Pendants solo : femme femme

4 février 2017

Ces pendants confrontent deux personnages féminins différents.

Le cas particulier de la même femme monté sous deux aspects  est traité par ailleurs (voir  Les variantes habillé-déshabillé (version moins chaste) )

Mantegna-1490-The-Vestal-Virgin-Tuccia-with-a-sieve-National-GalleryLa vestale Tuccia avec son tamis (72.5 x 23 cm) Mantegna 1490 A Woman Drinking Sophonisbe National Gallery 72.5 x 23 cmFemme buvant (Sophonisbe ?) (72.5 x 23 cm)

Mantegna, 1490, National Gallery, Londres

Ces deux panneaux sur bois imitant le bronze et le marbre, représentent deux héroïnes antiques :

  • Tuccia, accusée d’inceste, se disculpa en transportant l’eau du Tibre dans un tamis, sans en perdre une goutte ;
  • Sophonisbe, reine carthaginoise, se suicida en buvant du poison plutôt que d’être capturée par les Romains.


La logique du pendant (SCOOP !)

La raison du choix de ces deux héroïnes n’est pas claire (l’eau qui sauve entre l’eau qui tue ?), mais plusieurs détails confirment une conception en pendant ;

  • l’éclairage inverse dans les deux panneaux suggère que ceux-ci étaient exposés face à face, ou de part et d’autre d’une fenêtre ;
  • le vase aux deux lys, symbole de la Virginité, fait écho au laurier à deux branches, symbole de la Vertu ;
  • enfin la marche de la vestale se passe en extérieur, tandis que la figure immobile de la buveuse s’appuie sur l’encadrement d’une porte.


Deux autres oeuvres, cette fois des toiles, appartenaient au même ensemble décoratif (probablement le premier studiolo d’Isabelle de Gonzague à Mantoue).

Mantegna 1490 ca didon Musee des BA Montreal 65,3 x 31,4 cmDidon (65,3 x 31,4 cm) Mantegna 1495 ca Judith avec la tête d'Holopherne Musee des BA Montreal 65x 31 cmJudith avec la tête d’Holopherne (65x 31 cm.)

Mantegna, 1490, Musée des Beaux Arts, Montréal

  • La reine phénicienne Didon avait juré de rester fidèle à son défunt mari Sychaeus Plutôt que de se remarier, elle préféra se jeter dans un bûcher. Dans l’Eneïde de Virgile, le bûcher est prévu pour se débarrasser des souvenirs d’Enée, son amant qui l’a abandonnée. Mais au lieu d’y mettre le feu, elle se suicide avec la propre épée d’Enée. Mantegna nous montre Didon devant le bûcher éteint, avec dans une main l’urne de son défunt mari, et dans l’autre l’épée de son amant.
  • Judith la juive pénètre dans le tente du général Holopherne pour lui trancher la tête d’un coup d’épée.


La logique de la paire (SCOOP !)

La confrontation des deux femmes est très problématique : s’agit-il d’opposer une vicieuse et une vertueuse, ou bien d’honorer deux vertueuses (car Didon, selon la source à laquelle on se réfère, appartient aux deux catégories [0]) ? Par ailleurs la dissymétrie entre le couple de femmes et la femme seule contrarie le fonctionnement en pendant.

La lumière venant de la droite dans les deux oeuvres, il est probable qu’elles se trouvaient côte à côte sur le même mur, formant une frise continue, à la manière des Triomphes de César (dix tableaux réalisés entre 1484 et 1492).


Giampoetrino a produit vers 1520 une série de quatre belles suicidaires, aussi dénudées qu’internationales :

Giampietrino Suicide par armour Didone-c.-1520 Palazzo Borromeo Isola BellaDidon la phénicienne,Palazzo Borromeo, Isola Bella (94,5 x 71 cm) Giampietrino Suicide par armour Lucrezia Chazen Museum of Art Univeristy of WisconsinLucrèce la romaineChazen Museum of Art ,University of Wisconsin (95.6 x 70.8)

 Le suicide conjugal (le poignard par fidélité)


Giampetrino Suicide pour l'honneur 1520 ca Cleopatra Bucknell University LewisburgCléopâtre l’égyptienneBucknell University, Lewisburg (94.3 x 7.1) Giampetrino Suicide pour l'honneur 1520 casophonibePalazzo Borromeo Isola BellaSophonisbe la carthaginoisePalazzo Borromeo, Isola Bella (94,5 x 71 cm)

 Le suicide politique (le poison plutôt que la prison)

J’ai reconstitué ci-dessus les appariements  originaux,  tels qu’ils étaient probablement présentés avant leur division malheureuse (antérieurement à 1676) [1].


Cranach 1540 ca Lucrece et Judith detruit 1945 bombardement Dresde

Lucrèce et Judith
Cranach, vers 1540, détruit en 1945 lors du bombardement de Dresde
 

Le pendant met en parallèle une héroïne romaine et une héroïne  biblique que Cranach a souvent représentées par ailleurs  :

  • Lucrèce, pieuse épouse qui, violée par son hôte, se suicida pour ne pas survivre au déshonneur ;
  • Judith, pieuse veuve qui, se livrant au général ennemi, le tua avant qu’il ne la touche.

Le schéma implicite, un  acte de violence commis par une femme après ou avant un acte sexuel, avait tout, sous prétexte de  montrer la Vertu, pour émoustiller les spectateurs   de  l’époque :

  • plastique longiligne des deux nudités à peine voilées ;
  • symbolique comparée du poignard à la lame courte et de l’épée à la lame longue, manipulées par ces dames.



sb-line

Tournier 1630 Paysanne aux fruits fondation Bemberg ToulousePaysanne aux fruits Tournier 1630 Paysanne à la coupe de fruits fondation Bemberg ToulousePaysanne à la coupe de fruits

Tournier, 1630, fondation Bemberg, Toulouse

La logique du pendant (SCOOP !)

Toujours dans le goût caravagesque pour le cadrage en demi-figure, ces deux portraits de paysannes opposent :

  • couleur froide et couleur chaude de la jupe ;
  • cheveux visibles et cheveux cachés sous la coiffe ;
  • regard direct et regard baissé ;
  • tablier relevé en geste d’offrande et coupe portée à bout de bras ;
  • fruits à pépins et fruits à noyau.

La présence de la figue ouverte en bonne place, à côté de la grappe bachique, complète les allusions à la disponibilité amoureuse de la femme de gauche (les pépins étant une figure de la multiplicité), en contraste avec la pudeur de celle de droite (le noyau figurant l’unicité de l’amour).



sb-line

Cano Alonso Apparition du Christ crucifie a sainte Therese de Jesus 1629 PradoApparition du Christ crucifié à Sainte Thérèse de l’Enfant Jésus Cano Alonso Apparition du Christ triomphant a sainte Therese de Jesus 1629 PradoApparition du Christ triomphant à Sainte Thérèse de l’Enfant Jésus

Alonso Cano, 1629, Prado, Madrid

A gauche, la sainte est représentée écrivant à sa table de travail, vue de face, contemplant l’apparition du Christ en Croix dans un ciel tourmenté.

A droite, elle est à genoux, vue de dos, et le Christ lui apparaît triomphant dans un ciel dépourvu de nuages.

Les deux panneaux faisaient partie d’un retable pour le couvent de Saint Albert à Séville, dont la composition précise n’est pas connue.


Ter_Borch 1652-53 A mother combing the hair of her child, known as Hunting for lice MauritshuisFemme peignant son enfant ((La chasse aux poux), Mauritshuis, La Haye (33.2 x 28.7 cm)
Ter_Borch 1652-53 The Spinner Museum Boijmans Van BeuningenLa fileuse, Museum Boijmans Van Beuningen, Rotterdam (33.6 x 28.6 cm)

Ter Borch, 1652-53

La modèle est Wiesken Matthys, la belle-mère de l’artiste, en train de se livrer à deux occupations méticuleuses : le petit enfant et le petit chien, la tignasse et la filasse, se font écho avec tendresse.


Netscher La fileuse (die Spinnerin) Gemaldegalerie_Alte_Meister_(Dresden)La fileuse (die Spinnerin) Netscher La brodeuse (die Naherin) Gemaldegalerie_Alte_Meister_(Dresden)La brodeuse (die Naherin)

Netscher, 1660-84, Gemäldegalerie Alte Meister, Dresde (détruits en 1945)

Le pendant oppose une femme mûre au rouet, et une jeune fille au coussin à broder. Chacune a derrière-elle sa matière première : quenouille sur la chaise, linge dans le panier. Les pendants sont accrochés dans l’ordre logique des opérations (la fabrication du fil précède la broderie) mais dans l’ordre inverse des âges : la finesse des travaux d’aiguille est réservée à la jeunesse. Il y a également probablement un sous-entendu sexuel, entre la femme mûre habituée à manier les quenouilles (métaphore phallique courante), et la jeune fille qui en est à préparer son trousseau.


Livio Mehus Maddalena Asteria vers 1660 Palais Pitti FlorenceMadeleine pénitente (précédemment  Asteria) Livio Mehus Maddalena Danae vers 1660 Palais Pitti FlorenceMadeleine en extase (précédemment Danae)

 Livio Mehus, 1660-65, Palazzo Pitti, Florence

Initialement, le pendant était consacré aux amours terrestres de Jupiter :  à gauche celui-ci prenait la forme d’un aigle pour séduire Asteria (Métamorphoses d’ Ovide, IV, 108) ; à droite celle d’une pluie d’or pour s’introduire chez Danaé.

A une époque et pour une raison inconnues, le pendant fut partiellement repeint pour célébrer les amours célestes de la Madeleine. A gauche, on rajouta des accessoires de piété (crâne, croix auréole) et une chemise de nuit, tandis que les anges continuaient à s’enlacer avec une tendresse déconcertante. A droite, les Cupidons qui recueillaient la pluie d’or furent recyclés l’un en porteur de cilice, l’autre en observateur du flacon de parfum.

Au final, ce repeint improbable aboutit à un résultat parfaitement hypocrite, où la sensualité sous-jacente subvertit la piété affichée, et en fait un objet de délectation pour amateur éclairé.


Nicolas Regnier 1660 ca La Vanite Palazzo reale, TurinLa Vanité Nicolas Regnier 1660 ca La sagesse Palazzo reale, TurinLa Sagesse

Nicolas Régnier, 1626, Palazzo Reale, Turin

Présentés aujourd’hui comme dessus de porte aux deux bouts de la galerie de Daniel, ces deux tableaux ont été conçus pour être accrochés côte à côte :

  • en intérieur, la Vanité, entourée d’objets précieux, un masque sur ses genoux, ouvre en souriant un vase précieux, dans un geste à la Pandore qui appelle des catastrophes (voir la couronne tombée à côté du masque) ;
  • en extérieur, la Sagesse, entourée de livres, à côté d’un crâne qui s’étudie dans un miroir, brandit un balance, emblème de la faculté de juger, mais aussi rappel du Jugement dernier (d’où sa position qui semble peser les deux crânes).

Giovanni_Antonio_Pellegrini_-_Allegory_of_Sculpture_1750 accademiaAllégorie de la Sculpture
Giovanni_Antonio_Pellegrini_-_Allegory_of_Painting_-1750 AccademiaAllégorie de la Peinture

 Giovanni Antonio Pellegrini, vers 1750,  Accademia, Venise

L’une, noiraude et rougeaude, a une robe aux couleurs chaudes et une pose avachie, le marteau dans une main et l’index de l’autre montrant on ne sait quoi . L’autre, une blonde vénitienne, a le profil grec, le drapé en couleurs froides et la pose élégante. Difficile de cacher de quel côté penche le coeur de Pellegrini.



Guardi Allegorie de l Abondance 1747 Ringling Museum of artAllégorie de l’Abondance Guardi Allegorie de l Esperance 1747 Ringling Museum of art Allégorie de l’Espérance

 Guardi, 1747,  Ringling Museum of art

L’Abondance et l’Espérance n’ont pas grand chose à se dire : l’une avance en laissant tomber ses épis, l’autre reste plantée sur son ancre, les fleurs dans son tablier symbolisant les récompenses à venir. L’une dilapide, l’aitre thésaurise. Seul le paysage maritime crée une continuité entre les deux pendants, ainsi que les deux anges qui, l’un portant un bout de colonne et l’autre un morceau d’architrave, s’affairent  au premier temps à relever des ruines.


Jeune femme offrant une guirlande de fleurs à la statue de CupidonOffrande à l’Amour
Jeune femme offrant une guirlande de fleurs à la statue de CupidonBacchante dans l’ivresse devant une statue de Pan

Callet, 1778, collection particulière

Ces deux tableaux font partie d’une série de six réalisée par Callet pour décorer le boudoir du Pavillon de Bagatelle. Toujours vendus ensemble, ils présentent de nombreux éléments de symétrie :

  • statues masculines contrastées : un Cupidon discret et un Pan diabolique  ;
  • vases en bas à gauche : l’un posé sur son pied, l’autre renversé et béant  ;
  • tissu bleu, servant de présentoir pour les roses ou de drap pour la  bacchante  ;
  • élément chauffant : foyer ouvert ou cocotte-minute ;
  • offrande à la Divinité : foyer ouvert  ou tambourinade.

Ces oppositions vont toutes dans le sens du couple le plus fantasmatique du XVIIIème siècle : la vierge (vase intact) et la déflorée (vase béant).


Callet vers 1780 collpart A YOUNG LADY BEFORE A STATUE OF CUPIDJeune femme devant une statue de Cupidon Callet vers 1780 collpart A BACCHANTE PLAYING THE CYMBOLS BEFORE A STATUE OF PAN ALLEGORY OF DEATHBacchante jouant des cymbales devant une statue de Pan

Callet ,vers 1780, collection particulière

Ce pendant réplique celui réalisé pour Bagatelle, en forçant encore sur les oppositions :

  • aux deux colombes innocentes succèdent les deux amours autour du brasero ( orné d’un bélier)  ;
  • le tissu bleu est remplacé par la fourrure de léopard   ;
  • à la poitrine couverte s’opposent les bras déployés (pour les cymbales)   ;
  • la petite torche de Cupidon s’est transformée en un gros thyrse dressé sur la marche ;
  • le panier de fleurs laisse place au vase bavant.

Inhérent  à tout pendant, le plaisir de la comparaison devient ici le  principe du plaisir.


Callet 1778 Offrance a Flore Bagatelle gravure de PatasHommage à Flore (disparu), gravure de Patas Callet 1778 Offrande a Venus musee des Beaux-Arts RouenOffrande a Venus, Musée des Beaux-Arts, Rouen

Callet, 1778

Ces deux autres tableaux de la série formaient eux aussi des pendants sur le même thème : la jeune vierge honorant Flore, la femme accomplie remerciant Vénus et sa pomme.

Le dernier pendant (Adonis partant pour la chasse, couronné par Vénus et Diane au bain accompagné de ses nymphes) n’a pas été retrouvé.


Pour être complet sur les pin-ups à l’antique de Callet, voici un pendant antérieur, dont il me manque malheureusement la moitié la plus émoustillante :

Jeunes filles préparant des dards auprès de la statue de l’Amour Callet 1770 Deux vestales preparant un sacrifice Musee des Augustins ToulouseDeux vestales préparant un sacrifice

Callet, 1770, Musée des Augustins, Toulouse



Michel_Garnier 1788 La jeune musicienne coll privLa jeune musicienne, 1788 Michel_Garnier 1789 Le_jeu_de_cache-cache coll priv 14.6 x 11.4 cmLe jeu de cache-cache, 1789

Michel Garnier, collection privée, 14.6 x 11.4 cm

Ce pendant de très petite taille pousse à l’extrême l’imitation virtuose de la peinture fine hollandaise. A la toute fin de l’Ancien Régime, il met en scène deux facettes de la femme moderne :

  • musicienne savante, à la harpe, lorsqu’elle se montre en représentation au salon ;
  • musicienne légère, à la guitare,) et mère parfaite dans l’intimité du logis (voir le portrait du Père de famille, reflété dans le miroir de la cheminée).

Le fauteuil et la boîte en carton servent de motifs de jonction.



Sigmund Freudenberger 1794 La fileuseLa fileuse Sigmund Freudenberger 1794 La devideuseLa dévideuse

Gravures de Sigmund Freudenberger, 1794 

Ces deux gravures montrent, de part et d’autre de la porte, le coin toilette avec le filage, le coin cuisine avec le dévidage. Dans un esprit didactique, le pendant respecte l’ordre des opérations ;

  • d’abord on fabrique les bobines, puis on en fait des écheveaux ;
  • d’abord on lape, puis on dort.



Marie-Constance_Mayer_1806-_The_Sleep_of_Venus_and_Cupid_Wallace Collection 97 cm x 145 cm« Vénus et l’Amour endormis, caressée et réveillés par les zéphirs », 1806, Wallace Collection Marie-Constance_Mayer_1808-_Le flambeau de Venus, Napoleon museum Arenenberg 99.5 cm x 148 cmLe flambeau de Vénus, 1808, Musée Napoléon, Arenberg

Marie-Constance Mayer

Les deux tableaux, présentés ensemble au salon de 1808, furent acquis par l’impératrice Joséphine et accrochés dans sa galerie de la Malmaison jusqu’à sa mort en 1814.

Dans le premier tableau, des Génies équipés d’ailes de libellule – les « zéphirs », selon le titre original du tableau – viennent embrasser Vénus endormie près de son fils. La lumière blanche qui tombe verticalement, interceptée par la tente rouge, est celle de la pleine lune. Ainsi la composition flirte, en l’inversant, avec le thème plus classique du bel Endymion que Diane vient embrasser, descendant sur un rayon de lune.

Le thème du second tableau est si singulier (voir scabreux) que le livret du Salon de 1808 a jugé bon de l’expliquer :

« Vénus , à son réveil , invite toute sa cour à venir puiser des flammes à son flambeau ; les Amours accourent en foule autour d’elle ; leurs expressions et leurs attitudes annoncent les différens caractères de la passion qu’ils inspirent ».

Un commentateur a noté que « ces amours, ou plutôt ces enfants ailés, sont représentés de sexes différents. Quelques personnes ont blâmé cette licence. [1a] ». Un autre s’en prenait plutôt à l’auteur : « Il ne faut pas que des aventures galantes soient tracées par la main d’un magistrat ou par celle d’un capucin. Il ne faut pas, en un mot, qu’un sujet érotique foit traité par une demoiselle. Il nous semble que cela pèche au moins contre les convenances, sinon contre les mœurs, & s’il ne faut pas être trop sévère en jugeant un tableau sous le rapport de l’art, on ne sauroit l’être trop en ce qui regarde les mœurs. » [1b] . Un seul commentateur s’est essayé à élucider « les différens caractères » annoncés par le livret : « Selon cette demoiselle , l’amour aveugle et l’amour léger sont certainement des amours femelles » [1c]

Si l’on prolonge l’exercice, on notera à gauche un amour pensif au dessus d’un amour passif. A l’extrême droite l’amour aux yeux bandés avance en prenant appui sur son arc, tandis qu’un confère malicieux lui renvoie en pleine face, avec un miroir, la lmuière rasante du soleil qui se lève.

Le sujet plastique du pendant est donc « la lumière verticale de la Lune » et « la lumière horizontale du Soleil levant.

Le sujet érotique, que Joséphine n’a pas dû manquer de saisir, est « Cupidon flapi » et « Cupidon flamboyant »



Ingres Odalisque, d apres La Dormeuse de NaplesOdalisque dormant
Ingres, vers 1820, Victoria and Albert Museum, Londres
(d’après la Dormeuse de Naples, 1808, tableau disparu)
Ingres,_La_Grande_Odalisque,_1814La Grande odalisque,
Ingres, 1814,  Louvre, Paris

Ingres a d’abord peint La Dormeuse« Une femme de grandeur naturelle couchée nue, dormant sur un lit de repos à rideaux cramoisis ». Elle est acquise en 1809 par le Roi de Naples, Joachim Murat, dont l’épouse, Caroline Bonaparte, commande cinq ans plus tard trois nouvelles toiles au peintre. Parmi celles-ci, La Grande Odalisque, une orientale, nue, vue de dos sur fond bleu, qui fait pendant à la jeune occidentale, nue, vue de face et sur fond rouge.

Depuis 1815 et la fuite de Caroline, on est sans nouvelles de La Dormeuse, dont il ne reste que des esquisses faites de mémoire par Ingres, et toute une série de tableaux qui n’en inspirent [2a].



En 2007, on a bien cru l’avoir retrouvée, cachée sous un tableau du XVIIème siècle :Giordano_Venus-2c208

Vénus dormant avec cupidon et satyre,
Luca Giordano, 1663, Musée de Capodimonte, Naples

Mais le scoop a semble-t-il fait long feu [2b].



Charles Robert Leslie 1840-60 An allegory of virtue 45.7 x 30.5 cm coll partAllégorie de la Vertu Charles Robert Leslie 1840-60 An allegory of vice 45.7 x 30.5 cm coll partAllégorie du Vice

Charles Robert Leslie, 1840-60 (45,7 x 30,5 cm)

La Vertu, jolie rousse en robe blanche, boutonnée jusqu’au cou et au poignet, ne s’occupe que de cueillir des roses dans un jardin clos.

Le Vice, brune piquante à la mantille espagnole, sort dans un parc à la fontaine jaillissante, montre sa cheville et regarde qui la regarde.



Puvis de Chavannes 1870 Le Ballon Musee d OrsayLe Ballon
Puvis de Chavannes, 1870, Musée d Orsay
Puvis de Chavannes 1871 Le pigeon voyageur Musee d OrsayLe pigeon-voyageur
Puvis de Chavannes, 1871, Musée d Orsay

Inscriptions sur le cadre, de la main de l’artiste :

 » La ville de Paris investie confie à l’air son  appel à la France »  » Echappé à la serre ennemie, le message attendu exalte le coeur de la fière cité « 


Une symétrie marquée

Les deux tableaux « se répondent point par point : à la femme armée simplement vêtue d’un austère costume du temps – se tournant vers les hauteurs du fort du Mont Valérien au delà des remparts et accompagnant du geste le ballon, s’oppose la même figure de deuil, vue de face cette fois, recueillant le pigeon qui a échappé aux griffes d’un de ces faucons dressés par l’ennemi, au-dessus d’une vue de l’ile de la Cité, enfouie sous la neige ; pendant ce dur hiver, elle tomba en abondance à partir du 22 décembre. » Notice du Musée d’Orsay

Ainsi, formellement, les deux pendants obéissent à une stricte symétrie :

  • une femme vue de dos, tournée vers les faubourgs, lève la main vers un objet ami qui s’éloigne ;
  • une femme vue de face,  le dos à la ville, lève la main vers un objet ennemi ami qui s’approche.


Deux moments du Siège

Canon josephine bastion 40 à Saint OuenCanon Joséphine, bastion 40 à Saint Ouen

Le premier panneau  a probablement été peint depuis ce bastion. Le ballon s’envole vers le Sud Ouest, en direction de l’Armée de la Loire formée par Gambetta.

Le second panneau montre un Paris revenu au Moyen-Age, rétréci à l’ultime enceinte de l’Ile de la Cité. Le combat militarisé du faucon et du pigeon fait  écho à celui qui, de tout temps, a opposé ces deux volatiles près des tours de Notre Dame : comme si la fatalité de la guerre se dilatait dans le temps, à la manière de la neige  accaparant tout l’espace.

« Entre les deux tableaux, quelques semaines voire quelques mois se sont écoulés, qui ont affaibli le moral des Parisiens. Les deux œuvres enregistrent aussi l’abattement de Puvis de Chavannes qui se sent pris au piège d’une ville dont le paysage agreste, ouvert et comme en creux, se déroulant sous le regard dans Le Ballon, est devenu dans Le Pigeon un espace urbain aux fortifications saillantes agressives – c’est la « ville géante à plusieurs enceintes » dont parle Alphonse Daudet dans ses Lettres à un absent (1871). .D’un tableau à l’autre, comme par un phénomène d’éclipse, l’inquiétude et la peur ont succédé à l’optimisme et à l’espoir incarnés par l’aérostat. » [3]



Toulmouche 1883 Dans la serre Musee d'Arts NantesDans la serre Toulmouche le billet Musee d'Arts Nantes 66 x 45 cmLe billet

Toulmouche, 1883, Musée d’Arts, Nantes (66 x 45 cm)

Présentées au Salon de 1883, ces deux toiles renouent avec la tradition du pendant extérieur – intérieur :

  • dans la Serre, la Femme se fait rose parmi les roses, cachant au mépris des piqûres sa poitrine en fleur sous ses consoeurs ;
  • au Salon, la Rose se fait Femme, extrayant du bouquet ce qui lui importe : le billet d’un admirateur.



Emile Bayard 1886-87 Madame PolichinelleMadame Polichinelle Emile Bayard 1886-87 Madame ArlequinMadame Arlequin

Emile Bayard, 1886-87, gravures coloriées

Féminiser ces deux caricatures viriles que sont Polichinelle, avec son bâton, et Arlequin, avec sa batte, ne va pas sans un frisson érotique. Dans la même veine, Emile Bayard a également exploité le thème des duels entre femmes (voir Deux moments d’une histoire ).


GALLAND Pierre Victor La renaissance des Arts Beauvais Musee de l'Oise 1888La renaissance des Arts GALLAND Pierre Victor La renaissance des Lettres Beauvais Musee de l'Oise 1888La renaissance des Lettres

Galland (Pierre-Victor), 1888, Musée de l’Oise, Beauvais

Ces panneaux décoratifs destinés à l’hôtel particulier de l’architecte Jean-Baptiste Pigny, à Paris, son effectivement décoratifs. Mais pas plus. Après deux siècles d’évolution, l’art des pendants atteint ici son point de gratuité, avec des nuages, des angelots, des branches d’olivier, des envolées d’étoffes et des torses nus, qui semblent avoir été tirés au hasard au profit d’une allégorie paresseuse :  les Arts réduits à une lyre et une trompe, les Lettres à un rouleau blanc.

Comme si le peintre ne retenait que la force plastique de la formule, et  s’excusait du symbolisme.


mucha tete byzantine brune 1897Tête byzantine brune mucha tete byzantine blonde 1897Tête byzantine blonde

Mucha, 1897, lithographies en couleur

Dix ans après, Mucha développe son style décoratif expansif. Sur fond de synapses rayonnantes, deux profils « byzantins »  confrontent leur pureté graphique.  La princesse brune, parée de gemmes aux couleurs chaudes, lève la paupière et entrouvre les  lèvres. En face, la princesse blonde, enchâssée dans les couleurs froides, baisse le regard et garde bouche close.

Deux nuances du mystère fin de siècle, entre la révélation esquissée et le sourire silencieux.


L’affichiste belge Privat-Livemont recycle en style Art Nouveau deux sujets classiques de pendants.

privat-livemont 1901 La sculpture chromolithographLa Sculpture privat-livemont 1901 La peinture chromolithographLa Peinture 

Privat-Livemont, 1901, lithographies en couleur

La complémentarité des deux Arts s’exprime par celle des couleurs vert et rouge.


PRIVAT-LIVEMONT LA Fileuse. - 1904La fileuse PRIVAT-LIVEMONT LA Fileuse. - 1904La brodeuse

Privat-Livemont, 1904, lithographies en couleur

La ligne d’horizon (avec moulins et clochers), la végétation identique, les troncs centraux, les broderies similaires (avec papillons) unifient les deux jeunes filles, saisies dans le geste en écho de passer le fil dans le rouet ou à travers la broderie.


Edmundo Pizzella 1906 Le musicien et Derriere le rideau Pastels

Le musicien et Derrière le rideau
Edmundo Pizzella, 1906 ,Pastels, Collection privée

Ces deux Pierrots ambigus reprennent étrangement, dans une sobriété blanches, la même thématique que les princesses de Mucha. Le Pierrot blond ferme les yeux et la bouche, le Pierrot brun entrouvre les paupières, les lèvres et le rideau. Tandis que l’un fait corps des deux mains avec son violon au repos, l’autre, avec sa parole réprimée par l’index, s’identifie au rideau à peine relevé : d’un côté un sommeil instable, de l’autre une révélation esquissée.Edmundo Pizzella, Pierrot 1907

Pierrot
Edmundo Pizzella, 1907 ,Pastels, Collection privée

Cet autre pastel rend évidente la féminité des Pierrots.



Références :
[0] Francis Fletcher, « Mantegna’s Fictive Bronze Judith and Dido : Beyond examplarity » dans « Andrea Mantegna: Making Art (History) », p 186 et ss https://books.google.fr/books?id=OyRcCwAAQBAJ&pg=PA186#v=onepage&q&f=false
[1] « Capolavori da scoprire: la collezione Borromeo : mostra, Milano, Museo Poldi Pezzoli, 23 novembre 2006 – 9 aprile 2007 », Mauro Natale; Andrea Di Lorenzo, p 206
[1a] Charles Paul Landon « Annales du musée et de l’école moderne des beaux-arts » 1808 https://books.google.fr/books?id=-F0UAAAAQAAJ&pg=PA22
[1b] Journal de Paris, Volume 22, 1808, p 2137 https://books.google.fr/books?id=lVkwiJt6j8kC&pg=PA2137
[1c] Journal des débats politiques et littéraires, 7 décembre 1808. https://books.google.fr/books?id=2kvHrlLsPBcC&pg=PP636
[2a]Pour la postérité de la Dormeuse de Naples, chez Ingres et durant tout le XIXème siècle, on peut consulter : http://echos-de-mon-grenier.blogspot.com/2012/09/dingre-fortuny-les-belles-alanguies.html

Pendants solo : homme homme

3 février 2017

Ces pendants confrontent deux personnages masculins.


Lucas Cranach l'Ancien. Joachim II - prince electeur 1520 Jagdschloss GrunewaldJoachim II, prince électeur du Brandenburg, à 16 ans Lucas_Cranach l'Ancien_-_Furst_Johann_von_Anhalt_(Jagdschloss_Grunewald)Le Duc Johann von Anhalt, à 16 ans

Lucas Cranach l’Ancien, 1520, Jagdschloss Grunewal

Mis à part leur âge identique et leur armure très similaire, on ne connaît pas la raison de ce double portrait de jeunes gens. La position du Duc, à droite du pendant donc à gauche du prince, traduit bien son rang subalterne ; de même que son absence de plumet, ses bijoux plus modestes et son geste plus pacifique : il pose la main gauche sur le fourreau de son épée, pointe en bas, tandis que le Prince porte de sa main droite la hache, lame nue vers le haut.



Quentin Metsys Portrait of Erasmus 1517 Galleria Nazionale d'Arte Antica, RomePortrait d’Erasme Quentin Metsys Portrait of Pieter Gillis 1517 Galleria Nazionale d'Arte Antica, RomePortrait de Pierre Gilles

Quentin Metsys, 1517, Galleria Nazionale d’Arte Antica, Rome

On connait bien les circonstances de la composition de ce pendant : les deux amis humanistes, Erasme et Gilles,  eurent l’idée  de commander au peintre le plus célèbre d’Anvers cette double image, en cadeau pour leur ami commun Thomas More qui venait de retourner en Angleterre. Le portrait d’Erasme fut fini en premier car Gilles était souvent malade, et More les bombardait de lettres dans l’attente de son cadeau [1].

Le triangle amical est suggéré dans le tableau par la lettre de More que Gilles tient dans sa main, tandis qu’il pointe l’autre vers le livre “Antibarbari” qu’Erasme est en train de rédiger : on peut même lire ce qu’il écrit, une paraphrase de l’Epître de St Paul aux Romains, avec son instrument d’écriture favori : une plume en bambou.  Grand spécialiste de Saint Jérôme, Erasme est représenté dans la posture caractéristique de ce saint érudit.



Portret-metsys2
La niche avec ses étagères se poursuit d’un tableau  à l’autre : les amis sont assis à la même table. Les originaux sur bois ayant été rentoilés et recoupés, on ne sait pas si les deux panneaux étaient présentés en diptyque ou en pendants : leur taille relativement importante (61 x 47) et la continuité horizontale des étagères  milite plutôt pour une présentation en pendants.


Lucas-Cranach-l'ancien 1532 Luther Staatliche Museen zu Berlin, Gemaldegalerie Lucas-Cranach-l'ancien 1532 Melanchton Staatliche Museen zu Berlin, Gemaldegalerie

Portrait de Martin Luther et Philippe Melanchthon
Lucas Cranach l’Ancien, 1532, Staatliche Museen zu Berlin, Gemäldegalerie

Les deux grands réformateurs sont ici âgés de 49 ans et 35 ans, vêtus de la même aube noire. L’aîné est coiffé d’un béret en signe de préséance et placé à gauche, par ordre chronologique.


Lucas-Cranach-l'Ancien 1543 Martin-Luther-And-Philipp-Melanchthon coll privee

Portrait de Martin Luther et Philippe Melanchthon
Lucas Cranach l’Ancien, 1543, Collection privée

La demande étant très forte, Cranach et son atelier ont fourni de nombreuses répliques, sans toujours tenir compte du vieillissement. Onze ans plus tard, le cadet a pris du galon, coiffé maintenant d’un béret.


Lucas Cranach le jeune 1546 Martin_Luther_Philippe_Melanchthon

Portrait de Martin Luther et Philippe Melanchthon
Lucas Cranach le jeune, 1546, Collection privée

Trois ans plus tard, Cranach fils entérine le passage du temps et  nous montre un Luther grisonnant mais pétant de santé, face à un Mélanchton plus jeune, mais émacié et mal rasé : le tout semblant s’équilibrer. Nous sommes  pourtant l’année de la mort de Luther.



Lucas Cranach le jeune 1558 Martin Luther and Philipp Melanchthon North Carolina Museum of Art, Raleigh

Portrait de Martin Luther et Philippe Melanchthon
Lucas Cranach le Jeune, 1558, North Carolina Museum of Art, Raleigh

Douze ans plus tard, Cranach ressuscite Luther avec une chevelure de neige, tandis que Melanchton n’a blanchi encore que de la barbe.



Double Portrait of Martin Luther (1483-1546) and Philip Melanchthon (1497-1560) (oil on panel)

Portrait de Martin Luther et Philippe Melanchthon
Collection particulière

Cette formule désormais figée est déclinée par l’atelier  : ici, les deux encadrent une vue imaginaire de Rome.  La pelisse de Melanchton est bordée d’une fourrure, bien utile pour réchauffer les vivants.


Lucas Cranach le jeune apres 1560 Luther Stiftung Schloss Friedenstein, Gotha Lucas Cranach le jeune apres 1560 Melanchton Stiftung Schloss Friedenstein, Gotha

Portrait de Martin Luther et Philippe Melanchthon
Lucas Cranach le Jeune, après 1560, Stiftung Schloss Friedenstein, Gotha

Les deux sont morts désormais, le jupitérien et le mercurien , si différents physiquement, mais indissolublement associés par la magie sympathique du pendant.



Les demi-figures caravagesques

Surtout exploitées par les hollandais à partir de 1622 avec des figures de buveurs, de musiciens ou de bergers (voir Les pendants caravagesques de l’Ecole d’Utrecht), cette formule touche aussi d’autres peintres caravagesques.



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Nicolas_tournier,_soldato_che_alza_il_calice,_1619-24 Palazzo dei Musei (Modena)Soldat levant son verre Nicolas_tournier,_soldato_che_alza_la fiasca,_1619-24 Palazzo dei Musei (Modena)Soldat levant sa fiasque

Nicolas Tournier, 1619-24, Palazzo dei Musei (Modena)

L’homme au plumet rouge se tranche un saucisson et du fromage sur le coin d’un chapiteau, tandis que l’homme au plumet blanc dîne d’un pâté sur une table. Tournier a trouvé une solution très simple pour mettre en symétrie ces deux buveurs droitiers :

  • montrer l’un de face et l’autre de profil ;
  • inverser la position du verre et de la fiasque.



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Tournier 1630 ca Un soldat Musee des Augustins ToulouseUn soldat Tournier 1630 ca Saint Paul Musee des Augustins ToulouseSaint Paul

Tournier, vers 1630, Musée des Augustins, Toulouse

Ces deux tableaux de même taille ont été conservés durant des siècles dans la même famille, c qui laisse epnser qu’ils constituaient des pendants. Une inscription découverte récemment au dos du Saint Paul (« trois tableaux pour le Sr Pennautier ») [1a] confirme la provenance, mais n’éclaire pas le sujet.


La logique du pendant (SCOOP !)

La mise en pendant d’un personnage profane et d’un personnage sacré est intrigante. Sauf si l’on remarque que le soldat fait le geste de tirer de la main droite une épée invisible, tandis que le saint tient sous son bras gauche celle de son martyre.

Le thème sous-jacent pourrait donc être un « martyre de Saint Paul » particulièrement radical, réduit à l’opposition caravagesques entre l’homme de guerre et l’homme de Dieu, entre le velours et la bure.



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Valentin de Boulogne, David avec la tete de Goliath, 1627 coll priveeSamson Valentin de Boulogne Samson, 1630-31. The Cleveland Museum of Art,David

Valentin de Boulogne , 1630-31, The Cleveland Museum of Art

Les deux héros bibliques mis ici en correspondance représentent avant tout deux types de beauté masculine  : le jeune homme imberbe et l’homme mûr velu (on sait que la force de Samson venait de ses cheveux). La pose identique (tous deux accoudés comme de part et d’autre d’une même table)  et le drapé somptueux sont étudiés pour mettre en valeur la rondeur du genou et de l’épaule.

Deux attributs (la fronde en bandoulière et la mâchoire d’âne) permettent d’identifier les deux héros, tandis que les têtes énormes de Goliath et du lion rappellent leur victoire contre un être hors de proportion.

Le tour de force du pendant est d’équilibrer deux figures par ailleurs antithétiques : le jeune berger chétif et le premier des malabars.

 

Ribera 1632 Ixion PradoIxion Ribera 1632 Tityus PradoTityus

Ribera, 1632, Prado, Madrid

Ce pendant montre deux des quatre « Furias » (Ixion, Tityus, Tantale , Sisyphe), personnages mythologiques punis pour avoir offensé Zeus.

Ixion, ayant séduit Junon et de plus s’en vantant, fut condamné par Zeus  à être attaché par les quatre membres sur une roue environnée de serpents. Tityus est un géant qui, pour avoir attenté à l’honneur de Latone, fut précipité dans les Enfers où un vautour lui dévore le foie et les entrailles, qui repoussent éternellement.

Ribera réduit le mythe au minimum : deux hommes allongés, l’un vu de dos et l’autre de face, attachés par les quatre membres, montrés en plongée sur un fond sombre sans repère visuel .  Les détails pittoresques (les serpents, le gigantisme) sont éliminés, seul demeure le dialogue atroce entre l’homme attaché et son bourreau inlassable : le faune qui tourne la roue, l’aigle qui dévide les entrailles.

L’ordre d’accrochage est incertain : dans celui que nous proposons, l’oeil monte du faune en contrebas au rapace surplombant,  des Enfers au Ciel, de l’exécuteur des basses  oeuvres au dieu courroucé, Zeus sous la forme de l’aigle noir.



Rubens 1636-38 democrite pradoHéraclite Rubens 1636-38 Heraclite PradoDémocrite

Rubens, 1636-38, Prado , Madrid

Le couple que forment le Philosophe qui rit et la Philosophe qui pleure a fait l’objet de nombreux pendants au début du XVIIème siècle (voir Les pendants caravagesques de l’Ecole d’Utrecht). Rubens suit la mode pour ce pendant grandeur nature, destinée à décorer un pavillon de chasse de Philippe IV, la Torre de la Parada [1b].


Velazquez 1639-41 Menippe PradoMénippe Velazquez 1639-41 Esope PradoEsope

Vélasquez, 1639-41, Prado , Madrid

Pour le même pavillon, Vélasquez, choisit un couple plus original de célébrités antiques, tous d’eux d’anciens esclaves : d’où sans doute leurs pauvres vêtements.

Ménippe, philosophe célèbre pour sa cupidité, s’enveloppée dans un grand manteau noir et arbore un sourire cynique.

Esope le fabuliste est représenté comme un bon vivant, la main sur la panse, mais au visage triste et amaigri. Le baquet à sa gauche pourrait être une allusion à une anecdote avec son maître Xanthus qui avait parié, étant ivre, qu’il boirait toute l’eau de la mer : Esope lui conseilla de se faire amener un grand récipient d’eau de mer et, au moment de le boire, de dire qu’il s’était engagé à boire l’eau de la mer, mais pas celle des rivières qui s’y déversent. Quant à l’objet posé à droite sur le matelas, il s’agirait de la verrerie que les habitants de Delphes avaient caché dans ses bagages, pour le faire accuser de vol et exécuter.

Vélasquez met ici en scène un couple paradoxal, qui semble prendre le contre-pieds de celui de Rubens : l’homme qui sourit est en fait un triste sire, tandis que l’homme à l’expression désabusée est un être attachant et plein de fantaisie [1c].



Livio Mehus Le genie de la sculpture vers 1650 Palais Pitti FlorenceLe Génie de la Sculpture
Palais Pitti, Florence
Livio Mehus Le genie de la peinture vers 1650 Prado MadridLe Génie de la Peinture
Prado, Madrid

Livio Mehus, vers 1650,

Dans ce pendant inspiré et redécouvert  récemment, le jeune peintre représente deux stades de son évolution artistique. Nous avons la chance d’avoir une explication détaillée de ses intentions :

« Dans le tableau sur la Sculpture,  il avait l’intention de montrer l’amour qu’il avait toujours porté à toutes les sculptures anciennes et belles, et qu’il dessinait volontiers du temps où il se trouvait à  Rome ;  et dans celui sur la Peinture, l’affection avec laquelle, lorsqu’il était à Venise, il étudiait parmi les magnifiques peintures du siècle  de Titien. Dans celui sur la Peinture, il a mis son propre portrait, en train de contempler le beau tableau du Martyre de  Saint-Pierre, que le Génie de la  Peinture, sous la forme d’un très bel enfant, assis sur une pauvre chaise de paille presque entièrement consumée par le temps ,  est en train de recopier avec une grande attention . Avant que cette oeuvre ne sorte de ses mains, le peintre avait écrit dans un endroit approprié cette expression qui faisait allusion à lui-même  :  » Beau Génie dans un pauvre siège  »  ; mais, ne doutant pas qu’une telle mention ne fut estimée trop ambitieuse par certains, il la supprima. Dans celui de la Sculpture, on voit bien le portait de sa personne, parmi les sculptures de cette grande cité les plus renommées et les plus chères à son coeur : parmi lesquelles la colonne Trajane, et son Génie en train de dessiner, voulant  montrer par là les deux pensées qu’à Rome, on dessine et à Venise, on peint.«  [2]

Ajoutons  que la peinture consacrée à Rome montre les jambes de l’Hercule Farnèse, ainsi qu’une statue dorée de Minerve que Mehus devait posséder (il l’a peinte dans une étude sous deux autres angles).



Ducreux 1790s Le Silence, Nationalmuseum Stockholm - 66,5 x 52,5 cmLe Silence Ducreux 1790s La Surprise melee de terreur Nationalmuseum StockLa Surprise mêlée de terreur

Ducreux, 1791-99, Nationalmuseum Stockholm ( 66,5 x 52,5 cm)

Connu pour ses autoportraits qui sont en même temps des têtes d’expression, Ducreux a eu l’idée de confronter ces deux images de lui-même, sous un même éclairage et le même accoutrement (chapeau et houppelande), dans une sorte de dialogue contradictoire où l’une recommande la retenue dont l’autre manque absolument :

  • chevelure dans la lumière contre chevelure dans l’ombre,
  • poing fermé contre paume ouverte,
  • lèvres serrées contre bouche béante.

Le pendant unifie deux autoportraits indépendants, réalisés précédemment :

ducreux 1791 Le-discret Spencer Museum of Art, University of Kansas, Lawrence, KansasLe discret, Spencer Museum of Art, University of Kansas, Lawrence, Kansas Ducreux 1791-self-portrait-in-surprise-and-terror-coll priveeLa Surprise mêlée de terreur, collection privée

Ducreux, 1791



Kronberger Karl A WINTER'S DAY AND NIGHTSo nah - und doch so fern!Si près – si loin (So nah – und doch) kronberger_A WINTER'S DAY AND NIGHT verlorene schluesselLa clé perdue (Verlorene Schluessel)

Un jour d’hiver, jour et nuit
Karl Kronberger,  fin XIXème, Collection privée

Le jour et la nuit, la tempête et le calme, hors les murs et dans les murs, le haut de forme et la casquette, le mouchoir jaune et le mouchoir rouge : les deux scènes de genre se complémentent pour moquer le citadin découronné et dépité, dépossédé en un instant de ses signes de pouvoir et réduit à courber l’échine devant la toute puissance de la neige.


original.94471.tsarPortait de Nicolas II,
Ilya Galkin Savich, 1896, École de commerce de l’entreprise Petrovsky, Saint-Pétersbourg
original.94471.leninePortrait de Lénine ,
Vladislav Izmailovich,1924, Ecole Primaire N°206, Saint Petersbourg

A l’occasion d’une restauration, on vient de redécouvrir le portrait du tsar au dos d’un portrait de Lénine, badigeonné, retourné et accroché au même emplacement, dans la salle d’honneur d’une école de commerce devenue une école primaire.[4]

Présentée côte à côte, les deux faces constituent un pendant convainquant et secret, qui a dû être imaginé par le second artiste pour sa seule satisfaction personnelle : intérieur contre extérieur, tapis contre pavés, colback contre casquette, uniforme militaire contre uniforme prolétarien.

Le tsar, encadré par le miroir qui reflète un double à cheval de lui-même, semble statufié vivant dans sa propre image.  Le bonhomme Lénine lui tourne le dos, et dirige son regard, au delà  de la flèche de la Cathédrale Pierre-et-Paul, vers un idéal encore plus élevé  et doré.




Sur le modèle du couple Luther-Melanchton, on aurait pu s’attendre à trouver  de nombreux portraits croisés de ces deux autres pères fondateurs : Lénine et Staline. Veston contre vareuse, petite taille contre carrure imposante, barbiche contre moustache, calvitie contre chevelure argentée, non-fumeur contre fumeur de pipe, il aurait été facile de mettre en scène la complémentarité du colérique et du sanguin qui semble à la base de toute bonne révolution réussie.

De tels pendants sont en fait rarissimes : nous n’avons trouvé que celui-ci :

URSS 1951 Au nom du communisme

Au nom du Communisme
Affiche de V. Govorkov, 1951, Moscou

Lénine à gauche lance l’électrification, comme le prouve derrière lui l’image d’un barrage avec sa  centrale électrique.
Staline a droite parachève l’oeuvre, en rayant le mot « Désert » dans le libellé « Désert du Karakoum ». Il s’agissait à l’époque d’y creuser le grand canal du Turkmenistan, projet qui sera finalement abandonné. Le plan derrière lui montre un fleuve déjà équipé de deux barrages.


lenine-staline 1a profil lenine-staline 1b profil

Il y a en fait assez peu de  représentations des deux dirigeants  ensemble, et ils sont montrés le plus souvent côte à côte et de profil, ce qui évite toute confrontation et légitime les idées de coopération et de succession.


lenine-staline 2a lenine-staline 2b

La ressemblance physique est magnifiée, au point que le vivant pourrait passer comme la réincarnation du mort.


lenine-staline 3a lenine-staline 3b

A l’issue, absorbés par le drapeau rouge,  les deux  se désincarnent en motifs purement textiles, agités par les bras et le vent.


Références :
[1] Pour les détails sur les deux humanistes et sur les livres représentés, on peut consulter https://mydailyartdisplay.wordpress.com/2012/12/11/desiderius-erasmus-and-pieter-gillis-by-quinten-massys/
[2] ‘Life’ of Mehus , Baldinucci, éditée dans ‘Notizie deiprofessori del disegno da Cimabue in qua (1681-1728)’ quoted from ed. F. RANALLI, Florence [1845-1847], Vol.V, pp.537-38, citée dans Livio Mehus’s ‘Genius of Sculpture’, Gerhard Ewald, The Burlington Magazine Vol. 116, No. 856 (Jul., 1974) http://www.jstor.org/stable/877734
« in quello della scultura ebbe intenzione di far vedere l’amore ch’ei porto sempre all’ antiche e bellissime sculture, e quanto egli volentieri nel tempo, che e’si trattenne in Roma, le disegno ; e similmente in quello della pittura, l’affetto, con che nell’essere a Venezia fece i suoi studi intorno alle mirabili pitture del secolo di Tiziano. In quello della pittura espresse il proprio ritratto, in positura di accennare verso la stupenda tavola del san Pier Martire, mentre il Genio della pittura, in figura di un bellissimo fanciullo, in atto de sedere sopra una povera seggiola di paglia, quasi consumata dal tempo, la sta con grande attenzione ricavando. Aveva il pittore, avanti che questa opera uscisse di sua mano, in un bene adatto luogo scritte queste parole, alludenti a se stesso: « Bel Genio in povera sedia » ; ma, dubitando che tal concetto non fosse da taluno stimato troppo ambizioso, le cancello. In quello della scultura si vede pure il ritratto di sua persona fra le pi’ rinomate a lui piu care sculture di quella gran citta : efra le quali fu la colonna Trajana, e il suo Genio in atto di disegnare volendo inferire con questi due pensieri che a Roma si disegna, e a Venezia si dipinge »

Pendants paysagers matin soir

2 février 2017

Ces pendants opposent deux états particuliers du paysage , aux fortes connotation symboliques: : le matin et le soir.



 

Claude-Lorrain- David sacre roi par SamuelDavid sacré roi par Samuel Claude-Lorrain-le-d-barquement-de-Cleopatre---Tarse--2-Le débarquement de Cléopâtre à Tarse

Claude Lorrain, 1642 – 1643, Musée du Louvre

Ces deux pendants ont été peints à Rome pour Angelo Giori, fait cardinal en 1643. Comme d’autres pendants de Claude, ils opposent la campagne et la mer, une scène biblique et une scène antique, dans une architecture classique qui fait fi de la vraisemblance au profit de la Beauté éternelle.

Dans le premier pendant, le jeune berger David baisse la tête humblement pour recevoir l’onction. A l’extérieur du portique, un serviteur accompagné de deux chiens contemple la scène. Derrière, on amène un bélier pour le sacrifice. Au fond, un pont unit la ville et la campagne. Une caravane y passe, des moutons paissent, des femmes s’occupent des enfants à l’ombre d’un arbre : c’est la paix et la prospérité (il se peut que cette mise en scène d’une intronisation prometteuse ait à voir avec la récente dignité du commanditaire).

Dans le second pendant, le mouvement va dans l’autre sens, de gauche à droite. Les chroniques romaines racontent l’arrivée de Cléopâtre à Tarse, portant les vêtements d’Aphrodite et une profusion de bijoux et de parfums, dans une embarcation à la poupe dorée, avec des rames d’argent et des voiles pourpres . Claude Lorrain n’a pas insisté sur le luxe : le riche bateau est bien là , mais l’or des bijoux est passé dans la lumière. Un serviteur avec deux chiens va au devant de la reine, que Marc-Antoine est venu accueillir sur la pas de la porte.

D’un côté, le tout début d’un règne pieux et béni ; de l’autre, le tout début d’une aventure fatale, entre une reine sensuelle et un aventurier. Mais Claude Lorrain traite en sourdine ces contrastes moraux, afin de ne pas étouffer le sujet principal du pendant :

la splendeur inaugurale de l’aube, la splendeur terminale du crépuscule.



Vernet 1747 Morning_In_Castellemare ErmitageLe Matin à Castellamare vernet 1747 cascatelles de tivoli Saint-Petersbourg, Ermitage,Cascatelles de Tivoli

Joseph Vernet, 1747, Ermitage, Saint-Pétersbourg

La mer calme contraste avec les cascades mouvementées, la côte napolitaine avec la campagne romaine. Mis à part la classique composition en V, Vernet s’intéresse peu à la logique des pendants. Son succès tient au traitement raffiné de la lumière : un matin doré aux lointains embrumés près de la mer, une fin de journée aux ombres tranchées en pleine terre.


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Vernet 1752 Le matin Collection priveeLe soir : port méditerranéen à l’aube avec des pêcheurs et des marchands sur un quai Vernet 1752 Le soir Collection priveeLe clair de lune : port méditerranéen avec des pêcheurs près d’un feu sur le rivage, avec une arche naturelle

Joseph Vernet, 1752, Collection privée

Ici le lieu est le même : deux ports. Mais les lumières sont complètement différentes, entre le crépuscule et le clair de lune, traité ici avec un réalisme novateur.

« Les paysages imaginaires de Vernet, bien que s’inspirant librement de paysages de la côté au Sud de Rome autour de Naples, marquent l’abandon de la demande purement topographique au profit de quelque chose de plus naturel ; c’était leur insistance sur la nature, les formations rocheuses, les conditions météorologiques, les effets du soleil et de la lune sur les différentes surfaces qui intéressaient la plupart de ses patrons étrangers, à partir des années 1740. Ils évoquaient plus que le souvenir d’un emplacement : celui d’une sensation. A la fois naturalistes et évocateurs de l’expérience des voyageurs en Italie, ils étaient à apprécier lors du retour des patrons sous les climats plus calmes de l’Angleterre ou d’ailleurs. Pour les voyageurs du Grand Tour ou les aristocrates européens, ces paysages étaient moins faits pour réveiller le souvenir d’un lieu précis que pour symboliser la traversée des mers dangereuses, l’arrivée sain et sauf au port, la campagne parcourue par l’oeil d’un touriste averti. » Notice Sotheby’s, [1]



Vernet 1752 Le matin Collection privee detail

Dans Le Soir, la lumière dorée et les ombres longues rehaussent les scènes pittoresques du premier plan : dockers soulevant un ballot, tandis que des collègues oisifs entreprennent une voyageuse qui attend son bateau en tricotant.


Vernet 1752 Le soir Collection privee detail feu Vernet 1752 Le soir Collection privee detail

Dans le second tableau, la virtuosité réside dans la cohabitation entre les deux sources de lumière :

  • côté feu, seules sont discernable les femmes qui préparent la soupe, tandis que les hommes attendent dans l’ombre ;
  • côté pleine lune, les silhouettes en ombre chinoise des pêcheurs qui s’activent s’échelonnent, du premier-plan jusqu’à l’infime au delà de l’arche de pierre. Autour de l’astre nocturne des chauve-souris volettent : tout un pré-romantisme en gestation.


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En vingt cinq ans, Vernet a réalisé plusieurs séries des Quatre Parties du jour :

  • pour le château de Russborough du brasseur Joseph Leeson, en 1749 ;
  • pour un commanditaire inconnu, en 1757 ;
  • pour Monsieur Journû de Bordeaux en 1760 ;
  • pour la bibliothèque du Dauphin à Versailles en 1762 ;
  • pour Louis XV et la bibliothèque du château de Choisy en 1765 ;
  • pour la Du Barry et le château de Louveciennes en 1775.

La série de Russborough et celles du Dauphin (ci-dessous) sont exclusivement maritimes.



Vernet 1762 Serie Dauphin Ensemble

Série du Dauphin, 1762, Château de Versailles

Il serait fastidieux de les présenter toutes, car elles sont basées sur le même principe : un pot-pourri des formules à succès du peintre, permettant de goûter à la fois le rendu des effets de lumière et des ambiances météorologiques [2] :

  • le matin : soleil levant sur un fleuve (avec baigneuses, lavandières ou pêcheurs) ou un port, temps calme ;
  • le midi : mer ou rivière, tempête ;
  • le soir : un port ou un torrent (avec baigneuse ou pêcheur), soleil couchant ;
  • la nuit : un port avec un feu sur la rive, pleine lune.

A titre d’exemple, voici une des plus anciennes :

Vernet 1757 Les quatre heures du jour Le matin Art Gallery of South Australia, AdelaideLe matin Vernet 1757 Les quatre heures du jour Midi Art Gallery of South Australia, AdelaideLe midi
Vernet 1757 Les quatre heures du jour Soir Art Gallery of South Australia, AdelaideLe Soir Vernet 1757 Les quatre heures du jour Nuit Art Gallery of South Australia, AdelaideLa nuit

Les quatre heures du jour
Joseph Vernet ,1757, Art Gallery of South Australia, Adelaide

https://en.wikipedia.org/wiki/Four_Times_of_the_Day_(Joseph_Vernet)


sb-linevernet Le Matin Le Soir 1778 Collection privee

 Le Matin (Paysage avec des pêcheurs)   Le Soir (Mer calme au crépuscule)
Joseph Vernet, 1778, Collection privée

Commandé en 1778 par le collectionneur Denis-Pierre-Jean Papillon de la Ferté, ce pendant sans prétention  reprend l’opposition devenue machinale entre le soleil levant et le clair de lune.

 



Jacob More 1788 The cascade of Tivoli at sunset, Marmore at moonlight with figures in the foreground
La cascade de Tivoli le matin, la cascade de Terni le soir
Jacob More, 1788, collection privée

Ce pendant réunit deux curiosités naturelles du Grand Tour, en opposant :

  • le matin et le soir,
  • le soleil et la lune se reflétant dans l’eau ;
  • l’arbre vif et l’arbre mort,
  •  vue d’en haut et vue d’en bas



gericault matinPaysage aux pêcheurs, dit Le Matin
Géricault, 1818, Munich, Nouvelle Pinacothèque
gericault midiPaysage à la tombe romaine, dit Le Midi
Géricault, 1818, Paris, Musée du Petit Palais

gericault soirPaysage à l’aqueduc dit Le Soir
Géricault, 1818, Metropolitan Musem of Art,New York,

Ces trois grands tableaux que Géricault a peints en 1818 après son retour de Rome, formaient un cycle dont la destination reste énigmatique . Y avait-il une quatrième toile, la Nuit ? Les indices sont contradictoires : il reste un croquis représentant  un port au clair de lune, réalisé par Nat Leeb qui dit avoir acheté les quatre tableaux en 1937 ; selon ce témoignage, le quatrième tableau aurait été endommagé par la pluie durant la guerre, puis vendu à un obscur collectionneur brésilien. Mais d’un autre côté, les factures du fournisseur de Géricault, qui ont rendu certaine la datation de 1818, ne mentionnent que trois châssis de la même taille [3].

L’influence de Vernet [4] est manifeste dans les sujets :

  • un départ à la pêche pour le Matin
  • un orage pour le Midi
  • une baignade pour le Soir.

Comme chez Vernet, des éléments unificateurs sont présents : le fleuve, le pont, la montagne, le village, les monuments antiques. Mais l’éclairage dramatisé et l’artificialité assumée tranchent radicalement avec les conceptions de son prédécesseur [5].


Le matin

Seule l’amorce d’un pont est visible sur la rive gauche, à côté du village. Une barque est échouée rive droite, cinq hommes la tirent et la poussent pour tenter de la mettre à flot. Le palmier jauni et la montagne au profil de sphinx, références vaguement égyptiennes, nous remémorent l’histoire d’une autre embarcation : le berceau de Moïse mis à flot dans le Nil pour le sauver de l’assassinat.

Le début du jour coïncide le début d’une vie.


Le midi

Comme l’a montré Joanna Szepinska-Tramer [6], la construction est un mixte de la tombe de Cecilia Metella et du tombeau des Plautes, recomposée à partir d’un recueil de gravures de Florent Fidèle Constant Bourgeois (1804) : nous sommes donc très loin d’une peinture sur le motif.



gericault midi famille
Le pont, plus large, est en partie ruinée. La famille qui vient des montagnes enneigées n’a, pour gagner le village, d’autre solution que de demander de l’aide à des pêcheurs. A voir le ciel gris qui les attend de l’autre côté, la traversée manifestement ne résoudra pas tous les problèmes.



gericault midi detail
Derrière eux, un détail macabre que Géricault n’avait pu voir qu’en Italie, ajoute au côté dramatique de la fuite : un poteau auquel sont attachés les membres de brigands est planté au bord du chemin, à l’emplacement de leur crime.

Le milieu du jour coïncide avec la fondation d’une famille et les orages de la vie.


Le soir

Le pont est maintenant totalement construit : il est même à deux étages, comme si une oeuvre nouvelle avait surélevé l’oeuvre ancienne. Juste en dessous, un vieillard en bleu blanc rouge et bonnet phrygien discute avec un baigneur, autre figure d’un pont transgénérationnel. Ce soir tranquille où l’on se baigne entre les ruines inoffensives d’une tour romaine et d’une tour médiévale, ressemble fort à un paradis républicain.

Le soir du jour coïncide avec la sagesse, la propreté, l’élévation.



Asher-Brown.-Durand-The-Morning-of-Life 1840 The National Academy Museum and School of Fine Arts New YorkLe matin de la vie ( the Evening of Life) Asher-Brown.-Durand-The-Evening-of-Life 1840 The National Academy Museum and School of Fine Arts New YorkLe soir de la vie ( the Evening of Life)
 
Asher Brown-Durand,1840,
The National Academy Museum and School of Fine Arts, New York

Réalisé au retour d’un voyage en Europe, ce pendant montre l’influence lointaine de Claude Lorrain et l’influence proche de l’ami Thomas Cole, que les commentateurs de l’époque ont bien notée (voir Les pendants paysagers de Thomas Cole).

Selon le principe classique (voir Pendants architecturaux), le soleil, placé dans l’intervalle entre les pendants, unifie les deux points de vue.


Le matin
Asher-Brown.-Durand-The-Morning-of-Life 1840 The National Academy Museum and School of Fine Arts New York detail

Dans un paysage antique, le Matin montre de face une famille nucléaire debout au pied d’une statue de l’Espérance (avec son ancre), devant une enfilade de troncs en V dans lesquels il faut voir autant d’arbres généalogiques : « Croissez et multipliez ». Au fond, tous se dirigent vers un Temple.

Asher-Brown.-Durand-The-Morning-of-Life 1840 The National Academy Museum and School of Fine Arts New York temple


Le soir

Dans un paysage médiéval, le Soir montre de dos une vieille femme qui se repose, assise à côté d’un chapiteau tombé d’un temple en ruine. Elle est éloignée du bouquet d’arbres (sans descendance), isolée comme le tronc mort à côté de la colonne : on comprend qu’elle n’avancera pas plus loin, clouée par sa canne à l’entrée du tableau. Au fond, tous se dirigent vers une Cathédrale.

Asher-Brown.-Durand-The-Evening-of-Life 1840 The National Academy Museum and School of Fine Arts New York detail


La logique du pendant

En passant de l’arrière-plan au premier plan, du bâtiment neuf à la ruine, le temple païen de l’autre tableau cède la place, tout comme la vieille femme, à un autre futur, un futur chrétien  : avancer dans la profondeur est en somme comme avancer dans le temps.

Haute résolution : https://www.google.com/culturalinstitute/beta/asset/the-morning-of-life/TAH0jQwvBw-I0g


Asher Brown Durand 1847 Forenoon New Orleans Museum of ArtLa matinée (Forenoon), New Orleans Museum of Art Asher Brown Durand 1847 Afternoon Mead Art Museum at Amherst College 152.4 x 121.9 cmL’après-midi (Afternoon Mead), Art Museum , Amherst College

Asher Brown-Durand, 1847 (152.4 x 121.9 cm)

Cet autre  pendant de Brown-Durand, qui prend pour sujet principal deux immenses troncs en V, est intéressant par sa composition atypique :

  • dans La Matinée, un bûcheron fait tirer par deux boeufs un tronc (qu’il a dû couper le veille), en direction du bord gauche du pendant ;
  • dans L’après-midi, un vacher pousse le troupeau vers le bord droit du pendant

Le soleil, qui est placé  ici des deux côtés du pendant, contribue à cet effet centrifuge.



sarazin_de_belmont_louise_josephine-vue du forum le matin 1865 musee beaux arts de toursVue du forum le matin sarazin_de_belmont_louise_josephine-vue du forum le soir 1865 musee beaux arts de toursVue du forum le soir

Sarazin de Belmont (Louise-Joséphine), 1865, Musée des Beaux Arts, Tours

Le Matin est une vue plongeante depuis le Capitole, en direction de l’Est. Au premier plan, un peintre dessine les colonnes du temple de Saturne, tandis que deux troupeaux de vaches arrivent ou paissent déjà dans le Forum. On distingue à gauche, en plein contrejour, l’arc de Septime Sévère qui termine la Via Sacra. L’aube ressuscite un « campo vaccino » bucolique,  depuis longtemps disparu  en 1865 (à en croire le tableau ci-dessous).


salomon corrodi - foro romano - roma - 1845
Le forum romain
Salomon Corrodi,1845

Le Soir est une vue plongeante prise dans l’autre sens, depuis le Colisée, en direction de l’Ouest. Au premier plan, un berger rentre son troupeau de chèvres, tandis qu’un autre troupeau (touristes, prêtres, militaires ?) visite visite l’esplanade du Temple de Vénus et de Rome. On distingue à gauche, en plein contrejour, l’arc de Titus qui ouvre la Via Sacra, et une autre escouade qui passe. Le crépuscule qui cuit les vielles briques est propice à faire ressurgir les fantômes des Triomphes passés.

Ainsi le soleil couchant ravive la Rome impériale, tandis que le soleil levant fait revivre les temps du Grand Tour. [9]



FREDERIC Leon Les marchands de craie 1882-83 matinLe matin FREDERIC Leon Les marchands de craie 1882-83 soirLe soir

Triptyque des marchands de craie
Léon Frédéric, 1882, Musées Royaux des Beaux Arts de Belgique

Le triptyque relate une journée de la vie de Bernard Scié, marchand de craie de la région de Bruxelles et modèle récurrent de Frédéric.

Le matin

La grande soeur, en tête, fait le travail d’un homme, la hotte de craie sur ses épaules : elle essaie d’en soulager le poids en passant ses mains dans les bandoulières. Derrière elle, le père porte en plus, dans sa hotte, un jeune enfant qui dort ; il donne la main au petit frère qui mange une tranche de pain. Le trio est vu de face, cadré à gauche, au bas d’une descente.


Le soir

Le père, en tête, fait le travail d’une femme, portant un jeune enfant dans ses bras, la hotte vide sur ses épaules. Derrière lui, la grande soeur ramène elle-aussi sa hotte vide ; elle donne la main au petit frère, emmitouflé dans des chiffons pour lutter contre le froid. Le trio est vu de dos, cadré à droite, au bas d’une côte. Très haut sur la butte, une maison domine – château-fort de ceux qui ont, la roulotte de ceux qui n’ont pas grand chose : à peine une marmite qui fume à même le sol.


Le midi

FREDERIC Leon Les marchands de craie 1882-83 midi
La mère a amené le repas, accompagnée de deux enfants et bas-âge et de la soeur cadette, qui s’est assise près du père. Deux troncs désignent les deux soutiens de famille : la mère, assise sous l’église lointaine ; le père, assis sous l’usine qui ne veut pas de lui. Un long égout horizontal sépare le village de ceux qu’elle rejette. La vue plongeante expose à cru les stigmates de la misère : la cruche cassé, le maigre contenu de la bassine et des écuelles, les plantes des pieds nus et les sabots crottés du père, puisqu’on réserve l’unique paire au plus indispensable.

On pourrait croire la famille au comble de l’accablement : mais les mains jointes des enfants et du père, qui a enlevé son chapeau par déférence, révèlent la signification de la scène : les pauvres sont les véritables chrétiens, ils disent le bénédicité. Et les arbres se  lisent d’une autre manière, découpant l’arrière-plan en trois zones :

  • la Mère et l’Eglise : la Foi ;
  • le Père et  l’Usine : le Travail ;
  • les cinq enfants et le Village : la Famille.


La logique du pendant

Le matin, le midi et le soir ont perdu ici toute ambition météorologique : le ciel est uniformément gris, la lumière absente, la route glacée, l’herbe pâle, comme si la poudre de craie avait contaminé le paysage. Les trois moments de la journée sont réduits à leur dimension purement animale : manger, manger, manger. Les hottes extériorisent la logique des estomacs qui se vident et qu’il faut regarnir, Sisyphes du Plat Pays  voués à une réitération indéfinie.

sb-line

FREDERIC Leon Triptyque de l'Age d'Or le Matin, Musee d'Orsay ParisLe matin FREDERIC Leon Triptyque de l'Age d'Or le Soir , Musee d'Orsay ParisLe soir

FREDERIC Leon Triptyque de l'Age d'Or le Midi, Musee d'Orsay Paris
Le midi
Triptyque de l’Age d’Or
Léon Frédéric, 1900-01, Musée d’Orsay, Paris

L’Age d’Or constitue une antithèse éclatante de l’Age de Craie : l’éternel bonheur dans une campagne luxuriante au lieu des allers-retours quotidiens dans une plaine désolée.

Frédéric a conservé la vue plongeante et certains principes de composition :

  • le matin, des chevaux s’éloignent sur une route descendante ;
  • le soir, un cheval remonte vers la ferme une charrette débordante de paille, tandis que des femmes rentrent sans efforts des corbeilles de pommes.

Mais ici, le point de référence est inversé : c’est la maison qui reste au premier plan et la route qui est marginalisée. Prés contre terrasse, fleurs contre fruits, chat contre chien, moulin contre meules de foins, bébé qu’on fait voler contre enfant qui fait ses premiers pas : les deux panneaux latéraux affichent des symétries marquées.

Est-ce par référence à sa première oeuvre à succès que Frédéric, vingt ans plus tard, a baptisé ce triptyque Matin, Midi et Soir ? Car les trois panneaux montrent à l’évidence un autre trio :

  • le Printemps avec ses arbres et ses prairies en fleur,
  • l’Eté où les bergers et les moutons innombrables dorment sous la chaleur écrasante,
  • l’Automne, avec ses meules sous le soleil couchant, tandis qu’on fait goûter aux enfants les pommes et les raisins sous la treille.

Le titre est plus profond qu’il ne semble : l’Age d’Or est celui d’une éternité heureuse, où les années passent comme les jours, et où donc le cycle paisible des saisons a remplacé le cycle épuisant des heures.

Une seconde métaphore est à lire dans chacun des panneaux : s’y mélangent, dans une joyeuse harmonie, des enfants, des femmes et un couple de vieillardmatin, midi et soir de la vie.

Mais l’intérêt principal du triptyque est dans ses ellipses : l’Hiver ne nous est pas montré, et le seul homme du tableau (mis à part le vieillard) est le père qui dort dans le panneau central, armé d’une houlette pacifique.

Comme si l’expulsion de la Mort réclamait l’exclusion de l’Homme.



Références :
[2] Cette division en quatre heures du jour sera théorisée plus tard :
« Les artistes ont généralement observé qu’en le divisant en quatre parties, on trouvoit en chacune d’elles et à l’instant déterminé pour chaque division, des contrastes plus décidés, des oppositions plus prononcées et des effets plus distincts. » La représentation d’un orage pour l’heure de midi est également recommandée ».
Pierre-Henri de Valenciennes, Eléments de perspective pratique à l’usage des artistes, suivis de réflexions et conseils à un élève sur la peinture et particulièrement sur le genre du paysage, Paris, Desenne, Duprat, 1800 ; fac-similé, Genève, 1973, 2e éd. augmentée, Paris, Payes, 1820., p. 405-407, 427-456. « (…)
[3] L’étude la plus récente et la plus fouillée, passionnante comme une enquête policière, est celle de Gary Tinterow : »Géricault’s Heroic Landscapes: The Times of Day », Metropolitan Museum of Art, 1990, librement téléchargeable sur le site du MET : http://www.metmuseum.org/art/metpublications/Gericaults_Heroic_Landscapes_The_Metropolitan_Museum_of_Art_Bulletin_v_48_no_3_Winter_1990_1991
[4] Géricault avait pu voir ses oeuvres au Louvre, ou chez Horace Vernet dont il était très proche.
[5] Pour une mise en perspective historique et esthétique, on peut se référer à « Composition du paysage et émergence du sens. La peinture de paysage et l’art des jardins autour de 1800 », Peter Schneemann, Revu germanique internationale, 1997 http://rgi.revues.org/621?lang=en#ftn45
[6] Joanna Szepinska-Tramer, Recherches sur les paysages de Géricault, Bulletin de la Société d’histoire de l’art français, 1973, p. 299-317.
[9] Pour des vues d’artistes du Forum Romain au cours des siècles, on peut consulter : http://www.rome-roma.net/site-rome-art.php?lieu=forum%20romain

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Pendants paysagers : deux états du monde

31 janvier 2017

Dans ces pendants, il s’agit d’opposer deux atmosphères  contrastées : la tempête et le calme, un incendie et ses dégâts ou bien, moins dramatiquement, un jour calme et un jour de fête.

Poussin 1651 Landscape_-_A_Storm Musee des beaux arts RouenL’orage
Poussin, 1651,Musée des Beaux arts, Rouen
Poussin 1651 Landscape_-_A_calm Un Temps calme et serein Getty MuseumPaysage par temps calme
Poussin. (1651) The J. Paul Getty Museum, Los Angeles

Sur ce pendant, voir Les pendants de Poussin 2 (1645-1653)



Port_of_Ostia_During_a_Tempest',_oil_on_canvas_painting_by_Leonardo_Coccorante,_1740s,_Lowe_Art_MuseumDurant la tempête 'Port_of_Ostia_in_Calm_Weather',_oil_on_canvas_painting_by_Leonardo_Cocorante,_1740s,_Lowe_Art_MuseumPar temps calme

Le port d’Ostie, Leonardo Coccorante, vers 1740, Lowe Art Museum

Spécialiste des pendants architecturaux, Coccorante s’essaye à la mode des contrastes atmosphériques, ce qui l’amène à modifier quelque peu ses habitudes. Ses pendants strictement architecturaux obéissent habituellement à des recettes qui permettent d’assurer une certaine complémentarité entre les deux vues, tout en leur déniant la continuité optique : le plaisir pour le spectateur étant d’apprécier l’invention et la fantaisie, non de s’immerger dans une réalité fictive.


Port_of_Ostia Leonardo_Coccorante,_1
Le pendant du haut obéit à ces trois recettes (voir d’autres exemples dans Pendants architecturaux) :

  • 1) les bords externes sont fermés par des motifs qui renvoient le regard, comme une balle entre deux frontons ;
  • 2) le centre fait « comme si » les deux pendants se recollaient : mais les points de fuite sont ici trop proches pour permettre une distance correcte d’accrochage, et les lignes d’horizon sont à des hauteurs légèrement différentes ;
  • 3) la lumière provient d’entre les deux pendants, mais avec des approximations qui empêchent de localiser une source unique.

Le pendant atmosphérique respecte le premier procédé, mais pas les deux autres :

  • 2 bis) l’horizon est au même niveau et une distance optimale d’accrochage existe ;
  • 3 bis) la lumière vient du même point, très bas à gauche.

L’idée est bien, ici, de permettre au spectateur de comparer, à la même heure et depuis un même point idéal, les deux ambiances opposées : le naufrage et l’arrivée à bon port.

Mais c’est un peu plus tard que va’émerger une description véritablement réaliste de ces contrastes…



Vernet 1748 mer tempetueuse Musee Thyssen Bornemiza MadridMer avec tempête Vernet, 1748, Musée Thyssen Bornemiza, Madrid Vernet 1748 mer calme Musee Thyssen Bornemiza MadridMer calme Vernet, 1748, Musée Thyssen Bornemiza, Madrid
Vernet 1770 Port mediterraneen avec tempete Getty MuseumPort méditerranéen avec tempête Vernet, 1770 ,Getty Museum, Malibu Vernet 1770 Port mediterraneen par mer calme Getty MuseumPort méditerranéen par mer calme Vernet, 1770 ,Getty Museum, Malibu
Vernet 1773 A Shipwreck in Stormy Seas National Gallery LondresUn naufrage dans la tempête (A Shipwreck in Stormy Seas)Vernet, 1773, National Gallery Londres Vernet 1773 A Landscape at Sunset National Gallery LondresPaysage au coucher de soleil (A Landscape at Sunset)Vernet, 1773, National Gallery Londres

Vernet a mis au point des effets de lumière et d’atmosphère novateurs, très appréciés  pour leur rendu réaliste,  et qui ont assuré son succès tout au long de sa carrière.  Il a modernisé et exploité dans une série de pendants l’opposition poussinesque entre la tempête et le calme, impressionnant ses contemporains par  le contraste entre :

  • le midi tempétueux  (voir MatinSoir), et le calme retrouvé du soir ;
  • le ciel gris  et le ciel rose ;
  • la lumière tranchante et la lumière diffuse ;
  • les diagonales contraires des mâts et de la pluie,  et les verticales restaurées ;
  • les voiles gonflées et les voiles flasques ou carguées ;
  • les chaloupes ramenant à grand peine les naufragés et les barques  déchargeant paisiblement la pêche du jour.



Volaire 1770 Shipwreck The Huntington, PasadenaNaufrage (Shipwreck) Volaire 1770 View of Naples in Moonlight The Huntington, PasadenaVue de Naples au clair de lune (View of Naples in Moonlight)

Volaire, 1770, The  Huntington, Pasadena

Elève de Vernet, Volaire suit et accentue  les mêmes procédés.

Dans le Naufrage, les diagonales des éclairs se rajoutent à celles des mâts et des voiles, projetant un spot de lumière sur les naufragés, tandis qu’un soleil sanglant se cache derrière les nuages.

Dans la Vue de Naples, les orthogonales de la canne à pêche et du mât du filet carrelet rajoutent à la verticalité du vaisseau. Le rougeoiement est descendu du ciel vers la terre, où se prépare une friture au pied d’une ruine romaine (inspirée du temple de Minerve à Rome).

Dans les deux panneaux, l‘élément de stabilité est fourni par le château-fort inaccessible à la tempête, et par la silhouette du Vésuve qui fume paisiblement sous la lune


volaire vesuve 1794 1 volaire vesuve 1794 2

Double vue du Vésuve
Volaire, 1794, Collection particulière [1]

Le calme du Vésuve était tout relatif car il y eut de nombreuses éruptions à l’époque  – en 1771, 1773, 1774, 1775, 1776, 1779 et 1794 (celle représentée  ici), qui firent la fortune de Volaire comme peintre du volcanisme.

A la longue, on s’était habitué aux éruptions : l’ambiance cataclysmique des premiers tableaux a laissé place à un spectacle touristique dont on admire deux phases successives, depuis les barques ou depuis les rochers : tandis que la coulée de lave s’est élargie, la lune est monté vers la droite, presque complètement occultée par la pluie de cendre qui est le clou du spectacle. Et les spectateurs applaudissent à cette apothéose. [2]

wright_of_derby_clair de lune montrealClair de lune
Wright of Derby, 1787, Musée des Beaux Arts de Montréal
wright_of_derby_cottage en feuCottage en flammes
Wright of Derby, 1787, Minneapolis Institute of Art [4]

A gauche un lac paisible, sous une tour encore fière ; deux promeneurs à peine visibles sur la rive  jouissent du calme de la nuit.

A droite, une vallée sèche, entre une ruine ensevelie dans les branchages et un cottage disparaissant dans les flammes. ; une vieille femme se désespère tandis que le reste de la  famille s’active pour  sauver l’essentiel.

Plastiquement, le pendant oppose couleurs froides et couleurs chaudes. Allégoriquement, les éléments Terre et Eau aux éléments Air et Feu. Moralement, le Bonheur au Malheur.


wright_of_derby_personnages
Philosophiquement, il exploite  le même contraste qu’Hubert Robert, entre objectivité distanciée et implication dramatique.


wright_of_derby_lune
Loin au dessus des passions humaines, la lune fournit aux deux panneaux son  point de vue de Sirius.


Pierre-Henri de valenciennes 1782-1784 Loggia a Rome, le toit au soleil LouvreLoggia a Rome, le toit au soleil Pierre-Henri de valenciennes 1782-1784 Loggia a Rome, le toit a l'ombre LouvreLoggia a Rome, le toit à l’ombre

Pierre-Henri de Valenciennes, 1782-1784, Louvre, Paris

On dirait une ferme fortifiée en haut d’un champ labouré. Mais c’est une terrasse sur un toit de tuiles, une loggia romaine où l’on étend le linge pour qu’il  sèche sous le vent et au soleil.



Pierre-Henri de valenciennes 1782-1784 Loggia a Rome, le toit au soleil Louvre detail
Dans la première étude, celui-ci est déjà bas,  et même en contrebas comme le montre l’ombre portée du toit (ce qui confirme d’ailleurs la position élevée de la loggia).

Dans la seconde étude, l’ombre portée n’est plus visible, mais une lumière diffuse provient toujours de la droite. Le soleil vient de disparaître soit sous l’horizon, soit derrière un nuage.

Dans tous les cas, très peu de temps séparent les deux vues : à peine celui de rajouter un linge sur la corde  de gauche,  et pour le paysagiste de faire la preuve de sa virtuosité à capter les tons changeants et les ombres fugitives.

Titian Ramsay Peale, 1842 'Kilauea_by_Day Bernice P. Bishop Museum HonoluluLe volcan Kilauea le jour Titian Ramsay Peale, 1842 'Kilauea_by_Night Bernice P. Bishop Museum HonoluluLe volcan Kilauea la nuit

Titian Ramsay Peale, 1842, Bernice P. Bishop Museum, Honolulu

Ces deux toiles se veulent un témoignage précis, topographique et ethnographique : le jour les natifs rendent hommage à un roi, la nuit ils chantent à la lueur du volcan.


Monet 1867 Regattes a Sainte-Adresse METLa plage à Sainte-Adresse, Art Institute of Chicago Monet 1867 The_Beach_at_Sainte-Adresse Art Institute of ChicagoRégates à Sainte-Adresse, MET, New York

Monet, 1867

Ce pendant hâvrais oppose trois aspects du temps qui passe :

  • arée haute et marée basse,
  • temps lumineux et temps couvert,
  • jour de loisir et jour de labeur.

Trois vues de la rue Mosnier

Manet, 1878

Manet_Rue_Mosnier_Decorated_with_Flags_1878 Manet LA RUE MOSnIER AUX drapeaux - 1878 getty malibu
La Rue Mosnier aux drapeaux,
Manet, 1878, Collection particulière (65 × 81 cm)
La rue Mosnier aux drapeaux
Manet, 1878, Getty Museum,  Malibu (65.4 × 80 cm)

La date

Pour  commémorer l’Exposition Universelle qui matérialisait la prospérité retrouvée après la guerre de 1870, le gouvernement avait déclaré  le 30 Juin 1878  Fête de la Paix (la fête nationale du  14 juillet ne sera institué qu’en 1880). C’est ce jour exceptionnel, où le drapeau tricolore était à nouveau autorisé à pavoiser les rues de Paris, que Manet et son ami Monet, deux républicains convaincus,  ont voulu immortaliser.



Monet-montorgueil

La rue Montorgueil
Monet, 1878, Musée d’Orsay, Paris

« J’aimais les drapeaux. La première fête nationale du 30 juin, je me promenais rue Montorgueil avec mes instruments de travail; la rue était très pavoisée avec un monde fou. J’avise un balcon, je monte et demande la permission de peindre, elle m’est accordée. Puis je redescends incognito ! » Claude Monet [5]



Manet LA RUE MOSnIER AUX PAVEURS - 1878

La rue Mosnier aux paveurs
Manet, 1878, Cambridge, Fitzwilliam Museum (63 × 79 cm )

Manet a peint une troisième vue  de la rue Mosnier, sans drapeaux. La relation entre les  trois versions n’est pas claire : selon Robert L. Herbert [6],

  • la vue sans drapeaux aurait été peinte avant la fête,
  • celle barrée par le drapeau au premier plan, le jour de la fête,
  • et la troisième le soir de la fête (à voir l’ombre des maisons qui se projette sur la rue), voire le lendemain soir.

Pour avancer sur la question, il va nous falloir étudier plus précisément la topographie du quartier.


sb-line

La rue Mosnier et son quartier

Manet_La_rue_Mosnier_au_bec_de_gaz

La rue Mosnier, aujourd’hui rue de Berne, est séparée des rails de la gare Saint Lazare par une étroite rangée de maisons. Derrière la palissade,  le dessin de Manet montre une locomotive en contrebas qui se dirige vers le tunnel des Batignolles. Ce terrain vague était trop étroit pour construire, et la rue Mosnier commençait au numéro 7. Sur le mur de pignon de cette maison était peint une grande réclame en lettres d’or sur fond rouge.


Maison Helios, Pont de la place de l Europe, 1868, Musee Carnavalet, ParisMaison Helios, Pont de la place de l’Europe, 1868, Musée Carnavalet, Paris Monet La_Gare_Saint-Lazare_Ligne d'Auteuil 1877 OrsayLa gare Saint-Lazare, Ligne d’Auteuil
Monet, 1877, Musée d’Orsay, Paris.

 Un autre réclame du même type était peinte sur le fronton de l’immeuble de Manet. On la voit  à l‘extrême droite du tableau de Monet, pris depuis la verrière de la gare Saint Lazare.


La réclame

Manet LA RUE MOSnIER AUX PAVEURS - 1878 detail affiche
Sur la version de La rue Mosnier aux paveurs, Manet a tracé les lettres avec  suffisamment de netteté pour qu’on reconnaisse une réclame de la « Belle Jardinière ».  [7]
Cependant la dernière ligne pose question. Certains y lisent « Coin de Rue »[8],  un des plus grands magasins du monde, qui s’était ouvert en 1864 entre la rue Montesquieu et la rue des Bons « Enfants ». Manet se serait-il amusé à faire cohabiter deux magasins concurrents sur la même publicité  ?



Reclame pour La Belle Jardiniere
Cette carte tranche définitivement la question : il faut lire COIN du QUAI. Manet a donc fidèlement reproduit la réclame qu’il avait tous les jours sous les yeux, sans aucune intention symbolique.


L’atelier de Manet

La rue Mosnier s’ouvrait juste en face de l’atelier de Manet, qui occupait tout le rez de chaussée  du 4 rue de Saint Pétersbourg.



Edouard_Manet_-_Le_Chemin_de_fer_National Gallery of Arts Washington 1872

Le Chemin de fer
Manet, 1872, National Gallery of Arts, Washington

Juliet Wilson Bareau a découvert que le Chemin de Fer a été peint depuis le jardin d’une des maisons de la Rue de Rome, de l’autre côté des voies,  où habitait son ami le peintre Alphonse Hirsch. Ce que la petite fille (probablement la fille de Hirsch) regarde au delà de la fumée, c’est justement la porte cochère et une des fenêtres de l’atelier de Manet, où il venait de s’installer en 1872.


Edouard_Manet_-_Le_Chemin_de_fer_National Gallery of Arts Washington 1872 detail Manet Atelier

Ce tableau est donc un hommage à ce nouveau lieu de travail dont il était très fier : une ancienne salle d’armes éclairée par quatre grandes baies sur la rue, avec une loggia à mi-hauteur, accessible par un escalier intérieur, et  située au dessus de la porte cochère.



Plan de 1868
Plan d’ensemble des travaux de Paris indiquant les voies exécutées et projetées de 1851 à 1868, Gallica

Ce plan montre la rue Mosnier sans son nom (elle ne sera ouverte qu’en 1869), et permet de situer  le mur de pignon avec sa  réclame peinte, l’atelier au 4 de la rue de Saint Pétersbourg, et les points de vue des différents tableaux.


Une rue pittoresque

La série de la rue Mosnier (trois tableaux et plusieurs dessins) date de 1878, la dernière année de Manet dans cet atelier. Peut être avant de partir a-t-il voulu garder le souvenir des scènes animées  de la rue :

  • des paveurs et des déménageurs (dans le tableau « aux paveurs ») ;
  • des balayeurs et un rémouleur (dans le dessin « au bec de gaz » ) ;
  • des passants sous leurs parapluies, dans un autre dessin.

Selon Juliet Wilson Bareau [7], les dessins préparaient une série de gravures sur le thème « vu de ma fenêtre », qui n’a jamais été réalisée.


Les trois tableaux (SCOOP)

Les trois toiles sont  pratiquement de la même taille, mais  se distinguent par le style et la composition.



Manet Perpective 1
Les deux tableaux les plus achevés sont pris en vue plongeante, avec exactement le même point de fuite. La perspective est très précise, puisqu’elle tient compte du fait que la rue est en légère montée (la fuyante du balcon pointe  plus bas que celle des trottoirs). A noter que les réverbères du trottoir de droite ont été déplacés, indice d’une reconstruction en atelier.



Manet Perpective 2
Les deux versions « au drapeau », en revanche,  ne sont pas prises de la même hauteur.

Manet Vers rue de Berne Manet Vers Atelier

La rue n’ayant guère changé (sauf le centre de tri postal bâti à l’emplacement du terrain vague), il est facile de constater que tous les tableaux ont été pris depuis la deuxième fenêtre, mais que seule l’esquisse correspond à la  hauteur d’un homme assis ou debout dans l’atelier.
Celle-ci a donc très probablement été peinte le jour de la Fête, tout comme celui de Monet et sans doute sous la même impulsion : traduire rapidement  l’impression colorée donnée par cette éphémère floraison de drapeaux.


Un possible pendant

Manet LA RUE MOSnIER AUX drapeaux - 1878 getty malibu Manet LA RUE MOSnIER AUX PAVEURS - 1878

Il n’y a pas de certitudes qu’ils aient été conçus comme des pendants. Certains spécialistes (Rouart et Wildenstein) considèrent qu’ils furent achetés tous les deux en 1879 par le collectionneur Roger de Portalis, ce que réfute D. Farr [8a].


Manet Carnet de Comptabilité BNF Estampes YB3-2401 p 79Manet, Carnet de Comptabilité, BNF Estampes YB3-2401 p 79

En fait, le « carnet de comptabilité de Manet », établi en 1910 par Léon Leenhoff, est ambigu : si la « Rue Mosnier » (aux paveurs) est marquée achetée par Portalis pour 1000 Fr (environ 2400 euros), « Vue la Rue Mosnier drapeaux » est mentionnée plus bas pour la somme de 500 fr. Le fait que Leenhoff ne connaissait pas le nom de l’acheteur ne prouve pas qu’il ne s’agissait pas de Portalis : il aurait très bien pu l’acheter dans un second temps, avec une réduction. Un autre indice est que la troisième vue de la Rue Mosnier (celle avec un point de vue différent) est restée dans l’atelier de Manet jusqu’à sa mort.

Le sous-entendu politique a peut être compté dans l’achat : si on ne connait pas les opinions de Roger de Portalis, graveur, collectionneur et spécialiste du XVIIIème siècle [8b] , on sait que son frère aîné, le baron Fernand, exilé à Bruxelles en 1874, était classé comme communard par la police [8c].


L’homme aux béquilles

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L’homme aux béquilles
Manet, dessin de 1878,  Ashmolean Museum, Oxford

Il est temps maintenant de nous intéresser au détail qui a le plus fait couler d’encre : l’unijambiste vu de dos, que Monet a représenté de face dans ce dessin de la même époque (il a servi de couverture pour une chanson misérabiliste de Cabaner, « Les mendiants »).

Certains disent qu’il s’agit simplement d’un personnage bien connu dans le quartier. Mais la plupart des commentateurs [9] y voient  une ironie délibérée, que suggère  également la mention manuscrite portée sur  le dessin : « au moment de la Fête ».



Manet LA RUE MOSnIER AUX drapeaux - 1878 getty malibu detail
Au moment de la Fête de la Paix, donc, un vieux soldat invalide remonte péniblement la rue neuve, le long d’une palissade dissimulant des gravats – autre type de rebut urbain.

Deuxième ironie : l’amputé vient de croiser un ouvrier portant une échelle, sur laquelle il ne risque plus de grimper.

Troisième ironie : la palissade empiète sur le trottoir, l’obligeant à emprunter la chaussée [10].



Manet LA RUE MOSnIER AUX drapeaux - 1878 getty malibu detail trottoir droite
Quatrième ironie : sur le bon trottoir, celui  d’en face, une famille bourgeoise descend paisiblement la rue : la fille devant, puis la mère, puis le père fermant la marche : ceux pour qui notre homme s’est sacrifié.

Enfin, cinquième ironie : un cocher aide un passager à sortir d’un fiacre, dans lequel notre unijambiste ne risque pas d’être véhiculé.


Les paveurs (SCOOP)

Manet LA RUE MOSnIER AUX PAVEURS - 1878 detail
Si la version « unijambiste » est discrètement politique, il serait logique que son « pendant », beaucoup moins disséqué [11],  recèle également un message du même tonneau.

Dans la première version, la palissade empiétait sur le trottoir pour illustrer à la fois l’idée de rebut et de rejet ; dans celle-ci, elle est revenue dans l’alignement, et ne cache aucun gravat.

Un soupçon nous vient : était-il vraiment nécessaire de repaver en 1878 la rue Mosnier, ouverte à peine neuf ans plus tôt ? De plus, ces paveurs sont étranges : alors que l’unijambiste était dessiné en traits précis, ils sont  croqués à larges touches, dans un flou inapproprié pour un premier plan. Enfin, ils sont manifestement trop grands, comparés à la taille du couple qui s’adosse à la palissade.

Erreur de dessin ? Si le tableau était isolé, sans aucun doute. Mais si le tableau est un pendant, même seulement « mental », alors il faut probablement comprendre cette palissade qui ne cache  plus de munitions et ces hommes qui courbent l’échine comme une autre vision de la paix : non pas la paix patriotique fêtée par les  drapeaux, mais la paix sociale achetée sur le dos des casseurs de cailloux.



Manet LA RUE MOSnIER AUX PAVEURS - 1878 detail fiacres
Lesquels, à voir les fiacres à l’arrêt,  réussissent encore à barrer  la circulation des  bourgeois. [12]



Références :
[2] On trouvera une étude détaillé sur Volaire et sur ses vues du Vésuve dans Le Chevalier Volaire, un peintre français à Naples au XVIIIème siècle, Emilie Beck, Publications de centre Jean Bérard http://books.openedition.org/pcjb/823?lang=it
[7]. Juliet Wilson Bareau a d’ailleurs retrouvé une carte postale montrant une réclame similaire, sur le fronton du N°4 rue de Péterbourg (avant la construction du N°2). Voir « Manet, Monet, and the Gare Saint-Lazare », Juliet Wilson Bareau, Yale University Press, 1998, p 143
https://books.google.fr/books?id=oJMxKI0Ye7QC&pg=PA141&dq=La+rue+Mosnier+Manet+crutches&hl=fr&sa=X&ved=0ahUKEwj3zoKEzbnRAhVB1hQKHW8JDRUQ6AEIGjAA#v=onepage&q=La%20rue%20Mosnier%20Manet%20crutches&f=false
[8] Iconotropism: Turning Toward Pictures, Ellen Spolsky, Bucknell University Press, 2004, p 163
[8a] D. Farr, “Edouard Manet’s La rue Mosnier aux Drapeaux, » dans « In honor of Paul Mellon, collector and benefactor : essays » https://archive.org/details/inhonorofpaulmel0000unse/page/108/mode/1up?q=portalis
[8c] F. Sartorius et J.-L De Paepe. « Les communards en exil. Etat de la proscription communaliste à Bruxelles et dans les faubourgs, 1871-1880 » Cahiers bruxellois 1970-1971 Tome XV-XVI https://archives.bruxelles.be/cahiers/search#:~:text=Tome%3A-,Tome%20XV%2DXVI,-Date%3A%201970%2D1971%0AArticles/Auteurs%3A%20F.%20Sartorius
[9] « Manet’s ‘Rue Mosnier Decked with Flags’ and the Flâneur Concept », Bradford R. Collins, The Burlington Magazine, Vol. 117, No. 872, Special Issue Devoted to Nineteenth and Twentieth-Century Art (Nov., 1975), pp. 709-714 https://www.jstor.org/stable/878214
[10] Nous reprenons et développons ici l’interprétation la plus idéologique : « Imagery and Ideology: Fiction and Painting in Nineteenth-century France, William J. Berg », Associated University Presse, 2007 https://books.google.fr/books?id=UgSQME4oblsC&pg=PA196&dq=manet+rue+mosnier+coin+de+rue&hl=fr&sa=X&ved=0ahUKEwi74PCX_rnRAhULvRQKHa0BBx4Q6AEIGjAA#v=onepage&q=manet%20rue%20mosnier%20coin%20de%20rue&f=false
W.J. Berg va même jusqu’à voir une forme d’ironie dans la mention « sur mesure », qui suggèrerait que le pauvre homme est bien incapable de s’acheter ce type de vêtement. Or nous avons vu que la réclame de la Belle Jardinière est reproduite fidélement. De plus elle n’est lisible que dans l’autre version, celle des paveurs. Tout n’est donc pas idéologique dans le tableau.
[11] Pour une analyse plastique et lyrique du tableau, on peut lire : https://unpeintreuneoeuvre.blogspot.com/2015/02/edouard-manet-la-rue-mosnier-aux_14.html
[12] Manet a dessiné en 1871 deux lithographies des barricades. S’il était un républicain déclaré, on dit généralement qu’il a désapprouvé la Commune. Ce qui n’exclut pas une forme de sympathie avec les bagnards, parallèle à sa sympathie pour les anciens combattants. Sur une analyse plus nuancée et très intéressante de sa position pendant le siège de Paris et pendant la Commune, on peut consulter : https://macommunedeparis.com/2016/07/03/edouard-manet-et-la-commune/

Pendants paysagers symboliques

30 janvier 2017

Quelques rares pendants montrent des paysages symboliques, dont la signification n’apparaît qu’en les accrochant comme il convient.



Runge_Rest on the Flight 1806Repos pendant la fuite en Egypte (Ruhe auf der Flucht nach Agypten) Runge_Nile-Valley-Landscape,-1805-6_shortPaysage de la vallée du Nil

Philipp Otto Runge, 1805-06, Hamburger Kunsthalle, Hamboug

 « De tous les genres, c’est le paysage qui selon Runge est le mieux à même de manifester cette communion entre homme, nature et Dieu… Tout d’abord parce que… la nécessité de représenter le paysage repose sur l’interdiction faite à l’homme au deuxième commandement du Décalogue de représenter Dieu…Ensuite parce que la notion rungienne de paysage est intimement liée au récit de la Genèse. A plusieurs reprises Runge cite le passage de la Genèse où Dieu, après avoir achevé l’univers, charge Adam de nommer les plantes du jardin d’Eden. Le peintre fait de ce passage une justification essentielle de la dignité première du paysage. Il y voit, en effet, le récit symbolique du transfert de « l’esprit » encore intact de l’homme, c’est-à-dire indirectement du souffle divin, et donc du sens, au monde végétal : en nommant une à une les plantes de la Création, Adam leur a transmis l’âme qu’il tenait lui-même de Dieu. Depuis ce geste fondateur, la nature présente selon Runge, un double aspect : elle est « animée », c’est-à-dire, au sens propre du terme, vivante puisque investie de l’âme humaine qu’Adam lui a transmise, et elle est signifiante, car habitée par le logos divin. » Élisabeth Décultot, [1]


Runge_Rest on the Flight 1806 superposition

Cette conception théorique d’une Nature informée par l’Homme justifie la superposition, presque unique dans l’Histoire de l’Art, entre les éléments du paysage et la Sainte Famille : une souche noueuse est Joseph, un talus est Marie, un coin d’herbe avec une branche plantée est l’Enfant-Jésus avec son bras dressé.



Runge_Rest on the Flight 1806 detail nuage Runge_Rest on the Flight 1806 detail nuage sixtine

Sans parler des nuages qui flottent au dessus de la pyramide telle une silhouette ineffable.


Runge_Le poete a la sourceLe poète à la source Runge_Rest on the Flight 1806Repos pendant la fuite en Egypte (Ruhe auf der Flucht nach Agypten)

Philipp Otto Runge,1805,Hamburger Kunsthalle,Hamburg

La Fuite en Egypte devait avoir un pendant, dont il ne nous reste qu’un dessin préliminaire.

« Dans cette œuvre, qui ne constituait pas à proprement parler un paysage, mais une étape préliminaire à son avènement, le peintre entendait faire du chêne « un héros » qui étendît ses ramifications sur le lis... Selon une idée très répandue à la fin du XVIIIème siècle et à l’époque romantique, le recours à un système de symboles pour l’évocation du paysage est fondamentalement motivé par la structure hiéroglyphique de la nature elle-même : puisque l’« esprit » ne s’exprime dans la nature que par hiéroglyphes, l’art ne pourra, à l’image de la nature, rendre compte de cet « esprit » que par l’intermédiaire de symboles. En d’autres termes, le langage symbolique de la nature induit et justifie le langage symbolique de l’art…Runge entend suggérer le « caractère humain » présent dans les végétaux depuis la Genèse en représentant à côté de chaque fleur des enfants qui « restituent réellement par leur présence physique le concept des fleurs… Par « Landschaft », Runge imagine un tableau qui d’emblée conférerait « forme et signification à l’air, aux rochers, à l’eau, au feu », c’est-à-dire qui manifesterait par la seule représentation végétale ou minérale l’esprit humain présent dans les éléments. » Élisabeth Décultot, [1]

La logique du pendant

Mis côte à côte, les deux panneaux évoquent d’un côté un monde antique, sombre, fermé, crépusculaire, païen ; et de l’autre un monde neuf, lumineux, ouvert,matinal, sacralisé par la pyramide et la présence de la Sainte Famille.

La Source en face de la vallée du Nil, c’est l’origine de l’Humanité contemplant son accomplissement.




Friedrich_-_Der_Monch_am_Meer
Le Moine au bord de la mer (Der Monch am Meer)
Caspar David Friedrich, 1809-1810, Alte Nationalgalerie,Berlin

Cette oeuvre est célèbre pour sa très moderne volonté d’épuration :

« A l’origine, Friedrich avait peint un voilier de chaque côté de l’homme et les a recouverts d’une couche de peinture. Friedrich vise à générer une impression spatiale innovante d’infini, avec simplification radicale et une économie de moyens… L’infini devient le véritable contenu, tandis que, sur le plan émotionnel, le spectateur prend la place de cet homme qui médite, conscient de sa petitesse, sur l’immensité de l’univers (note de Friedrich : le moine ne serait autre que la personnification de l’artiste lui-même). Il décrit la silhouette comme une sorte de rêveur mélancolique, au sens faustien, face à l’au-delà insondable. » Catherine Lebailly[2]



Friedrich_-_Abtei_im_Eichwald_-_Google_Art_Project
L’Abbaye dans une forêt de chênes (Abtei im Eichwald)
Caspar David Friedrich, 1809-1810, Alte Nationalgalerie,Berlin

Le pendant, très touffu, se prête au contraire à un décryptage détaillé :

« Si le sapin toujours vert est pour Friedrich un symbole chrétien, le chêne est son opposé et symbolise le paganisme accolé ici au christianisme. Le cortège funèbre des moines passe devant une fosse (préfiguration de l’enterrement de l’artiste) et se dirige vers le portail ouvert de l’église où nous apercevons un crucifix éclairé par deux flambeaux. Seul l’horizon plus clair semble offrir la possibilité d’un monde meilleur, au delà de l’histoire et de la mort… La lumière au petit matin symbolise la vie éternelle, le croissant de lune est l’avènement du Christ, la ruine de l’abbaye est la critique voilée des institutions ecclésiales. » Catherine Lebailly [2]



Friedrich_-_Der_Monch_am_MeerFriedrich_-_Abtei_im_Eichwald_-_Google_Art_Project
Mais l’essentiel, qui n’a pas à ma connaissance été analysé, est l’accrochage singulier demandé par Friedrich : le Moine au bord de la mer était suspendu au-dessus de L’Abbaye dans une forêt de chênes.

Le pendant prend du coup une signification d’ensemble évidente :

  • côté terrestre, le moine couché et enfermé dans son cercueil passe le seuil d’une ruine, entouré par des ombres dont les prières dérisoires sont semblables aux bras suppliants des arbres morts ;
  • côté céleste, il se redresse et se libère face à une immensité consolante.

L’en-deçà et l’au-delà de la mort.



Martin John 1841 Le_Pandemonium_Louvre 184 x 123 cmLe Pandémonium, Louvre (184 x 123 cm) Martin John 1841 The Celestial City and River of Bliss coll priv 194.3 x 123.1 cmLa Cité céleste et la Rivière de la Félicité, collection privée (194.3 x 123.1 cm)

John Martin, 1841

Comme de nombreuses oeuvres de John Martin, ces deux toiles s’inspirent du Paradis perdu de Milton [3] .

Pandémonium illustre un passage précis, où le Pandémonium, le Palais des démons, surgit d’un lac d’or en fusion, sous l’invocation de Mammon :

Soudain un immense édifice s’éleva de la terre, comme une exhalaison, au son d’une symphonie charmante et de douces voix : édifice bâti ainsi qu’un temple, où tout autour étaient placés des pilastres et des colonnes doriques surchargées d’une architrave d’or

Anon out of the earth a fabric huge / Rose like and exhalation, with the sound / Of dulcet symphonies and voices sweet, / Built like a temple, here pilasters round / Were set, and Doric pillars overlaid / with golden architrave.

Paradise Lost, Book 1, lines 710–15:


La Cité céleste s’inspire de plusieurs passages. Lors de son exposition, il était accompagné de ces vers :

Roi éternel ; toi, auteur de tous les êtres, fontaine de lumière ; toi, invisible dans les glorieuses splendeurs

Eternal King; thee Author of all being, / Fountain of Light, thy self invisible’

Book 3, lines 274–75:


La logique du pendant

D’un côté un ciel noir et fumant transpercé par un éclair ; de l’autre, un ciel rosissant autour d’un soleil entouré d’étoiles. A l’immense palé de métal ancré dans la lave s’oppose la cité éthérée flottant au dessus de la mer.


Martin John 1841 Le_Pandemonium_Louvre 184 x 123 cm detail Martin John 1841 The Celestial City and River of Bliss coll priv 194.3 x 123.1 cm detail

Et le soldat géant qui, depuis son rocher, salue les démons flottant sur la lave, tourne le dos aux anges en vol, qui saluent anges et élus répandus sur la terre dorée.


Cropsey 1851 The Spirit of Peace Woodmere Art Museum PhiladelphiaL’esprit de la Paix, Woodmere Art Museum Philadelphia Cropsey-1851-The-Spirit-of-War-NGAL’esprit de la Guerre, NGA , Washington

Cropsey, 1851 (171,6 x 110,8 cm)

Cropsey a réalisé ce pendant monumental en réponse à la guerre avec le Mexique de 1845, à la suite de l’annexion du Texas par les Etats-Unis.

Côté Paix, un paysage maritime, à la fois biblique et antique, au lever du jour : le temple rond, le tombeau et le berger entre les deux renvoient à la sagesse païenne revivifiée par le Christianisme.

Côté Guerre, un paysage tourmenté, moyenâgeux et au soleil couchant. Une mer de nuages sépare les sommets éclairés de l’ombre qui envahit la vallée, où un village a été incendié. Sur le pic au-dessus du château un autre brasier est allumé, en signal d’alerte. Des cavaliers en armure noire sortent semer la destruction sur le monde, comme le présagent les arbres cassés.


Bingham 1852-53 The_Storm Wadsworth Atheneum Museum of ArtLa tempête (The Storm), Wadsworth Atheneum Museum of Art, Hartford Bingham 1852-53 Deer in a stormy landscape The Amschutz collection DenverCerf dans un paysage orageux (Deer in a stormy landscape), The Amschutz collection Denver

Bingham, 1852-53

Ce pendant a été peint en hommage au chef de file des paysagistes américains, Thomas Cole, qui venait de mourir prématurément. Il transpose dans la figure d’un cerf et résume en deux temps le principe des grands cycles symboliques de celui-ci, Le Voyage de la Vie et le Pèlerin de la Croix (voir Les pendants paysagers de Thomas Cole) :

  • d’abord l’épreuve et les dangers (le torrent, l’arbre brisé, la tempête) ;
  • puis le salut, grâce à la Divine Providence.

A noter que les deux tableaux ne montrent pas le même point de vue pendant et après la tempête. Les deux paysages sont similaires, mais différents, illustrant la moralité très américaine que le salut ne se trouve pas en restant au même endroit, mais en voyageant malgré les dangers.


Frederic Edwin Church 1862 Sunrise Olana State Historic SiteLever de soleil Frederic Edwin Church 1865 Moonrise Olana State Historic SiteLever de lune

Frederic Edwin Church, 1865, Olana State Historic Site

Ce pendant cache un drame personnel. Les deux premiers enfants de Church étaeint un garçon (Herbert Edwin, né le 29 October 1862 ) et une fille (Emma Frances le 22 octobre 1864). Malheureusement les deux moururent de diphtérie en mars 1865, et Church commémora la montée au firmament de ses deux petits astres personnels par un levers de soleil au dessus de la plaine, et un lever de lune au dessus de la mer.



soir antique, 1904Soir antique Vallotton Penthee 1904 Coll PartPenthée

Vallotton, 1904, Collection particulière

Dans ce pendant très dynamique, la course commencée dans le premier panneau, canalisée par la pente des nuages, se prolonge dans le second, accélérée par la descente.

A gauche, sous un ciel bleu et parmi les bruyères en fleurs, des faunes bronzées courent après des nymphes pâles. A droite, puisqu’il s’agit de Penthée, un troupeau de ménades déchaînées poursuit pour le mettre en pièces l’audacieux qui a espionné leurs ébats.

En liant graphiquement les deux scènes, Vallotton nous laisse tirer une conclusion ironique : les histoires de fesse, qui commencent sous un ciel bleu, finissent mal sous un ciel gris.


Références :
[1] Philipp Otto Runge et le paysage. La notion de « Landschaft » dans les textes de 1802 Élisabeth Décultot, Revue germanique internationale, 2, 1994 http://rgi.revues.org/452
[2] La spiritualité dans l’œuvre de Caspar David Friedrich, Catherine Lebailly, www.ecp-reims.fr/resources/Atelier+Lebailly+1.doc

Pendants paysagers : la nature

29 janvier 2017

Ces pendants ont pour but d’élargir le panorama, grâce à deux points de vue qui se complètent.



Les paysagistes hollandais

Dans l’ouvre des grands paysagistes hollandais, Ruisdael et Hobbema, on sait par les catalogues de vente que quelques pendants ont existé, mais aucun d’incontestable n’a été conservé.

Hobbema 1660 ca Moulin a eau Louvre (80 x 66 cm)Moulin à eau, vers 1660, Louvre (80 x 66 cm) Hobbema 1668 Ferme dans un rayon de soleil NGA 81.9 x 66.4 cmFerme dans un rayon de soleil, 1668 , NGA (81.9 x 66.4 cm)

Hobbema

Le format vertical, rare chez Hobbema, et la fait que ce deux vues semblent prises dans la même région (province of Overijssel) font de ces deux toiles des pendants probables. La symétrie des masses d’arbre et des orientations des maisons milite également en ce sens.

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Hobbema-1668-Ferme-dans-un-rayon-de-soleil-NGA detail

Cependant, la différence des avants-plans déconcerte : l’un est vide de toute présence humaine tandis que l’autre abrite toute une famille de paysans.

Quoiqu’il en soit, il est clair que la représentation réaliste de lieux existants ne facilitait pas l’émergence de pendants, qui supposent une symétrie formelle ou thématique rarement rencontrée au naturel.


Les pendants paysagers d’Eglon van der Neer

Le paysages d’Eglon van der Neer sont encore classiques au sens de Poussin : c’est-à-dire recomposés en studio. Mais la scène religieuse et pastorale qu’ils hébergent, trop minime pour servir de sujet au tableau, sert seulement à le rattacher au genre noble de la peinture d’histoire : la pure délectation du paysage n’est pas encore à l’ordre du jour.

On connait de lui quatre pendants paysagers, très différents, qui illustrent bien les flottements du genre à ses débuts.



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Eglon_van_der Neer 1698 Schaferszene Staatsgalerie im Neuen Schloss BayreuthCouple de bergers, 1698 Eglon_van_der Neer 1697 Hagar_und_Ismael_in_der_Wuste Staatsgalerie im Neuen Schloss BayreuthIsmaël, Agar et l’Ange au désert, 1697

Eglon van der Neer, Staatsgalerie im Neuen Schloss Bayreuth (50 x 40,5 cm )

De taille identique et appartenant à la collection de l’Electeur Palatin, ces deux tableaux sont des pendants probables : même premier-plan formant repoussoir, même couple de grands chênes, même échappée sur la vallée.

Cependant, tandis que l’un montre une scène pastorale iconographiquement flottante, l’autre illustre avec précision une scène biblique parfaitement déterminée : lorsque l’outre est vide, Agar pose son enfant Ismaël sous un arbuste, puis s’en éloigne pour ne pas assister à sa mort et sanglote. Dieu entend et voit la détresse d’Agar, il envoie son ange pour la rassurer.

Visuellement, le pendant fonctionne : deux troncs,, une jeune femme assise, au décoleté audacieux, réconfortée par un jeune homme. Mais aucune signification d’ensemble ne s’en dégage.



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Eglon_van_der_Neer 1698-1703_Landschaft_mit_Tobias_und_dem_Engel_-_2862_-_Alte Pinakothek MunchenPaysage avec Tobie et l’Ange Eglon_van_der_Neer 1698-1703_Landschaft_mit_Versuchung_Christi_Alte Pinakothek MunchenPaysage avec la Tentation du Christ

Eglon van der Neer, 1698-1703, Alte Pinakothek, Münich , sur cuivre (14 x 10 cm)

Ce pendant avéré apparie quant à lui un épisode de l’Ancien Testament et un du Nouveau ,une scène dynamique et une scène statique. Mais là encore le rapport entre les deux sujets est très faible : d’un côté un Ange conducteur, de l’autre un Démon tentateur (il propose à Jésus affamé de transformer une pierre en pain).

En revanche les deux paysages se complètent parfaitement : il pourrait s’agit du même fond de vallée boisé, avec sur la colline à l’arrière-plan une route ou passent des voyageurs.



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Eglon_van_der Neer 1700 Mountainous forest landscape Schwerin Museum Eglon_van_der Neer 1700 Mountainous forest landscape B Schwerin Museum
 
Paysage boisé et montagneux
Eglon van der Neer, 1700, Schwerin Museum

Passagers clandestins de décors qui se suffisent de plus en plus à eux-mêmes, les personnages s’anonymisent et se miniaturisent : deux pêcheurs dans un lac, un berger et une bergère près d’un torrent. Les deux grands arbres, les masses rocheuses, les plantes grasses et les fleurs du premier plan, ainsi que l’échappée centrale vers un ciel tourmenté, construisent quant à eux un pendant paysager parfaitement balancé .



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Eglon_van_der Neer 1702 Felsenlandschaft Staatsgalerie im Neuen Schloss BayreuthPaysage rocheux Eglon_van_der Neer 1702 Gebirgslandschaft Staatsgalerie im Neuen Schloss BayreuthPaysage montagneux

Eglon van der Neer, 1702, Staatsgalerie im Neuen Schloss Bayreuth, sur cuivre (33 x 23 cm)

Mis à part les détails insignifanst des troupeaux sur la gauche et des voyageurs sur la droite, les deux compositions n’ont plus rien à voir. Le rapport entre elles est celui de deux vues prises lors d’un voyage. Accolées, elles offrent une profondeur de champ saisissante, entre les plantes géantes du premier plan et la ville à l’arrière-plan.


JOHN TRUMBULL 1807 Niagara Falls from an Upper Bank on the British Side Wadsworth Atheneum Museum of ArtLes chutes du Niagara depuis une terrasse supérieure, côté anglais, 1807 JOHN TRUMBULL 1807 Niagara Falls From Below The Great Cascade on the British Side Wadsworth Atheneum Museum of ArtLes chutes du Niagara vues depuis le bas de la Grande Chute, côté anglais, 1808

John Trumbull, Wadsworth Atheneum Museum of Art, Hartford

Les deux vues sont tirées de dessins faits par Trumbull lors de deux voyages sur place, en 1807 et 1808.


JOHN TRUMBULL 1807 Niagara Falls From Below The Great Cascade on the British Side Wadsworth Atheneum Museum of Art detail

Dans le second tableau il s’est représenté au pied même de la chute, en compagnie de sa femme, abrité sous un parapluie. Cette signature naïve témoigne de sa présence risquée sur les lieux ; mais indirectement, elle traduit aussi sa volonté de capter le phénomène sous tous ses angles, puisque le centre de l’arc-en-ciel trahit sa position réelle.



The Niagara River at the Cataract Gustav Grunewald, vers 1832, De Young MuseumThe Niagara River at the Cataract Horseshoe Falls from below the High Bank Gustav Grunewald, vers 1832, De Young MuseumHorseshoe Falls from below the High Bank

Gustav Grunewald, vers 1832, De Young Museum [1]

Les deux vues constituent un panorama touristique complet des chutes : la première est prise depuis Niagara Falls, on voit au fond la deuxième cataracte en fer à cheval. La seconde vue nous montre celle-ci de plus près, avec le belvédère de la rive gauche.



Horseshoe Falls from below the High Bank Gustav Grunewald, vers 1832, De Young Museum personnages
Mais ce qui intéressait Grünewald, arrivé un an plus tôt de sa Moravie natale, c’est de montrer à travers cette merveille naturelle la toute puissance divine : ainsi les personnages et les constructions humaines apparaissent dans leur petitesse.



Horseshoe Falls from below the High Bank Gustav Grunewald, vers 1832, De Young Museum croix
En bas des chutes, des débris d’arbres en forme de croix impriment dans le paysage le signe d’un Dieu à la fois destructeur et créateur.



Jervis McEntee Sept 1867 SUMMER IN THE HILLS 2 Coll privee Jervis McEntee Sept 1867 SUMMER IN THE HILLS 1 Coll privee

L’été dans les collines (Summer in the Hills)
Jervis McEntee, Septembre 1867, Birmingham Museum of Art

Dans l’état de New York, les Catskill Mountains ont attiré beaucoup d’artistes. In 1867, McEntee y fit un voyage avec son ami, le peintre Sanford Gifford, que l’on voit ici en train de contempler la vallée profonde de Kauterskill Clove.



Kauterskill Clove fom Inspiration point Google Earth
La première vue est probablement prise depuis une escarpement rocheux nommé Inspiration Point, en direction du Sud Est. Et la seconde dans le sens opposé, en direction du Nord Ouest.

Le pendant crée donc une continuité factice entre deux paysages qui sont en fait diamétralement opposés.



T.H. Hotchkiss 1868 CYPRESSES ON MONTE MARIO NEAR ROME coll partCyprès au Monte Mario près de Rome T.H. Hotchkiss 1868 CYPRESSES & CONVENT AT SAN MINIATO NEAR FLORENCE coll partCyprès et couvent de San Miniato près de Florence

T.H. Hotchkiss, 1868, Collection privée

Ce pendant oppose un fleuve et une montagne, une vue en contreplongée et une vue plongeante, avec un éclairage rasant venant de directions opposées. Si on respecte la convention classique d’un seul soleil situé entre les deux tableaux (voir Les pendants architecturaux), il faut placer à gauche la vue du Monte Mario.

Celle-ci est conforme à la topographie : elle est prise en direction du Nord Est, vers les Apennins enneigés. Nous sommes au soleil levant. Dans la boucle du Tibre on reconnait le pont Milvius avec sa tour romaine caractéristique, sous laquelle passent tous les voyageurs venus du Nord.


salomon corrodi - il tevere e la campagna da monte mario - 1873
Le Tibre et la campagne vue depuis le Monte Mario
Salomon Corrodi, 1873

Le paysage, encore campagnard, n’a guère changé depuis l’Antiquité.


s.miniato
La vue de San Miniato est moins précise. L’unique clocheton se trouve à gauche de la façade, auquel cas la vue est prise vers la Sud Ouest, et au soleil levant. Il est possible que Hotchkiss ait divisé en deux arches l’ouverture, pour faire écho aux deux moines, voire même aux arches du pont de l’autre pendant.

En confrontant un paysage romain et un paysage florentin, l’Antiquité et la Renaissance, le pendant nous montre une civilisation qui meurt et qui revit, au pied des cyprès toujours verts.


Vuillard Femme lisant sur un banc woman reading on a bench 1898 Coll priveeFemme assise dans un fauteuil  (Woman Seated in an Armchair) Vuillard Femme assise dans un fauteuil Woman Seated in an Armchair 1898 Coll priveeFemme lisant sur un banc (Woman Reading on a Bench)

Vuillard, 1898, Collection privée

Ces deux panneaux ont été commandés par Jean Schopfer, riche tennisman et écrivain, pour décorer son luxueux appartement de l’avenue Victor Hugo [3].

A gauche sont représentés le peintre Bonnard de dos, jouant avec un petit chien, et sa future femme Marthe Meligny.

A droite, la femme assise est Misia Natanson, avec debout derrière-elle la silhouette à peine esquissée de sa belle soeur Cipa.

La vue est prise dans le jardin d’une maison de Villeneuve sur Yonne où les Natanson avaint passé l’été de 1898. Cette maison apparaît en grand à gauche, et en petit à droite.  Ainsi, avec le massif de fleurs et la terrasse qui semblent se prolonger d’un pendant à l’autre, Vuillard s’amuse à suggérer au centre une fausse continuité,  selon la convention classique des pendants architecturaux.

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 Vuillard 1899 Window Overlooking the Woods

Fenêtre donnant sur les bois (Window overlooking the Woods)
Vuillard, 1899, Chicago Art Institute.

Vuillard 1899 First fruits

Premiers fruits (First Fruits)
Vuillard, 1899, Norton Simon Museum, Pasadena, Californie

 

Ces toiles géantes (l’un légèrement plus large que l’autre) ont été réalisées pour décorer la bibliothèque du banquier Adam Natanson.  La bande du bas évoque l’appui d’une fenêtre, tandis que les trois autres  imitent le style des tapisseries de « verdure ».

Les vues ont été prises depuis la fenêtre d’une villa de L’Etang-la-Ville (chemin de la Coulette), où Vuillard avait passé l’été 1899, avec la famille de sa soeur, Marie Roussel, qui est peut-être la femme arrosant ses géraniums à la fenêtre.

Vu leur taille, les deux panneaux étaient destinés à se faire face, non à être contemplés côte à côte. L’impression  panoramique est donnée par la vue plongeante, côté village et la vue en légère montée, côté jardin. Ainsi, en se retournant, pouvait-on passer :

  • de la vue sur les bois à la vue sur l’arbre fruitier ;
  • de la vue publique à la vue privée ;
  • de la campagne (avec une femme cueillant des grappes et un homme menant un cheval) au potager (avec une petite fille en rose regardant à gauche un jardinier en canotier et à droite, au bout de l’allée, une femme en fichu bleu).

Références :
[3] Toutes ces précisions sont données dans « Edouard Vuillard: Painter-decorator : Patrons and Projects, 1892-1912 », Gloria Lynn Groom, Yale Univ Press, 1994

Pendants temporels : deux moments d'une histoire

23 janvier 2017

Dans ce type de pendant, les deux panneaux illustrent les deux moments d’une histoire.


Le bifolium  des Frères de Limbourg

Les_Tres_Riches_Heures_du_duc_de_Berry-Musee-Conde-Chantilly-MS-65-fol-152v-1411-16La Crucifixion , f.152v Les-Tres-Riches-Heures-du-duc-de-Berry-mort-du-christ-Musee-Condé-Chantilly-Ms.65-f.153r-1411-1416La Mort du Christ, f.153r

Frères de Limbourg, Très Riches Heures du duc de Berry, 1411-1416, Musée Condé, Chantilly

Ce bifolium très exceptionnel met en pendant la Crucifixion, en plein jour, et l’instant précis de la Mort du Christ, où les ténèbres se font (voir 2 Croix-poutres, croix-troncs)

La découverte du Graal

La Tavola ritonda 1446 dessin de Bonifacio Bembo Florence, Biblioteca Nazionale Centrale, Pal. 556 vue 306La Table ronde (La Tavola ritonda), 1446, dessin de Bonifacio Bembo, Florence, Biblioteca Nazionale Centrale, Pal. 556 vue 306 [0]

Cette scène, l’une des plus importantes du roman, est décrite dans deux dessins formant une architecture continue : les trois chevaliers Bohors (casque avec soleil), Perceval (casque avec ange) et Galaad pénètrent dans une chapelle obscure, puis descendent dans la crypte où ils découvrent les instruments de la Passion [0a].



Présentation de la Vierge au Temple

Francesco de Rimini, 1440-50, Louvre, Paris

Francesco de Rimini 1440-450 Louvre Paris Presentation de la Vierge au Temple 1 Francesco de Rimini 1440-50 Louvre Paris Presentation de la Vierge au Temple 2

Dans le retable des Douze scènes de la vie de la Vierge, ces deux panneaux juxtaposés utilisent le même décor pour montrer deux moments successifs, comme dans un dessin animé :

  • la fillette en bas de l’escalier, encouragée par ses parents ;
  • la fillette au milieu de l’escalier : en bas  Joachim s’est redressé et en haut le grand prêtre s’est avancé à sa rencontre.

Mais pourquoi le commanditaire a-t-il jugé bon de consacrer deux panneaux sur douze à des scènes si peu différentes ? Il faut pour le comprendre revenir au texte :

« Quand Marie eut deux ans, Joachim dit à Anne, son épouse : « Conduisons-la au temple de Dieu, afin d’accomplir le vœu que nous avons formé et de crainte que Dieu ne se courrouce contre nous et qu’il ne nous ôte cette enfant » Et Anne dit: « Attendons la troisième année, de crainte qu’elle ne redemande son père et sa mère» » Et Joachim dit : « Attendons. » El l’enfant atteignit l’âge de trois ans et Joachim dit : « Appelez les vierges sans tache des Hébreux et qu’elles prennent des lampes et qu’elles les allument» et que l’enfant ne se retourne pas en arrière et que son esprit ne s’éloigne pas de la maison de Dieu. » Et les vierges agirent ainsi et elles entrèrent dans le temple. Et le prince des prêtres reçut l’enfant et il l’embrassa… » Proto-évangile de Jacques, chapitre VII

Ce que le retable veut mettre en évidence, c’est l’extraordinaire maturité de Marie, qui ne se retourne pas vers ses parents au moment où elle est offerte définitivement à Dieu.

« Et ses parents descendirent, admirant et louant Dieu de ce que l’enfant ne s’était pas retournée vers eux. » Proto-évangile de Jacques, chapitre VIII

Mais pourquoi l’avoir figurée au milieu de l’escalier , et non pas en haut, accueillie par le grand prêtre ? Là encore, il faut revenir au texte, cette fois au chapitre  précédent :

« L’enfant se fortifia de jour en jour. Lorsqu’elle eut six mois, sa mère la posa à terre pour voir si elle se tiendrait debout Et elle fit sept pas en marchant et elle vint se jeter dans les bras de sa mère. Et Anne dit : « Vive le Seigneur mon Dieu; tu ne marcheras pas sur la terre jusqu’à ce que je t’ai offerte dans le temple du Seigneur. » Et elle fit la sanctification dans son lit, et tout ce qui était souillé  elle l’éloignait de sa personne, à cause d’elle. »  Proto-évangile de Jacques, chapitre VI

En montrant Marie sur la septième marche, le peintre fait allusion à ces sept premiers pas miraculeux, qui valurent ensuite à Marie  de passer deux ans et demi au lit pour éviter toute souillure.

sb-line

Francesco de Rimini 1440-50 Louvre Paris A saint Joseph et les prétendantsSaint Joseph et les prétendants Francesco de Rimini 1440-50 Louvre Paris A Mariage de la ViergeMariage de la Vierge

Dans le même retable, deux autres panneaux suivent le même principe du décor unique,  pour deux épisodes consécutifs :

« Le grand-prêtre prit les baguettes de chacun, il entra dans le temple et il pria et il sortit ensuite et il rendit à chacun la baguette qu’il avait apportée, et aucun signe ne s’était manifesté, mais quand il rendit à Joseph sa baguette, il en sortit une colombe et elle alla se placer sur la tête de Joseph. Et le grand-prêtre dit à Joseph : « Tu es désigné par le choix de Dieu afin de recevoir cette vierge du Seigneur pour la garder auprès de toi. » Et Joseph fit des objections disant : « J’ai des enfants et je suis vieux, tandis qu’elle est fort jeune ; je crains d’être un sujet de moquerie pour les fils d’Israël. » Le grand-prêtre répondit à Joseph : « Crains le Seigneur ton Dieu et rappelle-toi comment Dieu agit à l’égard de Dathan, d’Abiron et de Coreh, comment la terre s’ouvrit et les engloutit, parce qu’ils avaient osé s’opposer aux ordres de Dieu. Crains donc, Joseph, qu’il n’en arrive autant à ta maison. » Joseph épouvanté reçut Marie et lui dit : « Je te reçois du temple du Seigneur et je te laisserai au logis, et j’irai exercer mon métier de charpentier et je retournerai vers toi. Et que le Seigneur te garde tous les jours. » Proto-évangile de Jacques, chapitre IX

Ainsi la première scène illustre l’instant juste avant l’apparition de la colombe miraculeuse ;  et la  seconde développe les trois mots « Joseph reçut Marie », en montrant une véritable scène de mariage chrétien là où le texte n’évoque qu’un engagement de Joseph de devenir le « gardien » de Marie.

En faisant l’ellipse sur la colombe miraculeuse et les atermoiements du vieillard, les deux panneaux coupent court aux incertitudes du texte : le mariage découle de la désignation de Joseph, aussi simplement que le bâton qui passe de sa main droite à sa main gauche.

Il est remarquable que la fresque de l’abside représente  un futur et même un double futur :  Marie et Saint Jean debout, non aux pieds de la croix comme dans la représentation traditionnelle, mais aux pieds de Jésus ressuscité, en gloire dans sa mandorle. Ceci est logique une fois admise la convention de mettre en scène l’histoire de Marie dans des décors et des costumes contemporains, autrement dit à un  moment où la fin de l’histoire est connue.

Loin de s’inscrire dans le miraculeux médiéval, le retable démontre une volonté très moderne de rationalisation du texte, par l’image.



Netherlandish School, circa 1540 ALLEGORY OF VIRTUE coll priveeAllégorie de la Vertu Netherlandish School, circa 1540 ALLEGORY OF DEATH coll priveeAllégorie de la Mort

Ecole néerlandaise, vers 1540, Collection privée

Cette double allégorie fonctionne sur le mode Avant-Après.

Avant

Armée de sa virginité (la licorne blanche) et sûre de sa force (la colonne), la Jeunesse saute par dessus l’Amour, se riant de ses flèches d’enfant.


Après

Malheureusement, elle est tombée de sa licorne, sa colonne s’est brisée et c’est la Mort qui saute par dessus elle, chevauchant un bouc noir et brandissant un crâne et un ciseau.


Moralité

La Jeunesse qui se croit plus forte que l’Amour, La Mort sera plus forte qu’elle. [0b]


Ca 1696-1700 Ludolf Backhuysen Abraham und Isaac Ostfriesisches Landesmuseum, EmdenAbraham et Isaac sur le chemin Ca 1696-1700 Ludolf Backhuysen The Sacrifice of Isaac Ostfriesisches Landesmuseum, EmdenLe Sacrifice d’Isaac

Ludolf Backhuysen, 1696-1700, Ostfriesisches Landesmuseum, Emden

Sur ce pendant, voir Le sacrifice d’Isaac : 4 variantes, formes atypiques



RICCI SEBASTIANO, 1700 ca The Rape of the Sabine Women, collections du Prince de LiechtensteinLe rapt des Sabines RICCI SEBASTIANO, 1700 ca Battle of the Romans and the Sabines, collections du Prince de LiechtensteinLes Sabines séparant les Romains et les Sabins

Sébastiano Ricci, vers 1700, collections du Prince de Liechtenstein [1]

Ce pendant montre deux scènes de violence : l’une à l’intérieur de Rome, l’autre à l’extérieur de la cité.

Les deux tableaux montrent le déclenchement et le dénouement d’une histoire racontée par Tite-Live:

  • dans le premier, les Romains ramènent dans leur cité les femmes de la tribu voisine, ce qui déclenche les hostilités ;
  • dans le second, à la fin de la guerre gagnée par les Romains, les mêmes Sabines s’interposent pour réconcilier les belligérants.

Encore très poussinien dans l’esprit, la composition intègre néanmoins un procédé plus récent : l’opposition entre centre plein et centre vide. (voir notamment Les pendants de Watteau).



Louis de Boullogne 1707 La chasse de Diane - Musee des Beaux-Arts ToursLa chasse de Diane Louis de Boullogne 1707 Diane et ses compagnes se reposant après la chasse - Musee des Beaux-Arts ToursDiane et ses compagnes se reposant après la chasse 

Louis de Boullogne, 1707, Musée des Beaux-Arts Tours

Ce pendant soigneusement équilibré se divise en trois groupes de figures, depuis les bords jusqu’au centre :

  • trois chasseuses et deux chiens ;
  • Diane en pleine action avec sa lance ou au repos avec son arc ;
  • deux chasseuses et une proie, sanglier vivant et biche morte.



Anonyme 1750-60 Rencontre de Didon et Enee Musee de NancyRencontre de Didon et Enée Anonyme 1750-60 Mort de Didon Musee de NancyMort de Didon

Anonyme, 1750-60, Musée de Nancy

Les scènes représentées ici sont les plus marquantes de la vie de Didon, reine de Carthage, telles que racontées dans l’Eneide de Virgile :

  • dans le premier tableau, Didon d’Enée tombe amoureuse d’Enée, dissimulé jusque là par une nuée protectrice envoyée par sa mère Vénus (Livre I) ;
  • dans le second, abandonnée par Enée, elle escalade le bûcher et se suicide avec l’épée même du héros (Livre IV).

Ce pendant intérieur-extérieur a donc pour sujet la naissance et la fin brutale d’un amour, entre la brume qui se dissipe et la fumée qui va gagner.

L’unité visuelle entre les deux scènes est assurée par le vêtement identique de Didon, les trois marches et la contre-plongée.


tischbein-Johann-1777-Coriolans-Abschied-von-seiner-Familie-Museum-KasselLes Adieux de Coriolan à sa famille tischbein-Johann-1777-Coriolan-empfangt-seine-Mutter-und-Gemahlin-im-Lager-der-Volsker-Muesum-KasselCoriolan reçoit sa mère et son épouse au camp des Volsques

Johann Tischbein, 1777, Muesum Kassel

Les deux scènes choisies dans la vie de Coriolan mettent en scène les mêmes personnages, lui et sa famille, à l’intérieur et à l’extérieur de la Cité. :

  • dans la première scène, injustement condamné, il s’enfuit de Rome pour aller trouver refuge chez les Volsques ;
  • dans la seconde, le sort s’est retourné : alors qu’il se prépare à marcher sur Rome avec les Volsques, sa famille vint l’implorer et il renonce à sa conquête.

Le pendant nous administre une démonstration de Sublime :

  • la première scène prouve l’affection entre Coriolan et les siens, et la cruauté de la séparation ;
  • la seconde montre comment néanmoins chacun agit sublimement, c’est à dire à l’inverse de son sentiment naturel :
    • par patriotisme, la famille préfère sa ville à son parent ;
    • par affection, le général préfère sa famille à son triomphe.



tischbein Johann 1780 ca admete pleurant alcesteAdmète pleurant Alceste tischbein Johann 1780 ca hercule lui ramene alcesteHercule ramène Alceste à Admète

Johann Tischbein, vers 1780

Admète et Alceste sont l’exemple du couple uni jusqu’à la mort – et même au delà ;

  • dans le premier tableau, Admète pleure son épouse, qui s’est empoisonnée pour prendre sa place aux Enfers [2] ;
  • dans le second, Hercule revient des Enfers en ramenant l’épouse méritante.

Pour contrebalancer Hercule, Tischbein a dû introduire le personnage secondaire de la servante affligée, plus les deux enfants pour faire bon poids. La ressemblance entre les deux Alcestes ne saute pas aux yeux. Pour éviter la même difficulté côté Admète , le peintre a recouru à la facilité de la main cachant le visage.

Au final, ce pendant en V (diagonale descendante / diagonale ascendante) réussit très honnêtement l’exercice de symétrie, entre deux scènes ayant peu à voir.



Pour décorer le palais de la famille Marescalchi à Bologne, Ubado Gandolfi a réalisé une série aujourd’hui dispersée de six tableaux mythologiques, tous très spectaculaires par leurs forts contrastes lumineux et la vue en contre-plongée. .

Ubaldo Gandolfi 1770 Eurydice mordue par un serpent coll privEurydice mordue par un serpent Ubaldo Gandolfi 1770 Orphee allant chercher Euridyce aux Enfers coll privOrphée allant chercher Eurydice aux Enfers,

Ubaldo Gandolfi, 1770-75, collection privée

(Le premier tableau a été légèrement retaillé latéralement).

Ce pendant montre le versant positif de l’histoire d’Orphée et d’Eurydice:

  • dans le premier tableau, Euridyce descend aux enfers (matérialisés par la fosse carrée en bas à droite) ;
  • dans le second, elle ressort des Enfers (matérialisés par la triple tête de Cerbère).

Le troisième moment, où Orphée la perd définitivement pour s’être retourné trop tôt, n’est pas montré.


Deux autres tableaux de la série forment eux-aussi un pendant Avant-Après :

Ubaldo Gandolfi 1770-75 Mercury-Lulling-Argus-to-Sleep North Carolina Museum of Art RaleighMercure endormant Argus avec sa flûte Ubaldo Gandolfi 1770-75 Mercure sur le point de trancher la tête d'Argus North Carolina Museum of Art RaleighMercure se préparant à décapiter Argus

Ubaldo Gandolfi, 1770-75, North Carolina Museum of Art Raleigh

Sur l’ordre de Jupiter, Mercure est envoyé récupérer sa favorite Io, transformée en vache, que Junon a donné à garder au berger Argus :

  • dans le premier tableau, l‘enjeu (la vache) se trouve entre Mercure en position inférieure et Argus en position dominante ;
  • dans le second, la vache se trouve aux pieds de Mercure qui demande la discrétion au spectateur, tandis qu’Argus en contrebas a laissé tomber son bâton.


Ubaldo Gandolfi 1770-75 Mercure sur le point de trancher la tête d'Argus North Carolina Museum of Art Raleigh detail aigle
Les nuages, qui épousent la forme d’un aigle symbolisent la mort imminente tout en dénonçant le véritable meurtrier.


Ubaldo Gandolfi 1770-75 Mercury-Lulling-Argus-to-Sleep North Carolina Museum of Art Raleigh detail glaive Ubaldo Gandolfi 1770-75 Mercure sur le point de trancher la tête d'Argus North Carolina Museum of Art Raleigh detail

Ubaldo Gandolfi, 1770-75, collection privée

La flûte posée à côté du caducée a remplacé, sur le sol, le glaive caché sous le manteau.

Avec une maîtrise pré-hitchcockien du cadrage, Gandolfi a choisi de mettre en scène deux étapes de la menace croissante sans montrer l’inéluctable résolution.


Contrairement à l’intuition, les deux derniers tableaux de la série ne constituent pas un troisième pendant indépendant : ils semblent plutôt destinés à compléter chacun des deux pendants précédents, en leur fournissant une sorte de synthèse à la fois sur la forme et sur le fond.

Ubaldo Gandolfi 1770 Eurydice mordue par un serpent coll privEurydice mordue par un serpent Ubaldo Gandolfi 1770 Orphee allant chercher Euridyce aux Enfers coll privOrphée allant chercher Eurydice aux Enfers Ubaldo Gandolfi 1770 Hercule et Cerbere esquisse coll privHercule enchaînant Cerbère (esquisse)

Dans ce premier trio, aux tonalités fuligineuses, Gandolfi élude la fin tragique pour la remplacer par une happy-end : le dernier des travaux d’Hercule, la capture du gardien des Enfers.


Ubaldo Gandolfi 1770-75 Mercury-Lulling-Argus-to-Sleep North Carolina Museum of Art RaleighMercure endormant Argus avec sa flûte Ubaldo Gandolfi 1770-75 Mercure sur le point de trancher la tête d'Argus North Carolina Museum of Art RaleighMercure se préparant à décapiter Argus Ubaldo Gandolfi 1770 Selene et Endymion LACMASéléné et Endymion

De la même manière, dans ce trio aux tonalités lunaires, Gandolfi substitue à Argus décapité un autre dormeur que ne vient même pas effleurer la faucille du croissant.

Cette série très originale en deux pendants, plus deux conclusions inattendues – sortes de pirouettes visuelles et narratives – a sans doute à voir avec la manière dont les six tableaux étaient accrochés dans la même pièce (« a pian terreno detto de’Marmi, nella Terza camera » [2a] ).



gandolfi gaetano 1792 alexandre et apelle coll privAlexandre , Apelle et Campaspe gandolfi 1792 diogenes_and_alexander coll privAlexandre et Diogène

Gaetano Gandolfi, 1792, collection privée [2b]

Cet autre pendant intérieur-extérieur met en scène cette fois deux épisodes de la vie d’Alexandre :

  • dans le premier tableau, en ami des arts couronné de lauriers, il offre au peintre Apelle sa propre favorite pour le récompenser de son talent : le transfert de propriété est matérialisé par la main droite de Campaspe, encore tenue par Alexandre, et sa main gauche qui frôle déjà l’ombre de la main d’Apelle  ;
  • dans le second tableau, en conquérant casqué, Alexandre se présente devant le tonneau de Diogène, qui en craint pas de le rabrouer : « Ote-toi de mon soleil ! ».

Ici encore la lumière tombant de la droite joue un rôle majeur, puisque les deux mains de Diogène se trouvent dans l’ombre portée par la main levée d’Alexandre.


La logique du pendant

Alexandre en manteau pourpre et à la chevelure blonde, suivi de ces soldats casqués, occupe les bords du pendant. Au centre, le quart de cercle lumineux du vitrail , s’opposant au cercle sombre du tonneau, laisse entendre qu’il est ici question de l’ombre et de la lumière.

Car si le sujet est « le conquérant s’inclinant devant un génie supérieur », sa traduction visuelle est : « la main éclairée cédant à la main d’ombre ».

A noter que si Gandolfi s’est amusé représenter Apelle en habit du XVIIIème siècle, ce n’est pas pour autant un autoportrait (il avait 72 ans à l’époque).



Fulchran-Jean Harriet, 1796 Les Amours de Hero et Leandre Musee des Beaux-Arts Rouen, 62 x 79 cmLes Amours de Héro et Léandre Fulchran-Jean Harriet, 1796 Héro découvrant le corps de Léandre Musee des Beaux-Arts Rouen, 62 x 79 cmHéro découvrant le corps de Léandre

Fulchran-Jean Harriet , 1796, Musée des Beaux-Arts, Rouen

Le pendant oppose deux aubes, l’une heureuse et l’autre tragique.

Héro, prêtresse de Cypris, vit seule avec son esclave dans une tour. Amante en secret de Léandre, qui vit sur la côte asiatique du détroit des Dardanelles, elle allume chaque nuit un feu en haut de la tour, afin qu’il vienne la rejoindre. Le premier tableau montre la séparation des deux jeunes gens au petit matin, alors que Léandre, nu pour mieux nager, va rentrer chez lui, du côté du soleil levant.

L’hiver arrive et les traversées continuent. Une nuit, Léandre lutte vainement contre les vagues et se noie en arrivant, au moment où l’aquilon souffle le flambeau. Héro

« aperçoit au pied de la tour son époux sans vie, et déchiré par les pointes des rocs. À cet aspect, elle arrache le beau vêtement qui couvre son sein, jette un cri aigu et se précipite du sommet de la tour. » [2c]

La difficulté du sujet était de faire rentrer la tour dans les deux cadres et Fulchran, malgré la maladresse de son style, est un iconographe créatif. Dans le premier tableau, il nous la montre baignée d’une lumière rose, qui laisse dans l’ombre l’escalier. Par la magie du cadrage et de l’éclairage, le facile symbole sexuel devient tendrement vaginal.

Dans le second tableau, c’est l’inverse : la tour est dans l’ombre, et l’escalier est éclairé de l’intérieur, révélant la spirale montante qui, comme l’indique l’esclave avec ses voiles noir va conduire Héro à la mort.A la traversée funeste va succéder l’ascension fatale, et la lune va pour toujours succéder au fanal.

Ce pendant méconnu saisit bien la mécanique du mythe, qui dénonce  une double hybris  :  inverser le rythme quotidien de la nuit et du jour, et substituer à la lumière naturelle une lumière artificielle.



Gauffier Pauline L'Horoscope tire Musee Magnin Dijon 1798L’Horoscope tiré Gauffier Pauline L'Horoscope realise Musee Magnin Dijon 1798L’Horoscope réalisé

Pauline Gauffier, 1798, Musée Magnin, Dijon

Sous un porche sombre, cette  jeune italienne se fait lire les lignes de la main, en compagnie d’une amie. Le vase d’eau pure et le linge blanc  suggèrent  sa virginité.

Devant sa maison lumineuse, la même arbore un ventre rebondi, en compagnie de son mari. La carafe de vin et la corbeille  parlent de plaisir et de fruit.


Goya 1814 El_dos_de_mayo_de_1808_ca_Madrid PradoLe 2 mai 1808 à Madrid (El dos de Mayo) Goya 1814 El_tres_de_mayo_de_1808_en_Madrid PradoLe 3 mai 1808 à Madrid (El tres de Mayo)

Goya, 1814, Prado, Madrid [3]

Un pendant mésestimé

Les deux tableaux ont été commandés par le gouvernement de la Régence en février 1814, pour rendre hommage aux événements qui, six ans plus tôt, avaient déclenché le soulèvement de l’Espagne contre Napoléon . Mais le roi Fernando VII – peu favorable à l’idée de révolte, populaire, prit le pouvoir le 11 mai 1814, Les tableaux furent achevés et payés, mais rapidement mis au placard.

On a dit qu’ils faisaient partie d’une série de quatre consacrés à la rébellion, mais les factures montre qu’il n’en est rien [3a].

La modernité du second tableau fait qu’il a totalement éclipsé le premier, et les innombrables commentaires ne mentionnent qu’anecdotiquement l’existence d’un compagnon moins célèbre.


Un pendant classique

Portant c’est elle qui explique les grands choix de composition, qui sont ceux d’un pendant classique :

  • scène de jour et scène de nuit :
  • scène dynamique et scène statique ;
  • pendant en V inversé (diagonale montante / diagonale descendante ;
  • centre plein et centre vide ;
  • deux moments d’une même histoire : le soulèvement et sa conséquence, l’exécution des rebelles le lendemain.


Mêlée et cloisonnement

Goya 1814 Tres de Mayo schema
La foule des rebelles progresse des bords vers le centre du pendant, dans une sorte d’entonnoir ascendant (flèches jaunes).

Coté combat, tout est mélange (soldats de différents uniformes, rebelles de différentes conditions, chevaux de différentes robes) tout est mouvement :

  • horizontalement : il y a des rebelles des deux côtés et des morts dans chaque camp ;.
  • verticalement : un rebelle monte poignarder un cavalier, un autre fait descendre un mamelouk pour l’achever (flèches blanches).

Côté exécution, tout est au contraire cloisonné (lignes rouges) : les Meurtriers et les Victimes (par la verticale du clocher) mais aussi, parmi celles-ci, les Morts, les Mourants et les Condamnés : leur file est à l’arrêt, stoppée dans l’attente de la prochaine salve qui va la faire progresser d’un rang, transformant les Mourants en Morts et les Condamnés en Mourants.

La composition traduit visuellement l’idée de révolte par une mêlée, et celle de retour à l’ordre par un cloisonnement :

  • à gauche la furia et la dynamique des fluides,
  • à droite l’horreur froide d’une mécanique à cliquet.


Rosalie Caron 1817 Mathilde surprise dans les jardins de Monastere royal de Brou, Bourg-en-Bresse, 120 x 100 cmMathilde surprise par Malek-Adhel dans les jardins de Damiette, 1817 Rosalie Caron 1814 Mathilde et Malek-Adhel au tombeau de Montmorency, Monastere royal de Brou, Bourg-en-Bresse, 120 x 100 cmMathilde et Malek-Adhel au tombeau de Montmorency, 1814

Rosalie Caron, Monastère royal de Brou, Bourg-en-Bresse

Exposées à trois ans d’intervalle au Salon, ces toiles « troubadour » illustrent deux scènes du roman « Mathilde ou Mémoires tirés de l’histoire des croisades », publié par Sophie Cottin en 1805.

Mathilde et Malek-Adhel  dans l’église 

La vierge Mathilde, soeur de Richard Cœur de Lion, est promise contre son gré à Lusignan, un chrétien qu’elle déteste. Dans le tombeau de Josselin de Montmorency, son ancien prétendant mort au combat, elle a rendez-vous avec celui qu’elle aime, le musulman Malek-Adhel. Dans le roman :

« il court à elle, il embrasse ses genoux. « Laisse-moi, dit-elle d’un air égaré, laisse-moi; » mais elle ne peut se soutenir, elle chancelle, fléchit, et s’assoit sur le cercueil ».

Rosalie Caron a opté pour une version plus noble, où la vierge chrétienne, debout, garde sa robe blanche à l’écart de ses deux amoureux, le Musulman bien vivant (reconnaissable à son turban) et le Croisé mort (reconnaissable à son écu).


Mathilde et Malek-Adhel au jardin 

Le tableau peint trois ans plus tard en complément montre, en pendant de la rencontre à l’intérieur de l’église, la première rencontre dans les jardins de la mosquée. Voyant arriver le « superbe Arabe » qui la cherche, Mathilde s’enfuit, mais

 » la course d’une vierge timide, qui a passé sa vie dans une étroite clôture, ne la sauvera pas longtemps de la poursuite d’un guerrier tel que Malek Adhel. Sûr de l’atteindre quand il voudra, il s’arrête et la regarde courir.  »

Enflammé par la poursuite, il la rattrape,

« la saisit par son habit, il voudrait la presser dans ses bras et pourtant il n’ose le faire ; si la divine beauté de la princesse l’attire, la dignité de sa contenance le retient… une sorte de respect que jusqu’à ce jour il n’avait éprouvé qu’à l’aspect de son père ou dans le temple de Mahomet, le fait tomber aux genoux de Mathilde ».

Pour ceux qui ne connaîtraient pas le roman, la vierge chrétienne se reconnaît, entre turban et minaret, à son rosaire et à son « vêtement blanc de vestale ».


charles-robert-leslie 1839 ca who-can-this-be VA MuseumQui est-ce ? (who can this be ?) charles-robert-leslie 1839 ca whom-can-this-be from VA MuseumDe qui est-ce ? (whom can this be from ?)

Charles-Robert Leslie, vers 1839, Victoria and Albert Museum

Dans le parc, en promenade avec son vieux mari, la jeune femme fait mine de s’intéresser à son chien plutôt qu’au gentilhomme qui les salue.

Au salon, entre le livre ennuyeux et le portrait du mari qui ne l’est pas moins, la même jeune femme s’interroge sur l’aventure qu’amorce la lettre cachetée.


Emile-Antoine Bayard 1884 Une affaire d'honneurUne affaire d’honneur Emile-Antoine Bayard 1884 La ReconciliationLa réconciliation

Emile-Antoine Bayard, 1884, localisation actuelle  inconnue

 Au Salon de 1884, Emile Bayard fait sensation avec Une affaire d’honneur,  duel de dames à la poitrine nue. Un peu plus tard, il le complète par un pendant montrant l’issue de l’affaire,  La réconciliation.

Sur ce duel, largement imaginaire, et sur l’importance du pendant pour le sujet des escrimeuses qui va émoustiller mondialement pendant un bon demi-siècle, voir 1 Les escrimeuses : premières passes .



Références :
[0a] Pierre Breillat « Le manuscrit Florence Palatin 556. La Tavola Ritonda et la liturgie du Graal » Mélanges de l’école française de Rome Année 1938 55 pp. 341-373 https://www.persee.fr/doc/mefr_0223-4874_1938_num_55_1_7291
[0b] Les inscriptions sont les suivantes :
Als . sterckheit . compt .met . haer . ghewelt / So wort . ionckheit . ter neder . ghevelt (Lorsque la force vient avec sa violence, aussitôt la jeunesse est mise à bas)
Noiit . Niewat . ter werelt . so sterck . gehacht / Die doot . die . heeft . hely (?) . iouder (?) . ghebracht (?)  (signification inconnue)
[2] Pour les détails de leur histoire compliquée, voir https://mythologica.fr/grec/admete.htm
[2a] Prisco Bagni, « I Gandolfi », Nuava Alfa Editoriale, 1992, p 122

Pendants architecturaux

24 décembre 2016

La période des tableaux d’architecture est assez courte : mi XVIIème à fin XVIIIème, mais très prolifique. Dans cette production, les pendants ne sont pas rares : moins chers que des peintures d’histoire, ils se prêtaient à une vente par paire. De plus, l’éviction de tout sujet permettait de composer des couples sans trop se creuser la cervelle, une quelconque symétrie pouvant suffire.

Nous allons voir que ces pendants réservent d’heureuse surprises. En commençant par un exemple précurseur, intermédiaire entre la peinture de paysage et la peinture d’architecture, et que nous devons à un très grand artiste.



 

velasquez-1630-vue-du-jardin-de-la-villa-medicis-de-rome_le-pavillon-d-ariane-loggia-de-cleopatre-pradoVue du jardin de la villa Médicis de Rome : Le pavillon d’ Ariane (Loggia de Cléopâtre ) velasquez-1630-vue-du-jardin-de-la-villa-medicis-de-rome_lentree-de-la-grotte-pradoVue du jardin de la villa Médicis de Rome : L’Entrée de la grotte

 Vélasquez, 1630, Prado, Madrid

Ces deux petits tableaux sont très célèbres, car ils sont le tout premier exemple d’une peinture à l’huile réalisée hors de l’atelier, directement sur le motif. Mais pourquoi Vélasquez a-t-il choisi , parmi toutes les beautés du jardin de la Villa Médicis, ces deux détails qui n’ont été représentés par personne d’autre ? Et pourquoi en avoir fait des pendants ?

hop]

villamedicis La couleur et son lieu / Emmanuel Van der Meulen - Teatro delle Esposizioni III - Loggia di Cleopatra - Villa Medici - Roma

Les deux portiques existent toujours : seule a changé, depuis le temps de Vélasquez, la statue abritée dans la loggia : l’ Ariane endormie (original hellénistique que l’on croyait être Cléopâtre mourante, maintenant au musée des Offices) a été remplacée par une Vénus.

hop]
jardins-de-la-villa-medicis-detail-gravure-giovanni-battista-falda-pianta-del-giardino-del-serenissimo-granduca-di-toscana-alla-trinita-dei-monti-sul-monte-pincio-1683

Pianta del giardino del serenissimo granduca di Toscana alla Trinità dei Monti sul monte Pincio (detail),
gravure de Giovanni Battista Falda, 1683

Les deux vues pointent la première vers le Nord Est, la seconde vers le Sud Est, deux directions où rien de particulier n’est à observer  : la logique du pendant n’est pas topographique (opposer une vue vers Rome et une vue vers la campagne, par exemple).

Incidemment, on peut noter que l’ombre de la statue, à droite de l’entrée de la grotte, est impossible (elle correspondrait à un soleil au Nord) : ce qui relativise le côté « peint sur le motif », et met à mal l’idée souvent avancée que les deux tableaux opposeraient le matin et le soir.

Leur raison d’être est probablement purement architecturale : les tableaux  montrent tout deux une serlienne (ou fenêtre palladienne), groupement de trois baies dont la baie centrale est couverte d’un arc en plein cintre et les deux baies latérales d’un linteau, à la manière d’un arc de triomphe romain.

L’une est une fenêtre ouverte sur le paysage, l’autre une porte fermée sur une grotte sans issue.

En peignant ces deux serliennes des jardins, Vélasquez capte le motif qui synthétise à la fois la villa Médicis et la base de toute architecture : le dialogue entre l’ouvert et le clos.

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Les jardins vus du portail de la Villa Medicis



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La Libération de Saint Pierre
Pieter Neefs l’Ancien, collection privée

Spécialisé dans les intérieurs d’église et les enfilades de croisées d’ogive, Pieter Neefs l’Ancien met en place deux galeries parallèles pour nous montrer Saint Pierre,  guidé par un ange hors de sa prison, qui va sortir par la porte de gauche. Nous sommes ici à la limite des pendants : car pour que les points de fuite coïncident, il faut que les deux tableaux se touchent.



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La Libération de Saint Pierre
Pieter Neefs l’Ancien, 1637, Hoogsteder & Hoogsteder, La Haye

Dans cette autre version, d’ailleurs, les deux décors ont été fusionnés en un tableau unique. Le sens de parcours a été inversé  : Saint Pierre et son guide entrent par la porte de gauche dans le corps de garde où, à perte de vue, autour d’un brasero ou d’une chope, tous les soldats ont été endormis par la puissance de l’Ange : ainsi la perspective  magnifie le miracle.


Au tournant entre le XVIIème siècle et le XVIIème, s’est développé un genre très spectaculaire et assez radical de peinture, où l’oeil jouit des techniques  pour elles-mêmes (la perspective, le tracé des ombres, les règles de l’architecture) – sans exiger la moindre signification. Un peu comme au début des images de synthèse, d’autant plus saluées que leur exactitude surhumaine les rendaient plus artificielles.



coccorante-interieur-de-temple

Intérieur de temple
Coccorante, début XVIIIème siècle

panini-1725-1750-ca-statues-in-a-ruined-arcade-marble-hill-house-londonStatues sous des arcades en ruines
Panini, 1725-1750, Marble Hill House, Londres

 

La stricte application de la perspective centrale à un bâtiment composée de structures répétitives (colonnes, voûtes) créée mécaniquement un effet d’abyme, spectaculaire, mais vite lassant. Trois procédés, visibles ici, permettent d’introduire une certaine variété dans cette jouissance fractale :

  • le décentrage du point de fuite casse la symétrie tout en conservant l’exactitude géométrique, qui est l’argument de vente de ces oeuvres techniciennes ;
  • les staffages, ou figurines de remplissage miniatures, rendent le bâtiment plus imposant  et en même temps plus vivant ; elles doivent se livrer à des activités anonymes et anodines, de manière à ne pas transformer en peinture d’histoire (genre  plus onéreux) ce qui doit rester un exercice de style à vocation décorative ;
  • les parties  ruinées rajoutent des discontinuités bienvenues et des échappées vers le ciel, qui font entrer  la couleur et le nuageux dans cet univers rectiligne.

Le tableau de Panini,à droite, constitue un comble de l’échappée multidirectionnelle : en profondeur, en largeur et en hauteur.



gennaro-grecco-colonnes-en-ruineColonnes en ruine
Gennaro Grecco, début XVIIIème siècle

On voit ici le passage à la limite de ces trois procédés :

  • le point de fuite sort du tableau ;
  • les figurants, placés à un endroit stratégique et dans des poses dramatiques, deviennent sujet d’attention ;
  • une ruine dont le toit et les cloisons  ont disparu crée un effet fascinant de mélange entre intérieur et extérieur.

Ces deux exemples montrent les limites relativement étroites du genre, avec lesquelles les différents artistes vont devoir composer. Malgré leur nom qui signifie  « fantaisie », les capricci sont moins des oeuvres glorifiant l’imaginaire que des objets techniques valorisant le savoir-faire, des fabrications en série générées par une combinatoire de motifs  et l’application mécanique des mêmes règles : au point qu’il est impossible de leur donner un titre distinctif. En outre, l’absence de datation rend  difficile de distinguer les innovateurs et les suiveurs, dans ce marché très spécialisé qui nous a laissé des centaines d’oeuvres, étalée sur deux générations.

Et parmi celles-ci, quelques dizaines de pendants. Nous allons en présenter quelques-uns, qui permettent de se faire une idée des règles non-écrites régissant ces compositions.


coccorante-capricci-architettonici-con-figure1Capricci architettonici con figure (accrochage 1)
Coccorante, début XVIIIème siècle, collection Piranéseum

Les deux grandes arches ferment symétriquement les bords externes du pendant. La grande statue vue de dos, à gauche, contemple l’ensemble et donne le sens de la lecture. Au centre, deux enfilades de même hauteur  se raboutent : à gauche des colonnes ioniques jumelles, portant un linteau sans balustrade ; à droite des pilastres avec balustrade.

Pourtant, quelque chose nous laisse sur notre faim dans cette disposition. Essayons l’accrochage inverse…

hop]
coccorante-capricci-architettonici-con-figure2

Capricci architettonici con figure (accrochage 2)
Coccorante, début XVIIIème siècle, collection Piranéseum

Maintenant, ce sont les arches qui se raboutent au centre, et les colonnades  qui ferment les bords. L’oeil expert trouve ici une double jouissance : celle de pouvoir comparer les deux types différents d’architecture (colonnes ioniques jumelles contre pilastres), tout en se laissant tromper, au centre, en recollant deux arches qu’il sait pourtant différentes

Ce qui nous donne deux conventions des  pendants architecturaux :

  • 1) sur les bords externes, être fermés par des motifs qui se répondent et qui se renvoient le regard, comme une balle entre deux frontons ;
  • 2)  au centre, faire « comme si » les deux pendants constituaient deux  vues d’une réalité unique, tout en le déniant subtilement : car l’acheteur paye pour deux inventions originales, pas pour une copie en miroir. Nous baptiserons cette règle : la continuité paradoxale.

Enfin, une troisième règle, très évidente dès lors qu’on s’intéresse à la question de l’éclairage, est un corollaire de la deuxième :

  • 3) faire « comme si » le soleil était approximativement situé entre les deux pendants.

C’est d’ailleurs la raison principale qui rendait insatisfaisant le premier accrochage : les deux éclairages latéraux induisaient inconsciemment une impression de divergence visuelle.

Voici une série de pendants se conformant strictement à ces trois règles :



coccorante_-_capricci_architettonici_con_tombe_di_imperatori_romaniCapricci architettonici con tombe di imperatori romani
Coccorante, début XVIIIème siècle



coccorante-pair-of-architectural-capricci-with-figures-before-a-sarcophagus-and-figures-in-a-ruined-arcade-1Pair of architectural capricci with figures before a sarcophagus and figures in a ruined arcade
Coccorante, début XVIIIème siècle


Attribué à Panini, Musée Denys Puech, Rodez (c) 2018 Musée du Louvre



gennaro-grecco-thermes-antiques-en-ruinesGennaro Grecco
Thermes antiques en ruines

Ici, la continuité paradoxale s’applique dans toute sa perversité : les arches du premier plan sont identiques et se recollent vraiment, faisant accroire que la piscine du second plan est la même dans les deux tableaux.



codazzi-fin-xvii-a-capriccio-of-the-inside-of-a-temple-with-ruins-beyond-a-lacustrine-landscape-with-classical-ruins

A capriccio of the inside of a temple with ruins beyond; a lacustrine landcape with classical ruins
Codazzi, début XVIIIème siècle

Ce dernier pendant ajoute l’opposition terrestre/aquatique, que l’on trouve plutôt dans les pendants paysagers.


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Mais l’intérêt d’une règle, c’est bien sûr de pouvoir l’enfreindre, ce qui offre une nouvelle source de variation et d’épate.



coccorante-architectural-capriccios

Architectural capriccios
Coccorante, début XVIIIème siècle

Ici est enfreint  le deuxième commandement, celui de la continuité paradoxale : au centre, non seulement les arches emboîtées ne peuvent se rabouter , mais leur disproportion délibérée vaut ironie – regardez bien comme nous sommes différentes, quoique semblables.


pietro-capelli-1Capriccio with Hercules and the Nemean Lion pietro-cappeli-2Capriccio with equestrian statue

Pieto Capelli, début XVIIIème siècle, collection Piranéseum

Chez cet ennemi juré de Coccorante, le principe de continuité est délibérément remplacé par un principe de contradiction  :

  • au carré de terre surplombé au fond par une statue pédestre, s’oppose la piscine surplombée sur le côté par une statue équestre ;
  • au porche interrompu, à une arcade, s’oppose le portique à deux arcades qui ferme toute la largeur ;
  • à la cour en grisaille s’oppose le vide du paysage qui s’estompe.



alberto-carlieri-rest-on-the-flight-into-egypt-an-apostle-preaching

Apôtre prêchant et Repos durant la fuite en Egypte
Alberto Carlieri, début XVIIIème siècle

Ici c’est la règle N°3 qui trépasse : deux soleils éclairent latéralement les deux décors, qui restent néanmoins conformes aux règles N°1 et N°2.


coccorante-pair-of-architectural-capricci

Pair of architectural capricci
Coccorante, début XVIIIème siècle, collection Piranéseum

Ici les deux premières règles sont violées (pas d’effet fronton, pas de continuité paradoxale) et la troisième est violentée : le soleil reste unique, mais pas au centre des deux pendants.  Conséquence cruciale : il n’y a plus d’accrochage obligé, les deux pendants peuvent être intervertis à loisir.



coccorante_-_capriccio_with_ancient_ruins_and_figure_dawn_2

Capriccio with Ancient Ruins and Figure, Dawn
Coccorante, début XVIIIème siècle

Apparemment, ce pendant satisfait les trois règles. Pourtant nous avons triché…


coccorante_-_capriccio_with_ancient_ruins_and_figure_dawn_1


… car le pendant réel est celui-ci qui, comme le précédent, les viole ou les violente toutes. Nous rencontrons ici un système totalement différent, où les pendants se répondent non par symétrie, mais par translation : le plaisir visuel vient ici, non plus du raboutement  façon puzzle,  mais de la comparaison de variantes, façon jeu des sept erreurs.


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tiepolo-et-gerolamo-mengozzi-colonna-vesr-1725-coll-privee-the-interior-of-a-church-with-vestal-virgins-and-other-figures-and-the-interior-of-a-classical-library-with-figures

Intérieur d’une église avec des Vestales et autres figures
Intérieur d’une bibliothèque avec figures
Tiepolo (figures) et Mengozzi-Colonna (architecture), vers 1725, Collection privée

Même principe de comparaison dans ce pendants exceptionnel, sur lequel on ne connait rien de certain  : ni les auteurs, ni la date, ni les sujets (scènes de théâtre ?), ni les circonstances de la composition. A l’évidence, les deux décors sont construits de la même manière : même source de lumière en haut à gauche,  même choeur démesurément surélevé desservi par un grand escalier, entre deux portes latérales donnant sur des escaliers descendants.



tiepolo-et-gerolamo-mengozzi-colonna-vesr-1725-coll-privee-perspective

Le point de fuite est situé à la même hauteur dans les deux tableaux, très au dessus de la hauteur d’homme: le spectateur est supposé planer au niveau du choeur tout en se trouvant dans la nef.

La position du point de fuite nous donne, à défaut d’une signification, du moins une  logique de contemplation :

  • en se plaçant au niveau du premier point de fuite, le spectateur observe le choeur de loin, ce qui lui permet de voir la croisée de transept  et de lever son regard vers la  coupole ;
  • en se décalant ensuite devant le second point de fuite, le spectateur  pénètre dans la profondeur du  tableau, à l’intérieur  du transept, d’où il peut maintenant plonger son regard dans  les escaliers descendants.

Ainsi, en se décalant latéralement  d’un pendant à l’autre, l’oeil jouit d’une double transformation :

  • la transformation  purement géométrique des formes, dû au décalage dans la profondeur ;
  • leur métamorphose purement architecturale, due à l’imagination de l’artiste : pilastres, choeur carré, arrière-choeur arrondi   contre colonnes torses, choeur arrondi et arrière-choeur carré.



Avec Panini, nous sommes  à la limite entre le tableau d’architecture et le tableau d‘histoire. Faisant désormais jeu égal avec le décor, les figures grandissent en taille et en signification, offrant de  nouvelles possibilités de variation face à la demande toujours croissante de souvenirs romains, pour les voyageurs du Grand Tour.



 

Apanini-1718-19-alexander-the-great-at-the-tomb-of-achilleswalters-art-museum-baltimoreAlexandre le Grand à la tombe d’Achille panini-1718-19-alexander-the-great-cutting-the-gordian-knot-walters-art-museum-baltimoreAlexandre le Grand coupant de Noeud Gordien

 Panini, 1718-19, Walters Art Museum, Baltimore

Dans ce pendant de type « comparaison de variantes », les deux scènes de la vie d’Alexandre se superposent plutôt qu’elles ne s’opposent. Dans les deux, le sujet d’intérêt (la tombe ou  le noeud) est situé sous un portique (ionique ou corinthien ), au pied d’une statue tutélaire (Achille ou Jupiter).  Le contraste se limite à l’arrière-plan (ouvert ou fermé) et à l’état du bâtiment, qui suit la logique de l’histoire : ruine, dont l’antiquité est soulignée  par la pyramide égyptienne, ou palais neuf, contemporain d’Alexandre. Le soleil étant à la même place en haut à gauche, il n’y a pas d’ordre privilégié pour l’affichage autre que la chronologie des bâtiments (cet emplacement du soleil est systématique chez Panini).

 Panini-1719-Ruins-of-a-Temple-with-a-Sibyl-Ruines d’un Temple avec une Sibylle  Panini-1719-Ruins-of-a-Temple-with-an-Apostle-Preaching-Holburne-Museum-BathRuines d’un Temple avec un Apôtre

Panini, 1719, Holburne Museum, Bath

On retrouve ici le même type de composition superposable, avec arrière-plan fermé ou ouvert. Les sibylles ont prévu la venue de Jésus, les apôtres ont propagé son message : il y a donc ici aussi un ordre chronologique d’accrochage, et un obélisque égyptien qui signale la scène la plus ancienne.


panini-1720-ca-ruins-with-a-sibyl-and-other-figures-hashmolean-museum-university-of-oxfordRuines avec une Sibylle et autres figures panini-1720-ca-ruins-with-a-prophet-and-other-figures-hashmolean-museum-university-of-oxfordRuines avec un Prophète et autres figures

Panini ,vers 1720, HAshmolean Museum, Université dOxford

Un autre couple de devins trouve également sa place naturelle parmi les ruines  : le prophète biblique et la sibylle, son pendant dans le monde antique (à la Chapelle Sixtine, Michel Ange les a fait alterner équitablement).

Pour traiter ce thème, Panini a choisi ici l’autre type de composition : celle du pendant symétrique avec murs frontons latéraux et continuité au centre assurée par les colonnes. La symétrie latérale est renforcés par les deux objets d’art (urne inspirée du Vase Borghese et statue) ainsi que  par les deux bas-reliefs posés près de la mare.


Panini 1731 Ruins with Prophet (left) and Ruins with Sibyl (right) coll priv

Ruines avec Prophète  et Ruines avec  Sibylle, Panini, 1731, collection privée

Même composition symétrique pour ce pendant où le prophète, à gauche, fait face à un groupe de femmes tandis que la sibylle, à droite, s’adresse à un groupe de soldats.  Architecturalement, les entablements horizontaux  du portique font contraste avec les arcatures féminines du temple démoli. Aux bords extrêmes, le grand sarcophage équilibre la statue bénissante tandis qu’au centre, comme dans le pendant précédent, les deux bas-reliefs ornés d’un sphinx et l’arbre sont chargés d’assurer une forme de continuité.


Museo Thyssen- BornemiszaL’expulsion des marchands du Temple(Jean, 2, 13)
Museo Thyssen- BornemiszaLa piscine de Bethesda (Jean, 5, 1)

Panini, 1724, Musée Thyssen Bornemisza, Madrid

Ce pendant illustre deux scènes racontées par Jean, situées toutes deux à Jérusalem. L’épisode des marchands du Temple témoigne de la juste indignation de Jésus, tandis que celui de Bethesda met en lumière sa compassion : à un paralytique incapable de se soigner en se baignant comme les autres dans l’eau salvatrice, il ordonne de prendre son grabat et de marcher.

Panini recourt ici à nouveau à la composition « superposable ». Les deux scènes reçoivent le même éclairage, du haut à gauche ; un chien noir et blanc marque la limite de l’ombre, en face une femme tient son enfant nu  et entre les deux, au sommet de ce triangle d’attention, Jésus se dresse en robe rouge et voile bleu.

C’est l’architecture qui vient ici magistralement appuyer la sémantique opposée des deux scènes : à gauche, le temple arrondi et l’escalier, vus latéralement et en contreplongée, matérialisent l’Expulsion, tandis qu’à droite, le centre vide, la vue de face et de plain-pied attirent vers Jésus  les invalides, tout autant que le regard du spectateur.


panini-1742-predication-de-saint-paul-grenoble-musee-des-beaux-artsPrédication de Saint Paul panini-1742-predication-de-saint-pierre-grenoble-musee-des-beaux-artsPrédication de Saint Pierre

Panini, 1742, Musée des Beaux Arts, Grenoble
(Photographies de Jean Louis Mazieres, https://www.flickr.com/photos/mazanto/)

Saint Paul est représenté dans un paysage romain de fantaisie, entre les trois colonnes du temple des Dioscures et la pyramide de Celsius. Saint Pierre quant à lui prêche au pied de la basilique de Maxence, dont les trois arches font contrepoint aux trois colonnes.

Nous retrouvons les bas-reliefs antiques posés près de la mare pour conforter la symétrie latérale. La continuité centrale est assurée par l’arbre derrière les deux objets d’art : ici c’est une statue de lion qui fait pendant au pseudo-vase Borghese.

Un des plaisirs du genre est le placement désordonné des personnages, en contraste avec la symétrie du décor. La seule règle  évidente est ici l’inversion des postures  : Saint Paul debout au centre des auditeurs assis, Saint Pierre assis au centre des auditeurs debout.


pannini-1753-l-adoration-des-mages-Brooklin MuseumL’Adoration des Mages pannini-1755 l-adoration-des-bergers-Brooklon MuseumL’Adoration des bergers

Panini, 1753-55, Brooklin Museum

La convention du pendant architectural permet de faire cohabiter deux crèches différentes, telles l’escalier noble et l’escalier de service : l’une se niche dans des ruines imposantes pour recevoir les Rois, l’autre dans des ruines plus ordinaires  pour la visite des bergers.



Autre artiste apprécié par les touristes, Canaletto a lui aussi réalisé un pendant architectural.

Giovanni_Antonio_Canal,_il_Canaletto_-_Capriccio with Classical Ruins and Buildings_ Accademia 1750Capriccio avec des ruines classiques et des bâtiments Giovanni_Antonio_Canal,_il_Canaletto_-_Capriccio_with_Ruins_and_Porta_Portello,_Padua_-_WGA03971 Accademia 1750Capriccio avec des ruines et la Porta Portello de Padoue

Canaletto, vers 1750, musée de l’Accademia, Venise

La mise en pendant ne se justifie ici que par la présence des deux loggias fermant les bords externes, l’une de style renaissance, l’autre de style gothique. Les visiteurs munis de longs bâtons ajoutent un semblant d’unité.



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guardi-1785-ca-capriccio-avec-un-arc-coll-privCapriccio avec un arc guardi-1785-ca-capriccio-avec-un-arc-pres-de-la-lagune-coll-privCapriccio avec un arc près de la lagune

Guardi, vers 1785, collection privée.

Dans cette composition similaire, un motif en arche harmonise une scène terrestre et une scène maritime.



Trop répétitif et italianisant, le pendant purement architectural  va se démoder et perdre son statut de genre à part entière. Quelques  artistes vont y revenir sporadiquement et le déplacer, selon leur tempérament, dans les jardins, à la ville, à la campagne…



de Lajoue II, Jacques, 1687-1761; Garden with Eastern FiguresLe Grand Turc sur un tapis turc, avec une sultane se penchant sur un Nègre dans le jardin des plaisirs de Lajoue II, Jacques, 1687-1761; Neptune's FountainLa Fontaine de Neptune

Jacques de Lajoue, 1740, National Trust, Waddesdon Manor.

A gauche, la turquerie est faiblement accréditée par les deux croissants en haut des pilastres, tout le reste du « jardin des plaisirs » étant d’un rococo échevelé. Le pendant offre de quoi s’amuser aux amateurs de symétries architecturales : colonnes torses ioniques contre colonnes droites corinthiennes ; ferronnerie contre marbre ; statue de Vénus allongée sur des coussins, vue de face, avec Cupidon et sa torche, contre naïade allongée sur une urne, vue de dos, avec un Amour tenant une ligne.

Le regard circule de gauche à droite, d’abord en descendant l’escalier qui mène à la fontaine turque,  puis en remontant celui qui mène, depuis la fontaine de Neptune, aux personnages d’ici et maintenant.


jacques-de-lajoue-le-canal-1740-ca-coll-priveeLe canal jacques-de-lajoue-la-promenade-en-barque-1740-ca-coll-priveeLa promenade en barque

Jacques de Lajoue, vers 1740, collection privée

Ces deux pendants proposent eux-aussi une promenade en continu, du bord externe gauche au bord externe droit  :

  • d’abord, on arrive en barque depuis le canal, on débarque, on monte par l’escalier qui tourne autour de l’arbre ;
  • ensuite, on redescend derrière l’arbre, on embarque, on passe la porte entre les deux fontaines et on ressort par le tunnel du fond.



hubert-robert-1754-60-roman-figures-under-an-arcadeFigures romaines sous une arcade hubert-robert-1754-60-roman-figures-in-a-caveFigures romaines dans une grotte

Hubert Robert, 1754-60, Collection privée

Dans ces deux tableaux datant de ses années romaines, Hubert s’amuse  avec les conventions du  pendant : seule la portion de paysage visible par l’ouverture montre à gauche un paysage terrestre, à droite un paysage maritime. Les scènes représentées (un repas et une halte) ont moins d’importance ici que le décor : les deux pendants se raboutent l’un à l’autre pour former une sorte de tunnel, dans lequel le cavalier qui entre à gauche et celui qui sort à droite indiquent le sens de la circulation.

Entre la construction humaine retournant à la nature, et la carrière dans laquelle des blocs ont été taillés, entre la ruine et la grotte, c’est la continuité qui compte.


hubert-robert-the-canal-and-the-cascade-1774-coll-privee

Le Canal et la Cascade
Hubert Robert,  1774, Collection privée

Vingt ans plus tard, en France, ce pendant est conçu selon le même principe. Les  pseudo-paysages italiens servent à illustrer les deux esthétiques du temps : le parc à la française à son crépuscule, avec sa porte couverte de lierre, et le jardin à l’anglaise à son aurore, sans porte ni clôture.  La perspective rectiligne et le calme du canal contrastent avec les rocailles tourmentées et les chutes torrentielles. Cependant, le massif central, composé à gauche d’un arbre et à droite d’un rocher, assure une continuité ascensionnelle entre les deux conceptions : comme si notre peintre-paysagiste, attiré par la nouvelle, ne pouvait se résoudre à renier l’ancienne.

hubert-robert-1777-lentree-du-tapis-vert-a-versailles-musee-national-du-chateau-de-versailleshubert-robert-1777-les-bains-dapollon-musee-national-du-chateau-de-versailles

L’entrée du Tapis Vert à Versailles
Les Bains d’Apollon
Hubert Robert, Salon de 1777, Musée national du Château de Versailles

Décidé par Louis XVI, l’abattage des arbres du parc, qui dataient de Louis XIV et étaient devenus trop haut pour être taillés,  se fit durant plusieurs hivers. Les deux scènes  peintes par Hubert Robert eurent lieu durant l’hiver 1774-75, en deux endroits différents, et offrent deux points de vue opposés : vers le Nord Ouest et le parc, pour le premier, vers le Sud Est et le Palais , pour le second.

Dans le tableau de gauche, la famille royale est représentée au premier plan, au pied de la statue de Milon de Crotone par Puget (dont un moulage a été récemment remis au même endroit du parc). Juste à côté, des jeunes du peuple ont  improvisé une balançoire, dans le prolongement exact du grand canal. A gauche, sous le Castor et Pollux de Coysevox, c’est la pause des bûcherons : un marchand ambulant portant une fontaine sur son dos vient leur  donner à boire, une marchande leur porte à manger. Entre les familles du peuple  et la famille royale, aucune barrière :  l’abattage des arbres trop haut du Roi Soleil et leur transformation en balançoire  sert ici la propagande d’une monarchie éclairée.

Le tableau de droite est dédié à une autre propagande : celle d’Hubert Robert lui-même. La campagne d’abattage allait en effet de pair avec un autre grand projet : la réfaction des Bains d’Apollon, qui serait confiée l’année suivante au peintre lui-même. La statue des chevaux du soleil, par Marsy, est montrée ici à un emplacement provisoire, de même que les autres fragments sculptés qui gisent au sol. Cette fois, les bûcherons sont en plein travail : à noter le jeune homme qui descend le long d’un tronc, auquel il vient d’attacher une corde, que ses collègues commencent à tirer.


hubert-robert-1787-demolition-pont-notre-dame-carnavalethubert-robert-1788-demolition_maisons_pont_au_change_carnavalet

Démolition des maisons du Pont Notre Dame
Hubert Robert, 1787,  musée Carnavalet, Paris
Démolition des maisons du Pont au Change
Hubert Robert, 1788,  musée Carnavalet, Paris

Dix ans plus tard, Robert reprendra l’idée des pendants pour un autre type d’abattage. A la veille de la Révolution, ces deux tableaux  apparaissent comme emblématiques de la victoire du rationnel et de l’organisé, contre la sclérose anarchique héritée des temps médiévaux. Car les boutiques de luxe envahissaient ces deux points de passage obligés, gagnant à chaque génération en largeur et en hauteur, au point de compromettre leur propre raison d’être.

Le Pont Notre Dame est consacré au fleuve et à sa vie grouillante : barques pour transporter les matériaux de récupération, bateau  de lavandières, bateau-moulin (sous la deuxième arche). On voit sous la troisième et la quatrième, l’arrière de la pompe Notre Dame, imposante construction sur pilotis  qui se trouvait de l’autre côté du pont.



raguenet_la_joute_des_mariniers-entre-le-pont-notre-dame-et-le-pont-au-change-carnavalet
La joute des mariniers entre le pont Notre Dame et le Pont au Change
Raguenet,1756, Musée carnavalet, Paris


hubert-robert-1787-demolition-pont-notre-dame-carnavalet-detail

Hubert Robert a choisi le moment où la moitié des maisons ont été démolies, laissant voir la façade des maisons de l’autre côté, avec les magasins au rez-de chaussée     (parmi eux se trouvait la boutique de Gersaint, le marchand de Watteau, dont l’enseigne en forme d’arcade a été conservée). Au milieu du pont, à gauche du portique d’accès à la Pompe Notre Dame, un trou dans les maisons laisse voir la Tour de l’Horloge. Au fond, encore intact, le Pont au Change, qui sera nettoyé de ses maisons l’année d’après. Et derrière encore le Pont Neuf, qui n’avait pas de maisons. Au premier plan, le peintre en manteau rouge.

 

Pour Le Pont au Change, Robert a choisi un point de vue et un moment radicalement différents : dans l’axe du pont, et alors que les deux côtés ont été démolis. Une disproportion piranésienne rend les humains minuscules dans cette tranchée de gravats. Au fond, la Tour de l’Horloge fait le lien avec l’autre pendant.



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Artistes dessinant à Tivoli
La Fontaine de la Liberté
Hubert Robert, Collection particulière

Ces deux pendants ont été peints durant l’emprisonnement de Robert sous la Terreur, entre janvier et août 1794 : c’est pourquoi dans la signature les initiales du peintre sont suivies par S.L., Saint Lazare.

Le premier est un souvenir de l’Italie, paradis des peintres et de la nature sublime. Peut être la cascade impétueuse prenant sa source sous le temple antique a-t-elle valeur de métaphore révolutionnaire,  l’eau qui sort du premier tableau alimentant la fontaine du second.

Cette Fons Libertatis a des similitudes étroites avec la statue en plâtre de F.F. Lemot, placée au centre de la Place de la Révolution en août 1793 pour le Festival de l’Unité. Cette sculpture était posée sur le piédestal de la statue équestre de Louis XV de Bouchardon, détruite en 1792, prouvant physiquement le triomphe de la république sur la monarchie. Monarchie que symbolise, à droite,  la stèle déchue et cassée .

Un pendant aussi ouvertement  républicain avait sans doute pour but de se concilier les bonnes grâces des geôliers.


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Soldats avec des femmes dans leur campement
Michel-Hamon Duplessis, fin XVIIIème, collection  particulière

Duplessis s’était spécialisé dans de petites scènes militaires dans le style de Wouwermans, souvent présentées en pendants.  Ici, c’est le motif en arche qui crée la symétrie : pont moderne au dessus de l’eau, arche antique au dessus de la route. Particularité assez rare : le paysage se prolonge d’un panneau à l’autre (voir par exemple la tente coupée sur la gauche du second panneau) : les deux scènes n’en font en fait qu’une.



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Scènes dans une grange
Giuseppe Bernardino Bison, fin XVIIIème, collection privée

Ce pendant amusant montre deux scènes de bamboche campagnarde.

A gauche, un garçonnet joue aux bulles avec un bébé, sous le regard de la grand-mère assise. De part et d’autre d’une poutre, la mère qui balaye s’intéresse au colporteur qui vient d’entrer à gauche, tandis que le père, qui s’intéresse à sa femme, veut l’attirer vers l’arrière.

A droite, un couple en état d’ébriété danse, sous le regard de trois convives dont l’un renverse un plat, tandis qu’une vieille femme jette sur eux le contenu d’un pot de chambre. De part et d’autre d’un tonneau, un moine boit à la bouteille et une femme vomit, intéressant un chien qui passe. L’aubergiste sort à gauche en emportant les plats.

Les deux granges en briques,  à l’imposante charpente, ont en commun d’exposer de saintes images (nous sommes en Italie) : une gravure du Christ au dessus de la porte d’entrée, une Vierge à l’Enfant au dessus du tonneau. Les personnages sont disposés de manière analogue  : un couple qui s’amuse, des spectateurs assis, un homme isolé qui entre ou qui sort. Enfin, un couple légitime autour d’une poutre, et un couple d’ivrognes autour d’un tonneau.

A gauche, on s’aime et on s’amuse. A droite, on se saoûle et on vomit.

Quiquengrogne et autres moulins de Charenton (1/2)

18 décembre 2016

Charenton pour les peintres rococo, c’est un peu comme Argenteuil un siècle plus tard pour les Impressionnistes : proche de Paris par la route ou le coche d’eau, et déjà la campagne. Fragonard d’ailleurs y vécut quelques années, dans une maison dominant la Seine.

Le village  a de quoi intéresser les artistes : le château de Conflans surplombe le confluent de la Seine et de la Marne , un large pont traverse cette dernière et une dizaine de moulins s’échelonnent le long de ses rives. La plupart ont une imposante roue pendante,  suspendue sous le moulin et pouvant être réglée en fonction de la hauteur du fleuve.

De nombreux  peintres ou dessinateurs les ont  représentés entre le XVIIème et le XIXème siècle, notamment  le plus célèbre, Quiquengrogne, devenu une sorte de nom générique pour tout moulin proche de Charenton.

Entre  licence artistique et  évolutions des bâtiments, souvent refaits ou agrandis, il est  difficile de les identifier de manière certaine, et tous sauf deux  ont disparu aujourd’hui. Mais en croisant les diverses sources, il est possible de reconstituer, en bord de Marne, un parcours des moulins du XVIIIème siècle.


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Charenton, carte de Roussel, 1733

Nous allons suivre la carte de l’aval à l’amont, en commençant par le moulin le plus célèbre.


Le moulin de Quiquengrogne

On le trouve sous les orthographes Quinquangrogne, Quinquengrogne, Quincangrogne, qui viendrait de la vieille expression « Qui Qu’en Grogne ».

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Un coin du jardin de Mr de Sillerey, secrétaire de France
Gravure de Matthieu Merian, 1618

Cette gravure nous montre l’état du moulin avant sa reconstruction en 1676 par l’ingénieur Georges Stiennon, pour alimenter en eau pour les jardins du château de Conflans, situé juste au dessus.


 

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Le château de Conflans
Dessin du XVIIème siècle

« Les eaux contribuent à faire de cette maison un séjour délicieux; elles y sont fournies par une pompe nommée le moulin de Quinquengrogne, bâti sur trois palées de pieux, dont deux soutiennent toutes les machines, et l’autre soutient un petit corps de logis, dans lequel sont enfermés les corps des pompes foulantes et aspirantes. Un pont en bois de six arches joint cette machine à la terre, et supporte le tuyau qui conduit l’eau dans le château. » Gilles Robert de Vaugondy, 1761, Les Promenades des environs de Paris en quatre cartes, avec un plan de Paris. [1]



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Moulin de Conflans,
Dessin du XVIIème siècle, Gallica

Sur le nom de « moulin de Conflans », ce dessin montre bien le même bâtiment au toit caractéristique, vu de l’amont : la pile de droite a été protégée par un brise-glace en bois.


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Le moulin à eau à Charenton
Hubert Robert, 1765-70, Museu nacional de arte antiga, Lisbonne

On voit l’étendue de la licence artistique dans cette vue par  Hubert Robert : le pont d’accès est en pierre, le corps de logis en torchis pour le côté pastoral ; les rochers et la tour de l’autre rive ajoutent un côté « folie » à cette reconstruction.



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La Fontaine d’Amour  
Boucher, 1748, Getty Museum, Malibu

Si Boucher s’est inspiré du moulin de Quiquengrogne pour cette pastorale, c’est avec encore plus de fantaisie : le sens du courant est inversé (nous sommes en aval, comme le montrent les cascades sous la roue).

Le moulin joue ici un rôle décoratif et symbolique : il épouse la forme du second couple (le garçon allongé évoque le pont en pente et la pile de gauche, la fille la pile de droite), de la même manière que l’autre élément architectural, la fontaine, prolonge dans le décor le premier couple.




Le Moulin des Carrières

Ce moulin est indiqué sans son nom sur le plan de Oudry, entre Quiquengrogne et le pont de Charenton.


nicolas-vleughels-1721-moulin-a-charenton-pierpont-morgan-libraryMoulin à Charenton
Nicolas Vleughels, 1721,  Pierpont Morgan Library
oudry-paysage_avec_un_moulin-louvrePaysage avec un moulinOudry, Louvre

 

Ce moulin est assez similaire  à  celui de « La fontaine d’Amour » de Boucher, avec son prolongement en encorbellement du côté opposé au pont d’accès  :  les deux dessins  représentent clairement le même bâtiment.



lithographie-moulin-de-charenton-j-p-thenot-1803-1857

Moulin à Charenton,
Lithographie de Thénot, vers 1840

Voici le moulin des Carrières au XIXème siècle : le corps principal moulin a été surélevé, et le logement du meunier a été ajouté sur la gauche.


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Moulin de Quiquengrogne
Gravure d’après un tableau de  Lancret

Pour compliquer la situation, nous avons ce témoignage par Lancret d’un moulin à colombages, très semblable, mais à deux arches, et qui ne correspond  donc à aucun de nos deux moulins.


Les moulins du pont


israel-silvestre-1645-veues-et-perspectiue-du-village-et-du-pont-de-charentonVues et perspective du village et du pont de Charenton
Israel Silvestre, 1645
moulin-pont-orme-et-coche-de-charenton-xviiemeMoulin, pont, orme et coche de Charenton
Merian, Matthäus le vieux ; Aubry, Pierre, 1618

Revenons maintenant vers les certitudes : des moulins étaient installés sur ce pont, en aval de la route. Israel  Silvestre, en général très précis, nous les montre vus en enfilade depuis Maisons-Alfort, dans un état de délabrement avancé.

Le seconde gravure montre la deuxième partie du pont : Charenton vu depuis le dernier moulin.



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Pont de Charenton
 Dessin Germain, graveur Decquauvillers,  fin XVIIIème

A la fin du XVIIIème siècle, les quatre moulins étaient toujours là, retapés, créant au milieu de la Marne un bouillonnement pittoresque. La vue est prise en aval du pont, la rive de Maisons-Alfort est à droite, avec l’Ecole vétérinaire.


Le moulin de la Chaussée


israel-silvestre-1645-vues-et-perspective-du-pont-et-du-temple-de-charentonVues et perspective du Pont et du Temple de Charenton
Israel Silvestre, 1645
moulindelachaussee-xviiiemeMoulin de la Chaussée
Gravure du  XVIIIème siècle

Le nom du moulin, attesté depuis 1394, provient du chemin empierré qui reliait le chemin de Saint-Mandé à  l’église. Au XVIIème siècle, il était relié à  la berge par un court pont de quatre arches, à ne pas confondre avec le pont de Charenton. La tourelle à l’arrière-plan fermait l’enclos du Temple Protestant, le plus important de Paris, bâti en 1607 (l’édit de Nantes imposant une distance de 5 lieues) et détruit en 1685 (après la révocation de l’Edit).

La gravure de Silvestre est importante pour l’histoire du protestantisme  : on y voit les nombreuses barques des fidèles venus par voie d’eau depuis Paris. [2]

 

boucher-1739-le-vieux-colombier-kunsthalle-hambourgLe vieux colombier
Boucher, 1739, Kunsthalle, Hambourg
boucher-1739-le-moulin-de-quiquengrogne-a-charenton-coll-partLe Moulin De Quiquengrogne A Charenton
Boucher, 1739, Collection privée

C’est ce moulin de la Chaussée que Boucher représentera, sous le nom de « Quiquengrogne », dans ce pendant de 1739. On reconnait bien les arches du pont d’accès, et surtout la petite pièce en avancée sur deux pilotis, à gauche de la grande roue, qui le caractérise.

Il se peut que l’idée du colombier soit venue de la tourelle de l’enclos de l’ancien  Temple, qui faisait face au moulin de l’autre côté du pont.

boucher-1747-avant-gravure-j-p-le-bas-tableau-perduPremière vue des environs de Charenton
Gravure  de J.-P. Le Bas,1747, d’après le tableau  de Boucher
boucher-1748-cathe-mill-of-quiquengrogne-at-charenton-coll-priveeLe Moulin De Quiquengrogne A Charenton
Attribué à Boucher, vers 1748, Collection privée

On n’est pas sûr que ce tableau soit de Boucher : il semble inspiré de la gravure de 1747 d’après Le Bas, qui montre le moulin inversé. De plus, les deux aubes et la toiture en chaume, qui  ne correspondent à aucun autre image connue, semblent largement imaginaires.


xxx

boucher-the-mill-of-quiquengrogne-at-charenton-morgan-libraryLe Moulin De Quiquengrogne A Charenton
Dessin de Boucher, Morgan library
boucher-1758-toledo-museum-of-art-toledo-ohioMoulin à CharentonBoucher, 1758, Toledo Museum of Art

Le dessin, clairement fait depuis nature, a servi de base au  tableau de Toledo, dans lequel le moulin (situé en pleine ville) a été rendu plus bucolique : toiture simplifiée et pont d’accès remplacé par une passerelle de bois.



moulin-a-eau-de-charenton-vers-1805
Moulin de la Chaussée,
Nattes, John Claude ; Hill, John ; Miller, William, 1807, Collection privée

« Le moulin est  reconstruit  en  1779 et  présente  alors deux étages surmontés d’un grenier… Le  13  juillet  1789, en  pleine Révolution  Française,  le Moulin  de  la  Chaussée  subit  le  siège  de la population  alors affamée qui y dérobe 36 sacs de farine. » [3]


 

moulindelachaussee Le moulin de la Chaussée vers 1900 moulindelachaussee-aujourdhuiLe moulin de la Chaussée aujourd’hui

 

A la fin du XIXème siècle, il est surélevé de deux étages, et  le logement du meunier est construit sur le pont d’accès. Le moulin  brûle en 1902 et est reconstruit à à l’identique en 1904.

Devant être démoli lors de la construction de l’autoroute A4, il arrête son activité en 1972, Sauvé in extremis de la destruction, il  est restauré de 1982 à 1995, retrouvant la pièce en avancée chère à Boucher.

 

Références :
[1] On peut trouver des représentations du château de Conflans sur le site du Musée de Sceaux
http://www.collections.chateau-sceaux.fr/Record.htm?idlist=1&record=941212476949
[3] Informations fournies lors de l’exposition en 2015 du CFA SUP2000 http://www.cfasup2000.fr/pages/scenographies-de-lexposition

Quiquengrogne et autres moulins de Charenton (2/2)

18 décembre 2016


Les moulins de Saint Maurice


plan-andriveau_goujon-1852-charenton

Plan d’Andriveau et Goujon, 1852

En continuant à remonter la Marne vers Saint Maurice, on passe par le Moulin Rouge, dont nous n’avons pas de représentation ancienne, pour aboutir au moulin de Gravelle.


gravelle_-vue-daval-1830-gallicaGravelle vue d’aval
1830, Gallica
gravelle_vue-damont-1830-gallicaGravelle vue d’amont
1830, Gallica

Ce moulin, dont il ne reste rien,  est facile à identifier : un chemin d’accès couvert en pente, une pièce surélevée à l’autre bout, deux fenêtres dans le toit vue de l’aval, et une fenêtre côté amont. [1]

moulin-des-corbeaux-vu-damontLe Moulin des Corbeaux
Photographie vue d’amont, fin XIXème
moulin-des-corbeaux-aujourdhuiGoogle Earth

En poursuivant un peu plus loin, on trouve cet imposant moulin à trois arches.

Il existe encore de nos jours, redécoré dans les années 70 par le directeur de Knoll France,  Yves Vidal.


Les moulins de Maison Alfort

Traversons maintenant la Marne pour revenir vers l’aval, en suivant la rive gauche, vers le moulin de Charentonneau.


moulin-de-charentonneau-xviiemeMoulin de Charentonneau,
Gravure de Marchand, Cécile Maréchal, fin XVIIIème siècle
cassas-louis-francois-vue-du-moulin-de-charenton-1776-coll-partVue du moulin de Charenton
Cassas ( Louis François), 1776, collection particulière

Ce moulin à grains ressemblait semble-t-il beaucoup au moulin de Gravelle. Construit sous Louis XV et  lié au château de Charentonneau [1]  , il a brûlé en 1880.


 

X003Le Moulin brûlé à Maisons-Alfort
Cézanne, 1894, collection privée
94-alfort-le-moulin-bruleCarte postale 1900

 


Pour terminer en beauté, voici le plus spectaculaire des moulins des environs de Charenton, un moulin à eau très visible depuis la route longeant le fleuve, et dont nous avons de nombreuses représentations depuis l’aval : le Moulin Neuf


moulin_de_charenton_-_dessin__btv1b77401053Moulin de Charenton vu de côté, XVIIème siècle, Gallica moulin_de_charenton_-_dessin__btv1b7740106hMoulin de Charenton vu de l’aval, XVIIème siècle, Gallica
hubert-robert-paysage-au-moulin-avec-lavandieres-et-pecheur-dans-sa-barque-coll-partPaysage au moulin, avec lavandières et pêcheur dans sa barque
Hubert Robert, collection privée
a_charenton_le_21_septembre_1725-silvestre_francois-gallicaA Charenton, le 21 septembre 1725, François Silvestre,  Gallica



Pau de Saint-Martin, Alexandre, active c.1769-1848; Water Mill, Charentonneau
Moulin à eau de Charentonneau
Alexandre Pau de Saint-Martin, vers 1789,   Victoria and Albert Museum

Ce tableau semble être une reconstruction de fantaisie (voir le château à quatre tours à l’arrière plan) qui emprunte au Moulin Neuf ses piles et son toit, mais en le faisant pivoter d’un quart de tour (comparer avec le dessin d’Hubert Robert).

 

le_moulin_neuf_a_charenton-1829-gallicaLe Moulin neuf à Charenton, 1829, Gallica moulin_de_charenton_-_dessin_-enfantin_augustin_btv1b7740101f-debut-xixLe Moulin de Charenton, Augustin Enfantin, début XIXème, Gallica
francoislouisthomasfrancia-thewatermillabovethebridgeatcharenton-sLe moulin à eau sur le pont de Charenton
Francois-Louis-Thomas Francia
girtin-thomas-1802-gravthe-water-mill-above-the-bridge-at-charenton-illustration-from-the-series-a-selection-of-twenty-of-the-most-picturesque-views-in-paris-and-its-environsLe moulin à eau sur le pont de Charenton
Thomas Girtin, 1802, illustration de la série « A Selection of Twenty of the most Picturesque Views in Paris, and its environs »
jean-baptiste-oudry-moulin-au-bord-d_une-riviereMoulin au bord d’une rivière
Jean Baptiste Oudry
la-marne-a-lemplacement-du-moulin-neuf

La Marne aujourd’hui, à l’emplacement du moulin neuf [3]

 Dernier coup d’oeil en arrière, à trois cent mètres et à trois siècles de distance, sur cette extraordinaire bâtisse….


souvenir-des-deux-moulins-dalfort

… dont le souvenir n’a pas totalement disparu.


Le moulin à roue latérale


Alexandre Pau de Saint-Martin (actif de 1791 à 1848), Le moulinLe moulin de Charenton
Alexandre Pau de Saint-Martin, 1797, Musée de Sceaux
hubert-robert-un-moulin-a-eau-un-homme-sur-un-pont-un-chien-au-premier-plan-coll-partUn moulin à eau, un homme sur un pont, un chien au premier plan
Dessin de Hubert Robert, Collection privée

 Il y avait probablement à Charenton un moulin à roue latérale, s’il faut en croire ces deux témoignages. Trop banal ou trop petit, il ne figure en tout cas nulle part sur les plans de l’époque. Il nous donne l’occasion de parcourir les nombreux tableaux où Boucher a représenté un tel moulin. L’un d’entre eux est-il celui de Charenton ?



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Le moulin de Quiquengrogne à Charenton
Boucher, 1750-1760, Musée d’Orléans

Ce moulin de pure fantaisie ne porte le nom de  Quiquengrogne que par habitude : on ne voit aucune roue, ni pendante ni latérale. A remarquer le chien qui aboie en bas sur la berge, la servante qui puise de l’eau tandis que la meunière la regarde depuis la porte, le cerceau nuptial suspendu au-dessus : nous retrouverons dans d’autres tableaux tous ces éléments décoratifs.


boucher-1740-paysage-avec-un-moulin-kansas-city-the-nelson-atkins-museum-of-art-bisPaysage avec un moulin
Boucher, 1740 Kansas City, The Nelson-Atkins Museum of Art
boucher-1743-paysage-avec-un-moulin-barnard-castle-the-bowes-museum-co-durham-bisPaysage avec un moulin
Boucher, 1743, Barnard Castle, The Bowes Museum, Co. Durham

Dans ces deux oeuvres, le moulin fait face à un temple antique en ruine, comme pour opposer la vie humble des pales de bois à l‘immobilité du cercle de colonnes.



boucher-1765-le-moulin-a-eau-a-landscape-with-a-herdsman-and-his-family-by-a-mill-cpll-part
Le moulin à eau
Boucher, 1765, Collection particulière

Ici, dans le même ordre d’idée, c’est une tour abandonnée qui contraste avec la vie bucolique du moulin.

boucher-1750-le_pigeonnier-coll-partLe pigeonnier,Boucher, 1750,  Collection privée boucher-1750-le_moulin_a_eauLe moulin à eau
Boucher, 1750,  Collection privée

 Boucher reprend ici l’idée de son pendant de 1739 : associer un colombier et un moulin. Mais au lieu du si caractéristique moulin de la Chaussée, il choisit un modèle parfaitement anonyme. Noter le second moulin qui, dans le pendant de gauche, redonde le pendant de droite : nous retrouverons plus loin ce procédé de composition.


boucher-1750-60-moulin-a-charenton-mairie-de-charentonMoulin a Charenton
Boucher, 1750-60,  Mairie de Charenton
boucher-1755-hiver-quatre-saisons-frick-collection-new-yorkL’Hiver (série des Quatre saisons)
Boucher, 1755, Frick Collection, New York.

 Parfois ces deux thèmes décoratifs sont associés dans le même tableau. Dans l’Hiver, le colombier vide et la roue couverte de neige, immobile,  font contraste avec le cygne doré et le traineau qui glisse.


boucher-1751-le-moulin-chambre-a-coucher-cardinal-soubise-louvreLe Moulin
Boucher, 1751, Louvre
boucher-1751-le-pont-chambre-a-coucher-cardinal-soubise-louvre-bisLe Pont
Boucher, 1751, Louvre

Ce pendant est étudié dans Les pendants de Boucher : paysages et autres :.


boucher-1755-paysage-avec-un-moulin-national-galleryPaysage avec un moulin
Boucher, 1755,  National Gallery
boucher-1761-paysage-avec-un-moulin-coll-part Paysage avec un moulin
Boucher, 1761, Collection particulière

 Pour épuiser toutes les combinaisons, Boucher a aussi représenté les deux thèmes dans un seul tableau.  Tels des santons dans une crèche, les personnages effectuent des tâches interchangeables : le vacher qui passe sur le pont, la femme au seau, celle qui regarde depuis le pas de la porte, la lavandière, le pêcheur à la ligne…



paysage-de-riviere-avec-un-moulin-a-eau-et-un-pont-julliart

Moulin à eau,
Juliard, collection particulière

Il est amusant de voir que d’autres peintres, face à la demande insatiable de moulins, prolongent la combinatoire. Ainsi Juliard, tout en recopiant le modèle de la National Gallery, rajoute le chien qui aboie  et le cercle nuptial au dessus de la porte : plus Boucher que Boucher lui-même !


Références :

[1] On peut trouver sur la base Mérimée d’autres images du moulin de Gravelle (http://www.culture.gouv.fr/documentation/memoire/HTML/IVR11/IA00060758/index.htm)

[3] A l’aplomb de la rue de l’Amiral Courbet (anciennement Rue du Moulin Neuf)