– Le symbolisme du perroquet
Le perroquet est un exemple parfait de symbole à deux faces, selon qu’il se situe dans un contexte profane ou dans un contexte sacré. (1)
Face Hide : un sacré gaillard !
« Comme le dit Aristote, il boit volontiers du vin, et est un oiseau excessivement luxurieux » (« ut dicit Aristoteles, vinum libenter bibit, et est avis luxuriosa nimium » ) Thomas de Cantimpré, dominicain mort en 1270
« …semblant tantôt joyeux, tantôt triste, en simulant les gestes des amants, il semble avoir envie de copuler » (« et nunc laetanti similis, nunc delenti, gestus amantis praetendens, coïtum appetere videtur ») Alexandre Neckham, mort en 1247
Le Jardin d’amour
1465, Maître E.S.
Cette réputation lui permet de figurer au dessus de deux des couples du Jardin d’Amour : à droite, un fou de cour, au crâne rasé et à la bourse proéminente, se permet de lire le billet doux destiné à la jeune femme ; au centre, un autre couple joue aux échecs, métaphore du combat amoureux et du pouvoir de la femme.
Un pigeon, symbole d’amour fidèle, surplombe le couple de gauche où la jeune femme tresse une guirlande, tandis que le jeune homme la contemple, une longue dague entre ses cuisses.
La présence insolite de la chouette signifie ici non pas la sagesse, mais le péché (l’oiseau nocturne étant sensé fuir la lumière de Dieu). Comme elle servait d’appeau pour les oiseleurs, il se peut que, dans ce contexte, elle représente une sorte d’entremetteuse, prenant à témoin le spectateur de ces divertissements amoureux [2] .
Pour d’autres perroquets dans d’autres oeuvres du Maître ES, voir Une vielle histoire.
Le pochard luxurieux
« le vin surtout le met en gaité (in vino praecipue lasciva) ».Pline
« il est grand parleur quand on lui fait boire du vin (loquatior cum biberit vino redditur) » Aristote
De plus, il n’aime pas l’eau :
« Il habite les côtes orientales ou indiennes. Il vit sur la montagne Gilboa, en raison de la sécheresse, car il meurt s’il pleut abondamment sur son plumage ». Physiologus
Face Jekyll : un petit Ange !
La Sobriété
Sobriété et gloutonnerie, 1295, Somme le Roi, Bibl. Mazarine, MS 870 (IRHT)
A l’inverse, la Sobriété porte en triomphe le Perroquet et foule aux pieds l’Ours glouton, lequel regarde tristement en direction du banquet tandis que l’oiseau modèle n’a d’oeil que pour sa maîtresse. La source de l’image est très certainement les Amours d’Ovide, un texte dont il existe de nombreux manuscrits médiévaux. Le poète y fait le panégyrique du perroquet mort de Corinne :
« La moindre nourriture te rassasiait, et tu aimais trop à babiller pour aspirer sans cesse après des aliments. Une noix faisait ton repas ; quelques pavots t’invitaient au sommeil ; quelques gouttes d’eau étanchaient ta soif. « Ovide, Amores 2,6
L’Immaculée Conception.
La Madone au Chanoine Van der Paele (détail)
Van Eyck, 1434-36, Groeningemuseum, Bruges
Conrad de Wurtsbourg (mort en 1287) en donne une première raison : c’est un oiseau très propre et son plumage vert, jamais mouillé, est comparable à Marie, jamais touchée par le péché. Car les péchés roulent sur elle comme les gouttes d’eau sur son plumage [2a]. On disait également que la femelle perroquet fait son nid en direction de l’Orient, où il ne pleut pas, et ne peut donc pas être souillée par la boue.[3]
Mais pour la plupart des auteurs de traités zoologiques du Moyen Age, c’est parce que le perroquet était capable de prononcer le mot AVE qu’on le considérait comme le prophète de l’Annonciation : puisque l’Ave Maria avait déclenché la conception miraculeuse de la Vierge, il était logique que cette scène-culte de la parole performative soit associée à notre spécialiste du Langage.
Une image christique
Le Physiologus et les premiers théologiens chrétiens voient une image christique dans la manière dont on apprend à parler à un perroquet. En effet, on place le perroquet devant un miroir, qu’il regarde, tandis que par derrière un homme lui parle. De même le Christ, bien qu’il soit le fils de Dieu, a pris forme humaine pour enseigner à l’homme la langue de Dieu :
« L’homme qui veut apprendre à parler à un oiseau
Se cache derrière un miroir, quand il enseigne.
Si l’oiseau se tourne vers la parole,
il voit sa propre image
et pense que c’est un ami qui lui parle…
Ainsi le Christ s’est transformé en un Etranger pour enseigner :
c’est à travers l’Homme qu’il a parlé à l’Homme. »(Hymne d’Ephrem le Syriaque).
L’Eloquence, la Liberté d’Expression
Article Perroquet,Hieroglyphiques de Jean-Pierre Valerian, 1615 [4]
La facilité à apprendre
Princesse inconnue avec un perroquet
Cercle de Frans Pourbus le Jeune, 1620, Collection privée [5]
Le tableau joue sur le mimétisme, en orange et vert, entre les tissus rutilants et le plumage de cet Amazone à tête jaune, une espèce renommée comme un des plus douées pour apprendre à parler. Outre son caractère d’objet d’importation luxueux, le perroquet a donc peut-être ici une valeur d’exemple, ou de récompense, pour une princesse incitée à être aussi brillante que lui.
Le Toucher
A cause de sa manière très particulière, pour un oiseau, de manger en portant une griffe vers son bec, le perroquet était associé au sens du Toucher.
Wenzel von Olmütz, La joueuse de Luth, 1481-1500, British Museum
Texte en allemand du Sud :
« och mich vrlaget zir dv gros mein libes lib noch dir das gelavb mr vor vns »
Lucas Cranach l ancien, Cardinal Albrecht von Brandenburg en Saint Jerome dans son Etude,
1526, John and Mable Ringling Museum of Art, Sarasota, US
« Scorpius irata tactus dat vulnera cauda » Allégorie des sens, le Toucher : Recueil Recueil de figures de la Bible de Jean Mès
Martin de Vos, vers1590-1591
La pureté
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Ces deux images s’inspirent « du « spirituel et malicieux » poème « Vert-Vert » publié en 1734 par l’amiénois Jean-Baptiste Gresset (1709-1777), qui connut un grand succès, depuis sa parution jusqu’au milieu de XIXème siècle. Ce poème raconte l’odyssée d’un talentueux perroquet élevé dans la dévotion par les Visitandines de Nevers ; admiré pour son vocabulaire recherché, il est ainsi envoyé aux Visitandines de Nantes par la Loire. Au cours du voyage, il s’imprègne du langage grossier des bateliers et de certains passagers (moine paillard, filles de joie), qu’il s’empresse d’utiliser devant les sœurs de Nantes ; celles-ci, horrifiées par la verdeur des propos, le renvoient à Nevers, où les sœurs, après l’avoir jugé, le mettent en pénitence au cachot, le condamnant au jeûne, à la solitude et au silence. Enfin revenu à de meilleures manières, le volatile pécheur est alors pardonné, puis si généreusement récompensé qu’il meurt d’une indigestion de dragées, « bourré de sucre et brûlé de liqueur ». » [6]
Cas d’application : le perroquet chez Marteen Van Heemskerck
Saint Luc Peignant la Vierge
Marteen Van Heemskerck, vers 1545, musée des Beaux Arts, Rennes
Dans cette composition très complexe, le perroquet a été diversement interprété :
- virginité de Marie et victoire sur le Péché Originel (E. K. J. Reznicek, [8]) ;
- virginité de Marie ; la noix représente la Passion (fruit amer) ( R Grosshans, [9]) ;
- Annonciation (AVE) : la noix représente le Crucifixion (bois et chair) [10] ;
Le problème est que la métaphore de Van Heemskerck est totalement originale : l’Enfant Jésus donne au perroquet des noix qu’il casse avec son bec, tour de force dont l’oiseau est capable en réalité.
Je pense que ce geste disqualifie toutes les interprétations de type médiéval reliant l’oiseau à Marie : on voit mal la Virginité cassant une noix, d’autant plus que cette dernière constitue elle-aussi un symbole de la Virginité. Je vais résumer et prolonger l’interprétation d’Irving Lavin [11], pour qui le perroquet symbolise ici la Rhétorique ou l’Eloquence, la signification moderne que lui donneront les iconographes du XVIIème (Ripa, Van Mander).
![]() Heemskerck, Berlin Kupferstichkabinett |
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La gueule grotesque sur le sol semble à la fois s’inspirer d’une dalle antique qui était insérée dans la cour du Palazzo del Valle,et d’une autre plaque antique, la Bocca delle Verita : cette curiosité romaine était sensée mordre la main des menteurs. La difformité de la figure imaginée par Heemskerck, une oreille dedans et une oreille dehors, en fait une figure négative : logiquement, elle devrait symboliser le mensonge, les mauvaises paroles. Peut être faut-il comprendre, à sa moue, que le pinceau de l’Evangéliste est totalement véridique.
Tout l’arrière-plan du tableau s’inspire d’un autre haut lieu romain, la collection d’antiques de la cour du Palazzo Sassi, que Heemskerck avait dessiné lors de son séjour à Rome. Irving Lavin, qui a retrouvé le nom des statues telles qu’on les connaissait du temps d’Heemskerck, note avec raison un effet d’écho (en jaune) :
- Rome et Jupiter renvoient à Marie et Jésus ;
- le sculpteur (qui évoque Michel-Ange) renvoie au peintre Saint Luc.
Je rajouterai pour ma part que les trois autres statues, emblèmes de la maîtrise antique du nu, renvoient au livre d’anatomie du premier plan (en bleu), emblème des connaissances modernes sur le Corps. Alors que les Anciens montraient le corps sous toutes ses faces, les Modernes le décrivent dans sa profondeur.
Le livre vierge du premier plan à gauche, sur lequel le taureau de Saint Luc pose sa patte, est l’Evangile qu’il écrira après la mort du Christ ; tandis que les livres de médecine, dans la niche renvoient à son métier de médecin ; et le tableau en cours à son troisième talent : celui de peintre (en vert).
Le détail de l’urinal renversé par la patte du taureau est un morceau de bravoure montrant la virtuosité du peintre.
Ainsi Heemskerck met ici au point une structure très originale, où l’arrière-plan antique du tableau fait écho au premier-plan chrétien (pour un autre exemple d’un tel « pendant interne », voir Un pendant très particulier : les Fileuses).
Le perroquet, qui croque les noix opaques et dévoile leur vérité, apparaît comme l’homologue moderne de l’antique Bocca della Verita, qui croque les mains des menteurs.
… le point ultime de l’allégorie de Heemskerck, s’incarne dans le perroquet que l’enfant Jésus présente au spectateur, symbole standard de la Rhétorique. Par là, il définit le tableau comme l’équivalent visuel du sermon idéal envisagé par Erasme et les défenseurs humanistes d’une rhétorique chrétienne, qui combinerait l’apprentissage de l’antiquité avec la simplicité expressive, divinement inspirée, de la Bible. » Irving Lavin [11]
Apollon et les muses
Marteen Van Heemskerck, 1555-60, New Orleans Museum of Art
On a pensé que l’organiste était Polymnie, la muse de l’Eloquence, et que le perroquet perché sur l’orgue symbolisait cet art.
Sa position ,entre les tuyaux de l’orgue et ceux de la flüte de Pan, pourrait aussi vouloir dire que l’orgue imite la flûte (la musique savante imite la nature).
Il est également possible que cette proximité avec les tuyaux s’explique par une référence à Martianus Capella, poète latin auteur de Noces de Philologie et de Mercure, très obscure encyclopédie dont le Livre IX, l’Harmonie, présente l’art de la Musique. On y lit que « les oiseaux sont attirés par les tuyaux en roseau » [12].
Le fils prodigue, Marteen Van Heemskerck, Collection privée
Dans cette oeuvre récemment retrouvée, le perroquet répond aux deux mêmes allusions :
- attirance par le tuyau,
- imitation de la flûtiste qui le surplombe.
Pour une utilisation très particulière du perroquet par Dürer, voir 3 La Chute de l’Homme.
https://www.academia.edu/7363365/_David_s_Sling_and_Michelangelo_s_Bow_a_Sign_of_Freedom_
Bonjour,
J’ai beaucoup apprécié votre blog. Merci de partager vos connaissances !
Je possède un portrait de jeune fille de peintre et d’origine inconnus, mais sans doute d’origine française. Il a peut-être été peint au XVIIIè siècle. La jeune fille âgée de 12-15 ans est habillée comme une dame et tient un perroquet dans la main gauche tout en tenant une patte d’un chien de l’autre main. Le chien la regarde mais les yeux de la jeune fille sont dirigés vers le spectateur.
Que vous suggère le double symbolisme représenté par la présence de ces deux animaux dans le même tableau ? La fidélité ? Si vous m’écrivez je peux vous envoyer une photo du tableau.
Merci d’avance pour les pistes à explorer.
[…] Pour aller plus loin, je vous conseille l’excellent site Artifex in opere qui explore la symbolique du perroquet à travers l’analyse de nombreux tableaux : Le perroquet, sur Artifex in opere. […]
Pour une référence littéraire complémentaire, il est présent dans la nouvelle Un Cœur Simple de G Flaubert. Eloquence et mysticisme religieux se rejoignent alors…. Bonne lecture