sur la banderole), dont on ne sait pratiquement rien (un Laurent de Froimont, propriétaire terrien, est repéré à Enghien dans le Hainaut, entre 1450 et 1473, mais il est trop âgé pour la datation dendrochronologique du portrait). Le blason, gratté, n’arrange pas la situation.

C’est en 2003 que Dominique Vanwijnsberghe [3] , grâce à la découverte de la même devise sur un manuscrit de Princeton, a identifié le donateur comme étant Jean de Froimont, un ami proche de Philippe de Croÿ (qui avait lui-même commandé un diptyque de dévotion, voir 4.3 Revers armoriés : Diptyques et triptyques de dévotion ).

L’image de Saint Laurent était donc une fausse piste : elle a pu être peinte par une autre main, pour des raisons de dévotion particulière à saint Laurent. Ou plus probablement, elle fait référence à la famille Laurent, nom de jeune fille de l’épouse de Jean de Froimont.



Van der Weyden 1465 Laurent Froimont reconstitution Verougstraete fig 89De plus, selon H. Verougstraete ([1], fig 89), l’éclairage de la niche fait supposer qu’il s’agissait plutôt du revers du volet gauche (le côté sombre indiquant conventionnellement où poser la main), qui aurait été recopié au revers du volet droit afin d’en garder le souvenir.


sb-line

1475-80 Philadephia Museum of Arts 1475-80 Philadephia Museum of Arts Saint Francis of Assisi Receiving the Stigmata

Portait d’une dame

Stigmatisation de Saint François

Anonyme vénitien, 1475-80 Philadephia Museum of Arts

Sans certitude, on peut présumer que la jeune femme se prénommait Francesca. Le rubis sur sa poitrine répond discrètement à la plaie sur le flanc du Saint.


sb-line

Memling Vierge Chicago Art Institute

Vierge à l’enfant

Homme en prières

Memling, 1485-90, Chicago Art Institute

Memling 1485-90 St Antoine de Padoue Chicago Art Institute ReversRevers du panneau du donateur : St Antoine de Padoue

On ne sait rien du donateur, sinon qu’il devait s’appeler Antoine. A remarquer les deux enfants dans le miroir derrière la Vierge (voir 3.1 Le diptyque de Marteen)


sb-line

Lucas Cranach l'Ancien 1508 Portrait of a Man with a Rosary MET Lucas Cranach l'Ancien 1508 Portrait of a Woman in Prayer Musee des BA Bale

Portrait d’un homme avec un chapelet, MET, New York

Portrait d’une femme en prières, Musée des Beaux Arts, Bâle

Lucas Cranach l’Ancien, 1508 [4]

Ces deux volets d’un triptyque de dévotion (panneau central disparu) ont probablement été peints lors du voyage de Cranach aux Pays-Bas en 1508.
La bague de l’homme porte les armoiries de la famille néerlandaise Six van Hillegom ou Six van Oterleek


Lucas Cranach l'Ancien 1508 Portrait of a Man with a Rosary MET reverse Lucas Cranach l'Ancien 1508 Portrait of Woman in Prayer Musee des BA Bale reverse

Saint Pierre ?

Sainte Catherine

Sur les revers, très abîmés, sont peints en grisaille les saints patrons du couple.


Un portrait spirituel

1579 disciple de Pieter Pourbus Diptych_Portrait_Rogerius_de_Jonghe_and_Saint_Nicolas_de_Tolentino Musée Groeninge BrugesRogerius de Jonghe (avers) et Saint_Nicolas de Tolentino (revers)
Disciple de Pieter Pourbus, 1579, Musée Groeninge, Bruges

Ce portait devait être le panneau gauche d’un diptyque de dévotion, avec la Madone sur le panneau droit. Au revers, et dans la même position que lui, Rogerius de Jonghe a fait représenter son modèle spirituel, vu de plus loin. On retrouve la même idée que dans les monnaies et tableaux bifaces de la Renaissance italienne (voir 1 Revers allégoriques) : portrait physique à l’avers, portait spirituel au revers.


sb-line

1500-40 portait de Savonarole National Gallery 1500-40 portait de Savonarole National Gallery Execution

Portait de Savonarole

Exécution de Savonarole avec deux autres dominicains

1500-40, National Gallery

La lumière tombant de la gauche illumine pareillement l’imprécateur dans sa chambre et les suppliciés en place publique. D’une certaine manière, le « portrait spirituel » de Savonarole se réduit à un bûcher diabolique.


Au dos de la Madone

1400-15 Petite pieta ronde Louvre 3 clous couronne epines 1400-15 Clousi

Petite Pieta ronde

Trois clous et couronne d’épines

1400-15, Louvre

De la même manière que des armoiries figurent souvent au dos d’un portrait (voir 4.1 Revers armoriés : portraits isolés ), il arrive exceptionnellement qu’un emblème christique orne le revers d’une Madone.


1460-70 Sano di Pietro Madonna and Child with Saint John the Baptist, Saint Bartholomew, and Four Angels c. El Paso Museum of Art 1460-70 Sano di Pietro Madonna and Child El Paso Museum of Art revers sceau St Bernardin

Vierge à l’Enfant avec  Saint Jean Baptiste, Saint Bartholomée et Quatre Anges

Sceau de Saint Bernardin de Sienne

Sano di Pietro 1460-70, El Paso Museum of Art

Au verso, les quatre anges entourent le sceau de Saint Bernardin de Sienne, tel qu’on peut le voir par exemple sur cette fresque, avec la même citation de Saint Paul :

1425 Sceau de Saint Bernardin Sienne, Palazzo Pubblico, Salle de la MappemondeSceau de Saint Bernardin, 1425, Sienne, Palazzo Pubblico, Salle de la Mappemonde

Au nom du Seigneur, que tout genou fléchisse, aux cieux, sur terre et aux enfers. Saint Paul (Phil. 2, 10-11)

In nomine ihs onne genum fletatur celestium terrestrium infernorum


Un diptyque de Memling (SCOOP !)

Memling 1485 ca Thyssen Bornemisza MadridPortait d’un Jeune Homme
Memling, vers 1485, Thyssen Bornemisza, Madrid

On notera que le même monogramme figure sur ce vase christique et ce bouquet marial, au revers du portrait d’un jeune italien inconnu.

Vu l’étroitesse de la portion visible de la fenêtre, on a proposé [5] qu’il s’agissait du volet gauche d’un triptyque dévotionnel à trois panneaux de largeur identique, avec la Madone au centre et l’épouse sur le volet droit : pour un autre exemple chez Memling, voir 4 Le triptyque de Benedetto.



Memling 1485 ca Thyssen Bornemisza Madrid schema

Reconstitution avec une Vierge tournée vers la gauche (école de Memling) 

Un argument décisif à l’encontre de l’hypothèse d’un triptyque [6] est que l’intersection entre la fuyante du tapis et la ligne de sol place le point de fuite juste à droite du panneau. Or Memling utilise toujours un point de fuite unique, situé au centre de l’ensemble :  il s’agit donc bien d’un diptyque.


Memling Chicago Art Institute schemaChicago Art Institute

On retrouve cette construction dans le diptyque que nous avons vu plus haut  (avec, au revers du dévot, un Saint Antoine en grisaille dans une niche).

Memling 1485 ca Thyssen Bornemisza Madrid fausse niche

On a ici une nature morte en couleurs, une des toutes premières de la peinture occidentale. Le volet du donateur étant en général le volet mobile, il est très probable que ce revers a été conçu comme une niche en trompe-l’oeil, fixée au mur. En l’ouvrant apparaissait, dans un effet de surprise, à la fois une échappée vers la campagne et le dialogue intime entre le jeune homme et la Madone.


sb-line

master-of-the-legend-of-saint-ursula-madonna-with-three-donors-1486 Musee des BA Anvers master-of-the-legend-of-saint-ursula-madonna-with-three-donors-1486 Musee des BA Anvers revers Verougstraete p 332

Madone avec trois donateurs
Maître de la Légende de Sainte Ursule, 1486, Musée des Beaux Arts, Anvers

Chaque revers porte un symbole approprié :

  • un calice avec une hostie côté donateurs,
  • un crucifix côté Madone.

Lucrèce comme Marie

Jan Van Scorel Vierge a l'enfant 1527-30 Tambov Picture Gallery Jan Van Scorel Portrait d'homme 1527-30 Gemaldemuseum Berlin

Vierge à l’enfant, Tambov Picture Gallery

Portrait d’homme, Gemäldemuseum Berlin

Jan Van Scorel, 1527-30

Un peu en retrait, Marie s’incline vers l’homme pour lui présenter son fils, qui lui même tend la main comme pour le saluer et le toucher. Nous ne sommes pas devant une apparition, mais devant une rencontre physique, au sein d’un paysage qui joint les ruines romaines aux rochers à la flamande.


Jan Van Scorel Portrait d'homme 1527-30 Gemaldemuseum Berlin reverse LucreceLucrèce, revers du panneau masculin

Au dos de ce très pieux donateur, on pourrait s’étonner de trouver une femme nue. Mais Lucrèce, qui préféra se poignarder plutôt que de se laisser déshonorer par un Prince romain, est à l’époque une figure de la Virginité et de la force de caractère.

Ainsi l’héroïne de l’Antiquité, chastement dénudée, peut être vue comme une préfiguration glorieuse de la Vierge, tout comme Eve est son ancêtre honteuse.


Jan Van Scorel Portrait d'homme 1527-30 Gemaldemuseum Berlin reverse Lucrece Jan Van Scorel Vierge a l'enfant 1527-30 Tambov Picture Gallery

Lorsqu’on ouvre le diptyque, la gestuelle de Lucrèce, propulsant sa lame nue vers son coeur, prélude à celle de Marie, propulsant son fils vers le monde.


Jan Van Scorel Portrait d'homme 1527-30 Gemaldemuseum Berlin reverse Lucrece Jan Van Scorel Portrait d'homme 1527-30 Gemaldemuseum Berlin

Ce langage des gestes, très élaboré, crée aussi une identification entre Lucrèce et le donateur, qui porte la main droite sur son coeur comme comme s’il ressentait sa blessure, suggérée d’une autre manière par le trou qui transperce le rocher.
Ainsi, comme le note A.Dülberg :

« Kouznetsov montre de manière crédible que cet extraordinaire diptyque s’inscrit dans le cercle d’influence des rhétoriciens néérlandais, dont Van Scorel était proche. Lucrèce y est interprétée, parmi d’autres héroïnes de l’Ancien Testament, comme une préfiguration de la vertu et des souffrances de Marie. Par son geste de la main posée sur le coeur, le donateur exprime sa volonté d' »Imitatatio Mariae ». ( [7], p 151)


sb-line

Barthel Bruyn l'Ancien Johann von Rolinxwerth et Christine von Sternberg Mauritshuis 1529Johann von Rolinxwerth et Christine von Sternberg
Barthel Bruyn l’Ancien, 1529, Mauritshuis

La même exaltation des vertus chrétiennes se retrouve, exactement à la même époque, dans ce diptyque conjugal. Les quatre oeillets, répartis entre les époux, outrepassent la symbolique nuptiale habituelle pour atteindre leur signification sacrée : celle des quatre clous de la Passion. Les deux autres objets, le verre de vin rouge et le gant blanc, prennent également une valeur religieuse : sacrifice et pureté.


Barthel Bruyn l'Ancien Johann von Rolinxwerth et Christine von Sternberg Mauritshuis 1529 revers feminin Barthel Bruyn l'Ancien Johann von Rolinxwerth et Christine von Sternberg Mauritshuis 1529 revers masculin

Le fait que Lucrèce se trouve au revers du portrait masculin souligne bien que ce n’est pas sa féminité qui est en cause, mais son Courage et sa Vertu, exemplaires pour les deux sexes. A noter que la lame et le point de pénétration sont complètement masquées par le bras, dans un geste peu naturel.


Raphael Galathee Villa Farnesina
Triomphe de Galatée (détail), Raphaël, 1513, Villa Farnesina

Il ne s’agit pas d’une question de bienséance, mais d’une citation de  cette célèbre fresque de Raphaël.


sb-line

Jan_Gossaert 1530 ca _Portrait_of_a_Gentleman_-_Clark_Art_Institute Williamson mains Jan_Gossaert (atelier) 1534_Lucretia_Clark_Art_Institute Williamson

Le gentilhomme aux belles mains

Lucrèce

Gossaert, 1532, The Clark Museum, Williamstown, Massachusetts

Dans ce portait biface, le gentilhomme semble s’afficher comme l’émule de la vertueuse Lucrèce, son pouce se substituant au glaive pour pénétrer avec discrétion sa poitrine. Mais l’insistance sur le gant et l’emblème sur le béret suggèrent un second niveau de lecture, franchement grivois (voir Un pendant de Caravage, et autres histoires de gants).


Deux scènes chrétiennes

Dans ce type de tableau biface, les deux scènes fonctionnent comme une sorte de pendant dans lequel la méditation s’effectue tour à tour, et non côte à côte.

1494 signorelli, crucifixion urbino 1494 signorelli, crucifixion-and-the-descent-of-the-holy-spirit-or-the-pentecost-2101676

Crucifixion

Pentecôte

Gonfalon du Saint-Esprit, Luca Signorelli, vers 1494, Galerie nationale des Marches, Urbino

Cette bannière de procession peinte sur toile a été ensuite scindée en deux panneaux [8]. Les deux scènes s’opposent par leur ambiance (extérieur / intérieur), leur éclairage (latéral, central), leur construction (vue frontale / vue en perspective) et leur message (douleur, sérénité).


sb-line

1470-1500 Annonciation avec le duc d Albe Maitre Virgo_inter_Virgines Palacio de Liria 1470-1500 Adoration des Rois Mages Maitre Virgo_inter_Virgines Palacio de Liria

Annonciation avec le Duc d’Albe

Adoration des Mages

Maitre de la Virgo inter Virgines, 1470-1500, Palacio de Liria, Madrid

Le Duc d’Albe, rivalisant avec les Rois Mages, adore l’Enfant avant eux.


sb-line

1520-25 Cranach l'Ancien Enfant Jesus benissant recto Nationalgalerie Prag 1520-25 Cranach l'Ancien Homme de douleurs verso Nationalgalerie Prag

Enfant Jésus bénissant

Homme de douleurs

Cranach l’Ancien, 1520-25, Nationalgalerie, Prague

Les deux faces opposent l’Enfant triomphant et l’Homme souffrant. Selon la vieille habitude des médailles, la vue de loin est  une allégorie et la vue de près un portrait réaliste.


sb-line

Cas uniques

1460 Workshop of Rogier van der Weyden National Gallery 1460 Workshop of Rogier van der Weyden National Gallery reverse

Portrait de dame

Sainte Face

Atelier de Rogier van der Weyden, vers 1460, National Gallery

On ne connait pas d’autre exemple d’une telle association. L’état très dégradé du revers suggère que le panneau aurait pu être volet mobile d’un diptyque marital ( [9], p 66) : ouvrir le diptyque aurait fait apparaître les visages du couple, sous le patronage du visage divin.


sb-line

Maitre de Francfort ecole 1500-25 Homme a l'oeillet emplacement inconnu Maitre de Francfort ecole 1500-25 Lamentation emplacement inconnu

Homme à l’oeillet

Lamentation

Maitre de Francfort (école), 1500-25, localisation inconnue

Autre combinaison unique d’un portrait et d’une scène religieuse. Le gentilhomme tient son gant de la main gauche, et un oeillet de sa main droite gantée. Il existe quelque cas rarissimes de doubles portraits de fiançailles où l’homme se place à droite, pour bien souligner la différence avec un couple marié (voir Couples germaniques atypiques). Mais la présence d’une Lamentation au revers (avec la Résurrection à l’arrière-plan) est tout à fait exceptionnelle : faut-il comprendre que la panneau n’avait pas de pendant féminin, et que le jeune prétendant exprimait, par ce revers, à la fois sa souffrance et son espérance ?



Article suivant : 4.1 Revers armoriés : portraits isolés

Références :
[1] H. Verougstraete « Frames and Supports in 15th and 16th Southern Netherlandish Painting » . https://www.kikirpa.be/en/publications/frames-and-supports
[3] Dominique Vanwijnsberghe, « L’identification du portrait ‘Froidmont’ de Rogier Van der Weyden, Perspectives nouvelles sur les liens du peintre avec le milieu hainuyer », Revue de l’art vol. 139 (2003) p. 21-36 https://orfeo.belnet.be/handle/internal/10582https://orfeo.belnet.be/handle/internal/10582
[5] Dirk De Vos, « Hans Memling : l’oeuvre complet », 1994, p 262
[6] L’hypothèse du diptyque, proposée par H. Verougstraete ([1], p 174), se trouve ainsi confirmée.
[7] Angelica Dülberg, « Privatporträts : Geschichte und Ikonologie einer Gattung im 15. und 16. Jahrhundert », 1990
[9] Alison Manges Nogueira, « Hidden Faces: Covered Portraits of the Renaissance » 2024

4.1 Revers armoriés : à la manière d’un sceau

10 juin 2025

Les revers armoriés étant très nombreux, j’ai sélectionné les exemples les plus significatifs et je les ai répartis en trois catégories.

Ce premier article est consacré aux revers qui fonctionnent, à la manière d’un sceau, en tant que marque de propriété ou d‘élément d’authentification.

Article précédent : 3 Revers religieux

Marque de propriété

Simone MARTINI Portement de croix 1335 Louvre Simone MARTINI Portement de croix 1335 revers armoiries

Portement de croix
Simone Martini, 1335, Louvre

Les armoires sont celles des Orsini. Comme le commanditaire probable, le cardinal Napoleone Orsini, a quitté Rome pour la cour pontificale d’Avignon en 1336, on en déduit la date du polyptyque, l’année d’avant.



Reconstitution P.Bousquet

Aujourd’hui dispersés et pour deux d’entre eux sciés dans la largeur, les quatre panneaux s’ouvraient en portefeuille [0], les armoiries formant couvercle.


sb-line

La-Grande-Pieta-ronde-Johan-Maelwael-c1400 Louvre

La Grande Piéta ronde
Johan Maelwael, vers 1400, Louvre

La Piéta porte a son revers les armes de son commanditaire, Philippe le Hardi Duc de Bourgogne. Comme le revers n’était pas destiné à être vu, on n’en tient pas compte pour l’accrochage, ce qui laisse le blason incliné de 30 degrés, mais a l’avantage de rendre horizontal le vol de la colombe et verticaux les éléments soumis à la pesanteur : le filet de sang et le pendentif de Marie.


L’accrochage rectifié (SCOOP !)

La-Grande-Pieta-ronde-Johan-Maelwael-c1400 Louvre revers completSchéma P.Bousquet

Si l’on rectifie l’accrochage en tenant compte du revers, la composition perd en réalisme, mais gagne en intensité théologique :

  • les personnages célestes, Dieu et ses anges, occupent la moitié gauche ;
  • les personnages terrestres, Marie et Saint Jean, occupent le quart inférieur droit ;
  • la tête du Christ occupe le quart supérieur droit, avec de part et d’autre celui qui tient le cadavre et ceux qui le reçoivent : la pesanteur matérialise, visuellement, le Don du Fils à l’Humanité ;
  • dans le cercle central voisinent, sans se toucher, les mains du Père céleste, qui laisse glisser son fardeau, et la main de la Mère terrestre, qui l’accepte.


sb-line

Simon Marmion Lamentation MET Simon-Marmion-revers-armes-de-Margaret-of-York-et-initiales-de-Charles-the-Bold-and-Margaret-of-York

Déploration
Simon Marmion, vers 1473, MET, New York

Ce panneau porte au revers les armoiries de Marguerite d’York, partition entre les armes de sa famille (à droite) et celle de son mari Charles le Téméraire (à gauche), épousé en 1468. Aux quatre coins on retouve les initiales C et M attachées par des noeuds d’amour.


Un couple floral (SCOOP !)

On remarque sur les rochers latéraux des Coquelicots (coquerico en vieux français, par référence à la crête du coq) et des Marguerites, allusion élégante aux commanditaires . On notera que le coquelicot est représenté, de droite à gauche, en bouton qui s’ouvre, en fleur flétrie et en fruit : c’est donc l’identification précise de la plante qui compte plutôt que sa couleur, qui ne la rattache que très vaguement à la symbolique de la Passion ( [1], p 59)

sb-line

Diptyque Matheron Nicolas Froment vers 1475 LouvreDiptyque Matheron, Nicolas Froment (atelier), vers 1475, Louvre, Paris

Le Duc René d’Anjou fait face à sa seconde épouse Jeanne de Laval. A noter la médaille de Saint Michel et la patenôtre à gros cylindres qui se prolonge sur le cadre, dans un effet de réalisme (pour un autre exemple d’un tel trompe-l’oeil, voir 3.2 Trucs et suprises) :


Diptyque Matheron Nicolas Froment vers 1475 Louvre DITAT.SERVATA.FIDES
Le diptyque a été offert en cadeau à Jean Matheron de Salignac, dont figurent sur les deux revers la devise :

Une foi intacte l’enrichit.

DITAT SERVATA FIDES 

et l’emblème qui illustre cette devise : une couronne (la richesse) autour d’une tige de lys (la foi intacte).



Elément d’authentification

Lorsque les armoiries se situent au revers d’un portrait isolé, elle fournit une sorte une sorte d’identité abstraite de l’individu, son lignage. Parfois elle s’accompagne du nom et de l’âge, souvent  dans une inscription confirmant la ressemblance.

Rogier_van_der_Weyden_Portrait de Francois d'Este 1460 MET Rogier_van_der_Weyden_Portrait de Francois d'Este revers

Portrait de François d’Este
Rogier van der Weyden, vers 1460, MET, New York

Le verso arbore les armoiries de la famille d’Este. Le « m » et le »e » entrelacés signifient « marchio estensis », Marquis d’Este. L’inscription énigmatique rajoutée en haut à gauche, « non plus / courcelles »,  fait probablement référence au village de Bourgogne où il est mort. [2].

L’inscription en lettres d’or, « v[ot]re tout…francisque » (tout à vous, François), est la dédicace au destinataire inconnu du portrait : peut-être la dame à qui était destinée l’anneau (la signification du marteau est obscure).

Ce premier exemple montre le statut bien particulier du revers armorié : il sert moins à identifier le modèle (pour cela un petit blason côté face suffirait) qu’à le glorifier dans son lignage : en cela il est toujours un portrait moral qui complète le portrait physique, mais qui le situe dans un paysage social. Il reste cependant d’un usage privé, puisqu’on peut y faire ajouter un message personnel.


sb-line

Memling Portrait du grand batard de Bourgogne Musee Conde Chantilly Memling Portrait du grand batard de Bourgogne Musee Conde Chantilly revers

Portrait d’Antoine, grand batard de Bourgogne
Copie d’époque d’après Memling, 1467–70, Musée Condé, Chantilly

La cordelière qui enlace les lettres « N » « I » « E » est un emblème d’Antoine de Bourgogne, fils de Philippe le Bon, qu’on retrouve dans plusieurs oeuvres et dont on ignore la signification [3]

Au milieu se trouve une barbacane, élément de fortification d’où l’on pouvait jeter des matériaux enflammés (ici des bûches) sur les assaillants : d’où la devise « NUL NE SI FROTTE ».


sb-line

Heinrich zum Jungen 1477 Historisches Museum Frankfurt B405 K92Portrait de Heinrich zum Jungen
Maître du Rhin moyen, 1477, Historisches Museum, Frankfurt

Les deux panneaux, aujourd’hui séparés, étaient probablement présentés recto verso.

Quand j’avais 34 ans,

voilà de quoi j’avais l’air.

DO ICH WAR XXXIIII JOR ALT 

DO WAS ICH ALSO GESTALT


sb-line

Master of the Portraits of Princes Bossaert-Jan_1480 coll priv Master of the Portraits of Princes Bossaert-Jan_1480_coat-of-arms

Portrait de Jan Bossaert
Maître des Portraits de princes, 1480, collection privée (ex-N. Mus., Poznan) [4]

L’inscription certifie la ressemblance :

Quoi de plus mien 

Wat is mijns meer

Au verso, le blason des Bossaert est suspendu à une vigne attachée à un tuteur, symbole d’une lignée fructueuse. Sans doute s’agit-il d’un portrait de présentation en vue d’un mariage.

sb-line

hans burgkmair sebastian brant 1508 Kunsthalle Hambourg hans burgkmair sebastian brant 1508 Kunsthalle Hambourg reverse

Portrait de Sebastian Brant
Hans Burgkmair, 1508, Kunsthalle, Hambourg

Au dos du portrait de l’humaniste, ses armoiries ont été redécouvertes en 1949 sous un repeint : une roue de moulin noire sur un oreiller rouge carré posé sur un sol argenté.


sebastian brant Varia Carmina 1498Varia Carmina, Sebastian Brant, 1498

On les voit plus nettement sur cette gravure (les ancêtres de Brant auraient possédé un moulin à Spire).

Les armoiries du verso, tout comme la broche en forme de perle dorée au recto (insigne de juriste) sont des marqueurs d’ascension sociale.

sb-line

Les portraits armoriés de Hans Maler

Hans Maler 1520-25Portrait of a Lady from the Klammer von Weydach Family Boijmans van Beuningen Hans Maler 1520-25 Coat of Arms of the Klammer von Weydach Family Boijmans van Beuningen

Portrait de Anna Klammer von Weydach
Hans Maler, 1524-25, Musée Boijmans van Beuningen, Rotterdam

Les armoiries des Klammer (une agrafe) sont peintes en trompe-l’oeil au revers.

Hans Maler Anton Fugger 1525 Allentown art museum Hans Maler Anton Fugger 1525 Allentown art museum reverse B484 K78

Portrait d’Anton Fugger
Hans Maler, 1525, Allentown Art Museum.

A 31 ans et dix mois,

voici de quoi j’avais l’air.

ALS ICH WAS XXXI IARE X MONAT ALT

DO WAS ICH ALSO GESTALT

Au milieu du XVème siècle, la famille des riches commerçants Fugger se sépara en deux branches : les Fugger « au chevreuil » (qui firent faillite) et les Fugger « au lys » (qui prospérèrent), du nom des armoiries obtenues pour des services rendus aux princes. [5]

Anton, de la branche Lys, commanda à Hans Maler une série de portraits, destinés à orner ses différents châteaux, dont on a conservé une demi-douzaine.


Hans Maler Anton Fugger 1524 Schloss Decín-TetschenPortrait d’Anton Fugger
Hans Maler, 1524, Schloss Decín/Tetschen

Cet autre portrait a pu former un diptyque avec un portrait aujourd’hui perdu de Ulrich Fugger, l’autre descendant de la famille ( [6], p 92) . Au verso est inscrit :
ANNO DOMINI M·D·XXIIII PRIMA IVLY / ANTONIVS FVGGER / ÆTATIS SVE ANNORVM XXXI DIERVM XXI·“,
et
HANS MALER VON VLM·MALER ZVO SCHWATZ

C’est le seul portait de Maler à la fois daté et signé.

Hans Maler Mathaus Schwartz 1526 Louvre Hans Maler Mathaus Schwartz 1526 Louvre B486 K79

Portrait de Mathäus Schwartz
Hans Maler, 1526, Louvre, Paris

Le portrait est daté du jour du 29ème anniversaire de Mathäus Schwartz :

ADI·20·FEBRVARI· ANNO·1526· / HET·ICH·MATHEVS·SWARTZ· / DIS GSTALT·ZV ·SWATZ· / DA·ICH·WAS·KRAD·29· / IAR·ALT


Hans Maler Mathaus Schwartz 1526 Louvre detail Hans Maler Mathaus Schwartz 1526 Louvre B486 K79 detail

La broche porte les armoiries de Schwarz, un employé de Jacob Fugger, lequel était mort deux mois avant : d’où la tristesse de Mathäus qui joue du luth pour se consoler, et le sablier pendu sous la broche en guise de memento mori (pour un autre portait plus surprenant de Mathäus quatre mois plus tard, voir Comme une sculpture (le paragone)).

Le monogramme du recto, composé de majuscules superposées, n’a pas été déchiffré. L’abréviation M.S.A.V signifie Mathäus Schwartz Augusta Vindelicum (Augsburg).


sb-line

Hans Wertinger Hans Fieger von Melans 1526 Tyroler Landes Museum Innsbruck
Portrait de Hans Fieger von Melans
Hans Wertinger, 1526, Tyroler Landes Museum, Innsbruck

Récemment anobli (en 1511), le seigneur regarde fièrement son blason, porté par une femme noble : un trèfle sur des plumes noires et un chamois noir.



Hans Wertinger Hans Fieger von Melans 1526 Tyroler Landes Museum Innsbruck B609 K131b
Au revers du panneau armorié, il s’est fait représenter en grand équipage, la lance à la main avançant de droite à gauche : de sorte qu’en ouvrant le diptyque, le guerrier laisse place au seigneur en majesté, déganté mais gardant la dextre sur le pommeau de son épée.


sb-line

Conrad Faber 1533 Hans von Schonitz Sigmaringen Conrad Faber 1533 Hans von Schonitz Sigmaringen reverse

Portrait de Hans von Schonitz
Conrad Faber, 1533, Sigmaringen

Angelica Dülberg suppose que le format exceptionnellement grand et le « magnifique tableau héraldique » au verso sont liés à l’élévation de Hans von Schenitz à la noblesse en 1532.

Au verso on lit d’abord la maxime suivante :

Trop de soumission et trop de confiance rendent faible et font grand tumulte.

ZU FROM WILFAERIG UND ZU FIL VERTRAWE SCHWECHT KRENCKT U BRINGT GROS RAWEN

Au dessus du lion levant ses pattes en signe de victoire, la banderole porte : « Le dernier, le préféré » (Das letzt das liebeste).



Article suivant : 4.2 Revers armoriés : diptyques conjugaux 

Références :
[1] Alison Manges Nogueira « Hidden Faces: Covered Portraits of the Renaissance » 2024
[3] Guy De Tervarent, « Attributs et symboles dans l’art profane : Dictionnaire d’un langage perdu », Articles Barbacane et Corde.
[6] Stefan Krause, « Die Porträts des Malers Hans Maler – Bestandskatalog », https://www.academia.edu/30535651/Die_Portr%C3%A4ts_des_Malers_Hans_Maler_-_Bestandskatalog

4.2 Revers armoriés : diptyques conjugaux

10 juin 2025

Cet article est consacré aux diptyques conjugaux à revers armoriés, qui ne concernent que les pays du Nord (Allemagne, Hollande). Ils présentent deux configurations :

  • soit les revers portent les armoiries de chacun ;
  • soit le revers d’un des panneaux (le masculin le plus souvent) porte les armoiries d’alliance du couple.

Les panneaux liés l’un à l’autre par une charnière ont souvent été séparés ultérieurement : la présence des armoiries, au revers du panneau mobile, est un argument fort en faveur d’un diptyque, et non de deux portraits en pendant.

Article précédent : 4.1 Revers armoriés : portraits isolés

beurer-1487-retrato-thyssen. BEURER_Wofgang Thyssens Bornemisza Personaje con escudo (rev)

Portrait de Johann von Rückingen
Wofgang Beurer, 1487, Musée Thyssen Bornemisza, Madrid

L’homme, avec sa chevalière frappée du R familial, présente entre ses doigts un pendentif en forme de croix, probablement un cadeau pour son épouse : la scène courtoise dans le jardin suggère un diptyque conjugal, réalisé à une occasion bien précise : on lit en bas du cadre la date du 24 avril 1487, année où Johann von Rückingen partit en pèlerinage à Jérusalem, pour rentrer à Francfort en 1488. Les côtés du cadre portent les emblèmes des deux ordres de chevalerie auquel il adhéra durant son voyage : l‘Ordre du Saint Sépulcre à gauche, l’Ordre chypriote de l’Epée à droite (avec la devise POUR LOIALITE MAINTENIR) ([1], p 77).

Le revers est assez confus : un homme sauvage (portant le casque) piétine un jeune homme dont on ne voit que les chausses rouges, étendu sur un talus herbeux.


Un message privé (SCOOP !)

On sait que Johann von Rückingen avait épousé Agathe Monis en 1477 (date inconnue) : le diptyque conjugal aurait donc pu être réalisé à la double occasion de leur dixième anniversaire de mariage et du départ du mari pour Jérusalem.



beurer-1487 retrato-thyssen detail
S’il est attesté que Johann von Rückingen a bien été chevalier de l’Ordre du Saint Sépulcre, le second emblème – une épée surmontée d’un oeillet – revêt, par son emplacement à côté du jardin d’amour, une signification plus intime : si Johann a offert à Agathe ce bijou en forme de croix, c’est « pour loyauté maintenir » : à la fois pour la remercier de ces dix années de mariage, mais aussi pour s’assurer de sa fidélité durant le voyage. De ce fait, le revers, avec le galant piétiné par l’homme sauvage, sonne comme un avertissement.

Les diptyques conjugaux de Dürer

1490_Duerer_Bildnis_von_Barbara_Duerer_geb._Holper_anagoria 1490 Dürer_-_Ritratto_del_padre_-Uffizi

Portrait de Barbara Dürer, née Holper, Germanisches Nationalmuseum, Nuremberg

Portait d’Albrecht Dürer l’Aîné, Offices, Florence

960px-Albrecht_Duerer_-_Cliff_Landscape_with_Dragon Durer Blason 1490, Musee des Offices

Paysage avec des rochers, des éclairs et un dragon

Armes d’alliance Dürer/Holper

Revers des deux panneaux
Dürer, vers 1490

 

Sur ce diptyque où l’ordre marital est inversé, voir Couples germaniques atypiques .

Sur la porte dans les armoiries de Dürer, voir 6.2 Devinettes acrobatiques .


Durer 1499 hans tucher Schlossmuseum Weimar Durer 1499 felicitas Rieter

Portraits de Hans Tucher et Felicitas Rieter
Dürer, 1499, Schlossmuseum Weimar

Mariés en 1482, les époux Tucher ont attendu 17 ans avant de se faire portraiturer par Dürer dans ce tableau de couple réalisé selon toutes les conventions d’un tableau de mariage : Hans (43 ans) tient entre ses doigts une bague et Felicitas (33 ans) un oeillet, en réponse à l’anneau. En outre elle porte un collier dont le fermoir est aux initiales de son mari, auquel elle donnera quatorze enfants ( [7], p 99). L’inscription en haut est postérieure (FELITZ. HANS. TUCHERIN, 33 JOR. ALT. SALUS).



Durer 1499 armoiries combinees des familles Tucher et Rieter Schlossmuseum Weimar
Au revers du portrait masculin, Dürer a repris la même formule que pour ses propres parents : un emblème avec tête de maure et casque, combinant les blasons des deux familles : celle des Tucher à gauche (un maure) et celle des Rieter à droite (une sirène).


Dürer 1499 Elsbeth Pusch Gemaldegalerie Alte Meister Kassel

Portraits de Nikolaus Tucher et Elsbeth Pusch, 1499, Gemäldegalerie Alte Meister, Kassel

En même temps que son frère Hans, Nikolaus Tucher, qui s’était quant à lui marié en 1492, commanda à Dürer un second diptyque dont il ne reste aujourd’hui que le portrait d’Elsbeth (26 ans). Dans ce diptyque jumeau, c’est la femme qui tient l’anneau, et elle porte comme sa belle-soeur un fermoir aux initiales de son mari ; le couple restera sans descendance.

La signification de l’inscription sur le serre-tête n’est pas connue (MHIMNSK), non plus que celle du WW dans l’échancrure de sa blouse : c’est le maître de Dürer, Wolgemuth, qui avait introduit ce genre d’énigmes dans ces portraits (initiales d’une devise ou autre).


Durer_1499 Oswolt_Krel Alte Pinakothek Munich triptych

Portrait de Oswald Krel
Dürer, 1499, Alte Pinakothek Munich

Ici l’épouse Agate von Esendorf n’a pas été portraiturée, mais est présente discrètement par son blason sur le volet droit (donc toujours dans l’ordre héraldique).

Les deux hommes sauvages qui portent les écus figurent également dans le blason des Krel, sur le volet gauche : de sorte que tout le triptyque apparaît saturé par la forte personnalité du cet homme :

« Le paysage apparaît à gauche en une bande où s’inscrivent de longs arbres au dessus d’une rivière et de buissons touffus.au dessus d’une rivière et de buissons touffus. Cette verdure complète la rougeur de l’étoffe comme un élément de sauvagerie vitale à laquelle s’accordent l’abondante chevelure et le col de vison. Les deux hommes velus qui soutiennent les armoiries répondent à la même symbolique d’une force vitale innée. En effet, ces êtres fabuleux de la tradition médiévale représentaient l’homme d’avant la faute, à la fois naturel, fort et innocent. Oswald, dont l’étymologie signifie «forêt de l’Est », semble sortir des bois que Dürer a peints derrière lui, semblable à ces hommes sauvages et naturels. Quant au nom Krell , il évoque en allemand, par son sens, la griffe , représentée par la main qui agrippe le manteau, et, par sa sonorité, l’éclat des couleurs. » [8]


Autres diptyques conjugaux

Lucas Cranach l ancien 1514 Portrait d'un homme imberbe en manteau et toque de fourrure Kunshalle Bremen Lucas Cranach l ancien 1514 Kunshalle Bremen revers

Portrait d’un homme imberbe en manteau et toque de fourrure
Lucas Cranach l’Ancien, 1514, Kunshalle, Bremen

Le revers portant des armes d’alliance (non identifiées), il est probable que ce portrait faisait partie d’un diptyque conjugal.


sb-line

Hans_Holbein_the_Younger Jakob_Meyer,_1516 Kunstmuseum Basel Hans_Holbein_the_Younger-Dorothea_Meyer_1516-Kunstmuseum-Basel.

Portraits de Jakob Meyer zum Hasen et de son épouse Dorothea Kannengiesser
Hans Holbein , 1516, Kunstmuseum, Basel

La continuité de l’architecture montre que les deux panneaux étaient bien assujettis l’un à l’autre. L’occasion de ce diptyque n’est pas le second mariage de Jakob Meyer (antérieur à 1511) mais son élection comme maire de Bâle en juin 1516 [9]. Holbein ajoute du dynamisme au traditionnel diptyque conjugal par de discrètes ruptures de symétrie :

  • on voit les mains de l’homme tandis que celles de la femme sont cachées ;
  • l’homme est devant la colonne et la femme derrière ;
  • l’architecture de l’arrière-plan n’est pas en vue frontale, mais latérale ;
  • l’index de l’homme désignant la femme et le point de fuite situé en hors champ entraînent le regard dans un glissement vers la droite.

Hans_Holbein_the_Younger Jakob_Meyer,_1516 Kunstmuseum Basel detail
Il tient dans sa main une pièce de monnaie, référence à sa profession de changeur.


Hans_Holbein_the_Younger Jakob_Meyer,_1516 Kunstmuseum Basel verso
Le revers du portrait masculin, avec les armoiries du seul Jacob Meyer, n’a été peint qu’en 1520, ce qui suggère un changement de fonction du diptyque (peut être le passage d’un lieu privé à un lieu public, dans lequel il était présenté fermé).


sb-line

B427 K105 B428 K105

Portrait de Katharina Bärsch, 1517, propriétaire inconnu

Le panneau masculin est perdu. Le revers du panneau féminin, avec ses instruments piquants (ciseaux, dé et rainette pour le travail du cuir ?), est savoureux par l’inscription assortie ( [10], p 206) :

Les chardons blessent beaucoup, les mauvaises langues encore plus ;

mieux vaut se baigner dans les chardons que d’être accablé par les mauvaises langues.

Tistel breche ser vill (fal)sche zunge noch vil mer.

vil liebr in tistel baden dan mit falsche(n) zunge(n) sein beladen



sb-line

HANS SCHWAB VON WERTINGER Duc Guillaume IV de Baviere 1526 Brukenthal National Museum, Sibiu, Romania HANS SCHWAB VON WERTINGER Duchesse Jacobee de Bade 1526 Brukenthal National Museum, Sibiu, Romania

Le Duc Charles IV de Bavière

La duchesse Jacobée de Bade

Hans Schwab von Wertinger, 1526, Brukenthal National Museum, Sibiu, Roumanie

HANS SCHWAB VON WERTINGER Duc Guillaume IV de Baviere 1526 Brukenthal National Museum, Sibiu, Romania reverse masculin
Revers du portrait masculin

Comme toujours, les armes d’alliance respectent l’ordre héraldique : celle de la Bavière à gauche et celles de Bade à droite.


HANS SCHWAB VON WERTINGER Duc Charles IV de Baviere 1526 Brukenthal National Museum, Sibiu, Romania reverse masculin detail
Au milieu des armes et des dorures, les textes sont simples et sentimentaux

A gauche :

Je l’ai dans le coeur , Wilhelm

ICH HABS IM HERCZ W.H.I (Wilhem Herzog In) BAIRN


A droite :

<Mon coeur> (dessiné) est tout entier le tien, Jacobée

<mein Herz> IST GANCZ DEIN AIGEN IACOBA H I (Herzogin In) BAIRN

Selon qu’on comprend le prénom comme une signature ou une apostrophe, on verra dans les banderoles soit la pensée intime de chaque époux, soit le mot d’amour adressé à l’autre, entremêlé dans son cimier.



sb-line

Bernhard-Strigel-Margarethe-Vohlin-Wife-of-Hans-Roth-1527-NGA- Bernhard Strigel Portrait de Hans ROTH 1527 NGA

Portrait de Margarethe Vöhlin et de son époux Hans Roth
Bernhard Strigel, 1527, NGA, Washington

« … la symbolique du paysage est ici courtoise. Le diptyque met à l’honneur l’épouse, fille du puissant Konrad Vöhlin, patricien de Memmingen, puisqu’elle est à dextre, et devant une étoffe rouge, tandis que l’époux, à senestre, se contente d’un lé vert. Derrière Margarethe, on voit un château fort au bord d’une rivière, devant lequel s’avance un chien de chasse. Celui-ci précède un cavalier accompagné d’autres chiens, sur le panneau de Hans. Le chasseur porte un faucon à son poing, symbole courtois qui assimile cet oiseau à la femme aimée. Les modèles tournent le dos à ce paysage qui manifeste leur état d’âme. Margarethe, presque de face, regarde au loin, tandis que Hans l’observe, un fruit à la main. Ce fruit s’inscrit aussi dans la rhétorique courtoise : fruit d’or, symbole de fécondité, rapporté par le chevalier à sa dame. Il évoque aussi la tentation du péché originel, traditionnellement reproché à la femme, mais courtoisement assumé ici par le mari. » [8]

« Même élégance du noir et du linge fin, discrétion des bijoux, audace du même chapeau masculin. Ils posent dans le narcissisme de leur gémellité, chacun content de soi et satisfait d’avoir l’autre pour pendant et miroir. Ils réalisent ainsi l’idéal du couple bien assorti. »([7], p 79).


La continuité du paysage montre que les panneaux  étaient bien montés en diptyque. Le cavalier avec son faucon et ses chiens, qui passe d’un tableau à l’autre, est une image en réduction de l’époux portant son orange. Mais le panneau masculin contient un autre effet de miniaturisation :

Bernhard Strigel Portrait de Hans ROTH 1527 NGA detail bague
La chevalière, avec les initiales RH (à l’envers, pour que l’empreinte soit à l’endroit) et les armoiries des Roth, renvoie directement au revers. Strigel a néanmoins oublié d’inverser le blason.


Revers du portait masculin Revers du portait féminin

Les lettres PPP se réfèrent à la bonne fortune d’un Vöhlin, ancien charron devenu évêque de Mayence : lues dans les deux sens, elles constituent les initiales de la devise :

Le poivre (l’infortune) a engendré la richesse, la richesse a engendré la pauvreté [11]

Piper peperit pompam, pompa peperit pauperiem


Dans le diptyque vu de derrière, les casques sont tournés l’un vers l’autre , et la licorne des Roth se dirige vers les armories des Vöhlin, reproduisant au revers  le mouvement du cavalier  de l’avers. La direction des casques et des cimiers est conforme  à ce que l’on connaît par ailleurs :

Johann Siebmacher New Wappenbuch Volume 1 planche 209Roth, Johann Siebmacher New Wappenbuch Volume 1 planche 209 Vohlin, Paul Hektor Mair 1550 ca Geschlechterbuch der Stadt Augsburg, BSB Cod.icon. 312 b fol 67rVohlin, Paul Hektor Mair, vers 1550, Geschlechterbuch der Stadt Augsburg, BSB Cod.icon. 312 b fol 67r

Le respect scrupuleux de l’héraldique n’est probablement pas la cause première de l’inversion maritale ( voir Couples germaniques atypiques ) : car si le revers du diptyque avait été primordial,  on aurait donné toute la place aux armoiries.  Disons que cela tombait bien.



sb-line

Kremser maler, wolfgang kappler-1530 Historisches Museum Krems an dem Donau Kremser maler, magdalena kappler-1530 Historisches Museum Krems an dem Donau

Wolfgang Kappler, 1530

Magdalena Kappler, après 1544

Peintres de Krems, Historisches Museum, Krems an dem Donau

Wolfgang Kappler était le pharmacien et le médecin de Ferdinand I. Le portrait de sa femme Magdalena n’était pas prévu au début, mais a été peint plus tard par un autre peintre,  ce qui explique l’inversion héraldique.


Kremser maler, magdalena kappler-1530 Historisches Museum Krems an dem Donau reverse
Seul le revers du portrait féminin est peint, avec un très original arbre généalogique en forme de cep de vigne et portant, au dessus des armoiries du couple, à gauche leurs quatre garçons : Jérémie (nascibatur 1528), David (nasteratur 1530), Wolf-Heinrich (nasciebat 1539), Wolf-Cristoff (natus 1544) et à droite leurs quatre filles : Sophia (nasciebatur 1526), Barbara (in lucem edita 1536), Betsabea (in lucem edita 1538), Susanne (nata 1540).

Il semble que les talents de lettriste du peintre n’étaient pas à la hauteur de ceux de latiniste du père de famille, car parmi ces savantes variations (naissait, est né, mise à la lumière) la seule forme correcte est NASCEBATUR, qui n’apparaît pas.

Le muguet en bas à gauche est le symbole de la médecine et de l’amour conjugal.


Arbre de Jessé Livre d'heures (ms. Wittert 28, f° 21v) France, XVe s

Arbre de Jessé
Livre d’heures (ms. Wittert 28, f° 21v) France, XVe s.

Au pied du tronc la figure du père endormi adapte au domaine privé l’iconographie de l’Arbre de Jessé (l’arbre de ancêtres de Jésus), mais ici dans le sens descendant. La banderole qu’il tient exprime sa foi et son optimisme dans le futur de sa famille, parfaitement équilibrée entre garçons et filles :

Le Très Haut en prendra soin

 Altissimus providebit eos

Le resserrement des figures vers le haut et le changement d’écriture après 1536 suggèrent que certains enfants auraient pu être rajoutés au fil de l’eau ( [10], p 245) : de ce fait le portait de la mère au recto et les enfants du bas datent peut être de 1536, et le haut de 1544.


Un détail émouvant (SCOOP !)

Kremser maler, magdalena kappler-1530 Historisches Museum Krems an dem Donau reverse detail Barbara
A noter que Barbara, la deuxième fille, est la seul enfant qui ne tient pas sa banderole, mais un petit crucifix. Sa robe noire et la croix rouge qui marque sa tête sont l’indication qu’elle était morte au moment où le tableau a été peint, ce que confirme le texte :  » OBIIT 1539 « 

On peut en déduire qu’à la date d’achèvement du tableau, les sept autres enfants étaient toujours vivants.



sb-line

Jacob_van_Utrecht-Bartholomeus_Rubens-Rubenshuis Anvers Jacob_van_Utrecht-Barbara_Arents Rubenshuis Anvers

Bartholomeus Rubens

Barbara Arents

Jacob van Utrecht, 1530, Rubenshuis, Anvers

Les grands-parents paternels de Rubens commandèrent leur portrait pour fêter leur mariage.

Le mari montre deux morceaux de gomme arabique, qui rappellent son métier d’apothicaire. L’épouse était issue de la noblesse. Elle tient deux violettes dans la main droite et un rosaire dans la main gauche, référence à sa chasteté et à sa piété.


Jacob_van_Utrecht B394 K18Revers du portrait féminin

Les armes d’alliance combinent les blasons affichés sur le recto de chaque cadre ; celui du mari à gauche, celle de l’épouse à droite. Elles sont présentées en trompe-l’oeil dans une niche richement ornée, suspendues par une lanière à un mascaron, au dessus duquel la date est inscrite. Les deux pilastres portent, dans un médaillon circulaire, les monogrammes des deux époux : double identification donc, par les armoiries et par la signature.



sb-line

Christoph Amberger1533 Wilhelm Merz Stadtische Kunstsammlungen Augsburg Christoph Amberger1533 Afra Rem Stadtische Kunstsammlungen Augsburg

Wilhelm Merz et Afra Rem
Christoph Amberger, 1533, Stadtische Kunstsammlungen, Augsburg

Le fourreur Wilhelm Merz d’Augsbourg porte un manteau en dos de martre, non pas en référence à sa profession, mais parce que son mariage en 1532 avec Afra Rem l’autorisait à porter ce vêtement, réservé aux nobles, patriciens et bourgeois depuis l’ordonnance impériale de 1530.



Christoph Amberger1533 Wilhelm Merz et Afra Rem Stadtische Kunstsammlungen Augsburg reverse masculin B560 K25Revers du panneau masculin

Ce diptyque  a pour intérêt d’avoir été réalisé à l’occasion d’un remariage. De ce fait, les armes d’alliance, au revers du panneau masculin, se compliquent ([10], p 184) :

  • l’écu du dessus, avec l’homme barbu (que l’on retrouve sur le cimier) et le taureau noir, est celui du nouveau mariage entre les Merz et les Rem ;
  • l’écu du dessous (avec des corbeaux) est celui de la première femme, Magdalena Kraft.

Au dessus du lion, un panonceau à l’antique porte la date de naissance du mari (1476) et la date de réalisation du diptyque (1533).

Au dessus de la lionne, on lit dans doute la date de naissance des deux épouses : 1487 et 1514.


sb-line

Barthel Bruyn l'Ancien, Portrait of Elisabeth Bellinghausen 1538-39 Mauritshuis Barthel Bruyn l'Ancien, Portrait of Elisabeth Bellinghausen 1538-39 Mauritshuis reverse

Portrait d’Elisabeth Bellinghausen
Barthel Bruyn l’Ancien, 1538-39, Mauritshuis, La Haye

Dans le diptyque de fiançailles de Jacobus Omphalius et Elisabeth Bellinghausen, seul a été conservé le panneau féminin. Elisabeth tient une branche de morelle douce-amère, qui était l’attribut des couples non mariés dans les portraits de Cologne. Ses tresses font également référence à la période des fiançailles, les femmes mariées portant leurs tresses sous leur bonnet.

Au revers, les armes de la famille Bellinghausen.



sb-line

Ambrosius Benson Cornelius de Scheppere vers 1540 Art Gallery of New South Wales Sidneyhomme Ambrosius Benson Elizabeth Donche vers 1540 Art Gallery of New South Wales Sidneyfemme
Ambrosius Benson Elizabeth Donche vers 1540 Art Gallery of New South Wales Sidney femme armoiries (2) Ambrosius-Benson-Cornelius-de-Scheppere-vers-1540-Art-Gallery-of-New-South-Wales-Sidney-homme-armoiries

Portraits de Cornelius Duplicius de Scheppere et de sa femme Elizabeth Donche
Ambrosius Benson, vers 1540, Art Gallery of New South Wales, Sidney

C’est grâce à leurs armoiries qu’on a pu identifier les deux époux.

Cornelius était un littérateur, diplomate et homme politique au service de Christian II de Danemark, puis de Charles V d’Espagne. Ses gants confirment sa qualité de gentilhomme.

Elizabeth avait eu quatre enfants d’un premier mari, Pieter Lauryn, mort en 1522. Elle épousa Cornelius vers sa trentaine, en 1528, donc une dizaine d’années avant la réalisation du diptyque (date estimée d’après les costumes). [12]



sb-line

1543 a_member_of_the_de_hondecoeter_family__obverse_NGA 1953.3.3.a 1543 Wife_of_a_Member_of_the_de_Hondecoeter_Family,_1543,_NGA

Membre de la famille de Hondecoutre et son épouse
Ambrosius Benson ou artiste anversois, 1543, NGA, Washington

Ce diptyque a probablement été réalisé à l’occasion de la naissance tardive du premier fils du couple.


1543 crested_coat_of_arms__reverse_NGA_1953.3.3.b
Revers du panneau masculin

La devise « tart suis venu » et l’étoile unique sur le blason (brisure héraldique permettant de personnaliser le blason) se réfèrent au fils tant attendu. Le monogramme au début de la banderole portant le nom a parfois été lu comme Niclaes, sans certitude.



sb-line

Dyptych of Adriaan van Santvoort and Anna Van Hertsbeeke Bernard de Rijckere, 1563 Dyptych of Adriaan van Santvoort and Anna Van Hertsbeeke Bernard de Rijckere

Adriaan van Santvoort, Anna Van Hertsbeeke et leurs enfants Guillaume, Adriaan, Catharina et Jan Baptiste
Bernard de Rijckere, 1563, collection privée

Le plus jeune enfant, Jan Baptiste, est représenté du côté féminin par raison de symétrie, mais sa nudité atteste de son sexe.


Dyptych of Adriaan van Santvoort reverse
Revers du panneau féminin

Dans une niche volettent les armoiries des familles Santvoort et Hertsbeeke, suspendues côté masculin à un heaume ailé, côté féminin à une tête d’angelot
La devise « ALTYT VOORT », « Toujours en avant » se suffit à elle-même. Mais si on la lit en rébus, en lui intégrant l’image du sablier, on obtient ALTYT SANT-VOORT », « Toujours Santvoort ».

Ce diptyque est sans doute un des exemples les plus tardifs de diptyque conjugal : il sera d’ailleurs rapidement séparé en deux pendants, selon la mode du XVIIème. Alors sera définitivement oublié l’art bi-séculaire des revers armoriés.



Article suivant : 4.3 Revers armoriés : Diptyques et triptyques de dévotion

Références :
[1] Alison Manges Nogueira « Hidden Faces: Covered Portraits of the Renaissance » 2024
[7] Marianne Bournet-Bacot, « Le portrait de couple en Allemagne à la Renaissance : D’un genre au genre », 2015
[8] Marianne Bournet-Bacot, « LE PAYSAGE CHOISI DES PREMIERS PORTRAITS ALLEMANDS », Université de Picardie Jules Verne, http://www.academia.edu/33049902/LE_PAYSAGE_CHOISI_DES_PREMIERS_PORTRAITS_ALLEMANDS
[10] Angelica Dülberg, « Privatporträts : Geschichte und Ikonologie einer Gattung im 15. und 16. Jahrhundert », 1990
[11] Geschichtliche Beschreibung der protestantischen Haupt-Pfarrkirche zu St. Martin in Memmingen, Volume 1, Balthasar von Ehrhart, Druck von C. Fischach, 1846, p 39
https://books.google.fr/books?id=ectCAAAAcAAJ&pg=PA38&dq=V%C3%B6hlin+wappen+ppp&hl=fr&sa=X&ved=0ahUKEwiHxq_v_JbdAhWSyYUKHXnTBp4Q6AEIKDAA#v=onepage&q=V%C3%B6hlin%20wappen%20ppp&f=false

4.3 Revers armoriés : Diptyques et triptyques de dévotion

10 juin 2025

Certains diptyques ou triptyques ont pour fonction de mettre en scène le ou les donateurs face à l’objet de la dévotion. Parfois leurs armoiries s’ajoutent à cette présence, parfois elles s’y substituent.

Article précédent : 4.2 Revers armoriés : diptyques conjugaux

Diptyques de dévotion

Cette formule, qui apparaît simultanément en Allemagne et en Bourgogne, met en présence un dévot et l’objet de son adoration, en général la Madone, les deux vus à mi-corps. Les armoiries figurent au revers du panneau qui sert de couvercle, à savoir celui du dévot.

Un précurseur anglais

1395–99 Wilton_diptych;_left-hand_panel 1395–99 Wilton_diptych;_right-hand_panel

Diptyque Wilton, 1395–99, National Gallery, Londres

Le diptyque montre le roi d’Angleterre Richard II à genoux devant la Vierge et l’Enfant, présenté par son saint patron Jean-Baptiste, et accompagné par les saints royaux anglais Édouard le Confesseur et Edmond le Martyr.

Le roi arbore un collier d’or en forme de gousses de genêt (emblèmes des Plantagenêt) et un médaillon avec son emblème personnel : un cerf blanc portant en collier une couronne avec une chaîne dorée. Les mêmes emblèmes ont diffusé dans le volet droit, portés par les anges qui entourent la Vierge :

Sur la question de la « perméabilité » entre les deux panneaux, qui affirme visuellement le caractère sacré de la Royauté, voir 6-1 Le donateur-humain : les origines (avant 1450). Nous allons ici nous consacrer au revers des deux panneaux.



1395–99 Wilton Diptych, reverse, National Gallery, London
Autre preuve de ce caractère sacré de la royauté : c’est au revers même du panneau marial que s’affichent les armes de Richard II, composées d’un écu biparti :

  • à droite le blason des rois d’Angleterre (fleurs de lys et lions de Normandie) ;
  • à gauche les armes mythiques d’Édouard le Confesseur (croix et cinq oiseaux), choisies par Richard II en signe de dévotion particulière.

Le revers du panneau royal, quant à lui, reprend l’emblème du cerf blanc, couché dans la direction inverse de celle du roi agenouillé : cet effet de « traveling circulaire » suggère une réalité commune prise en sandwich entre les deux faces : superposées, l’image physique du Roi (côté face) et son image allégorique (côté pile) constituent une représentation complète et officielle, idée qui se développera trente ans plus tard dans les médailles de la Renaissance italienne (voir 1 Revers allégoriques).


sb-line

Le premier diptyque allemand

Pleydenwurff, Hans Homme de douleur Kunstmuseum Basel Pleydenwurff, Hans Graf von Lowenstein 1456 Germanisches Museum Nuremberg

Homme de douleur
Musée des Beaux Arts, Bâle

Le comte Georg von Lowenstein
Germanisches Museum, Nuremberg

Hans Pleydenwurff, 1456

La particularité des deux cadres, originaux, est qu’ils portent aux quatre coins les armoiries des grands-parents :

  • les grands-pères en haut : Löwenstein (paternel), Werdenberg (maternel)
  • les grands-mères en bas : Kirchberg (maternelle), Wertheim (paternelle).

Pleydenwurff, Hans Graf von Lowenstein 1456 genealogie

Etrangement, les couples se lisent donc selon les diagonales, formule croisée qui met à égalité les deux branches . Nous verrons plus loin un dispositif différent, où la lignée paternelle occupe la place d’honneur.


Pleydenwurff, Hans Homme de douleur Kunstmuseum Basel B404 K100
Au revers du portrait du donateur figurent les armoiries des Löwenstein (un lion couronné).


sb-line

Les premiers diptyques dévotionnels bourguignons

C’est Van der Weyden qui, vers la fin de sa carrière, va donner son essor à la formule, avec trois diptyques de dévotion armoriés dont la splendeur du revers en fait une oeuvre d’art à part entière.

sb-line
Le  Diptyque de Jean Gros (SCOOP !)

Van der Weyden 1455-60 Jean Gros Musee des BA de Tournai left Van der Weyden 1455-60 Jean Gros Art Institute Chicago right

Musée des Beaux Arts, Tournai

Art Institute Chicago

Diptyque de Jean Gros
Van der Weyden, 1455-60

Ce petit diptyque transportable (38cm X 28) possède deux revers peints, qui en restituent l’unité.


Van der Weyden 1455-60 Jean Gros Art Institute Chicago right reverse Van der Weyden 1455-60 Jean Gros Musee des BA de Tournai left reverse

Revers volet droit, revers volet gauche

Les deux revers portent la devise de Jean de Gros, « Graces à Dieu » et son emblème, la poulie double. Une corde unique serpente entre inscription et poulies.


Brugge_Sint-Jakobskerk chapelle funéraire de Ferry de gros mort en 1544Chapelle funéraire de Ferry de Gros, mort en 1544, Sint-Jakobskerk, Brugge

Corde unique et poulies se retrouvent encore un siècle plus tard, dans la décoration de la chapelle familiale à Bruges.



Van der Weyden 1455-60 Jean Gros schema palan
En fait, il ne s’agit pas à proprement parler de « poulies », mais d’un moufle. En associant deux de ces moufles comme dans le schéma ci-dessus (on relie d’abord les petites poulies, puis les grandes), on obtient un palan. La charge à soulever est attachée au moufle mobile, tandis que le moufle fixe est attaché au support.


Van der Weyden 1455-60 Jean Gros Art Institute Chicago right reverse Van der Weyden 1455-60 Jean Gros Musee des BA de Tournai left reverse

Ce principe du palan explique les différences subtiles entre les deux revers.

Le revers du donateur porte ses armoiries et ses initiales, J et G (on dit aussi que le G serait l’initiale de sa première femme, Guidonne de Messey). La corde passe par les deux grandes poulies ainsi que par l’anneau supérieur du moufle. A l’anneau inférieur est attaché par une lanière de cuir l’objet qu’il s’agit de soulever, l’écu de Jean de Gros : il s’agit donc du moufle mobile.

Sur le revers de la Vierge à l’Enfant, la corde passe par une grande et une petiite poulie, et s’attache à haut à un anneau : il s’agit donc du moufle fixe.

Mis côte à côte, les revers nous invitent imaginer une corde unique reliant les deux moufles, constituant ainsi un palan mystique dans lequel Jean de Gros se trouve être à la fois la charge à élever vers le ciel et le moyen de cette élévation.


sb-line

Le Diptyque de Philippe de Croÿ

Van de Weyden 1460 Philippe de Croy 1 Van de Weyden 1460 Philippe de Croy 2

Huntington Library, San Marino

Musée Royal des Beaux Arts, Anvers

Diptyque de Philippe de Croÿ
Van der Weyden, vers 1460

Ce diptyque de taille plus importante (50 cm X 33) ne comporte de revers que du côté du donateur (qui constituait donc le volet mobile). Le monogramme en haut à gauche du portrait n’a pas été déchiffré de manière convainquante.


Van de Weyden 1460 Philippe de Croy 3Revers du panneau du donateur

Au dessus des magnifiques armoiries on peut lire « IPPE DE CROY » et au dessous son titre de « (seign)EUR DE SEMPY ».


sb-line

Le Diptyque de Joos van der Burch

Atelier de Rogier van der Weyden vers 1480 Harvard Art Museum Atelier de Rogier van der Weyden vers 1480 Harvard Art Museum Joos van der Burch st Simon

Diptyque de Joos van der Burch
Atelier de Rogier van der Weyden, vers 1480, Harvard Art Museum

Ce diptyque plusieurs fois remanié a eu une histoire complexe [13] . La dendrochronologie a révélé que le panneau de gauche date d’une dizaine d’années avant celui de droite.



Atelier de Rogier van der Weyden vers 1480 Harvard Art Museum Joos van der Burch st Simon dtail blasons
Dans le vitrail de gauche, Moïse tient les armoiries des Van der Burch ; dans celui de droite, un homme barbu tient les armoiries composées des Van der Burch et des Van der Burch/Waterleet.


Atelier de Rogier van der Weyden vers 1480 Harvard Art Museum Joos van der Burch armoiriesEtat présent Atelier de Rogier van der Weyden vers 1480 Harvard Art Museum Joos van der Burch radiographieEtat antérieur

Revers du panneau du donateur

On y voit les initiales J et K de Joos van der Burch et de son épouse Katherina van der Mersch, dont la mère était une Waterleet. L’épitaphe indique que Joos, mort en 1496, rejoignit dans sa tombe Katherine, morte en 1476. Tout est donc cohérent avec un mémorial fixé près de la tombe du couple, seul le volet du donateur étant mobile.

Cependant la radiographie a révélé, sous l’épitaphe, un blason avec un grand cimier, composé différemment et entouré des initiales S et B. Ces armoiries sont celles du fils de Joos, Simon, ce qui explique la présence de son saint patron, l’Evêque Simon de Jérusalem. De même un visage différent se trouvait sous le visage actuel du donateur.

L’hypothèse la plus probable ( [14], p 1162) est qu’il s’agissait initialement d’un diptyque de dévotion privé, que Simon avait fait réaliser en ajoutant son propre portrait à une Madone préexistante ; après la mort de son père Joos en 1496, Simon décida de le faire transformer en un mémorial public en l’honneur de ses parents : ce qui supposait :

  • à l‘avers, de remplacer le visage du fils par celui du père, et de recouvrir la figure de Saint Simon,
  • au revers, de remplacer les armoiries du fils par celles du père, et de rajouter l’épitaphe.


sb-line

La généralisation de la formule

sb-line

Master_Of_The_Legend_Of_St._Ursula_Vierge a l'enfant_1470 ca harvard art museum Master_Of_The_Legend_Of_St._Ursula_-_Portrait_of_Ludovico_Portinari_1470 ca Philadelphia Museum of Art_

Vierge à l’Enfant, Harvard Art Museum

Ludovico Portinari, Philadelphia Museum of Art

Maître de la Légende de Sainte Ursule, Vers 1480 [15]

Ce diptyque de dévotion a ceci de particulier que les mondes sacré et profane ne sont pas hermétiquement séparés : la Vierge à l’Enfant, avec ses anges roses et bleus, se retrouve en miniature dans le volet de droite, comme invitée dans le jardin clos de Ludovico, tandis que Saint Joseph puise de l’eau dans la fontaine. La Vierge est astucieusement placée près d’une grande porte, emblème parlant des Portinari.

On pourrait y voir un simple caprice graphique : ajouter pour le même prix une représentation de la Sainte Famille. Cependant le revers est également très étrange :

Master_Of_The_Legend_Of_St._Ursula_-_Portrait_of_Ludovico_Portinari_1470 ca Philadelphia Museum of Art reverse Master_Of_The_Legend_Of_St._Ursula_Vierge a l'enfant_1470 ca harvard art museum reverse

Blason des Portinari (revers du portrait de Ludovico)

Monogramme IHS (revers de la Vierge à l’Enfant)

Il met en équivalence, sur le même fond rouge, le blason (la grande porte) et les initiales LP du donateur, et le blason (un cercle rayonnant) et le monogramme IHS de Jésus. De plus, la mécanique du diptyque fait que, dans le monde abstrait du revers, le profane se trouve à la droite du sacré, donc en position d’honneur et de protecteur.

Sous prétexte d’humble dévotion, le diptyque de Ludovico trahit une ostentation manifeste, qui ne se retrouve pas dans les diptyques privés des autres membres de la famille (voir 4 Le triptyque de Benedetto).


sb-line

Memling Portrait d'un membre de la famille Lespinette Mauritshuis La Haye Memling Portrait d'un membre de la famille Lespinette Mauritshuis La Haye revers

Portrait d’un membre de la famille Lespinette, Memling , 1485 – 1490, Mauritshuis, La Haye

Ce portrait était le volet droit d’un diptyque de dévotion, auquel devait correspondre un volet gauche aujourd’hui perdu, avec une Vierge.

Le spectateur moderne remarque surtout l’harmonie rouge et blanc entre les vêtements au recto et le magnifique blason au verso (qui a été repeint à l’identique).

L’érudit s’interroge sur les objets accrochés aux pattes du faucon : si ce sont des clochettes, alors les armoiries sont celles de la famille Lespinette ; si ce sont des grelots, alors il s’agit de la famille De Visen, également originaire de la Franche-Comté[16].


sb-line

Adriaen Isenbrant, Madonna and a member of the Hillenberger family 1513 lowe-art-museum
Portrait d’un membre de la famille Hillenberger
Adriaen Isenbrant, 1513, Lowe Art Museum, University of Miami

Je ressemblais à cela, à 32 ans le 6 février 1413

DO ICK HABDE DISSE GHESTALT / WAS ICK 32 IAER A. 1513 6.I. FEBRUARII

La Vierge à l’Enfant, y compris les vitraux de gauche, est une copie de la Vierge au Chanoine Van der Paele de Van Eyck (voir – Le symbolisme du perroquet). L’artiste a décentré l’arrière-plan de manière à ce que l’auréole apparaisse sur fond sombre, et ajouté côté droit, en pendant aux vitraux, d’autres symboles de pureté (serviette et lavabo). Le paysage montre côté Madone une tour, symbole marial, et côté donateur un port, image de la vie profane.


Adriaen Isenbrant, Portrait of a member of the Hillenberger family lowe-art-museum-1513-reverse
Revers du panneau du donateur

Les armoiries en trompe-l’oeil cumulent le blason de la famille wetsphalienne des Hillensberg (trois bandes noires verticales) et celui de la famille franconienne des Lindenfels (trois étoiles à huit branches).Le cimier reprend deux pointes noire et rouge, autour d’une étoile fichée sur une troisième pointe.


sb-line

Georg Lemberger Schmidburgepitaphs Kreuzigung Christi mit Stiftern Leipzig, Museum der bildenden Künste 1522 Georg Lemberger Schmidburgepitaphs Leipzig, Museum der bildenden Künste 1522 revers

Crucifixion avec donateurs

Revers armorié

Epitaphe des Schmidburg, Georg Lemberger, 1522, Museum der bildenden Künste, Leipzig

Le revers de la Crucifixion présente dans une sorte d‘arbre génalogique les armoiries de la famille Pistor (en bas au centre) et des ascendants Schmidburg, et Hartwig (à gauche), Proles et Seidel (à droite).



Georg Lemberger Schmidburgepitaphs Leipzig, Museum der bildenden Künste 1522 complet
Ce panneau biface était le couvercle d’un boîte renfermant un panneau réalisé en 1518 par Cranach, et montrant un agonisant surplombé par la Trinité. Le texte latin du couvercle fait l’éloge de Valentin Schmidburg, qui avait commandé le tableau de Cranach. Mais surtout de son petit-fils Simon Pistor, professeur titulaire à la faculté de droit de l’Université de Leipzig, qui a eu l’idée de cette très originale épitaphe ( [17], p 197). A noter que les deux intervenats principaux, Simon Pistor et son grand-père Valentin Schmidburg figurent en tant que donateurs en bas du panneau de la Crucifixion, et sont repris en tant que personnages dans la scène elle-même : l’un en guise de Saint Jean, l’autre en arrière de Longin ([17], p 212).

L’épitaphe était accrochée dans l’église de l’Université. Autant le texte du couvercle s’adresse aux visiteurs, autant les deux tableaux précieux étaient probablement réservés à la dévotion familiale. La dernière phrase de l’épitaphe, écrite en plus petit, a été rajoutée après la victoire de la Réforme à Leipzig, en 1539 :

Nous nous trompons dans nos désirs et dans le temps, et la mort se moque des soucis, une vie dans la crainte ne vaut rien.

DECIPIMUR VOTIS ET TEMPORE FALLIMUR ET MORS DERIDET CURAS, ANXIA VITA NIHIL

Elle entérine une influence protestante qui imprégnait déjà, discrètement, les tableaux à usage privé, verrouillés à l’intérieur de la boîte ([17], p 218).


Triptyques dévotionnels armoriés

Cette formule apparaît comme une extension au couple du principe du diptyque dévotionnel.

Hans_Memling mayor of Bruges Willem Moreel Barbara van Vlaendenbergh vers 1482 musees royaux des Beaux-Arts de BelgiqueWillem Moreel et Barbara van Vlaendenbergh (panneaux latéraux d’un triptyque)
Hans Memling, vers 1482, Musées royaux des Beaux-Arts de Belgique

Le maire de Bruges et sa femme sont représentés en prière, devant deux arcatures à angle droit : le panneau central a été perdu.


Hans_Memling mayor of Bruges Willem Moreel Barbara van Vlaendenbergh vers 1482 musees royaux des Beaux-Arts de Belgique reversRevers panneau masculin, revers panneau féminin


ARMA GUILLERMI MOREEL

ARMA DOMICELLE BARBARE DE VLAENDERBERCH ALIAS DE HERSTVELDE UXORIS GUILLERMI


Hans_Memling mayor of Bruges Willem Moreel Barbara van Vlaendenbergh vers 1482 schema
Compte-tenu que les deux revers, similaires, semblent destinés à être exposés côte à côte, le triptyque était probablement du type à panneau central large (et non à trois panneaux identiques). Les lignes de fuite n’étant pas exactement symétriques, l’effet maximum était obtenu en inclinant légèrement le panneau masculin (pour un autre exemple de ce dispositif chez Memling, voir 3.1 Le diptyque de Marteen).


Hans_Memling_-_Triptych_of_the_Family_Moreel_-_WGA14928Triptyque Moreel, 1484, Groeningue Museum, Bruges

C’est par leur ressemblance avec le couple de Bruxelles que Weale identifia les donateurs de ce grand triptyque : présentés par leurs saints patrons Saint Guillaume et Sainte Barbe, ils sont suivis respectivement par leurs cinq garçons et leurs onze filles (les Moreel en eurent au total treize). Dans le panneau central, on voit saint Maur à gauche (assonance avec le nom du mari) et Saint Gilles à droite (il avait protégé une biche, « hert » en néerlandais, assonance avec le nom de l’épouse).


sb-line

Mostaert Last judgment triptych 1510-1514 Rheinisches Landesmuseum Bonn_closed

Triptyque du Jugement dernier (fermé)
Mostaert, 1510-1514, Rheinisches Landesmuseum, Bonn

Les volets portent au revers les armes de Gijsbrecht van Duivenvoorde, seigneur de Den Bossche et de son épouse Anna van Noordwijk d’Obdam, épousée en 1503.

Inv. GK 168, Jan Mostaert, Triptychon mit JŸngstem GerichtTriptyque du Jugement dernier (ouvert)

Les volets montrent le couple et leurs enfants, tandis que le panneau central est dédié à la famille d’Anna : ses grands-parents, Daniël van Noordwijk († 1466) et Agniese van Raaphorst († après 1485) et ses parents, Jacob van Noordwijk († 1503 ou 1504) et Aleid Jan Foeyendr. († 1512) ( [18], Cat. 597)

Les deux saints latéraux, Marie et Jean Baptiste, ne sont pas des patrons : ils accompagnent le Christ-Juge du panneau central, de sorte que le trio de la Déésis assure, tout comme le paysage, la continuité entre les trois panneaux.


sb-line

 

Master_of_Alkmaar 1515-20 Van Soutelande (left outer wing). Rijksmuseum, inv. no. SK-B-1188-A Master_of_Alkmaar 1515-20 Van der Grafts alliance (right outer wing) Amsterdam, Rijksmuseum, inv. no. SK-A-1188 B

Armoiries des Van Soutelande (inv. no. SK-B-1188-A)

Armoiries d’Alliance entre les Van Soutelande et les Van der Grafts (inv. no. SK-B-1188-B)

Volets d’un triptyque démembré, Master of Alkmaar, 1515-20, Rijksmuseum

Master_of_Alkmaar_two_panels_Rijksmuseum
A l’avers, les armoiries sont répétées sur les prie-Dieu, derrière lesquels sont agenouillés Willem Jelysz van Soutelande (?-1515/16) de Haarlem et son épouse Kathrijn Willemsdr van der Graft (?-1490/91) . Les armoiries tenues par les anges dans le ciel sont celles d’un autre couple, Jacob de Wael van Rozenburg et son épouse Margriet (Marien) van Waveren.

Ce second couple, dont les patrons correspondent bien à Saint Jacques le Majeur et Sainte Marie-Madeleine, était probablement représenté dans le panneau central perdu : le triptyque aurait donc été mixé deux couples appartenant à deux familles différentes, dont les points communs sont que les époux étaient tous deux membres de la fraternité des Pèlerins de Jérusalem de Haarlem, et que les épouses portaient, par coïncidence, les mêmes armes [19].


sb-line

Jan Gossart Norfolk Triptych Chrysler Museum of Art Norfolk

Triptyque Norfolk, Panneau central, Chrysler Museum of Art, Norfolk

Jan Gossart Portraits of Two Donors (Norfolk Triptych), ca. 1528–30. Musees Royaux des Beaux-Arts de Belgique
Panneaux latéraux, Musées Royaux des Beaux-Arts, Bruxelles
Jan Gossart, 1525-32 


Jan Gossart Norfolk Triptych reconstitue
Triptyque reconstitué lors de l’exposition de 2010

L‘épouse, regardant l’Enfant Jésus, se trouve dans le même espace que la Vierge, comme le prouve le dossier en bois avec les deux boules dorées, à l’arrière plan.

Le mari quant à lui regarde le spectateur et se trouve dans une pièce séparée, dont la perspective ne se recolle pas avec la cloison qui figure à gauche de la Vierge : les deux pièces ne sont pas jointives, mais appartiennent à des espace-temps différents.

La disparité de l’architecture et des attitudes a été expliquée par Harrison : le donateur aurait commandé le triptyque en mémoire de sa jeune épouse décédée, représentée avec la Vierge au Royaume des cieux.



Jan Gossart Portraits of Two Donors (norfolk Triptych), ca. 1528–30. Musees Royaux des Beaux-Arts de Belgique.j
Cette fonction de mémorial est confirmée par le revers, où des étiquettes en « trompe-l’oeil » sur un fond marbré funéraire portent les deux moitiés du verset 3 du psaume 51 (le Miserere), qui semblent renouer un dialogue après la mort :

L’époux : Aie pitié de moi, ô Dieu, selon ta grande miséricorde

L’épouse : Et selon la multitude de tes miséricordes,  efface mes transgressions ».


A ce message de l’Ancien Testament correspond, au recto, le livre du mari, ouvert sur une page du Nouveau : probablement l’Epître de Saint Paul aux Romains, qui développe le même thème de la Pénitence et du Pardon [20].


sb-line

Ambrosius Benson Triptico de la Asuncion de la Virgen 1540-45 Iglesia de la Asuncion. NavarreteTriptyque de l’Ascension de la Vierge
Ambrosius Benson, 1540-45, Sacristie de la Iglesia de la Asuncion. Navarrete

Deux donateurs sont présentés respectivement par Saint Pierre et Saint Jean. Ils avaient acheté en Flandres ce triptyque pour en faire don à l’église de Navarette, dans la Rioja.


Ambrosius Benson Triptico de la Asuncion de la Virgen 1540-45 Iglesia de la Asuncion. Navarrete ferme
Le blason des donateurs, identique sur les deux volets (deux frères ?), n’a pas été identifié.


sb-line

Triptyques armoriés sans donateurs

Dans cette formule moins incarnée, le couple des donateurs n’est plus figuré physiquement, mais seulement par les armoiries du revers.

sb-line

Lucas Cranach the Elder Kleiner-Flugelaltar-1509 Gemaldegalerie Alte Meister Kassel

La Résurrection entre Sainte Barbe et sainte Marguerite
Lucas Cranach l’Aîné, 1509, Gemäldegalerie Alte Meister, Kassel

Ce petit retable portatif appartenait au Landgrave Wilhelm II de Hesse et à son épouse Anna de Mecklenburg.


Lucas Cranach the Elder Kleiner-Flugelaltar-1509 Gemaldegalerie Alte Meister Kasse revers

Fermé, il montre , dans l’ordre héraldique, les armoiries des deux époux : Hesse et Mecklenburg. C’est un cas remarquable d’un revers, à première vue sans mystère, comportant une information décisive.


Marburg, Rentkammer am Landgrafenschloß, Wappenstein von 1572
Château du Landgrave, Marburg, 1572 [21]

Une première anomalie est que les armoiries de l’époux dont inversées de gauche à droite. Il s’agit en fait d’un cas typique de « courtoisie héraldique » :

« Quand, dans les armes du mari figurait un lion ou un quadrupède (qui sont ordinairement dirigés vers dextre), ceux-ci tournaient alors le dos aux armes familiales de la dame ; par courtoisie il était alors fréquent de contourner ces lions ou quadrupèdes pour les faire regarder ou se diriger vers les armes de la dame – de fait c’est l’ensemble du blason qui était alors contourné. » [22]

Une inversion plus significative est celle des deux saintes : habituellement, Cranach place en position d’honneur la plus importante, Catherine [23]. Ici elle se retrouve à droite, côté épouse, tandis que Barbe se trouve côté mari.

On pense que la présence de ces saintes, protectrices des malades, est liée à la syphillis de Wilhelm II, dont il fut frappé en 1506 et succomba en 1509. Il est même possible que le triptyque ait été réalisé après sa mort, en commémoration de celle-ci. Trois arguments, dont deux inédits, militent dans ce sens :

  • le choix du sujet central, la Résurrection du Christ  (le troisième jour), porte un message d’Espérance par delà la mort ;
Lucas Cranach the Elder Kleiner-Flugelaltar-1509 Gemaldegalerie Alte Meister Kassel detail tombeau Lucas Cranach the Elder Kleiner-Flugelaltar-1509 Gemaldegalerie Alte Meister Kassel detail tour
  • le volet de l’époux se superpose au tombeau dont les sceaux sont encore intacts : manière élégante de suggérer que lui-aussi est déjà dans sa tombe, mais que cet enfermement n’a rien de plus définitif qu’un morceau de papier et de cire ;
  • Sainte Barbe partage avec le défunt le fait d’avoir été enfermée par son père dans une tour. Elle y fit percer une troisième fenêtre, pour représenter la Sainte Trinité, ce qui déclencha la colère de son père, un incendie et la libération de la Sainte : le fait que la tour ne porte ostensiblement que deux fenêtres signifie que Barbe (ie le défunt Wilhelm II) est encore enfermée à l’intérieur, attendant sa troisième fenêtre (ie son « troisième jour »).


sb-line

1510 Bellegambe Triptyque du bain mystique Lille 1510 Bellegambe Triptyque du bain mystique Lille revers

Jean Bellegambe, 1510, Triptyque du bain mystique, Lille [24]

Exécuté pour Charles Coguin, abbé d’Anchin de 1508 à 1546, ce triptyque est peint sur ses volets extérieurs de deux anges en grisaille portant,

  • l’un les armoiries de l’abbaye ;
  • l’autre les armoiries de l’abbé et sa devise : Favente deo, Avec la faveur de Dieu.

Au 16e siècle, les blasons avaient été recouverts par ceux des propriétaires de l’époque, Jean de Créquiet et son épouse. De même, les crosses abbatiales avaient disparu sous des repeints.


sb-line

Jan Gossart Gerard David The Malvagna Triptych, ca. 1513–15 closed

Triptyque Malvagna
Jan Gossart et Gérard David, vers 1513–15, Galleria Regionale della Sicilia, Palazzo Abatellis, Palerme

Les scènes du Péché originel et de l’Expulsion laissent à droite un large paysage vide, dans lequel une haute falaise fait pendant à la porte ouvragée du Paradis : sans doute faut-il y voir la demeure inaccessible de Dieu. L’arbre divisé en deux branches illustre le choix d’Adam : vers la Punition ou vers l’Obéissance. De même la chouette, symbole double, décrit particulièrement bien l’ambiguïté de la situation : à la fois figure de la tentation à laquelle Adam a succombé (on se servait d’une chouette captive pour attirer les petits oiseaux) et de la sagesse qui lui a manqué.


Jan Gossart Gerard David The Malvagna Triptych, ca. 1513–15 left

Jan Gossart Gerard David The Malvagna Triptych, ca. 1513–15 central

Jan Gossart Gerard David The Malvagna Triptych, ca. 1513–15 right

Sainte Catherine Vierge à l’Enfant avec des anges Sainte Dorothée

Ouvrir le Triptyque Malvagna, c’est donc substituer à l’image de la Chute celle de la Rédemption : Marie Nouvelle Eve et Jésus Nouvel Adam. Avec ses splendides architectures gothiques, l’intérieur déploie un espace sacré dans lequel les saintes des volets se lient par un mariage mystique à l’Enfant Jésus, antithèse du sombre paysage du revers, contaminé par la sexualité humaine.



Jan Gossart Gerard David The Malvagna Triptych, ca. 1513–15 revers
La surprise est qu’abrité dans le dos même de Marie et de Jésus, à l’opposé de ce Paradis perdu, se trouve une sorte de Paradis retrouvé : les armoiries des Malvagna, entourées d’une couronne de fruits parfaitement autorisés.


sb-line

Lucas van Leyden Healing of Blind Man of Jericho (triptych) 1531 Ermitage Schilddrager met het wapen Jakob Florisz van Montfort.

Armes de Jakob Florisz van Montfort

Armes de Dirckje Boelens van Hindeburgh

Revers des volets du triptyque de la Guérison de l’Aveugle de Jéricho
Lucas de Leyde, 1531, Ermitage

Sans rapport avec le sujet du triptyque (aujourd’hui réuni en une seule toile), ces deux panneaux en trompe-l’oeil portent les armes du commanditaire et de son épouse.


Aertgen van Leyden Le Jugement Dernier 1555 (C) Musée des BA de Valenciennes RMN Photo René-Gabriel Ojéda revers
Triptyque du Jugement Dernier (fermé)
Aertgen van Leyden, 1555, Musée des beaux-arts de Valenciennes, (C) RMN Photo René-Gabriel Ojéda

Le même dispositif se retouve dans ce triptyque réalisé à l’occasion de la mort de Jakob Florisz van Montfort. La musculature exagérée des figures marque l’influence de Heemskerck.


Aertgen van Leyden Le Jugement Dernier 1555 (C) Musée des BA de Valenciennes RMN Photo René-Gabriel Ojéda.
Triptyque du Jugement Dernier (ouvert)

La binarité masculin/féminin se propage ici à l’intérieur, où les membres de la famille se répartissant dans les deux volets.


sb-line

Les triptyques armoriés de Van Orley

sb-line

Bernard-van-Orley-Mariage-de-la-Vierge-1513-NGA Bernard-van-Orley-Christ-parmi-les-docteurs-1513-NGA

Le mariage de la Vierge

Le Christ parmi les docteurs

Bernard van Orley, 1513, National Gallery of Arts, Washington

Ces deux panneaux faisaient probablement partie d’un retable dont le panneau central a disparu.



Bernard-van-Orley-Christ-parmi-les-docteurs-1513-NGA-revers-Putto-with-Arms-of-abbe-Jacques-Coene
Le revers du panneau du Christ parmi les Docteurs montre un ange nu portant les armoiries du donateur, l’abbé Jacques Coëne [25]


sb-line

Bernard-Van-Orley-The-Birth-and-Naming-of-Saint-John-the-Baptist-1514-15-NY-MET. Bernard Van Orley Retable Saint John the Baptist 1514-15 Decollation Coll priv

Naissance et baptême de Saint Jean Baptiste, Metropolitan Museum, New York

Mort de Saint Jean Baptiste, collection privée

Retable de Saint Jean Baptiste
Bernard Van Orley, 1514-15

Ici encore les deux panneaux faisaient partie d’un retable dont la partie centrale a disparu (sans doute une sculpture du baptême du Christ) . A l’origine, celle-ci avait en haut une forme arrondie, mais les volets ont été retaillés en rectangle, ce qui explique le cadrage serré du revers [26] :

Bernard-Van-Orley-The-Birth-and-Naming-of-Saint-John-the-Baptist-1514-15-MET-NY-revers Bernard Van Orley Retable Saint John the Baptist 1514-15 Decollation Coll priv revers

Metropolitan Museum, New York

Collection privée

Nous retrouvons à gauche l’Homme de douleurs, et en face l’abbé Jacques Coëne en prières, les deux représentés en trompe-l’oeil dans deux pendants (et non pas un diptyque) accrochés à une cloison. Ainsi le retable une fois fermé affiche publiquement une dévotion privée, encadrée par deux insignes de pouvoir : les deux crosses d’abbé, reconnaissables au voile qui y est accroché (à la différence d’un évêque, un abbé n’avait pas le droit de porter des gants). La logique de la composition en abîme joue à plein dans le panneau de droite, puisque la crosse peinte se retouve également à l’intérieur du tableau dans le tableau.

A la devise de la banderole, « FINIS CORONAT », il manque le mot OPUS , ici représenté, comme dans un rébus, par le tableau dans le tableau. « La fin est le couronnement de l’oeuvre », la devise de Jacques Coëne, est à comprendre comme l’espérance d’une bonne Mort [26]. Mais il n’est pas absurde, chez un mécène comme l’abbé, de lui trouver une interprétation esthétique : « la fermeture est le couronnement du retable « .


Bernard-Van-Orley-Adoubement de Saint Martin par l'Empereur Constantin, Nelson-Atkins Museum of Art, Kansas City

Adoubement de Saint Martin par l’Empereur Constantin, Nelson-Atkins Museum of Art, Kansas City

La Vierge et l’enfant adorés par St Martin et d’autres saints( Pierre, Agnès, Marie-Madeleine et Antoine), avec à l’arrière St Martin faisant abattre un arbre, Collection privée.

Retable de Saint Martin, Bernard van Orley, 1514-19

Bernard_van_Orley Retable St Martin revers gauche Bernard_van_Orley Retable St Martin revers droit

Au dos de cet autre retable, se trouvent également deux pendants en trompe l’oeil avec le même abbé, en prière cette fois devant une Vierge à l’Enfant.


Triptyque des onze mille vierges Atelier de Jan van SCOREL, vers 1541, Musee de la Chartreuse, Douai Jacques Coëne, Abbé de Marchiennes Triptyque de Sainte Ursule , c.1539 · Jan van Scorel Musee de la Chartreuse Douai

Triptyque des Onze mille vierges
Atelier de Jan van Scorel, 1539, Musée de la Chartreuse, Douai

Pour en terminer avec cet abbé très médiatique, signalons son portrait dans une niche, avec sur le parchemin en-dessous la devise « Finis coronat » et l’inscription « DIVA VICTORINE VIRGINIS / O divine vierge Victorine » (Sainte Victorine était une des Onze mille vierges, dont les reliques étaient conservées à l’abbaye de Marchiennes). L’inscription en bas du cadre donne la date, 1539 et l’âge de l’abbé : 70 ans.


sb-line

Bernard Van Orley Retable Calvaire Musee de l'Eglise Notre-Dame Bruges

Triptyque du Calvaire
Van Orley, 1534, Musée de l’Eglise Notre-Dame, Bruges

Ce triptyque fut commandé par Marguerite d’Autriche pour le monastère royal de Brou, à Bourg-en-Bresse.



Bernard Van Orley Retable Calvaire Musee de l'Eglise Notre-Dame Bruges revers
Le revers affiche, dans des oeils-de-boeuf en trompe-l’oeil, quatre blasons : en tournant depuis le bas à gauche dans le sens des aiguilles de la montre, on trouve celui des Ducs de Bourgogne, des Habsbourg d’Autriche, du Portugal et des Bourbons. Au centre, les commentateurs reconnaissent habituellement les armes de Philippe II, qui n’était alors qu’un enfant de sept ans.


Coat_of_arms_of_Margaret_of_Austria_(princess_of_Spain).svg Armes de Philippe II

Armes de Marguerite d’Autriche

Armes de Philippe II [27]

Or il se trouve que ce sont aussi celles de Marguerite d’Autriche avait portées en tant qu’infante d’Espagne (entre 1496 et 1501), ant qu’elle ne devienne duchesse de Savoie : les armoiries centrales font donc référence à la titulature la plus flatteuse de la donatrice.

On peut s’interroger sur le choix des quatre autres blasons. S’agissant d’une princesse qui régna sur tant de provinces, faut-il rechercher une logique historique ou géographique, ou bien de complexes allusions diplomatiques ? Faut-il les mettre en relation avec l’avers ? Mais avec quoi : les quatre scènes des volets (Portement, Flagellation, Descente aux Enfers, Descente de croix) ou bien les quatre secteurs du panneau central auxquels ils se superposent (les Saintes Femmes, le Bon Larron, le Mauvais Larron, les soldats romains) ?

La Crucifixion induit en tout cas une polarisation entre le côté honorable, à dextre (à la droite du Christ), et le côté mineur, à senestre, qui doit trouver son correspondant dans l’interprétation des blasons.



Bernard Van Orley Retable Calvaire Musee de l'Eglise Notre-Dame Bruges revers Marguerite d'Autriche genealogie
Un coup d’oeil sur la généalogie de Marguerite nous donne la solution :

  • les blasons de dextre (à gauche) sont ceux de ces deux grands-pères, paternel en haut et maternel en bas ;
  • ceux de senestre (à droite) ceux de ces deux grands-mères, dans le même ordre.

De plus, le principe de succession fait que les deux blasons du haut sont également ceux de son père et de sa mère.

Ainsi la logique binaire de la Croix sous-tend parfaitement la logique généalogique. Quant au blason de Marguerite, au centre, il se superpose exactement au visage de la femme à laquelle elle s’identifie le plus : Marie-Madeleine éplorée aux pieds de Jésus, comme elle-même déplora toute sa vie la perte de son second époux, Philibert de Savoie, à la mémoire duquel elle fit édifier le monastère de Brou, et commanda ce tableau.



Bernard Van Orley Retable Calvaire Musee de l'Eglise Notre-Dame Bruges revers detail
A noter dans tous les écoinçons un briquet (fusil) battant le silex, emblème des Ducs de Bourgogne.



Références :
[13] Catherine A. Metzger, John Oliver Hand, Ron Spronk, « Prayers And Portraits : Unfolding the Netherlandish Diptych », p 264 https://www.nga.gov/content/dam/ngaweb/research/publications/pdfs/prayers-and-portraits.pdf
[14] Douglas Brine, « Evidence for the Forms and Usage of Early Netherlandish Memorial Paintings », Journal of the Warburg and Courtauld Institutes, Vol. 71 (2008), https://www.jstor.org/stable/20462780
[17] I.C. Reindl, « Georg Lemberger Ein Künstler der Reformationszeit, Leben und Werk », Dissertation, Bamberg 2006 https://fis.uni-bamberg.de/bitstream/uniba/252/2/Dokument_1.pdf
[18] Ingrid Falque « Catalogue of Early Netherlandish Paintings with Devotional Portraits (1400–1550) » https://www.academia.edu/84017236/Catalogue_of_Early_Netherlandish_Paintings_with_Devotional_Portraits_1400_1550_
[20] Stijn Alsteens, Nadine Orenstein, Lorne Campbell, « Man, Myth, and Sensual Pleasures: Jan Gossart’s Renaissance : the Complete Works », Metropolitan Museum of Art (New York, N.Y.), National Gallery (Great Britain), p 281 et ss
[27] Flandria – Chorographie Flanderns in Portraits der Landesfürsten, den Wappen des Adels und des Landes und in seiner Geographie – BSB Cod.icon. 265 https://codicon.digitale-sammlungen.de/Blatt_bsb00001350,37v.html