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Les pendants de Titien

22 avril 2020
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Dans l’oeuvre immense de Titien, il n’existe que trois pendants : mais l’un d’entre eux, en 1556-59, est l’un des plus riches et des plus profonds jamais réalisés.



Ecce homo / Mater Dolorosa

Je résume ici l’article récent de Paul Joannidès, qui est un modèle d’enquête érudite [1]


La version pour Charles V d’Autriche

Titien 1547 Ecce homo sur ardoise Prado 69x56 cm
Ecce homo
Titien, 1547, Prado, 69 x 56 cm, sur ardoise

Titien amena avec lui cet Ecce homo, lors de son voyage à Augsbourg en août 1548, pour le présenter à l’empereur Charles V. Conçue comme une image isolée, cette demi-figure fusionne deux iconographies :

  • celle de la Dérision du Christ, un moment précis de la Passion ;
  • celle plus abstraite de l’Homme de Douleurs, image de piété montrant le Christ sortant du tombeau environné des instruments de la Passion.

Quelques années plus tard, Charles V eut l’idée de le faire monter en pendant avec une Mater Dolorosa du peintre flamand Michael Coxcie, peinte sur bois.


Titien 1547 Ecce homo sur ardoise Prado 69x56 cmEcce homo , Titien, 1547, Prado, 69 x 56 cm, sur ardoise Titien 1553 Mater Dolorosa sur bois Prado 68 x 61 cmMater Dolorosa, Titien, 1553, Prado 68 x 61 cm, sur bois

Piqué par la concurrence, Titien envoya en 1553 une Mater Dolorosa sur bois, pour remplacer celle de Coxcie.


Titien 1547 Ecce homo sur ardoise Prado 69x56 cmEcce homo , Titien, 1547, Prado, 69×56 cm, sur ardoise Titien 1555 Mater Dolorosa sur marbre Prado 68 x 53 cmMater Dolorosa, Titien, 1555, Prado, 68 x 53 cm, sur marbre

Apparemment peu satisfait, l’Empereur envoya l’année suivante un modèle (aujourd’hui perdu) à Titien qui lui renvoya cette nouvelle version sur ardoise.

Les conditions très particulières de la réalisation de ce « pendant » excluent ici toute conception d’ensemble.


Le pendant pour Philippe II d’Espagne

Anonyme Ecce homo Mater dolorosa Prado

Ecce homo et Mater Dolorosa, Anonymes, vers 1556, Prado [1]

Vers 1555, Titien peint pour le nouvel Empereur, Philippe II, un autre pendant aujourd’hui perdu. Selon Paul Joannidès, il devait se rapprocher de ces deux copies, de taille et de mains différentes.

Pour autant que la restitution soit exacte, ce pendant trahit une unité de conception :

  • les deux personnages ont les yeux baissés, chacun abîmé dans sa propre douleur ;
  • aux mains du Christ croisées vers le bas, réunissant ces trois objets de la Dérision que sont le manteau de pourpre, la corde et le roseau, s’opposent les mains vides de Marie, simplement jointes vers le haut.



La série des « poésies » pour Philippe II

Entre 1549 and 1562, Titien va produite pour Philippe II une série de sept grandes toiles mythologiques, qu’il nommait ses « poésies ». La série comporte un pendant probable, et un pendant confirmé.


De la Vénus d’Urbino à la Danaé de Naples

Titien 1538 Venus d'Urbino Offices FlorenceVénus d’Urbino, Titien, 1538, Offices, Florence TiTien 1544 Danae et Cupidon, Museo Nazionale Di Capodimonte, Naples radiographieDanaé et Cupidon, 1544, Museo Nazionale Di Capodimonte, Naples (radiographie)

Roberto Zapperi a montré que la Danaé et Cupidon réalisée pour Alessandro Farnese était une version édulcorée, pour les besoins du Cardinal, de sa très érotique Vénus d’Urbino [2]. La radiographie révèle qu’initialement, la femme nue se trouvait dans un intérieur d’époque : en rajoutant une colonne, un Cupidon et un nuage de pièces d’or, Titien transforma le sujet scabreux en un respectable sujet mythologique.


TiTien 1544 Danae et Cupidon, Museo Nazionale Di Capodimonte, Naples radiographieDanaé et Cupidon, 1544, Museo Nazionale Di Capodimonte, Naples, 120 × 172 cm Titien 1544-45 Venus et Adonis gravure de stange 1779 inverseeVénus et Adonis, 1544-45, gravure de Stange, 1779 (inversée)

On sait que Titien peignit ensuite pour Alessandro Farnese une Vénus et Adonis aujourd’hui perdue. D’après un inventaire de 1680, la toile mesurait environ 123 x 149 cm. et était accrochée à côté de la Danaé. La plupart des spécialistes considèrent, malgré la différence de taille, qu’il s’agissait d’un pendant et qu’il nous est restitué par cette gravure de Stange (mais tous les spécialistes ne sont pas d’accord, voir un résumé de la discussion sur le site de la NGA [3] ).

Un excellent motif de jonction pourrait être le Cupidon, qui sort du premier tableau avec son arc et l’accroche dans le second à un arbre pour caresser une colombe. Mais la différence de taille entre les figures, et le déséquilibre inévitable entre un sujet à un seul personnage et un sujet de couple (qui plus est accentué par la présence des deux chiens) laisse très dubitatif. De plus les deux sujets n’ont rien à voir : d’un côté une des nombreuses métamorphoses de Zeus (ici en pluie d’or) pour féconder une mortelle, de l’autre Vénus tentant d’empêcher Adonis de partir à la chasse, où il va  trouver la mort.

Que les deux Titien aient été accrochés l’un à côté dans la collection Farnese de l’autre n’en fait pas pour autant des pendants.


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Un exemple de Paragone

Les deux premières toiles réalisées pour Philippe II reprennent les sujets précédemment mis au point pour Alessandro Farnese,


Titien 1553 Danae (version Wellington) Apsley House LondresI Danae (version Wellington), 1553, Apsley House, Londres (114.6 x 192.5 cm) [4] Titien 1554 Venus and Adonis PradoII Vénus et Adonis, 1554, Prado, Madrid (186 x 207 cm) [5]

Dans une lettre de septembre 1554 à Philippe II, le peintre fait valoir que les deux peintures offriraient des vues de face et de dos d’une femme nue, permettant ainsi à la peinture de rivaliser avec la sculpture (voir Comme une sculpture (le paragone)). Mais la taille très différente des deux toiles, et les problèmes de composition déjà évoqués, font qu’il ne parle pas de pendants, même s’il y songe peut-être déjà pour la suite de la série.


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Un pendant possible

Titien 1554-56 Persee et Andromede Wallace Collection 175 × 189.5 cmIII Persée et Andromède, 1554-56, Wallace Collection, Londres (175 × 189.5 cm) [6] point_interrogationIV Jason et Médée

On sait que les deux toiles suivantes devaient former pendant : à « Persée et Andromède » devait être associé un « Jason et Médée » qui ne fut sans doute jamais réalisé. La radiographie a montré que dans un premier état, Andromède était placée à droite, et fut déplacée à gauche à un moment inconnu.


Titien 1559 La mort d'Acteon National Gallery 178.4 x 198.1 cmVI La mort d’Acteon, 1559 , National Gallery (178.4 x 198.1 cm) [8] Titien 1560-62 Le rapt d'Europe Isabella Stewart Gartner Museum Boston 178 × 205 cmVII Le rapt d’Europe, 1560-62, Isabella Stewart Gartner Museum, Boston (178 × 205 cm) [7]

Dans une lettre à Philippe II du 19 juin 1559, Titien dit travailler sur ses deux dernières « poésies » :

« Après leur envoi <des tableaux IV et V>, je me consacrerai entièrement à l’achèvement du Christ sur la montagne et des deux autres poésies que j’ai déjà commencées – je veux dire ‘« Europe sur les épaules du taureau » et « Actéon déchiré par ses chiens ». Dans ces pièces, je mettrai toute la connaissance que Dieu m’a donnée, et qui a toujours été et sera toujours consacrée au service de Votre Majesté. Qu’il vous plaise d’accepter ce service, pour autant que je puisse utiliser mes membres, vaincus par le poids de l’âge <71 ans> . » [9]

Mais travailler simultanément sur les deux ne signifie pas qu’il les concevait comme des pendants : rien dans la composition ne l’indique.


Titien 1554-56 Persee et Andromede Wallace Collection 175 × 189.5 cmIII Persée et Andromède, 1554-56, Wallace Collection, Londres (175 × 189.5 cm) Titien 1560-62 Le rapt d'Europe Isabella Stewart Gartner Museum Boston 178 × 205 cmVI Le rapt d’Europe, 1560-62, Isabella Stewart Gartner Museum, Boston (178 × 205 cm)

En revanche, apparier l’Enlèvement d’Europe avec le Persée et Andromède réalisé cinq ans plus tôt prend tout son sens tant les compositions sont symétriques (c’est l’opinion de Panofski [10], bien qu’aucun texte ne le confirme).


La logique du pendant (SCOOP !)

Deux trios s’opposent :

  • femme attachée et immobile, femme enlevée et en mouvement ;
  • monstre marin vaincu, taureau triomphant (Jupiter métamorphosé) ;
  • des guerriers en vol : Persée et son glaive, deux amours avec leur arc et leurs flèches.

Le dédoublement des amours, nécessaire pour équilibrer la masse de Persée, est aussi l’occasion d’un ingénieux motif de jonction :


Titien 1560-62 Le rapt d'Europe Isabella Stewart Gartner Museum Boston 178 × 205 cm detail 1 Titien 1560-62 Le rapt d'Europe Isabella Stewart Gartner Museum Boston 178 × 205 cm detail1

l’amour de gauche mime la pose de Persée ;


Titien 1560-62 Le rapt d'Europe Isabella Stewart Gartner Museum Boston 178 × 205 cm detail2 Titien 1560-62 Le rapt d'Europe Isabella Stewart Gartner Museum Boston 178 × 205 cm detail 2

l’amour de droite inverse celle d’Europe (la main sur l’arc imitant la main sur la corne) .


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Un pendant confirmé

Titien 1556-1559 Diane et Acteon, Londres, National Gallery et Edimbourg, National Gallery of ScotlandIV Diane à la fontaine surprise par Actéon (185 × 202 cm) [11] Titien 1556 Diana Callisto Edimbourg, National Gallery of ScotlandV Diane et Callisto (187 cm × 204.5 cm) [12]

Titien, 1556-1559 , National Gallery, Londres et National Gallery of Scotland, Edimbourg

Pratiquement tous les historiens d’art considèrent ces deux toiles, peintes et livrées ensemble, comme des pendants assurés. Depuis Panofsky, on place en général l’Actéon à gauche, à cause de la symétrie entre le rideau rose et le dais doré qui ferment les deux bords.



Titien 1556 Diana schema
Cette disposition, qui semble effectivement la plus logique, révèle une conception d’ensemble très structurée :

  • l’éclairage vient des bords (voir la direction des ombres sous les pieds) ;
  • dans le même sens que la lumière, les deux actions (flèches jaunes) convergent vers le centre : d’Actéon et son chien vers Diane, de Diane et son chien vers Callisto ;
  • les deux cibles de la lumière et de l’action, Diane qui se voile et Callisto que l’on dévoile, sont ainsi mises en équivalence ;
  • deux pilastres (en gris) séparent en deux camps inégaux les deux protagonistes de chaque action.

Après cet aperçu d’ensemble, il est temps d’envisager chacune des oeuvres dans ses particularités, avant de conclure par une autre vue d’ensemble.



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Diane à la fontaine surprise par Actéon

Titien 1556-1559 Diane et Acteon, Londres, National Gallery et Edimbourg, National Gallery of Scotland
Dans une fontaine au fond des bois, le chasseur Actéon (par désir selon certains, ou simplement « entraîné par le destin » selon les Métamorphoses Ovide) voit Diane qui se baigne avec ses compagnes. Pour le punir (de sa curiosité ou de son impudence), la déesse lui jette du l’eau, ce qui le transforme en cerf, puis le fait déchiqueter par ses chiens.

Titien innove par rapport aux représentations traditionnelles en s’arrêtant avant l’épisode spectaculaire de l’aspersion et de la transformation en cerf.


La déesse cachée (SCOOP !)

Titien 1556-1559 Diane et Acteon, Londres, National Gallery et Edimbourg, National Gallery of Scotland detail noire

Tandis qu’Ovide précise que les compagnes font cercle autour de Diane pour la dissimuler, Titien invente le geste de se couvrir d’un voile, aidée par une servante noire. Celle-ci a été diversement expliquée : Marie Tanner [13], dans un bombardement iconographique à la Panofsky, y reconnait une image de la Fortune (autrement dit le Hasard qui a conduit Actéon à son malheur).
Je penche quant à moi pour un développement graphique à partir du texte d’Ovide :

« Tel que sur le soir un nuage se colore des feux du soleil qui descend sur l’horizon; ou tel que brille au matin l’incarnat de l’aurore naissante, tel a rougi le teint de Diane exposée sans voiles aux regards d’un mortel. » Ovide, Métamorphoses, 3, 181-185

De même que le rose du rideau est une allusion au coucher ou au lever du soleil mentionné par Ovide, la servante noire est probablement une personnification de la Nuit, qui cache la Lune sous son « voile ».


Le présage des cerfs

Titien 1556 Diana Callisto Edimbourg, National Gallery of Scotland detail cranes

La plupart de commentateurs considèrent que le grand crâne de cerf (dont les bois fusionnent visuellement avec les branches) est une allusion au destin funeste d’Actéon. Allusion redoublée par la peau et la seconde tête accrochées un peu plus loin.



Titien 1556-1559 Diane et Acteon, Londres, National Gallery et Edimbourg, National Gallery of Scotland detail cerf

On peut voir un autre écho de ce destin dans cette minuscule image d’un cerf pourchassé à l’arrière-plan (les chiens, trop petits pour être lisibles étant ingénieusement masqués par le tronc)



Titien 1556-1559 Diane et Acteon, Londres, National Gallery et Edimbourg, National Gallery of Scotland bras gauche
Il semble légitime de relier ces présages funestes au geste de recul qu’esquisse la main gauche d’Actéon.


La fontaine aux reflets (SCOOP !)

Titien 1556-1559 Diane et Acteon, Londres, National Gallery et Edimbourg, National Gallery of Scotland detail vision

Le filet d’eau qui s’écoule au bas de la fontaine serait-il une allusion à l’aspersion non représentée ? James Lawson [14], qui a analysé en détail cette partie du tableau, note que le miroir reflète justement ce filet d’eau.Pour lui, le miroir et la carafe sont les attributs de Vénus : elle se dissimulerait sous les traits de la nymphe qui d’une main tient le miroir et de l’autre relève le rideau qui cache Actéon. Cette identification hasardeuse l’empêche de développer une idée qu’il note incidemment : « il se pourrait qu’Actéon ait d’abord vu Diane en reflet dans la fontaine« .


La double surprise (SCOOP !)

Titien 1556-1559 Diane et Acteon, Londres, National Gallery et Edimbourg, National Gallery of Scotland bras droit

Si Titien a placé là le miroir, c’est certes pour attirer l’attention sur le filet d’eau qui menace déjà le pied d’Actéon (second présage de sa transformation). Mais surtout pour introduire l’idée de reflet, qu’il redonde par celui de la carafe sur la pierre) ou ceux des amours dans l’eau .

Actéon, caché derrière le rideau, lorgnait Diane par en dessous, via son reflet. La nymphe perspicace déclenche la double surprise qui est le thème du tableau, et qui se traduit visuellement pat le même mouvement inversé : le rideau qui se lève sur Actéon, le voile qui tombe sur Diane.

Le geste de la main droite d’Actéon est particulièrement révélateur. Voyez-vous de quoi il s’agit ?

Voir la réponse...

Il marque la surprise d’Actéon, qui vient de lâcher son arc.


Diane à la fontaine surprise par Actéon : synthèse

Titien 1556-1559 Diane et Acteon, Londres, National Gallery et Edimbourg, National Gallery of Scotland schema
Ce schéma résume les différents points que nous venons de détailler :

  • Diane voit Actéon à cause du rideau relevé (en vert) ;
  • Actéon ne voit plus Diane à cause du voile baissé (en rouge)
  • sa main gauche repousse le présage des cerfs (en gris) ;
  • sa main droite marque sa surprise et sa défaite : chasseur maintenant désarmé, il est sur le point de se transformer en proie.

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Diane et Callisto

Titien 1556 Diana Callisto Edimbourg, National Gallery of Scotland
Titien nous montre ici non plus le début, mais la fin d’un autre mythe lié à Diane. Callisto, sa nymphe préférée, a été engrossée par Jupiter qui avait pour se faire pris la forme de la déesse elle-même. Neuf lunes plus tard, celle-ci décide de prendre un bain :

« Tous les témoins sont loin ; plongeons nos corps nus dans ces ondes généreuses ». Callisto rougit ; toutes les nymphes se déshabillent ; elle seule se fait prier ; comme elle hésite, on lui ôte son vêtement, ce qui révèle son corps nu et met sa faute en évidence. Interdite, elle cherche de ses mains à cacher son ventre. « Pars d’ici, et ne souille plus ces sources sacrées », lui dit Diane, lui ordonnant de s’écarter de sa troupe. » Ovide, Métamorphoses, Livre II, 460-465

Plus tard, après la naissance de son fils Arcas, Junon la métamorphosera en ourse, mais ceci est une autre histoire.



Titien 1556 Diana Callisto Edimbourg, National Gallery of Scotland Junon
Junon est la femme en rose, à la coiffure sophistiquée, à laquelle Diane désigne sa rivale et future victime.


Les données du problème (SCOOP !)

Titien 1556 Diana Callisto Edimbourg, National Gallery of Scotland detail eclair

A l’aplomb du ventre dénudé de Callisto, la foudre au dessus des bois (Jupiter) et la statuette d’enfant (sa progéniture) rappellent les données du drame.


La chasteté de Diane (SCOOP !)

Titien 1556 Diana Callisto Edimbourg, National Gallery of Scotland detail dais
Le dais doré au dessus de Diane est orné de licornes blanches, symboles de sa virginité.

Mais un autre détail n’a pas été correctement interprété jusqu’ici : il s’agit des deux scènes gravées qui, juste sous la signature TITIANUS, ornent le socle de la statuette :



Titien 1556 Diana Callisto Edimbourg, National Gallery of Scotland detail bas reliefs

  • en haut, devant une déesse en arme, une nymphe met un cerf en fuite (comprendre : chasser le masculin) ;
  • en bas, une licorne est amenée à la même déesse dénudée (comprendre : coucher avec sa propre chasteté).


Des armes suspectes (SCOOP!)

Titien 1556 Diana Callisto Edimbourg, National Gallery of Scotland fleche1 Titien 1556 Diana Callisto Edimbourg, National Gallery of Scotland fleche 2

A droite, deux nymphes manipulent des sortes de flèches manifestement surdimensionnées par rapport à celles qui emplissent les carquois : ce sont des javelots empennés, ou dards, une arme de trait rare dont Titien fait ici un usage déconcertant. Dans son Vénus et Adonis, celui-ci manipule un dard puissamment métaphorique qui « transperce » visuellement le corps de le déesse. Mais ici rien de tel : les deux dards pointes en bas ne visent que la terre.

Je pense qu’ils fonctionnent dans l’image comme l‘antithèse du foudre de Jupiter, sortes d’éclairs stériles opposés au principe fertile : le culte armé de la chasteté est une passion mortifère.


Diane et Callisto : synthèse

Titien 1556 Diana Callisto Edimbourg, National Gallery of Scotland schema

  • Diane constate la faute de Callisto par un double dévoilement, et simultanément la bannit (en vert) ;
  • l’origine et la conclusion du problème (Jupiter et l’enfant à naître) sont rappelés au dessus (en gris) ;
  • les dards tenus pointe en bas s’opposent à la foudre fertile.



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La logique du pendant

Titien 1556-1559 Diane et Acteon, Londres, National Gallery et Edimbourg, National Gallery of Scotland detail bottines Titien 1556 Diana Callisto Edimbourg, National Gallery of Scotland detail bottines

Dans les deux tableaux, des bottines rouges désignent la victime de Diane.



Titien 1556 Diana schema1
Entre les deux jets d’eau, le ruisseau en courbe établit une continuité. Il sert aussi à faciliter la lecture en séparant, dans chaque scène, celui ou celle qui voit (en grand, sur la rive côté spectateur) et celle qui est vue (en plus petit, sur la rive opposée.


Titien 1556 Diana schema2

Une fois réduites à leurs traits essentiels, les deux compositions révèlent l’exploit d’unification graphique accompli par Titien :

  • la suite ou le début de l’histoire sont rappelés (en gris),
  • l’action principale est traduite par un jeu de voiles (en vert et rouge),
  • une arme résume le thème principal (en bleu) :
    • l’arc lâché par Actéon dit sa surprise et sa transformation en proie ;
    • les dards maniés par les nymphes dénoncent la chasteté stérile.


Le clin d’oeil final (SCOOP !)

Titien 1556-1559 Diane et Acteon, Londres, National Gallery et Edimbourg, National Gallery of Scotland detail bouches
Reste, dans le coin vénusien du tableau dédié à la victime masculine, un détail que personne n’a expliqué : quelle est cette plaque de pierre sous les orteils de la nymphe ?

Manifestement, cette sorte d’autel où s’étagent des objets lourds de sens doit être lu de manière symétrique  : de même que les amours sculptés du bas tiennent entre eux un objet rond (un miroir ?), ceux du haut encadrent la carafe emplie d’eau pure.

Au registre inférieur, le mufle animal dissimulé sous la robe, avec son jet d’eau, s’oppose à la tête de vieillard d’où plus rien ne jaillit.

Au registre supérieur, le miroir tenu par une main féminine reflète le jaillissement ; tandis que la tablette opaque, foulée aux pieds par l’autre nymphe, cache au spectateur sa face ornée, au dessus de la bouche vide.


Titien 1556-1559 Diane et Acteon, Londres, National Gallery et Edimbourg, National Gallery of Scotland detail vieillard

Entre transparence et opacité, entre reproduction mécanique et surface nue, entre jaillissement animal et vieillesse, le message muet de la tête chenue appartient à l’intimité du peintre.



Références :
[1] Paul Joannides, « Paintings of the Man of Sorrows by Titian and his studio, II » dans Colnaghi Journal 06, p 366 march 2020,
https://www.paperturn-view.com/uk/colnaghi/cf-studies-journal-06?pid=NzU75965&p=37&v=3
[2] Roberto Zapperi « Alessandro Farnese, Giovanni della Casa and Titian’s Danae in Naples », Journal of the Warburg and Courtauld Institutes, Vol. 54 (1991), pp. 159-171 https://www.jstor.org/stable/751486
[3] https://www.nga.gov/collection/art-object-page.1223.html#entry
[4] https://en.wikipedia.org/wiki/Dana%C3%AB_(Titian_series)
[5] https://en.wikipedia.org/wiki/Venus_and_Adonis_(Titian)
[6] https://en.wikipedia.org/wiki/Perseus_and_Andromeda_(Titian)
[7] https://en.wikipedia.org/wiki/The_Rape_of_Europa_(Titian)
[8] https://www.nationalgallery.org.uk/paintings/titian-the-death-of-actaeon
[9] Charles FitzRoy, « The Rape of Europa: The Intriguing History of Titian’s Masterpiece »
https://books.google.fr/books?id=zhF0BgAAQBAJ&pg=PT21#v=onepage&q&f=false
[10] Panofski, « Problems in Titian, mostly iconographic », 1969, p 165
[11] https://www.nationalgallery.org.uk/paintings/titian-diana-and-actaeon
[12] https://www.nationalgallery.org.uk/paintings/titian-diana-and-callisto
[13] Marie Tanner, « Chance and Coincidence in Titian’s Diana and Actaeon », The Art Bulletin Vol. 56, No. 4 (Dec., 1974), pp. 535-550 https://www.jstor.org/stable/3049300
[14] James Lawson, « Titian’s Diana Pictures: The Passing of an Epoch » Artibus et Historiae Vol. 25, No. 49 (2004), pp. 49-63 https://www.jstor.org/stable/1483747

Les précurseurs : 2 autres sujets

19 avril 2020
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Dès la fin du  XVème siècle sont explorés toute une série de sujets, dont certains deviendront par la suite des standards des pendants.

Diptyques allégoriques

Les revers des triptyques, le plus souvent peints en grisaille, montrent soit une scène binaire (Annonciation, Adam et Eve), soit une scène continue (c’est le cas pour la plupart des triptyques de Bosch).

De manière exceptionnelle, cette bipartition naturelle a été utilisée au service d’une allégorie.

Allegorie auf Leben und Tod 1480 Nürnberg, Germanisches NationalmuseumAllégorie de la Mort et de la Vie, vers 1480, Germanisches Nationalmuseum, Nuremberg

Le volet de gauche montre un cadavre nu, en hiver (voir les glaçons qui pendant aux rochers du mont et aux talus du premier plan), abandonnée sur une terre ruinée par le Déluge.

Dans le volet de droite, un couple en habits contemporains, avec ses deux enfants, reconstitue l’Humanité près d’une source, devant un paysage verdoyant repeuplé de maisons et d’oiseaux.


Memling 1485-90 diptyque allegorique MET Memling 1485-90 diptyque allegorique Boijmans van Beuningen Rotterdam

Jeune femme avec un oeillet, MET (43.2 x 17.5 cm)

Deux chevaux et un singe devant un paysage, Museum Boijmans van Beuningen, Rotterdam 43.5 x 18 cm)

Memling et atelier, 1485-90

Ce diptyque, longtemps resté énigmatique, oppose l’amour courtois et l’amour charnel. Pour une analyse détaillée, voir 6 La dame, le singe et les deux chevaux.


 Les âges de l’Homme et de la Femme

Les dix âges de l’homme, Maître aux banderoles, vers 1475, Bayerisches Staatbibliothek

Le thème des Ages de l’Homme a mis du temps à trouver sa forme idéale : ici les dix Ages  sont répartis en deux lignes, chacun illustré par un animal symbolique (chien, taureau, faucon, lion, renard, loup, chat, chien, âne, oie) [1] .


Jorg Breu (der Jungere), Escalier de la vie 1540 ca RijhsmuseumL’Escalier de la vie (Lebenstreppe), Jörg Breu le Jeune ?, 1540 Cristofano Bertelli, c. 1560 Escalier de la vie masculine RijksmuseumL’Escalier de la vie de l’homme, Cristofano Bertelli, vers 1560

Rijksmuseum, Amsterdam

L’image prend une forme nouvelle à partir de 1540, sous forme d’une construction en gradins peut-être inspirée par les pignons des pays germaniques : l’Escalier de la Vie. On retrouve dans des niches presque les mêmes animaux, uniquement des quadrupèdes (bouc, veau, taureau, lion, renard, loup, chien, chat, âne). Sous l’arche, un couple comparaît devant Dieu au jour du Jugement Dernier entre les Elus et les Damnés, de sorte que les Ages qui montent vers la quarantaine rugissante se trouvent côté Paradis et ceux qui en descendent côté Enfer. Manière habile d’appuyer une nouveauté iconographique sur une formule bien rodée.

Peu de temps après, Bertelli reprend la même idée, en version italienne et loquace : les quadrupèdes dans les niches sont proches de ceux de la gravure allemande et agrémentés chacun d’une notice explicative : porcelet (manières frustres), agneau (innocence), chevreuil (agilité), taureau (force), lion (roi parmi les mortels), renard (ruse), loup (avidité), chien de chasse (avarice), âne (« comme un vieil âne qui se couche et renâcle, le vieillard s’assied et mange en marmottant ») [2].

La scène sous l’arche s’est redéployé en haut dans les médaillons du Paradis (Dieu entouré d’anges) et de l‘Enfer (Diable entouré de démons), tandis qu’en bas la Mort frappe aussi bien le Bon que le Méchant, emportés ensuite vers leurs séjours respectifs.


Cristofano Bertelli, c. 1560 Escalier de la vie masculine RijksmuseumL’Escalier de la vie de l’Homme Cristofano Bertelli, c. 1560 Escalier de la vie feminine RijksmuseumL’Escalier de la vie de la Femme

Cristofano Bertelli, vers 1560, Rijksmuseum, Amsterdam

Bertelli est semble-t-il le premier à décliner le sujet en version féminine. Outre les neuf femmes des gradins (les âges ne sont plus indiqués, par galanterie), c’est l’ensemble de la gravure qui change.

Les animaux symboliques sont désormais des oiseaux : oisillon (voracité), dinde (démarche pressée), paon (oiseau de Junon), poule (maternité), autruche (force), cane (« comme la cane qui se nourrit dans l’eau et se fatigue à chercher une maigre nourriture, celle-ci refoule les désirs dans son coeur »), perroquet (lamentations répétitives), corbeau (figure triste), oie (« comme l’oie vielle et décharnée cherche sa nourriture avec peine, ainsi ma langue lèche le tombeau »). [0b]

Les scènes secondaires marquent quelques différences subtiles : notamment les démons autour du Diable, qui brandissent des accessoires pour dames (miroir, vase, collier, et une paire de menottes).


Opnamedatum: 2012-11-19Escalier des Ages de l’Homme Escalier de la vieillesse feminin(Trap des ouderdoms) 1596 - 1652, Claes Jansz. Visscher RikjsmuseumEscalier des Ages de la Femme

Trap des ouderdoms, gravures de Claes Jansz. Visscher, 1612 – 1652, Rijksmuseum

Escalier de la vieillesse couple(Trap des ouderdoms) Francoys van Beusekom 1612 - 1652
Escalier des Ages des Couples (Trap des ouderdoms), gravure de Francoys van Beusekom, 1612 – 1652, Rijksmuseum

La formule sera par la suite largement déclinée, soit en pendants, soit sous forme mixte comme dans le cas de cette série de gravures hollandaises.


LEIBER 1900 Ca LES-AGES-DE-L-HOMME-ADAMLes Ages de l’Homme avec la Tentation d’Adam LEIBER 1900 Ca LES-AGES-DE-LA-FEMME-EDEN-PARIS-MTPLes Ages de la Femme avec la Création d’Eve

Chromolithographies Leiber, vers 1900, Musée national de l’Éducation

Au cours des siècles, cette imagerie perdure et trahit les évolutions sociales : au constate ici qu’à la fin du XIXème siècle, chaque sexe se voit célébré par la scène biblique adéquate : l’Homme comme victime de la Faute, la Femme comme sous-produit de la Création. A noter aussi que les hommes et les femmes ne sont supposés former des couples qu’à vingt et trente ans, s’occupant ensuite des affaires de leur sexe.


 Sujets divers : Pays-Bas

La_cuisine_maigre Brueghel 1563 gravure de Van Der Heyden GallicaLa cuisine maigre La_cuisine_grasse Brueghel 1563 gravure de Van Der Heyden GallicaLa cuisine grasse

1563, gravures de Pieter van der Heyden d’après des dessins de Brueghel (Gallica)

 
Où Maigre-os , qui remue le pot, est un pauvre convive. Ce pourquoi à Grasse Cuisine j’irai, pour que je vive
(Ou Maigre-os Le pot mouue, est vu pouure Conuiue | Pource, a Grasse-cuisine iray, tant que ie viue)
Hors d’ici, Maigre-Dos, à une hideuse mine ; – Tu n’as que faire ici, car c’est grasse cuisine.

Les deux légendes insistent sur le personnage de Maigre-Homme (magherman, traduit par Maigre-Os ou Maigre-Dos dans une orthographe française très approximative). La légende de la première gravure peut se comprendre de deux manières : « Maigre-Homme étant un piètre convive, moi je préfère aller chez les Gros » ou bien « Maigre-Homme tente d’aller chez les Gros pour ne pas mourir ».


Brueghel cuisine maigre grasse schema
C’est ce deuxième sens qu’appuie le dessin : décrochant sa cornemuse, Maigre-Homme (en bleu) va tenter sa chance chez les Gros, mais se fait jeter dehors.

Cependant le dessin en dit plus que le texte, en développant des oppositions entre :

  • les deux femme qui allaitent (en jaune) ;
  • la chienne maigre et la chienne obèse (en violet).

Enfin, il existe un second personnage dédoublé, reconnaissable à sa coiffe : Gros-Homme (en vert) est assis à sa table, puis se fait happer à la porte des Pauvres :

  • pour partager leur pauvre pitance, dit la femme qui lui propose une assiette avec une carotte et un navet ;
  • ou bien pour accompagner ces légumes, dans un sous-entendu cannibale…


La_cuisine_grasse Brueghel 1563 gravure de Van Der Heyden GallicaLa cuisine grasse La_cuisine_maigre Brueghel 1563 gravure de Van Der Heyden GallicaLa cuisine maigre

Ainsi l’accrochage dans l’autre sens suggère la revanche de Maigre-Homme, d’abord mordu par un cochon, puis ensuite mangeant le Cochon.

L’opposition entre Cuisine Maigre et Cuisine Grasse sera repris par Jan Steen (voir Les pendants de Jan Steen) et se répercutera, en perdant sa connotation morale, jusqu’au XVIIIème siècle français (voir Chardin dans  Pendants nature morte : France et de Troy Les pendants de Jean-François de Troy).


 Sujets divers : Italie

Annibale_Carracci 1585-88 La chasse LouvreLa chasse Annibale_Carracci 1585-88 La peche LouvreLa pêche

Annibale Carrache, 1585-88, Louvre

Ces deux pendants, sas doute des dessus de porte destinés à un palais de la région de Bologne, juxtaposent des saynettes séparées et mélangent les classes sociales :

  • la forêt est le terrain de jeux des aristocrates, mais on voit surtout les chiens et les valets : l’un à droite sonne de la trompe pour avertir les chasseurs que la colllation est prête dans la clairière en contrebas ;
  • l’étang est le lieu des paysans et des marchands, mais on voit à droite un couple de personnes de qualité, avec leur enfant, en train d’acheter

Il n’y a pas véritablement de fonctionnement d’ensemble du pendant ; on notera cependant, au premier plan des deux bords externes, le même procédé de grandes silhouettes perchées au dessus de petites, de manière à creuser l’espace pictural à la fois verticalement et dans la profondeur.



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Annibale_Carracci 1605 Landscape-with-Diana and Callisto Mertoun HousePaysage avec Diane et Callisto, Annibale Carrache, vers 1605, Mertoun House, Annibale_Carracci 1605 Landscape-with-the-Toilet-of-Venus Pinacoteca Nazionale Bologna,Paysage avec la toilette de Vénus, Annibale Carrache et Francesco Albani, Pinacoteca Nazionale, Bologne

Ces deux toiles mythologiques sont séparées de plusieurs années et la seconde est surtout de la main d’Albani, l’élève de Carrache.

La composition du premier tableau est binaire, autour de l’arbre central :

  • à droite Diane est assise, avec trois nymphes et deux chiens ;
  • à gauche, la grossesse de Callisto est révélée par son refus de se baigner.

Lorsqu’il a été décidé de lui faire un pendant, il a fallu inventer une bipartition équivalente, de manière assez artificielle :

  • à droite Vénus est assise, avec trois suivantes et deux colombes ;
  • à gauche la fontaine ne sert qu’à équilibrer la partie « bain » du premier tableau.



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En ces tous débuts des pendants en Italie, le paysage est encore conçu comme un décor de théâtre devant lequel les personnages se placent. Il faudra attendre Poussin (voir Les pendants de Poussin) et surtout Rosa (voir Les pendants de Rosa) pour que le fonctionnement du pendant intègre à la fois les personnages et le fond.

Références :
[1] « Die Lebenstreppe: Bilder der menschlichen Lebensalter : eine Ausstellung des Landschaftsverbandes Rheinland », par Peter Joerissen; Cornelia K. Will, 1983
[2] On trouvera l’ensemble des traductions dans Passiflora. Histoire de la Médecine. Littérature, Arts, Anecdotes, Variétés, Paris : les laboratoires de la Passiflorine, 1931-1939, p 8
https://www.biusante.parisdescartes.fr/histoire/medica/resultats/index.php?do=page&cote=112775×04&p=83

L’âge classique : sujets mythologiques ou allégoriques

19 avril 2020
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Sujets mythologiques

Au XVIIème siècle, les pendants mythologiques sont pratiqués par tous les artistes majeurs, italiens ou hollandais (voir les articles détaillés dans Iconographie).

Ce court article regroupe quelques cas isolés, chez des artistes qui n’ont guère pratiqué la formule.

Jordaens 1640 ca Diane et Calisto coll priv 81 x 119,6 cmDiane et Calisto, collection privée Jordaens 1640 ca Marsyas maltraite par les Muses Mauritshuis 77cm × w 120cmDes nymphes coupant la barbe de Pan, Mauritshuis

Jordaens, vers 1640

D’un côté, des nymphes forcent Callisto, la favorite de Diane, à se dévêtir pour le bain, découvrant ainsi sa grossesse ;

De l’autre, elles coupent la barbe de Pan pour se moquer de lui, car il danse trop mal. Edith Wyss [1] a expliqué la provenance de cette scène rare : il s’agit d’une ekphrasis, la reconstitution d’un tableau antique décrit par Philostratus, que Jordaens a pu connaître au travers de la traduction en français par Blaise de Vigenère, éditée avec une illustration en 1629.


La logique du pendant (SCOOP !)

Apollon, qui domine le second tableau, ne figure ni dans le texte ni dans l’illustration de Vigenère. Sa présence se justifie pour équilibrer celle de Diane dans le premier, les deux étant, comme le rappelle E.Wyss, les enfants de Latone.

Ce pendant, formule rarissime chez Jordaens, est contesté à cause de sa composition selon deux diagonales montantes (et non en V comme il est d’usage à l’Age classique). Cette composition parallèle est selon moi voulue justement pour créer un  parallélisme, côté féminin et côté masculin, de ces deux histoires de « déshabillage » forcé.


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Francesco_Maffei_-_Perseus_Beheading_Medusa_-_WGA13835Persée coupant la tête de Méduse Scène mythologique

Francesco Maffei, vers 1650, Musée de l’Accademia, Venise

Ce pendant, par un peintre vénitien rare et virtuose, n’a jamais été complètement élucidé. Autant le sujet du premier tableau est clair, autant celui du second est vague : on a proposé, sans conviction,  les Amours de Mars et de Vénus, avec pour les deux personnages intermédiaires Vulcain en bas à droite et Mercure  en haut à gauche.


Accademia_-_Francesco_Maffei_-_Mythological_Scene detail dormeur Accademia_-_Francesco_Maffei_-_Mythological_Scene detail Mercure

SCOOP !

Il faut regarder le tableau dans le détail pour comprendre que le personnage du bas possède une longue oreille pointue, et que celui du haut tient entre deux doigts de sa main gauche une baguette, tandis qu’il introduit de sa main droite quelque chose dans le récipient, orné d’un Amour doré, que tiennent simultanément l’homme et la femme.

Il n’en faut pas plus pour remonter à l’histoire d’Ulysse et de Circé, racontée dans l’Iliade : alors qu’elle a déjà transformé tous ses compagnons en porcs (d’où l’oreille pointue), Circé propose à Ulysse un breuvage qui va l’asservir à son tour. Mais Mercure, le Dieu à la baguette d’or,  a fourni à Ulysse un antidote, une plante nommée Môly, grâce à laquelle il va échapper à la baguette de la magicienne et la soumettre à sa propre virilité.

Bref… La logique du pendant est donc celle de deux héros vainqueurs de deux femmes fatales.


Perseo_decapita_MedusaPersée coupant la tête de Méduse Ulisse_e_CirceMercure protégeant Ulysse des charmes de Circe

Annibal Carrache, 1595-1597, fresque du Camerino Farnese, Palais Farnese, Rome

Schema_del_Camerino_Farnese
L’amusant est que ce pendant délibérément elliptique n’est pas une invention de Maffei : il existe bel et bien, peint par Annibal Carrache cinquante ans plus tôt, dans un angle du Camerino Farnese.


Francesco_Maffei_-_Perseus_Beheading_Medusa_-_WGA13835
Perseo_decapita_Medusa detailPersée coupant la tête de Méduse Ulisse_e_Circe detailMercure protégeant Ulysse des charmes de Circe

Le cadrage resserré et l’inversion gauche/droite de la scène de Circé participent à l’intention cryptique : la décapitation de Méduse, montrée par Carrache, est cachée par Maffei derrière le bras de celle-ci, tandis qu’une femme aux seins nus,  sereine, brouille les pistes à l’arrière-plan. Et la scène de Circé est embrouillée par l’embouteillages de mains autourd’une coupe non identifiable et d’une baguette quasi indiscernable.

Le pendant de Maffei ne pouvait d’adresser qu’à des amateurs cultivés et  amateurs d’énigmes : la devinette mythologique servant de prélude à la révélation spectaculaire du pastiche.


 Sujets allégoriques

Alessandro Turchi 1606 Organ shutters closed left Royal Academy Trust Buckingham Palace Honneur suppL’Honneur ? Alessandro Turchi 1606 Organ shutters closed right Royal Academy Trust Buckingham Palace Vertu suppLa Vertu ?

Alessandro Turchi 1606, Royal Academy Trust Buckingham Palace

En 1606, l’Accademia Filarmonica de Vérone chargea Turchi de peindre les volets d’un orgue, pièce maîtresse de son music-hall nouvellement construit. Les volets clos montrent un couple de figures allégoriques dont le sens précis est incertain. Debout devant les portes avec lance et couronne de laurier, elles font figure de sentinelles gardant l’ouverture.


Alessandro Turchi 1606 Organ shutters opened left Royal Academy Trust Buckingham Palace MusicLa Musique Alessandro Turchi 1606 Organ shutters opened right Royal Academy Trust Buckingham Palace PoetryLa Poésie

L’ouverture des volets fait apparaître, de part et d’autre de l’orgue, deux allégories féminines évoquant le chant : musique et parole.


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Leonard Bramer 1640 ca Allegorie de la Vanite Kunsthistorisches Museum VienneAllégorie de la Vanité
Leonard Bramer 1640 ca Allegorie de la Fugacite Kunsthistorisches Museum VienneAllégorie de la Fugacité

Leonard Bramer, vers 1640, Kunsthistorisches Museum, Vienne

Ce pendant a pour but de distinguer deux concepts habituellement mélangés, en les illustrant par deux couples qui se répondent :

  • au luthiste jouant une partition marquée VANITAS, correspond le philosophe lisant un papier marqué MEMENTO MORI ;
  • à la jeune femme qui se regarde dans un miroir correspond le squelette qui regarde un crâne ;
  • à la collection du musicien – instruments à corde et flûte – correspond la collection du squelette – des crânes animaux, dont celui d’un cheval (voir Le crâne de cheval dans la peinture flamande).

Côté Vanité, des objets précieux s’accumulent : vases en d’argent, pièces, médaillon et chaîne d’or. Côté Fugacité, des objets fragiles se détériorent : plat et pots de terre cassés, sceau rongé et livres froissés, verre et pipe brisés.

La cuirasse sert d’objet-charnière : d’un côté, elle git aux pieds de la dame, suggérant que la bravoure a cédé à la vanité des plaisirs ; de l’autre, elle est posée sur la table à l’aplomb du crâne de cheval, suggérant que le chevalier qui la portait n’a laissé que sa carapace.


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Cerrini, Giovanni Domenico 1670 - 1680 Le temps ravit la beaute Kassel MuseumLe Temps ravit la Beauté Cerrini, Giovanni Domenico 1670 - 1680 Le temps devoile la verite Kassel MuseumLe Temps dévoile la Vérité

Giovanni Domenico Cerrini, 1670 – 1680 Kassel Museum

Ce pendant assez maladroit illustre deux effets classiques du Temps, l’un négatif et l’autre positif :

  • d’une part, tenant son sablier, il nous montre une coquette à sa toilette, dont la beauté est éphémère comme la fleur ;
  • d’autre part, arrachant sa robe, il révèle en pleine lumière la Vérité (une jeune femme vertueuse qui a posé sa palme sur son livre, sur fond de sagesse antique) au grand dam de l’Envie (se mordant les doigts) et de l’Ignorance (aux oreilles d’âne).

Le problème est que l’héroïne positive est manifestement effrayée, tandis que la coquette semble tout à fait satisfaite, ce qui brouille quelque peu le message.


Références :
[1] Edith Wyss, « An Unexpected Classical Source for Jacob Jordaens » dans The Hoogsteder Mercury, Journal 8 , https://hoogsteder.com/oldmaster/wp-content/uploads/2014/03/The-Hoogsteder-Mercury.pdf

Les pendants de Lancret

12 avril 2020
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Ami puis rival de Watteau, Lancret a produit un grand nombre de pendants, plus des séries (Saisons, Heures du jour, Ages de la vie, Contes de la Fontaine) que je n’ai pas traitées ici. J’ai établi la liste des pendants d’après le catalogue raisonné de G.Wildenstein [1] (les références en W sont celles de ce catalogue). La plupart des oeuvres n’étant pas datée, j’en ai conservé le classement thématique. Je n’ai pas commenté les quelques oeuvres pour lesquelles l’appariement semble fortuit, sans logique de pendant.

 La Danse

Lancret W133 1724 ca Dance before a Fountain (97.8 × 130.8 cm) The J. Paul Getty Museum, Los Angeles

Danse devant une fontaine (W133)
Lancret, vers 1724, The J. Paul Getty Museum, Los Angeles (97.8 × 130.8 cm)

Cette Fête Galante devant la fontaine du jardin du Luxembourg se développe dans le format « paysage » habituel pour ce type de scène Elle montre deux couples de danseurs exécutant une figure typique de la contredanse, le moulinet à quatre. Lancret est le seul, parmi toutes les Fêtes Galantes peintes au XVIIIème siècle, à avoir représenté cette danse, très précisément Le Cotillon: danse à quatre ([2], p 72).


lancret W132 Le Moulinet. 129 x 95 cm. Schloss Charlottenburg, BerlinLe moulinet devant la charmille (W132 fig 33) Lancret W205 1730 Danse dans un pavillon Schloss Charlottenburg Berlin 130 x 97 cmLa danse dans un pavillon (W205 fig 3)

Lancret, Schloss Charlottenburg, Berlin

C’est probablement dans un second temps qu’il a repris la scène en format « portrait », en supprimant à droite le groupe d’enfants ([2], p 78). La fontaine s’est réduite à une statue de Bacchus et le « clin d’oeil parisien » s’est transporté dans le second tableau, où l’on reconnait au plafond « Le Temps soustrait la Vérité aux atteintes de l’Envie et de la Discorde » peint par Poussin pour le Palais Cardinal.

La charmille à six pans a été ingénieusement introduite comme motif de jonction : elle montre, vue de l’extérieur, la même forme que le second pendant nous montre de l’intérieur. En rajoutant une marche arrondie, Lancret accentue l’analogie avec la salle circulaire.


La logique du pendant

Elle est sans doute d’opposer la contredanse en plein air, au son campagnard de la cornemuse, et la danse noble dans un Salon de Musique, au son d’un orchestre plus formel.


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Lancret W149 Danse devant la fontaine Schloss Sanssouci PotsdamDanse à la fontaine, (W149 fig 47) Lancret W232 Escarpolette Schloss Sanssouci PotsdamL’Escarpolette (Die Schaukel) (W232 fig 49)

Lancret, Salon de musique du château de Sanssouci, Potsdam (détruits en 1942)

Dans le même ordre d’idée, le lien immatériel que la musique trace entre les deux danseurs contraste avec la corde grossière entre les deux amoureux (tandis qu’un tiers couché sur le sol tente de regarder sous la robe).


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Lancret 1743 ca Le concert champetre coll privLe concert champêtre Lancret 1743 ca Le jeu du Pied-de-Boeuf coll privLe jeu du Pied-de-Boeuf

Lancret, vers 1743, collection privée

Même complémentarité entre les deux types de divertissement de la noblesse : la musique et le jeu.

Les jeux

 

Lancret W221 Jeu de cache-cache Mitoulas Houston Museum of Fine ArtsLe cache-cache Mitoulas (Blind Man’s Bluff) (W221 fig 58) Lancret W219 Balancoire Houston Museum of Fine ArtsLa Balançoire (W219 fig 56)

D’un jeu à l’autre, Lancret prend plaisir à intervertir les sexes entre les trois types de participants :

  • le joueur (celle qui doit attraper le foulard, celui qui doit éviter de monter en l’air) ;
  • le maître du jeu (celui qui donne le foulard, celle qui est la plus lourde) ;
  • les comparses (celles qui vont se passer le foulard, celui qui fait contrepoids).

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Lancret W220 Jeu de cache-cache Mitoulas (Le menuet) Gravure de LarmessinLe cache-cache Mitoulas (Le menuet) (W220) Gravure de Larmessin Lancret W253 Les quatre coins Statens Museum for Kunst CopenhagueLes quatre coins (W253) Statens Museum for Kunst Copenhague

Ici le garçon, entouré de filles, passe de la situation de meneur de jeu à celle de chasseur.

Voici le texte des gravures de Larmessin  :

Quoy; jeune homme, tu veux que l’aimable Climène
Cette beauté naissante et cette grâce extrême,
Coure après le mouchoir et le cherche avec peine ?
Méritent bien plustost qu’on le lui vienne offrir
Peux-tu le vouloir sans rougir ?
De la part de l’Amour lui-même

T’exposant au milieu de ces jeunes pucelles
Afin de disputer le terrain avec elles
Tircis, tu jouerais de malheur
Quel qie soit le progrès que ton adresse fasse
A ce jeu tu ne peux que leur prendre une place,
En revanche on prendra ton coeur.


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Lancret W233 Escarpolette StockholmL’Escarpolette (W233 fig 54) Lancret W229 Colin Maillard 1728 Nationalmuseum, Stockholm.Le Colin Maillard (W229 fig 53)

Lancret, 1728, Nationalmuseum, Stockholm

Ce pendant extérieur / intérieur rappelle fortement celui de Charlottenburg, avec son salon circulaire. Lancret détourne subtilement les deux jeux vers des situations ambiguës :

  • l’escarpolette devient un jeu de badinage à trois plus un (celle qui est poussée et tirée, celle qui fait tapisserie) ;
  • comme le soulignent les deux bustes masculin et féminin qui encadrent le couple, le jeu de groupe devient un jeu à deux, allégorie de la séduction (la plume et le bandeau)

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Lancret 1723-27 panneau decoratif avec une balancoire Cleveland, The Cleveland Museum of ArtLa balançoire Lancret 1723-27 panneau decoratif avec un tonneau Cleveland, The Cleveland Museum of ArtLe vignoble Lancret 1723-27 panneau decoratif avec une escarpolette Cleveland, The Cleveland Museum of ArtL’escarpolette

Lancret, Panneaux décoratifs, 1723-27, The Cleveland Museum of Art

Le jeu rustique et enfantin de la balançoire – un madrier et une souche sous le signe de l’écureuil – complète le jeu plus adulte de l’escarpolette – sous le signe du coq et du clocher.

Au centre, un plaisir moins anodin : la boisson qui trouble l’esprit – sous le signe de la chouette.


Le théâtre

 

Lancret W258. 1739 Le philosophe marieScène tirée du Philosophe marié, de Destouches (W258 fig 65) Lancret W259 Le glorieux PGLe glorieux (W259 fig 66)

Lancret W275 L'occasion fortunee gravure de ScottinL’occasion fortunée (W275 fig 70) Lancret W276 Les charmes de la conversationLes charmes de la conversation (W276 fig 69)


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Lancret W292 LA-LECON-DE-MUSIQUE Louvre ParisLa leçon de musique (W292) Lancret W293 Innocence Louvre ParisL’innoncence (W293)

Dessus de porte provenant du château de Fontainebleau, Louvre, Paris

La symétrie entre le pilastre et la niche suggère que les deux portes devaient être placées à peu de distance l’une de l’autre.

Le thème commun est celui de l‘éducation d »un jeune fille par un couple plus âgé :

  • à gauche elle apprend à lire la musique et à chanter, accompagnée par une guitare ;
  • à droite on lui montre un oiseau qu’on libère de sa cage, mais qui reste tenu par un fil.

La métaphore implicite est que la jeune fille est comme l’oiseau : son chant est beau et son pucelage est volage (voir L’oiseau envolé).


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Lancret W304 D'un baiser que Tirsis Coll privD’un baiser que Tirsis (W304) Lancret W303 Que le coeur d'un amant est sujet a changer Coll privQue le coeur d’un amant (W303)

Lancret, vers 1720

Voici les quatrains qui accompagnent les deux gravures par Silvestre :

D’un baiser que Tircis caché dans ces beaux lieux,
Subtilement a su ravir à sa bergère
C’est en vain qu’elle veut lui montrer sa colère
Son amant moins timide en est plus glorieux.
Sa compagne et Damon, cette grotte et ces bois
Tous contre sa fierté conspirent à la fois
Une belle à l’écart qui se laisse surprendre
Quoi qu’elle puisse faire, a peine à se défendre. [3]

Que le coeur d’un amant est sujet à changer
Vous le voyez par ce berger
Il n’avoit autrefois des yeux que pour Silvie
Maintenant elle marque en vain sa jalousie.
Il se voit reprocher son infidélité
Sans en être déconcerté.
Epris d’un autre objet, ce n’est plus qu’à Lisette
Qu’il adresse aujourd’hui les sons de sa musette.

Les deux gravures illustrent deux conduites amoureuses masculines, en présence d’un couple faire-valoir :

  • la séduction : Tircis embrasse par surprise sa bergère (malgré la présence d’une compagne et de Damon) ;
  • la trahison : le berger lâche Silvie pour Lisette (en présence d’un couple indifférent).


La série comportait un second pendant : comme souvent chez Lancret, il oppose la Musique et la Danse :

Lancret W313 Trop indolent TircisTrop indolent Tircis (W313 fig 84) Lancret W314 Veux-tu d'une inhumaineVeux-tu d’une inhumaine (W314 fig 85)
 

Trop indolent Tircis laisse la sinfonie,
Un soupir, un regard, un transport, un souris
Sont les meilleurs accents des coeurs bien attendris,
Et forment les accords les plus doux de la vie.
La musique a son temps, mais l’amour a ses droits :
Ce Dieu seul vous rassemble en cette solitude,
Pour gouter ses plaisirs sans nulle inquiétude,
Et ne les révéler qu’aux échos de ces bois.

Veux-tu d’une inhumaine emporter la tendresse ?
Fais lui voir en dansant ton heureuse vigueur.
Les charmes de la danse ont soumis plus d’un coeur
Qui n’aimoit dans l’amant que la force et l’adresse.
Ce vieillard attentif, se réveille aux plaisirs
Dont il rapelle encore la douceur et l’usage ;
Mais il s’anime, en vain, il ne forme à son age,
Que d’importans regrets, que d’impuissans Désirs.

Les textes introduisent une symétrie peu visible dans les images, suggérant que chacune montre un exemple et un contre-exemple :

  • Tircis, trop indolent, ferait mieux de prendre exemple sur le couple du fond, et de laisser la musique pour une approche plus directe ;
  • Le danseur fait bien de montrer sa vigueur sexuelle par la danse (comme le confirme l’Hermès), le contre-exemple étant le vieillard.

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Suite Hortemels

Cette série de quatre scènes, gravées par Louise-Magdeleine Hortemels, évoquent les Quatre heures du jour. Elle se compose de deux pendants :

Lancret W542 Lise s'en va changer Louise-Magdeleine_Horthemels1 Lise s’en va changer d’humeur et de visage (La toilette) (W542 fig 147) Lancret W319 Quand vous voulez toucher quelque coeur amoureux4 Quand vous voulez toucher quelque coeur amoureux (Soirée de musique) (W319 fig 86)

Ce premier pendant, intérieur-intérieur, oppose deux tables, l’une avec son miroir et l’autre avec sa partition, pour illustre les ruses féminines :

Lise s’en va changer d’humeur et de visage
Après avoir passé près de son cher époux
Tote la nuit comme un hibou
Pour qui donc ce bel étalage ?

Quand vous vouz toucher quelque coeur amoureux
Belle ou non vous scavés ce secret à merveille
Si le poison répugne à prendre par les yeux
Vous le faires entrer par l’oreille


Lancret W323 Quoy, n'avoir pour vous trois qu'une seule bouteille2 Quoy, n’avoir pour vous trois qu’une seule bouteille (Collation champêtre) (W321) Lancret W322 Pres de vous belle Iris3 Près de vous belle Iris (Sieste de midi) (W320)

Ce second pendant, extérieur-extérieur, évoque deux moments amoureux : l’apéritif (avec une bouche surnuméraire) et la mise en bouche (l’éventail et le parasol protègent faiblement ce que la robe dévoile)

Quoy! n’avoir pour vous trois qu’une seule bouteille,
C’est bien peu pour vous mettre en train,
Il faloit mieux Lisandre aporter plus de vin
Et n’amener au bois avec vous qu’une belle.

Près de vous belle Iris ce fantasque minois,
Met mon esprit à la torture
Que cherchés vous par avanture
Dans le milieu du jour et sur le bord d’un bois


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Lancret, Nicolas, 1690-1743; 'In this pleasant solitude...'Dans cette aimable solitude (W330 fig 92) Lancret, Nicolas, 1690-1743; 'With a tender little song...'Par une tendre chansonnette (W328 fig 91)

Lancret, Fitzwilliam Museum, Cambridge

Les deux scènes confrontent une femme assise avec son éventail, et un homme debout, avec son béret. Dans l’une l’arbre sépare le couple, dans l’autre il le réunit. Le texte des gravures de Cochin éclaire les deux situations, que résume la tête voilée ou couronnée de fleurs de la belle : retenue ou affichage des sentiments.

Dans cette aimable solitude ,
Ces amans par leur attitude
Respectent leur jeune témoin
Peut être si de les entendre ,
ll ne se donnait pas le soin ,
Leur posture seroit plus tendre

Par une tendre chansonnette
On exprime ses sentiments
Souvent la flute et la musette
Sont l’interprète des amans


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Lancret W338 Arrivee d'une dame dans une voiture trainee par des chiens W337 musee de NantesArrivée d’une dame dans une voiture trainée par des chiens (W338) Lancret W337 Avant le bal costume musee de NantesAvant le bal costumé (W337)

Lancret, Musée d’Arts, Nantes

Ce pendant extérieur-intérieur montre deux scènes costumées :

  • dans le premier tableau, un groupe interrompt son aubade pour accueillir une jeune femme portant un turban à la turque et sa compagne, qui arrivent dans un traîneau tiré par des chiens. L’aubergiste prépare les bouteilles et les miches, sa femme invite les convives à entrer dans la salle où brûle un bon feu.
  • dans le second tableau, seuls les hommes sont costumés (en Mezzetin, en Pierrot, en pèlerin).

Sous une forme légère, les deux sujets dénotent une certaine critique de la domination féminine :

  • la dame tirée par des chiens travestis en chevaux fait écho à celle qui parade au milieu des mâles costumés ;
  • la petite fille qui s’empare de la guitare abandonnée et celle qui tire un cavalier par une ficelle, apprennent déjà leur métier de femme.



Scènes galantes

 

Lancret W413 L'amusement du petit maitreL’amusement du petit maître (W413 fig 100) Lancret W414 La_belle_complaisanteLa belle complaisante (W414 fig 99)

Les textes des gravures, par De Farannes chez de Larmessin, donnent la clé du pendant :

A de traîtres soupirs gardès vous de vous rendre,
Tournés la téte, aimable Iris,
Un jeune cœur y peut étre surpris,
Et vous verrés de quoi vous deffendre

Pour l’un le billet doux, et pour l’autre, la main ;
Tout ce qu’elle refuse est une bagatelle,
Rien de galant ne coûte à l’aimable Catin.
C’est un sincère amour, un cœur tendre et fidèle

Il s’agit donc de deux scènes de rouerie :

  • dans la première, un homme courtise une fille tandis que par derrière arrive une autre de ses conquêtes ;
  • dans la seconde, une fille se laisse courtiser par un gentilhomme tout en envoyant par derrière un mot doux à un abbé.

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Lancret W465 1740 ca A femme avare galant escroc gravure LarmessinA femme avare galant escroc ( W645), gravure de 1738 Lancret W664 On_ne_s'avise_jamais_de_tout gavure Larmessin_Nicolas GallicaOn ne s’avise jamais de tout (W664), gravure de 1742

Lancret, Gravures de Larmessin,

Ce deux sujets ont été peints en pendants, avant d’être intégrés par Larmessin à la série des Contes de La Fontaine

«Rayez les cent Louis prêtés: car A Madame
Hier devant temoins je les ay bien rendus:
L’epoux en ragerait encor plus que la femme
S’il scavoit à quel titre elle les a reçus »

« Tu me dis qu’elle attend un autre vestement
Et qu’on a sur le Sien jetté d’une Fenestre
J’entens : Les Tours malins de Coquette et Damant
J’ay crû les scavoir tous : Mais j’ay trouvé mon maitre »

Il s’agit là encore de deux histoires de rouerie, masculine et féminine : un mari est trompé par son emprunteur, l’autre par sa femme Coquette.


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Les Rémois (Contes de La Fontaine, Livre III, 3) [4]

Lancret W652 les lunettes Musee de Tours

Les Rémois (W669)
Musée de Tours [5]

La femme volage d’un Peintre a invité à manger deux voisins pendant que son mari est absent. Mais il revient, les deux voisins se cachent (porte de gauche) et la femme, pour justifie le repas, dit qu’elle a invité les deux épouses des voisins. Pendant que la femme du peintre descend à la cave chercher du vin avec l’une des invitées (porte de droite), le Peintre lutine l’autre sous les yeux du mari :

« L’Epoux vid donc que, tandis qu’une main
Se promenoit sur la gorge à son aise,
L’autre prenoit tout un autre chemin ».

La composition aide à comprendre l’histoire :

  • le Peintre a quitté sa chaise,
  • les deux autres chaises vides, situées sous les maris cachés, rappellent que c’est eux qui primitivement devaient s’asseoir à la table ;
  • les chiens, couchés sous chaque porte, soulignent que tous les protagonistes sont soumis à la volonté du Galant.

Les Lunettes (Contes de La Fontaine, Livre IV, 12) [6]

Lancret W669 les Remois Musee de Tours

Les lunettes (W652)
Musée de Tours [5]

S’étant déguisé en nonne et vivant à l’intérieur d’un couvent, un jeune homme déclenche chez une de ses conquêtes la pousse d’un « petit champignon ». L’enquête s’ensuit, le garçon dissimule son anatomie comme il peut :

« …ce reste de machine,
Bout de lacet aux hommes excedant.
D’un brin de fil il l’attacha de sorte
Que tout sembloit aussi plat qu’aux Nonains ».

Malheureusement :

« Fermes tetons, et semblables ressorts,
Eurent bien tost fait joüer la machine :
Elle eschapa, rompit le fil d’un coup,
Comme un coursier qui romproit son licou,
Et sauta droit au nez de la Prieure,
Faisant voler lunettes tout à l’heure
Jusqu’au plancher. Il s’en falut bien peu
Que l’on ne vist tomber la lunetiere. »

Les Nonnes attachent donc le garçon à un arbre, et vont chercher leurs fouets. Passe un meunier, auquel le garçon raconte que les nonnes vont le punir parce qu’il a résisté à leurs avances. Emmoustillé, le Meunier propose de prendre sa place :

« L’autre deux fois ne se le fait redire ;
Il vous l’attache, et puis luy dit adieu.
Large d’épaule, on auroit veu le Sire
Attendre nud les Nonains en ce lieu.
L’escadron vient, porte en guise de Cierges
Gaules et foüets : procession de verges
Qui fit la ronde à l’entour du Meusnier… »

Par les sacs déposés à terre en bas à droite, Lancret nous fait comprendre que l’homme attaché est bien le meunier ; et il fait porter discrètement les lunettes à la soeur à l’arrière-plan.


La logique du pendant

Lancret W652 les lunettes Musee de Tours Lancret W669 les Remois Musee de Tours

Aussitôt après la mort de Pater en 1736, Lancret poursuit la série des tableaux réalisés par l’artiste d’après les Contes de La Fontaine (Wildenstein en a dénombré au total 43). Le format carré (1,02 x 1,02 m) de ces deux tableau et le fait qu’ils étaient autrefois chantournés laisse supposer qu’ils ont bien été conçus comme pendants.

Dans ce type de pendant illustratif, les contraintes narratives prennent le dessus et on ne peut s’attendre à de fortes correspondances. On notera néanmoins :

  • la structure intérieur / extérieur ;
  • la composition symétrique mais légèrement décentrée (nonnes autour de l’arbre, maris et femmes de part et d’autre de la table) ;
  • un Trompeur impuni (le garçon déguisé, la femme du Peintre).
  • un Galant puni et un Galant triomphant.

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Les oyes du frère Philippe (Contes de La Fontaine, Livre III, 3) [7]

Lancret W658 Les oyes du frere Philippe MET 27,3 35,2 cm cuivre

Les oyes du frère Philippe (W658) MET

Un jeune homme a été élevé loin du monde par son père, un ermite nommé Frère Philippe. Un beau jour, il va en ville et voit passer de jeunes beautés :

« Ravi comme en extase à cet objet charmant :
Qu’est-ce là, dit-il à son pere,
Qui porte un si gentil’habit ?
Comment l’appelle-t-on ? Ce discours ne plut guere
Au bon Vieillard, qui répondit :
C’est un oyseau qui s’appelle Oye.
O l’agreable oyseau ! dit le fils plein de joye.
Oye, hélas, chante un peu, que j’entende ta voix.
Peut-on point un peu te connoistre ?
Mon pere, je vous prie et mille et mille fois,
Menons en une en nostre bois,
J’auray soin de la faire paistre. »


Le gascon puni (Contes de La Fontaine, Livre II, 13) [8]

La Fontaine, Le Gascon puni / N.Lancret - -

Le gascon puni (W648), Salon de 1738, Louvre

L’histoire, assez complexe, est pleine de rebondissement : la belle Phillis a demandé à une Gascon qui la courtise un service bien particulier : se déguiser en femme pour prendre pendant une nuit, dans le lit de leur voisin Eurilas, la place de sa voisine Cloris, afin qu’elle puisse rejoindre son amant, Damon. Toute la nuit, le Gascon vit dans la terreur qu’Eurilas ne se réveille :

« Son coucheur cette nuit se retourna cent fois,
Et jusques sur le nez luy porta certains doigts
Que la peur luy fit trouver rudes.
Le pis de ses inquietudes,
C’est qu’il craignoit qu’enfin un caprice amoureux
Ne prist à ce mary… »

Au matin, coup de théâtre : ce n’est pas avec Eurilas qui l’a couché :

« C’estoit Philis, qui d’Eurilas
Avoit tenu la place, et qui sans trop attendre
Tout en chemise s’alla rendre
Dans les bras de Cloris qu’accompagnoit Damon. »

Lancret nous montre la chute : Phillis nargue le Gascon puni

« En luy monstrant ce qu’il avoit perdu,
Laissoit son sein à demy nu. »


La logique du pendant

Lancret W658 Les oyes du frere Philippe MET 27,3 35,2 cm cuivre La Fontaine, Le Gascon puni / N.Lancret - -

Lancret, 27,3 35,2 cm cuivre

Ces deux versions sur cuivre n’ont peut être pas constitué des pendants (il existe neuf cuivres des Contes de la Fontaine, tous de la même taille), mais on sait qu’un pendant sur bois de ces deux sujets est passée en vente en 1752 (W649).

Ce n’est pas ici l’histoire, mais la composition à quatre personnages qui justifie l’appariement :

  • deux jolies femmes s’étreignent ;
  • un nigaud tend le bras droit ;
  • un homme averti ferme le ban.



 Le bain

 

Lancret W445 1737 ca Le repas au retour de la chasse Louvre 97 x 145 cm.Le repas au retour de la chasse (W445) 90 x 1,235 m Lancret-W433-1737-ca-Baigneuses-et-spectateurs-dans-un-paysage-Les-Plaisirs-du-bain-Louvre-97-x-145-cmLes plaisirs du bain (W433 fig 104) 97 x 1,45 m

Lancret, 1737, Louvre

Ces deux tableaux appartenaient au marquis de Beringhen. Ils associent deux scènes de plein air, la collation et le bain, association plusieurs fois utilisée par Pater (voir Baigneuses).



Lancret W433 1737 ca Schema
Les deux tableaux ne se répondent pas par symétrie, mais se complètent dans une logique panoramique : une série de paliers horizontaux fait sinuer l’oeil du haut de la fontaine à la pelouse du second tableau, accompagnant les convives d’un plaisir à un autre, au gré des deux embarcations.



Oiseaux

 

Lancret le_nid_doiseauxLe nid d’oiseaux (W456 fig 112) Lancret W457 Les tourterelles LouvreLes tourterelles (W457 fig 114)

Lancret, Louvre

Dans le premier tableau, le villageois qui refaisait son toit a decouvert un nid, qu’il amène à la bergère pour qu’elle les mette dans sa cage (sur cette métaphore sexuelle, voir La cage à oiseaux : y entrer).

Dans le second, il lui montre l’exemple de deux tourterelles qui se bécotent.


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Lancret W552 La bergere avec des tourterellesLa bergère avec des tourterelles (W552 fig 117) Lancret W551 La taquineLa taquine (W551 fig 136)

Ce pendant en V prolonge l’histoire, en mode grivois :

  • d’abord l’homme montre ses deux tourterelles à la fille ;
  • du coup, celle-ci s’enhardit à lui chatouiller le visage pendant qu’il dort, son outil de travail sur le genou ; la souplesse de la branchette souligne la rigidité de la houlette.



Scènes villageoises

 

Lancret W514 1735 La danse au village Musee d'AngersLa danse au village, (W514) Lancret W515 1735 Un festin de noces de villages Musee d'AngersUn festin de noces au village, (W515)

Lancret, 1735, Musée d’Angers

D’un côté la danse sur la place du village, de l’autre le festin dans le cour d’une maison


 

Lancret 1737-40 Le mariage au village Waddesdon ManorLe mariage au village ; The Wedding BreakfastLe déjeuner de noces

Lancret, 1737-1740, Waddesdon Manor [9]

Même opposition entre espace public et espace privé, mais les sujets sont un peu différents. Le second tableau joint les thèmes de la danse et du festin.

Le premier représente probablement le cortège de mariage partant pour l’église : en tête le père de la mariée avec sa fille, derrière la mère du marié avec son fils. Comme dans un tableau de Pater qui lui ressemble beaucoup (voir Dans la lignée de Watteau), certains détails semblent ironiser sur les « bonheurs » du mariage : l’âne (condamné désormais à tirer le collier), le couple libre du premier plan, le bébé dans son berceau.



Autres sujets

 

Lancret W529 1710-43 Dans la cuisine ErmitageUne cuisine (W529) Lancret W530 1710-43 Le Valet Galant ErmitageLe Valet Galant  (W530)

Lancret, début XVIIIème, Ermitage

Sous couvert d’illustrer le thème classique de la cusine grasse (viandes sur table rouge) et de la cuisine maigre (poissons sur table grise), ce pendant met en scène, entre rideaux et nappes, une sensualité qui excède celle des plumes, des poils, des écailles et des légumes :

  • une fille, entre deux volailles pendantes, regarde sa compagne renifler l’entrejambe d’un lièvre de belle taille ;
  • un valet prend en tenaille une fille qui lui résiste en levant mollement son petit doigt.



 Portraits

Lancret W582 1730 La camargo Wallace Collection 42 x 55 cmLa Camargo (W582), 1730 Wallace Collection (42 x 55 cm). Lancret W598 1732 Marie Salle Chateau de Rheinsberg Brandenburg 42 × 54 cmMarie Sallé (W598), 1732, Chateau de Rheinsberg, Brandenburg (42 × 54 cm)

« Ah, Camargo, que vous étes brillante Mais que Sallé, grands dieux, est ravissante! Que vos pas sont légers et que les siens sont doux ! Elle est inimitable et vous êtes nouvelle. Les Nymphes sautent comme vous. Mais les Grâces dansent comme elle. » Mercure de France, Janvier 1732.

Ces deux tableaux de deux stars de l’époque ont eu de nombreuses répliques : selon Wildenstein, l’exemplaire de la Wallace Collection serait le premiel Camargo, mais le premier Sallé n’est pas connu.



Turqueries

 

Lancret W684 Le turc amoureuxLe Turc amoureux (W684) Lancret W685 La belle grecque Art_Institute_of_ChicagoLa belle Grecque (W685)

Sous l’Ancien Régime, la mode était aux Turcs, pas encore à la cause de la libération des Grecs.

Les textes des gravures par Schmidt, en 1736, manient aimablement les paradoxe du Turc moins féroce que l’Amour, et de l’Esclave qui domine le Sultan :

Jusque dans ce climat barbare
L’amour porte à mon cœur les plus terribles coups,
Et sans cesse on m’entend chanter sur ma guitare :
Maudit soit cet Enfant qui montre un air si doux :
Il est cent fois plus Turc que nous.

Jeune beauté, votre esclavage
Ne vous empêche pas de captiver les cœurs.
Les Sultans les plus fiers vous offrent leurs hommages
Et par le seul pouvoir de vos yeux enchanteurs
Vous triomphez de vos vainqueurs


Pendants incomplets

Lancret, Nicolas, 1690-1743; An Italian Comedy SceneUne scène de la Comédie Italienne (W323) Le joueur de flûte (W103)


Lancret W462 La chasse a la pipee Wallace CollectionChasse à la pipée (W462 Wallace fig 118) Danse champêtre (W162)


Lancret W416 La femme commodeLa femme commode (W416 fig 211) L’amant indiscret (W416bis)


 

Lancret W298 Le concert dans le parc Pushkin MuseumLe concert dans le parc (W298 fig 81) Musee Pouchkine, Moscou Berger et bergère tenant une cage, debout (W466)

 

Lancret W473 Le berger indecis VetA museumLe Berger indecis (W473 )Veux-tu d’une inhumaine (W317)

Variante du W314, sans le vieillard



Pendants non retrouvés

  • Danse champêtre W171, Escarpolette W241
  • Bal champêtre W173, Concert W174
  • Danse champêtre W175, Balancoire W217
  • Un bal W214, Fête champêtre W398
  • Joueur de flûte W110, Deux jeunes filles dans uun paysage W111 La danse champêtre W180, La balançoire W181
  • Colin Maillard W230, Jeu des gages W243
  • Escarpolette W240, Réunion dans un parc W372
  • Scène de la Comédie italienne W325, Groupe joyeux et plaisant de trois figures W421
  • Sujet galant W423, Voleurs dépouillant un voyageur W560
  • Femme saisissant un capucin par son cordon W533, Homme filant près d’une jeune fille W536
  • Un religieux et une jeune fille W549,Le repos W550
  • L’enlèvement d’Hélène W722, Parodie du jugement de Pâris W725



Faux pendants

Lancret-La-Bergere-Endormie-Et-Le jeune seigneur Musee Jacquemart AndreLa bergère endormie et le jeune seigneur W475 (0,65 x 0,48 cm) Lancret Jeune homme offrant des fleurs de son chapeau a une jeune fille, dit aussi L'offre des fleurs Musee Jacquemart AndreJeune homme offrant des fleurs de son chapeau à une jeune fille (dit aussi L’offre des fleurs) W476 (0,61 x 0,48 cm) 

Lancret, début XVIIIème, Musée Jacquemart-André

Ces deux toiles de taille différente n’ont pas de provenance commune.



Références :
[1] Georges Wildenstein « Lancret : biographie et catalogue critiques. », Paris : les Beaux-Arts, Édition d’études et de documents, 1924. https://archive.org/details/c.rnicolaslancretwildensteininstitute
[2] Mary Tavener Holmes, « Nicolas Lancret: Dance Before a Fountain », https://books.google.fr/books?id=VpgnAgAAQBAJ&pg=PA72#v=onepage&q&f=false
[3] Emmanuel Bocher, « Les gravures françaises du XVIIIe siècle: fasc. Nicolas Lancret » https://books.google.fr/books?hl=fr&id=noRPAQAAMAAJ&q=Tirsis#v=onepage&q=tirsis&f=false
[4] https://fr.wikisource.org/wiki/%C5%92uvres_compl%C3%A8tes_de_La_Fontaine_(Marty-Laveaux)/Tome_2/Les_Remois
[5] http://www.mba.tours.fr/TPL_CODE/TPL_COLLECTIONPIECE/98-18e.htm?COLLECTIONNUM=13&PIECENUM=233&NOMARTISTE=LANCRET+Nicolas
http://www.mba.tours.fr/TPL_CODE/TPL_COLLECTIONPIECE/98-18e.htm?COLLECTIONNUM=13&PIECENUM=234&NOMARTISTE=LANCRET+Nicolas
[6] https://fr.wikisource.org/wiki/%C5%92uvres_compl%C3%A8tes_de_La_Fontaine_(Marty-Laveaux)/Tome_2/Les_Lunettes
[7] https://fr.wikisource.org/wiki/%C5%92uvres_compl%C3%A8tes_de_La_Fontaine_(Marty-Laveaux)/Tome_2/Les_Oyes_de_frere_Philippe
[8] https://fr.wikisource.org/wiki/%C5%92uvres_compl%C3%A8tes_de_La_Fontaine_(Marty-Laveaux)/Tome_2/Le_Gascon_puny
[9] https://waddesdon.org.uk/the-collection/item/?id=8606

Comme une sculpture (le paragone)

8 avril 2020
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Le paragone (en italien comparaison) est un débat théorique ouvert lors de la renaissance italienne, quant à la supériorité de la Peinture sur la Sculpture, et réciproquement. Un des points-clés du débat est la possibilité de la représentation en volume.

Cet article aborde la question par le petit bout de la lorgnette : à savoir quelques stratagèmes par lesquels les Peintres ont prétendu marquer un point, en présentant simultanément plusieurs vues du même objet.

La préhistoire du paragone

La question de la représentation en volume préoccupait les artistes – qui pratiquaient souvent à la fois la Peinture et la Sculpture – bien avant que ne s’ouvre la question de comparer les deux arts.

En Italie

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Giotto

1306 Giotto, Le jugement dernier, chapelle Scrovegni Padoue detail pendusLe jugement dernier (détail)
Giotto, 1306, chapelle Scrovegni, Padoue

Inventé par Giotto, le motif du pendu recto verso va hanter de manière durable les Enfers italiens (voir 5 Le nu de dos en Italie (1/2)). Il voisine avec la figure de Judas dont le manteau ouvert montre plus que la nudité : les viscères. La raison de cette symbolique est expliquée par Jacques de Voragine :

“Une fois pendu, son corps éclata par le milieu et ses entrailles se répandirent. Mais ainsi, il fut accordé à sa bouche qu’il ne se vomisse pas par elle ; en effet, il n’était pas juste que soit souillée de façon si abjecte une bouche qu’avait touchée une autre bouche si glorieuse, celle du Christ. Il était juste que ses viscères, qui avaient conçu la trahison, soient déchirées et se répandent à terre, et que la gorge d’où était sortie la parole de la trahison soit étranglée par une corde”. [1]

L’exposition du corps faisait partie intégrante du supplice de la pendaison. A cette infamie s’ajoute pour Judas l’exposition de ses entrailles, et pour ses voisins anonymes celle de leur corps nu vu sous tous les angles. C’est sans doute ainsi que les contemporains percevaient cette innovation percutante, même si Giotto y trouvait aussi la satisfaction artistique d’une maîtrise du corps humain en volume.


Pisanello

Pisanello 1436-38 croquis de pendus British museumEtude d’un pendu sous différents angles, 1436-38, British museum Pisanello etude de chevaux 1433-38 LouvreEtude de chevaux 1433-38, Louvre.

 

Pisanello est un des tous premier artistes à dessiner d’après nature. Rien d’étonnant à ce qu’une même étude juxtapose plusieurs vues du même sujet.



Pisanello St Georges et la Princesse de Trebizonde Pisanello, 1436-38, Chapelle Pellegrini, Sant'Anastasia, VeroneLes adieux de saint Georges St Georges à la Princesse de Trébizonde [2]
Pisanello, 1436-38, Chapelle Pellegrini, Sant’Anastasia, Vérone

Les études ont servi pour cette fresque : pour les pendus, Pisanello a repris telles quelles les deux vues de dos, y compris le détail infamant du pantalon baissé. Pour les deux chevaux montrés en entier, les postures sont différentes, mais l’idée du recto-verso est restée (tous les autres chevaux sont vus partiellement et de profil) :

  • le cheval gris vu de face est à l’arrêt, monté par le chevalier qui garde la grande lance de son maître ;
  • le cheval blanc vu de dos est sur le départ, le saint a déjà son pied gauche sur l’étrier.

Le choix de la vue de dos, très délibéré, fait voir les mouvements qui vont suivre : Saint Georges va passer sa jambe droite par dessus la croupe et partir s’embarquer, suivi par le reste de la troupe.


Trois médailles pour Leonello d’Este

De 1441 à 1444, Pisanello réalise pour Leonello d’Este six médailles, dont trois ont la particularité d’être les seules, de toute son oeuvre, à porter côté pile une figure vue sous plusieurs angles [3].


Pisanello Medaille Leonello d’Este, 1441, Ferrare, palazzo Schifanoia
Première médaille de Leonello d’Este
Pisanello, 1441-43, Palazzo Schifanoia, Ferrare

Les trois visages enfantins symbolisent la Prudence, qui regarde vers le Passé, le Présent et l’Avenir. On notera de part et d’autre les genouillères d’une armure, suspendues à des branches d’olivier : emblème de la Paix retrouvée.


Pisanello Medaille Leonello d’Este, 1440-42 collection Alberto DelitalaQuatrième médaille de Leonello d’Este
Pisanello, 1441, collection particulière

Un jeune homme vu de dos fait face à un vieil homme vu de face, dans un bateau dont la voile gonflée fait mouvement vers la gauche. On comprend que le jeune homme représente le Présent qui regarde vers le but du voyage et le vieil homme le Passé qui regarde en arrière allégorie qui modernise habilement le symbole antique de Janus à deux faces. A noter également que le jeune homme côté pile est un alter ego de Leonello côté face, tous les deux regardant vers la gauche.


Pisanello Medaille Leonello d’Este, 1441 coll partDeuxième médaille de Leonello d’Este
Pisanello, 1441, collection Alberto Delitala

Le Passé et le Présent sont maintenant à terre, debout face à face dans le même ordre (le jeune regardant vers la gauche). Ils portent sur leur tête deux paniers remplis à ras bord de branches d’olivier, symboles de Paix et d’Abondance. Cette récolte s’explique par les deux nuages derrière eux, qui font tomber la pluie sur les rochers, mais aussi sur deux bombes enflammées [4].

On voit dans ces exemples précoces que la confrontation purement spatiale du recto et du verso perd rapidement sa force initiale, et doit trouver un second souffle en incarnant une binarité plus solide : ici le Passé et le Présent.


Autres précurseurs italiens

Trois hommes nus
Antonio Pollaiuolo, vers 1470, Louvre

Dans cette étude, le même homme est montré de face, de profil et de dos, comme si l’artiste avait tourné autour de lui. Cependant la pose stéréotypée, la musculature schématique et le visage sans caractère, font douter qu’il s’agisse d’un modèle vivant. On a donc proposé qu’il s’agisse d’un modello, une statuette que le dessinateur aurait fait tourner devant lui. L’épigramme en latin, écrite par une main contemporaine, semble le démentir :

« ceci est l’oeuvre de l’excellent et fameux peintre florentin et sculpteur éminent Antonio di Jacopo. Quand il a fait l’image d’un homme, regarde comme merveilleusement il l’a réduit en membres ».

Antonij jacobi excellentissimi ac eximij florentinj pictoris scultorisque prestantissimi hoc opus est. Umquam hominum imaginem fecit, vide quam mirum in membra redegit

Il s’agit donc non pas d’un dessin d’après nature, mais d’une image humaine créée (« faite ») par l’artiste. Par ailleurs, l’auteur érudit a été frappé par les deux bras droit et gauche séparés, qui manquent à la vue de profil. La fin de l’épigramme est en effet une allusion à Ovide décrivant la création du Monde :

Et ayant decoupé le chaos, il réduisit ses parties en autant de membre
Ovide , Métamorphoses. 1 , 33

congeriem secuit, sectamque in membra redegit

Cette comparaison entre Pollaiuolo et le démiurge est flatteuse pour le propriétaire du dessin, mais n’éclaire guère les intentions initiales de l’artiste : sans doute étudier la musculature d’un guerrier, main droite fermée pour tenir l’épée et main gauche ouverte. Pour le propriétaire en tout cas, il est clair qu’il ne s’inscrit pas dans le débat du paragone, puisque l’artiste est dit à la fois « fameux peintre et sculpteur éminent«  ( [5], p 141).


 

1490-95 Luca_Signorelli Two_nude_youths_carrying_a_young_woman_and_a_young_man Kupferstichkabinett BerlinDeux jeunes gens portant un jeune homme et une jeune femme
Luca Signorelli, 1490-95, Kupferstichkabinett, Berlin

On possède de nombreux dessins anatomiques de Signorelli, datant de l’époque où il peignait pour la cathédrale d’Orvieto des fresques très innovantes, peuplées d’un grand nombre de nus. La plupart de ces dessins ne sont pas des études préalables à ces fresques, mais des oeuvres à part entière, servant à démontrer l’exceptionnelle connaissance du corps humain qu’il avait developpée à cette occasion [6].

Ceci est d’autant plus vrai que le croquis est plus abouti, comme ici, avec un lavis et des hâchures en blanc, et des poses arrangées au service d’une idée : la rotation strictement géométrique du porteur, en bas, se combine en haut avec une métamorphose blufante : le jeune homme nu devient son opposé, une jeune femme habillée.


Leonard de Vinci 1506-08 Hercule recto verso
Hercule recto verso
Léonard de Vinci, 1506-08, MET

Il s’agit d’une étude pour une statue d’Hercule que Vinci aurait dû réaliser en pendant au David de Michel-Ange. Les deux figures recto et verso ont le même contour, obtenu par décalque entre les deux côtés de la feuille. Ce procédé, plusieurs fois employé par Vinci [6a], a été théorisé par lui dans le Traité de la Peinture (I, 37) , où il explique que deux vues planes seulement résument l’infinité des vues sur un objet en volume :

« Le sculpteur dit qu’il ne peut pas faire de figure à moins d’en faire des infinies en raison des termes infinis que possèdent les quantités continues ; la réponse est que les termes infinis de cette figure se réduisent en deux demi-figures, c’est-à-dire une moitié du milieu en arrière, et l’autre moitié du milieu en avant ; qui, étant bien proportionnés, composent une figure ronde, et ces moitiés ayant leurs reliefs propres dans toutes leurs parties, répondront d’elles-mêmes sans aucune autre maîtrise de toutes les figures infinies que ce sculpteur dit avoir faites. »


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En Allemagne

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Un contre-exemple

1450 ca Traite astrologie et medecine UB Tubingen MD 2 fol 35rHomme zodical, fol 35r 1450 ca Traite astrologie et medecine UB Tubingen MD 2 fol 42vFemme zodiacale, fol 42v

Traité d’astrologie et de médecine, vers 1450, UB Tübingen MD 2

Il n’y a pas encore ici l’idée de montrer le même corps sous ses deux faces : le recto est masculin, le verso féminin, et les deux planches ne sont pas consécutives. L’intention, purement synoptique, est de faire rentrer le plus possible d’informations dans un minimum d’images : la vue de face porte des indications géomantiques et la vue de dos des indications astrologiques, valables pour les deux sexes. (sur ces cops zodiacaux, voir aussi 4 Le nu de dos au Moyen-Age (2/2)).


Le monogrammiste PM

monogrammist PM 1485 ca Bain des femmes rijksmuseumFemmes au bain
Maître PM, vers 1485

Le Maître PM est un artiste du Rhin inférieur dont on ne sait pratiquement rien. On suppose qu’il s’agissait d’un peintre ou d’un sculpteur plutôt que d’un graveur professionnel :

  • intérêt pour les figures vues sous divers angles ;
  • indifférence au problème, spécifique à la gravure, de l’inversion des gestes : c’est de la main gauche que la femme assise prend l’eau dans le seau, et que la femme de profil tient le plat.

L’absence de décor rend la gravure très moderne : le thème du bain n’est évoqué que par le baquet et le linge que tiennent les deux femmes du centre, qui semblent être la même personne vue de dos et de profil.


monogrammist PM 1485 ca Bain des femmes rijksmuseum detailFemme au hennin Hugo_van_der_Goes_1476-78 Retable Portinari OfficesMaria di Francesco Baroncelli, Hugo van der Goes,1476-78, détail du retable Portinari, Offices Durer 1493 Musee Bonnat BayonneDürer, 1493, Musée Bonnat, Bayonne

L’intention érotique est manifeste avec le personnage, totalement décalé dans une scène de bains, de la femme qui a gardé son hennin. Le voile de gaze devrait retomber sur l’avant-bras gauche (nouvel exemple d’indifférence à l ‘inversion). Sa longueur, en public, indiquait le rang social. En privé, sans doute le hennin jouait-il le rôle d’un accessoire de séduction, à l’instar de nos talons-aiguilles. Il est probable que, chez Dürer, la coiffe en turban des nürembergeoises, partiellement déroulée, a été également vue comme un objet de sex-appeal.


monogrammist PM 1485 ca Adam Eve British museumLe péché originel
Maître PM, vers 1485

On ignore tout sur cette oeuvre, tout à fait extraordinaire pour l’époque par ses nus, sa composition et son absence de décor.

S’il s’agissait d’une étude d’artiste, pourquoi avoir pris la peine d’en faire une gravure ? Pour son intérêt érotique, sous couvert d’Adam et Eve ? Pour son intérêt anatomique ? Pour prouver le rare talent du maître à montrer le corps sous toutes ses faces ?

Les seuls éléments de contexte sont eux-aussi intrigants : la tulipe inédite qui cache le sexe d’Adam, la ligne d’horizon très basse et la lumière qui monte d’en bas, comme si les personnages étaient exhibés sur une scène.

Le plus étrange est la dissymétrie d’ensemble : tandis qu’Adam est montré recto-verso et dans la même posture, Eve est dupliquée de face, avec des poses pratiquement en miroir mis à part l’avant-bras relevé (encore une gauchère).

On pourrait penser à une scène en deux temps : avant la chute / après la chute. Mais l’inversion des positions du couple s’oppose à cette lecture séquentielle.



monogrammist PM 1485 ca Adam Eve British museum schema
La seule manière cohérente de lire l’ensemble est de considérer – comme la place centrale et l’immobilité d’Adam nous y incitent – qu’elle montre deux vues simultanés de la même scène, depuis deux points opposés : de devant (cadre bleu) et de derrière (cadre violet). Mais pourtant, entre l’image de droite à celle de gauche, Eve s’est retournée vers Adam, a levé les yeux vers lui et et lui a montré le fruit.

Une interprétation possible est de dire que :

  • la moitié droite (en bleu) montre la scène comme Dieu voudrait la voir : Adam dans la position héraldique du mari (à main droite de sa femme), lui reprochant d’avoir cueilli les fruits, et celle-ci baissant les yeux de honte (en vert) ;
  • la moitié gauche (en violet) montre la scène telle que le serpent veut la voir, et telle qu’elle s’est malheureusement produite : Eve a pris le pas sur Adam et lui a donné le fruit interdit.

La vue de dos aurait donc ici une valeur métaphysique inédite : signer le regard négatif de celui qui tire les ficelles par derrière.

Sur l’importance de la position du couple, voir 1-3 Couples irréguliers.


Dürer

Durer 1495 Trois vues d'un bouvreuil EscorialUn bouvreuil, 1495, Escorial Durer 1503 three-studies-of-a-helmet LouvreUn casque, 1498-1500, Louvre

Trois vues, Dürer

Au retour de son premier voyage à Venise, Dürer reprend la tradition italienne de la représentation sous plusieurs angles, aussi bien pour une création de la nature que pour un artefact.

Il réalise également plusieurs gravures montrant des femmes nues recto verso (voir 7 Le nu de dos chez Dürer).


Durer 1527 Trois vues d'une femme de Nuremberg musee Pouchkine MoscouTrois vues d’une femme de Nuremberg, Dürer, 1527, musée Pouchkine, Moscou

Dürer a fait tourner son modèle devant lui pour étudier la coiffe sous trois angles et sous le même éclairage. Pour animer la composition, la position des bras change légèrement d’une vue à l’autre.

Matthäus Schwarz

 

Trachtenbuch des Matthaus Schwarz, 1 juillet 1526, Braunschweig, Herzog Anton Ulrich Museum

Portrait recto verso de Matthäus Schwarz,
Trachtenbuch des Matthäus Schwarz, 1er juillet 1526, folios 79 et 80, Herzog Anton Ulrich Museum, Braunschweig

Le marchand Matthäus Schwarz nous a laissé l’extraordinaire « Livre des Vêtements » [7] dans lequel, de 1520 à 1560, il s’est fait portraiturer dans toute sorte d’habits, y compris celui d’Adam.

Au dessus de la vue de dos, il a noté sans indulgence :

A l’époque j’étais dodu et épais dan ich wart faist und dick worden

Au dessus de celle de face :

Le visage est bien ressemblant das angesicht ist recht controfatt

Ce témoignage égotico-anatomique n’a d’autre ambition, pour Matthäus Schwarz, que de garder la trace intégrale de sa jeunesse.



Quelques multi-faces paragoniens

Ces oeuvres italiennes, datant de la période où le débat se formalise, sont en général interprétées comme s’y inscrivant.

Lotto (SCOOP !)

Lorenzo_Lotto_Triple portait d'un orfevre 1530 Kunsthistorisches Museum VienneTriple portrait d’un orfèvre
Lorenzo Lotto, 1530, Kunsthistorisches Museum, Vienne

L’homme tient dans sa main une boîte de bagues semblables à celle que l’on voit deux fois à sa main gauche (dans la vue de profil et dans la vue de face) : réclame vivante de son métier d’orfèvre.



Lorenzo_Lotto_Triple portait d'un orfevre 1530 Kunsthistorisches Museum Vienne schema
Le personnage est représenté de profil, de face et de trois-quarts arrière. La vue de face est plus basse que les autres, indiquant que le personnage central est situé en arrière. La main gauche est seule visible, avec des positions différentes : comme chez Dürer, il ne s’agit donc pas d’une rotation mécanique, mais de vues à des moments différents.

Certains ont voulu expliquer ce triple point de vue ( « tre visi ») par un calembour avec Trévise, la ville natale de Lotto. D’autres par le fait qu’il s’agirait de triplés. D’autres enfin ont proposé qu’il s’agisse d’une étape préparatoire en vue de la réalisation d’un sculpture, mais cette pratique n’est attestée que chez Bernin, un siècle plus tard ([5], p 151). De plus, le profil perdu de droite transmet bien moins d’informations qu’une vue de trois quarts.


Une possible allégorie (SCOOP !)

Un point qui n’a pas été relevé est le placement non conventionnel de la source de lumière, en haut à droite : de ce fait, le premier profil est en pleine lumière, la vue de face est a demi-éclairée et le second profil est dans l’ombre. En lisant le tableau de gauche à droite, on assiste ainsi à la disparition simultanée du rideau et du modèle, le profil perdu abolissant la forme et la lumière du visage.



Lorenzo_Lotto_Triple portait d'un orfevre 1530 Kunsthistorisches Museum Vienne schema 2
Le trajet subtil des regards fait que l’oeil droit éclairé regarde l’oeil gauche dans l’ombre, lequel regarde les deux yeux centraux, qui quant à eux fixent le vide. Cette composition savante et théorique évoque une triade bien connue : celle du Présent, intermédiaire entre le Passé en pleine lumière et le Futur encore dans l’ombre.


Titien Allegorie du temps gouverne par la prudence 1550-65 National GalleryAllégorie du Temps gouverné par la Prudence
Titien, 1550-65, National Gallery

Sous la forme d’une étude paragonienne, Lotto a probablement conçu une allégorie, la même que Titien réalisera trente ans plus tard d’une manière plus explicite : les trois visages sont d’âge différent, mais la même lumière symbolique, éclairant le Passé et laissant le Futur dans l’ombre, vient elle-aussi de la droite, à rebours du sens de la lecture [8].


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Daniele da Volterra

David_and_Goliath_by_Daniele_da_Volterra_(Louvre_INV_566)_recto_02Recto David_and_Goliath_by_Daniele_da_Volterra_(Louvre_INV_566)_verso_02Verso

David et Goliath
Daniele da Volterra, 1555, Louvre

Ce panneau recto-verso, très expérimental, était exposé à côté d’une statue de terre cuite représentant la même scène, toujours dans le contexte du débat du paragone ([5], p 176 et ss). Son support exceptionnel, une grande plaque d’ardoise (133 × 177 cm) visait sans doute à rapprocher la peinture de la sculpture du point de vue de la durabilité.

La difficulté du sujet – montrer un géant et un jeune homme sans disproportion ridicule – n’a d’égale que son ambition théorique – utiliser le double-face pour faire surgir de l’ardoise un hologramme avant la lettre, qu’on apprécie en tournant autour du tableau. La comparaison côte à côte nous permet aujourd’hui d’apprécier des subtilités difficiles à percevoir à l’époque.

D’abord, contrairement à ce que suggère l’idée du double-face, il ne s’agit pas de la même scène projetée  sur deux plans opposés : il aurait fallu pour cela privilégier un des points de vue, et sacrifier l’esthétique à l’exactitude.


David_and_Goliath_by_Daniele_da_Volterra_(Louvre_INV_566)_recto_02_mainGoliathRecto David_and_Goliath_by_Daniele_da_Volterra_(Louvre_INV_566)_verso_02_main_GoliathVerso

On s’en rend compte facilement en notant que la main droite de Goliath emprisonne tantôt le poignet, tantôt le bras de David. De même, le bras de David cache tantôt l’oeil droit, tantôt l’oeil gauche de Goliath.

L’ouverture de la tente rose étant au même endroit dans les deux vues, il faut en conclure soit que le groupe a pivoté d’un demi-tour sur le sol, tout en gardant pratiquement la même pose, soit qu’il y a deux tentes opposées.

L’analyse de la lumière va nous donner la solution : au verso, elle tombe du haut à gauche, ce pourquoi la lame du cimeterre et le bras gauche de David sont dans l’ombre ; au verso, elle tombe du haut à droite, ce qui illumine l’autre face de la lame et l’autre côté du bras. Il faut donc comprendre que, en trois dimensions,  la source de lumière se trouve du même côté par rapport aux deux faces : le groupe n’a donc pas pivoté, et il y a deux tentes identiques, une dans le camp hébreux et une dans le camp philistin.

Mais l’oeuvre avait pour ambition de montrer ce qui est impossible en sculpture : deux moments consécutifs de l’histoire.

Il est probable que l’oeuvre avait pour but de montrer la supériorité de la peinture, qui permet de représenter la même histoire à deux moments successifs :

  • Au recto, la fronde et le fourreau situent la scène au début du combat : après avoir abattu Goliath, David vient de s’emparer de son épée pour lui trancher la tête. Son exomide jaune couvre encore son épaule gauche. Le géant tente encore de se relever : le genou gauche vertical, le torse décollé du sol, la main gauche retenant au poignet son assaillant qui l’agrippe par les cheveux.
  • Au verso, le genou s’est affaissé, le torse touche le sol, et la main impuissante a glissé jusqu’au bras, tandis que le cimeterre de David s’est abaissé et que son exomide a glissé, retenue seulement par un ruban en bandoulière. Les regards dont maintenant visibles, déterminé pour David et terrorisé pour Goliath. Rien ne peut plus empêcher la lame de lui trancher la jugulaire, en passant sous les deux bras gauches qui se bloquent l’un l’autre.
    .
David_and_Goliath_by_Daniele_da_Volterra_(Louvre_INV_566)_recto_02_davidRecto David_and_Goliath_by_Daniele_da_Volterra_(Louvre_INV_566)_verso_02_davidVerso

David_and_Goliath_by_Daniele_da_Volterra_verso_dessin British MuseumEtude, British Museum

Dans cette étude du verso, Goliath tient le poignet de David comme au recto, mais son épaule relevée protège son cou : c’est pourquoi Daniele a donc préféré, à l’exactitude paragonienne, la véracité narrative.


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Bronzino

Portrait recto du nain Morgantе Bronzino 1552 Offices Florence Portrait verso du nain Morgantе Bronzino 1552 Offices Florence

Portrait recto verso du nain Morgantе
Bronzino, 1552, Offices, Florence

Braccio di Bartolo, dit Morgante,un des bouffons favoris de Cosimo de Médicis est représenté de face et de dos. Selon des écrits d’époque, Morgante était employé pour la chasse aux petits oiseaux, dite « à la pipée », qui se pratiquait avec un hibou ou une chouette attachés ([5], p 167 et ss). Pour d’autres exemples, voir Dürer et son chardon.

Dans le tableau « Avant la chasse », le hibou tenu en laisse est attaqué par un geai, une des proies de ce type de chasse. Dans le tableau « Après », le nain tient d’une main la longue pince en bois (le brillet) qui permet d’attraper les oiseaux affolés, et de l’autre la grappe de ses prises, tandis qu’une chouette libre est posée sur son épaule.

Ainsi le pendant ne vise pas seulement à montrer les deux faces de l’anatomie du nain, mais aussi les deux phases de la chasse. La peinture rivalise avec la sculpture pour la représentation spatiale, mais la surpasse dans la représentation temporelle [8a].


Agnolo_bronzino-_Portrait of a dwarf Morgantе before 1552,Offices Portrait recto du nain Morgantе Bronzino 1552 Offices Florence

Jusqu’à la restauration de 2011, le verso n’était pas visible et le recto, jugé obscène, avait été édulcoré en Bacchus.

Le papillon Flambé (Iphiclides podalirius) qui sert de cache-sexe est sur le point de s’envoler à la poursuite de l’autre papillon, tout comme le geai est obnubilé par le hibou. Sachant que la figure de l’oiseleur a très souvent un sous-entendu galant (voir L’oiseleur), le pendant métaphorise aussi les deux phases de l’Amour, l’attraction et la déception.


Portrait recto du nain Morgantе Bronzino 1552 Offices Florence schema

 

Encore plus précisément, les ailes repliées de la chouette et les ailes déployées du hibou donnent à voir les deux phases de la virilité légendaire des nains, que le papillon met en exergue en prétendant la cacher  (sur l’ucello comme métaphore phallique, voir L’oiseau licencieux).
.


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Le paragone aux reflets

La grande majorité des oeuvres paragoniennes ne recourent pas au multi-face, mais à un procédé introduit par Giorgione dans un Saint Georges aujourd’hui disparu : celui de grands miroirs plats inscrivant, à l’intérieur du tableau, des points de vues secondaires. Ce procédé est surtout pratiqué par des peintres vénitiens, à cause du monopole de la ville sur la fabrication de ces miroirs.


Lavinia Fontana 1590 ac Allegorie de la Prudence coll priv Monaco

Allégorie de la Prudence et/ou de l’Astronomie/Géométrie
Lavinia Fontana, vers 1590, collection privée, Monaco

Sur cette formule, qui outrepasse largement la question du paragone et lui a survécu jusqu’à nos jours, voir Le miroir panoptique.


1510 Sodoma,Descente de croix, Pinacoteca nazionale, Sienne chapelle Cinuzzi eglise San Francesco detail casque

Descente de croix (provenant de la chapelle Cinuzzi de l’église San Francesco), détail
Sodoma, 1510, Pinacoteca nazionale, Sienne

Sur un procédé similaire utilisé au moment du débat, mais qui l’outrepasse lui aussi largement, voir Reflets armés.


 

 Résurgences du paragone au XIXème siècle

La question de la représentation multi-face est réapparue, longtemps après le débat italien, à l’occasion d’un nouvelle concurrence : entre Peinture et Photographie cette fois.

ROBERTS James 1849 Vue d'intérieur du château du Fresne en France deux aquarelles coll part

« Vue d’intérieur du château du Fresne en France » (deux aquarelles)
James Roberts, octobre 1849, collection particulière

James Roberts, dessinateur du cabinet de la Reine Victoria, fait partie de ces aquerellistes photographes appointés pour immortaliser les lieux ou les moments favoris des Puissants [9]. Il a parfois réalisé des vues du même lieux sous plusieurs angles, ou du même lieu à différents moments (Noël, anniversaires). Mais ce pendant réalisé en France, au château d’Authon, est unique par son sujet – une chambre à coucher plutôt banale – et son parti-pris : représentation totale par deux vues dans des directions opposées.

Au dos de cette aquarelle, une description manuscrite de Madeleine-Barbe Cuillier-Perron indique qu’il s’agit d’un cadeau pour sa sœur Anne Elisabeth, en hommage à leur père, le général Pierre Cuillier-Perron, décédé en 1834. Il y a donc probablement une forte raison familiale dans le choix de cette pièce : ancienne chambre du père, au papier peint panoramique au sujet exotique, rapellant qu’il était un héros des guerres indiennes.

L’exactitude était certainement l’argument de vente de l’artiste : on notera par exemple qu’il a respecté, dans les deux vues, l’accrochage dissymétrique des tableaux au dessus du miroir. De ce fait les différences entre les vues vers le lit et vers la fenêtre sont probablement signifiantes :

  • coffret à liqueur (ou de pharmacie) ouvert et fermé ;
  • bureau fermé et ouvert ;
  • chaises devant la cheminée rangées et dérangées ;
  • ordre rigoureux et objets qui traînent.

Il est possible que la vue « animée », qui montre une table de toilette avec un verre et une bouteille d’eau, suggère le retour de l’ancien occupant des lieux, quinze ans après sa mort.



ROBERTS James 1849 Vue d'intérieur du château du Fresne en France deux aquarelles coll part schema
La perspective, très rigoureuse, montre que pour peindre le vue 1, le dessinateur s’était assis au centre de la pièce (point 2) tandis que pour peindre la vue 2, il s’etait décalé côté cheminée, ce qui rend le recto-verso moins strict. On notera un autre écart notable, même s’il est discret : en se basant sur la croix bleu (au centre de la cheminée), on verra que le lit, parallèle au mur dans la vue 1, a été tourné d’un quart de tour dans la vue 2. Plutôt que par des raisons mémorielles, ce déménagement est probablement motivé par une raison graphique : montrer un bout de lit au premier plan renforce l’effet de ping-pong entre les vues


The_Heart_Desires,_2nd_series,_Pygmalion_(Burne-Jones)Pygmalion seconde série, Burne Jones, 1878, Birmingham museum

Dans le préraphaélisme, propice aux retours en arrière, c’est surtout Burne-Jones qui remet les effets paragoniens au centre de sa réflexion (voir Le paragone chez Burne-Jones).


Gerome 1890 Travail du marbre ou L'artiste sculptant Tanagra with Pygmalion and Galatea Dahesh Museum of Art New YorkTravail du marbre ou L’artiste sculptant Tanagra
Gérôme, 1890, Dahesh Museum of Art, New York

D’abord peintre célèbre, puis sculpteur tout aussi célèbre, Gérôme est le dernier des grands « paragonisants ». Sur les oeuvres nombreuses qui s’inscrivent dans le débat, voir Le paragone chez Gérôme

Renoir 1897 ca Cariatides Musée Renoir Cagnes-sur-MerCariatides
Renoir, vers 1897, Musée Renoir, Cagnes-sur-Mer

Le terme « cariatides » souligne bien la référence à la statuaire.

1915 Auguste Leveque coll part pendant A1 1915 Auguste Leveque coll part pendant A2 705 x 405 mm

Auguste Leveque, 1915, collection particulière

Ces deux tableaux de même taille et de même cadre constituent un pendant vaguement symboliste, opposant le verso au recto, la pose debout à la pose alanguie, et l’arbre à la source.

1921 henri-adrien-tanoux-namouna. coll part
Namouna
Henri-Adrien Tanoux, 1921, collection particulière

Dans un genre erotico-orientaliste bien suranné, cette femme biface prend pour prétexte une lointaine strophe de Musset :

Tous les premiers du mois, un juif aux mains crochues
Amenait chez Hassan deux jeunes filles nues.
Tous les derniers du mois, on leur donnait un bain,
Un déjeuner, un voile, un sequin dans la main,
Et puis on les priait d’aller courir les rues.
Système assurément qui n’a rien d’inhumain.
Musset, Namouna LXV, Premières poésies (1829-35)


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Van Gogh

Dans son approche appliquée des différentes facettes de la peinture, Van Gogh a effleuré plusieurs fois la question du dessus et du dessous des choses.

Van Gogh 1887 Une paire de souliers The Baltimore Museum of Art.Une paire de souliers, The Baltimore Museum of Art Van Gogh Paire de chaussures. Une chaussure retournse, Paris, printemps 1887 Collection particuliereUne paire de chaussures, une chaussure retournée, Collection particulière

Van Gogh, printemps 1887

Lors de son arrivée à Paris, dans ces souliers symboliques de la vie de bohème et de l’itinérance…


Van Gogh 1888 Sunflowers gone to seed (F 375) MET

Tournesols montés en graine, Van Gogh, 1887, MET, New York (F 375)

Le thème des tournesols l’intéressait déjà avant son départ pour Arles (voir Les pendants de Van Gogh : les Tournesols (2/2)).


Van Gogh 1889 Deux crabes National Gallery

Deux crabes
Van Gogh, 1889, National Gallery, Londres

On pense que cette nature morte a été peinte juste après sa sortie de l’hôpital d’Arles en janvier 1889 :

« Je vais me remettre au travail demain, je commencerai à faire une ou deux natures mortes pour retrouver l’habitude de peindre. » Lettre à Théo, 7 janvier 1889

Le crâne retourné sur le dos, puis qui se remet à l’endroit, est la métaphore évidente du rétablissement qu’il espère.


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Picasso

PICASSO Nu de face, Nu de dos, 1895-1897 coll privNu de face, Nu de dos (toile biface)
Picasso, 1895-1897, collection privée

Lors de ses études à l’Ecole des Beaux Arts de Barcelone, Picasso a sans doute réalisé ces deux études d’atelier des deux côtés de la même toile par pur souci  d’économie. On peut néanmoins remarquer que,  du recto au verso de la toile, l’oeil projette :

  • la vue de face du grand noir dans la vue de dos de l’adolescent ;
  • puis la pâle silhouette du jeune homme dans sa statuette sombre, une sorte de cumul de deux.

Comme si la Vue de face enfantait la Vue de dos, les deux enfantant la Sculpture.


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Le cubisme

Nouvelle solution de rendu tridimensionnel, le cubisme peut être considéré comme un nouvel avatar du paragone. Le principe, cumuler plusieurs angles de vues sur un objet, ne s’est pas aventuré jusqu’au plus grand écart, celui entre le recto et le verso. En revanche, il existe quelques exemples de vues juxtaposées, réalisées en style cubiste.

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La Ville de Paris (1910-1912)Robert Delaunay. (Centre Pompidou)
La Ville de Paris (1910-1912)
Robert Delaunay, Centre Pompidou

Par son dynamisme, cette nouvelle facture renouvelle le schéma archi-classique des Trois grâces, en suggérant qu’il s’agit soit de trois points de vue sur la même femme, soit de trois images décomposant sa rotation.

Nemes_Lampérth_József 1914 Nude sketch back_view_ Hungarian National Gallery Nemes_Lampérth_József 1914 Nude sketch Hungarian National Gallery

József Nemes Lampérth, 1914, Hungarian National Gallery

Ces croquis, réalisés le même mois mais pas nécessairement comme pendants, ne montrent pas la même vue : la silhouette baisse les coudes et écarte les jambes, comme si le retournement s’associait à l’idée d’ouverture, de relâchement de la tension.


Nemes_Lampérth_József 1916 Nude,_back_view_Hungarian National Gallery Nemes_Lampérth_József 1916 Nude,_front view_Hungarian National Gallery

József Nemes Lampérth, 1916, Hungarian National Gallery

Ces deux toiles de taille égale, réalisés comme pendant, montrent un rapprochement des postures : le bas du corps est un recto-verso presque parfait (jambe gauche en appui), tandis que le haut exprime la même opposition entre tension/relâchement.


Marie Vassilieff mandouble-sided Marie Vassilieff woman-double-sided

Nu a l’atelier
Marie Vassilieff, 1927

Si Marie Vassilieff a peint ces deux nus recto verso, et sur des arrière-plans différents de l’atelier, c’est bien pour éviter toute comparaison à plat et exalter, en obligeant à tourner autour du panneau, la spatialité des deux silhouettes.

Malgré le modernisme de la technique, elle se plie à la  convention classique de la peau masculine, bronzée, et de la peau féminine, blanche. Les couleurs chaude et froide de l’arrière-plan accentuent ce contraste.


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L’expressionnisme

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kirchner_badende_frauen_triptychon 1925 NGAFemmes au bain (Badende Frauen)
Ernst Ludwig Kirchner, 1915-25, 

volet gauche : collection privéecentre : Davos, Kirchner Museum, volet droit : NGA, Washington

La femme du volet gauche amorce une certaine liberté avec l’anatomie, puisque ses mains semblent à la fois devant et derrière son torse ; mais son pendant, sur le côté droit, est carrément coupée en deux : au dessus de sa serviette , elle est vue de face et au dessous, de dos.


Ernst Ludwig Kirchner AktGruppe II 1907Aktgruppe II (Verso du volet gauche) Ernst-Ludwig-Kirchner-Two-Nudes-1907-NGAAktgruppe I (Verso du volet droit)

Ernst Ludwig Kirchner, Triptyque,, 1907-08

L’amusant est que les deux volets latéraux ont été peints au verso de deux volets d’un triptyque sur le même thème, réalisé en 1907/08, et dont le panneau central a été perdu.Le couple debout de face/ assise de dos y était opposé à un couple debout de dos / assise de face.

Cette symétrie sophistiquée a été radicalement simplifiée dans le second triptyque, mais a laissé sa trace dans la femme double-face du volet droit [2] .


Kirchner 1908 Nudes_Standing_by_Stove Galerie neue meister dresdeNus debout près du poêle
Kirchner, 1908, Galerie Neue Meister, Dresde

Femme double-face qui, la même année, faisait l’objet de cet autre étude [10].


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Plus récemment…

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Bruno d'Arcevia 1985 Femmes avec chevaux

 

Femmes avec chevaux
Bruno d’Arcevia, 1985, Collection particulière

Si l’on regarde la moitié haute, les deux femmes sont vues de face ; et si l’on regarde la moitié basse, celle de gauche est vue de dos.
Pour les chevaux, c’est l’inverse : ils sont opposés en haut et symétriques en bas.

Esthétique de la surprise, de l’élongation et de la torsion : résurrection de la virtuosité maniériste.


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willi kissmer zwei seiten 1995 gravure recto willi kissmer zwei seiten 1995 gravure verso

Double face (Zwei Seiten)
Gravure de Willi Kissmer, 1995

Autre recto-verso bien balancé, par ce grand spécialiste des plis mouillés.


Hubert_de_Lartigue 1999 Recto Hubert_de_Lartigue 1999 Verso

Recto Verso, Hubert de Lartigue, 1999


Allen Jones. Maitresse I (A film by Barbet Schroeder) 1978Maîtresse I (A film by Barbet Schroeder) ,Allen Jones,  1978 Allen JOnes. London Derriere (Maîtresse II), 2008Maîtresse II, Allen Jones,  2008

 



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DANIEL MAIDMAN The Black and White War 2011La Guerre du blanc et du noir (The Black and White War)
Daniel Maidman, 2011, collection particulière

Le décor, à première vue symétrique et rationnel, est en fait truffé de complexités :

  • les escaliers de gauche sont une empreinte en creux des escaliers de droite ;
  • même en faisant tourner la plaque circulaire sur laquelle sont placées les deux femmes, le carrelage de celle-ci ne se rabouterait pas au reste de la pièce (la diagonale des carreaux de la plaque est égale à la largeur des autres carreaux)
  • les trois alignements centraux de carrés ne sont pas plats, mais en escalier (regarder la limite avec la plaque circulaire pour s’en convaincre).

Heureusement, pour appréhender cette complexité déconcertante, nous disposons du blog de Daniel Maidman. Il y décrit, le 27 octobre 2010, l’oeuvre en cours d’élaboration :

« Je n’avais donc aucune idée de ce qu’était cette peinture avec Alley (nom de la modèle) quand je l’ai commencée. Mais elle s’est révélée à moi pendant que je peignais. Tout d’abord, j’ai découvert pourquoi j’avais pensé à mettre Alley dans cette position. Voici la raison:

St-Gaudens, Diana for Tower 1899

Diane
Augustus St-Gaudens’s , 1892–93, Philadelphia Museum of Art

Maintenant, cette Alley sur laquelle j’avais tâtonné, est une Alley venant du pays des ombres lumineuses, de la forme et de l’optimisme, mais son oeil est dans l’ombre parce qu’elle regarde vers les ténèbres. Je voudrais peut-être vivre dans le monde aérodynamique de St-Gaudens, mais je ne peux pas ; je sais ce qui s’est passé depuis. Ma variante de la déesse regarde vers l’obscurité. Elle se tient au bout de l’impasse de la raison.
Maintenant, c’est ce que la peinture signifie pour moi – assurément. Mais la peinture n’est qu’à moitié faite. La seconde Alley fait face à la première, et son visage est éclairé. Peut-être que je vais découvrir que c’est un espoir. Mais je pense que je vais découvrir que c’est un étrangeté. Les deux se reflètent l’une l’autre, et elles prendront place finalement dans un labyrinthe compliqué et désert d’arches et d’escaliers. Je pense que je trouverai, à la fin, qu’il s’agit d’un tableau sur la crainte de l’analyse, dans un lieu qui est au-delà de l’analyse. Dans ce lieu , persister dans l’analyse est en soi déraisonnable. La raison, dans ce contexte, est comme une tumeur indésirable. L’irrationalité brutale de l’espace réfracte la raison, en produisant deux là où il n’y en avait qu’une. La beauté, la forme, l’espoir, l’humanité – tout cela est indésirable dans la froide inhumanité de la bouillonnante et irréductible complexité du labyrinthe inexploré. » [11a]


Dans un autre post, le 20 mars 2011, Maidman nous livre l’autre source de son inspiration :

« Petite note finale: Le titre de La guerre blanche et noire a été à l’origine inspiré par une lecture très large de l’expression « la guerre huit-par-huit », dans le roman Un Lun Dun de Chine Mieville . C’est une guerre dont on sait qu’elle a eu lieu, mais personne ne se souvient de qui l’a gagnée. » [11b]

Le roman de Mieville décrit la quête de deux jeunes filles de douze ans, Zanna and Deeba, pour délivrer du Smog maléfique qui la menace Unlondon, le double immatériel de la ville de Londres. S’il a modifié l’âge et la plastique de ces deux héroïnes juvéniles, Maidman en a conservé la blondeur, et la solidarité : elles scellent leur pacte devant un médaillon où s’affrontent un aigle et un lion, symbole d’un guerre de deux principes, sans fin et sans raison.

Références :
[1] Anne Lafran « La pendaison de Judas ou le châtiment sans fin (xiie-xive s.) » dans (RE)LECTURE ARCHÉOLOGIQUE DE LA JUSTICE EN EUROPE MÉDIÉVALE ET MODERNE https://books.openedition.org/ausonius/18361
[2] https://fr.wikipedia.org/wiki/Saint_Georges_et_la_princesse_(Pisanello)
[3] https://fra.wiki/wiki/Medaglie_di_Pisanello
[4] Patricia Lee Rubin « The Renaissance Portrait: From Donatello to Bellini » p 203 https://books.google.fr/books?id=iPP55b2Fk60C&pg=PA203#v=onepage&q&f=false
[5] Sefy Hendler. La Guerre des Arts: Le Paragone peinture-Sculpture en Italie, XV-XVII siècle.
[6] Andrew Martindale « Luca Signorelli and the Drawings Connected with the Orvieto Frescoes » The Burlington Magazine, Vol. 103, No. 699, Special Issue in Honour of Professor Johannes Wilde (Jun., 1961), pp. 216-220 (5 pages) https://www.jstor.org/stable/873324
[6a] https://www.metmuseum.org/art/collection/search/341703
[7] Le Trachtenbuch des Matthaus Schwarz est consultable en ligne :
http://www.mediafire.com/file/cbo3krr9x54rurn/Trachtenbuch+des+Matthaus+Schwarz+aus+Augsburg%2C1520+-+1560.PDF
[8] https://fr.wikipedia.org/wiki/All%C3%A9gorie_du_Temps_gouvern%C3%A9_par_la_Prudence
[8a] Pour d’autres aspects de ce pendant complexe, voir Olivier Chiquet Chapitre V. Formosa deformitas comique dans Penser la laideur dans l’art italien de la Renaissance. https://books.openedition.org/pur/181054
[9] Pour un aperçu de sa production, voir https://www.watercolourworld.org/artist/james-roberts-0
[10] Kirschner a réalisé des dizaines de tableaux double-face, plus pour économiser la toile que pour exploiter l’effet recto-verso. Voir la liste dans https://de.wikipedia.org/wiki/Der_doppelte_Kirchner
[11a] http://danielmaidman.blogspot.fr/2010/10/dead-end-of-reason.html
« So I had no idea what this Alley painting was about when I started it. But it’s been showing itself to me as I painted. First, I found out why I thought to have Alley stand like that. Here’s the reason:
Now, this Alley I have groped my way into showing, is an Alley coming from the land of bright shadows, of form and optimism, but her eye is shadowed because she is looking into darkness. I might like to live in the aerodynamic world of St-Gaudens, but I cannot; I know what has happened since. So my variant on this goddess looks into the dark. She is standing at the very dead end of reason.This is what the painting means to me now – sure. But the painting is less than half done. The second Alley faces the first one, and her face is lit. Perhaps I will find out that this is hopeful. But I think I will find out that it is uncanny. The two of them mirror one another, and they will stand (eventually) in an intricate, abandoned maze of arches and staircases. I think that I will find, in the end, that this is a painting about the fearfulness of analysis in a region that is beyond analysis. In this region, to persist in analysis is itself unreasonable. Reason, in this context, is like an unwelcome tumor. The brutal irrationality of the space refracts reason, producing two where there was one. Beauty, form, hope, humanity – all of them are unwelcome in the cold inhumanity of the seething, irreducible complexity of the uncharted maze. »
[11b] http://danielmaidman.blogspot.fr/2011/03/my-problem-with-landscapes.html
« A little endnote here: The image of The Black and White War was originally inspired by a very broad reading of the phrase « the Eight-by-Eight War, » in China Mieville’s novel Un Lun Dun. This is a war which is known to have happened, but nobody remembers who won it. »

Pendants solo : masculin – féminin

4 avril 2020
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Assez rapidement, la confrontation des deux sexes a été utilisée pour signifier autre chose qu’un rapport strictement conjugal.

 

Quentin_Matsys_1513 ca A_Grotesque_old_woman National GalleryVieille femme grotesque
Quentin Matsys, vers 1513, National Gallery, Londres
Quentin Massys 1513 ca Portrait d'un vieillard Collection priveePortrait d’un vieillard
Quentin Matsys, vers 1513, Collection privée

Ici, la femme se trouve sur le tableau de gauche à la fois pour suggérer une supériorité grotesque, et pour respecter le sens de la narration : elle tend un bouton de rose au vieil homme, qui le refuse de la main pour des raisons  compréhensibles  (la métaphore traditionnelle  entre la rose et les tétons ajoute encore au comique).


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atelier de la Marche vers 1525 Amour Sacre Les Arts decoratifs, ParisL’Amour Sacré atelier de la Marche vers 1525 Amour Profane Les Arts decoratifs, ParisL’Amour Profane

Tapisseries commandées par Guy de Baudreuil, abbé de Saint-Quentin-aux-Bois
Vers 1525, Musée des Arts décoratifs, Paris

Très verbeuses, ces deux extraordinaires allégories emplies de détails amusants et de rébus méritent d’être étudiées en détail [6a]. Je développe ici les éléments liés au fonctionnement en pendant.


Le texte sommital

atelier de la Marche vers 1525 Amour Sacre Profane texte A1 atelier de la Marche vers 1525 Amour Sacre Profane texte A2
 

(au dessus du coeur couronné) « Le <dessin d’un coeur> à Dieu

« La lumière est semée pour le juste, et la joie pour ceux qui ont le coeur droit ». Psaume 97, 11
(lux orta est iusto et rectis corde laetitia)

(au dessus du brasier sculpté) : « <L’Amour> se nourrit de l’oisiveté, parmi les joies venues des biens de la fortune ». Sénèque

(Ocio nutritur inter leta fortuna bona). 


Le texte central

Enroulé autour de l’arbre, au centre du pendant, il constitue la clé de lecture de l’ensemble, et mérite d’être ciré intégralement :

Par le fruict de la Passion,
[Miracle d’intercession,]
Par foy, trauaux et plusieurs penes
Auons esperances certaines
D’eternelle fruition

Comme l’a montré J.Porcher, ce texte signale les quatre rébus du pendant.


1 La Foy

atelier de la Marche vers 1525 Amour Sacre Profane texte B1 atelier de la Marche vers 1525 Amour Sacre Profane texte B2

Elle est illustrée en haut à gauche par la poignée de main entre :

  • l’Homme et une main masculine sortant du nuage où Jésus ouvre ses bras ;
  • la Femme et une main féminine sortant du nuage où Cupidon les yeux bandés décoche une flèche.

Elle s’accompagne des textes suivants :

« je me rassasierai de ton image » Psaume 17, 15

(Saniabor, cum apparuerit gloria tua)

Aucune confiance en Vénus. Jupiter se rit des parjures des amants et laisse emporter aux vents leurs vaines paroles. (Tibulle, III, 6).

(Nulla fides Veneri, perjuria ridet amantum Jupiter, et ventos ferre jubet )


2 Les Travaux

atelier de la Marche vers 1525 Amour Sacre Profane texte C1 atelier de la Marche vers 1525 Amour Sacre Profane texte C2

Ils sont illustrés visuellement par le petit « travail », dispositif en bois pour ferrer les chevaux, placé sous le pied droit du personnage.

« J’ai les yeux constamment tournés vers Yahweh, car c’est lui qui tirera mes pieds du lacet. » Psaume 25,15
(A oculi mei Dominum, quoniam ipse evellet de laqueo pedes)

« La liberté n’est pas compatible avec l’amour. Un amant n’est jamais qu’un esclave. » Properce, Elégie XXIII :De la servitude de l’Amour
(Libertas quoniam nulli jam restat amanti. Nullus liber erit, si quis amare vomet)


3 Les Peines

atelier de la Marche vers 1525 Amour Sacre Profane texte D1 atelier de la Marche vers 1525 Amour Sacre Profane texte D2

Elles sont illustrées visuellement par les plumes (les pennes), placées sous le pied gauche du personnage.

 

« Tu me feras connaitre le sentier de la vie » Psaumes 16,11
(notas mihi fecisti vias vitae)

« Ni modéré par les conseils, ni réfréné par la pudeur, ni soumis à la raison, ainsi volette l’amour ». Saint Ambroise
(Nec consilio temperatur, nec pudore frenatur, nec rationi subjicitur, sed volitat amor )

  •  Grâce à l’Amour divin, l’Homme peut libérer son pied droit, par le Travail, et poser l’autre sur un chemin de Peines.
  • Tandis que l’Amour Profane ne connait si l’un ni les autres : il ne peut se libérer et il volette (ce pourquoi les deux pieds de la Femme sont invisibles).


4 Les Espérances

atelier de la Marche vers 1525 Amour Sacre Profane texte E1 atelier de la Marche vers 1525 Amour Sacre Profane texte E2
 

Il s’agit du rébus « J’ai sphère ».

 

« En toi, Seigneur, j’ai mis mon espérance : je ne serai pas confondu à jamais » Psaumes 31,3
(In te, Domine, speravi : non confundar in aeternum )

« Ainsi fait l’amour impatient que ce qu’il désire, il l’invente ». Saint Ambroise, III, De Assumptione.
(Hoc habet impatiens amor ut quem desiderat semper se invenire credat )


La logique du pendant

On aurait tort de réduire ce panneau à une critique misogyne : si l’Amour Divin siège à la place d’honneur, l’Amour profane n’est pas moins noble, dans son humaine imperfection : chacun porte sa propre Sphère, sa propre Espérance, matérialisée par les scènes annexes :

atelier de la Marche vers 1525 Amour Sacre Profane texte F1a atelier de la Marche vers 1525 Amour Sacre Profane texte F1b

Grâce au Sacrifice du Christ (le Pélican et le Passereau), l’Amour Divin a espoir en la Résurrection (Le Phenix).



atelier de la Marche vers 1525 Amour Sacre Profane texte F2
L’Amour profane espère en une heureuse union, même si la sagesse antique en montre bien les limites :

Je vois le bien, je l’aime et je le fais mal (Ovide,Métamorphoses VII)
Video meliora proboque, deteriora sequor

Les deux figures forment un couple non pas opposé, mais complémentaire : tout comme la culture humaniste complète la culture biblique.


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van_Slingelandt 1657 Saint_Jerome_en_priere_dans_une_grotte_LouvreSaint Jérôme en prière dans une grotte van_Slingelandt 1657 Sainte_Madeleine_penitente_LouvreMarie-Madeleine pénitente

Van Slingelandt 1657, Louvre, Paris

L’appariement des deux ermites est un standard des pendants hollandais : Gérald Dou notamment en a produit plusieurs, mais aucun n’a été conservé complet.. Ici l‘arbre mort et la lanterne  (accrochée ou posée à son pied), assurent la jonction et confirment qu’il convient d’accrocher les deux saints dans l’ordre héraldique.


Cano vers 1653 St Jerome dans le desert, Prado 104 x 205 cmSaint Jérôme au désert Cano vers 1653 Madeleine penitente dans le desert, Prado 104 x 205 cmMadeleine pénitente dans le désert

Alonso Cano, vers 1653, , Prado (104 x 205 cm)

Le même duo se retrouve en Espagne, dans un clair-obscur dramatique et austère.


Cano Madeleine penitente dans le desert, coll priv 71 x 93 cmMadeleine pénitente dans le désert Cano ST Jerome dans le desert, coll priv 71 x 93 cmSaint Jérôme au désert

Alonso Cano, date inconnue, collection privée (71 x 93 cm)

Dans cette version probablement plus tardive, Cano a interverti les deux saints, homogénéisé leurs attributs et rajouté les angelots en tant que .


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 Pendants aviaires  néerlandais

Les pendants avec coq ou poule ont été assez courants aux Pays-Bas, en relation avec la symbolique sexuelle de la volaille ( (du verbe vogelen, copuler , formé sur le mot vogel : oiseau, voir La cage hollandaise).

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Monogrammist ISD Paysan avec une poule Amsterdam, RijksprentenkabinetPaysan avec une poule Monogrammist ISD Femme avec un chapeau de paille Amsterdam, RijksprentenkabinetFemme avec un chapeau de paille

Monogrammiste HSD, 1546-80, Rijksprentenkabinet, Amsterdam

Ne touche pas trop ma petite poule,           elle pourrait bien germer Chaque jour, on trouve des gens
qui touchent les poules à leurs oeufs  
En vuilt mijn hinneken niet te seer genaeken
Het soude lichtelyck aen de sprou geraeken
Noch vint men daeghelycx sulcken gasten
Die de hinnekens nae haer eyeren tasten

Dans l’avertissement de l’homme, la « poule » reprend la symbolique aviaire du sexe masculin.

Dans sa réponse, la femme fait référence au taste-poule (hennetaster), l’avare qui, avant de vendre une poule, lui tâte le croupion pour vérifier qu’il ne reste pas un oeuf :

Taste-Poule Brueghel Proverbes flamands 1559 Gemäldegalerie BerlinTaste-Poule, détail des Proverbes flamands
Brueghel, 1559, Gemäldegalerie Berlin

Le sens général du dialogue est que cette belle plante repousse, en le traitant d’avare, les propositions du vieux dégoûtant.


De Rooveres Van den hinnentastere 1555 Wolfenbüttel, Herzog August Bibliothek, Lp 62
Frontispice du « Van den hinnentastere » de Rooveres
1555, Wolfenbüttel, Herzog August Bibliothek, Lp 62

Un taste-poule admonesté vigoureusement par son épouse ouvre cet opuscule, qui ridiculise les maris qui ne jouent pas leur rôle d’homme. L’image suggère vertement que l’homme préfère s’occuper du long cou de son propre oiseau plutôt que de sa femme.


1575-95 Julius Goltzius Hennetaster Rijksmuseum RP-P-1878-A-936

Hennetaster
Julius Goltzius, 1575-95, Rijksmuseum RP-P-1878-A-936

L’épouse inverse les rôles en menaçant son époux d’une gifle et en lui reprochant d’être un « drôle de type, qui tâte çà fermement » : faute de précision, on peut comprendre soit que ce mari plutôt jeune tâte volontiers des poulettes, soit qu’il tâte son propre oiseau : le résultat étant le même, la défaillance de ses plumes, comparées ironiquement aux doigts fermes de la paysanne.


Hennetaster Harmen Jansz. Muller, 1595 ca, British MuseumHennetaster, estampe de Harmen Jansz Muller, vers 1595, British Museum Cornelis Bloemaert Hennetaster RikjsmuseumHennetaster, estampe de Cornelis Bloemaert d’après Hendrick Bloemaert,  Rikjsmuseum

Toujours péjorative, la figure du hennetaster est au mieux celle d’un Jan Hen [7], un mari qui laisse sa femme porter la culotte (estampe de gauche), au pire celle d’un impuissant, comme le confirme le texte de la seconde estampe :

Vois comme le vieillard se sent avec la poule ; même une reine à sec (ie : organe déficient) voudrait aussi faire quelque chose ». [7a] Siet hoe den ouden voelt het hoen ; Eeen droge queen wil oock wat doen


HENDRICK BLOEMAERT hennetaster

Hennetaster
Hendrick Bloemaert, colllection privée

Le tableau, cadré plus large que la gravure, montre comme attribut supplémentaire un couteau riquiqui suspendu à une énorme bourse (sur cette symbolique, voir 1 Phalloscopiques par construction).


Bloemaert 1632 Paysan Copyright Centraal Museum UtrechtPaysan ayant cassé des oeufs Bloemaert 1632 Paysanne Copyright Centraal Museum UtrechtPaysanne le lui reprochant

Abraham Bloemaert, 1632, Copyright Centraal Museum, Utrecht

Ce pendant est en première lecture une variante du vieux thème du taste-poule : l’homme qui se charge des tâches féminines (vendre des oeufs) le fait mal (il les casse), sa femme prend sa place (elle le réprimande) et le ménage tourne mal (la maison sans toit).

En seconde lecture, on comprend que la femme est insatisfaite (elle montre son pot vide) parce que son mari s’est répandu ailleurs.


Philip Koninck 1650 ca Couple de cocus 1 Philip Koninck 1650 ca Couple de cocus 2
Couples de cocus
Philip Koninck, vers 1650

Dans la même veine des inversions de rôle et des fines allusions, un homme montre son pot à une voisine qui tient une bougie ; derrière lui sa propre épouse nous indique qu’elle le fait cocu, probablement avec le voisin qui, en retrait, bourre d’un air entendu sa pipe avec son doigt.


Johannes Baeck 1654 Femme avec un coq Centraal Museum, UtrechtJeune femme avec un coq Johannes Baeck 1654 Vieil homme avec une poule Centraal Museum, UtrechtVieil homme avec une poule

Johannes Baeck 1654 Centraal Museum, Utrecht

Ce pendant adapte en version volaille le thème du couple mal assorti (une jeune femme avec un vieil homme), aggravé ici par l’inversion héraldique (voir Couples flamands ou hollandais atypiques ): s’ils sont mariés, il ne s’agit en tout cas pas d’un couple honorable.

La situation est compliquée par le fait que chaque protagoniste est un type courant dans la peinture hollandaise, mais détourné de sa signification habituelle :

  • la belle volaillère, prototype de la femme peu farouche qui règle son compte aux oiseaux phalliques, a fait un coq aux pattes et désigne le vieillard comme un cocu, un porteur de cornes (hoorndrager) ;
  • le taste-poule exhibe un oeuf, au lieu de le tâter en douce.

En première lecture, il s’agit d’un vieux mari que sa jeune femme dit avoir fait cocu, en désignant du même geste la queue avantageuse de son coq (son amant), comparé au plumet chichiteux du barbon.

En seconde lecture, la situation s’équilibre : en montrant ostensiblement l’oeuf, aliment réputé aphrodisiaque, le vieux satyre réplique qu’il compte bien coqueler comme un jeune homme.



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van Mieris Frans (I) 1655-57 The A resting traveller Leiden CollectionVoyageur au repos, The Leiden Collection van Mieris Frans (I) 1655-57 The broken egg ErmitageL’oeuf cassé, Ermitage

 Frans van Mieris (I), 1655-57 (21.6 x 17.8 cm)

Il est très probable que ces deux petites peintures sur cuivre soient des pendants [7b] :

  • scène d‘intérieur dans une galerie, scène d’extérieur devant une porte ;
  • symétrie entre la besace et le panier ;
  • signature unique, au centre des deux tableaux.


L’oeuf cassé

van Mieris Frans (I) 1655-57 The broken egg Ermitage gravure de Pierre Etienne Moitte 1754 escargot

Gravure de Pierre Etienne Moitte, 1754 (détail)

La gravure révèle deux détails peu lisibles sur le tableau :

  • l’escargot posé sur un caillou ;
  • la porte demi-barrée par une planche.

L’escargot joue ici un triple rôle :

  • par sa coquille intacte, il nargue l’oeuf cassé ;
  • par sa lenteur, il souligne la supposée précipitation de la porteuse et et donne une explication rationnelle au gâchis ;
  • par son caractère rampant et gluant, il introduit une notion de péché et de corruption (ce pourquoi on le trouve souvent dans les natures mortes florales, tout comme les mouches, lézards ou serpents).



van Mieris Frans (I) 1655-57 The broken egg Ermitage gravure de Pierre Etienne Moitte 1754
L’oeuf cassé, la porte mal barrée et les mains douloureusement posées sur le ventre sont autant de sous-entendus que la légende de la gravure explicite plaisamment.


Le voyageur au repos

van Mieris Frans (I) 1655-57 The A resting traveller Leiden Collection detail
Cette charge érotique rend, en contrepartie, la posture du voyageur moins innocente : sa main gauche autour du goulot, au dessus du genou vêtu, contraste avec sa main droite flasque, posée sur son genou nu, dans un relâchement post-coïtal.


La logique du pendant (SCOOP !)

  • D’un côté un voyageur, armé de son bâton et de sa besace velue, a pénétré jusqu’au fond d’un galerie, et se remet de ses efforts ;


van Mieris Frans (I) 1655-57 The broken egg Ermitage detail

  • De l’autre une fille fille au corsage défait s’adosse à une barrière inutile  en pressant sur son ventre un torchon dérisoire (voire prémonitoire)  ;



van Mieris Frans (I) 1655-57 The broken egg Ermitage oeuf

  • entre les deux, une blancheur fracturée laisse échapper un liquide glaireux

Sous l’alibi de la miniature et du lisse, toute la crudité sournoise de la peinture fine hollandaise.



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Dou 1660-65 Soldier_Bather ErmitageSoldat se baignant Dou 1660-65 Woman_bather_combing_her_hair ErmitageFemme se peignant

Dou, 1660-65, Ermitage, Saint Petersbourg

Avec leur arbre mort de part et d’autre et leur fond identique d’arcades en briques donnant sur une ville, ces deux tableaux se complètent parfaitement.

Dou 1660-65 Woman_Bather Ermitage

Femme se baignant
Dou, 1660-65, Ermitage, Saint Petersbourg

Cependant le musée conserve un troisième tableau de la même taille, qui complète parfaitement le second, sans pour autant constituer un trio (l’arbre mort sur la gauche empêche de le placer entre les deux autres.


Dou 1660-65 Soldier_Bather Ermitage Dou 1660-65 Woman_Bather Ermitage
Dou 1660-65 Woman_Bather Ermitage Dou 1660-65 Woman_bather_combing_her_hair Ermitage

Tout se passe comme si Dou avait réalisé un diptyque modulaire permettant s’associer baigneur et baigneuses en pendants parallèles ou symétriques, selon l’humeur du moment.


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Maes 1671 Portrait of a girl as Granida, in a blue silk dress with two deer coll privPortrait d’une petite fille avec un couple de daims Maes 1671 Portrait of a boy as Daifilo in an orange cloak, with a bird coll privPortrait d’une petite garçon avec un oiseau et un chien

Nicolas Maes, 1671, collection privée

Dans un décor bucolique, ces enfants évoqueraient la princesse Granida et le berger Daifilo, d’après la tragi-comédie de Pieter Cornelisz Hooft, Granida [7c]. Mais les attributs n’ont rien de spécifique à cette pièce, et se retrouvent dans d’autres portraits d’enfants de Maes. Je pense plutôt que les perles, la conque et le couple d’animaux amoureux sont une manière amusante de transposer les attributs de Vénus, tandis que le petit garçon avec son carquois (mais pas d’arc) et son oiseau favori qu’il promène au bout d’une laisse, est un Cupidon en herbe.



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Willem-van-Mieris-1683-Un-voyou-Allegorie-de-la-Colere-Kunsthistorisches-Museum-VienneUn bretteur (Allégorie de la Colère), 1683 Willem-van-Mieris-1683-Une-prostituee-Allegorie-de-la-Fierte-Kunsthistorisches-MuseumUne prostituée (Allégorie de l’Orgueil), 1684

Willem van Mieris, Kunsthistorisches Museum, Vienne

On n’a aucun élément indiquant que ces deux tableaux aient été réalisés pour une série des Sept Péchés capitaux. Ils fonctionnent en tout cas parfaitement à deux, en pendant masculin/féminin :

  • deux marginaux, un soldat et une prostituée, dans une ambiance italienne ;
  • deux lieux opposés : à l’intérieur sous les ruines et à l’extérieur devant le palais,
  • deux moments opposés : le matin et le soir ;
  • les instruments symboliques de chaque sexe : l’épée qu’on tire et la bourse qu’on remplit ;
  • deux passions également sexuées : l’une d’impulsion et l’autre de calcul.

A l’époque de Van Mieris, la représentation des péchés a vieilli, l’intérêt s’est déporté sur celle des émotions.



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1719 Miniature of Theresa Kunegunda Sobieska and her son Jean Theodore Residenz Munich
Miniature de Therèse Cunégonde Sobieska en Vierge Marie et de son fils Jean-Theodore en Saint Jean l’Evangéliste, 1719, Residenz, Munich

C’est sans doute son caractère privé qui explique le catholicisme quelque peu échevelé de ce double portrait :

  • tenant une image rayonnante de l’Immaculée Conception, l’Electrice consort de Bavière se met à rayonner elle-même ;
  • son fils, transformé en son saint éponyme, écrit lui-même l’Evangile, un aigle d’ombre (Dieu ?) tenant dans son dos l’encrier.



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Cipper detto il Todeschini 696 - 1736 Vendeur de poissons.Le vendeur de poissons Cipper detto il Todeschini 1696 - 1736 Vnedeuse de gibierLa vendeuse de gibier

Cipper dit il Todeschini, 1696 – 1736, collection privée

Un pécheur brandit un anguille tandis que son jeune compagnon joue de la flûte ; une paysanne brandit un canard mort tandis que son jeune enfant lui montre une figue.

L’opposition anodine entre les produits de la chasse (la Terre) et les produits de la pêche (la Mer) est sous-tendue par une symbolique sournoise, chaque sexe manipulant les attributs de l’autre :

  • les volailles mortes (de préférence à long bec ou à long cous) sont depuis les Hollandais des symboles virils bien connus (voir La cage hollandaise) ;
  • les coquillages (conque pubienne, huître offerte) et les poissons (voraces et fuyants) sont des caractères habituels de Vénus.



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Study of a Boy in a Blue JacketEtude de garçon a la veste bleue  Benedetto-Luti-1717-Etude-de-fille-en-rouge-METEtude de fille en rouge

Pastels de Benedetto Luti, 1717, MET

Beaucoup de virtuosité et de malice dans ce jeu de regards entre enfants : le garçon jette un coup d’oeil en biais sur la fille, profitant que celle-ci lève les yeux de son miroir pour regarder qui arrive.



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Piazzetta 1740 ca Girl with a ring biscuit wadsworth atheneum HartfordJeune fille avec une ciambella (biscuit en anneau) Piazzetta 1740 ca Boy with a pear wadsworth atheneum HartfordJeune homme avec une poire

Piazzetta, vers 1740, Wadsworth Atheneum, Hartford

Le pendant illustre deux expressions italiennes :

  • côté garçon : « cascare come pera cotta » ( ‘tomber amoureux comme uen poire cuite) ;
  • côté fille : « non tutte le ciambelle riesco no col buco » (toues les ciabelle ne sortent pas du four avec un trou).



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Barbault Jean La sultane grecque 1748 LouvreLa sultane grecque Barbault Jean Un Pretre de la loi 1748 LouvreUn Prêtre de la loi

Jean Barbault, 1748, Louvre

« En fait la « sultane » est un homme, un peintre pensionnaire de l’Académie de France à Rome, et le tableau un souvenir de la mascarade de 1748. Les jeunes artistes du palais Mancini avaient l’habitude d’organiser à l’occasion du carnaval un cortège pantomime très apprécié des Romains : celui-ci, sur le thème de la Caravane du Grand Seigneur à la Mecque, eut un tel succès que le Pape Benoît XIV tint lui-même à y assister incognito. En fait, tout n’était qu’illusion : les Sultanes ? Des jeunes gens. Les somptueuses soieries ? Des toiles peintes. Les zibelines qui bordent manteaux et houppelandes? Du lapin… Mais par la magie d’un pinceau sensuel et inspiré qui transcende tout, on y croit. »  [8]

Il n’est pas sûr que ces deux panneaux aient fonctionné en pendants. C’étaient plutôt les éléments d’une série, dont voici un troisième membre :


Barbault Jean Un garde du Seigneur 1748 Musee de Narbonne

Jean Barbault, Un garde du-Seigneur,1748, Musée de Narbonne



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Mengs 1754 le plaisirLe Plaisir, MET, New York Mengs 1754 La veriteLa Vérité, Museum of Fine Arts, Houston Mengs 1754 innocenceL’Innocence (copie)

 Pastels de Anton Raphael Mengs, 1754

Les trois allégories sont conformes à l‘Iconologie de Ripa, tout en supprimant les attributs trop rhétoriques, démodés :
:

  • Plaisir : « un beau jeune garçon, âgé d’environ dix-sept ans. Il porte en la tête une Guirlande de roses, et un habillement vert <avec quantité d’hameçons attachés à un filet, et un Arc en Ciel, qui aboutit d’une épaule à l’autre> ». Iconologie, édition française, 1743, article CXXVII
  • Vérité : ‘« une jeune fille nue, qui tient de sa main droite près de son coeur une pêche avec une seule feuille, <et dans la gauche une horloge>. La pêche est l’antique hiéroglyphe du Coeur, et sa feuille de la Langue… elle enseigne que le Coeur et la Langue doivent être conjoints. «  Iconologie, édition italienne, 1593
  • Innocence : « Jeune Vierge vêtue de blanc avec sur la tête une guirlande de feurs, et un agneau dans les bras… L’Agneau symbolise l’Innocence car il n’a ni force, ni volonté de nuire, ni d’offenser, ni de s’embraser dans un désir de vengeance, mais il supporte patiemment, sans répugnance, qu’on lui prenne et la laine et la vie » édition italienne, 1593

Ainsi ce trio très inventif, nous dit que la rencontre  explosive du Plaisir et de l’Innocence doit être modérée, au centre, par l‘exigence de la Vérité.



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Colson 1759 L’Action, Musee des Beaux Arts DijonL’Action colson-le-reposLe Repos

Jean-François Colson, 1759, Musée des Beaux Arts, Dijon

Au delà des deux allégories de l’Action et du Repos, le pendant oppose deux jeux d’enfants aux sous-entendus transparents :

  • côté garçon, il s’agit de mettre le feu aux poudres et de faire tirer le canon, tandis que le chien énamouré se détourne  de la braguette à la baguette ;
  • côté fille, il s’agit de feindre le sommeil pour laisser le chat cruel gober l’oiseau retenu par un ruban (pour plus de détails, voir Le chat et l’oiseau).



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Van Loo (Charles Amedee Philippe) Les bulles de savon 1764 National Gallery of Arts WahingtonLes bulles de savon Van Loo (Charles Amedee Philippe) La lanterne magique 1764 National Gallery of Arts WahingtonLa camera obscura

Van Loo (Charles Amedee Philippe),  1764, National Gallery of Arts, Wahington

Van Loo utilise des pendants ovales pour répartir  ses six enfants entre deux lucarnes « oeil  de boeuf » : une fille et deux garçons, un garçon et deux filles . Ce mélange des sexes  montre bien que le goût n’est plus aux symétries faciles, tout est fait au contraire pour les brouiller : formes, couleurs, mouvements, l’oeil rococo valorise avant tout le raffinement, la distraction, la surprise. Au point qu’il est difficile de décider l’emplacement des deux pendants .

C’est dans la profondeur que se trouve la solution, et que se  joue l’unité entre les deux  :  à gauche, une bulle de savon va s’échapper vers l’extérieur, vers le tablier  tout prêt à la recueillir ; à droite, la « camera obscura » du père est brandie à l’extérieur  pour observer, sur l’écran en face arrière, le miracle de cette bulle qui vole.

Ce qui réunit les six enfants, ce qui capte intensément leur attention,  c’est l’attente imminente de cet envol.



Van Loo (Charles Amedee Philippe) L'artiste et sa mère 1763 Coll particuliere

L’artiste et sa mère  
Van Loo (Charles Amedee Philippe),  1763, Collection particulière

Ces deux pendants viennent compléter un autre « oeil de boeuf » expérimenté l’année précédente. Le peintre s’est représenté dans une complicité joyeuse avec sa mère, tenant le menton ridé de la vieille femme comme au petit jeu de la barbichette,  pour la faire encore une fois sourire.



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Ary Scheffer 1831 Marguerite au rouet Musee de la Vie romantiqueMarguerite au rouet
Ary Scheffer 1831 Faust dans son cabinet Musee de la Vie romantiqueFaust dans son cabinet

Ary Scheffer, 1831, Musée de la Vie romantique, Paris

 

Marguerite

Sans lui l’existence
N’est qu’un lourd fardeau,
Ce monde si beau
N’est qu’un tombeau
Dans son absence.
De mon pauvre esprit
Le ressort s’arrête,
Ma pauvre tête
S’appesantit

Faust, Goethe

Méphistophélès :
Pour dissiper tes vapeurs, me voici en jeune gentilhomme, dans des habits écarlates galonnés d’or, le petit manteau de satin sur les épaules, la plume de coq sur le chapeau, une longue épée affilée au côté; et, sans périphrases, je te conseille d’en faire autant, si tu veux secouer une bonne fois les chaînes qui t’accablent, et, libre enfin, éprouver ce que c’est que la vie…
Faust:
Sous quelque habit que ce soit, la vie sera toujours pénible pour moi, le monde toujours vide et sans charmes. Je suis trop vieux pour m’amuser, trop jeune pour être sans désirs.

 

 

 



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Ieon Frederic Le peintre et son modele 1882 B Ieon Frederic Le peintre et son modele 1882 A.

Le peintre et son modèle
Léon Frédéric, 1882, collection privée

Dans ce double portrait très rimbaldien, Léon Frédéric inverse les positions traditionnelles pour nous montrer qu’il ne s’agit pas d’une vue côte à côte d’un couple amoureux, mais du portrait face à face d’un autre type de relation, celui du peintre et du modèle. En nous montrant derrière la jeune fille la cloison en pleine lumière de l’atelier, et derrière-lui la cloison à contre-jour , il amorce une réflexion sur ce qui se voit (les habits, les bibelots dorés, les bijoux) et sur ce qui ne se montre pas (le squelette, les esquisses, les livres).

Plantée dans son crâne du côté de la création, l’échelle traduit toute l’ambitions de ses vingt six ans.



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France 1880 ca Faucon Pendants coll priv

La dame et son fauconnier
France, vers 1880, collection privée, 190 x 52 cm

Ce pendant très décoratif invite, en taille réelle, deux personnages d’un Moyen-âge idéalisé, repensé selon les conventions bourgeoises :

  • pose avantageuse, haute stature, fine moustache, tête et main nue pour l’homme ;
  • pose pudique, taille menue, coiffe et gant pour la femme.

Chacun ne s’intéresse qu’à son propre rapace, tenu au bout de l’index en signe d’animalité maîtrisée. Reste l’éventualité toujours possible d’un retour du refoulé : échappée l’un vers l’autre du couple d’oiseaux  et rapprochement subséquent entre la lady et le garde-chasse.



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A_Swedish_Fairy_Tale_La princesse et le berger Prinsessan och Vallpojken(Carl_Larsson 1897)_-_Nationalmuseum_-_23889

Conte suédois – la princesse et le berger (A swedish fairy tales -Prinsessan och Vallpojken)
Carl Larsson, 1897, Nationalmuseum, Stockholm

Ce triptyque, qui fait partie des quelques oeuvres symbolistes de Larsson, est factuellement un diptyque : la partie centrale, sculptée, n’est qu’une sorte de cadre élargi, dont les têtes de roi et de reine font écho aux deux personnages peints : le berger et la princesse.

Plutôt que d’illustrer une histoire précise, les panneaux mettent en place un sorte de quintessence du conte, une énergie symbolique exploitant trois polarités croisées : sculpture/peinture, femme/homme, jeunesse/vieillesse.

Un tiers-exclu échappe à ces couples: il est peint mais réduit à une tête comme celles du bas-relief ; il n’est ni homme ni femme, ni vieux ni jeune, mais simplement monstrueux : c’est bien sûr la tête coupée du troll roux, portée à l’envers par la princesse, et qui continue à la reluquer d’un oeil  haineux.

L’histoire est facile à comprendre : le troll tenait la princesse en son pouvoir, le berger lui a coupé la tête et rendu la princesse à ses parents, la reine éplorée et le roi reconnaissant.



Larsson Sankt Goran och Prinsessan 1896 lithographie

Saint georges et le dragon (Sankt Göran och draken)
Larsson, 1896, lithographie

Cette lithographie, exécutée l’année précédente, constitue déjà un triptyque en puissance :

  • la princesse et la tête coupée,
  • un chat dormant prés d’attributs royaux (manteau, couronne et sceptre),
  • le berger avec son épée saignante et son olifant.

Associés aux trois fenêtres, trois textes explicitent le contexte  :

  • la gravure « Saint Georges et le dragon » rappelle le devoir sacré  de délivrer  une princesse ;
  • un almanach (Almanakt) suspendu à un clou dit que nous ne sommes pas dans une histoire sérieuse ;
  • la gravure « De sju v(ise) » – probablement les sept vierges sages  – souligne la pureté de la princesse.

Le chat endormi nous invite une interprétation réaliste et humoristique : deux enfants à la tête farcie de contes se sont déguisés pour jouer au berger et à la princesse, autour de ce  dragon bien inoffensif.

Mais les trois attributs érectiles du berger – l’olifant, le plumet et la grande flamberge sanguinolente barrant le bas-ventre d’une vierge – comparés au nez ouvertement phallique du monstre renversé, renvoient plus ironiquement à une vérité universelle :

ce n’est pas aux vieux trolls de se taper les petites princesses.


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Georges_Braque,_1913 octobre ,_Femme_a_laguitare Centre_PompidouFemme à la guitare, octobre 1913 Georges_Braque,_1914 printemps 1914,_Homme_a_la_guitare Centre PompidouHomme à la guitare, printemps 1914

Georges Braque, Centre Pompidou, Paris

Après avoir lu de nombreux commentaires sur ces deux oeuvres, je suis resté sur ma faim. Elles sont en général le prétexte à une dissertation répétitive sur le cubisme dont elles constitueraient le point culminant, juste avant la fracture de la Grande Guerre. Personne ne s’est intéressé spécifiquement au côté « pendant », sinon pour souligner que les deux toiles ont le même format et pour justifier le coût d’acquisition important de la seconde, afin qu’elles restent ensemble. Si le cubisme avait prétendu révolutionner le pendant, on le saurait !

En fait, les deux oeuvres n’ont pas été conçues pour créer un effet d’interaction ni même probablement pour être accrochées côte à côte : ce sont deux variantes d’un même sujet, conformes à la méthode expérimentale que Braque et Picasso suivaient ensemble en ces années-là, dégagés de la nécessité de vendre par la rente mensuelle de Kahnweiler.

 

Les signes communs

Dans la raréfaction de signes organisée par le cubisme, notre oeil naïf a tendance à survaloriser ceux qu’il reconnaît : on peut comparer les deux guitares inclinées identiquement, les deux mains droites, les volutes en bas qui doivent évoquer celles d’un fauteuil ou d’un guéridon, et les deux « portraits ».

 

Georges_Braque,_1913 octobre ,_Femme_a_laguitare Centre_Pompidou detail Georges_Braque,_1914 printemps 1914,_Homme_a_la_guitare Centre Pompidou detail

Chevelure bouclée, yeux clos, lèvres fermées, médaillon et courbe de la poitrine pour la femme ; oeil et bouche ouverte, noeud papillon chez l’homme : le strict minimum pour justifier le titre.

 

Collage et nature morte

Plus intéressante est la moitié inférieure, entre la guitare et les volutes.

Georges_Braque,_1913 octobre ,_Femme_a_laguitare Centre_Pompidou bas Georges_Braque,_1914 printemps 1914,_Homme_a_la_guitare Centre Pompidou bas

Côté masculin, l’accent est mis sur les matières, avec notamment le faux-bois, évoquant une tablette sur laquelle un verre est posé.

Côté féminin, c’est la technique du collage qui domine: on a beaucoup glosé sur l’élision du N de SONATE, et sur celle de la fin du titre, qui transforme LE REVEIL en LE REVE.

 

Jeux de lettres (SCOOP !)

Georges_Braque,_1913 octobre ,_Femme_a_laguitare Centre_Pompidou REVEIL
Le journal existait vraiment, mais sa manchette ne comporte pas le mot « ORGAN ». La principale invention verbale, dans ce collage, est donc celle de ce mot qui, à cet emplacement, revêt une signification à la fois politique, musicale, et sexuelle.

Il ne faut probablement pas surestimer ces différences, à l’appui d’un hypothétique fonctionnement en pendant.

 

Georges_Braque,1913 nov la-guitare-statue-epouvante Musee Picasso Paris

La guitare statue d’épouvante
Braque, novembre 1913, Musée Picasso, Paris

Car exactement à la même époque, Braque a produit cette nature morte avec les mêmes ingrédients : l’élision du N dans CONCERT, la suppression de la finale qui transforme « RONDEAU pour la guitare » en « ROND » (en écho aux formes de la guitare et de la table) et enfin, le collage d’un vrai imprimé cette fois, le prospectus d’un cinéma de Sorgues que Braque et Picasso fréquentaient.

La force de suggestion de l’écrit nous fait chercher cette « statue d’épouvante » que, dans une autre forme d’élision, Braque s’est abstenu de peindre.


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dubonnet-1924-lui-jean-carluLui (recto) dubonnet-1924-elle-jean-carluElle (verso)

Publicité pour Dubonnet, Jean Carlu, 1924

Cette publicité recto-verso propose une petite surprise : le vieux beau semble se délecter de sa boisson favorite : « Lui… toujours« . En tournant la page, on comprend que son intérêt permanent va moins à l’apéritif qu’à la jolie femme qui baisse le yeux vers son verre, faisant mine de ne pas l’avoir remarqué. Le « toujours » fait alors allusion à l’éternel masculin et à l’éternel féminin.



Dubonnet 1925 ca Jean Carlu HF
En version maritale, le « toujours » caresse l’espoir d’une union durable malgré la différence d’âge.



Dubonnet 1925 ca Jean Carlu FH
En version femme fatale, on comprend qu’il est de la nature des choses qu’une jeune femme mène du but de son ombrelle un vieux marcheur.


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Bortnyik 1924 New-Adam Budapest - Museum of Fine Arts 48 x 38 cmLe nouvel Adam Bortnyik 1924 New-Eve Budapest - Museum of Fine Arts 48 x 38 cmLa nouvelle Eve

Bortnyik, 1924, Musée des beaux Arts, Budapest (48 x 38 cm)

Ces deux « robots », peints à la fin du séjour de Bortnyik au Bauhaus, constituent une vision ironique de l’utopie de l’homme nouveau et de la femme nouvelle [8a] :

  • réduit à un automate en vitrine, l’homme nouveau, arborant les anciens attributs virils (chapeau et canne) mais définitivement efféminé, a laissé derrière ses pouvoirs d’ingénieur (le schéma de la machine à vapeur) pour devenir lui-même un mécanisme ;
  • juchée au dessus des lutteurs dans une salle de boxe (les quatre formes verticales sont des sacs de sable), la femme est l’enjeu du combat, tenant d’une main l’appât (la pomme) et de l’autre le drapeau du vainqueur ; derrière elle le mannequin de mode aux formes encore féminines joue le même rôle que le schéma de la machine à vapeur derrière l’homme-automate : montrer l’étendue de la perte.

Tandis que l’homme se retrouve figé et isolé dans un monde orthogonal, la femme au bord de la plateforme oblique, avec sa robe spiralée, reste le dernier principe moteur, même s’il ne s’agit plus que d’un combat obtus.

Sandor Bortnyik architect-forb-t-and-his-wife-1924

L’architecte Forbat et son épouse
Sandor Bortnyik, 1924, collection privée

Peint la même année au Bauhaus, ce double portrait d’un couple d’amis constitue une sorte d’antithèse. Les vieux stéréotypes sont conservés : la femme aux formes rondes en intérieur, l’hommé aux formes carrées sur le seuil. Cependant le damier surélevé côté femme, les mains inertes des deux protagonistes, suggèrent déjà qu’ils ne sont que des pions dans le jeu éternel des sexes.


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5. Reaching, Regina-72x48-1993-1996Reaching (Regina) Reaching-Peter-lgReaching (Peter)

Francis Cunningham, collection privée

Si Francis Cunningham ne nous avait pas livré les circonstances de cette opposition entre les corps d’une jeune femme et d’un homme âgé[9], nous ne devinerions jamais :

  • quel seul le tableau de Regina était prévu au départ ;
  • que le second est dû à l’initiative de Peter qui, voyant le premier tableau, prit la place de la modèle sur les coussins ;
  • que, si la posture de Peter n’est pas complètement symétrique de celle de Regina (son bras droit est replié sur son ventre et non au dessus de la tête), c’est que Peter est hémiplégique, paralysé du côté droit.

De quoi relativiser sur ce que l’on peut déduire des pendants une fois que toutes les sources ont disparu...

Références :
[6a] La plupart des détails et des textes de cet extraordinaire couple allégorique ont été expliqués par J.Porcher.
J. Porcher, « DEUX TAPISSERIES À RÉBUS », Humanisme et Renaissance, T. 2, No. 1 (1935), pp. 57-60, Librairie Droz
https://www.jstor.org/stable/20672916
[7] On lit dans le texte de la gravure : « Apprenez de ce Jan Hen et comportez-vous comme il faut, sinon votre femme vous volera aussi votre pantalon ». Jan Hen est un sobriquet qui vient du vieux mot hanne (homme de rien) assimilé ensuite à hen (homme-poule. Voir https://www.ensie.nl/populaire-uitdrukkingen/jan-hen
[7a] Martha Peacock, « Hoorndragers and Hennetasters », dans « Old Age in « The Middle Ages and the Renaissance: Interdisciplinary Approaches« , publié par Albrecht Classen; p 511 https://books.google.fr/books?id=izHo94woxrAC&pg=PA510#v=onepage&q&f=false
[7b] https://www.christies.com/lotfinder/paintings/frans-van-mieris-i-a-traveler-at-5765856-details.aspx?from=salesummery&intobjectid=5765856
[7c] https://www.christies.com/lotfinder/Lot/nicolaes-maes-dordrecht-1634-1693-amsterdam-portrait-4838174-details.aspx
[8] http://www.actualite-des-arts.com/joomla1.5/index.php/publications/expositions/47-jean-barbault
[8a]  Christian Drobe ARTWORK OF THE MONTH, MARCH 2020: THE NEW ADAM / THE NEW EVE BY SÁNDOR BORTNYIK (1924) https://craace.com/2020/03/27/artwork-of-the-month-march-2020-the-new-adam-the-new-eve-by-sandor-bortnyik-1924/
[9] http://franciscunningham.blogspot.com/2013/09/behind-scenes-with-pair-of-paintings.html

Les pendants de Wilkie

31 mars 2020
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David Wilkie, un des peintres les plus côtés de la période de la Régence, commença à faire fortune avec des scènes de genre imitées des hollandais (Teniers, Van Ostade). Il réalisa ainsi plusieurs pendants pour le Régent (devenu ensuite le roi George IV), qui appréciait beaucoup cette formule. Après 1828, son style évolua vers un romantisme à la Delacroix, sans qu’il cesse pour autant de sacrifier à la mode des pendants.

 

 

Wilkie 1809 The sick lady gravure de Engleheart 1838La jeune malade (The sick lady), gravure de Engleheart, 1838 wilkie 1809 The cut finger coll privLe doigt entaillé (The cut finger), collection privée

Wilkie, 1809

Conçus comme des pendants, les deux tableaux n’ont été ni exposés ni vendus ensemble. Le premier réalisé montre une maladie grave dans une demeure bourgeoise, le second un bobo dans une cuisine  campagnarde :

  • le docteur prend d’un air soucieux le pouls de la jeune malade, tandis que la grand mère panse le doigt du benjamin (qui s’est taillé en confectionnant des petits bateaux) ;
  • le chien empathique contraste avec le chat indifférent  ;
  • les objets suspendus se répondent par symétrie ; aux objets manufacturés et futiles (le vide-poches d’où s’échappe un ruban, la guitare, le baromètre et la cage à oiseaux) font écho des objets simples et utiles (la flasque de vin, la lanterne, l’ardoise et la volaille)  ;
  • au lit clos qui sent déjà la mort, avec sa bougie coiffée d’un éteignoir, s’oppose  la cheminée avec sa marmite qui chauffe.


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Edward Bird 1810 Village Choristers Rehearsing an Anthem for Sunday Wilkie 1812 Blind Man Bluff

Choeur villageois  répétant un hymne pour le Dimanche (Village Choristers Rehearsing an Anthem for Sunday)
Edward Bird, 1810, The Royal Collection

Le Colin-Maillard (Blind Man Bluff)
Wilkie,  1812, The Royal Collection

Wilkie peignit  le Colin-Maillard pour faire pendant au tableau de Bird, que le Régent possédait déjà. Le thème commun est celui d’une communauté villageoise qui s’organise autour d’un meneur de jeu, soit pour chanter (le bedeau) soit pour s’amuser (l’homme aux yeux bandés).

D’amusantes scènes secondaires sont à découvrir :

  • chez Bird :
    • le marmot qui ne veut pas aller au lit,
    • la cage à serin collée au plafond et aveuglée par un linge pour ne pas gêner les chanteurs ;
  • chez Wilkie :
    • le gamin qui s’est fait mal au pied avec la chaise renversée,
    • le chien écrasé, l’homme au balai attendant sa proie,
    • le gamin plaqué contre le mur,
    • le couple qui profite du tohu-bohu pour s’embrasser.


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Wilkie 1812 Blind Man BluffLe Colin-Maillard (Blind Man Bluff)
Wilkie,  1812, The Royal Collection
Wilkie 1818 The Penny WeddingLe mariage à  un  Penny (The Penny Wedding )
Wilkie,  1818, The Royal Collection

En 1813, pour remplacer le tableau de Bird, le prince demanda un nouveau pendant à Wilkie qui, submergé par les commandes, ne le livra qu’en 1818. Le titre fait allusion à la coutume écossaise de donner un penny par invité, pour contribuer aux frais du mariage et à l’installation du jeune ménage.


Wilkie 1818 The Penny Wedding detail

Le marié incite la mariée à rentrer dans la danse, tandis qu’une fille se penche pour rajuster son soulier. Derrière eux , un second trio leur fait écho : un jeune homme remet son gant d’un air entendu en proposant de danser à une fille dubitative , tandis que son amie assise la pousse à y aller. Entre les deux trios de jeunes gens, une vieille femme s’intéresse surtout à la boisson.

Ce nouveau pendant insiste sur la cohésion et la gaieté naturelle d’une communauté de gens simples, toujours prêts à pousser les chaises pour se réjouir tous ensemble.

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Wilkie-1850-the-gentle-shepherdLe doux berger (The gentle shepherd)
Wilkie, 1823, National Galleries of Scotland, Edimbourg
Wilkie-1850-the-cottage-toilet.La toilette à la ferme (The cottage toilet)
Wilkie, 1824, The Wallace Collection, Londres

Ces tableaux sont inspirés de la comédie pastorale écossaise de Allan Ramsay, The gentle shepherd (1725). La composition est très simple : dans chacun,  deux filles au premier plan à gauche,  un homme et un chien en arrière-plan à droite. Ces pendants en parallèle, et non en miroir, sont fréquents chez Wilkie, et laissent toute liberté pour l’accrochage.

Dans le premier tableau, en extérieur, Roger joue de la flûte pour Jenny. On a de la peine aujourd’hui à comprendre l’émotion intense qu’a pu produire cette oeuvre chez les contemporains en proie à la scottishmania  :

« Je n’y ai jeté qu’un coup d’oeil ; mais j’ai vu la nature si joliment représentée, qu’en dépit de tout, , les larmes jaillirent de mes yeux, et les impressions qu’elle me fit sont aussi puissantes maintenant qu’alors. […] Jamais rien de ce genre ne m’a fait une telle impression. [1]


Dans le second  tableau, en intérieur, Glaud, son chien entre les jambe, regarde ses filles qui font la toilette .

« Tandis que Peggy lace son corsage,
Avec un noeud bleu Jenny attache sa chevelure.
Glaud près du feu du matin jette un oeil
Le soleil levant brille à travers la fumée
La pipe en bouche, les chéries le réjouissent,
Et de temps en temps il ne peut s’empêcher
une plaisanterie.’ »
 « While Peggy laces up her bosom fair,
With a blew snood Jenny binds up her hair;
Glaud by his morning ingle takes a beek,
The rising sun shines motty thro’ the reek,
A pipe his mouth; the lasses please his een,
And now and than his joke maun interveen.’ »
The Gentle Shepherd, Act V, Scene II

Ainsi, sous le rustique béret écossais,  la  pipe de l’amour paternel fait écho au pipeau de l’amour pastoral.

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Wilkie 1826 The pifferrari Wilkie 1827 A Roman Princess Washing the Feet of Pilgrims

Les  pifferrari
Wilkie, 1826, The Royal Collection

Princesse romaine lavant les pieds des pélerins (A Roman Princess Washing the Feet of Pilgrims)
Wilkie, 1827, The Royal Collection  

Encore un pendant en parallèle : deux escaliers, en extérieur et en intérieur, montent de droite à gauche vers une image sainte.

Dans le premier tableau, deux femmes s’agenouillent devant la Madonne, but de leur pélerinage. Des pifferari lui rendent hommage avec leur musique lancinante que Wilkie avait pu comparer, les entendant jouer à Rome pour Noël, avec les cornemuses écossaises.

Dans le second tableau, deux autres femmes pèlerin, avec leur coiffe plate caractéristique, se retrouvent  maintenant assises en position dominante, tandis qu’une jeune fille noble s’agenouille pour leur  laver les pieds, une autre debout tenant la serviette. La scène est censée se passer dans l’église de la Sainte Trinité des Pèlerins, à Rome, la fille agenouillée serait  la princesse Doria. Deux des femmes essuient leur visage en sueur, preuve d’un chaleur qui les accable même dans l’église.

Ce pendant est typique du renouvellement radical de Wilkie tant pour le style – qui rompt complètement avec le fini à la hollandaise, que pour le sujet – qui abandonne le folklore écossais pour l’exotisme méditerranéen, assaisonné de piment catholique.

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Sir David WilKie The guerilla departure 1828 Royal Collection TrustLe départ pour la guérilla
Sir David Wilkie, 1828
Sir David WilKie The guerilla return 1830 Royal Collection TrustLe retour de la guérilla
Sir David Wilkie, 1828

Royal Collection Trust

D’un voyage sur le continent, Wilkie ramène en 1828 un changement de style (plutôt Delacroix que Teniers) et des scènes de genre participant à l’hispanophilie ambiante, qui évoquent la guerre contre Napoléon avec un parti-pris espagnol.


Le départ

« La  référence au jeune mendiant de Murillo assure la couleur locale… Devant une église, un moine carmélite, peut-être son confesseur, donne du feu à un guérillero. Le geste est une couverture leur  permettant de chuchoter . Peut-être s’agit-il d’informations secrètes ou d’instructions venant du moine. Ou bien est-ce une confession privée, le guérillero se voyant accorder une sorte d’absolution a priori. L’allumage du cigare suggère également la mise à feu d’une mèche, comme si le moine était par procuration l’auteur de l’ explosion ». Notice du Royal Collection Trust.


Le retour

« Le Guérillero revient blessé sur sa mule, le bras gauche en écharpe. Il est accueilli par sa femme horrifiée, tandis qu’une autre femme agenouillée près d’une cuvette se prépare à laver ses plaies. Le confesseur l’aide à descendre pour qu’il puisse se  cacher dans la maison (ou est-ce l’église) avant le jour. Comme pour beaucoup de ces scènes de genre, il existe de curieuses réminiscences  religieuses : ici, un écho ironique de l’Entrée du Christ à Jérusalem. » Notice du Royal Collection Trust


La logique du pendant

Départ le matin, retour le soir, sans doute pas le même jour puisque le guérilléro a changé de pantalon. Parti debout à côté du moine assis, il rentre assis à côté du moine debout. Le jeune garçon armé seulement d’un balai (le pauvre peuple qui rêve de balayer l’étranger) est remplacé par une autre figure du nettoyage et de l’absolution : la femme à la cuvette. Au feu qui allume les combats s’oppose l’eau qui lave les blessures  : toute la question de la guerre résumée en deux tableaux.


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Wilkie 1837 Grace before meat Birmingham Museums TrustLe bénédicité (Grace before meat)
Wikie 1837 Birmingham Museums Trust
Wilkie, David, 1785-1841; The Cottar's Saturday NightSamedi soir chez les cotters (The Cotter’s Saturday Night)
Wikie 1837

Ces deux pendants rembranesques sont inspirés par un poème de Robert Burns,  Address to the Haggis (Hommage à la panse de brebis farcie) [2]. La composition est  toujours en parallèle : à  gauche la cheminée, à droite la table familiale où l’on dit le Bénédicité à midi, et où l’on lit les Ecritures le samedi soir.

« Le thème est celui des « cotters », paysans auxquels le propriétaire fournissait un cottage en échange de travail,  plutôt que d’un loyer. Ce système avait disparu dans les années 1820. avec la réforme agraire. Il était lié  à la tradition du culte à la maison, qui disparaissait tout aussi rapidement. En 1836, l’Église d’Écosse avait distribué à tous ses ministres une lettre pastorale les invitant à encourager parmi leurs paroissiens cette pratique mourante. Au cœur du presbytérianisme se trouvait l’aspiration de laisser  la gouvernance de l’Eglise au soin des chefs de famille , plutôt qu’aux propriétaires fonciers locaux,  comme c’était, grossièrement parlant, le cas dans la pratique anglicane. Ces tableaux , comme d’autres  de Wilkie, mettent en valeur la vertu domestique comme une caractéristique particulière et spéciale des Ecossais. » [3]


Références :
[1] « I got only one short look of it; but I saw nature so beautifully depicted, that in spite of all I could do the tears burst from my eyes, and the impressions made by it is as powerful at this moment as it was then. […] There was never anything of the kind made such an impression on me25. » Hogg, The Art-Union, mai 1839, no 4, p. 74.
[2] On trouvera une traduction documentée dans http://www.address-to-a-haggis.c.la/
[3] http://www.victorianweb.org/painting/wilkie/paintings/2.html

Les pendants d’Ochtervelt

31 mars 2020
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 Parmi les sept pendants d’Ochtervelt, seuls deux sont totalement confirmés [1]. L’originalité des sujets mérite néanmoins ce court article.

Ochtervelt, Jacob, 1634-1682; The Embracing CavalierLe cavalier qui embrasse (The Embracing Cavalier) (44.6 x 35.6 cm) Jacob-Ochtervelt-1660-65-The-Sleeping-Cavalier-Manchester-Art-Gallery-46.0Le cavalier qui dort (The Sleeping Cavalier) (46 x 37.7 cm)

Jacob Ochtervelt, 1660-65, Manchester Art Gallery

Malgré la légère différence de taille, il est probable que ces deux tableaux, qui montrent les mêmes personnages, aient été conçus comme pendants.


Le cavalier qui embrasse

L’ardoise au mur, biffée de nombreux traits, et la pipe cassée sur le sol, indiquent que le cavalier et son compagnon – qui dort affalé sur le jeu de backgammon – ont largement bu et fumé. La cage à oiseau identifie l’auberge comme un bordel (voir La cage hollandaise) : tandis que la tenancière amène un dernier verre, l’entraîneuse, tout en évitant un baiser, lève le bras gauche du cavalier pour vérifier qu’il est à point.


Le cavalier qui dort

Au matin, il s’agit de vider les lieux : la tenancière approche probablement une braise sous le nez du cavalier, tandis qu’un compère lui corne à l’oreille. Le coussin a été replacé sur le tabouret, et un chien dort par terre à sa place, rappelant avec humour le joueur assommé par le vin.


La logique du pendant (SCOOP !)

 L’événement mis entre parenthèses est non pas une nuit d’amour dans les bras d’une fille – comme le cavalier l’espérait – mais un sommeil lourd seul sur la chaise.



Ochtervelt 1668 Cavalier in a window Staedel Museum, Frankfurt am MainCavalier à sa fenêtre, Städel Museum, Francfort (29 X 23 cm) Ochtervelt 1668 Young woman singing in a window collection priveeFemme chantant à sa fenêtre, collection privée (26 X 19,5 cm)

Ochtervelt, 1668

Ce pendant probable (malgré la légère différence de taille) se rattache à la formule des demi-figures de l’Ecole d’Utrecht, et en particulier aux musiciens vus dans une fenêtre de Honthorst, en 1623 (voir Les pendants caravagesques de l’Ecole d’Utrecht).

L’ordre d’accrochage héraldique est le plus intéressant d’un point de vue narratif, puisque l’homme au béret rouge apparaît écoutant la main sur le coeur, et sans qu’elle ne s’en doute, le chant de la jeune femme qu’il aime.


Ochtervelt 1666–70 Violonist in a window coll priv 26,9 x 19,5Violoniste à sa fenêtre, collection privée  (26,9 x 19,5 cm), Ochtervelt 1668 Young woman singing in a window collection privee

Une autre possibilité est d’apparier la chanteuse avec un violoniste peint par Ochtervelt à la même époque : à noter que la fenêtre du violoniste, abîmée, a été restaurée récemment sur le modèle de l’autre, ce qui force artificiellement la ressemblance. [2]


Ochtervelt 1668-69 Poultry seller at the door loc inconnueVendeur de volailles à la porte, localisation inconnue (77,5 x 62 cm) Ochtervelt 1668-69 Cherry seller at the front door Museum Mayer van den Bergh, AntwerpVendeuse de cerises à la porte, Museum Mayer van den Bergh, Anvers (78 x 62,9 cm)

Ochtervelt, 1668-69

Dans les deux tableaux,la lumière vient du même point, en haut à gauche. Les compositions sont symétriques :

  • la maîtresse de maison, debout, paye le marchand ou supervise la pesée ;
  • une servante présente une volaille (interceptée par le chien) ou un plat vide pour les cerises (interceptées par la petite fille) ;
  • deux objets circulaires se répondent en pleine lumière : le paillasson et le panier de cerises.



Ochtervelt 1668-69 Cherry seller schema
Le système perspectif montre une différence notable, et probablement délibérée, de point de vue :

  • dans le premier tableau, le spectateur regarde la scène du point de vue de la maîtresse de maison ;
  • dans le second, il la regarde du point de vue de la vendeuse agenouillée.

A noter que les deux portes, rectangulaire à battant plein ou en arc de cercle à demi-battant, ont la même largeur et à peu près le même position, ce qui contribue fortement à l’unification des deux scènes.


Ochtervelt 1669 Grape seller at the door ErmitageVendeuse de raisins à la porte (81 x 66,5 cm) Ochtervelt 1669 Woman selling fish at the door of a house ErmitageVendeuse de poissons à la porte (81,5 x 63,5 cm)

Ochtervelt, 1669, Ermitage, Saint Pétersbourg

Ce second cas en revanche me semble très douteux du point de vue du fonctionnement en pendant :

  • trop d’éléments redondants (la vieille marchande, le chien, le panier par terre, la servante qui présente le plat vide) ;
  • éclairage incohérent : venant de la gauche puis du centre (voir les ombres convergentes du baquet et du chien).



Ochtervelt 1669 Woman selling fish schema
Enfin le système perspectif, très approximatif dans chaque tableau (les erreurs sont en rouge) ne montre aucune intention d’ensemble.

Je pense donc que ces deux tableaux ne sont vraisemblablement pas des pendants, mais des variantes sur le thème de la vente sur le pas de la porte.

Ochtervelt 1670-74 Merry company with a violinist. Chrysler Museum of Art, NorfolkJoyeuse compagnie avec un violiniste, Chrysler Museum of Art, Norfolk (115 x 102 cm) Ochtervelt 1670-74 Music making company and woman with tray in a garden coll privMusiciens et femme avec un plateau dans un jardin, collection privée (118,7 x 107 cm)

Ochtervelt, 1670-74 ou 1655 (Kuretsky 1979)

Ce pendant présumé met en scène deux joyeuses tablées, en intérieur et en extérieur.

Il est vrai que certains éléments se répondent :

  • le violoniste en cuirasse, debout vu de dos ou assis vu de profil :
  • la porteuse de plat et le porteur d’huîtres.

Mais la composition ne révèle aucune forme d’unité :

  • d’un côté le violoniste se situe en position centrale, entre deux couples ;
  • de l’autre il est intégré dans un trio musical.

La taille et la provenance différente militent également en faveur d’un faux pendant


Ochtervelt 1671-73 Man in cuirass, offering a young woman money loc inconnueHomme en cuirasse offrant de l’argent à une jeune femme (89 x 73 cm) Ochtervelt 1671-73 Young woman at the virginal and a lute player loc inconnueJeune femme au virginal avec un joueur de luth (89,5 x 69 cm)

Ochtervelt, 1671-73, localisation inconnue

Ce pendant confirmé montre en revanche une grande symétrie :

  • la même jeune femme (ou du moins portant la même robe) est vue de trois quart arrière ou de trois quarts avant ;
  • le même chien est vu de face, puis de dos.

En revanche l’homme assis ne porte pas les mêmes vêtements dans les deux scènes : en cuirasse, bottes et chapeau dans la première, en habits d’intérieur dans la seconde.


La logique du pendant

Pour Cornelia Moiso-Diekamp ([1], p 404) le pendant serait à lire chronologiquement :

  • d’abord l’accueil (une pièce contre un verre de vin… ou plus) ;
  • ensuite la partie de musique.

Je pencherais quant à moi plutôt pour une interprétation morale, qui rend mieux compte des habits différents de l’homme, et de la position du chien :

  • la relation vénale (ou l’union charnelle) : la femme s’est avancée entre les cuisses du soldat, le chien assis derrière son maître souligne la subordination de l’homme, réduit à tendre la patte à sa belle maîtresse ;
  • la relation amicale (ou l’union spirituelle) : les deux sont séparés par la table et ne se touchent que par le regard et la musique de leurs cordes ; au beau milieu le chien lève son museau vers le haut, symbole de fidélité et de désir d’élévation.



Ochtervelt 1675 The gallant drinker coll privLe buveur galant, collection privée (63,5 x 51,4 cm) Ochtervelt-1675-Doctors-visit-Manchester-Art-GalleryLa visite du docteur, Manchester Art Gallery (62,5 x 50 cm)

Ochtervelt, 1675

Terminons par un pendant confirmé, pour lequel les symétries sont flagrantes :

  • la servante pétant de santé, debout et décolletée se transforme en une jeune fille riche, assise et frileuse ;
  • le soldat assis en médecin debout ;
  • la vieille femme complaisante en mère inquiète ;
  • le chien intéressé par le verre de vin en chien dégoûté par le pot de chambre ;
  • la flasque de vin en fiole d’urine ([3], N° 26).

Une première lecture consistait à voir dans le pendant une admonestation moraliste contre la débauche, en montrant sa conséquence désastreuse : la grossesse.



Ochtervelt-1675-Doctors-visit-Manchester-Art-GalleryLa visite du docteur, Manchester Art Gallery (62,5 x 50 cm) Ochtervelt 1675 The gallant drinker coll privLe buveur galant, collection privée (63,5 x 51,4 cm)

Mais comme l’a montré Laurinda S. Dixon [4], la lecture est en fait inverse :

  • le premier tableau montre la furor uterinus, maladie causée chez les jeunes filles de bonne famille par une abstinence trop prolongée ;
  • et le second son remède facile.



Ochtervelt 1675 Doctor's visit Manchester Art Gallery detail

Le galon de la robe, qui conduit le regard de la main posée sur l’entrejambe à la chaufferette béante, avec son fourneau repli de braises, donne une bonne idée de la source du problème.



Références :
[1] Liste des pendants étable d’après la thèse de Cornelia Moiso-Diekamp, « Das Pendant in der holländischen Malerei des 17. Jahrhunderts ».
[2] https://www.theleidencollection.com/artwork/singing-violinist/
[3] Susan Donahue Kuretsky, The Paintings of Jacob Ochtervelt, 1634-1682: With Catalog Raisonné
[4] Laurinda S. Dixon, « Perilous Chastity: Women and Illness in Pre-Enlightenment Art and Medicine », p 166 et ss https://books.google.fr/books?redir_esc=y&hl=fr&id=jE7Sz7oDKbwC&q=pendants#v=snippet&q=pendants&f=false

 

 

Les pendants de Schalcken

24 mars 2020
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Schalcken est un « peintre fin », spécialiste des éclairages à la bougie. Six de ses sept pendants en contiennent une, souvent portée à hauteur du visage de manière assez artificielle : le sujet, parfois obscur, n’est que le prétexte à la mise en scène du savoir-faire de l’artiste [1].

Autoportraits

Schalcken 1679 Autoportrait Liechtenstein MuseumAutoportrait Schalcken 1679 Francoise_van_Diemen,Liechtenstein MuseumSon épouse Françoise van Diemen

Schalcken, 1679, Liechtenstein Museum

Dans ce pendant marital réalisé probablement à l’occasion de son mariage en 1679, Schalcken se présente en peintre-gentleman, portant des habits raffinés et comblé par une resplendissante épouse : les deux portent la main droite sur leur coeur, signe de promesse d’amour.


 

Schalcken 1679 Autoportrait Liechtenstein Museum detailAutoportrait Schalcken 1679 Francoise_van_Diemen,Liechtenstein Museum detailSon épouse Françoise van Diemen

Les détails du fond dénotent une union idéalisée [2] :

  • derrière l’époux (36 ans), le tableau avec Vénus endormie signifie ostensiblement que la déesse du Sexe s’est effacée devant les joies du mariage, tout en rappelant aux amateurs les capacités du peintre à peindre noblement de belles femmes ;
  • derrière l’épouse (19 ans) , la statue de Diane rend hommage à sa chasteté.

Le couple aura dix enfants, dont un seul leur survivra.



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Schalcken 1706 Self_portrait coll privAutoportrait Schalcken 1706 Francoise Van Diemen coll privSon épouse Françoise van Diemen

Schalcken, 1706, Collection privée 

Dans ce second pendant marital réalisé l’année de sa mort, Schalcken a 63 ans. Il tient fièrement un médaillon à l’effigie de son patron, l’électeur palatin Johann Wilhelm, qui l’avait fait venir à Düsseldorf. [3]


van dyck Autoportrait au tournesol 1632 Coll part

Autoportrait au tournesol
Van Dyck, 1632, Collection particulière

La pose s’inspire ouvertement du célèbre autoportrait de van Dyck (gravé en 1644).  Schalcken se montre ici à la fois

  • courtisan – en égalant son patron allemand au Roi d’Angleterre, que symbolise le tournesol (voir Substituts du miroir)
  • et courtois – en comparant son épouse, en robe orange et cape vert foncé, à la rayonnante fleur solaire.



Pendants mythologiques

 

Schalcken 1690 Venus_overhandigt_Amor_een_brandende_pijl_-_GK_307_-_Museumslandschaft_Hessen_KasselVénus donne à l’amour une flèche enflammée, ou L’effet de la lumière artificielle Schalcken 1690 Venus_aan_haar_toilet_in_gezelschap_van_Amor Museumslandschaft_Hessen_KasselVénus à sa toilette, ou L’effet de la lumière du Jour

Schalcken, 1690, Museumslandschaft Hessen, Kassel

Deux sujets mythologiques classiques sont ici enrôlés au service des effets d’éclairage :

  • flèche enflammée sur ciel d’orage,
  • rais de lumière tombant sur l’épaule et la chevelure blonde de la Déesse.


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Schalcken 1691 Jupiter_en_Semele Schloss_WeissensteinJupiter et Sémélé Schalcken 1691 Pan_en_Syrinx_Schloss_WeissensteinPan et Syrinx

Schalcken, 1691, Schloss Weissenstein, Pommersfelden

Même recherche d’éclairages rares et contrastés dans ces deux scènes de demoiselles en danger :

  • la foudre de Zeus va carboniser Sémélé terrorisée (union fulminante dont naîtra Dionysos) ;
  • sous un ciel fuligineux, la chaste nymphe Syrinx va se transformer en roseaux pour échapper à la convoitise de Pan.

Le rideau et le manteau rouges mettent en valeur les anatomies recto verso.

Assez subtilement, un troisième personnage ajoute du piment et de la complexité aux deux scènes :

  • la femme derrière le rideau n’est pas juste une voyeuse : le geste de son index nous fait reconnaître  Héra (l’épouse jalouse de Jupiter) qui, déguisée en servante, avait conseillé à Sémélé de demander à Zeus de lui montrer sa foudre et ses éclairs ;
  • à droite Cupidon semble aider à dégager les roseaux : mais son geste (n’embrasser que des tiges) préfigure surtout ce qui va arriver à Pan.



Scènes de genre

 

Schalcken 1690 ca A useless Moral Lesson MauritshuisAllégorie de la Chasteté, ou L’avertissement inutile Schalcken 1690 ca The Medical Examination MauritshuisL’examen médical

Schalcken, 1680-85, Mauritshuis, La Haye

Ce pendant moralisateur se déchiffre en deux temps.

Une femme âgée (la canne) et sage (le livre) morigène (l’index) une jeune fille qui rêve à l’amour (l’Hermès derrière la tête) et se prépare à laisser envoler l’oiseau qu’elle garde précieusement dans sa boîte (sur cette métaphore de la virginité, voir L’oiseau envolé).



Schalcken 1690 ca The Medical Examination Mauritshuis detail
Un médecin voit dans l’urine de la même jeune fille affligée la preuve irréfutable qu’elle est enceinte, et non malade : le clystère posé sur la table symbolise à la fois le mal qui l’a frappée, et l’impossibilité d’un remède.



Schalcken 1690 ca The Medical Examination Mauritshuis detail 1
Son jeune frère rigole en faisant, près d’un montant de chaise évocateur, le geste obscène de la figue (voir Faire la figue).

Sur la symbolique sexuelle de la colonne, voir 3 Phalloscopiques par destination : les fruits de l’Industrie


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Schalcken 1670-75 Every one his fancy RijksmuseumA chacun sa fantaisie (Every one his fancy) Schalcken 1670-75 Verschil van smaak RijksmuseumDes goûts différents

Schalcken, 1670-75, Rijksmuseum, Amsterdam

Ce pendant plus énigmatique repend un peu le même thème.

Dans l’enfance, les préférences sont simples : se goinfrer de bouillie à la cuillère, ou gober un oeuf salement (voir la coulure sur sa serviette). Le grand frère au bel habit, admiré par sa soeur et son grand-père, se moque ouvertement de la naïveté gloutonne du petit : car il y a sans doute un sous-entendu sexuel dans l’oeuf brisé (comme plus tard chez Greuze, voir Les pendants de Greuze), synonyme de défloraison pour une fille, et de vigueur sexuelle pour un garçon.

Le second tableau illustre les préférences qui se présentent à un garçon plus âgé : fumer sa pipe en solitaire en rêvant à on sait bien quoi, ou courtiser une jolie fille au coin du feu.



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Schalcken 1682 Meisje_en_jongen_die_een_varkensblaas_opblazen_-_G_2340_-_Staatliches_Museum_SchwerinJeune garçon faisant souffler une vessie de porc à une jeune fille Schalcken 1682 Girl_about_to_take_a_bite_of_a_piece_of_apple_Staatliches_Museum_SchwerinJeune fille mangeant une pomme à la chandelle

Schalcken, 1675-80, Staatliches Museum, Schwerin

Ce pendant assez déconcertant oppose un couple d’enfants, en lumière naturelle, et une petit fille solitaire, à la bougie. Formellement, l’appariement des deux scènes repose uniquement sur le geste de la jeune fille de porter un objet à sa bouche.

Mais il y a probablement un arrière-plan symbolique, les jeux d’enfants dénonçant ce qui guette les adultes : la futilité des plaisirs (la vessie) et l’appétit coupable (à voir le geste suspendu de cette petite Eve, surprise en flagrant délit de gourmandise).


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Schalcken 1685-90 Brieflesendes Madchen_Gal.-Nr._1786_-_Staatliche_Kunstsammlungen_DresdenJeune fille lisant une lettre à la chandelle Schalcken 1685-90 Ein Madchen mit brennender Kerze Staatliche_Kunstsammlungen_DresdenJeune fille à la chandelle

Schalcken, 1685-90, Staatliche Kunstsammlungen, Dresde

Le fait qu’il s’agisse du même modèle dans les deux tableaux laisse imaginer là encore une histoire en deux temps [4] :

  • la jeune fille rêve en lisant une lettre d’amour ;
  • puis elle s’est établie (collier de perles, coiffe, tableau au mur) mais rêve toujours à l’amour, en jetant un coup d’oeil sur le spectateur.



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Schalcken attr 1690-1706 Een_meisje_plaatst_een_kaars_in_een_lantaarn_en_een_jongen_verzorgt_een_vuurtest_voor_een_stoof_Rijksmuseum_SK-A-370Jeune fille mettant une bougie dans une lanterne et jeune garçon préparant une chaufferette Schalcken attr 1690-1706 Een man met een pijp en een man, die zich een glas inschenkt Rijksmuseum SK-A-371Homme avec une pipe et homme qui se verse un verre

Schalcken (attribution), 1690-1706, Rijksmuseum

Dans ce pendant tardif désormais attribué à Arnold Boonen, un élève de Schalcken [5], l’appariement est de plus en plus gratuit :

  • à l’office, une jeune fille prépare une lanterne et un jeune garçon souffle sur le brasero qu’il va glisser dans la chaufferette ;
  • au tripot (cartes sur la table), un buveur se verse un verre et un fumeur allume sa pipe a un petit brasero portatif qu’il tient à bout de bras.

La principale justification à ce pendant semble purement formelle, les gestes se répondant deux à deux :

  • remplir la lanterne et remplir le verre ;
  • amorcer la chaufferette et à allumer la pipe.

Mais puisque le second tableau représente ouvertement les Plaisirs (le jeu, la boisson, le tabac), il est fort probable que le premier fasse allusion, avec l’hypocrisie propre aux scènes d’enfants, à des activités moins innocentes : « ranimer la braise » et « combler la lanterne ».



Références :
[1] Liste des pendants étable d’après la thèse de Cornelia Moiso-Diekamp, « Das Pendant in der holländischen Malerei des 17. Jahrhunderts ».
[2] http://www.liechtensteincollections.at/en/pages/artbase_main.asp?module=browse&action=m_work&lang=en&sid=87294&oid=W-1472004121953420248
[3] https://www.christies.com/lotfinder/Lot/godfried-schalcken-made-near-breda-1643-the-hague-1000995-details.aspx
[4] Thierry Beherman,« Godfried Schalcken «  , 1988
[5] Nicole Elizabeth Cook, « GODEFRIDUS SCHALCKEN (1643-1706) : DESIRE AND INTIMATE DISPLAY », p 39 http://udspace.udel.edu/bitstream/handle/19716/20679/2016_CookNicole_PhD.pdf

Les pendants de David

20 mars 2020
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 Les quatre pendants de David sont intéressants moins par leur structure que par leur valeur de témoignage sur quatre moments particuliers de l’Histoire.

En 1793, David est montagnard, chargé de l’organisation des fêtes civiques et révolutionnaires, ainsi que de la propagande. Du 16 au 19 janvier 1793, il vote pour la mort du roi Louis XVI, ce qui provoque la procédure de divorce intentée par son épouse Marguerite, née Pécoul.

Un pendant militant

David Les Derniers moments de Michel Lepeletier 1793 reconstitutionLes Derniers moments de Michel Lepeletier
reconstitution
David Marat assassine 1793 Musee Royal Beaux Arts Bruxelles 165 x 128Marat assassiné
Musée Royal des Beaux Arts, Bruxelles (165 x 128 cm)

David , 1793

Les Derniers moments de Michel Lepeletier

Le royaliste Philippe Nicolas Marie de Pâris a l’intention de tuer Philippe Égalité, qu’il considère comme un régicide. Il l’attend au Palais Royal, mais comme il ne paraît pas,  Pâris se rend chez le traiteur Février où dîne un autre régicide : le conventionnel Le Peletier et il le tue. Le 29 mars 1793, David présente à la Convention le tableau qu’il a peint (aujourd’hui disparu).


Marat assassiné

La royaliste Charlotte Corday assassine chez lui le 13 juillet 1793 Jean-Paul Marat, révolutionnaire français. À la suite de l’annonce à la Convention de la mort de Marat, le député Guiraut réclame à David de faire pour Marat ce qu’il avait fait pour Lepeletier de Saint-Fargeau, à savoir, représenter la mort du conventionnel par ses pinceaux. Le 14 novembre 1793, David offre à la Convention le portrait de Marat, dès lors exposé et reproduit avec le tableau précédent dans un but avoué de propagande.


La logique du pendant

Peinte en premier, La mort de Lepeletier obéit à une logique ascensionnelle : le regard dépasse le glaive infâme, orné d’une couronne royale et tourné vers le bas, jusqu’à la lumière en hors champ en haut et à droite (voir la direction de l’ombre sous le nez du cadavre).

Pour Marat assassiné, réalisée six mois plus tard, David est contraint de situer la source lumineuse unique au centre des deux pendants, plongeant dans l’ombre de manière dramatique le buste et la blessure de Marat, ce qui n’a pas peu fait pour la célébrité du tableau.

La connaissance du pendant disparu nous donne accès à la valeur symbolique de cette Lumière révolutionnaire qui baigne le front des martyrs, accolés dans leur fraternité  tragique.


Un pendant de couple

Après la chute de Robespierre, David est emprisonné d’août à décembre 1794.
« Pendant l’incarcération de l’artiste, son ex-épouse Marguerite reprend contact avec lui. A sa libération, David se réfugie dans la ferme de Saint-Ouen, à Favières, près de Paris. Émilie Pécoul, épouse de Charles Sériziat et sœur de Marguerite, avait hérité de cette demeure. Les désordres politiques de l’époque conduisent à une nouvelle incarcération du peintre en 1795, à l’issue de laquelle il retourne à la ferme de Saint-Ouen. » [1]

david 1795 portrait-d-emilie-seriziat-et-son-fils-LouvrePortrait d’Emilie Seriziat et son fils Emile david 1795 portrait-de-pierre-seriziat LoivrePortrait de Pierre Seriziat

David, 1795, Louvre

C’est pendant ce second séjour chez sa belle-soeur et son beau-frère qu’il réalise leurs deux portraits , en mai et août 1795. L’enfant représenté avec sa mère est leur fils Emile (2 ans). Ce retour à la famille aura une conclusion inattendue, puisque David et Marguerite Pécoul se re-épouseront en 1796.


La logique du pendant (SCOOP !)

Il s’agit d’un pendant intérieur-extérieur :

  • l’épouse est représentée assise sur un canapé rouge, rentrant de promenade avec son fils, son bouquet de fleurs et son chapeau de paille ;
  • l’époux est quant à lui assis sur un rocher, en tenue de grand air : culotte à l’anglaise en peau de chamois, bottes cavalières, cravache en main et sur la tête un chapeau à la Bourdaloue portant la cocarde nationale [2] .

Loin de toute solennité, les deux affectent des poses conformes à la vogue du naturel :

  • la bonne mère de famille, soucieuse d’éduquer son enfant au contact des fleurs ;
  • l’homme d’action, en tenue élégante mais pratique, maître de lui-même et de la nature (la cravache pour dompter le cheval, la houppelande pour domestiquer le rocher).

Mais l’aspect le plus flagrant de ce pendant de couple est la rupture avec le traditionnel ordre héraldique (voir Pendants solo : homme femme), qui vaut certainement ici comme une proclamation d’égalité, voire même de renversement des rapports de préséance entre les sexes : la place d’honneur va à la Mère.



David 1788 Portrait_of_Monsieur_Lavoisier_and_His_Wife MET Antoine Laurent Lavoisier et son épouse Marie Anne Pierrette Paulze
David, 1788, MET

Sept ans plus tôt, David avait peint ce double portrait, emblématique de la position de l’épouse à l’extrême fin de l’Ancien Régime, du moins dans la très haute société. Marie Anne Paulze était par ailleurs une de ses anciennes élèves. Debout, épouse indispensable en robe blanche, elle domine et enveloppe l’époux en habits noirs :

« Pour Lavoisier, soumis à vos lois / Vous remplissez les deux emplois / Et de muse et de secrétaire » (vers de Jean-François Ducis) [3].

Le tableau va encore plus loin dans l’inversion des rôles, en nous montrant Lavoisier tenant la plume en véritable secrétaire.. Afin de rendre cette subordination moins choquante, David a gommé la différence d’âge entre les deux : en 1788, Marie Anne a 30 ans et Antoine 45 ans (elle l’avait épousée en 1771, à peine âgée de 13 ans).


David 1812 Portrait_Mongez Louvre

Portrait de Monsieur et Madame Mongez
David, 1812, Louvre

A comparer avec ce double portrait réalisé sous l’Empire, lorsque le modèle marital sera redevenu plus conventionnel : Angélique Mongez est une femme-peintre, elle-aussi élève de David et son époux est Antoine Mongez, un naturaliste célèbre, de 28 ans plus âgé qu’elle : la différence d’âge, ici bien marqué, conforte le mari dans sa double position d’honneur, par l’âge et par le sexe. Ce couple persévérant a pour particularité amusante de s’être marié trois fois :

  • en 1792 par une simple déclaration de mariage ;
  • en 1793 pour régularisation suite aux nouvelles lois sur l’Etat Civil ;
  • en 1814, pour se conformer aux canons de l’Eglise [4].



Un pendant putatif

David 1787-95 Psyche abandonnee coll priv 80 x 63 cmPsyche abandonnée, 1787-95  

David 1787 La Vestale coll priv 81,3 × 65,4 cmLa Vestale, 1784-87

 David, collection privée (80 x 63 cm)

Je résume ici l’hypothèse de Guillaume Faroult [4a].sur ces deux tableaux, dont on ne sait pas grand chose.

Psyché se désespère, abandonnée par l’Amour qu’elle a épié pendant son sommeil : cette toile inachevée aurait pu être commencée vers 1787, comme pendant à La Vestale, puis reprise par David en 1795, en écho à la solitude et au désespoir durant son emprisonnement.

L’autre tableau nous montre une jeune vestale qui, distraite par une lettre d’amour, en oublie ses devoirs et laisse s’éteindre la lampe à côté d’elle.

La logique de ce pendant, extérieur – intérieur et nu – habillé, serait donc de confronter deux images antiques de la Faute.



Deux pendants officiels

 

David 1807 Le sacre de Napoleon LouvreLe sacre de Napoléon (Sacre de l’empereur Napoléon Ier et couronnement de l’impératrice Joséphine dans la cathédrale Notre-Dame de Paris, le 2 décembre 1804), 1805-08, Louvre [5]

L’intronisation

En 1804, David avait reçu la commande de quatre toiles de très grand format pour illustrer les quatre cérémonies qui avaient marqué le couronnement de Napoléon. Ces toiles étaient destinées à décorer les murs de la salle du Trône, mais pour des raisons politiques seule la deuxième et la troisième toile furent réalisées ; la première n’a pas été commencée et la dernière est restée au stade de l’étude préparatoire.

Dans le Sacre, l’avancée du cortège vers le choeur de Notre Dame correspond au sens de la lecture.

L’Intronisation aurait prolongé cette lecture, tout en se situant topographiquement à l’autre bout de la nef : on devait y voir de gauche à droite un dais, Joséphine assise en arrière de Napoléon assis, prêtant sur l’Evangile le Serment constitutionnel devant les quatre Présidents du Sénat, du Corps Législatif, du Tribunat et du Conseil d’Etat, et à droite les portes ouvertes de la cathédrale. [6]


David 1810 Serment_de_l'armee_fait_a_l'Empereur_apres_la_distribution_des_aigles,_5_decembre_1804 VersaillesLa Distribution des Aigles (Serment de l’Armée fait à l’Empereur après la distribution des aigles, 5 décembre 1804), 1810, Versailles [7] Jacques-Louis David, Arrivee de Napoleon Ier à l'Hotel de Ville, 1805, dessin à la plume sur papier (c) RMN-Grand Palais (musee du Louvre) - Stephane MarechalleArrivée de Napoléon Ier à l’Hotel de Ville le 16 décembre 1804, 1805, (c) RMN-Grand Palais (musée du Louvre) – Stéphane Maréchalle. [8]

Le second pendant aurait eu quant à lui une composition plus statique, bloquée entre les deux façades opposées de la tribune impériale et de l’Hotel de Ville.


La logique de la série

Les quatre toiles respectaient l’ordre chronologique des quatre cérémonies (deux à Notre Dame, une au Champs de Mars et la dernière à l’Hôtel de Ville), mais leur progression avait aussi une signification politique.On sait par une lettre du 19 juin 1806 de David au ministre Daru que les quatre toiles entendaient rendre hommage aux différents ordres de la société française :

  • à l’Empereur (Le Sacre)
  • aux Corps Constitués (l’Intronisation, serment prêté par l’l’Empereur de les respecter)
  • à l’Armée (la distribution des Aigles) ;
  • et en dernier au Peuple (L’Arrivée à l’Hôtel de ville).

Un pendant antique

David 1799 Sabines LouvreLes Sabines, 1785-99 [9] David 1814 Leonidas aux Thermopyles LouvreLéonidas aux Thermopyles, 1800-14 [10]

David, Louvre (531 x 395 cm)

La réalisation de ces deux immenses toiles s’étale sur 19 ans : commencée juste après la première, la seconde toile fut interrompue par les commandes officielles durant la période napoléonienne, et David ne la termina qu’en 1814.

Les deux sujets, l’un tiré de l’Histoire romaine et l’autre de l’Histoire grecque, montrent un moment d’arrêt dans une bataille :

  • les Sabines s’interposent pour arrêter le combat entre Sabins et Romains ;
  • les Spartiates se préparent à se sacrifier pour arrêter l’armée perse.


Les Sabines

David 1799 Sabines Louvre schema
La composition distingue clairement trois zones, chacune marquée par un personnage principal :

  • à gauche les Sabins, conduits par Tatius ;
  • à droite les Romains, conduits par Romulus ;
  • au centre les Sabines autour d’Hersilie, figure emblèmatique d’une division sacrilège, puisqu’elle est la fille de Tatius et l’épouse de Romulus.

La composition est décentrée, de sorte que les Romains apparaissent à l’offensive sous les murs de leur propre ville, tandis que les Sabins reculent. L’antagonisme entre Tatius et Romulus est traduit par l’opposition des postures (de face / de dos) et des armes (glaive / javelot). Tandis que les bras en croix d’Hersilie symbolisent son écartèlement entre les deux camps.


Léonidas aux Thermopyles

David 1814 Leonidas aux Thermopyles Louvre schema

La composition est elle-aussi ternaire :

  • à gauche, trois groupes forment un mouvement circulaire autour de l’autel à Hercule, depuis Eurytus l’aveugle brandissant sa lance jusqu’au soldat qui grave sur le rocher cette inscription : « passant qui va à Sparte, va dire que nous sommes morts pour obéir à ses lois » ;
  • à droite, trois autres groupes forment un autre mouvement circulaire autour de l’arbre, jusqu’à l’archer qui désigne aux Spartiates la direction de l’ennemi ;
  • au centre, Léonidas parfaitement immobile et les yeux tournés vers le ciel échappe à toute cette agitation, encadré de part et d’autre par deux figures statiques : le jeune homme qui renoue sa sandale et Aégis, le beau-frère de Léonidas, mime son attitude pensive.


La logique du pendant (SCOOP !)

David 1799 Sabines Leonidas schema
David devait harmoniser une scène binaire et une scène unitaire : il y parvient par une composition sous-jacente identique, autour d’un grand losange central.

Quelques personnages se répondent :

  • postures de Tatius et Eurytus sur la gauche, personnages nus sur la droite (en vert) ;
  • boucliers ronds de Romulus et Léonidas , en position recto verso (en jaune) ;
  • femme élevant son enfant, soldats élevant leurs couronnes (en vert).

Mais les deux tableaux obéissent chacun à leur logique interne et aux contraintes de la reconstitution archéologique plutôt qu’à une conception unifiée.



Références :
[1] https://www.rivagedeboheme.fr/pages/arts/oeuvres/jacques-louis-david-portraits-des-seriziat-1795.html
[2] https://fr.wikipedia.org/wiki/Portrait_de_Pierre_S%C3%A9riziat
[3] https://www.metmuseum.org/art/collection/search/436106
[4] https://fr.wikipedia.org/wiki/Ang%C3%A9lique_Mongez
[5] https://fr.wikipedia.org/wiki/Le_Sacre_de_Napol%C3%A9on

[6]

« L’Intronisation. 2e tableau. L’Empereur assis, la couronne sur la tête, et la main levée sur l’Evangile, prononce le serment constitutionnel, en présence du président du Sénat, du président du Corps législatif, de celui du Tribunat, du plus ancien des présidents du Conseil d’Etat, qui lui en a présenté la formule. Le chef des hérauts d’armes, averti par l’ordre du grand maître des cérémonies, dit ensuite d’une voix forte et élevée : « Le très-glorieux et » très-auguste Empereur Napoléon, Empereur des » Français, est intronisé : Vive l’Empereur ! Les assistants répètent le cri de : « Vive l’Empereur, vive l’Impératrice ! » Les portes du temple sont ouvertes; on aperçoit, au travers, le peuple par son attitude exprimer le même cri, au bruit d’une décharge d’artillerie. Le clergé attend près du trône Sa Majesté pour la reconduire sous le dais. »

Augustin Jal, « Dictionnaire critique de biographie et d’histoire: errata et supplément pour tous les dictionnaires historiques, d’après des documents authentiques inédits », 1872, p 477
https://books.google.fr/books?id=HHlSAAAAcAAJ&pg=RA1-PA477

[7] https://fr.wikipedia.org/wiki/La_Distribution_des_aigles
[8] https://www.barnebys.fr/blog/une-etude-de-jacques-louis-david-multiplie-son-prix
[9] https://fr.wikipedia.org/wiki/Les_Sabines
[10] https://fr.wikipedia.org/wiki/L%C3%A9onidas_aux_Thermopyles
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