Dans lequel le peintre se marginalise ou se miniaturise,
tout en contrôlant le regard.
La leçon de musique
Vermeer, 1662-64, The Royal Collection, The Windsor Castle
Dans le miroir se révèle un des pieds du chevalet de Vermeer.
Plutôt qu’un détail pittoresque impliquant le peintre dans son oeuvre, il s’agit plutôt de proclamer une forme d’égalité entre le pouvoir de la Peinture et celui du Miroir :
« Une peinture parfaite, en effet, est comme un miroir de la Nature. Elle fait que des choses qui n’existent pas puissent exister, et trompe d’une façon permise, amusante et louable. » Samuel van Hoogstraten, Introduction à l’école supérieure de la peinture, Rotterdam, 1677
De plus, la présence éternisée du peintre en son absence crée un effet d’étrangeté, qui tient au rabattement du lieu de l’Artiste dans celui de l’Oeuvre, du temps du Faire dans celui du Fait :
« Le miroir nous montre cette peinture comme « se faisant » sous nos yeux. Il offre le paradoxe d’un tableau qui s’autocontient » V.Stoichita, L’instauration du Tableau, p 261, 1993
En tirant partie du fait que le minuscule rectangle en haut à gauche doit être le mur du fond, le professeur P.Steadman a pu reconstituer la topographie précise de la pièce, que l’ingénieur Tim Jenison a reconstruit en grandeur réelle : il a ensuite reproduit le tableau en réinventant les méthodes optiques de Vermeer.
La leçon de musique, recréée par Tim Jenison
Cette passionnante expérience est expliqué dans http://www.grand-illusions.com/articles/mystery_in_the_mirror/
Le miroir de l’atelier
Charles Martin Hardie, 1898
Dos à dos à dos
Francine Van Hove, 2007
Deux résurgences du chevalet dans le miroir…
Nous allons voir maintenant des exemples où le peintre pudique va montrer un peu plus que le pied de son chevalet…
Son reflet dans la famille
Everhard Jabach et sa famille
Charles Le Brun, vers 1660, Metropolitan Museum
Lorsque le financier se fait portraiturer entre ses collections et sa famille, il autorise le peintre à s’inclure parmi elles, à une place privilégiée au dessus des instruments du savoir et de la religion : une sorte d’alter ego, mais en deux dimensions. Ainsi, vus de trois quarts, le buste de Minerve et le reflet du peintre conduisent le regard vers le visage du maître de maison, lequel le relaye vers les autres êtres véritablement animés de la composition : sa femme et ses enfants adorés.
Le méchant tambour (The naughty Drummer)
Nicolas Maes, 1655, Musée Thyssen Bornemisza, Madrid
Une scène familiale
Tandis que la femme menace du martinet le garçon bruyant, le peintre de genre, du haut de son miroir, jette un oeil objectif sur le vacarme.
A noter que l’artiste n’entre dans le tableau qu’à la sauvette : le point de fuite ne concordant pas avec son oeil, il n’est pas du tout en train de se regarder dans le miroir, mais d’observer son modèle. C’est uniquement la position du spectateur, à droite du tableau, qui capture incidemment son visage dans le cadre du miroir.
Des allusions
Cette scène familiale comporte plusieurs allusions [1]. Tout d’abord Maes fait un clin d’oeil à sa ville natale, Dordrecht, connue pour une histoire survenue durant l’inondation de 1421 : l’« enfant au berceau » fut sauvé miraculeusement, en flottant sur les eaux.
Mais c’est surtout la carte des Sept Provinces, pendue au dessus du garnement , qui recèle une intention politique. L’ombre noire qui la recouvre fait allusion à la situation sombre du pays après le traité avec l’Angleterre, déchiré par la guerre des partis. Ainsi le geste exagéré de la mère brandissant son martinet s’adresse, au delà de son fils, à tous ces enfants turbulents de la République : c’est là qu’il s’agit de remettre de l’ordre.
Jeune fille cousant
Nicolas Maes,1655, Collection privée
A l’appui de cette interprétation politique de la carte, dans cet autre tableau de la même période, elle apparaît cette fois en pleine lumière, au dessus de la jeune fille cousant dans la paix du foyer : ici Maes a tronqué, par rapport à la carte originale, toute la partie gauche qui représente les Pays-Bas espagnols.
[1] Voir Karten in Bildern : zur Ikonographie der Wandkarte in holländischen Interieurgemälden des siebzehnten Jahrhunderts, Bärbel Hedinger, 1986
Ma famille, Joaquin Sorolla, 1901, Valencia, Museo de la Ciudad, Ayuntamiento
Sorolla a retrouvé la composition de Maes dans ce portrait de famille pyramidal où, sous l’oeil surplombant du père, le jeune fils reprend le flambeau en croquant sa plus jeune soeur, avec l’aide de la grande.
Intérieur avec le peintre et son modèle, Matthijs Roeling, 1970, Collection privée
Version plus moderne de la même composition : le titre est trompeur, puisqu’il incite à voir le jeune dessinateur, alors que le peintre est évidemment ailleurs (plus petit que la poupée…).
L’Atelier des frères Chernetsov
Alexei Tyranov, 1828, Musée d’Art Russe, Saint Petersbourg
Le peintre figure doublement dans le tableau :
- en tant que personnage, dans le miroir accroché au mur : seule figure éclairée au milieu des deux frères en contrejour ;
- en tant qu’emblème , sous les espèces de la palette posée au premier plan sur le tabouret.
L’impossibilité physique (peindre et ne pas peindre) s’évacue dès lors que nous comprenons que la palette, avec ses couleurs bien rangées, est en attente sur le seuil, tandis que le peintre est en train d’esquisser le tableau.
Larsson
La chambre de papa, Carl Larsson, vers 1895
Au milieu de l’imposante chambre, avec un humour certain, Larsson décompose son autorité paternelle en trois morceaux : les bottes, le torse et les moustaches, du plus grand au plus petit.
Mes amis, le charpentier et le peintre
Carl Larsson, 1909
Larsson (ce Rockwell nordique) se représente ici avec humour encadré par ses alter-egos : le charpentier avec son marteau, le peintre en bâtiment avec son pot et son pinceau, les deux fixant un mystère en hors champ qu’il s’agit de clouer, puis de badigeonner de rouge.
L’amoncellement des outils sur le sol, la moulure verte décloutée et posée sur la chaise, ne nous donnent aucune indication. Et Larsson, protégé dans son cadre doré au milieu de tout ce chantier, nous fixe d’un oeil bonhomme, et nous laisse en plan.
Esbjorn faisant ses devoirs
Carl Larsson, vers 1910, Ateneumin Taidemuseo, Helsinki |
Esbjorn faisant ses devoirs II
Carl Larsson, 1912 |
La comparaison des deux versions montre combien la composition influence notre ressenti.
Dans la vue frontale, l’écolier assis du côté de la fenêtre fermée, face à la statuette ennuyeuse, n’a qu’une seule envie : passer du coté de la fenêtre ouverte, du jardin et de la chaise vide.
Dans la vue latérale, tout l’univers du garçon – son établi, son bureau, son cahier – converge vers l’image de son père, qui le tient à l’oeil sans trop prendre le rôle au sérieux : car clairement le gamin dort, les mains dans les poches et le nez en l’air, en face de la fenêtre ouverte ; et les trois têtes dans le cadre, tête d’or, tête de rapin et tête de pantin disent avec humour que les porteurs de chapeau ne font pas pas le poids face à un enfant qui rêve.
Zinaida Serabriakova
Tata et Katia dans le miroir
Zinaida Serabriakova, 1917, Collection privée
Charmant portait de la mère de famille avec trois de ses quatre enfants : les deux filles de part et d’autre du miroir (Tatiana, née en 1912, Ekatarina née en 1913) et un des garçons ( Eugene né en 1906 ou Alexandre, né en 1907) debout au fond du corridor.
Ce sont encore les années heureuses à Saint Pétersbourg, avant la Révolution, le veuvage, l’exil sans les enfants, et la dèche.
Zinaida tient son carton à dessin de la main droite et dessine de la main gauche, comme il sied à un reflet. A noter la perspective très approximative : seule la ligne qui relie la tête de la petite fille à son reflet aboutit à l’oeil du peintre. Les fuyantes de la chaise aboutissent un peu plus à gauche. Celle de la table tombent plus bas, celle du corridor plus haut.
Si le point de fuite du corridor tombait au niveau de l’oeil du peintre, le garçon serait caché par sa mère. L’intention de Zinaida n’est pas ici l’exactitude optique – elle s’amuse même, avec ce corridor en enfilade, à un pseudo effet d’abyme.
La mise en scène est celle du bonheur familial, avec pour pivot la mère, entre les deux filles studieuses et le garçon qui ne tient pas en place.
Chez le coiffeur
Zinaida Serabriakova, fin des années 1920
Exilée à Paris, Zinaida a conservé son intérêt pour les ruses avec les miroirs : deux garçonnes côte à côte semblent le reflet l’une de l’autre. Zinaida se situe à droite, à en croire la palette coincée derrière le tableau.
Pour d’autres autoportraits de Zinaida, voir http://illustrationart.blogspot.fr/2011/12/portrait-of-artist-in-times-of-change.html
Sur son art (classé par thèmes) : https://artoftherussias.wordpress.com/category/ukraine/zinaida-serebriakova/
Son reflet auprès d’elle
Jeune femme se poudrant (Young Woman Powdering Herself)
Seurat, 1889-90 Courtauld Gallery, Londres
La jeune femme de 20 ans est Madeleine Knobloch, la maîtresse de Seurat. Primitivement, le visage de celui-ci apparaissait dans le miroir. Mais, comme un ami lui avait dit que cela paraissait bizarre, il préféra le dissimuler sous un pot de fleur, transformant le miroir en tableau.
Portrait de femme
Santiago Rusinol, 1894, Museu Nacional d’Art de Catalunya, Barcelona
Dans cette composition sévère, le profil barbu de Rosinol affronte, du fond du miroir, le profil délicat de la jeune fille.
Tout est mis au service d’une simplicité efficace :
- la perspective impeccable – les fuyantes du marbre de la cheminée convergent bien vers l’oeil du peintre ;
- la géométrie implacable – des emboîtements de carrés ;
- la palette raréfiée – noir et ocre ;
- le point de vue simplifié : de profil.
Austérité voulue, qui met d’autant plus en valeur les lignes serpentines de la jeune fille, la pureté de son profil, et les seuls objets colorés du tableau…
…qui sont les attributs symboliques de sa fugitive Beauté : deux brochures (fanées) et un bouquet (fané)..
Portrait de Henrietta Leopoldovna Ghirshman
Valentin Serov , 1907, Gallerie Tretiakov, Moscou
Ce tableau virtuose multiplie les reflets : la fiole de droite par exemple, qui se reflète à la fois dans la table de toilette en verre et dans le miroir, nous mène jusqu’à l’oeil du peintre sur le bord.
Malgré les parties non peintes de la partie gauche et du bas du meuble, malgré la focalisation impossible à la fois sur le visage de la femme et sur celui du peintre, ce portrait donne une impression d’exactitude optique : sous les effets picturaux, la construction perspective est rigoureuse.
Matisse
Nature morte, serviette à carreaux
Matisse, 1903, Collection Privée
Un vase bleu borne la frontière entre l’espace de la serviette – froissé, bariolé, géométrique (carrés du tissu, cercles des pommes) et celui du miroir – indistinct, monocolore, organique, où se devine un autoportrait brouillé.
Carmelina
Matisse, 1903, Musée des Beaux-Arts de Boston, USA
A l’inverse, dans cet atelier au miroir réalisé la même année, la silhouette massive et fortement charpentée du modèle peine à équilibrer la présence forte de Matisse, à l’autre bout d’une sorte de balançoire graphique fichée perpendiculairement au tableau.
La manche droite du peintre et la main droite laissée inachevée du modèle rivalisent dans les rouges, de part et d’autre du vase bleu qui, ici encore, marque le lieu du pivot.
Dans le plan du tableau, un autre équilibre s’établit entre le petit cadre de droite, et le cadre plus conséquent du miroir : effet qui majore la taille du peintre, lui évitant l’écrasement total par la grande femelle centrale.
Le Peintre et son Modèle
Dufy, 1909, Collection privée
Dufy, qui était gaucher, a eu soin de se représenter ainsi.
La composition en quatre quadrants donne au modèle la moitié gauche, tandis que l’artiste et tous les objets de son art se trouvent encadrés de doré dans le miroir, qui fonctionne ici comme un tableau dans le tableau.
Il se crée ainsi une sorte d’appel d’air depuis la réalité coloré vers le lieu de l’artiste, puis au delà vers la cadre de la cheminée où toute couleur s’abolit.
Autoportrait avec modèle
Angel Zarraga, vers 1940
A contrario, le peintre, pourtant debout, se trouve ici miniaturisé et amoindri par les tons bleus, au point que, sans profondeur, le miroir ressemble plutôt à un tableau dans le tableau.
Et la main gauche de la femme posée sur le coussin, qui pourrait inviter le peintre de chair à venir d’asseoir à côté d’elle, semble plutôt là pour interdire à ce petit homme de descendre dans le monde des grandes.
L’atelier
Mario Tozzi ,1928
Exactement contemporaine mais dans en style « moderne », cette toile évite l’effet jivaro en agrandissant le miroir, qui montre Tozzi de la tête aux pieds. Le modèle, avec sa mandoline et son miroir fait pendant, sans l’écraser, au peintre avec sa palette et son chevalet.
Myself in the studio, Belford Mews
Alberto Morrocco, Collection privée
La composition met en orbite autour du modèle absorbé dans sa lecture les ingrédients habituels d’une nature morte : bouteille, tasse à café, vase avec fleurs, compotier avec fruits, guitare. Seul échappe à cette convention le miroir dans lequel le peintre, réduit à un torse et à un regard, semble l’émanation de la pensée de la liseuse. Derrière lui, dans un spot bleu, une tête noire hurlante poursuit cette échappée dans l’abstraction.
Portrait de Marguerite Kelsey
Peter Edwards, 1992
Nous citons ici l’explication qu’a donné de son tableau Peter Edwards lui-même, en 2005 (http://www.peteredwards.net/articles.htm)
Le retour d’une modèle célèbre
« Cette peinture représente Marguerite Kelsey, une modèle célèbre entre les deux guerres, qui faisait partie de la scène bohème artistique de Chelsea. Elle a posé pour la plupart des grands artistes britanniques de l’entre deux guerres… Elle émigra en Nouvelle-Zélande au début de la seconde guerre mondiale avec son nouveau mari, et après sa mort suite à une longue maladie dans les années 1980, elle revint en Angleterre, sans le sou et souffrant d’une arthrite rhumatoïde invalidante. C’est alors qu’elle fut redécouverte par le monde de l’art dans son studio de Worthing… La grande peinture exécutée dans mon atelier de l’époque à Ellesmere, Shropshire, a été une tentative de représenter Marguerite comme je l’avais vue à Worthing mais aussi de distiller dans mon travail tous les souvenirs d’un monde artistique disparu. »
La bouteille de vin
« Pendant les poses, il y avait toujours une bouteille de Riesling allemande pas chère, chaude, pas très forte. L’artiste et la modèle la sirotaient pendant les séances. » C’est ainsi que nous faisions à Chelsea – dans le monde de l’art, mon cher. Le vin blanc ne compte pas comme boisson. » J’ai mis une bouteille dans le tableau, là où elle se trouvait toujours, dans la cheminée. Peinte de manière détaillée, elle ne me satisfaisait pas. Elle semblait trop littérale – prosaïque, alors je l’ai raclée et l’«écho» qui en a résulté m’a semblé plus évocateur. »
Les jets « spermatiques »
« Il y a plusieurs marques de jets de peinture sur la surface, qui ont ensuite été conservés sous le vernis… Mais que font-elles dans cette peinture ? Elles font certainement partie de l’histoire que raconte l’oeuvre. Robin Gibson de la National portrait gallery (ironiquement) les appelait « spermatozoïdes ». Et le critique d’art McEwen a écrit sur « ma technique irritante », ne comprenant pas, je pense, que ces marques faisaient partie de l’histoire, des sortes d’hiéroglyphes de peinture. Mais que sont-elles ? En regardant de nouveau, je vois ces marques flottantes comme les esprits de tous les peintres et sculpteurs qui ont représenté Marguerite et qui sont maintenant tous morts. »
Le tableau dans le tableau
« …c’est lors d’une de ces dernières séances qu’elle a commencé à me dire qu’elle était assise comme dans un nu pour George Spencer-Watson, au début des années 1930. Cela a fait un déclic et je me suis souvenu que j’avais possédé une reproduction bon marché, du temps où j’étais étudiant à Cheltenham, représentant une jolie jeune femme assise dans une chaise. J’ai décrit la peinture avec son tapis de fourrure et ses boucles d’oreilles caractéristique et elle a dit : » Oh, oui, mon cher. C’était moi ! » J’ai alors incorporé l’image dans le tableau. Elle se trouve dans le coin supérieur gauche. »
Nu
George Spencer-Watson, vers 1930
D’une autoréférence à l’autre
La revue « Modern Masterpieces » posée sur la table porte sur sa couverture le tableau lui-même. Edwards n’a pas tenté de reproduire l’effet Droste de Spencer-Watson, mais y a peut être puisé l’idée d’une autre forme d’autoréférence, celle du miroir :
» Le visage dans le miroir est un autoportrait représentant tous les artistes qui l’ont regardée, et à travers eux ont permis au spectateur de voir ce qu’eux-mêmes avaient vu. C’est une peinture sur le thème du modèle (qui est vu) et de l’ artiste (qui voit). «
Parfois l’autoportrait prend prétexte d’une nature morte.
Le miroir
Laura-Therese Alma-Tadema, 1872
La seconde femme d’Alma Tadema fut son élève très douée : voici un de ses tout premiers tableaux, un an après leur mariage, où elle s’est représentée dans le miroir, un pinceau à la main. La tulipe posée devant est un hommage à la Hollande, pays natal de son époux et source d’inspiration pour sa propre peinture.
Une famille
Lawrence Alma-Tadema, 1896, Royal Academy of Arts
Pour leur vingt-cinquième anniversaire de mariage, Lawrence offrira à Laura ce tableau de famille, où elle figure à droite, accompagnée de son frère et de ses deux soeurs ( le Dr Washington Epps, Emily Williams et Ellen Gosse). Le peintre s’est représenté dans le miroir au dessus d’elle.
Auto-portraits de Lawrence Alma-Tadema and Laura Theresa Epps, 1871
Le panneau posé sur le chevalet est inspiré par un diptyque réunissant les auto-portraits des deux époux, réalisé l’année-même de leur mariage.
La rose anglaise et la tulipe hollandaise, séparées en 1871, se retrouvent en 1896 conjointes dans le même panneau.
Pour plus d’informations sur la famille Alma-Tadema, voir
https://mydailyartdisplay.wordpress.com/2017/10/08/the-alma-tadema-ladies-part-1-the-two-wives-marie-pauline-gressin-dumoulin-de-boisgirard-and-laura-epps/
Bonnard
Table de toilette au bouquet rouge et jaune
(The Dressing Table with a Bunch of Red and Yellow Flowers)
Bonnard, 1913, Museum of Fine Arts, Houston
Bonnard a peint à plusieurs reprises ce coin-toilette avec son miroir, dans la chambre de son appartement de Saint-Germain-en-Laye. Mais c’est le seul tableau où il se se révèle dans le reflet, tête coupée, pinceau à la main, nu à côté de la fenêtre qui laisse rentrer un peu d’air, à côté du chien qui dort.
Reflet réaliste ou collage dans le miroir ? Peu importe : l’important est que la vue plongeante unifie la table et la banquette : de sorte que les accessoires de toilette complètent le pinceau du peintre, et le bouquet devient palette.
Intérieur
Bonnard, 1913, Collection privée
Dans ce tableau de la même année, on retrouve le coin-toilette avec l’éponge dans son support, le gant de toilette et les petites étagères à droite. La figure dans le miroir est-elle le peintre ou sa modèle Marthe, occupé à se rogner les ongles au milieu des fleurs rouges, qui ont déserté le vase pour venir joncher le couvre-lit ?
Le cabinet de toilette
Bonnard, 1914, Met, New York
Ici, pas d’ambiguïté : la femme qui coud sur le lit est bien Marthe, tandis que le chien l’observe avec intérêt.
Moi et le miroir du bar (Myself and the Barroom Mirror)
George Grosz, 1937, Collection privée
Dans cet autoportrait peint lors de son exil en Amérique, Grosz se représente cerné non par les nazis mais par ses propres démons.
Sa bouche indistincte est assiégée par les plaisirs buccaux : fumer (pipe, cigares, allumettes) et boire (tire-bouchon, bouchon, bouteilles de toutes formes et couleurs).
Quant à son oeil unique, il se trouve en voie d’occultation par les attributs de la luxure : l’éventail et la carte postale.
Notons que les trois reflets des bouteilles ne sont pas alignés vers l’oeil du peintre, mais vers le coin inférieur droit de la carte postale : celui qui regarde la scène se trouve déjà, métaphoriquement, à terre aux pieds de la danseuse.
Ainsi cette autocritique sarcastique se trouve chargée d’un pouvoir d’anticipation remarquable : Grosz mourut en 1959 à Berlin, en tombant ivre en bas d’un escalier.
Pour un autre exemple d’autoportrait-collage, voir Orpen scopophile
Autoportrait, Duane Bryers, 1939, collection privée |
Argent et porcelaine, Allan Douglass Mainds, 1942, collection privée |
La mise en valeur du premier plan relègue l’artiste au rang d’objet secondaire. Cet effacement de la personne derrière la somptuosité des matières va trouver son point culminant chez un autre peintre américain, John Koch.
John Koch
Autoportrait avec Dora, John Koch, 1953 collection privée |
Autoportrait avec fleurs, John Koch, 1961, collection privée |
Dans les deux tableaux, ni les angelots dorés ni le cadre ne sont exactement les mêmes
Dans la version de gauche, le reflet de la banane guide le regard de la main qui peint vers la coupe abondante, dissimulant en hors champ du miroir tout l’attirail du peintre : il s’agit bien du portait d’un couple, réuni dans ce cadre baroque qui est la métaphore de l’appartement new-yorkais dans lequel ils vivent une vie dorée et brillante.
Dans la version de droite, le peintre n’est en couple qu’avec son chevalet, redondé à l’extérieur dans le présentoir aux arabesques complexes.
Autoportrait au miroir, John Koch, date inconnue
Dans ce troisième opus, le peintre réduit à sa tête se trouve, en compagnie du lustre éteint, situé à la fois entre deux cadres et dans un cadre : comme s’il méditait sur le paradoxe d’être à la fois non-peint et peint.
Self-Portrait with Cockatoo
Louise Camille Fenne, 2006, Collection particulière
Le cacatoès avec sa crête jaune règne sur la commode et les fruits, enfermant l’artiste et son éventail de pinceaux dans la cage dorée du miroir.
La boîte à peindre de mon père, Steven J. Levin , 1997, Collection privée
La nature morte prend ici un tour plus intime : l’éloignement dans l’espace reproduit l’éloignement dans le temps, mais le miroir, instrument de reproduction fidèle, assure la contiguïté entre le père et son fils.
Portrait de Viridiana Sicart Diez
Eduardo Naranjo, 1987, Collection privée |
Moi peignant en Juillet le crâne d’un chien (Yo Pintando en Julio el Cráneo de un Perro )
Eduardo Naranjo, 1985-1991, Collection privée |
Eduardo Naranjo a expérimenté plusieurs compositions pour ses autoportraits au miroir.
A gauche, il se montre comme détail dans le reflet de la vitre, le bras tranché au dessus du coude. A droite, le miroir calé par le crâne de chien renvoie une image également tronquée du peintre en cul de jatte.
Dans les deux cas, la vitre ou la glace agissent non comme des révélateurs, mais comme des caches, qui dissimulent le plus important : l’action même de peindre.
Charles Pfahl : autoportaits au miroir
En passant d’une croix à l’autre, l’artiste perd ses bras, puis sa bouche, jusqu’à se réduire à son seul oeil droit.
Ce singulier effet d’auto-crucifixion est simplement obtenu par le reflet à contre-jour du chevalet sur trois miroirs juxtaposés derrière.
Dawn, Middau, Dusk : Artist and models
Charles Pfahl
Dans ce triptyque virtuose, Pfahl étudie le même coin de sa maison sous trois lumières différentes : celle de l’aube, celle de midi et celle du crépuscule. Le peintre et ses modèles donnent différents indices de leur présence, dans cet entre-deux entre fenêtre et miroir dont le cadrage supprime savamment tout repère spatial.
Midi
Le cadrage le plus large, celui du panneau central, nous permet de comprendre la disposition de la pièce . De gauche à droite :
- un escalier dans lequel on voit la jambe nue d’un modèle,
- un renfoncement avec un mur blanc portant un premier miroir,
- un pan de lambris, contre lequel est posé un second miroir au cadre doré, sur le bord supérieur duquel est posé un voile.
Du fond vers l’avant :
- une façade vitrée avec deux fenêtres (la seconde avec balcon),
- une cloison perpendiculaire, percée de deux ouvertures,
- dans l’angle, un ensemble d’objets en verre, dont une boule réfléchissante,
- la tête d’un lit parallèle à la cloison, devant lequel on devine un visage endormi (plutôt un plâtre qu’un modèle vivant),
- un coussin de l’autre côté du lit, appuyé contre le miroir.
Panneau Midi (détail)
Les deux autres panneaux font un zoom sur une petite partie du panneau central, à cheval entre les deux miroirs.
Aube
A l’aube, l’artiste s’est assis de profil, devant la sphère réfléchissante. Il nous montre son oeil droit dans un petit miroir circulaire. Le nez et les lunettes, dans le miroir à bord doré, complètent le reste du profil que nous révèle le miroir situé dans le renfoncement.
Côté modèles, on voit une main féminine posée sur l’épaule droite du peintre. Et on devine dans a boule un nu couché et un nu debout.
Crépuscule
Le soir l’artiste, assis dans l’autre sens, se divise entre les deux miroirs. On voit dans le miroir un nu debout tournant le dos au peintre ; et tout en bas, presque à la limite du cadre, les cheveux d’un autre modèle allongé sur le lit.
A noter que, si l’intérieur de la pièce semble cohérent entre les trois tableaux, le reflet dans la boule ne l’est pas, de même que le paysage vu par la fenêtre : comme si la boule s’était posée dans trois ateliers différents, comme si la maison s’était installée à trois endroits différents : le matin dans une ville ancienne, à midi en pleine campagne et le soir dans une cité moderne.
Autoportrait dans un petit miroir rond
Sarah Raphael, 1990, Collection particulière |
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On remarque dans le miroir le haut des tableaux vus à travers une arcade sur lesquels Sarah travaillait à ce moment là. La photographie de droite la montre soumettant un de ces tableaux à l’épreuve du miroir.
Le miroir circulaire montre plus que le visage de l’artiste. C’est une sorte de coupe de l’intérieur de son crâne, menacé par le monstre triomphant qui se dresse au dessus : symbole des migraines qui l’ont tourmentée durant toute sa courte existence. La disproportion du noir sur les petites plages de bleu ciel traduit l’intensité de cet écrasement.
Voir la suite : L’artiste comme fantôme
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