L'artiste se cache dans l'oeuvre
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6.2 Devinettes acrobatiques

22 mars 2017
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A titre de récréation, nous avons recensé ici quelques propositions absurdes, astucieuses  ou invérifiables, que les amateur d’anagrammes et de devinettes ont repéré çà et là.

Article précédent : 6.1 Figures de l’Ironie

Durer Carre Magique

L’âge du capitaine

En 1514, Dürer était âgé de 43 ans. Or étrangement,  en inversant 4 et 3 on retrouve le fameux 34, la constante du carré magique. (Rappel : Tous les carrés de 4 ont pour constante 34)

Le nom du capitaine

Plus fort : Finkelstein [1] a fait  la somme des lettres de « Albrecht Dürer ». En numérologie latine, cela donne 135. Dommage, la somme du carré magique est 136. Qu’à cela ne tienne : la case 1 étant frôlée par l’aile de l’ange, et le chiffre 1 étant plus grand que les autres, Finkelstein pense qu’il ne faut pas le compter, car il représenterait Dieu dans la gravure. 136 – 1 = 135. CQFD.

Un seul problème : dans l’alphabet qu’utilisait  Dürer (voir son traité « Instruction pour la mesure à la règle et au compas »), le I et le J ne se distinguent pas. A supposer qu’il se soit amusé à faire le total des lettres de son nom, il n’aurait pas trouvé 135, mais 129. Et nutile d’essayer en latin : « ALBERTUS DURER » donne alors 156.

La mort de maman

Renverser un symbole (par exemple une torche  ou un arbre avec ses racines en l’air) peut exprimer, comme le remarque P.Eckhart, l’idée de la mort. Une anomalie souvent commentée dans le carré magique, est que le chiffre 5 est gravé à l’envers, tête en bas. Or la mère de Dürer est morte justement en mai 1514, le cinquième mois de l’année. Ce 5 est donc un chiffre de deuil.

En fait, si on compare la chiffre 5 dans les deux cases où il apparait, le 5 et le 15, on  se rend compte qu’ils sont identiques. Ce cinq « prétendument funéraire apparaît fréquemment dans les dates d’autres gravures : le « Voile de Sainte Véronique », en 1516 ou le « Saint Simon » de 1523. Il  correspond simplement à une graphie enrichie, que Dürer utilise de temps à autre.

De nombreuses interprétations expliquent Melencolia I par l’état d’esprit dépressif de Dürer cette année-là. Et oublient simplement l’atmosphère singulièrement apaisée du Saint Jérôme dans se cellule, la gravure jumelle réalisée la même année.


Melencolia_ChauveSouris

MELE(n)COL-IA J

Voici l’interprétation familiale la plus alambiquée qu’il nous ait été donné de lire, concernant ces douze malheureux caractères. Nous la traduisons telle quelle :

« Mele » en grec signifie « miel, douceur » ; « col » qui aurait dû s’écrire en grcc avec la lettre khi… signifie « souffrant ». Pour prononcer ces deux mots ensemble, il faut ajouter entre les deux  un N non significatif. Le « IA » à la fin du mot pluralise et latinise le grec, faisant référence à des femmes. A côté du mot MELENCOLIA se trouve une « fioriture », puis la lettre I. Les chercheurs ont ignoré ce symbole, supposant qu’il s’agissait d’un embellissement artistique sans importance. Mais la fioriture comporte une barre horizontale, signe qui veut dire « retournant ». Le « I » après la fioriture est différent du I dans le mot : ceci est significatif, car Dürer était un expert en lettrage, et a publié un livre sur le sujet. En Latin et en Grec, il n’y a pas de lettre pour le « J ». A la place, la lettre « I »était utilisée pour représenter le « J », ainsi le « I » à la fin de l’inscription vaut pour un « J », le symbole du Seigneur – Jésus ou Yahweh (Jehovah). L’inscription doit être comprise comme signifiant « dans la douceur et dans la peine, ces deux femmes retournent vers le Seigneur ». Elizabeth Maxwell-Garner, [1a]

Les deux femmes étant Barbara et Margret, la mère et la soeur d’Albrecht, mortes en 1514. Dans la suite de cette étude sont décryptés selon la même méthode l’ensemble des objets, et même le message codé dans les signes de la ceinture, selon le principe que Dürer était non seulement un noble hongrois, mais un juif caché.


MAXIMILIEN Imperator

« Si l’on compte le nombre de lettres qui composent le mot MELENCOLIA, il est de dix, comme le nom de MAXIMILIEN. Six lettres leur sont communes M – E – N – L – I A. Le « I » suivant le signe §(ornement paragraphe) peut alors désigner la lettre « I » du mot IMPERATOR et le « I » (chiffre romain de 1er) : Maximilien Ier – Maximilien Imperator » [3] p 64


SALUS JUSTORUM

Melencolia_ChauveSouris_signe
Sur ce minuscule signe soit disant ignoré ont été échafaudés des embellissements symboliques, dont voici un des plus échevelés :

« Le signe qui suit le titre semble un S très orné mais, comme l’a vu L.Barmont, est en réalité composé de deux volutes, séparées par un petit losange pointé, ce qui semble évoquer les deux spires d’involution et d’évolution,- ajoutons que le petit losange avec son point peut se référer à l’incarnation dans la matière. Il convient d’interpréter non seulement le I mais bien, croyons-nous, le groupe de deux lettres S.I. : ne serait-ce pas SALUS JUSTORUM ? – l’idée étant toujours que les mélancoliques constituent l’élite de l’humanité, en tout cas les seuls initiables ». [2]


 

La fioriture cryptique

Finkelstein [4] lui consacre un important développement, remarquant qu’il a été « omis » par Jan Wierix, un graveur qui a recopié la gravure en 1605. Sans doute pour éliminer des allusions devenues hérétiques. Lesquelles ? Tout comme l’aile de l’ange sacralise la case 1 du carré magique, le motif floral sacralise le I du cartouche : ainsi  tous les I de la gravure sont une image de Dieu. Quant à la fioriture, en forme de double S, ainsi que tous les chiffres en forme de S, ils représentent à la fois le salut (Salus) et le serpent (qui est le symbole de Dieu dans les Hieroglyphica  de Horapollo).


Un ornement calligraphique

Il se trouve que que cette fameuse fioriture a été utilisée par Dürer dans des contestes variés, qui ont moins retenu l’attention des exégètes.


SignatureAdamEveCartouche d’Adam et Eve, 1514

Exlibris_Hieronymus_EbnerEx-libris de Hieronymus Ebner, 1516

 

Albrecht_of_Brandeburg_inscription
Portrait du cardinal Albrecht de Brandenburg, 1519

Elle sert ici de séparateur entre tous les mots de la devise. Dürer devait la tracer avec son burin avec autant de facilité qu’avec une plume (rappelons que ce n’est pas le burin qui bouge, mais la plaque qui tourne) : il n’accordait visiblement pas une grande importance à sa forme précise : les spirales sont tantôt renversées, tantôt affrontées, sans autre logique qu’un effet de variété.

Albrecht_of_Brandeburg_inscription_1523Portrait du cardinal Albrecht de Brandenburg, 1523

En outre, dans ce portrait moins pompeux du même cardinal, la même devise apparaît avec, cette fois, un simple point comme séparateur. Preuve que le motif cryptique n’est rien d’autre qu’un trait de calligraphie, que Dürer utilisait pour rendre plus solennelle une inscription.

MELAN COELI

Anagramme proposée par M.Calvesi, et signfiant  « le Noir du Ciel ». [5]
Cet auteur lit aussi  LEO (le Lion) en retenant les 3ème, 4ème et 7ème lettre de MELENCOLIA I. (3 4 et 7 étant des nombres importants en alchimie)

ELEM NICOLAI

Partant de l’hypothèse que Dürer aurait pu connaître dès 1514, via l’irremplaçable Prirckheimer,  les premiers élément de la théorie de Copernic (dont le « De revolutionibus Orbium Caelestium » ne paraîtra qu’en 1543), Robert J. Manning résoud l’anagramme en ELEM NICOLAI : les Elements de Nicolas. [6]

CAMELEON § LI I

Nous reprenons ici l’anagramme proposée par Richter [7].

Le mot Cameleon, qui apparaît une seule fois dans la Bible  (Génèse 11 Vers 30), est le nom générique  que Pic de la  Mirandole donne à l’homme  (Oratio § 7,32,  page 10/11). Il est en  effet capable non seulement de changer de couleur, mais aussi de nature : tantôt animale et tantôt divine.

§ LI serait une référence au chapitre  51 du Livre 8 de « Naturalis historia » de Pline l’Ancien, qui traite justement du caméléon.

Enfin, le signe I serait L’Unité, autrement dit Dieu en tant que fons numerorum, source de tous les nombres.

Ainsi le titre de la gravure signifierait, sous une forme prudemment crypté, rien moins que « L’Homme-Dieu », l’homme devenu Dieu.


LIMEN CAELO

Nous reprenons ici l’anagramme proposée avec perspicacité par Finkelstein [4], p 20 et ss

L’orfèvre Albrecht Dürer, père du graveur, s’est installée à Nuremberg en 1455. Il était originaire de Ajtas, en Roumanie (Ajtas signifie porte), et a germanisé son nom  en Thur, devenu bientôt Dürer.

 

Durer Blason 1490, Musee des OfficesDürer, Blason 1490, Musée des Offices Blason, 1523Dürer, Blason 1523

Dans les deux versions du blason, on voit bien la porte posée sur des nuages.

« Les blasons montrent habituellement ce qui fait la fierté de la famille, son grand accomplissement. Pour proclamer son plus grand talent, la gravure, Dürer aurait pu représenter un burin, ou le mot burin lui-même. Or le latin pour burin est caelum. C’est aussi le mot usuel pour « ciel », ou « les Cieux »…Caelo est à la fois le nom (dans les cieux) et le verbe (je grave). Le blason de Dürer est à la fois un idéogramme pour « La porte vers les Cieux » et « Je grave la porte ».

Finkelstein fait également remarquer que la signature de Dürer est elle-aussi un idéogramme :

« Le A tronqué est une porte autant qu’une lettre. Les jambes du A sont les montants. Le linteau est posé dessus pour les connecter.Un renfort juste sous le linteau est la barre du A, plutôt haute pour un A mais correcte pour un portail. Le D entre les montants du A fait écho au D des portes dans le blason. Dans le blason, il a symbolisé son Art par le jeu de mot sur « Caelo ».  Sitôt que j’ai compris ce jeu de mot, j’ai regardé si CAELO rentre dans MELENCOLIA, comme il devrait. Les lettres en trop donnent LIMEN, qui signifie « portail »…. »seuil, linteau, rempart, maison, frontière, selon le contexte. »

Cette explication fortement argumentée est très séduisante, et cadre bien avec ce que nous comprenons de la fierté égotiste de Dürer.

Malheureusement, elle n’explique pas la présence du I.

ILLE ICON MEA

Pour rajouter notre pierre à l’édifice, nous proposons donc (sans aucune conviction) une nouvelle anagramme égotiste : « Celui là, c’est mon image ».


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Références :
[1] The Melencolia Code, D.R.Finkelstein, 2004 http://www.citizenarcane.com/files/2005/April/21/melencolia_code_by_finkelstein.pdf
[1a] http://www.albrechtdurerblog.com/wp-content/uploads/2012/10/DISCOVERING-THE-DURER-CODE-EXHIBITION-CATALOG-AT-COASTAL-CAROLINA-UNIVERSITY-OCT-8-NOV-23-2012.pdf
[2] Jean Richer, revue Hamsa, L’ésotérisme d’Albrecht Dürer 1, 1977, p 32
[3] Mélancolie(s), Claude Makowski, 2012, p64
[4] MELENCOLIA I.1∗, David Ritz Finkelstein, 2007 http://arxiv.org/pdf/physics/0602185
[5] « A Noir (Melencolia I) » Maurizio Calvesi, Storia del Arte 1:2, 1969, p 90
[6] DÜRER’S « MELENCOLIA I »: A Copernican Interpretation, ROBERT J. MANNING, Soundings: An Interdisciplinary Journal Vol. 66, No. 1 (Spring 1983), pp. 24-33 http://www.jstor.org/stable/41178241
[7] Richter, Leonhard G., « Die Weltchiffre des Menschen bei Pico della Mirandola und Albrecht Dürer », Rodopi, Amsterdam, 2007

6.3 Figures de l’Egotisme

22 mars 2017
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Une Lettre Capitale

Après ces anagrammes plus ou moins acrobatiques, passons maintenant à un jeu avec une seule lettre, qui n’a jamais été exploré jusqu’ici.

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L’angle du pentagone

On a depuis longtemps remarqué que l’échelle fait par rapport à la verticale un angle très proche de 18° (avec les réserves habituelles liées à la variabilité des tirages).

Or cet angle vaut PI/10, autrement dit le demi-angle d’un pentagone, ou encore le demi-angle d’une pointe de l’étoile à cinq branches. D’où d’innombrables tentatives pour montrer que Dürer a construit sa gravure avec des pentagrammes. Comme cette figure géométrique est régie par le nombre PHI, et que le format de la gravure l’est également (voir carré), il n’ait pas exclu qu’il y en ait une effectivement. Mais nous ne l’avons pas découverte.


L’angle du A

Il se trouve que l’angle de 18° a peut-être une raison moins noble, plus égotiste, d’être ainsi mis en valeur dans la gravure. Plutôt que d’inviter à la traque des pentagrammes occultes, il pourrait s’agir plutôt d’une sorte de marque de fabrique  : l’angle du A selon Albrecht. Car le logo de l’atelier Dürer était connu de toute l’Europe, et plagié : un collègue particulièrement favorisé par ses initiales, Albrecht Altdorfer, signait même d’un A à l’intérieur d’un autre A, surpassant le maître en terme de célébration auto-référente.

Alphabet mnemotechnique Johannes Romberch, Congestiorum Aertficiose Memorie, 1553
Alphabet  mnémotechnique
Johannes Romberch, Congestiorum Aertficiose Memorie, 1553

On voit ici la lettre A associée avec une échelle, une idée que le spectateur lettré aurait donc pu avoir.


Le A de Pacioli

Fra_Luca_Pacioli_Letter_A_1509
De divina proportione
Luca Pacioli, 1509

Ce livre comporte 23 illustrations montrant comment tracer des lettres harmonieuses avec la règle et le compas, en n’utilisant que des droites et des cercles. Le A de Pacioli s’inscrit dans un carré divisé en quatre, et possède un demi-angle au sommet de 22,5°.

Le A de Dürer

A Underweysung
Instructions pour la mesure à la règle et au compas
Dürer,1528, [1]

Dürer reprend les idées de Pacioli et donne tous les gabarits permettant d’inscrire les lettres dans un carré divisé en quatre. De manière générale, les traits pleins doivent avoir comme épaisseur un dixième (pour un carré de côté 1) ; et les traits déliés , un trentième.  Concernant le tracé du A, voici le principe : on trace deux points en bas du carré, à une distance de un dixième des angles, qui serviront de point de départ aux deux jambes. Du fait de leurs épaisseurs différentes (la jambe gauche déliée et la jambe droite pleine) on doit ajuster les points d’arrivée sur le bord supérieur du carré,  de part et d’autre du centre (Dürer explique précisément comment). Ceci donne, pour la jambe de gauche un angle de 20° (sa tangente vaut 11/30). Mieux que Pacioli, mais tout de même assez différent des 18° de l’échelle.


Le A retourné

Melencolia_LettreA_seule
Rappelons-nous qu’une gravure est tracée à l’envers : si nous inversons latéralement le A de Dürer, la jambe pleine passe à gauche : et son angle de 18,43°  ( tangente 1/3) se confond pratiquement avec celui de l‘échelle. Il y a mieux : la largeur de la jambe pleine est, comme nous l’avons dit, le dixième de la largeur du carré. Or la largeur de l’échelle correspond justement à cette proportion de la largeur de la gravure.

Le A du monogramme

Melencolia_Monogramme
Y a-t-il un rapport entre le A des « Instructions » et un autre A très célèbre, celui du monogramme ?
L’angle est-il le même, et comment le  déterminer  ?

Le A dans le carré

Nous avons remarqué (voir 2 La question du Carré) que les nombres du carré, si on les suit dans l’ordre croissant, forment des motifs de « ponts ». Comme pour nous inviter à cette lecture séquentielle, le cadran solaire affiche deux séries de nombres : 9 à 12 et 1 à 4. En  les reportant dans le carré magique, nos faisons apparaître le « grand pont » et le « petit pont » :  autrement dit le A du monogramme.
Melencolia_Monogramme_Carre


L’angle du A du monogramme

Si le quadrillage 4×4 nous donne le module permettant de tracer le A du monogramme, sa pente est facile à calculer : elle vaut 1/3, autrement dit le même angle de 18°45 que pour le grand A  des « Instructions » (retourné).

Le grand A sur la gravure

Il ne reste donc plus qu’à tracer un grand A de Dürer retourné, selon la méthode qu’il indique. Remarquons que les deux cercles qui définissent le profil du bas des jambes doivent avoir, selon Dürer, le septième du côté du carré. Autrement dit, dans la gravure, la mesure du carré magique. On retrouve donc, dans la construction de la lettre comme dans la composition de la gravure, le même choix de proportions simples (1/3, 1/7, 1/10).

Melencolia_LettreA

Superposons notre grand A à la gravure : non seulement la jambe gauche coïncide avec l’échelle, mais le reste de la lettre s’intègre plutôt bien à la composition : le putto, avec son stylet et son ardoise, se retrouve logé dans le triangle supérieur du A. Melencolia, elle, est coupée en deux : la main qui tient le livre et le compas se retrouve dans le trapèze inférieur de la lettre, l’autre main reste à l’extérieur.

Les six objets de l’Ecriture

Il est intéressant que les deux mains qui tiennent des outils d’écriture soient confinées dans les deux compartiments internes de la lettre. Tandis que les quatre autres objets liés à l’écriture, le panonceau, le carré magique, la signature et l’encrier se retrouvent à l’extérieur de la Lettre.

Les quatre signatures

Nous savons que Dürer a signé deux fois la gravure : une première fois en bas, juste au-dessus de la patte droite du grand A.

Une deuxième fois en bas du carré magique. On peut d’ailleurs également lire A et D comme l’abréviation de Anno Domini, que l’on rencontre fréquemment à côté des dates : d’où une équivalence flatteuse entre Dürer et  Domini.

Si Finkelstein a raison avec son anagramme « LIMEN CAELO » (voir 6.2 Devinettes acrobatiques), Dürer a apposé sa signature à un troisième emplacement, cette fois en haut à gauche du grand A.

Par raison de symétrie, nous nous attendons donc à trouver une quatrième signature juste au dessus de la patte gauche du grand A.

L’encrier de Dürer

Comment nomme-t-on en latin un « encrier décoré » ? « Atramentarium Decoratum ». Tandis que le clou près des trois clous ironise sur les difficultés de Dürer l’artisan , l’encrier près de la boule pourrait faire allusion à Dürer le courtisan, suffisamment prudent pour côtoyer la fortune sans risquer de grimper dessus.



Melencolia_Encrier

Un objet somptueux rempli d’encre noire, mais frappé du signe de l’Etoile : bel autoportait d’un génie atrabilaire.



Aussi étonnantes que soient ces coïncidences, est-il concevable qu’un artiste de la qualité de Dürer s’amuse, pour une de ses oeuvres majeures, à jouer comme un gamin avec son initiale ?

Tout se passe comme si le thème du A avait servi de principe de composition à usage interne, destiné avant tout à l’artiste et à ses familiers : un peu comme le motif B-A-C-H dans l’« Art de La fugue ».

Que maître Albrecht ait développé des réflexions poussées sur la forme de la lettre A, prima littera, premier caractère de l’alphabet et de son prénom, n’a rien d’étonnant.  Qu’il ait souhaité les intégrer dans une oeuvre conçue comme un compendium dürerien est logique. Qu’il ne les ait pas annoncées à grands coups de trompette est compréhensible : l’égotisme bien tempéré rehausse l’oeuvre,  l’exhibitionnisme l’étouffe.

Mais il y a là peut être plus qu’un jeu formel : du A de l’Alphabet au A de Albrecht, du A des « Instructions » au A du monogramme, on retrouve le même rapport qu’entre l‘Idée – universelle et éternelle, et la Chose – individuelle et mortelle. Pour passer du A qui enseigne au A qui signe, il suffit de lui couper la tête. De la même manière qu’en coupant la pointe d’un cube étiré – un solide qui appartient à tout le monde – on obtient le polyèdre de MELENCOLIA I, une forme qui n’appartient qu’à Dürer.

Le grand A que l’échelle et l’imagination surimposent sur la gravure nous fait voir  l’idée platonicienne, qui régit et qui organise.   Les signatures aux quatre coins n’en sont que les thuriféraires.


Article suivant : 7.1 Du creuset aux clés

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[1] Instructions pour la mesure à la règle et au compas : version digitalisée sur
http://digital.slub-dresden.de/werkansicht/dlf/17139/115/

Le peintre en son miroir : 2a L’artiste comme compagnon

22 mars 2017
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L’artiste ici accompagne le modèle dans le miroir  : tantôt il prend presque autant de place que lui, tantôt il se rapetisse dans l’arrière-plan : mais l’important est de partager avec lui le même cadre.

 

 

Bernardino_Licinioautoportrait

Portrait d’un architecte avec un autoportrait en arrière plan
Bernardino Licinio, vers  1520-1530, Martin von Wagner Museum, Würzburg

Dans cet exemple précoce, la technique ne suit pas encore  : la tête du peintre dans le miroir est trop grande, les lignes qui joignent l’architecte et de son reflet (haut du  béret, oeil)   ne tombent pas sur un point de fuite situé entre les yeux du peintre, mais bien plus à droite.Bernardino_Licinio autoportrait mains


En revanche, l’idée est très astucieuse. Le miroir montre une main gauche tenant un pinceau, reflet inversé de la main droite du peintre, en hors champ : ainsi cette main unique du peintre correspond simultanément aux deux mains de l’architecte :

  • en tant que main droite réelle, à celle qui tient le compas ;
  • en tant que main gauche virtuelle, à  celle qui lève l’index.


L’architecte conçoit avec le compas et donne ses directives avec son index.

Le peintre en revanche, qui ne commande qu’à lui-même, n’a besoin que d’un seul instrument : son index qui fait corps avec son pinceau.

Du coup, il devient possible d’inscrire cette peinture dans le débat (dit du paragone), qui faisait rage à l’époque : de l’Architecture et de la Peinture, quel est l’Art supérieur ? La réponse de Bernardino est limpide : la Peinture. (voir Comme une sculpture (le paragone) )


Larsson

 

Carl Larsson Before the Mirror, 1898

Devant le miroir
Carl Larsson, 1898

Le reflet du Peintre, encadré par une série de rectangles, semble vouloir confiner le reflet du Modèle dans le triangle de son chevalet. Tandis que le modèle en chair, campé à l’extérieur, résiste à cette attraction combinée de la Peinture et du Miroir.


Carl Larsson Before the Mirror, 1898 schema

Cette composition qui semble impeccable est en fait totalement fabriquée, avec trois points de fuite distincts :

  • le point de fuite externe (en jaune) se trouve un peu au dessus de l’oeil du peintre ;
  • celui des reflets (en bleu) un peu plus à gauche, sans doute pour « décoller » le modèle de son reflet ;
  • celui du reflet du parquet (en rouge) encore plus à gauche, comme pour éviter de tout soumette au contrôle de l’oeil du Maître.

 


Matisse

 

 

matisse 1919-the-painting-lesson-La leçon de peinture
Matisse, 1919, Scottish National Gallery of Modern Art,Edimbourg
Vermeer Art de la Peinture 1666Vermeer, L’art de la Peinture, vers 1666, Kunsthistorisches Museum, Vienne

Peint dans une chambre d’hôtel à Nice, ce tableau montre la jeune modèle de 18 ans, Antoinette Arnoux, lisant en compagnie de Matisse qui la peint. Un pinceau posé sur la table fait le lien entre le tableau dans le tableau et la modèle.

La  composition pourrait être une piètre resucée de Vermeer, sans  la présence centrale du miroir, qui associe dans son ovale le bouquet et un palmier. Comme si Matisse avait trouvé là  une première solution graphique pour unifier le modèle et l’artiste, ce dernier symbolisé par l’arbre en forme de pinceau.


A partir de 1935, le dessin au trait va lui permettre,  en s’exonérant de la précision optique, d’exploiter magistralement le pouvoir  unificateur du miroir .

Matisse 1935 Artist and Model Reflected in a Mirror1935, L’artiste et le modèle reflétés dans un miroir Matisse 1936 la modele dans le miroir1936, La modèle dans le miroir
Matisse 1935 Le peintre et son modele1935, Le peintre et son modèle Matisse 1937 Femme nue couchee au miroir1937, Femme nue couchée au miroir
Matisse 1937 Nude Kneeling before a Mirror1939, Nu agenouillé devant un miroir

  Petit, mais supérieur

 

alexei-alexeivich-harlamoff-the-artist-and-his-model 1875 coll part

L’artiste et son modèle
Alexei Alexeivich Harlamoff, 1875, collection particulière

Cette composition place Harlamoff,  grand spécialiste des portraits de petites filles, dans une position de supériorité et d’intimité quelque peu audacieuse avec cette jeune lectrice aux cheveux d’or.


sb-line

Frederick Carl Frieseke Artist and Model

Artiste et modèle, Frederick Carl Frieseke, date inconnue

Un demi-siècle après, la modèle se dévêt sans scandale, entre ces  symboles sensuels que sont les fruits avec la carafe de vin, le bouquet de fleurs et le chat qui ronronne. A moins que plus subtilement ils ne représentent le Goût, l’Odorat et l’Ouïe – la Vue étant quant à elle associée au miroir et le Toucher… à la peau dénudée de la modèle.


lement

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Lucrecia Arana avec son fils, Joaquin Sorolla y Bastida, 1906, Collection privee

Lucrecia Arana avec son fils, Joaquin Sorolla y Bastida, 1906, Collection privée

La mère serre contre elle son fils dans le réel, mais le confie dans le virtuel aux bons soins d’un peintre qui sait garder sa distance.


sb-line

1912 - Corinth-At the mirror Worcester Art Museum

Au miroir
Corinth, 1912, Worcester Art Museum

L’artiste a esquissé son image en haut de la pyramide, de moins en moins distincte,  qui mène de la modèle au reflet. Le miroir a ainsi l’effet paradoxal de transformer la  vue en plongée vers le modèle, en une contreplongée vers le peintre.


sb-line

 

Der-maler-und-jo_oppler_1928Double portrait avec Jo
Ernst Oppler, 1928, Collection privée
1930ca-mela-mutter-model-at-the-mirrorModèle au miroir
Mela Muter, vers 1930, Collection privée

 

Occupant la position dominante en haut à gauche (d’où vient  généralement la lumière), Oppler  affirme son double ascendant sur le modèle : en tant que peintre et en tant que père.

Composition similaire chez Mela Muter, mais avec un effet inverse : en se regardant dans le miroir et en tournant le dos au peintre, la modèle  acquiert une autonomie et une supériorité numérique.


sb-line

 
Painter and Model 1953, John Minton, Russell-Cotes Art Gallery and Museum Bournemouth
 
Painter and Model
John Minton, 1953, Russell-Cotes Art Gallery and Museum, Bournemouth

Composition similaire, mais cadrage et esthétique bien différents : en donnant l’essentiel de l’espace au garçon barraqué, assis en jean et en maillot de corps  blanc, bras et pieds nus,  le peintre longiligne, debout en pantalon strict et chandail noir, semble s’abstraire de toute présence physique et reculer devant une sexualité interdite. Tout le tragique de la destinée de Minton s’inscrit déjà dans ce tableau.


john_minton_young_man_seated_Norman Bowler 1955

 Portrait de Norman Bowler
John Minton, 1955, Collection privée


Le jeune homme est Norman Bowler, un bodybuilder des années 50 qui  était à cette époque le mari d’une des meilleures amies de Minton, Henrietta Moraes.  Figure connue de Soho, elle eut une vie cahotique entre Bacon, Lucian Freund et les drogues. Minton quant à lui se suicida en 1957, car Henrietta lui avait ravi un homme dont il était lui-même secrètement amoureux.

Sur les aspects biographiques du tableau, on peut consulter :
https://peterjamesfield.wordpress.com/2017/01/16/john-minton-and-david-tindle/


sb-line

Cuno Amiet - Autoportrait avec sa femme 1930 coll part

Autoportrait avec sa femme
Cuno Amiet, 1930,  Collection particulière

En se positionnant à la hauteur du visage de son épouse, et en éliminant  la vue de dos du modèle, Cuno Amiet supprime tout effet de suprématie ou de menace et nous offre un portrait de couple harmonieux, où le peintre et mari se met en retrait derrière la beauté de sa femme pour l’admirer en souriant.


Fairfield Porter The Mirror 1966Le miroir
Fairfield Porter, 1966

Porter a choisi  un point de vue plongeant déconnecté de la position du peintre : celui-ci n’est d’ailleurs pas montré en train de peindre à côté de son chevalet, mais planté à côté du poêle, prenant du recul pour évaluer son oeuvre.Fairfield Porter The Mirror 1966 schema


Du coup se crée un effet d’escalier entre la petite bouteille, la petite fille et le peintre, qui échappe à la miniaturisation et reste maître en son royaume.



Viktor Alexandrovich Lyapkalo

 

LYAPKALO viktor-alexandrovich 1989 Self-portrait1989 lyapkalo viktor-alexandrovich
LYAPKALO viktor-alexandrovich 1998 KatyaKatya, 1998 lyapkalo viktor-alexandrovich-2

 

Viktor Alexandrovich Lyapkalo

A contrario, dans ces quatre variations , le point de fuite se confond avec l’oeil de l’artiste, ce qui exclut le spectateur  de cet intimisme spéculaire.

Ce point de vue subjectif et empathique est particulièrement marqué dans les deux derniers tableaux, où le modèle et l’artiste s’assoient et se lèvent conjointement.



Robert Lenkiewicz

 

Robert Lenkiewicz 1990 The Painter with Karen1990 The Painter with Karen Robert-Lenkiewicz-1992-The-Painter-with-Karen.-St-Antony-Theme1992 The Painter with Karen. St Antony Theme
Robert Lenkiewicz 1993 The Painter with Anna. St Antony Theme1993 The Painter with Anna. St Antony Theme Robert Lenkiewicz 1993 The Painter With Lisa Stokes1993 The Painter With Lisa Stokes
Robert Lenkiewicz 1994 Reflections, Painter with Anna,1994 Reflections, Painter with Anna Robert Lenkiewicz Anna in Yellow Kimono at Lower Compton. St Antony themeAnna in Yellow Kimono at Lower Compton. St Antony theme
Robert Lenkiewicz Roxana With Painter St Anthony ThemeRoxana With Painter St Anthony Theme

 


 Petit et dominé

henri moreau

Autoportait avec modèle
Henri Moreau, vers 1930

Rare exemple de domination manifeste : le peintre sans mains et sans cheveux est réduit à la tétée par cette imposante garçonne. Pour autant qu’on puisse en juger par le reflet de son nez, le point de fuite se situe bien en dessous de la ceinture…


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Jan De Maesschalck 1998

Sans titre, Jan De Maesschalck, 1998

Assise sur le marbre de la cheminée, la femme chauffe son pied nu au dessus du cadre de l’âtre, dans lequel elle a déjà jeté une demi-pile de livres ;  et de son pied chaussé elle désigne une autre pile, laquelle semble menacée de se liquéfier dans le miroir.

A l’opposé de l’escarpin, coincé entre le cadre et le reflet du châssis, le peintre semble être le seul à résister, par son regard, à cette dissolution généralisée par la flamme et par la glace.


Voir la suite : 2b L’Artiste comme détail

Pendants nature morte : France

4 mars 2017
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Nous sommes habitués à l’idée que les natures mortes sont des assemblages d’objets réunis par le caprice de l’artiste pour des raisons de couleur, de texture, d’équilibre des formes et des masses, et aboutissant à une harmonie mystérieuse par des voies subjectives et impénétrables. Il y bien sûr de cela, et la jouissance du caractère fortuit et arbitraire de ces rencontres fait partie du plaisir de la contemplation.

Mais lorsque ces natures mortes sont composées en pendants, nous allons voir que la plupart du temps, il y a une idée derrière, quelquefois toute simple, quelquefois très élaborée.



 

Alexandre-Francois Desportes Still Life with a Dog 1705 Staatsgemaldesammlungen, Gemaldegalerie SchleissheimNature morte avec un chien (Le menu de gras) Alexandre-Francois Desportes Still Life with a cat 1705 Staatsgemaldesammlungen, Gemaldegalerie SchleissheimNature morte avec un chat (Le menu de maigre)
Alexandre-François Desportes,
1705, Staatsgemäldesammlungen, Gemäldegalerie Schleissheim

A la cuisine, sur une table de bois, le chien attaque par le bas et la gauche un jambon à l’os qui vient de revenir du repas, accompagné d’un pâté à demi-entamé.

Sur la laque de marbre de la desserte, le chat attaque par le haut et la droite une assiette d’huitres, accompagnée d’une poignée de harengs.

Dans chaque tableau, un panier d’osier (cerises et huitres), une miche, deux assiettes en argent et deux viandes, grasses et maigres. L’aiguière en argent fait pendant à la carafe de vin rouge pour compléter la symétrie.



Chardin

Chardin 1728 Still Life With Cat and Fish Museo Thyssen-Bornemisza, MadridChat avec tranche de saumon, deux harengs, mortier et pilon Chardin 1728 Still Life With Cat and RayFish Museo Thyssen-Bornemisza, MadridChat avec raie, huitres, cruchon et miche de pain

Chardin, 1728, Musée Thyssen-Bornemisza, Madrid

Un chat roux et un chat noir, surgissant des deux bords externes, attaquent simultanément une tranche de saumon posée sur un couvercle d’argent, et des huitres posées derrière une miche. Au dessus, deux harengs et une raie se font face, pendus à des crochets en miroir. En bas, un petit poireau et un couteau font saillie en avant de la table. Deux récipients aux tonalités brunes se répondent : un égrugeoir avec son pilon et une cruche.


Chardin 1728 Still Life With Cat and Fish Museo Thyssen-Bornemisza, Madrid detail centre  Chardin 1728 Still Life With Cat and RayFish Museo Thyssen-Bornemisza, Madrid detail centre

Cette très forte symétrie est brisée visuellement par la subtilité de la composition :

  • à gauche, l’égrugeoir décalé près du bord  aère le centre et ménage une échappée pour le regard, par l’espace vide juste sous la queue des harengs ;
  • à droite, la cruche placée au centre, devant un plat plaqué contre le mur, bouche le fond et focalise le regard sur le point  de rencontre de quatre objets, au bout de la patte du chat.


Chardin 1728 Still Life schema
Ainsi les pendants sont animés par une double dynamique :

  • l’irruption latérale des chats ;
  • la propagation inverse du regard, qui à gauche  s’enfonce et à droite rebondit.


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Chardin 1728 ca Carafe d'eau avec gobelet d'argent citron pele pommes et poires Kunsthalle KarlsruheCarafe d’eau avec gobelet d’argent citron pelé, pommes et poires Chardin 1728 ca Pot d etain avec plateau de peches, prunes et noix Kunsthalle KarlsruhePot d’étain avec plateau de pêches, prunes et noix

Chardin, vers 1728,  Kunsthalle, Karlsruhe

Ce pendant, réalisé la même année, suit  les mêmes principes de composition.

1) Forte symétrie entre les grandes  masses :

  • sur la gauche de chaque tableau, un fruit ouvert : citron et noix.
  • sur la droite, une rencontre de fruits : pomme et poires, prunes et plateau de pêches.

2) Décalage d’un objet pour d’un côté libérer le centre et de l’autre le boucher :  ici,  il s’agit du gobelet et du pot, la différence de taille  accentuant encore l’effet. De plus, le reflet des pêches sur le métal argenté, à droite, contribue au piégeage du regard ; tandis que la transparence de la carafe, à gauche, lui offre une échappée vers le fond.



Chardin 1728 ca Kunsthalle Karlsruhe schema
Ce pendant fonctionne en parallèle, les deux tableaux pouvant se superposer : il n’y a donc pas de sens privilégié pour l’accrochage.

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chardin 1731 Nature morte au carre de mouton Musee des Beaux Arts BordeauxNature morte au carré de mouton
Chardin, 1731, Musée des Beaux Arts, Bordeaux
chardin 1731 Nature morte a la raie et au panier d'oignons North Carolina Museum of Arts RaleighNature morte à la raie et au panier d’oignons
Chardin, 1731, North Carolina Museum of Arts, Raleigh

Chardin reprend  l’idée du pendant de 1728 : mais en regard de sa raie fétiche, il suspend  maintenant une tranche de mouton, à la place de la tranche de saumon.



chardin 1731 carre raie schema
La symétrie est bien moins systématique (on ne peut pas apparier le poulet, la miche, l’égrugeoir et le poêlon), et on n’a plus l’opposition entre centre ouvert et centre fermé. La présence de la volaille, côté raie, dément l’opposition entre Viandes et Poissons. Il y a clairement ici une recherche de naturel, de spontané, qui rompt avec les pendants précédents.

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Chardin 1731 Le menu de gras louvreLe menu de gras Chardin 1731 Le menu de maigre louvreLe menu de maigre

Chardin ,1731, Louvre, Paris

La même année cependant, Chardin revient à une composition très logique dans l’un de ses pendants les plus élaborés.

Côté jours gras, une pièce de boeuf suspendue, une salière à côté d’une cuillère en bois, deux rognons crus et des carafes de vin.

Côté jours maigres,  trois harengs suspendus,un égrugeoir avec son pilon, deux oeufs durs et un gril, associé à un brasero.



Chardin 1731 Le menu de gras maigre schema
Il s’agit ici d’un pendant « en miroir », dans lequel  les objets se répondent dans une symétrie parfaite. Les ouvertures des deux récipients métalliques avec anse se font face (en jaune) , imposant le sens d’accrochage.

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Après une vingtaine d’années consacrée à la peinture de genre, Chardin revient à la nature morte. Dans les pendants qu’il réalise alors, il  ne propose plus au spectateur de rechercher une  symétrie plus ou moins voilée, mais au contraire de jouir d’une diversité de couleurs, de substances,  de matières, échappant à toute règle et traduisant le naturel de la vie.

Désormais, ce n’est plus la forme, mais  le sujet qui va faire  l’unité des  pendants.


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chardin 1756 la_table_d office musee des beaux arts CarcassonneLa table d’ office (dit aussi Les débris d’un déjeuner)
Chardin, 1756, Musée des Beaux Arts,  Carcassonne
chardin 1756 la_table_de cuisine museum of Fine Arts, BostonLa table de cuisine
Chardin, 1756, Museum of Fine Arts, Boston

Côté salon, l’exposition d’un déjeuner raffiné : pâté, fruits nature  et en bocaux, boîte de confiseries, pain de sucre, huilier et vinaigrier autour du pot à oille et de son plateau (un récipient dédié à la présentation des viandes en sauce). L’ustensile de gauche est un réchaud à l’esprit de vin avec sa marmite en argent. « Une table en cabaret en vernis Martin avec ses tasses et son sucrier en porcelaine de Chine, introduit un plan intermédiaire entre la table d’office semi-circulaire et l’espace du spectateur. » [1]

Côté cuisine, l’envers du décor, la table de travail dans toute sa crudité : carré de mouton, poulet à plumer, rognons.

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Chardin 1756 Le melon entame Louvre ParisLe melon entamé Chardin 1756 Le bocal d abricots Louvre ParisLe bocal d’abricots

Chardin, 1756, Louvre, Paris

Cette composition semble à première vue totalement arbitraire : aucun rapport logique ni visuel entre les deux vues, sinon la présence de la table. Et pourtant elles donnent une impression de forte complémentarité.



Chardin 1756 schema
Une manière de l’expliquer serait de remarquer que dans les deux, des objets manufacturés, de tonalité rouge et blanche, flanquent des fruits au naturel (réduits à droite à un unique citron). Dans cette manière de voir, le couteau qui fait saillie d’un côté vient compléter de l’autre la tranche de melon.

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Chardin 1759 Panier de prunes et verre d'eau Musee des Beaux Arts, RennesPanier de prunes et verre d’eau
Chardin, 1759, Musée des Beaux Arts, Rennes
Chardin 1758 Plateau de peches StrasbourgPanier de pêches et verre de vin
Chardin, 1759, Musée des Beaux Arts, Strasbourg

On voit ici apparaître un nouveau principe de composition, par substitution de substances. Ainsi chaque tableau montre, de gauche à droite :

  • un récipient (verre d’eau ou de vin),
  • un fruit en grappe (raisin ou cerises),
  • une pyramide de fruits à noyau (prunes, pêches),
  • un ustensile (panier, couteau),
  • des fruits à coque (amandes, noix).


Pourtant, ce n’est pas ce Panier de pêches qui a été retenu pour être exposé en pendant au Panier de prunes, mais une autre version, bien moins symétrique :

Chardin 1759 Panier de prunes et verre d'eau Musee des Beaux Arts, RennesPanier de prunes et verre d’eau Chardin 1759 Peches et raisins avec un rafraichissoir Musee des Beaux Arts, RennesPêches et raisins avec un rafraîchissoir

Chardin, pendants exposés au  salon de 1759, Musée des Beaux Arts, Rennes

Si la substitution des substances fournit de nouveaux sujets, elle reste une  facilité qu’il vaut mieux éviter de monter en pendant.

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Chardin 1763 La brioche LouvreLa brioche Chardin 1763 Raisins et grenades 1763 LouvreRaisins et grenades

Chardin, 1763, Louvre, Paris

Deux récipients en porcelaine blanche sont mis en parallèle, tandis qu’une liqueur rouge fait le lien  entre les récipients transparents (flacon et verres).



Chardin 1763 schema
Une fois masqués les objets de transition, la composition tripartite apparaît dans toute son efficacité. Le placement des deux récipients et des deux desserts dans des colonnes différentes  fait apparaître des ressemblances de forme :  en position centrale, la brioche à la panse rebondie révèle son homologie avec l’aiguière, tandis que l’écuelle de Meissen prête à s’ouvrir s’avère analogue à la grenade.

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Chardin 1764 La theiere blanche Musee des Beaux Arts AlgerLe pot de faience blanche (Still Life with a White Mug)
Chardin, 1764,  National Gallery of Arts, Washington
Chardin 1764 La faience blanche Still Life with a White Mug National Gallery of Arts WashingtonLa théière blanche
Chardin, 1764, Musée des Beaux Arts, Alger

Là encore, deux récipients en porcelaine blanche sont mis en parallèle.  Escortés d’une poire, ils flanquent un amas central : grappe de raisin ou trio de pommes.

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chardin 1768 Le gobelet d'argent LouvreLe gobelet d’argent chardin 1768 Poires, noix et verre de vin LouvrePoires, noix et verre de vin

Chardin, 1768, Louvre, Paris

Dans ce pendant tardif, Chardin livre  ouvertement son procédé par  substitution :

  • du gobelet métallique au verre transparent,
  • des trois pommes rouges aux trois poires vertes,
  • des deux châtaignes fermées aux deux noix ouvertes,
  • de la cuillère dans le bol au couteau nu,

une transmutation de substances affecte simultanément les quatre éléments du Goûter :

  • le récipient pour boire,
  • le fruit à pépin,
  • le  fruit à coque
  • et le couvert.



Peter Jacob Horemans Nature morte a l homme distingue, 1765 Staatsgalerie im Neuen Schloss, BayreuthNature morte à l’homme distingué Peter Jacob Horemans Kuchenstillleben_mit_weiblicher_Figur_und_Papagei_-_1760 Staatsgalerie im Neuen Schloss, BayreuthNature morte la femme au perroquet

Peter Jacob Horemans , 1765, Staatsgalerie im Neuen Schloss, Bayreuth

Le gentilhomme a sorti du rafraîchissoir une carafe de vin, dont il se verse un verre. On lui a servi un en-cas froid sur le bord de la desserte, laquelle expose, autour de l’aiguière d’apparat, une parure décorative de fruits et de légumes.

Dans l’autre pendant, une jeune servante souriante laisse un perroquet prendre  dans son bec une des roses  dont elle a orné sa poitrine. Elle s’est servi un café sur le bord de la table de la cuisine, sur laquelle un assortiment de viandes attend sur la planche à découper.

Incongru dans la cuisine, il faut voir le perroquet comme un émissaire du monde des maîtres dans celui des  domestiques  : peut-être vient-il d’apporter à la servante une rose chipée sur la desserte, substitut galant du gentilhomme qui ne peut se permettre un tel hommage (voir Le symbolisme du perroquet )


Oudry Faisan lievre et perdrix rouge 1753 LouvreLe canard blanc
Oudry, 1753, Cholmondeley Castle
Oudry Faisan lievre et perdrix rouge 1753 LouvreFaisan, lièvre et perdrix rouge
Oudry, 1753, Louvre, Paris

D’un côté, deux objets blancs flanquent un canard blanc, pendu à la renverse devant un mur de pierre blanche.

Se l’autre, trois cadavres d’animaux superposent leurs couleurs fauves devant une cloison de planches.

Ainsi le pendant oppose :

  • un animal domestique et des animaux sauvage ;
  • la cuisine et le cabinet de chasse ;
  • trois masses séparées et  trois masses fusionnées ;
  • le blanc à la diversité des couleurs.

En ajoutant dans le premier tableau deux autres objets blancs (le papier avec la signature et la serviette), Oudry nous propose un sujet de réflexion proprement pictural :

n’y a-t-il pas autant de blancs  que de couleurs ?



Jeaurat de Bertry, Nicolas Henry 1777 Devants-de Cheminee A Writing Desk coll privee Jeaurat de Bertry, Nicolas Henry 1775 Devants-de Cheminee Naturalist Manual And Objects Resting On A Table coll privee

Devants de Cheminée
Jeaurat de Bertry (Nicolas Henry), 1775, Collection privée

Ces trompe-l’oeil figurent tout deux des cheminées ouvertes, flanquées  de leurs ustensiles : à gauche les pincettes et à droite une forte  pince, la pelle passant d’un côté à l’autre. Au fond, on distingue la plaque fleur-de-lysée.

A gauche, un cabinet en marqueterie porte un nécessaire d’écriture, un bâton de cire à cacheter et la bougie qui va avec. Trois documents sérieux sont exposés : l’ Oraison funèbre du roi Louis, un Dictionnaire de l’Industrie, et une lettre adressée à « Monsieur Duchesne, Contrôleur des Rentes, rue Saint André des Arts. » Sur le fauteuil, un gros livre et un rouleau de plans ou de cartes. Sur le sol, un buste de femme aux yeux vertueusement fermés, à côté d’une  corbeille à papiers remplie de partitions froissées.  L’ambiance n’est pas aux loisirs, mais au seul « Travail » qu’on peut exiger d’un aristocrate : la correspondance et l’administration de ses biens.

A droite, une table porte elle-aussi un nécessaire d’écriture et un « Manuel du Naturaliste dédié à M. de Buffon » sur lequel la plume sèche encore. A côté, un coquillage exotique, des pierres de collection et une vipère dans un bocal sont les objets d’étude du dit naturaliste. Lequel s’y connait aussi en Géographie (voir le globe) tout en touchant à la Musique : violon, cor, flûte, et partition des « Dances amuzantes », devant un gros volume de l’Encyclopédie.  Ce second panneau, dédié à l’Etude et aux Loisirs, complète  ce portrait muet d’un Homme de Qualité.


Carolus Duran Nature morte aux gibiers 1866 Coll priveeNature morte aux gibiers Carolus Duran Nature morte aux poissons 1866 Coll priveeNature morte aux poissons

Carolus Duran, 1866, Collection privée

Le seul élément unificateur de ces deux pendants est son magnifique clair-obscur, qui  fait ressortir les plumes cendrées du canard et la luminescence globuleuse de la raie. Pas d’autre logique désormais que celle du sujet : produits de la chasse versus produits de la pêche.



Références :
[1] Chardin par P.Rosenberg, 1999, p 266

Pendants nature morte : bodegons

3 mars 2017
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L’Espagne a une tradition particulière de natures mortes très réalistes, les bodegons, parmi lesquelles les pendants sont fréquents.



Van der Hamen

 

Van der Hamen 1621 Nature morte avec fruits et oiseaux Escorial Madrid 56 x 74Nature morte avec fruits et oiseaux
Van der Hamen, 1621, Escorial Madrid (56 x 74 cm)
Van der Hamen 1623 Nature morte avec fruits et oiseaux Escorial MadridNature morte avec fruits et oiseaux
Van der Hamen, 1623, Escorial Madrid

Sur la nappe rouge, un jour de beau temps, un chardonneret et  une mésange se disputent des grains de raisin.
Sur la nappe noire, un jour d’orage, les mêmes se disputent des grains de grenade.

A gauche, on voit dans le bol chinois et sur la table des abricots, des raisins, des pommes et des poires. Nous sommes en Eté.  A droite, les abricots ont été remplacés par des grenades, et les oiseaux se sont raréfiés. Nous sommes en Automne.

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Van der Hamen 1623 Cardon et paysage d hiverCardon et paysage d’hiver Van der Hamen 1623 Bol chinois avec peches et raisins paysage d'eteBol chinois avec pêches et raisins, paysage d’été

Van der Hamen, 1623, Collection privée, 67×104 cm

Le coing et le cardon se récoltent au début de l’Hiver, juste avant les premiers frimas, tandis que les pêches et les courgettes sont des fruits de l’Eté.

Ainsi chacune des deux saisons opposées est illustrée par un fruit et par un légume.

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van der hamen Still-lifes with vases of flowers and a dog (left) and a puppy (right), c. 1625 Museo del Prado, Madrid

Vases de fleurs avec un chien (à gauche)  et un chiot (à droite)
Juan van der Hamen, vers 1625, Prado, Madrid

Ces deux panneaux décoraient le palais de   Jean de Croÿ à Madrid. Ils étaient accrochés, sans cadre, des deux côtés d’un passage menant à la galerie de peintures, et donnaient probablement l’illusion de prolonger le sol de la pièce.

A gauche, on remarque sur le sol un rafraîchissoir à vin. Sur les dessertes recouvertes de velours vert, des mets délicats attendent le visiteur : cerises dans un bocal, horloge marquant cinq heures (l’heure de la collation), plat de gateaux, aiguière d’aloja (une boisson aromatique de l’époque).

Les deux grands vases en bronze dorée et verre contiennent de splendides et impossibles bouquets, car toutes ces fleurs ne fleurissent pas au même moment de l’année.

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Van der Hamen 1626 Vertumn et Pomone Banco di EspanaPomone et Vertumne
Van der Hamen, 1627, Prado, Madrid
van der Hamen 1627_Offering_a_Flora PradoL’Offrande à Flore
Van der Hamen, 1626, Banco di Espana

Pomone et Vertumne

A gauche, pour séduire la nymphe Pomone, le dieu des jardins, Vertumne, s’est métamorphosé en vigneron qui lui offre des grappes de raisin.  Selon Ovide, avant d’arriver à ses fins, il lui aura fallu prendre quatre apparences successives : laboureur, moissonneur, vigneron et enfin vieille femme, correspondant au quatre saisons du printemps à l’hiver. Le fait que Pomone lui tende une pomme sortie de sa corne d’abondance semble préfigurer sa reddition imminente, lors de la prochaine et dernière métamorphose.


L’Offrande à Flore

Souvent associée à Pomone, Flore aurait été une riche courtisane romaine qui fut ensuite divinisée comme déesse des fleurs : d’où la magnifique jonchée que sa corne d’abondance déverse. La statue gaillarde qui la surplombe pourrait être une allusion à ses antécédents érotiques.  Pour faire pendant au vieux vigneron avec ses grappes, Van der Hamen a imaginé le jeune page qui offre une un bouquet de roses.


La logique du pendant

Il illustre la déesse des fruits et la déesses des fleurs, deux femmes difficiles qui ne sortent pas avec n’importe qui.

Vénus, déesse de l’Amour,  est présente indirectement dans les deux tableaux par son emblème fruitier (la pomme) et par son emblème floral (la rose).


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Van der Hamen 1629 Bodegon con cerezas Coll part 79 x 99 cmNature morte avec un plat d’argent rempli de figues Van der Hamen 1629 Bodegon con cuenco de ceramica china azul y blanca con ciruelas 79 x 99,6 cmColl PartNature morte  avec un bol de porcelaine chinoise empli de prunes

Van der Hamen, 1629,  Collection  particulière

A partir de 1626, Van der Hamen met au point une nouvelle formule pour ses  pendants : les objets sont présentées sur des marches de pierre, qu’il faut apparier de manière à ce que le point de fuite commun se situe au entre les deux.



Van der Hamen 1629 Bodegon schema
Une sorte de croisement se produit entre le contenu des paniers et celui de la marche inférieure.  A noter aussi qu’il y a deux sources de lumière (à gauche en haut et en bas), puisque tous les plats ont deux ombres.

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Van der Hamen 1629 Still_Life_with_Fruit and Glassware Williams College Museum WilliamstownNature morte avec fruits et récipients en verre
Van der Hamen, 1629, Williams College Museum Williamstown
Van der Hamen 1629 Still_Life_with_Flowers_and_Fruit MET NYNature morte avec fleurs et fruits
Van der Hamen, 1629, Metropolitan Museum, New York

On retrouve le même dispositif dans cette composition somptueuse, où la profusion de fruits et de légumes, sans compter le vase de fleurs, prime sur toute symétrie.
Van der Hamen 1629 Still_Life_schema


Luis Melendez

 

Melendez 1770 ca Still Life with Game north carolina museum of Art raleighNature morte avec raisins, figues et une bassine de cuivre Melendez 1770 ca Still Life with Grapes, Figs, and a Copper Kettle north carolina museum of Art raleighNature morte avec deux pigeons et une bassine de cuivre

Melendez, vers 1770, North Carolina Museum of Art, Raleigh

A gauche la bassine est ouverte et le plat retourné sur la table ; à droite la bassine est fermée et la pile d’assiette expose une abondance de figues. En plus de cette dialectique du couvert et du découvert,  le pendant joue avec le thème du couple : à gauche deux pigeons et deux sachets de sucre, à droite deux grappes de raisin blanc et noir.

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Melendez 1771A Bodegon con plato de uvas, melocotones, peras y ciruelas en un paisaje PradoNature morte avec un plat de raisin, des pêches,des poires et des prunes dans un paysage Melendez 1771A Bodegon con melon y brevas, manzanas, bota de vino y cesta de merienda en un paisaje PradoNature morte avec un melon et des figues, des pommes, une gourde  de vin et un panier avec du pain dans un paysage

 Melendez, 1771, Prado, Madrid

La même montagne à l’horizon, sous un ciel tantôt bleu et tantôt gris, sert de point de jonction dans cette composition en V. Le panneau de gauche évoque, avec ses deux étagères rocheuses,  une exposition à la Van der Hamen à but purement décoratif. Le panneau de droite, avec ses trois ustensiles (couteau, gourde et panier de pique-nique) rajoute  une présence humaine.

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Melendez 1771B Bodegon con granadas, manzanas, acerolas y uvas en un paisaje PradoNature morte avec des grenades, des pommes, des cerises et des raisins dans un paysage Melendez 1771B Bodegon con sandias y manzanas en un paisaje PradoNature morte avec des pastèques et des pommes dans un paysage

 Melendez, 1771, Prado, Madrid

Cette autre composition en V permet de comparer l’éclatement rouge et rose des grenades et des pastèques.

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Melendez 1773 Bodegon con plato de albaricoques y guindas PradoNature morte avec un plat d’abricots et des cerises Melendez 1773 Bodegon con plato de peras y guindas PradoNature morte avec un plat de pêches et des cerises

Melendez, 1773, Prado, Madrid

Des abricots tombés sur la table servent de point de jonction à cette discrète composition en V, esquissée par l’inclinaison contraire de la branche d’abricotier et de la branche de cerisier.

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Melendez 1772 ca Still Life with Bread, Ham, Cheese, and Vegetables Musum of Fine Arts, BostonNature morte avec pain, jambon, fromage et légumes Melendez 1772 ca Still Life with Still Life with Melon and Pears Museum of Fine Arts, BostonNature morte avec melon et poires

Luis Melendez, vers 1772 , Museum of Fine Arts, Boston

Comme Melendez a utilisé le même vocabulaire graphique dans un grand nombre de natures mortes ayant des formats identiques, il est difficile d’avoir la certitude que deux panneaux sont d’authentiques pendants,  et non  des variantes destinées à être vendues séparées.

C’est le cas de ces deux panneaux, vendus ensemble, ayant la même taille et fortement corrélés. Ainsi de gauche à droite, ils exposent les mêmes types d’objets :

  • une seule assiette ou une pile ;
  • un grand plat de terre ouvert ou un petit plat avec couvercle ;
  • une bouteille de vin ou une bouteille d’eau (dans un rafraîchissoir en liège) ;
  • une cruche ouverte avec sa cuillère, et un pot fermé avec la cuillère posée sur le couvercle ;
  • une grande forme sphérique : pains avec entaille ou melon côtelé.

Cependant, le fromage dans son papier, à gauche, et le pain dans le linge du panier, à droite, échappent à cette symétrie simple.

On peut néanmoins remarquer que le tableau de gauche expose des récipients ouverts et des objets entaillés  (le jambon, le fromage, la tomate coeur de boeuf, le pain avec sa balafre, le tesson posé sur la cruche) tandis que celui de droite montre des récipients fermés et des objets intacts  :

dialectique du tranché et du plein que résument assez bien les deux ustensiles symboliques : le couteau et la cuillère.



Habillé/déshabillé : la confrontation des contraires

19 février 2017
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On ne compte plus les tableaux où une femme nue s’expose à côté d’un homme habillé : les Trois Grâces, les nymphes de tous poils, les saintes martyres, les modèles dans l’atelier ou les déjeuners sur l’herbe fournissent des prétextes variés à cette situation, très recherchée du point de vue masculin.


Nicolas Regnier - St Sebastian tended by the holy Irene ca 1650

Saint Sébastien soigné par Sainte Irène
Nicolas Régnier, 1626–30, Ferens Art Gallery, Hull

L’inverse, l’homme nu à côté d’une femme habillée, est beaucoup plus rare dans la peinture classique. Mis à part les sujets dont la caractère religieux désamorce l’inconfort de la situation (les Piéta, les Saint Jean Baptiste et Salomé, les Saint Sébastien soigné par Sainte Irène), on compte sur le bout des doigts ces confrontations explosives…

Amour et Psyche Gentilesch 1628-30 Ermitage Saint PertersbourgAmour et Psyche,
Gentileschi, 1628-30, Ermitage, Saint Pertersbourg
Johannes Cornelisz Verspronck Roman charity 1633-35La charité romaine Johannes Cornelisz Verspronck  1633-35, Collection privée

…quelques « Amour et Psyché », quelques « Charité Romaine » [1]

En dehors de ces situations sexuellement dangereuses, nous allons nous intéresser à des oeuvres où la chair nue interagit avec la chair habillée de manière chimiquement pure, soit entre deux hommes. soit entre deux femmes.

Pour le cas particulier de la confrontation entre une homme en armure et une femme nue, voir A poil et en armure



L’homme nu et l’homme habillé

Sweerts Clothing the naked 1661 MET
« Habiller le nu »
Michael Sweerts, 1661, Metropolitan Museum, New York

Le cadrage rapproché met en valeur le contraste entre la chair et le velours, sans qu’il soit ici nullement question de sensualité entre ces beaux jeunes hommes. La composition illustre les paroles de Jésus :

« Car j’ai eu faim, et vous m’avez donné à manger; j’ai eu soif, et vous m’avez donné à boire; j’étais étranger, et vous m’avez recueilli; j’étais nu, et vous m’avez vêtu; j’ai été malade, et vous m’avez visité; j’étais en prison, et vous êtes venus à moi. «  Mathieu 25,35:36

Placer l’homme nu à gauche a un double avantage :

  • le sens de la lecture correspond au sens du tableau (du nu vers le vêtu) ;
  • le jeune homme riche présente de sa main droite la chemise immaculée, à forte valeur rédemptrice, tandis que sa main gauche escamote le pantalon prosaïque.

Catholique convaincu, proche du renouveau religieux autour de Saint Vincent de Paul, Sweerts a peint ce tableau à Amsterdam, juste avant de s’embarquer vers l’Orient avec un groupe de missionnaires.



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Vêtir les dévêtus,
Michael Sweerts, entre 1646 and 1649, Rijkmuseum, Amsterdam

Une dizaine d’années auparavant, il avait déjà illustré ce sujet de manière moins percutante, au sein d’une série de sept tableaux illustrant les Sept Oeuvres de Charité.

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Large Interior W9, London
Lucian Freud, 1973, Chatsworth House, Derbyshire

Dans la tradition familiale, le petit-fils de Sigmund place ici sa propre mère, Lucie Freud, en situation d’analyste ; et sa compagne d’alors, Jacquetta Eliot, en situation d’analysante. L’opposition nu/vêtu recoupe à la fois l’opposition jeunesse/vieillesse et l’opposition parole/silence : parler, c’est se dénuder ; écouter, c’est ne pas se découvrir d’un fil.
Le mortier du peintre, broyant du gris et en position de pot de chambre, est une signature phallique qui laisse ouvertes toutes les interprétations.



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Large Interior, Notting Hill
Lucian Freud, 1998, Collection privée

Lucian Freud ne recherchait pas systématiquement le scandale, mais n’aimait pas les imprévus. Derrière le whippet Pluto dormant et l’écrivain Wyndham lisant du Flaubert, c’est sa modèle Jerry Hall qui posa durant de longs mois, donnant la tétée à son bébé en hommage à la Tempête de Giorgione. Comme un jour elle était malade, Freud de rage remplaça son visage par celui de son assistant, le peintre David Dawson [2] .

L’opposition nu/vêtu s’enrichit ici d’une opposition de textures (cuir fauve du canapé contre drap blanc de la chaise) et d’une métaphore entre le livre et le bébé, fruit de l’écrivain/fruit de la femme.



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L’époustouflante vue plongeante nous laisse percevoir, dans notre traversée de l’atelier immobile et baigné de soleil, quatre mouvements minuscules :

  • la respiration du chien qui dort,
  • les allers-retours de l’oeil qui lit,
  • la succion des lèvres qui tètent
  • et, tout au fond, le pas de la fillette qui traverse la rue.



La femme nue et sa servante

du XVIème au XXème siècle, la servante habillée va prendre de l’envergure, jusqu’à faire pratiquement jeu égal avec le nu qu’elle était sensée mettre seulement en valeur.

Titien Venus d Urbin 1534 Musee des Offices Florence
Vénus d Urbin
Titien, 1534, Musée des Offices, Florence

A l’orée du thème, les servantes s’introduisent discrètement à l’arrière-plan, affairées à fouiller dans un coffre, pour compenser d’une certaine manière l’immobilité de la maîtresse et les vêtements qui lui manquent. Le coffre entre-baillé fait bien sûr écho à la main rêveuse.

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Odalisque with a Slave, by Jean-Auguste-Dominique Ingres

Odalisque à l’esclave
Ingres, 1849, Fogg Art Museum,Cambridge

Lorsque Ingres reprend Titien, il retravaille et différencie les figurantes : l’une devient une musicienne blanche, admise à partager l’avant-plan ; l’autre, noire, reste à l’arrière : malgré sa longue robe, c’est en fait, comme le montre le poignard passé discrètement dans sa ceinture, l’eunuque qui garde le harem.

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OLYMPIA manet 1863 Musee Orsay

Olympia
Manet, 1863, Musée Orsay

Lorsque Manet reprend le thème, il chipe à Titien la pose de la maîtresse et l’idée d’un objet-métaphore : ici c’est le bouquet de fleurs, dont une main noire titille l’emballage. Manet n’avait pas besoin d’Ingres pour imaginer sa Numide, qu’une simple raison de contraste justifie : robe blanche et inclinaison contraire. De part et d’autre de la ligne de séparation, deux femmes-bustes, impossibles siamoises, s’équilibrent et se complètent : l’une montre sa nudité et cache son sexe, l’autre cache sa peau et exhibe un organe floral démesuré, qui ridiculise le chat malingre. C’est pourtant lui qui a scandalisé les puritains : comme quoi un chat peut en cacher un autre.

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Gustave_Courbet_1866__Woman_with_a_Parrot METFemme au perroquet
Courbet, 1866, Metropolitan Museum of Arts
Roybet_OdalisqueOdalisque (La sultane)
Roybet, vers 1875, Ermitage, Saint Petersbourg

Lorsque Courbet tâte à son tour de l’Odalisque, c’est à sa manière, radicale : la maîtresse, maintenant à plat dos, sert de perchoir au perroquet. En tant que domestique exotique paré de mille couleurs, l’animal fait un clin d’oeil à la négresse de Manet, tout en gardant sa signification usuelle : l’amant qu’on enchaîne et qu’on fait chanter (voir Le symbolisme du perroquet).

Roybet, en bon opportuniste, colle le torse de l’Odalisque de Courbet sur les jambes de celle d’Ingres. Et la musicienne au dhotar est recyclée en Numide à l’éventail.

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Bazille_La_Toilette_1869-70 _Musee_Fabre_MontpellierLa Toilette
Bazille,1869-70, Musée Fabre, Montpellier
Veronese vers 1560 Mariage mystique de Sainte Catherine Musee FabreMariage mystique de Sainte Catherine
Véronèse, vers 1560, Musée Fabre, Montpellier

Lorsque Bazille rend hommage à l’Olympia de Manet, c’est au travers d’une composition en carré inspirée de ce tableau de Véronèse, qu’il avait étudié au musée Fabre.

La nudité de la chair se trouve encerclée, et comme condamnée, par des échantillons d‘antagonistes : la peau noire de la servante à genoux et la robe longue de la servante debout ; mais aussi le kimono, la fourrure du canapé, la tapisserie du mur, le marbre du sol. Tout ici est saturé de textures, sauf la peau blanche, de sorte que ce rhabillage prend des allures de martyre suspendu.

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Edmund Tarbell Tutt'Art@

La toilette
Edmund Charles Tarbell, 1893, Collection privée

Il n’y a aucune chance que Tarbell ait pu voir, lors de son séjour en Europe, la toile de Bazille qui était conservée dans sa famille. C’est donc d’une réinvention qu’il s’agit, puisant sans doute aux mêmes sources. En blanchissant sa servante, Tarbell évite une confrontation de peau trop scandaleuse pour les Bostoniens de l’époque, sauf sous couvert d’orientaliste.

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Valotton-La-Blanche-et-la-Noire-1915-Fondation-Hahnloser

La Blanche et la Noire
Valotton, 1915, Fondation Hahnloser, Winterthur

Quand Valloton paraphrase Olympia, c’est avec son humour et son modernisme coutumier : la maîtresse ne cache plus rien, elle dort ; la servante n’apporte plus de bouquet, elle fume, et elle est passée au premier plan pour s’asseoir sur le lit, dans une sororité provocante.


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Le Joueur de Luth
Norman Lindsay, 1924

Une fois reconstitués, les trois couples racontent une histoire légère :

  • à gauche, l’homme couvert aborde la Suivante vêtue ;
  • à droite l’autre Suivante montre cheville et poitrine en pure perte, puisque son compagnon, au dessus, n’a d’yeux que pour la Maîtresse ;
  • au centre, celle-ci n’est vêtue que de son éventail, sorte d’expansion élégante du pubis ; son prétendant, le joueur de luth, a lâché l’instrument, dont le manche s’aventure nettement plus loin qu’il ne devrait, jusqu’à plonger dans la rosace.


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Leon Kroll Summer, New York, 1931 photographie Leon Kroll Summer, New York, 1931

Summer
Leon Kroll , New York, 1931

Il faudra attendre encore un peu pour voir apparaître dans la puritaine Amérique cette nudité épicée par des accompagnatrices vêtues.



Allégories comparées

Calumny, detail of Truth and RemorseLa calomnie d’Apelle (détail)
Botticelli, vers 1495, Musée des Offices, Florence
Cliquer pour voir l’ensemble

Ce groupe est située à l’extrême gauche du tableau et constitue la conclusion de l’histoire : le Remords, habillé de voiles de deuil, se tourne vers Vénus dénudée, qui invoque la Vérité céleste. Ce couple vêtu/dévêtu équilibre et compense, en quelque sorte, le couple du Calomniateur habillé en noir et du Calomnié dénudé.

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Titian Sacred Profane

L’Amour Sacré et l’Amour Profane
Titien, 1514, Galerie Borghese, Rome

La magnificence comparée du tissu et de la chair devient chez Titien matière d’esthétique et de philosophie. Si la réussite formelle est éclatante, l’intention philosophique est moins claire (pour un résumé des deux interprétations principales, voir [2a])

Par la suite, les peintres, dans d’innombrables scènes de toilette ou de déshabillage, exploiteront à plaisir le contraste entre la femme nue et la femme habillée. mais jamais avec cette simplicité originelle, cet équilibre tranquille entre les deux termes de l’équation.


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La Pécheresse et l’Immaculée Conception

 

1500-1550 Recueil de palinods Eve et Marie FR 379 fol 6vEve et Marie, Recueil de palinods, 1500-1550, FR 379 fol 6v

« Eve est la voix qui l’homme griesve (trompe) ;
Marie est voix qui le reliesve (relève).

Cette iconographie très particulière, confrontant Eve nue et Marie habillée, se développe au XVIème, principalement en Italie [2b].

Rosso Fiorentino (d’après), Marie Immaculée Nouvelle Ève, 1528. Paris, École des Beaux-Arts
Marie Immaculée Nouvelle Ève
Rosso Fiorentino (d’après), 1528, École des Beaux-Arts, Paris

Heureusement, une description par Vasari nous donne la signification de cette allégorie très originale :

« ll représenta nos premiers parents attachés à l’arbre du péché ; la Vierge leur retire de la bouche le péché, symbolisé par la pomme, et foule aux pieds le serpent ; dans le ciel, voulant signifier qu’elle est vêtue de soleil et de lune, il figura Diane et Phoebus nus. » [3]


Carlo_portelli,_disputa_sull'immacolata_concezione,_1555_(Museo di Santa Croce florenceDispute sur l’Immaculée Conception
Carlo Portelli, 1555, Museo di Santa Croce, Florence

Une des formules qui se développe par la suite oppose :

  • un registre céleste, avec Marie entourée d’angelots ;
  • un registre terrestre où des autorités, armés de deux gros livres, discutent de l’Immaculée conception, au dessus d’Adam et Eve nus.

Le vêtement de Marie est donc une manière d’affirmer sa conception sans péché, tandis que la nudité des parents de l’Humanité souligne les conséquences de la Chute.



Carlo_Portelli 1566 Immaculate_Conception Florence, Galleria dell'Accademia eglise OgnissantiAllégorie de l’Immaculée Conception (provenant de l’église des Ognissanti)
Carlo Portelli, 1566, Galleria dell’Accademia, Florence

Ces précédents permettent de comprendre la génèse de cette oeuvre audacieuse, qui confronte directement Marie, vue de face, à un nu de dos serpentiforme extrêmement sensuel. En 1671, le tableau fut remplacé dans l’église par une Immaculée Conception plus conforme, et on rajouta une robe à Eve, qui ne fut nettoyée qu’en 2003.

  • Dans le registre céleste, Dieu le Père est en train de créer, en même temps, Marie immaculée et l’agneau innocent.
  • Dans le registre terrestre, le collège savant est ici constitué par les rois David et Salomon (assis de face et de dos), la sibylle persique et la sibylle libyque.
  • Le lien entre les deux registres est constitué par l’arbre de la Chute, le serpent piétiné par Marie illustrant la prédiction de la sibylle persique :

Voici que tu piétineras la Bête

ecce bestia conculcaberis


La prophétie de l’autre sibylle est subtilement modifiée. A la place du texte habituel :

Le ventre de sa mère sera la balance (du jugement) pour tous les hommes

Uterus matris eius erit statera cunctorum

la banderole porte :

Son ventre (prépare) les décrets (qui frappent) tous les hommes

Uterus eius (praeparat) statuta cunctorum

par allusion à Job 25,35 :

Son ventre prépare les perfidies

uterus eius praeparat dolos

Ainsi est détournée la prophétie de la sibylle libyque : non plus pour annoncer le Christ et le Jugement dernier, mais pour dénoncer le ventre d’Eve et la malédiction humaine.


Carlo_Portelli 1566 Immaculate_Conception Florence, Galleria dell'Accademia eglise Ognissanti detail Carlo_Portelli 1566 Immaculate_Conception Florence, Galleria dell'Accademia eglise Ognissanti detail vetu

On mettra sur le compte des exagérations maniéristes qu’Eve fasse du pied à Adam, lui taquine la barbe, et saisisse de l’autre main le manche posé entre ses jambes.


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Nature et Raison

 

1500-1550 Recueil de palinods Nature et raison FR 379 fol 33rNature et Raison, Recueil de palinods, 1500-1550, FR 379 fol 33r

Nature, nue côté forêt, dialogue avec Raison, habillée côté ville.


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Vertu et Vice

Michelet Saulmon pol de Limbourg 1402 revers de la medaille de Constantin British Museum detail

Revers de la médaille de Constantin
Michelet Saulmon sur un dessin de Pol de Limbourg (attr), 1402, British Museum

Cette médaille, probablement réalisée pour le Duc de Berry, devient très énigmatique lorsqu’on la décrit en détail :

« Deux femmes, l’une vieille et drapée de la tête aux pieds, l’autre jeune et nue jusqu’à la taille, de part et d’autre de la Croix et de l’Arbre de Vie. De la bouche de deux serpents au sommet de la Croix coule de l’eau qui est transportée par deux autres serpents, dont les queues sont saisies par un enfant (Hercule) jusqu’au bassin situé en dessous. Par une ouverture pratiquée à la base de celle-ci, au-dessus de laquelle se trouve un animal (un lion), on voit le pied de la Croix, enlacé par un autre serpent. La jeune fille à moitié nue piétine un animal (une belette) sous son pied gauche. Dans sa main droite passe une corde qui est attachée à l’oiseau (un aigle) perché derrière elle. Un oiseau similaire perché derrière la femme plus âgée n’est pas attaché. » [2c]


Loin de moi de me glorifier / sinon de la Croix / De notre Seigneur Jésus-Christ

Epitre aux Galates 6,14

·MIHI·ABSIT·GLORIARI/NIS·IN·CRVCE/·DOMINI·NOSTRI·IHV·XRI·

L’inscription, astucieusement scindée en trois, désigne la femme nue comme celle qui se glorifie, tandis que la femme vêtue est du côté du Seigneur : une première lecture est donc celle de l’opposition Marie / Eve (dont l’Orgueil, la vaine Gloire, a causé la perte). Mais on peut tout aussi bien y voir l’opposition entre Chrétienté et Paganisme (Vénus), tout approprié dans le cas d’une médaille dédiée à Constantin et à la découverte de la vrai Croix [2d].



Michelet Saulmon pol de Limbourg 1402 revers de la medaille de Constantin British Museum detail
Le détail du petit enfant entre les deux serpents invite à une troisième lecture : celui du Choix d’Hercule entre la Vertu et le Vice, dont la médaille serait alors le plus ancien exemple connu (ce qui reculerait de presque un siècle la chronologie de Panofsky [3]). Cette lecture se précise si l’on compare les deux mains : la femme vêtue cueille ce qui semble être une fruit tandis que la femme nue tient tête en bas un oisillon, que la corde rattache au gros oiseau en contrebas : il s’agit très certainement du leurre à plumes qui était utilisé pour l’entraînement des oiseaux de proie (voir L’oiseleuse) :

la médaille oppose donc, en définitive, la Femme qui aime Dieu à celle qui préfère les Hommes.


die_wahl_des_herakles Ecole de Cranach 1537 ap Herzog Anton Ulrich-Museum, BraunschweigHerzog Anton Ulrich-Museum, Braunschweig die_wahl_des_herakles Ecole de Cranach 1537 ap coll partCollection particulière

Le Choix d’Hercule, école de Cranach, après 1537

Dans la version décente, la Vertu, habillée et la tête voilée, se trouve du coté d’un bois, le chemin difficile où seul le cerf, l’âme assoiffée de Dieu (Psaume 42), peut se frayer un chemin. Hercule, avec sa massue transformée en bâton de voyageur, va probablement se détourner du chemin facile, ouvert vers la vallée, que lui montre la femme nue (le Vice, la Volupté).

Dans la version plus osée, le paysage, totalement symétrique, n’est plus moralisé. L’animal symbolique est un Lion, métaphore d’Hercule. Les deux femme sont nues, sauf un voile transparent pour la Vertu et une feuille de vigne pour la Volupté. Cette dernière manipule d’un air entendu le bâton qui passe entre les jambes du héros, et prend dès lors une signification particulière.


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Le Choix d’Hercule, Gravure d’après Saenredam, fin XVième

La Vertu, armée et habillée, développe ses arguments, tandis que la Volupté, bien peignée et nue, met directement la main au gourdin. Sur les détails de la gravure, voir La souricière.

Mis à part ces exemples, les représentations du Choix d’Hercule ne sont pas aussi tranchées : les deux femmes sont toutes deux vêtues, le Vice un peu plus richement ou légèrement que la Vertu.


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La nudité magnifiée

Felicita-breve-1644-pag-156-vol.IIdata-271x300Félicité Mondaine Felicita-eterna-1644-pag66-part.I-img.LVIIIdata-269x300Félicité éternelle

Comme le remarque Panofsky ([3], p 177) la nudité perd progressivement, au XVIème siècle, la valeur d’Immoralité qu’elle avait au Moyen-Age, et prend au contraire une acception positive : pureté, vérité, immatérialité, éternité, que consacre dans maintes rubriques l’Iconologie de Ripa.


return-of-peace-thuldenLe retour de la Paix
Theodor van Thulden, 1657, s-Hertogenhosch, Noordbrahants Museum
 Allegory-of-Justice-and-Peace_Theodoor-van-Thulden_Baroque_allegorical-paintingAllégorie de la Justice et de la Paix
Theodor van Thulden, 1659, Landesmuseum für Kunst und Kulturgeschichte, Münster.

Ces deux allégories célèbrent la fin de la Guerre de Trente ans et le traité de Wetsphalie.

Dans la première version, la Paix, tenant d’une main un caducée et de l’autre une corne d’abondance, enlace la Guerre en jupe rouge sang, qui tient son épée baissée et a abandonné sur le sol ses autres armes et son armure. Deux amours y mettent le feu tandis que symétriquement, dans le coin en haut à gauche, deux autres amours jouent du tambourin et cajolent un lièvre, animal peu belliqueux. La Paix dévoile son sein droit en signe de lactation prolifique. Si le caducée mercuriel est là pour symboliser sa sagesse, les perles sur la chevelure blonde sont plutôt des attributs vénusiens : on comprend dès lors qu’un thème bien connu se cache sous l’allégorie : celui de Vénus attirant Mars dans sa couche (voir 4.2 Jouer avec les armes)

Dans la seconde version, la Paix s’est complètement dénudée et a changé son caducée de main, pour enlacer plus commodément sa compagne. Celle-ci, tout en gardant son épée et sa jupe rouge, s’est transformée en Justice, comme le précise l’amour de gauche en montrant du doigt la balance (la bourse ouverte par terre signifie non pas que la Justice est vénale, mais au contraire qu’elle foule aux pieds les richesses). A l’extrême droite, un autre amour s’acharne à mettre le feu à l’armure, de manière peu lisible.

Pourquoi la Paix est-elle habillée lorsqu’elle congratule la Guerre, et à poil lorsqu’elle enlace la Justice ? Il est clair que le second tableau, en format allongé, privilégie la symétrie : les attributs sont tenus dans une seule main et les amours sont en miroir, l’un vu de face et l’autre vu de dos ; du coup il est logique d’avoir rajouté le contraste vêtement/nudité, quitte à renoncer à l’image de la mamelle prolifique : pas tout à fait d’ailleurs car c’est désormais la Justice qui s’y colle, commençant à dénuder son sein gauche.

L’allégorie, noble alibi d’un érotisme plantureux…


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Les balançoires de Von Stück

 

Von Stuck 1898 Balancoire Villa Franz von Stuck, MunichLa balançoire (Die Wippe)
Franz von Stück, 1898, Villa Franz von Stück, Munich

Ce tableau effectue une triple transgression :

  • il transpose dans la Grèce antique le thème rococo de la balançoire, dont le va et vient est compris depuis Fragonard comme une métaphore galante ;
  • il remplace l’escarpolette par un gourdin coincé dans une fourche ;
  • il met en jeu un couple de jeunes filles, dont la blonde littéralement envoie en l’air la brune.

Celle-ci, avec ses cheveux dénoués, sa poitrine juste dénudée, sa peau mate, et sa robe rouge, exprime une jouissance juvénile ; tandis que sa partenaire, à la chevelure étudiée, entièrement nue et à la peau blanche, joue le rôle de l’initiatrice qui contrôle la situation.

Visuellement, on se heurte à une petite énigme : le gourdin, qui semble à droite pénétrer dans la robe rouge, ressort à gauche sous-celle-ci. Il faut comprendre que cette robe, très large, retombe des deux côtés : la brune n’est pas assise à cru sur le bois. De la même manière, un tissu vert empêche le contact entre la blonde et le bois, sauvegardant la bienséance et déniant l’interprétation phallique, tout en la suggérant avec vigueur.

Ainsi Von Stück dépasse habilement l’opposition habillée / déshabillée : la fille vêtue n’est pas si chaste, et la fille nue pas si lascive.


Franz_von_Stuck_-_Orpheus_myth_salle de musique 1897-98Le Mythe d’Orphée (salle de musique)
Franz von Stück, 1897-98, Villa Franz von Stück, Munich

La même année, von Stück réalise en style pompéien la décoration murale de sa salle de musique, autour d’une statue archaïque de Diane polychromée par ses soins :

  • en haut Orphée charme les animaux par sa lyre ;
  • en bas à gauche est repris un tableau de 1890, Ecoute clandestine (Belauschung), pour sa diagonale ascendante et pour l’analogie thématique : une sirène est attirée par la flûte d’un faune ;
  • en bas à droite est repris la Balançoire de 1898, pour sa diagonale descendante.

On peut s’étonner qu’une composition à la limite du grivois vienne clôturer un cycle d’inspiration élevée, à la gloire de la Musique. Il s’agit probablement d’une allusion à la mort d’Orphée, dont la lyre échoua à calmer les Ménades, déchaînées à cause de son refus de s’unir à toute autre femme qu’Eurydice. Elles le démembrèrent, puis furent punies par Dyonisos, qui les transforma en arbres.



Franz_von_Stuck_-_Orpheus_myth_salle de musique 1897-98 detail
Sous le signe du laurier, le regard de Diane, qui n’aimait guère les hommes, se pose sur ces fillettes dévergondées en train de se réjouir de la Mort d’Orphée, sur un arbre en forme de lyre.


Franz_von_Stuck Die Liebesschaukel 1902La balançoire de l’Amour (Die Liebesschaukel)
Franz von Stück, 1902

Quatre ans plus tard, Stück ôtera au thème tout caractère sulfureux en nous montrant une opposition nue/habillée strictement hétérosexuelle, entre adultes aux gestes symétriques, debout sur la pointe des pieds. C’est Cupidon qui fait monter alternativement l’un et l’autre, reprenant le rôle habituel de la Fortune qui mène le Monde.


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Cygnes et paons (aquarelle) 
Norman Lindsay, non daté, collection particulière

Le pluriel indique bien que les deux oiseaux sont des avatars des deux filles : la Pureté est nue, l’Orgueil est habillé.


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Magritte Fillette et Fillette nue se promenant dans la rue 1954

Fillette et Fillette nue se promenant dans la rue
Magritte, 1954, Collection privée

Le surréalisme de la scène masque une allégorie fort bourgeoise.

La voyez-vous ?

Voir la réponse...

C’est au décor qu’il faut associer les deux fillettes :

  • la brune, nue, est du côté de l’ombre, du jardin clos, des maisons : autrement dit de l’espace privé ;
  • la blonde, habillée, est du côté éclairé de la rue, de la ville qui s’étend au loin : autrement dit de l’espace public.


Autriche : Les Athéna de Klimt

 
Klimt L'Art Grec (Tanagra et Pallas Athene) 1890 Escalier du Kunsthistorisches MuseumL’Art Grec (Une jeune fille de Tanagra, Pallas Athena) Klimt L Art egyptien 1890 Escalier du Kunsthistorisches Museum l’Art égyptien (Isis)
 
Klimt,  1890-91, Escalier du Kunsthistorisches Museum, Vienne
 


L’Art grec

Klimt L'Art Grec (Tanagra et Pallas Athene) 1890 Escalier du Kunsthistorisches Museum detail athena

La déesse Pallas Athéna, vêtue d’une tunique  rouge et d’un pectoral décoré d’une tête de Gorgone [3a], tend de la main gauche une lance et tient dans sa main droite une statuette de Nike (la victoire) posée sur un globe / brandissant au dessus de sa tête une couronne de lauriers, quasi invisible dass l’ombre de la colonne.

A gauche, dans l’espace entre les deux colonnes, la fille de Tanagra se penche, tenant dans sa main gauche une couronne de lauriers qui complète et explicite celle de la Nike.


L’Art égyptien

Klimt L'Art Grec (Tanagra et Pallas Athene) 1890 Escalier du Kunsthistorisches Museum detail isis

La déesse Isis, nue, tend de la main droite un ankh et tient dans sa main gauche un sistre de fantaisie, imaginé par Klimt ; derrière elle, le vautour de la déesse Nekhbet.


Klimt L'Art Grec (Tanagra et Pallas Athene) 1890 Escalier du Kunsthistorisches Museum detail isis et sarcophage

A droite, dans l’espace entre les deux colonnes s’empile tout un bric-à-brac égyptien  [3b]. Le sarcophage à face féminine fait écho, comme une image de la Mort, à la déesse qui, de l’autre côté de la colonne, brandit devant le rapace le hiéroglyphe de la Vie.

Haute définition : https://www.google.com/culturalinstitute/beta/asset/egypt/GgH8ARu61GIoZw


Une opposition complexe

Autant Pallas Athéna obéit à tous les canons iconographiques,  autant Isis relève d’une certaine audace, car cette déesse n’est jamais représentée dénudée, ni dans l’art égyptien ni dans l’art romain.

Isis au sistre, Époque d’Hadrien 117-138 ACE Pusee du capitole rome

Isis au sistre, Époque d’Hadrien 117-138 , Musée du Capitole, Rome

Il ne s’agit pas ici de révélation ésotérique, comme dans l’Isis dévoilée d’Helena Blavatsky parue en 1877, mais d’une révélation  purement érotique, dans laquelle la déesse nue est transformé en symbole du triomphe de l’Amour sur la Mort (le sarcophage du panneau latéral).

En regard de cette logique forte qui unit les deux panneaux égyptiens, la signification des deux panneaux grecs se laisse moins facilement déchiffrer.


La « fille de Tanagra »

klimt-griechische-antike-1-1890


M.Halm-Tisserant [3c] a pu identifier le vase grec que Klimt a recopié à l’arrière-plan.

Athena_Hercules_Cerberus_Hades Leagros Group Painter, from Cervetri (c. 520 BCE)Athena, Hercules, Cerbere, Hades, Persephone aux EnfersPeintre du groupe de Leagros, provenant de Cervetri (c. 520 BCE), Musée du Vatican 372 louvre-aphrodite-detachant-sandaleAphrodite rattachant sa sandale, Louvre, Paris

 

La fille de Tanagra, avec sa robe à motifs géométriques, ses yeux fardés et sa lourde chevelure rousse, est une pure invention klimtienne, qui tranche par son modernisme avec la rigoureuse Athéna. Certains y ont vu l’influence d’Emilie Flöge, très jeune rousse flamboyante dont le peintre était tombé amoureux cette année-là. Quoiqu’il en soit, cette jeune fille aux yeux lourds qui fait à Aphrodite l’hommage d’une couronne de lauriers, et se superpose à Hercule pour capturer le monstre de la Mort,  est la toute première incarnation de ces femmes fatales qui naîtront plus tard du pinceau de Klimt.

La couronne de vrai laurier, s’opposant à la couronne emphatique de la Nike qui s’efface dans l’ombre de la colonne, signale peut être l’ambition du peintre, déjà,  de se construire une gloire hors de l’académisme.


La Pallas Athéna de 1898

KLIMT Gustav , Pallas Athene, 1898, Vienne, Historisches MuseumPallas Athena, Klimt, 1898,  Vienne,  Historisches Museum pallas_athena_-_franz_von_stuck_1898 coll partPallas Athena, Franz von Stuck, 1898, collection  particulière

On voit comment, sept ans plus tard, Pallas Athéna s’est elle-aussi métamorphosée en femme fatale klimtienne, alors que  Franz von Stuck, pourtant autre  sécessionniste notoire, en reste encore à la représentation classique.


Les fonds à la grecque

Hydrie G43 Musee Vatican Heracles combattant Neree le Vieux de la Mer

Héracles combattant Nérée, le Vieux de la Mer
Hydrie G43 Musee Vatican

Cette modernité tient pour beaucoup à la technique du fond recopié sur des vases grecs authentiques,  héritée de la formation de décorateur de Klimt et qu’il appliquera à de nombreuses oeuvres de sa première période. Ici, le vase a été choisi parce que, plastiquement, les écailles de la cuirasse d’Athéna prolongent celles du montre marin. Peut-être aussi parce que, politiquement, le thème de la lutte du héros contre le monstre donne à voir celui de la Sécession contre l’Académisme. Mais aussi parce que, esthétiquement, la confrontation entre le style archaïque de l’arrière-plan et le style hellénistique du premier plan épouse le thème, à la mode depuis Nietsche, du dyonisiaque s’opposant à l’apollinien.

« En plaçant Athéna, la déesse classique par excellence, sur un arrière-plan spécifiquement archaïque, Klimt mine en fait l’autorité de toute la tradition classique. Sa peinture montre et célèbre un passé d’Athéna plus sombre et plus noir, un passé qui avait été complètement réprimé dans ses incarnations phidiennes au Parthénon, aussi bien que dans la statue de Kundmann devant le Reichrat. » [3d]

 

Nuda veritas

KLIMT Gustav , Pallas Athene, 1898, Vienne, Historisches Museum detailPallas Athena, Klimt, 1898, détail Nuda Veritas, Gustav Klimt, 1899, Osterreichisches Theatermuseum de VienneNuda Veritas, Gustav Klimt,1898, revue Ver Sacrum1899, Osterreichisches Theatermuseum de Vienne

Comme si l’Isis nue du panneau de 1891 avait sauté en miniature dans la main d’Athéna, la Nike se retrouve à poils (roux comme il se doit) et, un miroir dans la main à la place du signe de vie,  se métamorphose en cette autre Déesse  des Sécessionnistes qui s’expose hardiment,   la même année, en couverture de leur organe officiel.

Sur la symbolique de Nuda Veritas, on peut consulter l’excellent papier du blog jeveuxunerousse [3e].

 

Norvège : les trois Femmes de Munch

munch Three Stages of Woman (The Sphinx) 1894 Rasmus Meyer Collection, Bergen, Norway

Trois âges de la Femme (Le Sphinx)
Munch,  1894, Collection Rasmus Meyer , Bergen, Norvège

La chair nue de la femme mûre est  posée ici comme l’intermédiaire entre la robe blanche de la jeune fille  et la robe noire de la vieille. De l’autre côté d’une plante sanguinolente, se tient un homme en habit noir.

La femme nue et le vieille prennent à témoin le spectateur, l’une aguicheuse et l’autre triste, accolées autour d’un tronc comme les deux faces d’un même réalité sordide. Aux deux bords, la jeune fille sur le sable, qui regarde en arrière la pureté originelle de la mer, et le jeune homme qui détourne le regard vers le sol, semblent chercher tous deux une échappée impossible à ce destin.



Munch The Woman Kvinnen Date 1899 Medium Lithograph with gouache

Les femmes (Kvinnen)
Munch, 1899, Lithographie avec gouache

Munch a repris plusieurs fois ce thème, avec diverses techniques. Ici, l’homme a été supprimé, et l’inversion mécanique dûe au procédé renverse le sens du temps.


edvard-munch-women-I 1895 Aquatinte et pointe secheFemmes-I
Munch, 1895, Aquatinte et pointe sèche
edvard-munch-women-I 1895 eau forte et pointe secheFemmes-I
Munch, 1895, Eau-forte et pointe sèche


Appariements symbolistes

ferdinand_max_bredt-1901 Sinnenlust und Seelenfrieden eve-et-marie coll privee

La sensualité et la paix de l’âme (Sinnenlust und Seelenfrieden), ou Eve et Marie
Ferdinand Max Bredt, 1901, Collection privée

Les deux Mères de l’Humanité sont présentées de part et d’autre du Pommier, par ordre d’apparition sur la scène.

Eve à gauche ouvre grand ses deux bras, touchant d’un côté le fruit défendu, et de l’autre le récipient dans lequel elle espère transvaser la connaissance du Bien et du Mal. Cette position, qui anticipe la Crucifixion et devrait éveiller une sainte horreur, a pour effet contradictoire de mettre en valeur le pubis glabre et les seins offerts, bref tout ce qu’Adam a gagné grâce à la Chute. La tête inclinée, la chevelure ondulante, le regard droit, cette mère enjouée prend le spectateur à témoin de l’amusante contradiction.

Marie quant à elle ferme les mains sur son pubis, comme désolée par l’attitude aguichante de notre grand-mère commune, et lève les yeux au ciel. Entretemps, la mode a changé : les robes sont devenues plus longues et le cheveux plus raides.

Le serpent ne s’y trompe pas : en descendant de l’arbre, il contourne prudemment la « Paix de l’Ame », et préfère aller s’amuser avec le « Plaiser des Sens ».


Ferdinand_Max_Bredt_1901 -_Zwischen_Gut_und_Bose

Entre le Bien et le Mal (Zwischen Gut und Böse)
Ferdinand Max Bredt, 1901, localisation actuelle inconnue

L’homme n’a pas hésité à s’asseoir sur un buisson afin de dissimuler son bas-ventre : on voit par là que nous sommes dans un autre oeuvre puissamment moralisatrice. Le Bien, une jeune mondaine en robe longue, châle virginal et chignon impeccable, a heureusement coupé la route au Mal, que l’on ne décrit plus. Si Bredt avait été un peu pervers, il nous aurait montré l’homme donnant sa main gauche au Bien et sa main droite au Mal, illustrant par là une attitude masculine courante. Mais comme il est très pervers, il nous montre l’homme emprisonnant le Bien dans ses deux mains, de manière à ce que le Mal puisse lui peloter la hanche et se frotter contre sa croupe.

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Hruby, Sergius Allegorie1902

Allégorie avec deux femmes (La tentation ?)
Sergius Hruby, 1902, Collection privée

La femme habillée, avec son auréole, ignore la pièce d’or que lui présente dans sa paume la femme nue. Le Vice florissant sourit tandis que la Vertu triste s’étiole, les mains crispées sur son bas-ventre. Iconographie rare de la Femme Fatale, qui préfère habituellement corrompre les jeunes gens.


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Fate, Life, Truth, Beauty Georg Pauli 1905

Le Destin, la Vie, la Vérité, la Beauté
Georg Pauli, 1905, Collection privée

La jeune fille filant sa quenouille est menacée par le ciseau du Destin. La Nudité compile ici trois valeurs (la Vie, la Vérité, la Beauté) et le Vêtement Noir les trois contraires (la Mort, le Mensonge, la Laideur). On comprend que la vieille femme ne veuille pas montrer sa tête.



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La dialectique de Zwintscher

Oskar Zwintscher, Der Tote am Meer 1913 Dresden, Stadtmuseum
Le Mort au bord de la mer (Der Tote am Meer)
Oskar Zwintscher, 1913 , Stadtmuseum, Dresde

Cette oeuvre énigmatique croise quatre binarités :

  • l’homme nu, mort, et horizontal ;
  • la femme habillée, vivante et verticale.

Le noeud de la composition est que cette dialectique se joue devant un décor à trois bandes : si le mort a partie liée avec le Sable et la femme avec le Ciel, à qui appartient la bande émeraude de la Mer ?

S’ouvre alors la possibilité d’une échappée ternaire :

  • entre la Terre et l’Air, l‘Eau ;
  • entre le Nu et l’Habillé, la Robe ;
  • entre le Vertical et l’Horizontal, la Profondeur ;
  • entre la Mort et la Vie, l’Eternité ;
  • entre l’Homme et la Femme, l’Artiste.


Anselm_Feuerbach,_Am_Meer_–_Iphigenie_III (Modern Iphigenie,_1875 Museum Kunstpalast DusseldorfAnselm Feuerbach, Iphigenie III (Moderne Iphigenie), 1875, Museum Kunstpalast, Düsseldorf

Ce sujet célèbre de Feuerbach offre lui-aussi une lecture multiple :

  • dans la première scène de l’« Iphigénie en Tauride » de Goethe, la mer symbolise l’espoir de l’exilée : « Je passe de longs jours sur le rivage, où mon cœur cherche en vain la terre de Grèce »
  • mais elle prélude aussi à la tragédie qui vient, puisque tout étranger abordant sur la rive devra être sacrifié à Diane.

Il est très possible que l’intention de Zwintscher ait été de compléter par un quatrième opus la série de Feuerbach : la femme debout serait alors Iphigénie contemplant ce que la tragédie lui prépare : immoler son frère Oreste.

Pour Janina Majerczyk [3f], le tableau pourrait être interprété comme une illustration des conceptions esthétiques de Feuerbach :

« la Peinture qui imite absolument la nature, incarnée par l’homme nu, s’oppose à l’Art qui cherche à accomplir un idéal artistique plus élevé, que personnifie ici par la figure féminine antiquisante. »


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Die Muskete, November 1927, illustration de Sergius Hruby

Illustration pour la revue Die Muskete,
Sergius Hruby, novembre 1927

L’image est accompagnée du poème ci-dessous, d’un symbolisme quelque peu daté :

Tu ne peux pas t’habiller en mariée
Robe de soie, couronne de myrte.
Le destin malin ne le souffre pas,
Il prend plaisir à mon tourment,
En t’arrachant aux jeux et à la danse.
De tous ses doux plaisirs,
La vie t’en a si peu donnés.
Pas de lit nuptial à préparer,
Car ta bouche, jamais baisée,
C’est la mort libre et sauvage qui la touche.

Du konntest dich nicht bräutlich kleiden
mit Seidenkleid und Myrtenkranz.
Des Schiksal Tücke wollt’s nicht leiden,
wollt’s sich an meinen Qualen weiden
und riss dich rauh von Spiel und Tanz.
Von allen seinen süssen Lüsten
Das Leben dir so wenig bot.
Kein Hochzeitlager darf ich rüsten,
denn deinen Mund, den nie geküssten,
berührt der wilde Freier Tod



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ZHILINSKY, DMITRY 1979 Adam and Eve

Adam et Eve
Dimitri Zhilinsky, 1979

Les ancêtres nus sont sur le point de sortir du tableau pour aller rejoindre leurs descendants habillés : le pied d’Eve va se poser sur la main gauche du peintre, tandis que sa femme tend la main droite vers la pomme qu’Adam lui présente.

En tombant hors du paradis, les feuilles sèchent instantanément, prévenant du danger de ces accouplements transgénérationnels.


Espagne : nudités en dentelles

Angel Zarraga- The Nude Dancer La bailarina desnuda 1907-09 Coleccion Andros Blaisten Mexico

La danseuse déshabillée (La bailarina desnuda)
Angel Zarraga, 1907-09, Coleccion Andros Blaisten, Mexico

Au centre du tableau, la mantille noir et la robe blanche posées côte à côte sur le muret disent bien qu’il est question ici d’opposer des contraires : jeunesse contre vieillesse, air serein contre air désabusé, station debout contre station assise, château juché contre village tassé.

Les deux femmes ont gardé chacune un accessoire de coquetterie : un éventail qui ne sert pas pour la vieille, et pour la beauté nue une voilette ravageuse qui sert principalement à attirer le regard où il faut.


Edgar_Degas l attente 1882 Musee d Orsay

L’attente
Edgar Degas, 1882, Musee d Orsay

Transposé en extérieur sur une terrasse espagnole et poussé ici à l’extrême, le couple de la danseuse et de sa mère exploite toujours la même ambiguïté : beauté naïve ou beauté vénale, duègne ou entremetteuse ?


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Julio Romero de Torres La grace 1913 Musee de Torres CordoueLa grâce Julio Romero de Torres Le peche 1913 Musee de Torres CordoueLe péché

Julio Romero de Torres, 1913, Musée de Torres, Cordoue

La grâce

Le cadavre de la pécheresse, soutenu par deux nonnes, est béni par la mère abbesse. Une jeune fille comme il faut, voilée et tenant le lys de la virginité, pleure devant cette nudité coupable. A l’arrière-plan, un paysage imaginaire déroule toutes les curiosités de Cordoue : le cimetière de San Rafael, l’église de la Fuensanta, le fleuve Guadalquivir, Calahorra et le champ de la vérité, le pont romain, la mosquée et sa tour, la façade de l’église de Santa Marina, San Lorenzo.


Le péché

La pécheresse vue de dos s’admire dans un miroir, telle la Vénus de Vélasquez (voir Le miroir révélateur 1 : déconnexion), tandis que trois vieilles entremetteuses disputent de ses avantages. A gauche, une femme souriante lui amène la pomme du péché, qui contrebalance le lys marial de l’autre tableau. A l’arrière-plan, on admire d’autres monuments de Cordoue : le château des Almodovar et l’église de San Hipolito.



Julio Romero de Torres Las dos sendas, 1911-1912 Museo carmen thyssen malaga

Les deux voies (Las dos sendas)
Julio Romero de Torres , 1911-1912, Museo Carmen Thyssen, Malaga

Le diptyque développe le thème de la rédemption et du péché déjà présent dans cette oeuvre de 1911. La jeune fille nue et encore vierge (voir la lys à la bonne place) doit choisir entre la nonne au visage angélique (Raphaelite Ruiz), avec son livre, et la marieuse au visage fatigué (la chanteuse Carmen Casena) avec son plateau de bijoux. Les scènes du fond précisent les conséquences du choix : soit prier au pied de la croix dans un couvent, soit danser en ville sur une table en joyeuse compagnie.

Il est clair que la jeune fille, soulevant des deux mains sa mantille et mollement appuyée sur un canapé aux moulures escaladées par des amours, penche plutôt côté festif. Choix approuvé discrètement par le peintre qui s’est représenté deux fois dans la scène galante, comme guitariste et comme convive.

En plaçant le Salut côté gauche et la Perdition côté droit, dans le diptyque comme dans Les deux chemins, Romero de Torres se réfère implicitement à la composition des Jugements derniers : sauf qu’ici, à l’emplacement du Christ Triomphant, il n’y a rien.


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federico-beltran-masses-La Maja Marquesa, 1915 Coll part

La fille-marquise (La Maja Marquesa)
Federico Beltran Masses, 1915, Collection particulière

Ce portrait a fait scandale lorsqu’il fut refusé pour immoralité par le Comité del Exposición Nacional de Bellas Artes, en 1915. Le titre lui-même était une pure provocation : la « maja » est une fille du peuple à l’esprit libre, tandis que la marquise ici représentée en était une des plus authentiques, que certains critiques ont bien reconnue : María de Gloria del Collado y del Alcázar, Echagüa y del Noro

«  Malgré la large couverture de la peinture lors de sa première exposition, ce triple portrait reste une énigme :  la Maja Marquesa était bien connue dans la haute société espagnole pour ses ancêtres distingués, mais aussi pour son mode de vie lesbien scandaleux . En permettant d’identifier sa Marquise nue – pas simplement un modèle payé – Beltran a pris un risque considérable. De plus, il heurtait  une autre convention du temps en présentant son nu aux côtés de compagnes habillées, comme Manet l’avait fait pour Olympia et pour le Déjeuner sur l’Herbe plus de trente ans auparavant. Cependant, il s’agit bien ici de représenter une figure reconnue de la haute société, seulement vêtue d’une mantille,  coiffure réservée habituellement à des occasions spéciales, avec les robes traditionnelles que portent les deux compagnes anonymes de la Marquesa – ce qui a causé une particulière indignation chez les conservateurs du Comité. «  http://www.stairsainty.com/artwork/la-maja-marquesa-1915-263/


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Louis Icart Conchita 1929

Conchita
Louis Icart, 1929

La mantille et le châle allaient résumer quelque temps l’érotisme de la très catholique espagne, ancêtres exotiques du tchador.


Italie : les soeurs de Casorati

Felice Casorati le-signorine 1912 Venezia, Galleria d Arte Moderna

Les demoiselles (le signorine)
Casorati, 1912, Gallerìa d’Arte Moderna, Venise

Les cartels posés sur le sol, à côté d’objets symboliques, donnent le nom des quatre jeunes filles.

La première, Dolores, est une bourgeoise à pois, grande pintade dressée à côté d’une dinde, entre missels et cercle à broder. Les mains au menton, l’air consterné, elle est de celles pour qui l’existence est labeur et douleur.

A l’opposé, la quatrième, Gioconda, grassouillette et en robe rouge, accueille en souriant, les bras croisés, tout ce que l’existence a de bon : les frivolités en tous genre, éventail, écrins, colliers, cadeaux.

La deuxième, Violante, en robe violette, est une grand amatrice de fards et de boîtes de toutes tailles. Les mains crispées sur une boîte et son bas-ventre fermés, elle jette un regard jaloux vers son contraire.

Car Bianca, nue et les bras ouverts, n’a rien à cacher, rien à celer : elle donne des fruits et des fleurs, les dés de la Fortune lui sont favorables, et le miroir de la Vérité la désigne.


Une source ironique

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Les tentations de Saint Antoine
Bernardo Parentino, 1480-90, Galleria Doria Pamphilli, Rome

Dans une lettre à un ami, Casorati a révélé la source de son inspiration : ainsi Bianca joue, cernée par ses trois repoussoirs féminins, le même rôle que Saint Antoine, rencontrant un diable qui lui tend un plateau de pièces, tandis que deux soldats tentent de le convaincre de les prendre [4]

Ceci nous fournit une clé de lecture plus complexe : parmi ces demoiselles, c’est Gioconda, la vie satisfaite, qui expose le plus clairement son caractère démoniaque (la robe rouge) ; mais Dolores (La vie douloureuse) et Violante (la vie chaste) ne sont pas moins des ennemies de la Vraie Vie.

Cette morale libératrice s’accompagne d’un humour décapant : une fois qu’on a reconnu la citation, la transformation du vieil anachorète rugueux en une adolescente anguleuse a quelque chose de jubilatoire. D’autant que la pose de celle-ci, offerte devant le tronc d’un cèdre, ne peut manquer de convoquer une autre figure sexy de la martyrologie : la fille nue et les trois habillées transgressent, en les changeant de sexe, Saint Sébastien et les archers [5].


Le miroir édulcoré

Reste une petite énigme : pourquoi le miroir nous montre-t-il les creux poplités de la donzelle, et non pas une scène plus intéressante, par exemple l’artiste en train de peindre, comme il est d’usage dans les tableaux ambitieux ? (voir Le peintre en son miroir : 1 Artifex in speculo).



Felice Casorati le-signorine 1912 Venezia, Galleria d Arte Moderna miroir

Etat antérieur du miroir (reconstitution humoristique)

Dans la version exposée en 1912, le miroir reflétait ni plus ni moins que les fesses de la Vérité, tout en rendant hommage au pantalon si particulier du premier diable. C’est lors de l’entrée du tableau dans les collections publique qu’il a été demandé à Casorati de baisser un peu le regard.



Après la Guerre, Casorati s’éloigne du symbolisme et de l’influence de la Sécession Viennoise, pour un « réalisme magique », plus géométrique et statique.



Felice Casorati Donna e armatura Galeria d Arte Moderna, Turin, 1921

Femme et armure (Donna e armatura)
Casorati, 1921, Galleria d’Arte Moderna, Turin

La vue plongeante et le gigantisme de l’armure , loin d’écraser la femme nue, renforcent au contraire sa posture déterminée et son regard volontaire : car le géant n’a pas de tête. C’est aussi l’occasion de décomposer les trois textures, d’habitude enchevêtrées, du métal, de la chair et du tissu.



Felice Casorati le-due sorelle 1921

Les deux soeurs (le due sorelle)
Casorati, 1921, Collection privée, Milan

La femme nue assise se trouve maintenant confrontée à une femme habillée, assise dans la même posture. Le fenêtre est invisible, accentuant l’effet d’énigme. C’est aussi l’occasion d’une métaphore entre les femmes et les livres, l’un ouvert et les autres fermés. Une sorte de révision du message des « Signorine » : les deux femmes ici sont soeurs, la vérité ne s’oppose pas, mais se complémente au mystère.


Felice Casorati, Le ereditiere (o Le sorelle), 1910Les héritières ou les soeurs (Le ereditiere o Le sorelle),
Casorati, 1910, Collection privée
1500 Carpaccio deux dames venitiennesLes Courtisanes,  Carpaccio, 1500 , Musée Correr, Venise

La formule des soeurs parallèles avait déjà intéressé Casorati, en 1910. Peut-être la présence des deux chiens avait-elle alors catalysé la référence aux Courtisanes : discrète dans le cas des deux petites filles, elle devient évidente pour les deux grandes, faisant bénéficier les tableaux d’une énigme par procuration (voir 1 …une vieille histoire ).



 France : des confrontations sophistiquées

Les belles dames Art déco de Raphael Delorme

Raphael-Delorme Les Styles 1927

Les Styles, Raphael Delorme, 1927, collection particulière 

Antiquité, Moyen Age, Renaissance et Epoque moderne se distinguent par le bâtiment en arrière-plan, la coiffure et la posture : les deux styles extrêmes se répondent : sphère contre cube, aigles noirs contre colombes blanches, spirales du chapiteau contre ressorts de la montre. Le style Renaissance avec son lévrier blanc prend la figure d’une Vénus alanguie. Au milieu des ces trois nus tranche le style médiéval : corseté, vertical, enchâssé dans la cathédrale comme une pieuse relique.


Raphael Delorme L'Afrique, l'Asie, l'Europe, l'Amérique vers 1920 coll part
Les quatre continents, Raphael Delorme, non daté, collection particulière

Ici le vêtement caractérise l’Europe : l’Afrique, l’Asie et l’Amérique sont nues.


Raphael Delorme La répetition vers 1920 coll part
La répétition
Raphael Delorme, non daté, collection particulière

Quatre poissons rouge dans le bocal, quatre femmes dans le local. L’étrangeté vient ici des appariements incertains :

  • si l’on se fie à la symétrie des deux intrus – le tableau avec l’arlequin vue de face, le chien vu de dos – on opposera les deux spectatrices habillées, qui nous font face, et les deux actrices nues ;
  • si l’on s’intéresse aux accessoires, on constituera deux couples nus-habillés : les espagnoles (debout) et les figures de carnaval (assise et à genoux) ;
  • si l’on s’en tient à la symétrie de la pièce, on constituera deux autres couples nus-habillés : les deux femmes devant le sofa, et les deux devant la porte.


Raphael Delorme 1920 coll part Camembert J.Boudet

Camembert
Raphael Delorme, non daté, collection particulière

La petite nymphe, avec ses quatre colombes, vient rêver devant l’image du pâtre, avec ses quatre brebis.


Raphael Delorme L'offrande (femmes aux colombes) coll part
L’Offrande
Raphael Delorme, non daté, collection particulière

Deux prêtresses, la brune presque nue et la blonde presque habillée, sortent de leur arcade pour adorer une colonne. Les deux ne s’opposent pas, mais s’additionnent à l’orifice, à la mer, au palais blanc et aux deux colombes pour former une image idéale de l’Eternel féminin, en extase devant une érection.


Une allégorie populacière de Courmes

Alfred Courmes La chute d'Icare 1964 coll part
La chute d’Icare
Alfred Courmes, 1964, collection particulière

Les cinq cercles de la cible correspondent aux cinq personnages : rouge pour nu, noir pour habillé.

Les cinq bites d’amarrage leur correspondent aussi : dressées pour les quatre femmes au pistolet, abattue pour Icare. Celui-ci, sans tête ni sexe, est l’image de la virilité vaincue, tandis que les quatre fessiers féminins, alternativement offerts et interdits, sont les cibles qu’il a loupées.



Perséphone US

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Photographie de Judy Dater pour Life, 1976

La vieille dame est Imogen Cunningham, une des premières photographes américaines, alors âgée de 91 ans. La nymphe nue est le modèle Twinka Thiebaud, âgée de 31 ans. Séparant la vieille femme habillée et la jeune femme nue, le sequoia du Yosemite , qui ne meurt et ne se déshabille jamais, donne une image de permanence et d’étrangeté.

La photo a été publiée dans un numéro de Life magazine consacré aux 200 années de la femme américaine, et a reçu plusieurs interprétations :

Elle « parodie les représentations du voyeurisme masculin dans l’histoire de l’Art Occidental, tout en revisitant malicieusement les mythes de viol de lieux sacrés. Elle oppose le citadin et le pastoral : le bagage technologique de Cunningham – vivre en ville et voir la ville – lui pend autour du cou sous la forme d’un grand appareil photographique, obsolète, alors que se rencontrent de vielles légendes avec de nouvelles manières de voir. » Lucy Dougan [6].


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Thomas Hart Benton,1939, Thomas Hart Benton Home & Studio State Historic Site, Kansas City
thomas_hart_benton_persephoneThomas Hart Benton peignant Perséphone

 La composition s’inspire, aux dires de Dater, de celle du Perséphone de Thomas Hart Benton. Mais plutôt qu’il ne sépare les deux personnages, l’arbre ici sert de nid à la femme nue et révèle son affinité avec elle (lui aussi s’habille et se déshabille) : d’autant que le mythe de Perséphone est associé au retour cyclique de la végétation.

La photographie de Benton en train de peindre recrée malicieusement, par son angle de vue, le sujet-même du tableau : un homme habillé debout contemplant une femme nue couchée.



Références :
[1] http://chariteromaine.blogspot.fr/
[2] L’anecdote est racontée ici :
http://www.lrb.co.uk/v35/n23/julian-barnes/heart-squasher
et ici :
http://www.lefigaro.fr/culture/2010/03/09/03004-20100309ARTFIG00664-large-interior-notting-hill-de-lucian-freud-decrypte-.php
[2a] http://www.cineclubdecaen.com/peinture/peintres/titien/amoursacreprofane.htm
[2b] Sur le développement du thème , voir Marianna Lora « Ut rosa spineti compensans flore rigorem. La Vierge Immaculée comme Nouvelle Ève dans la peinture italienne du xvie siècle » https://journals.openedition.org/acrh/4345
[2c] https://www.britishmuseum.org/collection/object/C_M-269
[2d] Un point qui reste mystérieux est la paire de nombres (234 et 235) au recto et au verso de la médaille.
[3] Erwin Panofsky,« Hercule à la croisée des chemins et autres matériaux figuratifs de l’Antiquité dans l’art plus récent », trad. fr. D. Cohn 1999
« Hercules am Scheidewege und andere antike Bildstoffe in der neueren Kunst » 1930 https://digi.ub.uni-heidelberg.de/diglit/panofsky1930/0196/image,info#col_text_ocr
[3a] Le motif de la Gorgone vient directement de la description d’Homère : Athéna « revêtit la cuirasse de Zeus qui amasse les nuées, et l’armure de la guerre lamentable. Elle plaça autour de ses épaules l’Aigide aux longues franges, horrible, et que la Fuite environnait. Et là, se tenaient la Discorde, la Force et l’effrayante Poursuite, et la tête affreuse, horrible et divine du monstre Gorgô. » Iliade, rhapsodie V; Traduction Leconte de Lisle
[3b] Le musée étant fermé pendant la réalisation des tableaux, les objets représentés ne font pas partie des ses collections. On trouvera dans https://de.wikipedia.org/wiki/Griechische_Antike_und_Aegypten_(Klimt) les livres consultés par Klimt pour sa documentation.
[3c] « De Macron à Klimt : «plakountes» et pissenlits », M Halm-Tisserant – ‎1992 www.persee.fr/doc/rvart_0035-1326_1992_num_96_1_347989
[3d] « Gustav Klimt and the Precedent of Ancient Greece » , Lisa Florman The Art Bulletin Vol. 72, No. 2 (Jun., 1990), pp. 310-326, http://www.jstor.org/stable/3045736
[3e]   https://jeveuxunerousse.wordpress.com/2012/05/08/nuda-veritas-par-gustav-klimt/
[3f] Janina Majerczyk « Oskar Zwintscher: Zwischen Symbolismus und Neuer Sachlichkeit » p 406
[4] http://www.istrianet.org/istria/illustri/parenzano/anthony-ita.htm
[5] Casorati : mostra antologica : Milano, Palazzo Reale, 17 marzo-20 maggio 1990
[6] The photo « parodies depictions of male voyeurism in the history of Western art, as it playfully amends all those mythical violations of sacred places. It juxtaposes the city against the pastorale: Cunningham’s technological baggage of city life/city seeing hangs around her neck in the form of a large camera, but here it is obsolete and new ways of seeing and old narratives come together ». https://en.wikipedia.org/wiki/Imogen_and_Twinka_at_Yosemite

Les variantes habillé-déshabillé (version chaste)

12 février 2017
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Variantes dans lesquelles le déshabillage n’a rien du dévergondage…



Benozzo Gozzoli, Saint Sebastien misericordieux, 1464, fresque,San Gimignano, Sant Agostino.Saint Sébastien miséricordieux
Benozzo Gozzoli, 1464, fresque,San Gimignano, Sant’Agostino.
 

Benozzo Gozzoli Saint Sebastien 1464, fresque San Giminiano Duomo

Benozzo Gozzoli, Martyre de saint Sébastien, 1465, fresque, 525 x 378 cm, San Gimignano, Duomo

Nous citons ici l’étude de Karim Ressouni-Demigneux [1], qui a expliqué pourquoi Saint Sébastien, habillé en 1464, est représenté nu en 1465. Ces deux iconographies, l’une exceptionnelle, l’autre très courante, correspondent à deux conceptions de l’intercession du Saint auprès de Dieu pour protéger les hommes de la Peste.


La version habillée

« En mars 1464, des nouvelles alarmantes signalent que la peste se rapproche de la cité. Benozzo interrompt alors son travail (un cycle consacré à la vie de saint Augustin) et réalise en quatre mois cette fresque impressionnante de 5 m 27 sur 2 m 48. Dans la partie inférieure du ciel, des anges couronnent saint Sébastien tandis que d’autres l’assistent en brisant les flèches décochées depuis le ciel. Entre Sébastien et Dieu qui, courroucé, lance sur l’humanité les flèches de la peste, la Vierge et son Fils intercèdent au nom de leur propre douleur et en raison des mérites de saint Sébastien qu’ils désignent chacun de la main. »

Précisons que les deux dénudent leur poitrine :

  • le Christ pour offrir à la colère divine la plaie de son flanc,
  • la Vierge pour lui rappeler ses seins nourriciers.

Cette double exhibition, assez fréquente, a été étudiée par P.Perdrizet ([0], p 237, Comment le Moyen-Age a figuré l’Intercession de Marie).


La version dénudée

« Dès la fin de l’année Benozzo est au Duomo et commence un nouveau saint Sébastien qu’il signera le 18 janvier suivant, soit deux jours avant la fête consacrée au saint. Si, de toute évidence, la fresque du Duomo est un pendant de celle de Sant’Agostino (les dimensions et l’encadrement sont identiques), on constate immédiatement que Benozzo est revenu à l’iconographie qui s’est imposée dans les décennies suivant la peste noire. La solution trouvée à Sant’Agostino, cohérente, va ainsi constituer un cas unique, sans antécédents ni descendances. »


Les deux iconographies

« Ces similitudes accentuent l’opposition radicale des deux images. Saint Sébastien est habillé à Sant’Agostino, il est nu au Duomo ; les flèches métaphoriques sont brisées dans un cas, elles sont tirées par des hommes et fichées dans le corps du saint dans l’autre cas. Enfin, le couple formé par le Christ et Marie ne joue pas le même rôle ici et là. C’est justement ce rôle joué par la Vierge et son Fils à Sant’Agostino que saint Sébastien prend en charge au Duomo et qu’il prend en charge depuis 1348. Son martyre est effectivement la souffrance physique, terrestre, qui lui donne la possibilité d’intercéder. Mais dès lors que la peste est matérialisée par une volée de flèches à laquelle les hommes souhaitent échapper, cette même sagittation cristallise bien d’autres affects en devenant le lieu d’une métaphore simple et explicitement reliée à la maladie : il fut lui aussi perclus de flèches, il a enduré une souffrance similaire.

La très pertinente solution figurative de Sant’Agostino, qui n’évoque que de manière allusive cette sagittation, par une flèche et une palme brandie par deux anges, ne permet pas l’empathie que le corps nu et sagitté propose. L’écart entre la protection offerte par le manteau, évidente, et la sagittation, est ainsi du même ordre que celui qui, dans les deux fresques, distingue l’attendrissant geste de Marie qui se dépoitraille à Sant’Agostino de la simple prière qu’elle adresse au Duomo. Nous avons d’un côté une approche émotionnelle et de l’autre une approche rationnelle.« 



raphael-.songe.du.chevalierLe songe du chevalier
Raphaël, 1504, National Gallery, Londres
Raphael_-_Les_Trois_Graces_-_Google_Art_ProjectLes Trois Grâces
Raphaël, Musée Condé, Chantilly

On ne connaît pas la disposition initiale de ces deux petits panneaux, pratiquement de la même taille : étaient-ils présentés recto verso, ou l’un servant de couvercle à l’autre ? On bien formaient-ils le revers d’un diptyque conjugal (ce qui expliquerait la différenciation sexuelle manifeste ente les deux panneaux [2] ?  Impossible de le savoir. Quant à leur iconographie,  nous allons reprendre ici quelques éléments de la synthèse d’Inès Martin [2a].


Le songe de Scipion

« Il semble plausible qu’il puisse … s’agir de Scipion l’Africain – hypothèse largement partagée, d’après le poème épique La guerre punique de Silius Italicus, auteur latin du I° siècle après Jésus-Christ…. Dans l’incipit du livre XV, on trouve le topos du jeune héros mis face au choix entre le vice et la vertu : le héros est allongé à l’ombre d’un verdoyant laurier, lorsque « tout à coup, se dressent devant lui la Vertu et la Volupté, qu’il voit descendre des cieux, et qui se placent à sa droite et à sa gauche ». »

Dans la représentation de Raphaël, « la Vertu offre des cadeaux spirituels, c’est-à-dire le livre et l’épée, qui correspondent à la sapientia (sagesse) et potentia (pouvoir). La Volupté offre un cadeau sensuel, c’est-à-dire la fleur, qui correspond à la voluptas (plaisir)… Vêtue de manière élégante et avec des couleurs brillantes, elle a un vêtement rouge et bleu ciel, la tête couverte et embellie par un fil de corail et une fleur qui lui fixe les cheveux sur la nuque. Avec la main gauche, elle tient le fil d’un collier qui lui ceint la taille et les seins. « 


Les Trois Grâces

Dans Les Trois Grâces, « la Castitas (Chasteté) porte un pagne et n’a point de bijoux autour du cou. Voluptas (Volupté ou Plaisir), à l’opposé, se distingue par son long collier muni d’un joyau. Pulchritudo (Beauté), avec un bijou plus modeste, est la connexion entre les deux allégories les plus extrêmes : elle touche la Chasteté à l’épaule, mais elle se tourne vers le Plaisir. »


Relation entre les deux panneaux

« Selon Panofsky et Chastel, la peinture des Trois Grâces est la conclusion logique de l’épisode : les pommes des Hespérides, symboles d’immortalité, sont le prix accordé au héros qui vient de choisir la vie vertueuse. »

Une autre interprétation, moins moraliste, repose sur les symétries des deux panneaux :

⦁ au couple Vertu/Volupté du premier correspond le couple Chasteté/Volupté du second ;
⦁ au chevalier endormi sous le laurier correspond la figure centrale, la Beauté.


Raphael_-_Les_Trois_Graces_-_Google_Art_Projectraphael-.songe.du.chevalier

Si l’on présente les deux panneaux l’un au dessus de l’autre, le trio des Grâces semble illustrer, dans le domaine particulier de l’Amour, les pôles contraires entre lesquels, dans la vie pratique, l’Homme doit trouver son équilibre, entre Vertu et Volupté. Il ne s’agit pas tant d’être vertueux que victorieux. Et atteindre la Victoire sur terre, c’est comme atteindre la Beauté dans l’idéal.

Issues du songe du chevalier, les trois Grâces apparaissent comme les fruits oniriques du laurier, telles les pommes qu’elles portent.


Pour être complet, signalons que l’analyse se complique encore si l’on veut tenir compte [2b] :

  • du motif original, révélé par la réflectographie infrarouge de 1986, où une seule des femmes nues tient une pomme ,
  • de l’inventaire de la collection Borghèse (1615-1630), qui nomme les deux panneaux Les Trois Vertus et Les Trois Grâces.

Raphael_-_Les_Trois_Graces_schema

Ce schéma récapitule les trois grandes interprétations concurrentes, dont aucune n’est entièrement satisfaisante :

  • le Jugement de Pâris et les trois déesses (en jaune) ;
  • le Songe de Scipion et la récompense de la Vertu – les pommes d’or des Hespérides (en blanc) ;
  • Les Trois Vertus et les Trois Grâces (en bleu).




hans-holbein diptych-with-christ-and-the-mater-dolorosa 1521 Kunstmuseum, Offentliche Kunstsammlung, Basel

Diptyque avec le Christ et la Mater Dolorosa,
Hans Holbein, 1521, Kunstmuseum, Offentliche Kunstsammlung, Bâle

Il existe de nombreux diptyques où la Mère et le Fils sont mis en regard. Celui-ci, un morceau de virtuosité perspective datant de la jeunesse de Holbein, les met en scène dans un décor somptueux sensé être le palais de Pilate. Un contrepoint géométrique s’établit entre – côté Marie, le pilier et le portique arrondis – côté Jésus le pilastre et le portique carré, dont les voussures préfigurent la croix. Entre les deux, la pièce ouverte à la fois vers l’arrière-plan et vers le haut, vers la Terre et vers le Ciel, appelle la présence divine.

Mais c’est l’opposition entre les étoffes proliférantes et la chair offerte aux regards, entre l’enchâssement pudique et la nudité tragique, entre la douceur et la douleur, qui fait toute la force de cette extraordinaire composition.



Eugenia Martinez Vallejo, Carreno de Miranda, 1680, Prado, Madrid

Double portrait d’Eugenia Martínez Vallejo
Carreno de Miranda, 1680, Prado, Madrid

Eugenia était âgée de six ans et pesait environ 70 kilogrammes lorsqu’elle arriva au palais du roi Charles II, à Madrid.

« Le Roi notre Seigneur ordonna qu’elle soit vêtue  à la mode du Palais,  d’une robe somptueuse de brocard rouge et blanc avec des boutons d’argent, et il commanda au second Apelles de notre Espagne, son peintre, le distingué Juan Carreño, de faire deux portraits d’elle : l’un nu  et l’autre habillé ». Juan Cabezas, témoignage d’époque

Ainsi, le double portrait vise à immortaliser à la fois la singularité de la nouvelle attraction et la magnificence du cadeau royal. En la déguisant en Bacchus, le peintre légitime le nu : à l’époque, la mythologie reste un meilleur alibi que l’anatomie comparée.

Il y a probablement une ironie discrète dans le fait de faire tenir à la monstresse d’un côté des pommes et de l’autre une grappe. Comme si le fruit de l’Ivresse, qui fait oublier, compensait à l’avance celui  de l’Amour,  qu’elle risque fort de ne pas connaître.



Ruth in Boaz’s fields (1853)-francesco-hayez-Bologna, Collezioni Comunali d’Arte 139x1011853, Collezioni Comunali d’Arte, Bologne (139 x 101 cm) portrait-of-a-woman-as-ruth-francesco-hayez-1853 ca-musee de la collection de Jean-Paul II - Varsovie 123 x 159Vers 1853, Musée de la collection de Jean-Paul II, Varsovie (159 x 123 cm)

Ruth, Hayez

La version dénudée est certainement la première : il s’agit d’une commande du collectionneur bolonais Severino Bonora, qui avait simplement demandé à Hayez une scène orientale mettant en scène une belle bédouine [2c].

Ruth, une étrangère réduite à la mendicité, est en train de glaner dans le champ de Booz, qui à la suite de cette rencontre va la prendre pour femme. La main droite ouverte suggère l’offrande de soi, en contrepartie de la gerbe. Dans l’esprit de l’art orientaliste, le bracelet d’esclave et la poitrine dénudée appartiennent au registre de la disponibilité sexuelle. Mais le regard de côté désamorce le caractère provocant de la pose, et autorise une lecture chaste, où les seins nus s’ajoutent à la gerbe pour symboliser la fécondité (de l’union de Ruth et Booz descendra le roi David). Ainsi le tableau échappe à l’Enfer des oeuvres pour collectionneur averti (il a été exposé au public de Bologne en 1853).

Néanmoins Hayez a peint, probablement la même année, la version soft, moins ambigüe et plus facile à commercialiser.



Pierre_Puvis_de_Chavannes Esperance 1872 The Walters Art Gallery BaltimoreL’Espérance
Puvis de Chavannes, 1872, The Walters Art Gallery, Baltimore
Pierre_Puvis_de_Chavannes Esperance 1871-72 Orsay ParisL’Espérance
Puvis de Chavannes, 1871-72, Musée d’Orsay, Paris

Juste après la guerre de 1870, Puvis de Chavannes réalise deux versions de l’Espérance, sans doute en parallèle, car la version nue ne peut pas être considérée comme une ébauche de l’autre. Le modèle est Emma Daubigny, âgée de vingt ans à l’époque. On ne connaît pas la raison de cette conception en double, sinon peut être le souvenir des deux majas de Goya (voir Les variantes habillé-déshabillé (version moins chaste)).


La version habillée

c’est cette version que Puvis a choisi d’exposer au Salon de 1872, avec un succès mitigé : nombre de critiques trouvèrent que cette Espérance était bien maigre. D’autres furent touchés par le symbole, ainsi Armand Sylvestre qui consacra au tableau un poème :

« Blanc vêtue et si frêle, ainsi qu’une enfant née
Aux jours sombres, assise aux Champs où nos morts froids
Gisent sous le funèbre alignement des croix
L’Espérance est-ce toi, douce vierge étonnée ?
Dans nos champs ruinés où rode la belette,
Si pâle qu’en tes yeux rêve l’étonnement
De vivre encore, oh ! c’est bien toi l’ange
Qui frissonne au vent clément de l’aube violette. »

Armand Sylvestre, à Puvis de Chavannes

Inutile de chercher la belette, elle n’est là que pour la rime.

Le paysage se développe vers la droite, de sorte que le rameau d’olivier se découpe à mi-distance des deux ruines, et à mi-distance des deux talus hérissés de croix. Tout en montrant l’Espérance assise dans un camp, cette oeuvre n’oublie pas l’existence de l’autre camp.


Ambrogio Lorenzetti Fresque des Effets du Bon Gouvernenement Sienne La Paix detail
La Paix (détail de la fresque des Effets du Bon Gouvernement)
Ambrogio Lorenzetti, 1337-40, Sienne

Elle est manifestement inspirée de la fresque de Lorenzetti,


La version nue

Elle n’a été exposée qu’en 1887, dans la galerie Durand Ruel. Il n’y a qu’une seule ruine et le cadrage est resserré sur la jeune fille en fleur, assise sur un tas de gravats où justement des fleurs commencent à repousser.

Ici, la nudité attire le regard sur l’Espérance, tandis que dans la version habillée, la plage blanche de la robe le faisait ricocher vers la branche d’olivier, au centre de la composition.



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Nature morte à L’Espérance
Gauguin, 1901, Metroploian Museum, New York

C’est la version nue, moins rationnelle et plus sensuelle, que Gauguin admirait beaucoup. Il en possédait une photographie qui l’a accompagnée partout, de Paris à Tahiti, puis à Atuana. Il l’a faite figurer en bonne place dans cette nature morte tardive, hommage aux peintres qu’il admirait le plus [3] : Puvis, Van Gogh et son tournesol…


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Le petit cabinet de toilette
Degas, 1879-80

… ainsi que Degas, représenté ici par une jeune femme nue regardant vers la gauche : raison peut être pour laquelle le visage de l’Espérance a été retourné lui-aussi vers la gauche.



Références :
[0] Paul Perdrizet, La Vierge de Miséricorde. Étude du thème iconographique, Paris, Albert Fontemoing éditeur, coll. « Bibliothèque des Écoles françaises d’Athènes et de Rome no 101 », 1908 https://archive.org/details/bibliothquedes101ecoluoft/page/n9/mode/2up
On peut aussi consulter les études récentes de Franz Slump « Gottes Zorn – Marias Schutz, Pestbilder und verwandte Darstellungen als ikonographischer Ausdruck spätmittelalterlicher Frömmigkeit und als theologisches Problem » http://www.slump.de/l5.htm
[1] Les paradoxes temporels d’un tableau détruit de Francisco Pacheco, Karim Ressouni-Demigneux, Images Re-vues, Hors-série 1 , 2008 https://imagesrevues.revues.org/1091
[2] « Privatporträts : Geschichte und Ikonologie einer Gattung im 15. und 16. Jahrhundert », Angelica Dülberg, 1990, p 139 et ss
[2a] http://www.inesguide.fr/pages/mes-exposes/moderne/raphel-le-songe-1504.html
[2b] Bruno Mottin, « RAPHAËL AU MUSÉE CONDÉ : quelques résultats d’un examen sous l’angle du laboratoire » https://cima.ng-london.org.uk/documentation/files/N-0213/02_Provenance/Mottin_in_Musee_Conde_no_62_2005.pdf
[2c] http://www.euromanticism.org/ruth-in-boazs-fields-1856/
[3] Recent Acquisitions: A Selection, 1986-1987, By Metropolitan Museum of Art (New York, N.Y.), p 42
https://books.google.fr/books?id=TGk9eetaEEYC&pg=PA41&lpg=PA41&dq=hope+puvis+de+chavannes+two+versions&source=bl&ots=fRqoNu7Qq6&sig=3xXb3O2tVVoxKKrMLfnwkMK0Rdo&hl=en&sa=X&ved=0ahUKEwjVi4fJucbRAhXE6RQKHYNNCYcQ6AEINjAJ#v=onepage&q=hope%20puvis%20de%20chavannes%20two%20versions&f=false

Les variantes habillé-déshabillé (version moins chaste)

12 février 2017
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Ces oeuvres présentent une version habillée et une version nue, tantôt pour les destiner à des amateurs différents, tantôt au contraire pour les confronter dans un effet de striptease.

Deux versions (habillée et nue)

 

800px-Mona_Lisa,_by_Leonardo_da_Vinci,_from_C2RMF_retouchedMona Lisa Léonard de Vinci 1503-1519, Louvre
Leonardo: Gioconda Nuda Museo di Vinci potrebbe essere suaGioconda nuda,  Museo ideale Leonardo da Vinci, Florence

Il existe plusieurs versions de la Joconde nue, dont le caractère androgyne saute aux yeux. On peut penser qu’il s’agit de variations fantasmées postérieures.


Jonconde Nue Musee conde ChntillyJoconde nue, Musée Condé, Chatilly Leonardo: Gioconda Nuda Museo di Vinci potrebbe essere suaGioconda nuda,  Museo ideale Leonardo da Vinci, Florence

Un dessin conservé au musée Condé possède des pointillés qui se superposent presque exactement avec la Joconde nue (version de Florence). Certains pensent que la version nue aurait pu être un état préparatoire de la version habillée (voir l’état des recherches dans [1] et [2].



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La femme entre deux ages musee de RennesMusée de Rennes La femme entre deux ages nue musee de RennesMusée de Rennes

La Femme entre deux Ages
Anonyme français, vers  1575

« La gestuelle très explicite montre le refus de la jeune femme qui tend cruellement au vieillard ses bésicles, méprisant l’argent que celui-ci fait mine de compter. Au contraire, d’un geste précieux et symbolique de la main droite, elle tâte le petit doigt de son amant en signe d’approbation. » 

La version de Rennes a été restaurée récemment, retrouvant sous un repeint la braguette éloquente du vieillard, inspirée du personnage de Pantalon dans la Commedia dell Arte.

Tandis que la version habillée a été reproduite en série (on en connait une dizaine d’exemplaires), la version nue, unique et de meilleure qualité picturale, répond certainement à une commande particulière.


La_femme_entre_les_deux_ages 1565-67 pieter-perret1565-67
La_femme_entre_les_deux_ages 1579 gravure Pieter Perret1579
 
La Femme entre deux Ages
Gravure de Pieter Perret 

La genèse de cette iconographie très particulière a été explorée par R. Lebègue [3]. Elle pourrait remonter à la fin du XVème siècle (oeuvre perdue de M.Wohlgemuth).

Le tableau habillé est  copié sur la première version de la gravure de Perret, dont les vers en français et en allemand explicitent savoureusement le sujet, en particulier le geste de pincement qui met en équivalence les lunettes et le « petit doigt » :
:

« Voiez ce viel penard (*) , envlopé dans sa mante
Les bras croisez, gémir ce qu’il veut et ne peut;
La belle gentiment de deux dois luy présente
Ses lunettes, disant qu’a grand tort il se deut;
D’ailleurs rend son mignon pleyn d’une amour plaisante,
Serre son petit doit, et veult tout ce qu’il veult.
Bonhomme, tenez vos lunettes
Et regardez bien que vous nettes {sic)
De l’âge propre au jeu d’amours;
Un chacun cherche son semblable :
Souffrez qu’un aultre plus valable
Cueille le fruit de mes beaus jours. »

(*) Vieillard pénible


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Juliette_Recamier 1800 David, LouvrePortrait de madame Récamier
Jacques-Louis David, 1800, Musée du Louvre
Juliette_Recamier_Entourage de David, Chateau-musee de Boulogne-sur-MerJuliette Récamier
Entourage de David, vers 1810, Château-musée de Boulogne-sur-Mer.

La version dénudée

« ne représente pas vraiment Madame Récamier, guère ressemblante il est vrai, car une dame de ce rang n’aurait jamais posé nue et surtout les pieds sales. Ce serait une vengeance du peintre pour un tableau que le modèle aurait refusé auparavant. D’autre part, Jacques-Louis David n’était pas en très bons termes avec Juliette Récamier suite à une commande restée inachevée, pour de multiples raisons. » [4]



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delacroix_femme d alger louvreFemmes d’Alger dans leur appartement,
Delacroix, 1834, Louvre, Paris
Renoir_-_Parisiennes_in_Algerian_Costume_or_Harem_-_Google_Art_ProjectIntérieur de harem à Montmartre (Parisiennes habillées en algériennes),
Renoir, 1872. Musée national de l’art occidental, Tokyo.

En 1834, Delacroix a l’occasion de passer quelques heures dans un vrai harem à Alger, et en ramène des impressions si fortes qu’elles marqueront toute son esthétique [5]. L’indolence des trois épouses à la peau claire, la première  fixant paisiblement le spectateur, les deux autres partageant l’intimité d’un narguilé, s’oppose à l’activité de la Numide debout et vue de dos, qui va sortir du tableau sur la droite.

En 1872, Renoir, qui rêve d’Algérie mais n’y a pas encore mis les pieds, accommode le tableau célèbre à la sauce montmartroise, froufrous et  chairs dévoilées. Il conserve les quatre mêmes personnages mais modifie leurs interactions :  les trois épouses se trouvent recentrées autour d’une occupation commune  ; le miroir mural de Delacroix est maintenant tenu par la troisième épouse.  La servante numide quant à elle se trouve encore à droite et  vue de dos, mais assise sur un coffre de rangement.


delacroix_femme d alger louvre composition Renoir_-_Parisiennes_in_Algerian_Costume_or_Harem_-composition

C’est en comparant les lignes de composition que l’on comprend combien Renoir a ruminé et repensé en profondeur ce tableau qu’il admirait tant. La numide mise à part, la composition de Delacroix s’organisait autour d’un losange presque vide, centré sur le mystère de la porte rouge entre-baillée. Dans un format en hauteur cette fois, Renoir utilise la même composition en losange pour réorganiser les personnages autour d’une activité commune – l’habillage et le maquillage – et d’un premier rôle : la blonde crémeuse aux yeux chargés de khol, parisienne pur sucre grimée en algérienne.



Renoir_-_Parisiennes_in_Algerian_Costume_or_Harem_-tete
Avec son visage composite, elle personnifie  l’intention même de Renoir : remaquiller, tout en la déshabillant,  ce qui était pour lui « la plus belle peinture du monde ».



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Study of Mme Gautreau c.1884 by John Singer Sargent 1856-1925Etude, Tate Gallery, Londres
Sargent_MadameXEtat actuel

Madame X (Virginie Amélie Avegno Gautreau)
John Singer Sargent, 1884, Metropolitan Museum of Arts [6]

« Il lui faut toute une année pour achever le portrait. La première version du portrait, avec son fameux décolleté, sa peau si blanche et son port de tête altier sur une bretelle tombée de son épaule donne un effet global encore plus audacieux et sensuel. Lorsqu’il est présenté à Paris au Salon des artistes français de 1884, il déclenche un scandale. Sargent remet en place la bretelle pour tenter d’apaiser la réaction du public, mais le mal est fait. Les commandes françaises se tarissent et il admet à son ami Edmund Gosse en 1885 qu’il envisage d’abandonner la peinture pour la musique ou les affaires. Finalement, il part s’installer à Londres et y poursuit sa carrière de portraitiste. » [7]


Gustave Courtois_Gautreau_1891 musee orsay

Madame Gautreau en 1891, Gustave Courtois, Musée d’Orsay, Paris

En 1891, le profil est inversé et  la robe est passée du noir au blanc : mais l’épaule gauche est toujours dénudée, en clin d’oeil au scandale  assumé.


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Une manoeuvre pudique (Modest maneuver)
Pinup de Gil Elvgreen

En écho à la bretelle rattachée de Madame Gautreau, voici la manipulation inverse :  en passant de la réalité à l’art, la jarretelle se détache.



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dali 1925

Ana Maria à la fenêtre,
Dali, 1925, musée Reina Sofía, Madrid.

Ce tableau a été peint dans la maison de la famille à Cadaquès, lorsque la soeur de Dali avait dix sept ans. Il donne une impression de réalisme et de grand équilibre, alors qu’il contient un grosse anomalie :

  • la fenêtre a un seul battant, l’absence de celui  de gauche étant rendue moins criante par le linge blanc posé sur le rebord ;

et deux autres plus discutables :

  • la maison que l’on voit dans le reflet de la vitre n’apparaît pas en vue directe (en fait, comme la fenêtre est ouverte à angle droit, le reflet peut parfaitement montrer une maison située en hors champ, sur la gauche de la fenêtre) ;
  • les rayures du rideau de gauche sont verticales, celles du rideau de droite sont en oblique : il faut comprendre que le rideau de droite a été repoussé par le battant ouvert (même si l’oblique est exagérée).




dali jeune-vierge-autosodomisee-par-les-cornes-de-sa-propre-chastete-1954

Jeune Vierge autosodomisée par les cornes de sa propre chasteté,
Dali, 1954,Collection privée

Selon certains critiques, ce  tableau serait, vingt ans après,  une charge de Dali contre sa soeur, pour la punir d’avoir publié une biographie particulièrement négative. Selon d’autres, la femme serait Gala. En fait, le nu est  copié sur une revue sexy des années 30.


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dali 1925 pieds dali jeune-vierge-autosodomisee-par-les-cornes-de-sa-propre-chastete-1954 pieds

Mais l’auto-citation fait peu de doute, ne serait ce que dans le détail des ballerines sans talon.


dali 1925 perspective dali jeune-vierge-autosodomisee-par-les-cornes-de-sa-propre-chastete-1954 perspective

Dans le premier tableau, le point de fuite construit par les lignes du plancher,  de l’embrasure et du battant, tombe nettement au-dessus du niveau de la mer (sommes à un étage élevé de la maison), un peu au dessus et à gauche de la jeune fille. Ainsi la construction est conçue pour appeler le spectateur à venir combler le vide, et s’accouder fraternellement à gauche de la jeune fille.

Dans le second tableau, le point de fuite place le spectateur dans une situation  radicalement différente de l’admiration  fraternelle de 1925  : voyeurisme, par sa position latérale ; et fétichisme, par sa position basse, au niveau de la croupe.


dali jeune-vierge-autosodomisee-par-les-cornes-de-sa-propre-chastete-1954 cornes

Dans les oeuvres de cette époque, les cornes de rhinocéros tronquées sont fréquentes. Phalliques vues de côté, elles se révèlent vaginales vues par la tranche (celle qui effleure la chevelure de la jeune fille), voire virginales lorsque la cavité disparaît (celle qui effleure sa croupe). C’est ainsi que le titre du tableau est topologiquement justifié.

Tandis que sept cornes volantes assiègent la jeune femme, sept fragments métalliques de la barre d’appui flottent dans l’air, ligne droites amollies en courbes, dont l’une se referme en jarretelle sur la cuisse et l’autre en prépuce sur la corne.


dali jeune-vierge-autosodomisee-par-les-cornes-de-sa-propre-chastete-1954 detail dentelliereVermeer, Le Dentellière (détail), 1669-71, Louvre, Paris dali jeune-vierge-autosodomisee-par-les-cornes-de-sa-propre-chastete-1954 detail

Dali prétendait que ce tableau « l’un des plus chastes de tous », lui avait été inspiré par la Dentellière :  de même que la composition de Vermeer converge vers une aiguille qu’on ne voit pas piquer, de même celle de Dali élude, par le flou, la rencontre attendue de la croupe et de la corne.

Tandis que sept cornes volantes assiègent la jeune femme, sept fragments métalliques de la barre d’appui flottent dans l’air, ligne droites amollies en courbes, dont l’une se referme en jarretelle sur la cuisse et l’autre en prépuce sur la corne.



L’effet de striptease

Coffret de mariage 1390-1400 atelier de Baldassare Ubriachi Venise ou Florence Jugement de Paris avec Mecure VandA A 27-1952Histoire de Pâris (Eléments d’un Coffret de mariage)
Atelier de Baldassare Ubriachi (Venise ou Florence) 1390-1400, Victoria and Albert Museum (N° A 27-1952)

  • La scène 7 montre Mercure apparaissant à Pâris dans un rêve et lui demandant de départager les trois déesses.
    Dans la scène 8, Mercure tenant la pomme d’or se décale en arrière, laissant les trois déesses nues face à Pâris toujours endormi.

L’invitation au déshabillage nuptial se fait donc sous l’alibi de l’onirisme.

 


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triptyque satirique 1

Texte du phylactère :
« Laisse ce panneau fermé, sinon tu seras fâché contre moi ».

Bien sûr, le spectateur va ouvrir le panneau, et trouver derrière…


triptyque satirique 2 triptyque satirique 3

Diptyque satirique
Anonyme flamand, début XVIème, Collections de l’Université de Liège

…le derrière du même personnage, avec un chardon fiché dans son pantalon :  » Ce ne sera pas ma faute car je t’avais prevenu avant. « 

En face, un fou fait la grimace : « Et plus nous voudrons te mettre en garde, plus tu auras envie de sauter par la fenêtre. « 

La signification précise de cette oeuvre unique, et notamment du chardon, nous reste inconnue. Contre quel interdit s’agit-il de nous mettre en garde ? Homosexualité, scatologie, avarice ? En l’absence de toute source et de tout élément de comparaison, mieux vaut s’abstenir d’échafauder [8].



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Pietro Bertelli, Courtesan and Blind Cupid c. 1588,METUne Courtisane et Cupidon aveugle
Pietro Bertelli, vers 1588, MET

C’est à Venise, ville de toutes les licences, que Pietro Bertelli a publié des gravures à volets, le sommet de l’érotisme pour l’époque (sur de telles gravures à sujet macabre, voir Plus que nu).


Album de souvenirs italiens XVIIeme

Livre de famille (Stammbuch) de Philipp Hainhofer, 1597

D’après l’inscription en allemand, Philipp Hainhofer avait dix neuf ans quand il a collé dans son Stammbuch cette image, inspirée des gravures de Bertelli, que lui avait donnée un ami. Les deux sentences encouragent avec humour le jeune consommateur :

Peu de sagesse suffit à celui qui a bonne fortune

Poco senno basta a chi fortuna è buona ,

Une fois la lampe enlevée, pas de différence entre les femmes

Sublata lucerna nihil interest inter mulieres


Album de voyage Cortesiana Vedoa ferarese

Cortesiana, Vedoa ferarese
Album de voyage, XVIIème siècle, photo Margherita Palumbo [0c]

Cette image est typique des albums personnels que les riches touristes du Nord faisaient réaliser par des artistes italiens. Elle met en parallèle deux stéréotypes, une courtisane multicolore et une veuve noire, sans doute moins opposés qu’ils ne nous le semble aujourd’hui : car les veuves étaient appréciées pour leur liberté sexuelle.



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Honthorst 1625 Smiling Girl, a Courtesan, Holding an Obscene Image Saint Louis Art Museum Honthorst 1625 Smiling Girl, a Courtesan, Holding an Obscene Image Saint Louis Art Museum detail
Qui reconnaît mon cul de derrière
(wie kent mijn naers [kont] van afteren)

Courtisane tenant une image obscène
Honthorst, 1625, Saint Louis Art Museum [9]

La jeune femme en riches habits, diadème à plumes et décolleté pigeonnant, qui nous regarde de face en souriant, nous présente une femme nue, vue de dos, qui nous surveille entre deux doigts écartés en nous défiant de la reconnaître.

Il ne fait aucun doute qu’il s’agit du portrait promotionnel d’une courtisane, en public et dans l’intimité.


Honthorst 1625 L'entremetteuse Centraal Museum Utrecht

L’entremetteuse
Honthorst, 1625, Centraal Museum, Utrecht

On la retrouve comme enjeu dans cette transaction entre une vieille entremetteuse et un jeune homme dont la vue à contre-jour souligne la timidité.



Honthorst 1625 L'entremetteuse Centraal Museum Utrecht detail
Tandis que les mains de chair sont encore écartées, celle d’ombre fusionnent déjà sur le luth. Et l’éteignoir mis en évidence sous l’aisselle, dit bien ce qui va arriver à la bougie.



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Martin van Meytens - Kneeling Nun c1731 Martin van Meytens - Kneeling Nun b

Nonne agenouillée
Martin van Meytens le jeune, 1731, Stockholm, Nationalmuseum

Le jeune nonne en prière se retourne  en souriant  vers le visage d’une vieille passant à travers les barreaux. Seul le rideau rouge posé  bizarrement sur le le Prie-Dieu pourrait suggérer aux mauvais esprits l’idée d’un dévoilement….

La paillardise vient ici d’une triple  transgression : scène de séduction entre femmes, entre religieuses, entre  jeune et  vieille, dans laquelle  le spectateur s’identifie, par construction,  à la vieille nonne libidineuse.

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boucher 1742 tableaux superposes

L’enfant gâté, La gimblette, Boucher, 1742, Staatliche Kunsthalle, Karlsruhe

La jupe relevée, L’oeil indiscret, Boucher, 1742, Collection privée

Réalisés pour le fumoir du financier Pierre Paul Louis Randon de Boisset, les deux peintures « découvertes » masquaient les deux peintures  « couvertes » de manière à ménager, pour les spectateurs éclairés, le plaisir de la surprise et celui de la comparaison (voir plus d’informations dans Les pendants de Boucher).


Boucher 1743 Odalisque coll privL’odalisque habillée, collection particulière (65 x 51 cm) Boucher-1743-Lodalisque_brune_LouvreL’odalisque brune, Louvre, Paris (65 x 53 cm)

Boucher, 1743

L’année suivante, Boucher réalise, en version nue et en version habillée, ce portrait affriolant dont on a dit, au choix, qu’il serait celui de sa femme ou de la Marquise de Pompadour. Vu la coïncidence de dates avec les tableaux précédents, , Il est probable que la version habillée servait de couvercle à l’autre.



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a-pair-of-reverse-glass-paintings XVIIIeScène pastorale a-pair-of-reverse-glass-paintingsVénus et Cupidon

Peintures sur verre, XVIIIème siècle

Derrière la quenouille et la flûte se cachent deux instruments plus offensifs : l’arc et la flèche, que Vénus tient  pour l’instant hors de portée d’un  Cupidon impatient. Les sages occupations du recto – filer la laine et filer la chansonnette – sont trahies par le verso qui révèlent ce qu’elles taisent : le désir de tirer un coup.



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Fussli A Woman Standing at a Dressing Table or Spinet, c. 1790-1792 National Gallery OttawaFemme debout contre une table ou une épinette
Füssli , 1790-1792, National Gallery, Ottawa
Fussli A Woman on a balcony with high dressed hair and hat 1790-92Femme à la fenêtre
Füssli , 1790-1792,Auckland Art Gallery

Exemple de pendant recto-verso avec cette vue de dos de l’affriolante Madame Füssli devant un rideau ouvert, puis vue  de face à la fenêtre (noter  la jupe probablement relevée)


Fussli A Woman Standing at a Dressing Table or Spinet, c. 1790-1792 National Gallery OttawaFemme debout contre une table ou une épinette
Füssli , 1790-1792, National Gallery, Ottawa
Fussli Callypiga 1790-1800 coll priveeCallypiga
Füssli,  1790-1800, Collection  privée

Exemple de pendant habillé/nu et bienséant/érotique : à droite, Madame Füssli [10] s’admire dans un miroir tout en se laissant admirer, encadrée par deux pieds de table gaillards. A noter l’étonnante frise du tapis, où une vulve se trouve doublement attaquée, puis relâchée, dans une sorte de cinématographe paillard.


Dominique Vivant Denon Neapolitan woman, standing, facing front, and lifting her skirt to reveal her nudity. 1787 British museum Dominique Vivant Denon Neapolitan woman, standing, from behind, and lifting her skirt to reveal her nudity. 1787 British museum

Femme napolitaine
Dominique Vivant Denon, 1787, British Museum

D’autres artistes de la même époque ont sacrifié au fantasme de la jupe relevée :  ces deux études font le tour du sujet.



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P00742A01NF2008 001La maja nue
Goya, entre 1790 et 1800, Prado, Madrid
P00741A01NF2008 001La maja vêtue
Goya, 1800-1803, Prado, Madrid

La version nue a précédé la version habillée, mais bientôt les deux ont été présentées en superposition, selon le même procédé que Boucher :

 » les deux grands tableaux … étaient la propriété de Manuel Godoy ; le tableau avec la femme habillée était placé sur le tableau avec la femme nue, et c’était un mécanisme qui permettait de découvrir le second.  » [11]



Manet Jeune femme habillee en costume espagnol 1862Jeune femme habillée en costume espagnol,
Manet,1862,New Haven, Yale University Art Gallery

Un peu plus tard, Manet s’amuse avec les classiques : sur le divan de Madame Récamier, il dépose la Maja Nue tout en la rhabillant… en homme ! [12]


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1856 Antoine_Wiertz_Coquette_DressLa coquette habillée
Antoine Wiertz, 1856,
Musée Wiertz, Bruxelles
1856 Antoine Wiertz-Le miroir du diableLe miroir du Diable
Antoine Wiertz, 1856,
Musée Wiertz, Bruxelles

Wiertz renoue avec  le procédé XVIIIème des deux peintures couverte et découverte, sans que nous sachions si la paire était destinée être présentée superposée ou juxtaposée.

L’élément novateur est ici le miroir qui, lorsque c’est le diable qui le manipule, déshabille la coquette et la transforme en dévergondée (voir Le miroir transformant 2 : transfiguration).



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masson_-_l_origine_du_monde_-_1955Terre érotique
André Masson, 1955
Origin-of-the-WorldL’origine du monde
Courbet, 1866, Musée d’Orsay

Le dernier propriétaire, Jacques Lacan, avait demandé un cache à son ami André Masson. Il est fort probable que « Terre érotique », tracée d’un fin trait blanc  comme par un pinceau à un seul poil, ait été conçue comme une antithèse ironique de l’abondante toison noire. Pour un résumé des aventures du célèbre tableau et de ses caches, voir [13].



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pendule a secret Circa 1900 A pendule a secret Circa 1900 B

Pendule à secret, vers 1900

La plupart des objets érotiques « à transformation » ne se contentent pas d’un simple striptease.



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Alfons Walde Elegant lady coll part Alfons Walde Elegant lady with raised skirt coll part

Alfons Walde, vers 1940, collection particulière

Le peintre autrichien Alfons Walde s’essaye ici au pendant Habillé/Déshabillé, mais sa formule favorite est celle de la femme recto-verso (voir 4 Les figure come fratelli : postérité).

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verres-annees-50-5 Photo lescopainsd-abord.over-blog.com
Photo lescopainsd-abord.over-blog.com

En 1941 apparait un tout nouveau procédé breveté pour la première fois par Meyercord : les images de pin-up dénudées sont recouvertes d’une couche de décalcomanie blanche qui disparaît lorsqu’elle est humidifiée et refroidie [14].



verres-annees-50-3 Photo lescopainsd-abord.over-blog.com
Le procédé fonctionne aussi en recto-verso.



verres strptease 1983
Il se décline jusque dans les années 80.


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Pinup cristal Paris Hollywood N°82 1949 couverture Pinup cristal Paris Hollywood N°82 1949 souris

Pinups avec masque en papier cristal, Paris Hollywood N°82 1949

1960 ca pinup cristal A1 1960 ca pinup cristal A3 1960 ca pinup cristal A2

Pinups avec masque en papier cristal, vers 1960

En pleine mythologie de l’effeuillage, des revues parisiennes imaginent cette solution peu convaincante.



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miroir strptease Germany A miroir strptease Germany B

Miroirs à couvercle basculant

Une autre innovation plus robuste, due à la technologie allemande.



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Sie kommen (Naked and Dressed) Helmut Newton, 1981 naked Sie kommen (Naked and Dressed) Helmut Newton, 1981 dressed

Sie kommen (Naked and Dressed)
Helmut Newton, 1981, Paris

La version nue révèle  des symétries puissantes :

  • devant, une brune  et une blonde avancent à contrepied l’une de l’autre ;
  • derrière, deux « suivantes » avancent les mains sur les hanches,  chacune  à contrepied de la « maîtresse » vers laquelle elle tourne la tête.

La version habillée ajoute des  symétries  différentes : les deux pantalons et les deux jupes se répartissent par symétrie centrale, tandis que les deux capes se trouvent dans la moitié droite. Le chapeau qui couronne la blonde la met en position de meneuse, d’autant qu’elle est maintenant la seule à lever le pied gauche (la deuxième fille a changé de pied).


A la difficulté technique, Newton ajoute la virtuosité thématique. Dans cette marche suspendue :

  • la version nue met à  égalité  les deux dominantes, la brune et la blonde ;
  • la version habillée consacre la victoire de la blonde.



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Olga Zavershinskaya

Photographie de Olga Zavershinskaya

On passe de l’une à l’autre simplement en relevant la robe.


Références :
 [1] https://fr.wikipedia.org/wiki/Monna_Vanna
[2] Catalogue de l’exposition de 2019 : Mathieu Deldicque, « La Joconde nue »,  musée Condé.
[3] R. Lebègue, Note sur un tableau du musée de Rennes,  Annales de Bretagne. Tome 37, numéro 3-4, 1925. pp. 377-383; http://www.persee.fr/doc/abpo_0003-391x_1925_num_37_3_1622
[4] https://fr.wikipedia.org/wiki/Juliette_R%C3%A9camier
[5] Pour une étude des Femmes d’Alger sous toutes les coutures, voir http://www.jcbourdais.net/journal/delacroix.php
[6] http://www.metmuseum.org/blogs/digital-underground/2015/paintings-uncovered
[7] https://fr.wikipedia.org/wiki/Madame_X_(John_Singer_Sargent)
[8] http://www.wittert.ulg.ac.be/fr/flori/opera/anonyme1/anonyme1_notice.html
[8a] Margherita Palumbo, « A Unique Souvenir from Venice, » 28 August 2019, https://www.prphbooks.com/blog/2019/8/27/a-unique-souvenir-from-venice
[9] https://nl.wikipedia.org/wiki/Jonge_vrouw_met_een_medaillon
[10] L’inscription en haut à gauche est Powell en lettres grecques. Au verso, également crypté en lettres grecques, on peut lire Soph Rawlins, le nom de jeune fille de l’épouse de Füssli, qui lui a inspiré de nombreux dessins fantasmatiques.
[11] https://fr.wikipedia.org/wiki/La_Maja_nue
https://fr.wikipedia.org/wiki/La_Maja_v%C3%AAtue
[12] http://kerdonis.fr/ZMANET01/
[13] https://www.cineclubdecaen.com/peinture/peintres/courbet/originedumonde.htm
[14] Une large collection de verres striptease : https://lescopainsd-abord.over-blog.com/2023/02/les-verres-strip-tease-des-annees-70-80-par-nath-didile.html

Les pendants d'histoire : temps modernes

11 février 2017
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Isaïe d’Issenheim
 Garouste, 2007, Diptyque

Nous avons la chance d’avoir une description par l’artiste de cette oeuvre complexe.   Nous la  citons presque intégralement.


Le panneau de gauche

Garouste réinterprète  le panneau de l’Annonciation du retable d’Issenheim :

Grunewald Retable d'Issenheim Annonciation

Grünewald, 1512-16, Musée Unterlinden, Colmar


Le décor

On retrouve « le dallage polychrome du sol, les culs-de-bouteille des verrières, les remplages flamboyants des baies, les colonnettes et les moulures des arcs ogifs. Dans le dallage du sol de la chapelle, Gérard Garouste a inscrit des motifs géométriques gris-bleu dont plusieurs présentent la forme d’une croix chrétienne. L’intention didactique de l’artiste français apparaît ici en toute clarté : le spectateur doit comprendre que l’espace dans lequel l’artiste allemand a installé la figure de Marie représente, dans l’Isaïe d’Issenheim, le monde du christianisme. »[8]


Isaïe

« Chez Gérard Garouste, le prophète Isaïe retrouve un statut de personne, là où Grünewald le réduit au simple stéréotype du prophète juif enturbanné, traité telle une statue au format réduit par opposition à Marie, figure monumentale aux couleurs de la vie. Tandis que Grünewald a eu l’idée d’associer la statue du prophète à une branche en pierre, l’artiste français a souhaité intégrer ce motif de la branche à la figure du prophète, opérant une fusion de l’humain et du végétal. Des mains et des pieds nus d’Isaïe partent des racines qui constituent à l’évidence, une référence imagée au thème des racines juives de la civilisation chrétienne. »   [8]


Les deux livres

La vue plongeante  permet, tout en respectant l’architecture de la chapelle, d’escamoter le personnage de Marie, dont seul le livre est resté au sol.  A la place de l’archange Gabriel,  un Garouste aux ailes tricolores se trouve enserré dans une camisole de force, bâillonné par un papier illisible.

6-isaiee-d-issenheim-c-gerard-garouste-c-galerie-daniel-templon-c-photo-bertrand-huet detail Isaie 6-isaiee-d-issenheim-c-gerard-garouste-c-galerie-daniel-templon-c-photo-bertrand-huet detail Garouste

« Dans l’ombre de la voûte qui surplombe la scène de l’Annonciation, le prophète Isaïe tient un livre ouvert dont le texte est illisible. Dans l’oeuvre de Grünewald, ce dernier fait pendant à un autre livre ouvert, quelques centimètres plus bas, aux pieds de la Vierge : une citation de l’Evangile de Mathieu y est inscrite en latin, parfaitement lisible, qui passe pour être une traduction du livre tenu par Isaïe. Mais si  l’on se donne la peine d’ouvrir le Livre des Prophètes, à la page dite (Isaïe, VII, 14) et de lire le texte hébreu, on s’aperçoit que cette traduction est erronée. » G.Garouste [9]

Le texte du bâillon est donc  la traduction correcte, mais interdite,  du texte  d’Isaïe, tandis que le livre de Marie exhibe la traduction fautive [10].


Le panneau de droite

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« …Mais le sujet est tabou. De ce détournement et de cette spoliation en règle, on ne parle pas. Ce n’est pas faute d’avoir essayé. Je suis allé frapper un jour d’escapade à la porte d’une église. J’attendais un miracle. J’aurais pu l’attendre longtemps car j’étais paralysé, faute d’avoir avalé un certain médicament. Un infirmier est venu me délivrer. »  G.Garouste [9]


La logique du pendant

« Ambiance gothique. Unité de lieu, une église :  vue extérieure sur le parvis, vue intérieure plongeante depuis une voûte. L’unité de temps s’opère par le moyen du raccourci entre l’ange enroulé dans une camisole et le personnage figé sur le dos, pattes en l’air, comme un gros scarabée. Quant à l’unité d’action, ce pourrait être la Chute. Par cette mise en scène, je reviens sur un sujet que j’ai déjà abordé, celui de la transmission des connaissances et de l’ambiguïté des valeurs culturelles. Mais cette fois, c’est le Fou qui prend la parole car il est un fait acquis qu’un fou parle tout seul et voit des choses que les autres ne voient pas, par exemple les signes manifestes d’une duperie collective. Il est libre de tout dire. » G.Garouste [9]

 



Références :
[1] http://museefabre.montpellier3m.fr/pdf.php/?filePath=var/storage/original/application/47fcbe178c60db598047563b621fe8a1
[2] http://www.ac-orleans-tours.fr/fileadmin/userupload/ia37/PDF/Missions/actionsculturelles/beaux-arts/DOSSIERPEDAGOGIQUEVINCENTAnne-1.pdf
[3] « I got only one short look of it; but I saw nature so beautifully depicted, that in spite of all I could do the tears burst from my eyes, and the impressions made by it is as powerful at this moment as it was then. […] There was never anything of the kind made such an impression on me25. » Hogg, The Art-Union, mai 1839, no 4, p. 74.
[4] On trouvera une traduction documentée dans http://www.address-to-a-haggis.c.la/
[5] http://www.victorianweb.org/painting/wilkie/paintings/2.html
[8] Dossier pédagogique de l’exposition de Mons (24/09/2016 au 29/01/2017) http://www.bam.mons.be/accueil-des-publics/scolaire/dossiers-pedagogiques/exposition-gerard-garouste/view
[10] Gérard Garouste, 2009, Skira p 265
[11] « En hébreu il existe un mot et un seul, betula, pour dire d’une femme qu’elle est vierge. Et un autre mot, alma (alm : caché, secret) pour désigner une jeune fille ; celle que son père soustrait aux regards des hommes, s’il le faut en l’enfermant dans sa chambre. Alma n’est pas nécessairement betula. Les traductions du texte hébreu en grec, puis en latin, ne s’encombrent pas de subtilités aussi crues et choisissent de traduire alma par vierge…. Cet infime glissement de sens serait-il l’effet du hasard, ou des alea de la traduction ? Au regard du dogme, il révèle pourtant la naissance du mythe, fondateur du christianisme, de la pureté de la Vierge. » Gérard Garouste, 2009, Skira p 218

Age d'or (2) : les pendants moraux

8 février 2017
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Ce type particulier de pendant conceptuel se développe dans la seconde moitié du siècle : il tire partie de la structure binaire du pendant pour passer un message moral, en montrant soit deux situations opposées (moralement  ou socialement), soit deux aspects complémentaires de la même notion.

Hogarth 1751 Beer-street-and-Gin-lane

Beer Street, Gin Lane
Hogarth, 1751

Cette paire de gravures militantes compare la prospérité d’une rue où les habitants s’adonnent à la boisson traditionnelle de l’Angleterre, la bière, et la décrépitude d’une population qui s’abandonne à cette nouveauté pernicieuse qu’est le gin.

Conçue pour l’éducation du peuple, ce pendant fourmille de détails croustillants [2], et fonctionne par la profusion plutôt que par la symétrie. Voici les rares détails qui se répondent :

  • le toit en réparation et le toit qui s’écroule ;
  • l’enseigne en forme de tonneau et celle en forme de cercueil ;
  • la maison du prêteur sur gages : en brique, décrépite et sans clients d’un côté, elle est reconstruite en pierre de l’autre, et son enseigne redressée forme une croix impie qui vient se poser juste en haut du clocher.


Hogarth 1751 Beer-street-and-Gin-lane detail peintre
A noter également le personnage du peintre, qui fait le lien entre les deux scènes : sous une image « A la santé du Barley Mow » (chanson à boire traditionnelle), il est en train de peindre, en s’inspirant de la bouteille suspendue, une publicité pour le gin.


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Gabriel de Saint Aubin - Promenade de Longchamp c1760 Musee Rigaud Perpignan 80 x 64 cmLa promenade de Longchamp, Musée Rigaud, Perpignan Gabriel de Saint Aubin La parade du boulevard c1760 National Gallery 80 x 64 cmLa parade du boulevard, National Gallery, Londres [3]

Gabriel de Saint Aubin, vers 1760, 80 x 64 cm

Ces deux tableaux de même taille n’ont pas été exposés ni vendus en pendants : il est néanmoins très probable qu’ils aient été conçus comme tels.


La promenade de Lonchamp

La composition est divisée par les troncs d’arbre en trois sections :

  • à gauche, une table avec trois dames, un gentilhomme qui tend la bouteille et un vieux mendiant qui tend la main ;
  • au centre un couple élégant ;
  • à droite, une vielleuse et un guitariste assis par terre, un chien qui gambade et une file de carrosses qui attendent.


La parade du boulevard

La composition est la encore divisée en trois zones, mais réparties différemment :

  • la foule, dont tous les regards se tournent vers l’estrade ;
  • un couple de comédiens qui s’affrontent à l’épée pour la parade (spectacle gratuit incitant le spectateurs à entrer dans le théâtre) ;
  • un jeune homme endormi sur son tambour (sans doute celui qui a rameuté la foule).


La logique du pendant

Le pendant compare deux spectacles gratuits :

  • à l’extérieur de Paris, une parade pour les riches ;
  • sur le boulevard du Temple, une parade pour les pauvres.



Noël Hallé

Halle 1738 Antiochus tombant de son char Richmond, The Virginia Museum of Fine ArtsAntiochus tombant de son char, The Virginia Museum of Fine Arts, Richmond (99.7 × 135.9 cm)
Halle 1738 Antiochus-dictant-ses-dernieres-volontes-collection HorvitzAntiochus dictant ses dernières volontés, collection Horvitz (100,5 x 135 cm)

Hallé, 1738

Dans le premier tableau, Antiochus, qui se rendait à Jérusalem pour exterminer les juifs et détruire le temple, a un accident de char.

Dans le second, sur son lit de mort, il montre le ciel qui l’a puni, et dicte ses dernières volontés en faveur des juifs.


La logique du pendant

Dans ce pendant extérieur-intérieur, la posture d’Antiochus, couché tête en bas hors de son char, puis tête en haut dans son lit, illustre son relèvement moral.

D’autres symétries se révèlent progressivement entre les deux compositions :

  • les deux chevaux renvoient aux deux soldats ;
  • le soldat qui s’incline vers le visage du roi trouve un écho dans scribe qui note ses dernières paroles ;
  • l’autre soldat, qui relève sa jambe droite fracturée, renvoie au médecin qui la soigne.


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halle Hercule et Omphale Les dangers de l'amour hercule-omphale Salon de 1759 Musee de choletLes dangers de l’amour (Hercule et Omphale) halle Les dangers de l'ivresse bacchanale Salon de 1759 Musee de choletLes dangers de l’ivresse (Bacchanale)

Hallé, Salon de 1759, Musée de Cholet

Mis à part le titre, rien n’apparie réellement ces deux scènes ; et les soi-disant « dangers » (la féminisation d’un côté, la violence et le viol de l’autre) sont montrés avec si peu de conviction que le résultat obtenu est plus proche d’une apologie que d’une mise en garde.


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Halle, l education des riches, 1764-1765 coll partL’éducation des riches
Halle, l education des pauvres, 1764-1765 coll partL’éducation des pauvres

Hallé, 1764-65, Collection particulière

Trois ans après la publication de l’Emile, ce pendant engagé se place résolument dans le camp de Rousseau.

Le jeune riche, encouragé par son précepteur et surveillé  par son père et sa mère, fait face d’un air crispé à son maître de mathématiques, en se reculant le plus possible sur son siège. La mappemonde et le plan de la forteresse disent bien que ce type de savoir est celui qui sert au pouvoir. Le jeune frère, encore un peu libre, feuillette un carnet de dessins à côté d’une guitare qui attend la fin du pensum.

Du côté des pauvres, pas d’enseignant spécialisé, tout le monde instruit les enfants : le père montre comment suivre un plan, la mère surveille la broderie, la grande soeur apprend les lettres à la petite et une servante aide le plus jeune à monter l’escalier.

Un chien de compagnie (inutile) et un chat (utile) complètent la symétrie. A remarquer aussi,à l’extrême droite, le mendiant qui entre chez les pauvres, et à l’extrême-gauche, le valet indifférent qui quitte la pièce des riches. Les uns font la charité, les autres se font servir.


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Halle 1779 Cornelie Mere des Gracque Musee Fabre MontpellierCornélie, Mère des Gracques
Hallé, 1779, Musée Fabre, Montpellier
Halle 1779 Agesilas jouant avec ses enfants Musee Fabre MontpellierAgésilas jouant avec ses enfants
Hallé, 1779, Musée Fabre, Montpellier

C’est dans l’Antiquité  que Hallé va maintenant chercher une mère et un père modèle, pour ce  pendant très classique qui respecte l’opposition intérieur/féminin et extérieur/masculin.

 «Cornélie, mere des Gracques, recevant la visite d’une Dame Campanienne, richement vêtue, & qui tiroit vanité de toutes ses parures, lui dit, en lui présentant ses Enfans, qui revenoient des Ecoles publiques : pour moi, voilà mon faste et mes bijoux. Valere Maxime, lv. IV, ch. 4″ Notice du Salon de 1779 « Quelqu’un riant de voir Agésilas à cheval sur un bâton, avec son fils, qui était encore dans l’enfance : maintenant, lui dit Agésilas, gardez-moi le secret. Quand vous serez père, vous conterez mon histoire  à ceux qui auront des enfants. » Histoires diverses d’Elien, traduites du grec, avec des remarques par B.-J. Dacier, 1772

Cignaroli 1768 La mort de Caton Budapest, Musee des Beaux-ArtsLa mort de Socrate Cignaroli 1768 La mort de Caton Budapest, Musee des Beaux-ArtsLa mort de Caton

Cignaroli, 1768, Musée des Beaux-Arts, Budapest

Le pendant confronte, dans l’ordre chronologique, le suicide édifiant d’un Grec et d’un Romain, entourés de disciples montrant tous les signes de l’affliction la plus extrême :

  • de part et d’autre des deux mains inanimées de Socrate s’opposent la coupe de ciguë avec laquelle il s’est empoisonné, et le livre ouvert qui proclame  son immortalité ;
  • la diagonale de l’épée monte vers le corps christique de Caton le Jeune : on dit qu’il se donna la mort après avoir lu une dernière fois le Phédon de Platon.

Ainsi le livre qui symbolise la sagesse antique passe virtuellement du tableau grec au tableau latin.


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Vincent (Francois-Andre ) 1776 Alcibiade recevant les lecons de Socrate Musee Fabre,MontpellierAlcibiade recevant les leçons de Socrate Vincent (Francois-Andre ) 1776 Balisaire, reduit a la mendicite, secouru par un officier des troupes de l empereur Justinien Musee Fabre,MontpellierBélisaire, réduit à la mendicité, secouru par un officier des troupes de l’empereur Justinien

Vincent (François-André ), 1776 ,Musée Fabre, Montpellier

Bien que le goût néoclassique prétende à une simplification après les excès du rococo, ce pendant  continue à exiger une lecture experte.

Une scène d’intérieur s’oppose à une scène en pleine air. Dans chacune, un jeune soldat casqué et cuirassé dialogue avec un homme mûr barbu, accompagné d’un jeune homme en toge blanche.


Alcibiade et Socrate

A gauche, Alcibiade est un jeune général ambitieux, qui revient prendre conseil auprès de son maître Socrate. Celui-ci, en contrebas du militaire casqué, est remis a égalité par la présence derrière lui de son daimon ailé et couronné de lauriers, qui  lui souffle  la bonne leçon : avant de gouverner les autres, il faut apprendre à se connaître soi-même . De la  main droite, chacun des deux montre  le signe de son pouvoir : le bâton de commandement et l’index de la persuasion.  De la main gauche, chacun tient en réserve son arme  : l’épée ou le rouleau de parchemin [1].

Cette composition en V est sous le signe de la  confrontation : dans le triangle du milieu s’inscrivent le bouclier et le glaive.


Bélisaire

A droite, Bélisaire est un vieux général aveugle et déchu, qui se sert de son casque  pour mendier, et porte encore sa cuirasse sous son manteau de pauvre. Un jeune garçon le guide. Un de ses anciens soldats le reconnait au moment où il lui donne l’aumône, crispant les lèvres devant  la dureté du sort [2].

Cette composition en V inversé est sous le signe de la communion : les mains du jeune homme, de l’homme mûr et du vieillard se rejoignent autour du casque, arme d’orgueil  devenu récipient d’humilité : son retournement est à  l’image du retournement du destin.


La logique

Vincent (Francois-Andre ) schema
Du bâton de commandement au bâton du mendiant, il n’y a que l’interstice  entre les deux pendants.


Peyron

PEYRON Jean Francois Pierre 1781 Belisaire recevant l'hospitalite d'un paysan ayant servi sous ses ordres Musee des Augustins ToulouseBélisaire recevant l’hospitalité d’un paysan ayant servi sous ses ordres, 1779 PEYRON Jean Francois Pierre 1782 Cornelie mere des Gracques Musee des Augustins ToulouseCornélie, mère des Gracques, 1781

Jean François Pierre Peyron, Musée des Augustins, Toulouse

Réalisé deux ans plus tard pour le même commanditaire (l’abbé de Bernis), et exposé avec le premier tableau au salon de 1785, le second tableau a sans doute été conçu comme pendant [6]. Les deux scènes empruntent à chacun des pendants précédents (Vincent 1777 et Hallé 1779), preuve que ces sujets moralisantes étaient devenus pratiquement interchangeables : les deux compositions cohabitent sans interagir, et on aurait bien du mal à trouver un point commun entre elles, dans le fond ou dans la forme, sinon que ce sont toutes deux des exemples édifiants tirés de l’Antiquité.


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PEYRON Jean Francois Pierre 1782 Cornelie mere des Gracques Musee des Augustins ToulouseCimon entrant en Prison pour faire accorder la Sépulture à son Père Miltiade Pierre Peyron 1785 ca Socrate arrachant Alcibiade a la Volupte Musee de GueretSocrate arrachant Alcibiade à la Volupté

Pierre Peyron, vers 1785, Musée de Gueret

Cimon et Miltiade

Le premier tableau illustre la piété filiale de Cimon envers son père :

« Celui-ci, le grand capitaine Miltiade, héros de guerre illustre mais très pauvre, avait été reconnu coupable par Athènes pour péculat. N’ayant pas pu payer l’amende à laquelle on l’avait condamné, il avait été envoyé en prison. Le fils Cimon âgé de vingt ans fit donc preuve à l’occasion du décès survenu lors de l’emprisonnement d’une extraordinaire obéissance au devoir de piété filiale. Il prit la place de son père mourant ou mort (selon les versions) dans la prison, pour assumer personnellement la condamnation prononcée, ce sacrifice volontaire étant le seul moyen qui pût légitimer la sépulture officielle dont son père aurait dû être privé. » [6a], p36


Alcibiade et Socrate

Le second tableau montre également une scène édifiante entre un homme mûr et un jeune homme : Socrate,un livre sous le bras, vient chercher Alcibiade dans le lit des courtisanes : il lui fait honte en lui montrant ses armes qu’il a attachées à une statue de Priape, dont la fumée du brasero voile opportunément la partie sensible. Alcibiade quitte sa couronne de fleurs, on comprend qu’il gagnera à la place une couronne de lauriers.


La logique du pendant

Initialement, les tableaux devaient montrer, en intérieur et en extérieur, deux épisodes de la vie de Socrate :

« Lorsque d’Angiviller commande, en 1780, deux tableaux en pendant à Peyron, il propose pour sujet du premier la mort de Socrate (mais Peyron choisir de traiter les Funérailles de Miltiade): pour le second, il écrit à Vien: Je ne serois pas faché que l’un des deux [tableaux) fût un sujet où il y eût des femmes, et nues, car il dessine bien» (Correspondance des Directeurs, L. XIV. p. 14 » [6b], p 102

Le remplacement de la Mort de Socrate par le sujet bien plus rare de la Mort de Miltiade est l’occasion d’une composition à la Watteau (centre vide / centre plein) , d’une grande symétrie :

  • rapport père-fils et mentor-disciple ;
  • armes suspendues de Cimon et d’Alcibiade ;
  • lit de mort et lit de volupté.


Giuseppe_Cades 1782 ca Achille,_jouant_de_la_lyre_sous_sa_tente_avec_Patrocle,_est_surpris_par_Ulysse_et_Nestor LouvreAchille jouant de la lyre sous sa tente avec Patrocle, est surpris par Ulysse et Nestor, Louvre giuseppe-cades 1782 -la-vertu-de-lucrece-ou-tarquin-le-superbe-et-collatinus-chez-lucrece Toledo Museum of ArtLa vertu de Lucrèce, ou Tarquin le superbe et Collatinus chez Lucrèce, Toledo Museum of Art

Giuseppe Cades, vers 1782

La surenchère néoclassique fait que les sujets deviennent rares, et les titres à rallonge cachent souvent la minceur du propos.

Le premier tableau illustre un passage du Chant IX de l’Iliade, où les Grecs viennent en ambassade auprès d’Achille pour tenter de l’enrôler dans leur camp.

Pour le second, par raison de symétrie, il fallait un sujet tiré de l’histoire romaine, et une héroïne d’un calibre suffisant pour équilibrer le divin Achille. La chaste Lucrèce pouvait faire l’affaire, mais pas dans sa scène du suicide, tellement ressassée depuis deux siècles : Cades imagine donc une scène originale, où elle coud des manteaux pour les soldats, avec ses dames de compagnie. Elle reçoit la visite-surprise de son mari Collatinus (qui lui prend la main), et de Tarquin, l’allié de celui-ci : à la manière dont il la scrute, on devine la suite : il va la violer et elle se poignardera pour échapper au déshonneur.


La logique du pendant

L’idée sous jacente est de montrer comment l’irruption de guerriers, dans un lieu protégé, va arracher un beau musicien à sa lyre et une noble dame à sa couture, pour les transformer en héros.

Ce type de production très intellectuelle peut sembler une impasse puisque, sans les titres, le pendant ne fonctionne pas. Turner au siècle suivant renouera avec cette inflation textuelle et assumera totalement l’alliance du pictural et du littéraire : ses pendants, pour être compris, seront non seulement affublés de titres copieux mais accompagnés de poèmes explicatifs (voir Les pendanst de Turner 1797-1828).


Un cas très intéressant sur la loqique des pendants moraux à la fin du XVIIème siècle est celui d’Angelica Kauffmann, qui a consacré au thème de « Cornélie, Mère des Gracques » trois pendants très différents, sorte de point culminant du néo-classicisme : voir Les pendants d’Angelica Kauffmann.

George Morland, c.1789 The effects of youthful extravagance and idlenessLes effets des excès et de l’oisiveté de la jeunesse (The effects of youthful extravagance and idleness) George Morland, c.1789 The Fruits of Early Industry and EconomyLes fruits de l’économie et de l’activité précoces (The Fruits of Early Industry and Economy)

George Morland, vers 1789, collection privée

Lorsqu’un peintre se livre désormais à l’exercice des correspondances, c’est avec une lourdeur moralisatrice et un parallélisme rigoureux :

  • le père de famille maigre, en habits rapiécés, assis à une table vide, lève les yeux vers le ciel en attendant un salut qui ne viendra pas ; tandis que le père de famille gras, en perruque, assis à une table encombrée de papiers et de pièces, reçoit d’un clerc affairé (la plume entre les dents) un paiement bien mérité ;
  • la mère pauvre se crève les yeux à coudre, tandis que la riche tend à sa fille une grappe de raisins ;
  • la fille de la maison sert de servante en attisant le pauvre feu tandis que la fille riche est servie par un domestique noir ;
  • le jeune fils allongé par terre, la manche déchirée, a laissé tomber son livre pour jeter vers son père un regard de reproche, tandis que le fils de famille riche, à l’abri de tout besoin, joue tranquillement avec le chien.


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A Married Sailor's Return c.1800 by Julius Caesar Ibbetson 1759-1817Le retour du marin marié An Unmarried Sailor's Return c.1800 by Julius Caesar Ibbetson 1759-1817Le retour du marin non-marié

Ibettson, 1800, Tate Gallery

Le marin marié rentre dans sa maison montrant tous les signes de la prospérité et de la continuité familiale : ses vieux parents, sont fils qui joue déjà au bateau, les porcelaines sur la cheminée, les pièces répandues sur la table et la malle qui passe juste par la porte.

A l’inverse, le marin non marié rentre dépenser ses sous au cabaret, entouré de musiciens, de filles et d’ivrognes.

 

Références :
[2] https://en.wikipedia.org/wiki/Beer_Street_and_Gin_Lane
[3] https://www.nationalgallery.org.uk/paintings/gabriel-jacques-de-saint-aubin-a-street-show-in-paris
[4] http://museefabre.montpellier3m.fr/pdf.php/?filePath=var/storage/original/application/47fcbe178c60db598047563b621fe8a1
[5] http://www.ac-orleans-tours.fr/fileadmin/userupload/ia37/PDF/Missions/actionsculturelles/beaux-arts/DOSSIERPEDAGOGIQUEVINCENTAnne-1.pdf
[6] https://www.nationalgallery.org.uk/paintings/jean-francois-pierre-peyron-cornelia-mother-of-the-gracchi
[6a] Jacques Berchtold, «Les témoignages littéraires du thème de Cimon et Miltiade » dans « Le jardin de l’esprit: textes offerts à Bronislaw Baczko » De Bronisław Baczko, Kaja Antonowicz, Michel Porret, François Rosset https://books.google.fr/books?id=rTjtkNRH_JoC&pg=PA36#v=onepage&q&f=false
[6b] Pierre Rosenberg, Udolpho Van De Sandt « Pierre Peyron: 1744-1814″
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