Les variantes habillé-déshabillé (version moins chaste)

12 février 2017

Ces oeuvres présentent une version habillée et une version nue, tantôt pour les destiner à des amateurs différents, tantôt au contraire pour les confronter dans un effet de striptease.

Deux versions (habillée et nue)

 

800px-Mona_Lisa,_by_Leonardo_da_Vinci,_from_C2RMF_retouchedMona Lisa Léonard de Vinci 1503-1519, Louvre
Leonardo: Gioconda Nuda Museo di Vinci potrebbe essere suaGioconda nuda,  Museo ideale Leonardo da Vinci, Florence

Il existe plusieurs versions de la Joconde nue, dont le caractère androgyne saute aux yeux. On peut penser qu’il s’agit de variations fantasmées postérieures.


Jonconde Nue Musee conde ChntillyJoconde nue, Musée Condé, Chatilly Leonardo: Gioconda Nuda Museo di Vinci potrebbe essere suaGioconda nuda,  Museo ideale Leonardo da Vinci, Florence

Un dessin conservé au musée Condé possède des pointillés qui se superposent presque exactement avec la Joconde nue (version de Florence). Certains pensent que la version nue aurait pu être un état préparatoire de la version habillée (voir l’état des recherches dans [1] et [2].



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La femme entre deux ages musee de RennesMusée de Rennes La femme entre deux ages nue musee de RennesMusée de Rennes

La Femme entre deux Ages
Anonyme français, vers  1575

« La gestuelle très explicite montre le refus de la jeune femme qui tend cruellement au vieillard ses bésicles, méprisant l’argent que celui-ci fait mine de compter. Au contraire, d’un geste précieux et symbolique de la main droite, elle tâte le petit doigt de son amant en signe d’approbation. » 

La version de Rennes a été restaurée récemment, retrouvant sous un repeint la braguette éloquente du vieillard, inspirée du personnage de Pantalon dans la Commedia dell Arte.

Tandis que la version habillée a été reproduite en série (on en connait une dizaine d’exemplaires), la version nue, unique et de meilleure qualité picturale, répond certainement à une commande particulière.


La_femme_entre_les_deux_ages 1565-67 pieter-perret1565-67
La_femme_entre_les_deux_ages 1579 gravure Pieter Perret1579
 
La Femme entre deux Ages
Gravure de Pieter Perret 

La genèse de cette iconographie très particulière a été explorée par R. Lebègue [3]. Elle pourrait remonter à la fin du XVème siècle (oeuvre perdue de M.Wohlgemuth).

Le tableau habillé est  copié sur la première version de la gravure de Perret, dont les vers en français et en allemand explicitent savoureusement le sujet, en particulier le geste de pincement qui met en équivalence les lunettes et le « petit doigt » :
:

« Voiez ce viel penard (*) , envlopé dans sa mante
Les bras croisez, gémir ce qu’il veut et ne peut;
La belle gentiment de deux dois luy présente
Ses lunettes, disant qu’a grand tort il se deut;
D’ailleurs rend son mignon pleyn d’une amour plaisante,
Serre son petit doit, et veult tout ce qu’il veult.
Bonhomme, tenez vos lunettes
Et regardez bien que vous nettes {sic)
De l’âge propre au jeu d’amours;
Un chacun cherche son semblable :
Souffrez qu’un aultre plus valable
Cueille le fruit de mes beaus jours. »

(*) Vieillard pénible


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Juliette_Recamier 1800 David, LouvrePortrait de madame Récamier
Jacques-Louis David, 1800, Musée du Louvre
Juliette_Recamier_Entourage de David, Chateau-musee de Boulogne-sur-MerJuliette Récamier
Entourage de David, vers 1810, Château-musée de Boulogne-sur-Mer.

La version dénudée

« ne représente pas vraiment Madame Récamier, guère ressemblante il est vrai, car une dame de ce rang n’aurait jamais posé nue et surtout les pieds sales. Ce serait une vengeance du peintre pour un tableau que le modèle aurait refusé auparavant. D’autre part, Jacques-Louis David n’était pas en très bons termes avec Juliette Récamier suite à une commande restée inachevée, pour de multiples raisons. » [4]



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delacroix_femme d alger louvreFemmes d’Alger dans leur appartement,
Delacroix, 1834, Louvre, Paris
Renoir_-_Parisiennes_in_Algerian_Costume_or_Harem_-_Google_Art_ProjectIntérieur de harem à Montmartre (Parisiennes habillées en algériennes),
Renoir, 1872. Musée national de l’art occidental, Tokyo.

En 1834, Delacroix a l’occasion de passer quelques heures dans un vrai harem à Alger, et en ramène des impressions si fortes qu’elles marqueront toute son esthétique [5]. L’indolence des trois épouses à la peau claire, la première  fixant paisiblement le spectateur, les deux autres partageant l’intimité d’un narguilé, s’oppose à l’activité de la Numide debout et vue de dos, qui va sortir du tableau sur la droite.

En 1872, Renoir, qui rêve d’Algérie mais n’y a pas encore mis les pieds, accommode le tableau célèbre à la sauce montmartroise, froufrous et  chairs dévoilées. Il conserve les quatre mêmes personnages mais modifie leurs interactions :  les trois épouses se trouvent recentrées autour d’une occupation commune  ; le miroir mural de Delacroix est maintenant tenu par la troisième épouse.  La servante numide quant à elle se trouve encore à droite et  vue de dos, mais assise sur un coffre de rangement.


delacroix_femme d alger louvre composition Renoir_-_Parisiennes_in_Algerian_Costume_or_Harem_-composition

C’est en comparant les lignes de composition que l’on comprend combien Renoir a ruminé et repensé en profondeur ce tableau qu’il admirait tant. La numide mise à part, la composition de Delacroix s’organisait autour d’un losange presque vide, centré sur le mystère de la porte rouge entre-baillée. Dans un format en hauteur cette fois, Renoir utilise la même composition en losange pour réorganiser les personnages autour d’une activité commune – l’habillage et le maquillage – et d’un premier rôle : la blonde crémeuse aux yeux chargés de khol, parisienne pur sucre grimée en algérienne.



Renoir_-_Parisiennes_in_Algerian_Costume_or_Harem_-tete
Avec son visage composite, elle personnifie  l’intention même de Renoir : remaquiller, tout en la déshabillant,  ce qui était pour lui « la plus belle peinture du monde ».



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Study of Mme Gautreau c.1884 by John Singer Sargent 1856-1925Etude, Tate Gallery, Londres
Sargent_MadameXEtat actuel

Madame X (Virginie Amélie Avegno Gautreau)
John Singer Sargent, 1884, Metropolitan Museum of Arts [6]

« Il lui faut toute une année pour achever le portrait. La première version du portrait, avec son fameux décolleté, sa peau si blanche et son port de tête altier sur une bretelle tombée de son épaule donne un effet global encore plus audacieux et sensuel. Lorsqu’il est présenté à Paris au Salon des artistes français de 1884, il déclenche un scandale. Sargent remet en place la bretelle pour tenter d’apaiser la réaction du public, mais le mal est fait. Les commandes françaises se tarissent et il admet à son ami Edmund Gosse en 1885 qu’il envisage d’abandonner la peinture pour la musique ou les affaires. Finalement, il part s’installer à Londres et y poursuit sa carrière de portraitiste. » [7]


Gustave Courtois_Gautreau_1891 musee orsay

Madame Gautreau en 1891, Gustave Courtois, Musée d’Orsay, Paris

En 1891, le profil est inversé et  la robe est passée du noir au blanc : mais l’épaule gauche est toujours dénudée, en clin d’oeil au scandale  assumé.


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Une manoeuvre pudique (Modest maneuver)
Pinup de Gil Elvgreen

En écho à la bretelle rattachée de Madame Gautreau, voici la manipulation inverse :  en passant de la réalité à l’art, la jarretelle se détache.



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dali 1925

Ana Maria à la fenêtre,
Dali, 1925, musée Reina Sofía, Madrid.

Ce tableau a été peint dans la maison de la famille à Cadaquès, lorsque la soeur de Dali avait dix sept ans. Il donne une impression de réalisme et de grand équilibre, alors qu’il contient un grosse anomalie :

  • la fenêtre a un seul battant, l’absence de celui  de gauche étant rendue moins criante par le linge blanc posé sur le rebord ;

et deux autres plus discutables :

  • la maison que l’on voit dans le reflet de la vitre n’apparaît pas en vue directe (en fait, comme la fenêtre est ouverte à angle droit, le reflet peut parfaitement montrer une maison située en hors champ, sur la gauche de la fenêtre) ;
  • les rayures du rideau de gauche sont verticales, celles du rideau de droite sont en oblique : il faut comprendre que le rideau de droite a été repoussé par le battant ouvert (même si l’oblique est exagérée).




dali jeune-vierge-autosodomisee-par-les-cornes-de-sa-propre-chastete-1954

Jeune Vierge autosodomisée par les cornes de sa propre chasteté,
Dali, 1954,Collection privée

Selon certains critiques, ce  tableau serait, vingt ans après,  une charge de Dali contre sa soeur, pour la punir d’avoir publié une biographie particulièrement négative. Selon d’autres, la femme serait Gala. En fait, le nu est  copié sur une revue sexy des années 30.


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dali 1925 pieds dali jeune-vierge-autosodomisee-par-les-cornes-de-sa-propre-chastete-1954 pieds

Mais l’auto-citation fait peu de doute, ne serait ce que dans le détail des ballerines sans talon.


dali 1925 perspective dali jeune-vierge-autosodomisee-par-les-cornes-de-sa-propre-chastete-1954 perspective

Dans le premier tableau, le point de fuite construit par les lignes du plancher,  de l’embrasure et du battant, tombe nettement au-dessus du niveau de la mer (sommes à un étage élevé de la maison), un peu au dessus et à gauche de la jeune fille. Ainsi la construction est conçue pour appeler le spectateur à venir combler le vide, et s’accouder fraternellement à gauche de la jeune fille.

Dans le second tableau, le point de fuite place le spectateur dans une situation  radicalement différente de l’admiration  fraternelle de 1925  : voyeurisme, par sa position latérale ; et fétichisme, par sa position basse, au niveau de la croupe.


dali jeune-vierge-autosodomisee-par-les-cornes-de-sa-propre-chastete-1954 cornes

Dans les oeuvres de cette époque, les cornes de rhinocéros tronquées sont fréquentes. Phalliques vues de côté, elles se révèlent vaginales vues par la tranche (celle qui effleure la chevelure de la jeune fille), voire virginales lorsque la cavité disparaît (celle qui effleure sa croupe). C’est ainsi que le titre du tableau est topologiquement justifié.

Tandis que sept cornes volantes assiègent la jeune femme, sept fragments métalliques de la barre d’appui flottent dans l’air, ligne droites amollies en courbes, dont l’une se referme en jarretelle sur la cuisse et l’autre en prépuce sur la corne.


dali jeune-vierge-autosodomisee-par-les-cornes-de-sa-propre-chastete-1954 detail dentelliereVermeer, Le Dentellière (détail), 1669-71, Louvre, Paris dali jeune-vierge-autosodomisee-par-les-cornes-de-sa-propre-chastete-1954 detail

Dali prétendait que ce tableau « l’un des plus chastes de tous », lui avait été inspiré par la Dentellière :  de même que la composition de Vermeer converge vers une aiguille qu’on ne voit pas piquer, de même celle de Dali élude, par le flou, la rencontre attendue de la croupe et de la corne.

Tandis que sept cornes volantes assiègent la jeune femme, sept fragments métalliques de la barre d’appui flottent dans l’air, ligne droites amollies en courbes, dont l’une se referme en jarretelle sur la cuisse et l’autre en prépuce sur la corne.



L’effet de striptease

Coffret de mariage 1390-1400 atelier de Baldassare Ubriachi Venise ou Florence Jugement de Paris avec Mecure VandA A 27-1952Histoire de Pâris (Eléments d’un Coffret de mariage)
Atelier de Baldassare Ubriachi (Venise ou Florence) 1390-1400, Victoria and Albert Museum (N° A 27-1952)

  • La scène 7 montre Mercure apparaissant à Pâris dans un rêve et lui demandant de départager les trois déesses.
    Dans la scène 8, Mercure tenant la pomme d’or se décale en arrière, laissant les trois déesses nues face à Pâris toujours endormi.

L’invitation au déshabillage nuptial se fait donc sous l’alibi de l’onirisme.

 


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triptyque satirique 1

Texte du phylactère :
« Laisse ce panneau fermé, sinon tu seras fâché contre moi ».

Bien sûr, le spectateur va ouvrir le panneau, et trouver derrière…


triptyque satirique 2 triptyque satirique 3

Diptyque satirique
Anonyme flamand, début XVIème, Collections de l’Université de Liège

…le derrière du même personnage, avec un chardon fiché dans son pantalon :  » Ce ne sera pas ma faute car je t’avais prevenu avant. « 

En face, un fou fait la grimace : « Et plus nous voudrons te mettre en garde, plus tu auras envie de sauter par la fenêtre. « 

La signification précise de cette oeuvre unique, et notamment du chardon, nous reste inconnue. Contre quel interdit s’agit-il de nous mettre en garde ? Homosexualité, scatologie, avarice ? En l’absence de toute source et de tout élément de comparaison, mieux vaut s’abstenir d’échafauder [8].



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Pietro Bertelli, Courtesan and Blind Cupid c. 1588,METUne Courtisane et Cupidon aveugle
Pietro Bertelli, vers 1588, MET

C’est à Venise, ville de toutes les licences, que Pietro Bertelli a publié des gravures à volets, le sommet de l’érotisme pour l’époque (sur de telles gravures à sujet macabre, voir Plus que nu).


Album de souvenirs italiens XVIIeme

Livre de famille (Stammbuch) de Philipp Hainhofer, 1597

D’après l’inscription en allemand, Philipp Hainhofer avait dix neuf ans quand il a collé dans son Stammbuch cette image, inspirée des gravures de Bertelli, que lui avait donnée un ami. Les deux sentences encouragent avec humour le jeune consommateur :

Peu de sagesse suffit à celui qui a bonne fortune

Poco senno basta a chi fortuna è buona ,

Une fois la lampe enlevée, pas de différence entre les femmes

Sublata lucerna nihil interest inter mulieres


Album de voyage Cortesiana Vedoa ferarese

Cortesiana, Vedoa ferarese
Album de voyage, XVIIème siècle, photo Margherita Palumbo [0c]

Cette image est typique des albums personnels que les riches touristes du Nord faisaient réaliser par des artistes italiens. Elle met en parallèle deux stéréotypes, une courtisane multicolore et une veuve noire, sans doute moins opposés qu’ils ne nous le semble aujourd’hui : car les veuves étaient appréciées pour leur liberté sexuelle.



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Honthorst 1625 Smiling Girl, a Courtesan, Holding an Obscene Image Saint Louis Art Museum Honthorst 1625 Smiling Girl, a Courtesan, Holding an Obscene Image Saint Louis Art Museum detail
Qui reconnaît mon cul de derrière
(wie kent mijn naers [kont] van afteren)

Courtisane tenant une image obscène
Honthorst, 1625, Saint Louis Art Museum [9]

La jeune femme en riches habits, diadème à plumes et décolleté pigeonnant, qui nous regarde de face en souriant, nous présente une femme nue, vue de dos, qui nous surveille entre deux doigts écartés en nous défiant de la reconnaître.

Il ne fait aucun doute qu’il s’agit du portrait promotionnel d’une courtisane, en public et dans l’intimité.


Honthorst 1625 L'entremetteuse Centraal Museum Utrecht

L’entremetteuse
Honthorst, 1625, Centraal Museum, Utrecht

On la retrouve comme enjeu dans cette transaction entre une vieille entremetteuse et un jeune homme dont la vue à contre-jour souligne la timidité.



Honthorst 1625 L'entremetteuse Centraal Museum Utrecht detail
Tandis que les mains de chair sont encore écartées, celle d’ombre fusionnent déjà sur le luth. Et l’éteignoir mis en évidence sous l’aisselle, dit bien ce qui va arriver à la bougie.



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Martin van Meytens - Kneeling Nun c1731 Martin van Meytens - Kneeling Nun b

Nonne agenouillée
Martin van Meytens le jeune, 1731, Stockholm, Nationalmuseum

Le jeune nonne en prière se retourne  en souriant  vers le visage d’une vieille passant à travers les barreaux. Seul le rideau rouge posé  bizarrement sur le le Prie-Dieu pourrait suggérer aux mauvais esprits l’idée d’un dévoilement….

La paillardise vient ici d’une triple  transgression : scène de séduction entre femmes, entre religieuses, entre  jeune et  vieille, dans laquelle  le spectateur s’identifie, par construction,  à la vieille nonne libidineuse.

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boucher 1742 tableaux superposes

L’enfant gâté, La gimblette, Boucher, 1742, Staatliche Kunsthalle, Karlsruhe

La jupe relevée, L’oeil indiscret, Boucher, 1742, Collection privée

Réalisés pour le fumoir du financier Pierre Paul Louis Randon de Boisset, les deux peintures « découvertes » masquaient les deux peintures  « couvertes » de manière à ménager, pour les spectateurs éclairés, le plaisir de la surprise et celui de la comparaison (voir plus d’informations dans Les pendants de Boucher).


Boucher 1743 Odalisque coll privL’odalisque habillée, collection particulière (65 x 51 cm) Boucher-1743-Lodalisque_brune_LouvreL’odalisque brune, Louvre, Paris (65 x 53 cm)

Boucher, 1743

L’année suivante, Boucher réalise, en version nue et en version habillée, ce portrait affriolant dont on a dit, au choix, qu’il serait celui de sa femme ou de la Marquise de Pompadour. Vu la coïncidence de dates avec les tableaux précédents, , Il est probable que la version habillée servait de couvercle à l’autre.



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a-pair-of-reverse-glass-paintings XVIIIeScène pastorale a-pair-of-reverse-glass-paintingsVénus et Cupidon

Peintures sur verre, XVIIIème siècle

Derrière la quenouille et la flûte se cachent deux instruments plus offensifs : l’arc et la flèche, que Vénus tient  pour l’instant hors de portée d’un  Cupidon impatient. Les sages occupations du recto – filer la laine et filer la chansonnette – sont trahies par le verso qui révèlent ce qu’elles taisent : le désir de tirer un coup.



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Fussli A Woman Standing at a Dressing Table or Spinet, c. 1790-1792 National Gallery OttawaFemme debout contre une table ou une épinette
Füssli , 1790-1792, National Gallery, Ottawa
Fussli A Woman on a balcony with high dressed hair and hat 1790-92Femme à la fenêtre
Füssli , 1790-1792,Auckland Art Gallery

Exemple de pendant recto-verso avec cette vue de dos de l’affriolante Madame Füssli devant un rideau ouvert, puis vue  de face à la fenêtre (noter  la jupe probablement relevée)


Fussli A Woman Standing at a Dressing Table or Spinet, c. 1790-1792 National Gallery OttawaFemme debout contre une table ou une épinette
Füssli , 1790-1792, National Gallery, Ottawa
Fussli Callypiga 1790-1800 coll priveeCallypiga
Füssli,  1790-1800, Collection  privée

Exemple de pendant habillé/nu et bienséant/érotique : à droite, Madame Füssli [10] s’admire dans un miroir tout en se laissant admirer, encadrée par deux pieds de table gaillards. A noter l’étonnante frise du tapis, où une vulve se trouve doublement attaquée, puis relâchée, dans une sorte de cinématographe paillard.


Dominique Vivant Denon Neapolitan woman, standing, facing front, and lifting her skirt to reveal her nudity. 1787 British museum Dominique Vivant Denon Neapolitan woman, standing, from behind, and lifting her skirt to reveal her nudity. 1787 British museum

Femme napolitaine
Dominique Vivant Denon, 1787, British Museum

D’autres artistes de la même époque ont sacrifié au fantasme de la jupe relevée :  ces deux études font le tour du sujet.



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P00742A01NF2008 001La maja nue
Goya, entre 1790 et 1800, Prado, Madrid
P00741A01NF2008 001La maja vêtue
Goya, 1800-1803, Prado, Madrid

La version nue a précédé la version habillée, mais bientôt les deux ont été présentées en superposition, selon le même procédé que Boucher :

 » les deux grands tableaux … étaient la propriété de Manuel Godoy ; le tableau avec la femme habillée était placé sur le tableau avec la femme nue, et c’était un mécanisme qui permettait de découvrir le second.  » [11]



Manet Jeune femme habillee en costume espagnol 1862Jeune femme habillée en costume espagnol,
Manet,1862,New Haven, Yale University Art Gallery

Un peu plus tard, Manet s’amuse avec les classiques : sur le divan de Madame Récamier, il dépose la Maja Nue tout en la rhabillant… en homme ! [12]


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1856 Antoine_Wiertz_Coquette_DressLa coquette habillée
Antoine Wiertz, 1856,
Musée Wiertz, Bruxelles
1856 Antoine Wiertz-Le miroir du diableLe miroir du Diable
Antoine Wiertz, 1856,
Musée Wiertz, Bruxelles

Wiertz renoue avec  le procédé XVIIIème des deux peintures couverte et découverte, sans que nous sachions si la paire était destinée être présentée superposée ou juxtaposée.

L’élément novateur est ici le miroir qui, lorsque c’est le diable qui le manipule, déshabille la coquette et la transforme en dévergondée (voir Le miroir transformant 2 : transfiguration).



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masson_-_l_origine_du_monde_-_1955Terre érotique
André Masson, 1955
Origin-of-the-WorldL’origine du monde
Courbet, 1866, Musée d’Orsay

Le dernier propriétaire, Jacques Lacan, avait demandé un cache à son ami André Masson. Il est fort probable que « Terre érotique », tracée d’un fin trait blanc  comme par un pinceau à un seul poil, ait été conçue comme une antithèse ironique de l’abondante toison noire. Pour un résumé des aventures du célèbre tableau et de ses caches, voir [13].



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pendule a secret Circa 1900 A pendule a secret Circa 1900 B

Pendule à secret, vers 1900

La plupart des objets érotiques « à transformation » ne se contentent pas d’un simple striptease.



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Alfons Walde Elegant lady coll part Alfons Walde Elegant lady with raised skirt coll part

Alfons Walde, vers 1940, collection particulière

Le peintre autrichien Alfons Walde s’essaye ici au pendant Habillé/Déshabillé, mais sa formule favorite est celle de la femme recto-verso (voir 4 Les figure come fratelli : postérité).

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verres-annees-50-5 Photo lescopainsd-abord.over-blog.com
Photo lescopainsd-abord.over-blog.com

En 1941 apparait un tout nouveau procédé breveté pour la première fois par Meyercord : les images de pin-up dénudées sont recouvertes d’une couche de décalcomanie blanche qui disparaît lorsqu’elle est humidifiée et refroidie [14].



verres-annees-50-3 Photo lescopainsd-abord.over-blog.com
Le procédé fonctionne aussi en recto-verso.



verres strptease 1983
Il se décline jusque dans les années 80.


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Pinup cristal Paris Hollywood N°82 1949 couverture Pinup cristal Paris Hollywood N°82 1949 souris

Pinups avec masque en papier cristal, Paris Hollywood N°82 1949

1960 ca pinup cristal A1 1960 ca pinup cristal A3 1960 ca pinup cristal A2

Pinups avec masque en papier cristal, vers 1960

En pleine mythologie de l’effeuillage, des revues parisiennes imaginent cette solution peu convaincante.



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miroir strptease Germany A miroir strptease Germany B

Miroirs à couvercle basculant

Une autre innovation plus robuste, due à la technologie allemande.



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Sie kommen (Naked and Dressed) Helmut Newton, 1981 naked Sie kommen (Naked and Dressed) Helmut Newton, 1981 dressed

Sie kommen (Naked and Dressed)
Helmut Newton, 1981, Paris

La version nue révèle  des symétries puissantes :

  • devant, une brune  et une blonde avancent à contrepied l’une de l’autre ;
  • derrière, deux « suivantes » avancent les mains sur les hanches,  chacune  à contrepied de la « maîtresse » vers laquelle elle tourne la tête.

La version habillée ajoute des  symétries  différentes : les deux pantalons et les deux jupes se répartissent par symétrie centrale, tandis que les deux capes se trouvent dans la moitié droite. Le chapeau qui couronne la blonde la met en position de meneuse, d’autant qu’elle est maintenant la seule à lever le pied gauche (la deuxième fille a changé de pied).


A la difficulté technique, Newton ajoute la virtuosité thématique. Dans cette marche suspendue :

  • la version nue met à  égalité  les deux dominantes, la brune et la blonde ;
  • la version habillée consacre la victoire de la blonde.



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Olga Zavershinskaya

Photographie de Olga Zavershinskaya

On passe de l’une à l’autre simplement en relevant la robe.


Références :
[2] Catalogue de l’exposition de 2019 : Mathieu Deldicque, « La Joconde nue »,  musée Condé.
[3] R. Lebègue, Note sur un tableau du musée de Rennes,  Annales de Bretagne. Tome 37, numéro 3-4, 1925. pp. 377-383; http://www.persee.fr/doc/abpo_0003-391x_1925_num_37_3_1622
[5] Pour une étude des Femmes d’Alger sous toutes les coutures, voir http://www.jcbourdais.net/journal/delacroix.php
[8a] Margherita Palumbo, « A Unique Souvenir from Venice, » 28 August 2019, https://www.prphbooks.com/blog/2019/8/27/a-unique-souvenir-from-venice
[10] L’inscription en haut à gauche est Powell en lettres grecques. Au verso, également crypté en lettres grecques, on peut lire Soph Rawlins, le nom de jeune fille de l’épouse de Füssli, qui lui a inspiré de nombreux dessins fantasmatiques.

Les pendants d'histoire : temps modernes

11 février 2017


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Isaïe d’Issenheim
 Garouste, 2007, Diptyque

Nous avons la chance d’avoir une description par l’artiste de cette oeuvre complexe.   Nous la  citons presque intégralement.


Le panneau de gauche

Garouste réinterprète  le panneau de l’Annonciation du retable d’Issenheim :

Grunewald Retable d'Issenheim Annonciation

Grünewald, 1512-16, Musée Unterlinden, Colmar


Le décor

On retrouve « le dallage polychrome du sol, les culs-de-bouteille des verrières, les remplages flamboyants des baies, les colonnettes et les moulures des arcs ogifs. Dans le dallage du sol de la chapelle, Gérard Garouste a inscrit des motifs géométriques gris-bleu dont plusieurs présentent la forme d’une croix chrétienne. L’intention didactique de l’artiste français apparaît ici en toute clarté : le spectateur doit comprendre que l’espace dans lequel l’artiste allemand a installé la figure de Marie représente, dans l’Isaïe d’Issenheim, le monde du christianisme. »[8]


Isaïe

« Chez Gérard Garouste, le prophète Isaïe retrouve un statut de personne, là où Grünewald le réduit au simple stéréotype du prophète juif enturbanné, traité telle une statue au format réduit par opposition à Marie, figure monumentale aux couleurs de la vie. Tandis que Grünewald a eu l’idée d’associer la statue du prophète à une branche en pierre, l’artiste français a souhaité intégrer ce motif de la branche à la figure du prophète, opérant une fusion de l’humain et du végétal. Des mains et des pieds nus d’Isaïe partent des racines qui constituent à l’évidence, une référence imagée au thème des racines juives de la civilisation chrétienne. »   [8]


Les deux livres

La vue plongeante  permet, tout en respectant l’architecture de la chapelle, d’escamoter le personnage de Marie, dont seul le livre est resté au sol.  A la place de l’archange Gabriel,  un Garouste aux ailes tricolores se trouve enserré dans une camisole de force, bâillonné par un papier illisible.

6-isaiee-d-issenheim-c-gerard-garouste-c-galerie-daniel-templon-c-photo-bertrand-huet detail Isaie 6-isaiee-d-issenheim-c-gerard-garouste-c-galerie-daniel-templon-c-photo-bertrand-huet detail Garouste

« Dans l’ombre de la voûte qui surplombe la scène de l’Annonciation, le prophète Isaïe tient un livre ouvert dont le texte est illisible. Dans l’oeuvre de Grünewald, ce dernier fait pendant à un autre livre ouvert, quelques centimètres plus bas, aux pieds de la Vierge : une citation de l’Evangile de Mathieu y est inscrite en latin, parfaitement lisible, qui passe pour être une traduction du livre tenu par Isaïe. Mais si  l’on se donne la peine d’ouvrir le Livre des Prophètes, à la page dite (Isaïe, VII, 14) et de lire le texte hébreu, on s’aperçoit que cette traduction est erronée. » G.Garouste [9]

Le texte du bâillon est donc  la traduction correcte, mais interdite,  du texte  d’Isaïe, tandis que le livre de Marie exhibe la traduction fautive [10].


Le panneau de droite

6-isaiee-d-issenheim-c-gerard-garouste-c-galerie-daniel-templon-c-photo-bertrand-huet detail droitejpg

« …Mais le sujet est tabou. De ce détournement et de cette spoliation en règle, on ne parle pas. Ce n’est pas faute d’avoir essayé. Je suis allé frapper un jour d’escapade à la porte d’une église. J’attendais un miracle. J’aurais pu l’attendre longtemps car j’étais paralysé, faute d’avoir avalé un certain médicament. Un infirmier est venu me délivrer. »  G.Garouste [9]


La logique du pendant

« Ambiance gothique. Unité de lieu, une église :  vue extérieure sur le parvis, vue intérieure plongeante depuis une voûte. L’unité de temps s’opère par le moyen du raccourci entre l’ange enroulé dans une camisole et le personnage figé sur le dos, pattes en l’air, comme un gros scarabée. Quant à l’unité d’action, ce pourrait être la Chute. Par cette mise en scène, je reviens sur un sujet que j’ai déjà abordé, celui de la transmission des connaissances et de l’ambiguïté des valeurs culturelles. Mais cette fois, c’est le Fou qui prend la parole car il est un fait acquis qu’un fou parle tout seul et voit des choses que les autres ne voient pas, par exemple les signes manifestes d’une duperie collective. Il est libre de tout dire. » G.Garouste [9]

 



Références :
[3] « I got only one short look of it; but I saw nature so beautifully depicted, that in spite of all I could do the tears burst from my eyes, and the impressions made by it is as powerful at this moment as it was then. […] There was never anything of the kind made such an impression on me25. » Hogg, The Art-Union, mai 1839, no 4, p. 74.
[4] On trouvera une traduction documentée dans http://www.address-to-a-haggis.c.la/
[8] Dossier pédagogique de l’exposition de Mons (24/09/2016 au 29/01/2017) http://www.bam.mons.be/accueil-des-publics/scolaire/dossiers-pedagogiques/exposition-gerard-garouste/view
[10] Gérard Garouste, 2009, Skira p 265
[11] « En hébreu il existe un mot et un seul, betula, pour dire d’une femme qu’elle est vierge. Et un autre mot, alma (alm : caché, secret) pour désigner une jeune fille ; celle que son père soustrait aux regards des hommes, s’il le faut en l’enfermant dans sa chambre. Alma n’est pas nécessairement betula. Les traductions du texte hébreu en grec, puis en latin, ne s’encombrent pas de subtilités aussi crues et choisissent de traduire alma par vierge…. Cet infime glissement de sens serait-il l’effet du hasard, ou des alea de la traduction ? Au regard du dogme, il révèle pourtant la naissance du mythe, fondateur du christianisme, de la pureté de la Vierge. » Gérard Garouste, 2009, Skira p 218

Age d'or (2) : les pendants moraux

8 février 2017

Ce type particulier de pendant conceptuel se développe dans la seconde moitié du siècle : il tire partie de la structure binaire du pendant pour passer un message moral, en montrant soit deux situations opposées (moralement  ou socialement), soit deux aspects complémentaires de la même notion.

Hogarth 1751 Beer-street-and-Gin-lane

Beer Street, Gin Lane
Hogarth, 1751

Cette paire de gravures militantes compare la prospérité d’une rue où les habitants s’adonnent à la boisson traditionnelle de l’Angleterre, la bière, et la décrépitude d’une population qui s’abandonne à cette nouveauté pernicieuse qu’est le gin.

Conçue pour l’éducation du peuple, ce pendant fourmille de détails croustillants [2], et fonctionne par la profusion plutôt que par la symétrie. Voici les rares détails qui se répondent :

  • le toit en réparation et le toit qui s’écroule ;
  • l’enseigne en forme de tonneau et celle en forme de cercueil ;
  • la maison du prêteur sur gages : en brique, décrépite et sans clients d’un côté, elle est reconstruite en pierre de l’autre, et son enseigne redressée forme une croix impie qui vient se poser juste en haut du clocher.


Hogarth 1751 Beer-street-and-Gin-lane detail peintre
A noter également le personnage du peintre, qui fait le lien entre les deux scènes : sous une image « A la santé du Barley Mow » (chanson à boire traditionnelle), il est en train de peindre, en s’inspirant de la bouteille suspendue, une publicité pour le gin.


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Gabriel de Saint Aubin - Promenade de Longchamp c1760 Musee Rigaud Perpignan 80 x 64 cmLa promenade de Longchamp, Musée Rigaud, Perpignan Gabriel de Saint Aubin La parade du boulevard c1760 National Gallery 80 x 64 cmLa parade du boulevard, National Gallery, Londres [3]

Gabriel de Saint Aubin, vers 1760, 80 x 64 cm

Ces deux tableaux de même taille n’ont pas été exposés ni vendus en pendants : il est néanmoins très probable qu’ils aient été conçus comme tels.


La promenade de Lonchamp

La composition est divisée par les troncs d’arbre en trois sections :

  • à gauche, une table avec trois dames, un gentilhomme qui tend la bouteille et un vieux mendiant qui tend la main ;
  • au centre un couple élégant ;
  • à droite, une vielleuse et un guitariste assis par terre, un chien qui gambade et une file de carrosses qui attendent.


La parade du boulevard

La composition est la encore divisée en trois zones, mais réparties différemment :

  • la foule, dont tous les regards se tournent vers l’estrade ;
  • un couple de comédiens qui s’affrontent à l’épée pour la parade (spectacle gratuit incitant le spectateurs à entrer dans le théâtre) ;
  • un jeune homme endormi sur son tambour (sans doute celui qui a rameuté la foule).


La logique du pendant

Le pendant compare deux spectacles gratuits :

  • à l’extérieur de Paris, une parade pour les riches ;
  • sur le boulevard du Temple, une parade pour les pauvres.



Noël Hallé

Halle 1738 Antiochus tombant de son char Richmond, The Virginia Museum of Fine ArtsAntiochus tombant de son char, The Virginia Museum of Fine Arts, Richmond (99.7 × 135.9 cm)
Halle 1738 Antiochus-dictant-ses-dernieres-volontes-collection HorvitzAntiochus dictant ses dernières volontés, collection Horvitz (100,5 x 135 cm)

Hallé, 1738

Dans le premier tableau, Antiochus, qui se rendait à Jérusalem pour exterminer les juifs et détruire le temple, a un accident de char.

Dans le second, sur son lit de mort, il montre le ciel qui l’a puni, et dicte ses dernières volontés en faveur des juifs.


La logique du pendant

Dans ce pendant extérieur-intérieur, la posture d’Antiochus, couché tête en bas hors de son char, puis tête en haut dans son lit, illustre son relèvement moral.

D’autres symétries se révèlent progressivement entre les deux compositions :

  • les deux chevaux renvoient aux deux soldats ;
  • le soldat qui s’incline vers le visage du roi trouve un écho dans scribe qui note ses dernières paroles ;
  • l’autre soldat, qui relève sa jambe droite fracturée, renvoie au médecin qui la soigne.


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halle Hercule et Omphale Les dangers de l'amour hercule-omphale Salon de 1759 Musee de choletLes dangers de l’amour (Hercule et Omphale) halle Les dangers de l'ivresse bacchanale Salon de 1759 Musee de choletLes dangers de l’ivresse (Bacchanale)

Hallé, Salon de 1759, Musée de Cholet

Mis à part le titre, rien n’apparie réellement ces deux scènes ; et les soi-disant « dangers » (la féminisation d’un côté, la violence et le viol de l’autre) sont montrés avec si peu de conviction que le résultat obtenu est plus proche d’une apologie que d’une mise en garde.


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Halle, l education des riches, 1764-1765 coll partL’éducation des riches
Halle, l education des pauvres, 1764-1765 coll partL’éducation des pauvres

Hallé, 1764-65, Collection particulière

Trois ans après la publication de l’Emile, ce pendant engagé se place résolument dans le camp de Rousseau.

Le jeune riche, encouragé par son précepteur et surveillé  par son père et sa mère, fait face d’un air crispé à son maître de mathématiques, en se reculant le plus possible sur son siège. La mappemonde et le plan de la forteresse disent bien que ce type de savoir est celui qui sert au pouvoir. Le jeune frère, encore un peu libre, feuillette un carnet de dessins à côté d’une guitare qui attend la fin du pensum.

Du côté des pauvres, pas d’enseignant spécialisé, tout le monde instruit les enfants : le père montre comment suivre un plan, la mère surveille la broderie, la grande soeur apprend les lettres à la petite et une servante aide le plus jeune à monter l’escalier.

Un chien de compagnie (inutile) et un chat (utile) complètent la symétrie. A remarquer aussi,à l’extrême droite, le mendiant qui entre chez les pauvres, et à l’extrême-gauche, le valet indifférent qui quitte la pièce des riches. Les uns font la charité, les autres se font servir.


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Halle 1779 Cornelie Mere des Gracque Musee Fabre MontpellierCornélie, Mère des Gracques
Hallé, 1779, Musée Fabre, Montpellier
Halle 1779 Agesilas jouant avec ses enfants Musee Fabre MontpellierAgésilas jouant avec ses enfants
Hallé, 1779, Musée Fabre, Montpellier

C’est dans l’Antiquité  que Hallé va maintenant chercher une mère et un père modèle, pour ce  pendant très classique qui respecte l’opposition intérieur/féminin et extérieur/masculin.

 «Cornélie, mere des Gracques, recevant la visite d’une Dame Campanienne, richement vêtue, & qui tiroit vanité de toutes ses parures, lui dit, en lui présentant ses Enfans, qui revenoient des Ecoles publiques : pour moi, voilà mon faste et mes bijoux. Valere Maxime, lv. IV, ch. 4″ Notice du Salon de 1779 « Quelqu’un riant de voir Agésilas à cheval sur un bâton, avec son fils, qui était encore dans l’enfance : maintenant, lui dit Agésilas, gardez-moi le secret. Quand vous serez père, vous conterez mon histoire  à ceux qui auront des enfants. » Histoires diverses d’Elien, traduites du grec, avec des remarques par B.-J. Dacier, 1772

Cignaroli 1768 La mort de Caton Budapest, Musee des Beaux-ArtsLa mort de Socrate Cignaroli 1768 La mort de Caton Budapest, Musee des Beaux-ArtsLa mort de Caton

Cignaroli, 1768, Musée des Beaux-Arts, Budapest

Le pendant confronte, dans l’ordre chronologique, le suicide édifiant d’un Grec et d’un Romain, entourés de disciples montrant tous les signes de l’affliction la plus extrême :

  • de part et d’autre des deux mains inanimées de Socrate s’opposent la coupe de ciguë avec laquelle il s’est empoisonné, et le livre ouvert qui proclame  son immortalité ;
  • la diagonale de l’épée monte vers le corps christique de Caton le Jeune : on dit qu’il se donna la mort après avoir lu une dernière fois le Phédon de Platon.

Ainsi le livre qui symbolise la sagesse antique passe virtuellement du tableau grec au tableau latin.


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Vincent (Francois-Andre ) 1776 Alcibiade recevant les lecons de Socrate Musee Fabre,MontpellierAlcibiade recevant les leçons de Socrate Vincent (Francois-Andre ) 1776 Balisaire, reduit a la mendicite, secouru par un officier des troupes de l empereur Justinien Musee Fabre,MontpellierBélisaire, réduit à la mendicité, secouru par un officier des troupes de l’empereur Justinien

Vincent (François-André ), 1776 ,Musée Fabre, Montpellier

Bien que le goût néoclassique prétende à une simplification après les excès du rococo, ce pendant  continue à exiger une lecture experte.

Une scène d’intérieur s’oppose à une scène en pleine air. Dans chacune, un jeune soldat casqué et cuirassé dialogue avec un homme mûr barbu, accompagné d’un jeune homme en toge blanche.


Alcibiade et Socrate

A gauche, Alcibiade est un jeune général ambitieux, qui revient prendre conseil auprès de son maître Socrate. Celui-ci, en contrebas du militaire casqué, est remis a égalité par la présence derrière lui de son daimon ailé et couronné de lauriers, qui  lui souffle  la bonne leçon : avant de gouverner les autres, il faut apprendre à se connaître soi-même . De la  main droite, chacun des deux montre  le signe de son pouvoir : le bâton de commandement et l’index de la persuasion.  De la main gauche, chacun tient en réserve son arme  : l’épée ou le rouleau de parchemin [1].

Cette composition en V est sous le signe de la  confrontation : dans le triangle du milieu s’inscrivent le bouclier et le glaive.


Bélisaire

A droite, Bélisaire est un vieux général aveugle et déchu, qui se sert de son casque  pour mendier, et porte encore sa cuirasse sous son manteau de pauvre. Un jeune garçon le guide. Un de ses anciens soldats le reconnait au moment où il lui donne l’aumône, crispant les lèvres devant  la dureté du sort [2].

Cette composition en V inversé est sous le signe de la communion : les mains du jeune homme, de l’homme mûr et du vieillard se rejoignent autour du casque, arme d’orgueil  devenu récipient d’humilité : son retournement est à  l’image du retournement du destin.


La logique

Vincent (Francois-Andre ) schema
Du bâton de commandement au bâton du mendiant, il n’y a que l’interstice  entre les deux pendants.


Peyron

PEYRON Jean Francois Pierre 1781 Belisaire recevant l'hospitalite d'un paysan ayant servi sous ses ordres Musee des Augustins ToulouseBélisaire recevant l’hospitalité d’un paysan ayant servi sous ses ordres, 1779 PEYRON Jean Francois Pierre 1782 Cornelie mere des Gracques Musee des Augustins ToulouseCornélie, mère des Gracques, 1781

Jean François Pierre Peyron, Musée des Augustins, Toulouse

Réalisé deux ans plus tard pour le même commanditaire (l’abbé de Bernis), et exposé avec le premier tableau au salon de 1785, le second tableau a sans doute été conçu comme pendant [6]. Les deux scènes empruntent à chacun des pendants précédents (Vincent 1777 et Hallé 1779), preuve que ces sujets moralisantes étaient devenus pratiquement interchangeables : les deux compositions cohabitent sans interagir, et on aurait bien du mal à trouver un point commun entre elles, dans le fond ou dans la forme, sinon que ce sont toutes deux des exemples édifiants tirés de l’Antiquité.


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PEYRON Jean Francois Pierre 1782 Cornelie mere des Gracques Musee des Augustins ToulouseCimon entrant en Prison pour faire accorder la Sépulture à son Père Miltiade Pierre Peyron 1785 ca Socrate arrachant Alcibiade a la Volupte Musee de GueretSocrate arrachant Alcibiade à la Volupté

Pierre Peyron, vers 1785, Musée de Gueret

Cimon et Miltiade

Le premier tableau illustre la piété filiale de Cimon envers son père :

« Celui-ci, le grand capitaine Miltiade, héros de guerre illustre mais très pauvre, avait été reconnu coupable par Athènes pour péculat. N’ayant pas pu payer l’amende à laquelle on l’avait condamné, il avait été envoyé en prison. Le fils Cimon âgé de vingt ans fit donc preuve à l’occasion du décès survenu lors de l’emprisonnement d’une extraordinaire obéissance au devoir de piété filiale. Il prit la place de son père mourant ou mort (selon les versions) dans la prison, pour assumer personnellement la condamnation prononcée, ce sacrifice volontaire étant le seul moyen qui pût légitimer la sépulture officielle dont son père aurait dû être privé. » [6a], p36


Alcibiade et Socrate

Le second tableau montre également une scène édifiante entre un homme mûr et un jeune homme : Socrate,un livre sous le bras, vient chercher Alcibiade dans le lit des courtisanes : il lui fait honte en lui montrant ses armes qu’il a attachées à une statue de Priape, dont la fumée du brasero voile opportunément la partie sensible. Alcibiade quitte sa couronne de fleurs, on comprend qu’il gagnera à la place une couronne de lauriers.


La logique du pendant

Initialement, les tableaux devaient montrer, en intérieur et en extérieur, deux épisodes de la vie de Socrate :

« Lorsque d’Angiviller commande, en 1780, deux tableaux en pendant à Peyron, il propose pour sujet du premier la mort de Socrate (mais Peyron choisir de traiter les Funérailles de Miltiade): pour le second, il écrit à Vien: Je ne serois pas faché que l’un des deux [tableaux) fût un sujet où il y eût des femmes, et nues, car il dessine bien» (Correspondance des Directeurs, L. XIV. p. 14 » [6b], p 102

Le remplacement de la Mort de Socrate par le sujet bien plus rare de la Mort de Miltiade est l’occasion d’une composition à la Watteau (centre vide / centre plein) , d’une grande symétrie :

  • rapport père-fils et mentor-disciple ;
  • armes suspendues de Cimon et d’Alcibiade ;
  • lit de mort et lit de volupté.


Giuseppe_Cades 1782 ca Achille,_jouant_de_la_lyre_sous_sa_tente_avec_Patrocle,_est_surpris_par_Ulysse_et_Nestor LouvreAchille jouant de la lyre sous sa tente avec Patrocle, est surpris par Ulysse et Nestor, Louvre giuseppe-cades 1782 -la-vertu-de-lucrece-ou-tarquin-le-superbe-et-collatinus-chez-lucrece Toledo Museum of ArtLa vertu de Lucrèce, ou Tarquin le superbe et Collatinus chez Lucrèce, Toledo Museum of Art

Giuseppe Cades, vers 1782

La surenchère néoclassique fait que les sujets deviennent rares, et les titres à rallonge cachent souvent la minceur du propos.

Le premier tableau illustre un passage du Chant IX de l’Iliade, où les Grecs viennent en ambassade auprès d’Achille pour tenter de l’enrôler dans leur camp.

Pour le second, par raison de symétrie, il fallait un sujet tiré de l’histoire romaine, et une héroïne d’un calibre suffisant pour équilibrer le divin Achille. La chaste Lucrèce pouvait faire l’affaire, mais pas dans sa scène du suicide, tellement ressassée depuis deux siècles : Cades imagine donc une scène originale, où elle coud des manteaux pour les soldats, avec ses dames de compagnie. Elle reçoit la visite-surprise de son mari Collatinus (qui lui prend la main), et de Tarquin, l’allié de celui-ci : à la manière dont il la scrute, on devine la suite : il va la violer et elle se poignardera pour échapper au déshonneur.


La logique du pendant

L’idée sous jacente est de montrer comment l’irruption de guerriers, dans un lieu protégé, va arracher un beau musicien à sa lyre et une noble dame à sa couture, pour les transformer en héros.

Ce type de production très intellectuelle peut sembler une impasse puisque, sans les titres, le pendant ne fonctionne pas. Turner au siècle suivant renouera avec cette inflation textuelle et assumera totalement l’alliance du pictural et du littéraire : ses pendants, pour être compris, seront non seulement affublés de titres copieux mais accompagnés de poèmes explicatifs (voir Les pendanst de Turner 1797-1828).


Un cas très intéressant sur la loqique des pendants moraux à la fin du XVIIème siècle est celui d’Angelica Kauffmann, qui a consacré au thème de « Cornélie, Mère des Gracques » trois pendants très différents, sorte de point culminant du néo-classicisme : voir Les pendants d’Angelica Kauffmann.

George Morland, c.1789 The effects of youthful extravagance and idlenessLes effets des excès et de l’oisiveté de la jeunesse (The effects of youthful extravagance and idleness) George Morland, c.1789 The Fruits of Early Industry and EconomyLes fruits de l’économie et de l’activité précoces (The Fruits of Early Industry and Economy)

George Morland, vers 1789, collection privée

Lorsqu’un peintre se livre désormais à l’exercice des correspondances, c’est avec une lourdeur moralisatrice et un parallélisme rigoureux :

  • le père de famille maigre, en habits rapiécés, assis à une table vide, lève les yeux vers le ciel en attendant un salut qui ne viendra pas ; tandis que le père de famille gras, en perruque, assis à une table encombrée de papiers et de pièces, reçoit d’un clerc affairé (la plume entre les dents) un paiement bien mérité ;
  • la mère pauvre se crève les yeux à coudre, tandis que la riche tend à sa fille une grappe de raisins ;
  • la fille de la maison sert de servante en attisant le pauvre feu tandis que la fille riche est servie par un domestique noir ;
  • le jeune fils allongé par terre, la manche déchirée, a laissé tomber son livre pour jeter vers son père un regard de reproche, tandis que le fils de famille riche, à l’abri de tout besoin, joue tranquillement avec le chien.


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A Married Sailor's Return c.1800 by Julius Caesar Ibbetson 1759-1817Le retour du marin marié An Unmarried Sailor's Return c.1800 by Julius Caesar Ibbetson 1759-1817Le retour du marin non-marié

Ibettson, 1800, Tate Gallery

Le marin marié rentre dans sa maison montrant tous les signes de la prospérité et de la continuité familiale : ses vieux parents, sont fils qui joue déjà au bateau, les porcelaines sur la cheminée, les pièces répandues sur la table et la malle qui passe juste par la porte.

A l’inverse, le marin non marié rentre dépenser ses sous au cabaret, entouré de musiciens, de filles et d’ivrognes.

 

Références :
[6a] Jacques Berchtold, «Les témoignages littéraires du thème de Cimon et Miltiade » dans « Le jardin de l’esprit: textes offerts à Bronislaw Baczko » De Bronisław Baczko, Kaja Antonowicz, Michel Porret, François Rosset https://books.google.fr/books?id=rTjtkNRH_JoC&pg=PA36#v=onepage&q&f=false
[6b] Pierre Rosenberg, Udolpho Van De Sandt « Pierre Peyron: 1744-1814″

L'âge classique : sujets religieux

7 février 2017

Les diptyques chrétiens avait déjà exploré toutes les possibilités des pendants :

  • élargir et symétriser une même scène : l’Annonciation, avec l’Ange et Marie,
  • mettre en regard deux scènes opposées : la Nativité et la Crucifixion,
  • exposer deux scènes consécutives : la Mise en croix et la Descente de Croix.

C’est  au XVIIème siècle que la mode  viendra  d’appliquer ces procédés à la peinture d’histoire, qui allait devenir pour longtemps le genre privilégié des pendants.

Sujets religieux

Ces pendants favorisent la méditation en rapprochant deux épisodes  :

  • de  l’Ancien et le Nouveau Testament ;
  • offrant une composition similaire, soit symétrique, soit parallèle ;
  • plus rarement, illustrant  deux temps d’une histoire.



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Rustici-Francesco-1625-ca-Salome-Musee-BA-Budapest-218-x-156-cmSalomé et la tête de Saint Jean Baptiste, vers 1625, Musée des Beaux Arts, Budapest (218 x 156 cm)
Rustici Francesco 1624 ca Saint Sebastien soigne par Irene Musee des BA Amiens 224 x 154 cmSaint Sébastien soigné par Irène, vers 1624, Musée de Picardie, Amiens (224 x 154 cm)

Francesco Rustici

Ce probable pensant confronte, à la même lumière d’une torche, deux meurtrières juives et deux sauveteuses romaines. La grande tâche rouge de la robe de Salomé met en évidence, dans un déséquilibre voulu, l’absence du corps décapité.



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Liss Johan_-_La deploration d abel_1628-29 Venise, Galerie de l AcademieLa déploration d’Abel Liss Johan_-_The_Sacrifice_of_Isaac_1628-29 Venise, Galerie de l AcademieLe sacrifice d’Isaac

Johan Liss, 1628-29, Galerie de l’Académie, Venise


E 1645-91 Lievo Mehus Sacrifice d'Isaac Statens Museum for Kunst CopenhagueLe sacrifice d’Isaac E 1645-91 Livio Mehus Moise et le buisson ardent Statens Museum for Kunst CopenhagueMoïse et le buisson ardent

Livio Mehus, 1645-91, Statens Museum for Kunst, Copenhague

Sur ces pendants, voir   Le sacrifice d’Isaac : 4 variantes, formes atypiques

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I luca-giordano sacrifice abel et cain coll partSacrifice d’Abel et Caïn I luca-giordano sacrifice Isaac coll partSacrifice d’Isaac

Luca Giordano, Collection particulière

A la fin du siècle, Luca Giordano mettra également en rapport l’histoire d’Abel et Caïn et celle d’Abraham et Isaac  en mettant cette fois en valeur l’idée de Sacrifice. Sur ce pendant, voir  voir Le sacrifice d’Isaac : 4 variantes, formes atypiques



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Mattias Stom 1630-50 The Adam et Eve pleurent la mort d'Abel Musee des BA La ValetteLa déploration d’Abel Mattias Stom 1630-50 Parabole di bon samaritain Musee des BA La ValetteParabole du bon samaritain

Mattias Stom, 1630-50, Musée des Beaux Arts, La Valette

Mattias Stom apparie le  thème de la Déploration d’Abel avec une scène du Nouveau Testament, la Parabole du bon Samaritain (Luc 10.25-37).

Il s’agit d’un pendant parallèle qui met en correspondance :

  • deux victimes innocentes : Abel assassiné et un Juif attaqué par un brigand ;
  • deux hommes à genoux et le bras tendu : le vieil Adam par impuissance, le brigand par méchanceté aveugle ;
  • deux personnages culminant en haut du triangle des corps : Eve se tordant les mains de douleur, le bon Samaritain se servant des siennes pour arrêter le meurtrier (dans la Parabole, il a un rôle moins spectaculaire, se limitant à panser et à ramasser le blessé) ;
  • deux évocations du Mal et du Passé, dans le triangle en haut à gauche : Caïn le meurtrier s’enfuyant au milieu des chardons, et les voyageurs qui ne se sont pas arrêtés pour porter secours.

Cette composition livre un message fort : dans le cas du Bon Samaritain, le Mal n’est pas incarné par le brigand, simple instrument : le véritable crime, comparable à celui d’Abel, n’est pas le Meurtre, mais l’Indifférence à la souffrance.



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da Cortona, Pietro, 1596-1669; Laban Seeking His IdolsLaban cherchant ses Idoles, Bristol Museum et Art Gallery Pietro da Cortona 1630–35 Alliance_of_Jacob_and_Laban LouvreL’Alliance de Jacob et de Laban, Louvre

Pietro da Cortona, 1630–35

Ces deux tableaux ont été commandés l’un par le cardinal Francesco Barberini, l’autre par son frère Antonio (les deux étant en concurrence auprès de leur oncle le pape Urbain VIII). Ils montrent deux temps d’une même histoire (Genèse 31, 19-54) : après avoir épousé Léa et Rachel, les deux filles de son oncle Laban, Jacob s’est enfui en empruntant les idoles de celui-ci.

Le premier tableau montre Laban qui, ayant rattrapés les fugitifs à la montagne de Galaad., cherche ses idoles dans un coffre dont Jacob tient le couvercle ouvert. A droite Léa est debout et Rachel assise.



Pietro da Cortona 1630–35 Laban Seeking His Idols Bristol Museum et Art Gallery detail
Mais les idoles sont en fait dissimulées sous le tissu bleu : « Rachel avait pris les théraphims, les avait mis dans la selle du chameau et s’était assise dessus. » Rachel dit qu’elle était indisposée et son père ne trouva rien.

Finalement, père et beau-fils se réconcilièrent, édifièrent un monceau de pierres pour délimiter leurs domaines et « Jacob offrit un sacrifice sur la montagne ».

C’est ce que montre le second tableau où réapparaissent les quatre mêmes personnages, mais dans un ordre différent : Léa, Rachel, Jacon et Laban.


La logique des pendants (SCOOP !)

Compte-tenu des circonstances très particulières de la commande, le peintre a dû veiller à maintenir un équilibre rigoureux entre les deux tableaux, notamment en ce qui en faisait la valeur, c’est-à-dire le nombre de figures :

  • en compensation des deux serviteurs qui déchargent les chameaux, il rajoute dans le second tableau deux enfants nus, sans nécessité narrative ;
  • le serviteur en manteau brun qui rattachait un ballot à l’arrière-plan est équilibré par celui qui, au premier plan, alimente le brasier ;
  • à l’aiguière avec son plateau, sortis du coffre, correspond celle sur laquelle un des enfants s’appuie et le plateau posé au centre, là encore sans nécessité narrative (il ne sert pas à recueillir le sang de l’agneau).



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Ribera 1639 Dream of Jacob PradoLe rêve de Jacob Ribera 1639 Liberation of st Peter PradoLa libération de Saint Pierre

Ribera, 1639, Prado, Madrid

A gauche, Jacob voit dans son sommeil une échelle entre ciel et terre, d’où les anges descendent et montent. A droite, Saint Pierre dans sa prison est réveillé par un Ange qui vient le libérer : les anneaux qui enserraient ses poignets s’ouvrent miraculeusement.

Le thème du pendant est donc « L’ange dans le sommeil », avec un exemple dans l’Ancien Testament et un dans le Nouveau. Chacun des tableaux présente sur sa gauche une issue impossible : l’arbre qui ne monte pas jusqu’au ciel, la fenêtre grillagée ; et sur sa droite la sortie angélique : vers la divinité ou vers la liberté.

Au centre, les barreaux de l’échelle font charnière avec les barreaux de la grille, imposant l’ordre de lecture.


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H lippi, Lorenzo , Abraham et Isaac _da_s.lucia_a_montecastello Museo diocesano (San Miniato).JPGAbraham et Isaac H lippi, Lorenzo agar_nel_deserto,_da_s.lucia_a_montecastello Museo diocesano (San Miniato)Agar au désert

Lorenzo Lippi (attr), vers 1640, provenant de l’église Santa Lucia de Montecastello, Museo diocesano, San Miniato

Pour ce pendant, voir Le sacrifice d’Isaac : 4 variantes, formes atypiques

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5Oa 1640-50 Pasquale Chiesa sacrifice isaac Doria PamphiliLe Sacrifice d’Isaac 5Oa-1640-50-Pasquale-Chiesa-agar-et-lange-Doria-PamphiliAgar et l’ange

Pasquale Chiesa, 1640-50, Galerie Doria Pamphili, Rome

Pour ce pendant sur le même thème, voir Le sacrifice d’Isaac : 2 type solidaire.


1685-88 Pagani Paolo, Agar er lange, Venise, Palazzo Capello SalvioniAgar et l’Ange 1685-88 Pagani Paolo, Sacrifice d'Isaac, Venise, Palazzo Capello SalvioniSacrifice d’Isaac

Palazzo Capello Salvioni, 1685-88, Venise

Pour ce pendant sur le même thème, voir Le sacrifice d’Isaac : 4 variantes, formes atypiques


1715 Federico_Bencovich Hagar_and_Ishmael_in_the_Desert Schloss WeißensteinAgar, Ismaël et l’ange, Schloss Weißenstein, Pommersfelden 1715 Federico_Bencovich Abraham_s_sacrifice_of_Isaac_-_ Strossmayer Gallery ZagrebSacrifice d’Isaac, Strossmayer Gallery, Zagreb

Federico Bencovich, 1714

Pour cette version du XVIIIème siècle, voir Le sacrifice d’Isaac : 3 format horizontal 



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Museo Thyssen- BornemiszaLes filles de Loth Museo Thyssen- BornemiszaL’ivresse de Noé

Bernardo Cavallino, 1640-45, Musée Thyssen Bornemisza, Madrid

Deux tonalités morales opposées

Dans la Genèse, deux épisodes illustrent l’ivresse d’un Père, avec des moralités opposées : tandis que les deux filles de Loth l’encouragent  dans sa faiblesse afin de commettre le sommet de l’impudicité – l’inceste, les trois fils de Noé le couvrent  d’un manteau afin de masquer ses parties intimes (représentées ici de manière inhabituellement crue).


Une composition rigoureuse

Le format ovale permet de focaliser chaque composition sur un objet significatif : objet du Scandale (la coupe) ou objet de la Pudeur (le manteau).

Le Père abusé est représenté vu de face et assis, le Père protégé vu de dos et couché. Mais tandis que les poses des pères s’opposent, celles des enfants se répondent :

  • la fille de gauche, qui pose une main sur la chevelure grise de son père et tient  la coupe de l’autre, fait pendant au fils de droite, qui pose une main sur la branche d’arbre et ouvre son autre main au dessus du sexe nu de Noé ;
  • la fille de droite fait écho au groupe des deux frères de gauche.


 Une solution graphique ingénieuse (SCOOP ! )

Si l’on examine attentivement ce groupe, on constatera que, de part et d’autre de cette véritable cape d’illusionniste,  ne sont montrées que deux mains, deux mollets, et un seul visage : cette fusion visuelle des deux frères porteurs du manteau les rend symétriques de  la soeur qui porte à deux mains la carafe.



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Giacinto Brandi 1684-1685 Loth et ses filles Palazzo Chigi Ariccia, 160 x 136 cmLoth et ses filles Giacinto Brandi 1684-1685 L'ivresse de Noe Palazzo Chigi Ariccia, 160 x 136 cmL’ivresse de Noé
Giacinto Brandi, 1684-1685, Palazzo Chigi, Ariccia, (160 x 136 cm)

Quarante ans plus trad, ce pendant traite le même thème dans un style plus classique que caravagesque. Cette fois ce sont les deux coupes, en argent et en or, qui sont mises en équivalence.



Giacinto Brandi 1684-1685 schema
Apparemment dissymétrique, la composition s’éclaire si on la lit se lit en deux moitiés :

  • d’un côté les enfants indignes ;
  • de l’autre le père malheureux (accompagné par le Bon fils das le cas de Noé).



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Jordaens 1641-42 Ruth et Naomi Ringling Museum SarasotaRuth et Naomi Jordaens 1641-42 Boaz Ringling Museum Sarasota.Boaz

Jordaens, 1641-42, Ringling Museum, Sarasota

Ce pendant illustre, en deux temps, la rencontre de Ruth avec son futur mari, Boaz. Ruth est une jeune Moabite qui arrive au pays de Juda en accompagnant sa belle-mère Naomi, une Juive qui rentre au pays.

Dans le premier tableau, Ruth a été autorisée par Boaz à glaner dans ses champs : un crible à ses pieds, elle montre sa récolte à Naomi :

« Elle ramassa des épis dans le champ jusqu’au soir, puis elle battit ce qu’elle avait récolté. Il y eut environ 22 litres d’orge…. Sa belle-mère lui dit: «Où as-tu ramassé des épis aujourd’hui? Où as-tu travaillé? Béni soit celui qui s’est intéressé à toi!» Ruth raconta à sa belle-mère chez qui elle avait travaillé: «L’homme chez qui j’ai travaillé aujourd’hui s’appelle Boaz», dit-elle. Naomi dit à sa belle-fille: «Qu’il soit béni de l’Eternel, qui garde sa bonté pour les vivants comme pour les morts! Cet homme nous est proche – lui dit encore Naomi – il est un de ceux qui ont droit de rachat sur nous.» (Ruth 2, 17:20)

Le second tableau illustre l’épisode qui suit, dans lequel Boaz utilise son droit de rachat sur une parcelle de terre appartenant à Naomi :

« Autrefois en Israël, pour valider toute affaire relative à un rachat ou à un échange, on retirait sa sandale et on la donnait à l’autre : c’était ce geste qui servait d’attestation en Israël. Celui qui avait le droit de rachat dit donc à Boaz: «Fais-en l’acquisition pour ton compte» et retira sa sandale ». (Ruth 4, 7:8)


La logique du pendant

En inversant l’ordre héraldique, Jordaens nous fait comprendre que Ruth et Boaz ne sont pas encore mariés. Tout en restant irréprochable par rapport au texte, Jordaens ne peut s’empêcher de jouer avec le thème du vieillard riche et quelque peu ridicule, de l’entremetteuse intéressée et de la jeune femme plantureuse, dont le décoleté n’a rien de biblique.


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stella 1631 Suzanne et les vieillards Coll. David Rust (USA).Suzanne et les vieillards stella 1631 Joseph et la femme de Putiphar Coll. David Rust (USA).Joseph et la femme de Putiphar

Stella, 1631, Collection David Rust (USA) [1]

Réalisé sur marbre jaspé, ce petit pendant extérieur/intérieur regroupe les deux scènes les plus torrides de la Bible en matière de désir sexuel, des deux vieillards pour Suzanne et de la femme de Putiphar pour Joseph. Cette parité fait que le pendant peut être considéré comme :

  • symétrique – si on s’intéresse au sexe des personnages,
  • parallèle – si on s’intéresse aux rôles d’agressé(e) et d’agresseur(euse).

Les textures différentes du support sont laissées découvertes pour représenter d’un côté les parties en marbre, de l’autre les draperies.


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Stella 1647 Salomon recevant la Reine de Saba Musee des Ba de LyonSalomon recevant la Reine de Saba Stella 1647 Salomon_sacrifiant_aux_idoles Musee des Ba de LyonSalomon sacrifiant aux idoles

Stella, 1647, Musée des Beaux-Arts de Lyon [2]

Tirées de la vie de Salomon, ces deux scènes d’intérieur s’opposent d’emblée par l’ambiance lumineuse :

  • lumière naturelle qui vient d’en haut à gauche, au delà du dais de Salomon : la figure du Roi reste dans l’ombre, manière de souligner son humilité par rapport à Dieu ;
  • lumière artificielle des quatre flambeaux qui éclairent d’un côté l’idole, de l’autre ses adorateurs ; une lune décroissante apparaît dans la fenêtre, allusion à la déesse Atsarté à laquelle Salomon aurait fait lui-même des offrandes.

Il semble que Stella ait voulu composer une sorte de développement du chef-d’œuvre de son ami Poussin, Le Jugement de Salomon, qui illustre la sagesse du Roi : la soumission de la richissime Reine de Saba montre les fruits de cette sagesse ; tandis que la soumission de Salomon aux idoles, à la fin de sa vie, en constitue la négation.


La Majesté de Salomon

Le premier tableau,se divise en trois sections bien délimitées :

  • le Roi à gauche, entouré de ses conseillers ;
  • le Reine de Saba au centre, entourée de ses suivantes ;
  • les serviteurs et servantes apportant les cadeaux.

Ceux-ci figurent donc à la fois derrière de la Reine, et au point le plus éloigné du Roi, ce qui souligne leur caractère accessoire.


La Folie de Salomon

Le second tableau se divise, au niveau du brasero qui brûle en hommage à l’idole, en deux sections non hermétiques :

  • a gauche, Salomon à genoux, entouré par ses femmes et des danseuses au sein nu ;
  • à droite le lieu des cadeaux offerts à l’Idole, avec au fond des musiciens et en plan moyen deux danseuses qui ont échappé au groupe.


La logique du pendant (SCOOP !)

Stella 1647 Salomon schema

Un soldat en manteau bleu et un prêtre en manteau rouge flanquent le pendant sur les bords externes (en vert).

Salomon (en bleu) passe du haut au centre, prenant la place subordonnée qu’occupait la Reine et laissant la place supérieure à l’Idole (en rose).

Le point de fuite se décale subtilement : placé à genoux juste derrière la Reine dans le premier tableau, le spectateur se trouve comprimé dans la foule des adorateurs, juste derrière Salomon et au même niveau que lui, accompagnant le Roi dans sa déchéance.


Donato Creti 1720 ca Le roi Salomon sacrifiant aux faux dieux Musee Roger Quilliot Clermont-FerrandLe roi Salomon sacrifiant aux faux dieux Donato Creti 1720 ca Le roi Salomon recoit la reine de Saba Musee Roger Quilliot Clermont-FerrandLe roi Salomon recoit la reine de Saba

Donato Creti, vers 1720, Musée Roger Quilliot, Clermont-Ferrand

Il est amusant de constater que, soixante dix ans plus tard, soumis aux mêmes contraintes de composition panoramique, Creti retrouvera, en les inversant, les mêmes solutions graphiques :

  • sur les bords extérieurs du pendant, symétrie entre les puissances invitantes féminine et masculine : l’idole et Salomon ;
  • au centre de chaque panneau, symétrie entre les deux invités debout, le roi tenant l’encensoir et la reine offrant un coffret d’or.

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Stella 1650-55 La Vierge donnant de la bouillie a l'Enfant Jesus Chateau de Blois 66 x 52 cmLa Vierge donnant de la bouillie à l’Enfant Jésus, Chteau de Blois (66 x 52 cm) Stella 1650-55 Christ mort sur les genoux de la vierge Musee municipal de l’Eveche Limoges 65 x 53 cmChrist mort sur les genoux de la vierge, Musée municipal de l’Evêché, Limoges (65 x 53 cm)

Stella, 1650-55

Je me contente ici de citer l’analyse de Sylvain Kerspern [3], qui rattache avec raison ce pendant à la tradition iconographique (illustrée notamment par la Piéta de Michel-Ange) qui met en parallèle la Marie de l’Enfance du Christ avec celle de la Passion :

« Dans ce dialogue imagé, Stella associe les langes contraignants que, jusqu’à la dernière guerre mondiale encore, on appliquait en France aux nourrissons jusqu’à au moins six mois, et le suaire dont la Vierge se sert pour essuyer les blessures de son fils. Le caractère exceptionnellement violent chez Stella de l’image ne me semble précisément pouvoir s’expliquer que comme résultant de ce que propose celle de Blois. Celle-ci, dirions-nous aujourd’hui, nous montre la diversification alimentaire : la robe verte laisse encore voir l’ouverture pour le sein droit, simplement recouvert par la tunique; en complément, la Vierge donne de la bouillie qu’un angelot tient au chaud.
C’est tout le charme et toute la profondeur de bien des ouvrages de Stella, semblant s’attacher à la restitution du quotidien tout en lui donnant un résonnance profonde, spirituelle, encore accrue par la recherche d’un univers formel recherchant l’économie et tendant au monumental. Ainsi, le rapprochement attendu entre les deux tableaux autrefois à Saint-Germain amène à associer la nourriture terrestre apportée par la mère au sacrifice du fils, évoquant ainsi l’Eucharistie transmise par le pain – la bouillie – et le vin – le sang du Christ »



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Murillo 1664 - 1665 miracle du gentilhomme romain L'apparition de la vierge à Patricio Juan PradoL’apparition de la Vierge au patricien Jean (Joannes Patricius) et à sa femme Murillo 1664 - 1665 miracle du gentilhomme romain Patricio Juan raconte le Miracle au Pape PradoJean raconte le Miracle au Pape
 
Les Hémicycles, ou le Miracle du gentilhomme romain 
Murillo, 1664 – 1665, Prado, Madrid [4]

Ces deux toiles racontent en deux temps la fondation miraculeuse de la basilique Sainte Marie Majeure à Rome, en l’an 852.

  • Dans le premier tableau, l’apparition de la Vierge montre du doigt, à gauche, l’endroit recouvert de neiges où devra s’élever l’église qui lui sera consacrée.
  • Dans le second tableau, le lendemain matin, les mêmes racontent leur rêve commun au pape Liberius ; à droite, une longue procession, menée par le pape en grand apparat, se dirige vers la colline romaine qu’une neige miraculeuse vient de marquer.

Murillo 1664 - 1665 eglise-santa-maria-la-blanca Seville

Eglise Santa Maria la Blanca, Séville

Les pendants se faisaient face de part et d’autre de la nef, de manière à ce que la Vierge soit, dans les deux tableaux, orientée en direction de l’autel. Cette solution, anti-chronologique dans la vue d’ensemble, est logique en vue séparée : chaque tableau est disposé dans le sens naturel de la lecture :

  • l’apparition, puis les rêveurs ;
  • l’audience, puis la procession.


Murillo 1671-74 La multiplication du pain et des poissons Hopital de la Charite SevilleMoïse fait jaillir l’eau du rocher de Horeb Murillo 1671-74 Moise fait jaillir l eau du rocher de Horeb Hopital de la Charite SevilleJésus multiplie le pain et les poissons

Murillo, 1671-74, Eglise de l’Hôpital de la Charité, Séville

Quelques années plus tard, Murillo réalise un autre pendant monumental pour une autre église de Séville : il s’agit de mettre en  parallèle, dans un format panoramique, deux scènes de l’Ancien et du Nouveau Testament relatant un miracle alimentaire. La composition respecte l’opposition classique entre un centre plein (autour du personnage de Moïse) et un centre vide (échappée sur la foule et l’horizon). On s’attendrait néanmoins à ce que le personnage de Jésus se trouve sur le bord droit, concluant la narration.



Murillo hospital-caridad
La disposition des deux toiles l’explique : Jésus se trouve du côté du choeur, et la foule du tableau du côté de la foule des malades.


Berchem Nicolaes 1670 Le Fils prodigue Musees d'art et d'histoire de GeneveLe Fils prodigue
Berchem Nicolaes 1670 Abraham receives Sarah from King Abimelech. Musees d'art et d'histoire de GeneveAbraham reçoit Sarah du Roi Abimelech

Nicolaes Berchem, 1670, Musées d’art et d’histoire de Genève

Ce pendant moralisateur oppose :

  • sous un ciel sombre, le fils perdu qui s’adonne au libertinage, entre une statue de Vénus, un singe sur le piédestal (l’animalité triomphante) et deux chiens qui s’accouplent ;
  • sous un ciel qui s’éclaircit, l’épouse légitime restituée sur l’ordre de Dieu, entre un vase d’abondance, un singe revenu sur terre et trois chiens fidèles.


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van der Werff Adriaen , 1699 Sara brings Hagar to Abraham (Genesis 163-4) Alte Pinakothek, MunichSarah mène Agar à Abraham (Genèse 16,3-4) van der Werff Adriaen , 1699 the banishment of Hagar and Ishmael (Genesis 21,9-21) Alte Pinakothek, MunichLe bannissement d’Agar et d’Ismaël (Genèse 21,9-21)

Adriaen van der Werff, 1699, Alte Pinakothek, Munich

Ce pendant intérieur / extérieur illustre deux moments de l’histoire de la descendance d’Abraham :

  • dans le premier, Sarah, vieille et stérile, présente à son mari Abraham une jeune servante égyptienne, Agar, afin qu’il en ait un fils ;
  • dans le second, Sarah (qui a entre temps miraculeusement accouché d’Isaac) pousse Abraham à chasser dans le désert Agar et son fils Ismaël.

Très didactique, la composition met en parallèle :

  • le couple Abraham / Agar : nu, assis et en contact puis debout, habillé et disjoint ;
  • un tiers familial : la vieille épouse légitime et le jeune fils illégitime ;
  • le vase de vin (pour les ébats) et la gourde d’eau (pour le désert).

van der Werff Adriaen , 1699 Sara brings Hagar to Abraham (Genesis 163-4) Alte Pinakothek, Munich detail van der Werff Adriaen , 1699 the banishment of Hagar and Ishmael (Genesis 21,9-21) Alte Pinakothek, Munich detail

Ajoutons deux morceaux de bravoure, à vocation émouvante mais à effet émoustillant  :

  • le sein d’Agar, mis en exergue par son geste de pudeur ;
  • sa croupe, modelée par le geste de désarroi de son fils.

Références :

Pendants avec couple

5 février 2017

Ces pendants ont pour sujet le couple :  soit ils mettent en regard deux  couples en situation comparable,  soit ils montrent un seul couple à deux moments d’une même histoire (voir aussi Pendants Avant-Après). Nous avons regroupé les deux cas de figure car, formellement, le problème de composition est identique : comment mettre en équilibre quatre corps ?

A Joseph et la femme de Putiphar - Leonello Spada 1610-15 Lille, Musee des Beaux-Arts,Joseph et la femme de Putiphar
Leonello Spada, 1610-15, Lille, Musée des Beaux-Arts
A Renaud et Armide Alessandro Tiarini 1610-15 Lille, Musee des Beaux-Arts,Renaud et Armide
 Alessandro Tiarini 1610-15 Lille, Musée des Beaux-Arts

Ces deux tableaux décoraient la galerie du palais du cardinal Alessandro d’Este.


Le pendant biblique (intérieur jour)

La femme de Putiphar (l’intendant de Pharaon)  tente de séduire Joseph, vendu en esclave à son mari. Elle l’attire dans sa chambre mais, refusant de trahir son maître, il fuit en abandonnant son manteau. La séductrice s’en servira comme preuve pour l’accuser de viol et le fera jeter en prison.


Le pendant chrétien (extérieur nuit)

Nous sommes juste après la bataille pour délivrer Jérusalem, durant laquelle la magicienne Armide, amoureuse du chevalier Renaud, a tenté vainement de le tuer  d’une flèche. Prenant la fuite, désespérée par la défaite, Armide s’est réfugié dans une « ombreuse vallée », et a « déposé à terre son arc, son carquois et toute son armure ».  Le tableau illustre  très  littéralement la suite du texte du Tasse :

« Elle se tait alors, et sa résolution prise, elle choisit le trait le plus vigoureux et plus acéré. Renaud arrive et la voit près de se donner la mort ; son visage est couvert d’une pâleur funèbre, et le fer est levé. Il s’approche et par derrière saisit le bras qui dirige contre sa poitrine l’arme fatale. Armide se retourne et le voit avec surprise, car elle ne l’a point entendu venir. Elle pousse un cri, détourne avec dédain ses yeux d’un visage qu’elle adore, et s’évanouit. Elle tombe, ployant sa tête languissante, comme une fleur à demi coupée ; mais Renaud lui fait de son bras un appui, et desserre les voiles qui couvrent son sein. «  Le Tasse, La Jérusalem Délivrée, Livre XX, CXXVII, CXXVIII

Tiarini a résolu élégamment la petite difficulté scénaristique : puisque Renaud n’a que deux bras – le droit pour détourner la flèche et le gauche pour soutenir l’évanouie, c’est elle-même qui s’est dépoitraillée pour mieux se perforer – l’important étant de justifier noblement le décolleté.


La logique d’ensemble

Visuellement, des symétries profondes unissent les deux panneaux : un homme debout (tête nue et tête découverte), une femme assise (jambe nue et jambe voilée). L’homme tire vers la gauche, la femme tire vers la droite. Trois mains sont visibles : deux masculines et une féminine côté biblique, deux féminines et une masculine côté chrétien


A Joseph et la femme de Putiphar - Leonello Spada 1610-15 Lille, Musee des Beaux-Arts detail A Renaud et Armide Alessandro Tiarini 1610-15 Lille, Musee des Beaux-Arts detail,

Dans les deux cas, la tension  se cristallise autour d’un  objet synthétique :

  • le  manteau, symbole de la pudeur de Joseph mais aussi de la traîtrise féminine  ;
  • la flèche, qui a vainement  tenté de  perforer Renaud, puis Armide, et se transforme sous nos yeux en symbole de leur amour.

Deux histoires de désir de la femme pour l’homme  : condamnable chez l’Egyptienne qui le manifeste crument, il devient admirable chez la guerrière à proportion  qu’elle s’y refuse.

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Regnier 1640 ca Judith Holopherne Herzog Anton Ulrich Museum Braunschweig Judith et Holopherne Regnier 1640 ca La charite romaine Herzog Anton Ulrich Museum BraunschweigLa charité romaine

Régnier, vers 1640, Herzog Anton Ulrich Museum, Braunschweig

Le pendant oppose deux jeunes femmes formant couple avec une personne âgée :

  • la violente Judith conspire avec une vieille femme pour couper la tête d’Holopherne ;
  • la charitable Pero nourrit dans sa prison son vieux père Cimon.



Louis de Boullogne l'Aine Cephale et Procris,musee des beaux-arts de Caen 1Procris offrant le javelot d’Artémis à Céphale Louis de Boullogne l'Aine Cephale et Procris,musee des beaux-arts de Caen 2La Mort de Procris

Louis de Boullogne l’Aîné, musée des Beaux-Arts de Caen

Ce pendant intérieur-extérieur illustre deux moments de l’histoire à rebondissements entre Céphale et Procris.

Celle-ci était une nymphe de Diane, qui se détourna de sa maîtresse pour épouser le beau prince Céphale. Mais suite à des manigances de l’Aurore (tombée amoureuse de Céphale), Procris fut chassée en Crète où Diane lui fit don d’un chien de chasse et d’un javelot magiques, qui ne rataient jamais leur proie.

Le premier tableau nous montre Procris, déguisée en une belle jeune femme, revenant séduire Céphale en lui offrant les cadeaux de Diane (d’où le croissant de lune sur son front).

Puis Procris se fit reconnaître et les deux époux se réconcilièrent. Mais Procris, jalouse d’Aurore, suivit une nuit son mari parti à la chasse.

Le second tableau nous montre l’issue fatale : ayant pris Procris pour du gibier, Céphale lui décocha son javelot infaillible.

Les deux moments ont été choisis pour leur symétrie et leur caractère tragique : le javelot, agent des retrouvailles entre les deux amants, est aussi celui de leur séparation définitive.



Allegory of Wealth ADRIAEN PIETERSZ VAN DE VENNE 1630-40 Musee Pouchkine MoscouAllégorie de la Richesse
Adriaen Pietersz van de Venne, 1630-40, Musée Pouchkine, Moscou
Allegory of Poverty ADRIAEN PIETERSZ VAN DE VENNE 1630-40 Allen Memorial Art Museum, OberlinAllégorie de la Pauvreté
Adriaen Pietersz van de Venne, 1630-40, Allen Memorial Art Museum, Oberlin

Fortes sont les jambes de ceux qui peuvent porter la Richesse
(Het sijn stercke beenen die Weelde konnen dragen)

Faibles sont les jambes de ceux qui doivent porter la Pauvreté
(Het Sijn ellendige beenen die Armoe moeten draegen)

Dans le premier tableau :

  • un homme fort  porte sur ses épaules une jeune femme qui renverse un verre de vin et disperse des pièces d’or et d’argent ;
  • les deux sont vêtus richement ;
  • sur le sol, des articles de loisir : boîte à jouer, balle, masque, raquettes, maillet de croquet  ;
  • au fond à gauche un château, à droite un couple qui danse accompagné par un chien.

Dans le second tableau :

  • un mendiant aveugle conduit par un chien porte sur le dos une vieille femme tenant un clapet de lépreux et un bol à aumône, sur laquelle  à son tour un petit enfant est juché ;
  • les vêtements déchirés, les sabots de bois remplis de paille, la chaîne du chien rallongée par un bout de ficelle disent la précarité ;
  • sur le sol,  les cylindres en bois  à quatre pieds sont ces poignées qu’utilisent les culs de jatte  pour se propulser le long du sol, et le manche doit être celui d’une béquille : les deux faisant écho  aux « jambes faibles » de la légende ;
  • au fond à droite une masure, avec un couple qui se repose.



Dans la même veine  misérabiliste, Van de Venne a  réalisé une étonnante série de cinq tableaux, malheureusement dispersée et incomplète,  illustrant l’enchaînement de la Pauvreté à La Mort

Adriaen van de Venne B1 Armoe soeckt lijst1 La pauvreté mène à la ruse
Armoe [de] soeckt lijst»
Adriaen van de Venne B1 Armoe soeckt lijst grisaille

Un vieillard  aveugle et estropié, jouant de la vielle, s’appuie sur une veille femme qui joue quant à elle du rommelpot (tambour à friction). A l’arrière-plan, un jeune homme les jambes en l’air moque leurs infirmités.

Il nous manque le deuxième tableau La ruse mène à la richesse  (Lijst soekt rijkdom)


Adriaen van de Venne B3 Rijkdom soeckt weelde3 La richesse mène au luxe
Rijkdom soeckt weelde
Adriaen van de Venne B4 Weelde soeckt ellende4 Le luxe mène à la misère
Weelde soeckt ellende

A gauche une belle femme lève sa coupe au bel homme qui lève sa bourse.
A droite elle lève  toujours sa coupe, mais donne maintenant son bras à celui qu’elle a réduit à la mendicité.



Adriaen van de Venne B5 Ellend soeckt de doot
5 La misère mène à la mort
Ellend’ soeckt de doot

Le cinquième et dernier tableau inverse les sexes, transformant le mendiant en mendiante et la belle dame en squelette, qui brandit un sablier en remplacement de la coupe de vin. Par rapport à tous les autres tableaux où les couples avancent de droite à gauche,  le sens de la marche est inversé :  en direction du cimetière.



Les pendants subtils de Willem van Mieris (SCOOP !)

Wilhelm van mieris 1698 Paris and Oenone Wallace Collection LondresPäris et Oenone Wilhelm van mieris 1698 Venus and Cupid Wallace Collection LondresVénus et Cupidon

Wilhelm van Mieris, 1698, Wallace Collection, Londres

Ce pendant mythologique semble bizarrement dissymétrique, avec un couple d’amoureux et un couple mère-enfant. Il faut un peu de réflexion pour comprendre que le second tableau constitue une extension du premier, racontant l’autre versant de l’histoire :

  • à gauche Pâris jure fidélité à la nymphe Oenone, en inscrivant son nom dans l’écorce ;
  • à droite Vénus déjà réveille  Cupidon, qui va insuffler à Pâris l’amour de la belle Hélène.

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Willem_van_Mieris Le_Marchand_de_gibier_Musee_du_LouvreLe Marchand de gibier Willem_van_Mieris Les bulles de savon_Musee_du_LouvreLes bulles de savon

Willem van Mieris, début XVIIIème, Louvre, Paris

Ces deux tableaux de même taille et de même composition ont tout pour être des pendants… sinon que le thème commun est rien moins qu’évident.

Dans le premier tableau, une femme à l’arrière-plan tend une pièce à un marchand qui vient de saigner gibier et volaille sur le rebord de la fenêtre ; une cage à oiseau est suspendue à l’extérieur.

Dans le second tableau, une femme à l’arrière-plan tend une grappe à un jeune homme richement vêtu qui sort des perles d’une bourse et fait des bulles de savon ; un jeune enfant regarde un oiseau dans la cage, qui est maintenant posée sur la fenêtre.

On voit bien que le pendant oppose la profusion des dépouilles d’animaux à poils et à plumes, à une collection d’objets sphériques (grains de raisin, perles et bulles). De plus les Amours des bas-reliefs font écho aux scènes du haut :

  • côté gibier, ils font la chasse à une chèvre avec un chien ;
  • côté dégustation, ils se délectent de son lait.

Mais aucune signification d’ensemble ne se dégage clairement.

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Willem van Mieris 1707 A POULTRY SELLER coll partLa vendeuse de volaille Willem van Mieris 1707 A GENTLEMAN OFFERING A LADY A BUNCH OF GRAPES coll partHomme offrant une grappe de raisins à une dame

Willem van Mieris, 1707, collection particulière

Depuis leur achat séparé en 1756 et 1765 par Jan et Pieter Bisschop , les deux tableaux ont toujours été exposés côte à côte, mais on ne sait rien de leur origine. Cependant, leur logique, très proche de celle des tableaux du Louvre, milite en faveur de pendants :

  • à gauche : à la volaille vendue correspond dans le bas-relief une scène de chasse à la chèvre .
  • à droite : aux fruits goûtés, raisins et pêches correspondent les jeux  des putti du bas-relief : s’arroser d’eau, gambader ou se gaver.

La draperie verte, qui passe de l’avant à l’arrière, rappelle la cage à oiseau du premier pendant, à la fois élément commun et support de variation.

Manifestement les deux pendants exploitent des oppositions similaires : Chasse et Cueillette, Viandes et Fruits, Gens du Peuple et Gens du monde, Activité et Oisiveté, Achat et Don, Transaction et Séduction, Utilité et Gratuité… Mais le plaisir du pendant réside sans doute, ici, dans l’empêchement de conclure.



Boucher (d apres) couple-d-amoureux 2 Louvre Boucher (d apres) couple-d-amoureux Louvre

Couple d’amoureux
Anonyme, Louvre, Paris

On ne sait évidemment rien sur ce pendant plus qu’osé, qui représente le même couple à deux moments successifs de l’action. Entre la phase avancée et la phase terminale des préliminaires, les amours ont disparu (trop hard pour eux), le bélier est venu rejoindre sa brebis et la blonde, pressentie sur le flanc droit, a cédé sur le flanc gauche : son chapeau s’est dénoué, sa  main gauche a lâché  le  panier pour se poser sur l’épaule de son compagnon…


Boucher (d apres) couple-d-amoureux Louvre detail mains…tandis que sa main droite, sans changer de geste, est passée  de la défense à l’abandon.


Boucher boudoir Du Barry
Boucher, pour le boudoir de la duchesse du Barry, localisation inconnue

On relève le même geste ambigu pour la main droite de la dame debout, auquel un amour s’apprête à révéler le mystère de la volupté céleste. Tandis que sa compagne, plus aguerie, évalue l’ustensile que lui propose un jeune colporteur d’articles parisiens.



François_Lemoyne 1723 Hercule et Omphale LouvreHercule et Omphale, Louvre, Paris François_Lemoyne 1723 Perseus_and_Andromeda_-_WGA12656 Wallace CollectionPersée et Andromède, Wallace Collection, Londres

François Lemoyne 1723

Ce pendant raffiné peut se lire de deux manières.

En lecture symétrique, il met en balance :

  • les deux nus féminins debout, contre un arbre ou contre un rocher ;
  • les deux héros, Hercule féminisé et assis, Persée en armes et en vol ;
  • un personnage secondaire : l’amour présentant des bonbons ou le monstre marin.

En lecture parallèle, il oppose les sexes et révèle des homologies de gestes :

  • Vénus tenant la massue se transforme en Persée tenant le glaive ;
  • Hercule levant la cuisse droite se transforme en Andromède levant la cuisse gauche.

Ainsi le second tableau, la libération d’Andromède par Persée, vient à la fois expliquer et contredire le premier : l’enchaînement d’Hercule par Omphale.


Guarana Jacopo Hercules And OmphaleHercule et Omphale Guarana Jacopo Paris And Helen Of TroyPâris et Hélène de Troie

Jacopo Guarana, 1750-80,Collection privée

A gauche Omphale s’est saisie de la massue d’Hercule et lui a donné sa quenouille. A droite Pâris casqué empoigne Hélène pour l’enlever. Domination par la femme ou par l’homme, il s’agit toujours de passion aveugle, comme l’expriment les deux Cupidons qui prennent le spectateur à témoin.


Tischbein 1754 The_Mocking_of_Anacreon Staatliche Museen, KasselAnacréon moqué Tischbein 1754 Hercule et Omphale Staatliche Museen, KasselHercule et Omphale

Tischbein, 1754, Staatliche Museen, Kassel

Le premier tableau traite le même thème de l’amour ridicule : le vieux poète Anacréon tente de faire boire une femme très jeune (seul moyen d’arriver à ses fins) mais celle-ci se moque de lui et repousse la coupe.

Outre le décor extérieur/intérieur, Tischbein a soigné les symétries des personnages secondaires :

  • à la servante pinçant les cordes de la lyre correspond celle qui noue le ruban dans les cheveux d’Hercule ;
  • à l’Amour qui brandit le stylet du poète correspond celui qui s’empare de la massue ;
  • à l’Amour qui unit le couple mal assorti correspond celui qui, regardant en souriant le spectateur, le prend à témoin de ce travestissement ridicule.

Le thème de ce pendant très enlevé est donc l’homme tourné en dérision par la femme.



johann-heinrich-tischbein-the-elder-tarquin violant LucreceTarquin violant Lucrèce johann-heinrich-tischbein-the-elder-cleopatre et antoine mourantCléopâtre veillant Antoine mourant

Tischbein, collection privée

Ce pendant met subtilement en symétrie deux scènes de l’Histoire romaine :

  • Tarquin viole Lucrèce sous la menace, et celle-ci lui montre son sein dans lequel elle va bientôt plonger son propre poignard, se suicidant pour ne pas survivre au déshonneur ;
  • Cléopâtre veille Antoine qui vient de se suicider en croyant qu’elle était morte, tout en songeant déjà au serpent qu’elle va poser sur son sein, pour ne pas survivre à son amant.

On pourrait baptiser ainsi ce pendant très allusif : « la future blessure », ou « le sein  dévoilant le dessein ».



halle salon de 1763 la-cage-derobee---or-ie-voleur-adroit coll privUne bergère qui flatte de la main un jeune berger halle salon de 1763 Une bergere qui flatte de la main un jeune berger coll privLa cage dérobée ou Le voleur adroit

Hallé, salon de 1763, collection privée

Cette Pastorale met en parallèle :

  • la fille qui dort et celle dont l’audace se réveille ;
  • le voleur de cage qui viole la palissade et le gars sérieux qu’on rejoint par dessus le mur.

Casali Andrea Bacchus et Ariane Angelique et Medor
 
Bacchus et Ariane, Angélique et Médor
Andrea Casali, Collection privée

Très décoratifs, ces deux pendants multiplient les symétries, jusqu’à rendre les couples presque indiscernables : seule la couronne de Bacchus, qu’il a jetée dans le ciel pour devenir la Couronne Boréale, et les noms que Médor inscrit dans l’écorce de l’arbre, permettent de les identifier.

Le thème commun est donc celui de l’Amour-Passion, et de ses marques pérennes.


gandolfi Ubaldo 1770 Persee et Andromede collez._comunali,_bolognaPersée et Andromède gandolfi Ubaldo 1770 diane et endymion,_collez._comunali,_bolognaDiane et Endimyon

Ubaldo Gandolfi, 1770, Collections comunales, Bologne

Persée et Andromède

Dans lé récit d’Ovide, Persée tue au corps à corps le montre marin qui retient Andromède attachée à son rocher. Gandolfi s’écarte ici du texte en imaginant que Persée, monté sur le cheval ailé Pégase, utilise pour pétrifier le monstre la tête de Méduse qu’il a tranchée lors d’un épisode précédent.


Diane et Endymion

Diane vient chaque nuit admirer Endymion, endormi durant trente ans pour conserver sa beauté : elle soulève si délicatement son manteau que le chien fidèle ne se réveille pas.


La logique du pendant

Il n’y a pas ici d’autre thème commun que le couple. Dans chaque pendant :

  • une figure en vol (homme puis femme) s’éloigne ou passe au premier plan ;
  • une figure assise sur un rocher (femme puis homme) s’incline vers l’extérieur ou vers le centre.

Il en résulte une opposition entre le couple que divise la diagonale montante et le couple qui fait cercle autour du centre. La subtilité de cette chorégraphie est qu’elle contrarie la suite de l’histoire : Persée va s’unir à Andromède, tandis que Diane jamais ne touchera Endymion.

Cette discordance entre le visuel et le narratif fait, pour le connaisseur blasé, tout le piment de la composition.


Durameau Projet pour un groupe sculpte du catafalque de l imperatrice Marie Therese 1781

Projet pour un groupe sculpté du catafalque de l’impératrice Marie-Thérèse
Durameau,  1781, Louvre, Paris

Transcription picturale d’un pendant sculpté, ce tableau est un témoignage du goût rococo pour les symétries raffinées. Deux couples s’y confrontent, chacun composé d’une femme allongée et d’une femme debout. Les femmes allongées lèvent le bras gauche en signe de désespoir, et s’appuient du droit sur une mappemonde et une corne d’abondance, bonheurs terrestres qu’il faut quitter. Les femmes debout tiennent du bras droit le recto, et du bras gauche le verso, d’un médaillon à l’effigie de la défunte impératrice. De l’autre bras, l’une brandit un sablier (car c’est la Mort) et l’autre prend le ciel à témoin (ce doit être la Vie).

Le raffinement est que, du côté Recto où la médaille expose le noble visage de la défunte, les deux acolytes détournent le leur pour montrer l’étendue de leur désespoir : même la Mort semble désolée. Tandis que du côté Verso, où l’on peut lire les louanges de l’Impératrice,  les deux acolytes se font face comme pour dialoguer sur ses mérites.

Ainsi l’Effusion et la Raison se complètent-elles pour déplorer l’immense perte.


Michel Garnier 1799 Salon Le coup de vent sur le Pont royal (Dallas, Museum of Arts) 45 × 37 cmLe coup de vent sur le Pont royal, Dallas, Museum of Arts (45 × 37 cm) Michel Garnier 1799 Le Passage du ruisseau 46 x 38 cmLe Passage du ruisseau (46 x 38 cm)

Michel Garnier, 1799

Bien que la femme porte le même vêtement (robe blanche et chapeau à plumes), il n’y a pas de certitude que ces tableaux météorologiques aient été conçus comme pendants,

Le premier, exposé au Salon de 1799. montre deux couples : un à l’arrière-plan, traversant le pont et perdant un chapeau ; l’autre sur le quai, la dame rattrapant in extremis son chapeau. Le petit décrotteur en haillons retient également le sien, cessant de s’occuper de la botte de l’homme, qui a reposé le pied au sol pour s’arc-bouter contre le vent et protéger sa compagne : tous ces détails prouvant bien la soudaineté du coup de vent.

Trait de modernité, la lanterne ballotte, mais résiste, grâce au système d’accrochage qui nous est décrit dans le détail, sur les deux rives : grâce à la poulie, on peut faire descendre la lanterne le long du poteau droit, en lâchant la corde le long du poteau gauche.

Le second tableau, non exposé au Salon, a quant à lui été repris en gravure.

Michel Garnier 1799 le passage du ruisseau gravure Simon Petit

Le Passage du ruisseau, 1799, gravure de Simon Petit

La planche inutilisable, le chapeau du porteur tombé dans le ruisseau et le chien qui hésite à se mouiller les pattes pour suivre sa maîtresse, justifient le bien-fondé du portage. Mais la passante qui sourit à l’arrière-plan ajoute à ce rapprochement social un sous-entendu galant : l’élégance chevauchant le muscle.


La logique du pendant

Le thème commun est celui du mauvais temps et de l’anecdote parisienne : le coup de vent resserre les couples légitimes et sépare les classes sociales, la pluie fait l’inverse…


Jean- Frederic-Schall-Les fiances 1790 coll partLes fiancés Jean- Frederic-Schall-Les epoux 1790 coll partLes époux

Jean- Frédéric Schall, 1790, Collection  particulière

Le fiancé prend à témoin les pigeons pour démontrer à sa future, manifestement réticente, le caractère bien naturel des bisous. A leurs pieds, un coq, une poule et des poussins, famille prolifique et heureuse, prouvent l’excellence de l’intention.

Une fois mariés, les mêmes font de la lecture et un pique-nique dans une grotte, sous l’égide  d’un Eros ailé tenant les emblèmes des deux sexes : la torche dressée et la couronne de fleurs. Un melon fendu, un abricot ouvert, un couteau planté dans la miche et  une bouteille mise à refroidir dans le ruisseau, disent leur bon appétit, tandis que l’époux pose sa main sur le ventre rebondi de l’épouse, afin de constater le résultat.



Girodet Trioson 1795-1800 Scenes de genre galantes La Frayeur de l'orage. Musee de BernayLa Frayeur de l’orage Girodet Trioson 1795-1800 Scenes de genre galantes La Frayeur du Reptile Musee de BernayLa frayeur du serpent

Girodet Trioson, 1795-1800, Scènes de genre galantes , Musée de Bernay

Dans la forêt, le zig-zag d’en haut fait défaillir la jeune femme : son compagnon en profite pour se rapprocher par l’avant.

A la porte du parc, le zig-zag d’en bas la fait s’enfuir : son compagnon, lui faisant un rempart de son corps, en profite pour se rapprocher par l’arrière.



John W. Lighton Rider and Girl Flirtation Knohl Collection Bowers Museum Santa Ana, CaliforniaFlirt entre un cavalier et une jeune femme John W. Lighton Sailor and Girl Flirtation Knohl Collection Bowers Museum Santa Ana, California Flirt entre un marin et une jeune femme

John W. Lighton, Knohl Collection, Bowers Museum, Santa Ana, California

Ces deux pendants opposent lourdement les riches et les pauvres, le haut de forme et la casquette, la dentelle et le tablier,  la terre et la mer, le loisir (le club de golf) et le devoir (les bateaux de guerre), la blonde et la rousse, la fille à papa  et la femme du peuple.



Henri Privat Livemont 1931 1 Henri Privat Livemont 1931 2

La Tentation de Saint Antoine, Henri Privat-Livemont, 1931 , collection privées

Dans ce pendant improbable de la fin de sa vie, Privat-Livemont met en scène deux faces de la tentation:

  • dans le bureau bourgeois, elle semble échouer (le moine garde la main sur le livre et le séant sur chaise) ;
  • dans l’étable, elle réussit (le moine pose les mains sur la tentatrice et s’asseoir dans la paille près du cochon qui sommeille, le groin près des navets).

Privé de bourse en 1883 par l’arrivée au pouvoir en Belgique d’un gouvernement clérical, Privat-Livemont avait sans doute de bonnes raisons de bouffer du curé : en dénonçant, sans grand danger à l’époque, l’hypocrisie cléricale (chasteté au salon, cochonneries au sous-sol), le pendant flatte aussi celle du spectateur, toujours friand de petites dames sous l’alibi d’un pendant « grand-siècle ».



Pendants solo atypiques

4 février 2017

Nous regroupons ici des pendants à un seul personnage, mais pas tout à fait un  homme ou une femme…

  Watteau, Le Singe sculpteur, vers 1710, Orleeans, Musee des Beaux-ArtsLe Singe sculpteur
Watteau, vers 1710,Orléans, Musée des Beaux-Arts
Watteau singe peintre musee arts decoratifs parisLe Singe peintre
D’après Watteau, Musée des Arts Décoratifs, Paris

Il s’agit sans doute ici de se moquer des artistes prétentieux qui se réfèrent au vieil adage « Ars simia naturae », l’Art est le Singe de la Nature. Cette oeuvre est étudiée plus en détail dans Les pendants de Watteau.



chardin-Le singe peintre-1740 Musee des Beaux Arts chartresLe singe-peintre
Chardin, 1740, Musée des Beaux Arts, Chartres
chardin-Le singe antiquaire -1740 Musee des Beaux Arts chartresLe singe-antiquaire
Chardin, 1740, Musée des Beaux Arts, Chartres

Dans la même veine ironique, le pendant caricature cette fois l’Artiste et l’Amateur d’Art. Tout comme Watteau, Chardin exploite le potentiel comique des jambes velues sous les tissus luxueux.



chardin-Le singe peintre-1740 Louvre Paris detail
Dans la version du Louvre, on comprend que c’est nous, le spectateur, qui sommes pris comme modèle, et que c’est sous forme simiesque que l' »artiste » est en train de nous dessiner.


 

Hubert Robert 1760 Les Polichinelles peintres Musee de Picardie AmiensLes Polichinelles peintres Hubert Robert 1760 Les Polichinelles chanteurs Musee de Picardie AmiensLes Polichinelles chanteurs

Hubert Robert, 1760, Musée de Picardie, Amiens

Réalisés durant les années romaines d’Hubert Robert, ces panneaux pleins de verve et de dérision mettent en scène,  dans un atelier rustique ou en prison,trois polichinelles en chapeau pointu qui se prennent pour des artistes, dans la lignée des singes de Watteau et de Chardin.

« Dans le premier panneau, un polichinelle peintre est assis sur un tonneau et, palette en main, ébauche un tableau placé sur un chevalet. A sa gauche une bouteille de vin et un verre illustrent son penchant pour la boisson. Près de lui un chien joue avec un chat et, plus loin, dans la pénombre de l’atelier, deux autres polichinelles s’emploient à broyer des couleurs.

Dans l’autre peinture, un polichinelle assis sur un tambour et deux de ses compagnons debout près de lui chantent joyeusement en suivant une partition dressée sur un lutrin rustique. Leur jovialité s’explique sans doute par la présence de quatre bouteilles de vin placées au sol et qui ont dû faciliter l’ardeur musicale des protagonistes qui chantent allègrement. «  Notice de Matthieu Pinette, base Joconde [1]

 



Références :

Pendants solo : mari -épouse

4 février 2017

De nombreux pendants confrontent un homme et une femme. A l’origine il s’agit essentiellement de portraits de couples maritaux. Avec le développement de la peinture allégorique et de la peinture de genre, apparaissent des appariements  plus variés.


1470 ca Maitre de St Jean de Luze Portrait dit de Hugues de Rabutin Musee des BA DijonPortrait dit de Hugues de Rabutin 1470 ca Maitre de St Jean de Luze Portrait dit de Jeanne de Montaigu Musee des BA DijonPortrait dit de Jeanne de Montaigu

Maître de Saint Jean de Luze, vers 1470, Musée des Beaux Arts, Dijon

Ce portait d’un couple dont l’identification est incertaine fait montre d’une grande subtilité :

  • la lumière venant de la gauche crée dans un premier temps un effet d’unité ;
  • cependant les ombres montrent qu’il y a une cloison entre les deux époux ;
  • cloison qui explique l’accrochage différent des deux statuettes, l’une vue de face et lautre de profil ;
  • sous celle de la Vierge s’affiche en lettres d’or la prière de l’époux
    « VIRGO DECORA, VIRGO SPECIOSA, CONFER MICHI AUXILIUM / QUOD OMNIBUS CONFERS ETIAM / NON ROGATA » (Vierge gracieuse, vierge belle, accorde-moi l’aide que tu accordes à tous même sans qu’on te prie.)
  • sous celle de Saint Jean l’Evangéliste règne le silence de l’épouse.

Tandis que l’époux assume une forme publique de dévotion (proclamant que la protection de la Vierge s’adresse à tous), l’épouse se cantonne dans une dévotion purement privée, en tête à tête avec son saint éponyme.



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1492-95 Portraits presumes de Charles VIII et Anne de Bretagne BNF Lat 1190

Portraits présumés de Charles VIII et Anne de Bretagne
Attribués à Jean Perréal, 1492-95, Libellus precum BNF Lat 1190 (Gallica)

Ces portraits peints a tempera sur un bois très mince formaient à l’origine un petit diptyque de poche (180 x 107).



1492-95 Portraits presumes de Charles VIII et Anne de Bretagne BNF Lat 1190 demi ouvert

On les a ensuite recouverts d’un volet à tirette et on a inséré entre eux huit feuillets de parchemin, de manière à en faire un mini-livre de prières.

L’identification du couple fait débat (vu le réalisme peu flatteur du mari) mais la plupart de érudits reconnaissent Charles VIII et Anne de Bretagne [0]



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Henry-The-Pious-Lucas-Cranach-the-Elder

Heinrich le Pieux, Duc de  Saxe et sa femme Katharina von Mecklenburg
Lucas Cranach l’Ancien, 1514,Gemäldegalerie Alte Meister, Dresden

Ces deux impressionnants portraits en pied, grandeur nature, partageaient le même cadre avant d’être transférés du bois vers la toile. Ils ont été réalisés à la suite du mariage du duc et de la duchesse, en 1512 (on ignore pourquoi la réalisation prit deux ans). [1]

Sur la tête du marié est posée, de guingois,  une couronne d’oeillets qui fait pendant au grand  plumet blanc de la duchesse – accessoire de coquetterie très à la mode à l’époque chez les princesses allemandes. L’oeillet rouge est un symbole d’amour pur et vrai.


Portraits-Of-Henry-The-Pious-Renaissance-Lucas-Cranach-the-Elder detail bijou homme Portraits-Of-Henry-The-Pious-Renaissance-Lucas-Cranach-the-Elder detail bijou

Le marié porte au cou une broche avec deux mains jointes, la mariée une parure avec les initiales H et K.



Portraits-Of-Henry-The-Pious-Renaissance-Lucas-Cranach-the-Elder detail bijou femme IHS
Sa toque est ornée d’un médaillon avec le signe catholique  IHS (Katarina se convertira au protestantisme en 1535)

Au delà de ces détails d’orfèvrerie, le plus frappant est le dimorphisme sexuel exacerbé  qui s’étend jusqu’aux animaux : chien de chasse féroce  exhibant sa queue spiralée, côté duc,  petit bichon blanc aplati côté duchesse.   C’est l’époque où  la  femme cache tout tandis que l’homme exhibe fièrement ses attributs, des mollets à l’entrejambe et au symbole éloquent de  la dague toute prête à sortir du fourreau.



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Zimmern-Anamorphosis-ca.-1535-Germanisches-Nationalmuseum-Nuremberg

Anamorphose Zimmern, 1535 Germanisches Nationalmuseum, Nuremberg

Cette composition complexe affiche des motifs narratifs visibles en vue directe, relatifs à l’histoire des von Zimmern [1a], et des bandes intercalaires qui se lisent en anamorphose.



Zimmern Anamorphosis; ca. 1535 Germanisches Nationalmuseum, Nuremberg schema
Le panneau se divise en sept compartiments légèrement évidés, de largeur croissante depuis des bords : les bandes bleues, décroissantes depuis le bord gauche, sont à lire depuis le bord gauche, et réciproquement pour les bandes roses.


Zimmern Anamorphosis; ca. 1535 portrait of Wilhelm Werner, Count von Zimmern Germanisches Nationalmuseum, Nuremberg Zimmern Anamorphosis; ca. 1535 Amalia, Landgravine von Leuchtenberg and Baroness von Zimmern Germanisches Nationalmuseum, Nuremberg

Portrait de Wilhelm Werner, Comte von Zimmern et son épouse Amalia

En se postant d’un coté, puis de l’autre, le spectateur voit ainsi apparaître successivement les portraits des époux, chacun avec ses titres et son blason.



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Dans l’immense majorité des les pendants mari-épouse, celle-ci se situe sur le pendant de droite, autrement dit à main gauche du mari. Cet ordre conventionnel, dit héraldique, résulte du fait que le mari donne toujours le bras gauche à sa femme (afin de pouvoir tenir l’épée de son bras droit). Ceci est d’ailleurs un cas particulier du principe de dextralité proposé par Hugo van der Velden, selon lequel le personnage le plus important se trouve toujours à la droite de l’autre [2]. Les rares exceptions relèvent de circonstances très particulières, biographiques ou topographiques (voir Couples irréguliers).

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Maarten van Heemskerck,Portraits of a Couple, possibly Pieter Gerritsz Bicker and Anna Codde, 1529 Rijksmuseum woman Maarten van Heemskerck,Portraits of a Couple, possibly Pieter Gerritsz Bicker and Anna Codde, 1529 Rijksmuseum man

Portrait d’un couple, possiblement Pieter Gerritsz Bicker et Anna Codde,
Maarten van Heemskerck, 1529, Rijksmuseum, Amsterdam

Quelques créations exceptionnelles traduisent une intention symbolique qu’il est possible en partie d’appréhender (voir Couples flamands ou hollandais atypiques).




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Gortzius Geldorp Family Portrait, 1598 M Gortzius Geldorp Family Portrait, 1598 F

Sigismund von und zum Pütz, Catharina Broelman et leurs enfants
Gortzius Geldorp, 1598

Revenons aux pendants maritaux ordinaires :  celui-ci impressionne par sa volonté de symétrie : les blasons, les lourdes chaînes en or et les enfants (garçons avec le Père, filles avec la Mère), toutes les richesses de la famille sont exhibées avec fierté.  Seule exception à cette symétrie  : l’homme pose une main sur le pommeau de son épée, tandis que la femme tient dans sa main un gant.


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Willem Willemsz van der Vliet, A pair of portraits of Willem de Langue and Maria Pijnaeke

Portraits de Willem de Langue et Maria Pijnaeke
Willem Willemsz van der Vliet, 1626, Stedelijk Museum Het Prinsenhof, Delft

Vingt ans plus tard, la mode est devenue plus austère, confondant hommes et femmes dans un même moule vestimentaire : velours noir et fraise blanche. De part et d’autre de la même table, le notaire  et son épouse [4] semblent les reflets l’un de l’autre dans un miroir, au point qu’ils tiennent leurs gants dans des mains opposées. Les seuls éléments différenciateurs  sont les objets posés sur la nappe : des papiers notariaux et un nécessaire d’écriture, côté époux , une Bible côté épouse : pouvoir contre piété, écrits civils contre livre sacré, l’homme s’occupe de l’ici-bas et la femme de l’au-delà.


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Frans_Hals_-_Petrus_Scriverius1626 METL’écrivain Petrus Scriverius
Frans Hals, 1626, MET, New York
Frans_Hals_-_Anna_van_der_Aar 1626 METSa femme Anna van_der_Aar
Frans Hals, 1626, MET, New York

A l’issue de cette uniformisation, l’homme et la femme ne se distinguent plus que par la coiffe. Hals néanmoins casse cette symétrie plane par une utilisation subtile du  cadre ovale, qui fonctionne ici comme une sorte d’objectif : entre la main droite  de l’écrivain, mise en exergue en avant-plan,  et la main droite de la femme,  posée sur son coeur en arrière-plan,  le pendant se déploie dans la profondeur, de la vie sociale à la vie intime.


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1618 ca Daniel Mytens, Thomas Howard, 2nd Earl of Arundel and Surrey, Alathea, Countess of Arundel and Surrey, Arundel Castle

Thomas Howard, second comte d’Arundel et Surrey et son epouse Alathea
Daniel Mytens, vers 1618, Arundel Castle

Ce double portait montre les époux dans leur palais du Stand à Londres, l’un désignant de sa canne la galerie des sculptures, l’autre assise au seuil de celle des peintures. L’artiste n’a pas cherché à créer une perspective unifiée, mais au contraire il a voulu que le spectateur rende hommage tour à tour aux deux amateurs d’art.



1618 ca Daniel Mytens, Thomas Howard, 2nd Earl of Arundel and Surrey, Alathea, Countess of Arundel and Surrey, Arundel Castle detail
A noter, au fond de la galerie de peinture, un double portrait presque identique, mais sans les architectures : la notion de « tableau dans le tableau » s’arrête ici à l’étalage des richesses, en évitant soigneusement la récession à l’infini (voir L’effet Droste).


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Frans_van_Mieris_(I)_1650-55Old Man with a Tankard on his Knee Gemaldegalerie Alte Meister dresdeVieil homme avec un pichet de bois et une pipe Frans_van_Mieris_(I)_1650-55 old_Woman_with_a_Flowerpot Gemaldegalerie Alte Meister dresdeVieille femme plantant un rosier dans un pot de fleurs

Frans van Mieris (I), 1650-55, Gemäldegalerie Alte Meister, Dresde

Dans ce témoignage sensible, un vieux couple prend l’air devant la porte :

  • l’homme, le pourpoint ouvert et le tablier troué, s’est endormi avant de se livrer aux dernières joies de l’existence : le pichet est fermé et la pipe en terre, éteinte, risque bien de se briser ; le couteau inutile est coincé entre tonneau et la pierre ;
  • la femme a gardé sa coquetterie et plante un rosier dans un pot, à côté d’un livre de prières qui exprime son espérance.

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Gerard van Honthorst - Allegorical Portrait of Princess Amalia van Solms in Mourning Holding a Portrait of Frederik Hendrik Gemaldegalerie, Berlin 85 x 83 cm

La princesse Amalia van Solms en deuil, tenant un portrait de Frederik Hendrik
Gerard van Honthorst, 1651-52, Gemaldegalerie, Berlin (85 x 83 cm)

Un cas limite de pendant conjugal est celui où, par la force des choses, il se réduit à un seul tableau : ici la mort a décalé l’époux d’un niveau, le transformant en « tableau dans le tableau ».

 

Coupole de l'Oranjezaal palais Huis ten Bosch La HayeCoupole de l’Oranjezaal, palais Huis ten Bosch, La Haye Gerard van Honthorst avant 1647 Portrait of Princess Amalia van Solms Coupole de l'OranjezaalLa Princesse Amalia van Solms dans a Coupole de l’Oranjezaal, Gerard van Honthorst, avant 1647

Initialement, la princesse Amalia van Solms s’était fait portraiturer seule au sommet du chef d’oeuvre d’architecture qu’elle avait fait édifier, et où il se trouve encore aujourd’hui. A la mort de son époux, elle l’avait fait remplacer par le double portrait funèbre qui se trouve maintenant à Berlin, inversé de droite à gauche de manière à respecter l’ordre héraldique.


Gerard van Honthorst - attr 1650 ca Princess Amalia van Solms Collections royales, La Haye 85cm x 83
La Princesse Amalia van Solms, XVIIIèeme siècle, Collections royales, La Haye (85cm x 83)

Cas exceptionnel : celui-ci a été remplacé une seconde fois au XVIIIème siècle, par ce portrait encore plus macabre, où l’image du défunt a laissé place à son simple crâne.


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Bartholomeus van der Helst 1655 Portrait d’homme coll priv Bartholomeus van der Helst 1655 Portrait de femme coll priv

Portraits d’un couple
Bartholomeus van der Helst, 1655, collection privée

Sur deux chaises ornées d’une tête de lion, ce couple inconnu pose sur son balcon. Derrière l’uniformité austère des vêtements en blanc et en noir, des détails introduisent un discret dimorphisme : vigne et lierre, ville et campagne, horizon de collines et échappée maritime, ciel bleu et ciel nuageux modulent finement l’union inséparable que proclame la balustrade.


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Ter Borch 1666-67 Burgomaster_Jan_van_Duren_METLe Bourgmestre Jan van Duren Ter Borch 1666-67 margaretha_van_haexbergen_METSon épouse Margaretha van Haexbergen

Ter Borch, 1666-67, MET, New York

Dans ce portrait d’un couple de l’élite de Deventer, Ter Borch choisit, pour magnifier la dignité de ses modèles, un décor réduit au strict minimum : la complémentarité de la table et de la chaise suffit à symboliser leur union.


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Faisons un saut  à travers d’innombrables portraits maritaux, jusqu’aux derniers échos de la formule…

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Lilly Martin Spencer 1854 Young Husband, First Marketing METLe jeune mari : premier marché Lilly Martin Spencer 1854 The Young Wife First Stew METLa jeune épouse :premier ragoût (first stew) (étude)

Lilly Martin Spencer, 1856, MET [6]

Ce pendant humoristique s’amuse de l’inexpérience des deux jeunes époux, qui veulent trop bien faire :

  • le mari a tellement rempli son panier que l’anse s’est détachée, faisant tomber des légumes, cassant des oeufs et l’empêchant d’ouvrir son parapluie sous l’orage ;
  • la femme s’est armée d’un tablier et a ordonné tous les ingrédients sur la table pour faire elle-même la cuisine; mais elle échoue à la première épreuve : peler les oignons.

Le passant hilare et la servante interloquée sont les émissaires du spectateur à l’intérieur des deux scènes. La solution que suggère le pendant est toute simple : pour éviter le ridicule, mieux vaut laisser la servante faire le marché et le ragoût.


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Portrait of Tulla Larsen

Munch et sa fiancée Tulla Larsen

En 1902, Munch et Larsen étaient fiancés depuis environ quatre ans ; il fuyait ses avances dans toute l’Europe et elle le suivait. Après une nième dispute et un coup de feu qui a blessé Munch à la main gauche, il a décidé de scier en deux ce panneau, qui a été récemment reconstitué.



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Schiele Autoportrait aux physalys 1912 Leopold Museum, Vienne. Schiele, Autoportrait aux physalys, 1912 Schiele Potrait de Wally Neuzil 1912 Leopold Museum, Vienne.Schiele, Portrait de Wally Neuzil 1912

Leopold Museum, Vienne

Tout en respectant la position traditionnelle de l’homme à gauche, ce portrait de couple affecte, avec les deux visages s’inclinant l’un vers l’autre, un impression de proximité, de complicité.

Cependant, la vue en  contre-plongée contribue à donner à Egon, assis sur une chaise blanche, un regard incisif et supérieur ; tandis que la vue plongeante  place Wally, coincée dans un fauteuil vert, dans une position plus passive et  réceptive. Nous ne sommes pas devant la simple représentation d’un couple d’amoureux : mais surtout d’un artiste avec sa modèle.

De plus, en mettant en balance les gros fruits rouges de la physalis et les petites baies rouges d’une branche anonyme, la composition dit bien de quel côté se trouvent l’excentricité, la fécondité, l’illumination (même si c’est celle de lampions) et de quel côté le fruit purement consommable. Ce portrait de Schiele avec sa compagne et modèle est aussi un portrait psychologique, où la formule du pendant laisse les deux amants dans leurs postures opposées.

Cette année 1912, ils vivent dans le petit village de Neulengbach, où leur comportement sulfureux vaudra à Schiele quelques jours de prison.


Schiele Two lovers (self portrait with Wally), 1914-15 Coll part Schiele, Deux amants (autoportrait avec Wally), 1914-15, Collection particulière seated-couple-egon-and-edith-schiele-1915 Albertina VienneSchiele, couple assis, Egon et Edith, 1915, AlbertinaVienne

Il faudra attendre sa séparation avec Wally  et son mariage avec Edith Harms, en 1915, pour voir  apparaître des représentations du couple plus équilibrées et fusionnelles.



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JOSEPH CHRISTIAN LEYENDECKER Kuppenheimer Style Book advertising diptych, Fall & Winter 1918-1919

Joseph Christian Leyendecker  
Diptyque publicitaire pour le « Kuppenheimer Style Book », Automne Hiver 1918-1919

Après la guerre, Madame s’est emparé du képi, et son Marine se laisse volontiers lier les mains. Les couples se forment ou se reforment, comme l’illustrent  les deux inséparables sur le tissu du fauteuil.


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rumbelle_diptych_by_thatmadgray 2013-16

Rumbelle diptych
Madeline Gray (ThatmadGray), Deviant Art, 2013-16

La même technique  de la pelote a été récemment redécouverte  par Belle pour domestiquer Rumpelstiltskin (la Bête), dans cette illustration de  la série Once Upon a Time.

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Diptych -Before the date 1949 Norman Rockwell

Avant  le rendez-vous (Before the date)
Norman Rockwell, 1949

Les deux jeunes gens s’activent parallèlement dans leurs chambres respectives,  le réveil indique 18h45 et le  billet du dancing est déjà  dans le chapeau. L’humour tient bien sûr à la symétrie des attitudes : même virtuosité capillaire, même déhanchement comme si les deux cherchaient déjà à se frotter,  au mépris de la bande de séparation. Chacun contemple dans le miroir sa propre image en finition, tandis qu’à côté une photographie montre l’image parfaite de l’âme-soeur (plus un cheval côté garçon).

Car il s’agit bien d’une sorte de cowboy juvénile, foulard dans une poche-revolver et harmonica dans l’autre, et la jeune fille est moins une cavalière qu’une pouliche  à conquérir, croupe rose et jarrets à couture.


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Ben Stahl Femme Ben Stahl Homme

Homme et femme
Benjamin Stahl, années 50

La maison (table ronde, lampe avec abat-jour, grand portait de famille) est opposée au bureau (table rectangulaire, encriers, petits cadres), l’unité étant assurée par le mur vert et les brochures bleu ciel. Il pourrait s’agir d’un couple établi, saisi dans ses activités traditionnelles : la femme à la maison s’occupant de ses dentelles, l’homme au bureau de ses papiers.

Mais il est plus vraisemblable qu’un zeste de galanterie XVIIIème se soit introduit subrepticement en plein puritanisme wasp : la jeune blonde tente son plus audacieux décolleté tandis que le jeune homme, son agenda dans une main et une violette dans l’autre,  se prépare pour le rendez-vous en se moquant bien des paperasses.


Benjamin Stahl

A noter que les deux panneaux n’ont pas exactement les mêmes proportions : la femme est  svelte, l’homme carré.



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TimCockburn morning-I coll partMorning-I TimCockburn morning-II coll partMorning-II

Tim Cockburn, vers 2010, Collection privée

Madame  s’est levée guillerette et se sèche dans une serviette verte.

Serviette que nous retrouvons sur le rebord de la baignoire lorsque Monsieur, en pyjama rouge, vient étudier ses cernes devant le miroir.

Malicieuse inversion des stéréotypes, où la femme s’active tandis que l’homme se contemple.



Références :
[0] « Les manuscrits à peintures en France: 1440-1520 » par François Avril; Nicole Reynaud; Emmanuel Le Roy Ladurie 1995, notice 206
[1a] Marta Faust, « “Eyed Awry”: Blind Spots and Memoria in the Zimmern Anamorphosis, » Journal of Historians of Netherlandish Art 10:2 (Summer 2018) https://jhna.org/articles/eyed-awry-blind-spots-and-memoria-in-the-zimmern-anamorphis/
[2] Tal, Guy. 2011. “Switching Places: Salvator Rosa’s Pendants of A Witch and A Soldier, and the Principle of Dextrality.” Notes in Art History 30, no. 2: 20–25.

Pendants solo : femme femme

4 février 2017

Ces pendants confrontent deux personnages féminins différents.

Le cas particulier de la même femme monté sous deux aspects  est traité par ailleurs (voir  Les variantes habillé-déshabillé (version moins chaste) )

Mantegna-1490-The-Vestal-Virgin-Tuccia-with-a-sieve-National-GalleryLa vestale Tuccia avec son tamis (72.5 x 23 cm) Mantegna 1490 A Woman Drinking Sophonisbe National Gallery 72.5 x 23 cmFemme buvant (Sophonisbe ?) (72.5 x 23 cm)

Mantegna, 1490, National Gallery, Londres

Ces deux panneaux sur bois imitant le bronze et le marbre, représentent deux héroïnes antiques :

  • Tuccia, accusée d’inceste, se disculpa en transportant l’eau du Tibre dans un tamis, sans en perdre une goutte ;
  • Sophonisbe, reine carthaginoise, se suicida en buvant du poison plutôt que d’être capturée par les Romains.


La logique du pendant (SCOOP !)

La raison du choix de ces deux héroïnes n’est pas claire (l’eau qui sauve entre l’eau qui tue ?), mais plusieurs détails confirment une conception en pendant ;

  • l’éclairage inverse dans les deux panneaux suggère que ceux-ci étaient exposés face à face, ou de part et d’autre d’une fenêtre ;
  • le vase aux deux lys, symbole de la Virginité, fait écho au laurier à deux branches, symbole de la Vertu ;
  • enfin la marche de la vestale se passe en extérieur, tandis que la figure immobile de la buveuse s’appuie sur l’encadrement d’une porte.


Deux autres oeuvres, cette fois des toiles, appartenaient au même ensemble décoratif (probablement le premier studiolo d’Isabelle de Gonzague à Mantoue).

Mantegna 1490 ca didon Musee des BA Montreal 65,3 x 31,4 cmDidon (65,3 x 31,4 cm) Mantegna 1495 ca Judith avec la tête d'Holopherne Musee des BA Montreal 65x 31 cmJudith avec la tête d’Holopherne (65x 31 cm.)

Mantegna, 1490, Musée des Beaux Arts, Montréal

  • La reine phénicienne Didon avait juré de rester fidèle à son défunt mari Sychaeus Plutôt que de se remarier, elle préféra se jeter dans un bûcher. Dans l’Eneïde de Virgile, le bûcher est prévu pour se débarrasser des souvenirs d’Enée, son amant qui l’a abandonnée. Mais au lieu d’y mettre le feu, elle se suicide avec la propre épée d’Enée. Mantegna nous montre Didon devant le bûcher éteint, avec dans une main l’urne de son défunt mari, et dans l’autre l’épée de son amant.
  • Judith la juive pénètre dans le tente du général Holopherne pour lui trancher la tête d’un coup d’épée.


La logique de la paire (SCOOP !)

La confrontation des deux femmes est très problématique : s’agit-il d’opposer une vicieuse et une vertueuse, ou bien d’honorer deux vertueuses (car Didon, selon la source à laquelle on se réfère, appartient aux deux catégories [0]) ? Par ailleurs la dissymétrie entre le couple de femmes et la femme seule contrarie le fonctionnement en pendant.

La lumière venant de la droite dans les deux oeuvres, il est probable qu’elles se trouvaient côte à côte sur le même mur, formant une frise continue, à la manière des Triomphes de César (dix tableaux réalisés entre 1484 et 1492).


Giampoetrino a produit vers 1520 une série de quatre belles suicidaires, aussi dénudées qu’internationales :

Giampietrino Suicide par armour Didone-c.-1520 Palazzo Borromeo Isola BellaDidon la phénicienne,Palazzo Borromeo, Isola Bella (94,5 x 71 cm) Giampietrino Suicide par armour Lucrezia Chazen Museum of Art Univeristy of WisconsinLucrèce la romaineChazen Museum of Art ,University of Wisconsin (95.6 x 70.8)

 Le suicide conjugal (le poignard par fidélité)


Giampetrino Suicide pour l'honneur 1520 ca Cleopatra Bucknell University LewisburgCléopâtre l’égyptienneBucknell University, Lewisburg (94.3 x 7.1) Giampetrino Suicide pour l'honneur 1520 casophonibePalazzo Borromeo Isola BellaSophonisbe la carthaginoisePalazzo Borromeo, Isola Bella (94,5 x 71 cm)

 Le suicide politique (le poison plutôt que la prison)

J’ai reconstitué ci-dessus les appariements  originaux,  tels qu’ils étaient probablement présentés avant leur division malheureuse (antérieurement à 1676) [1].


Cranach 1540 ca Lucrece et Judith detruit 1945 bombardement Dresde

Lucrèce et Judith
Cranach, vers 1540, détruit en 1945 lors du bombardement de Dresde
 

Le pendant met en parallèle une héroïne romaine et une héroïne  biblique que Cranach a souvent représentées par ailleurs  :

  • Lucrèce, pieuse épouse qui, violée par son hôte, se suicida pour ne pas survivre au déshonneur ;
  • Judith, pieuse veuve qui, se livrant au général ennemi, le tua avant qu’il ne la touche.

Le schéma implicite, un  acte de violence commis par une femme après ou avant un acte sexuel, avait tout, sous prétexte de  montrer la Vertu, pour émoustiller les spectateurs   de  l’époque :

  • plastique longiligne des deux nudités à peine voilées ;
  • symbolique comparée du poignard à la lame courte et de l’épée à la lame longue, manipulées par ces dames.



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Tournier 1630 Paysanne aux fruits fondation Bemberg ToulousePaysanne aux fruits Tournier 1630 Paysanne à la coupe de fruits fondation Bemberg ToulousePaysanne à la coupe de fruits

Tournier, 1630, fondation Bemberg, Toulouse

La logique du pendant (SCOOP !)

Toujours dans le goût caravagesque pour le cadrage en demi-figure, ces deux portraits de paysannes opposent :

  • couleur froide et couleur chaude de la jupe ;
  • cheveux visibles et cheveux cachés sous la coiffe ;
  • regard direct et regard baissé ;
  • tablier relevé en geste d’offrande et coupe portée à bout de bras ;
  • fruits à pépins et fruits à noyau.

La présence de la figue ouverte en bonne place, à côté de la grappe bachique, complète les allusions à la disponibilité amoureuse de la femme de gauche (les pépins étant une figure de la multiplicité), en contraste avec la pudeur de celle de droite (le noyau figurant l’unicité de l’amour).



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Cano Alonso Apparition du Christ crucifie a sainte Therese de Jesus 1629 PradoApparition du Christ crucifié à Sainte Thérèse de l’Enfant Jésus Cano Alonso Apparition du Christ triomphant a sainte Therese de Jesus 1629 PradoApparition du Christ triomphant à Sainte Thérèse de l’Enfant Jésus

Alonso Cano, 1629, Prado, Madrid

A gauche, la sainte est représentée écrivant à sa table de travail, vue de face, contemplant l’apparition du Christ en Croix dans un ciel tourmenté.

A droite, elle est à genoux, vue de dos, et le Christ lui apparaît triomphant dans un ciel dépourvu de nuages.

Les deux panneaux faisaient partie d’un retable pour le couvent de Saint Albert à Séville, dont la composition précise n’est pas connue.


Ter_Borch 1652-53 A mother combing the hair of her child, known as Hunting for lice MauritshuisFemme peignant son enfant ((La chasse aux poux), Mauritshuis, La Haye (33.2 x 28.7 cm)
Ter_Borch 1652-53 The Spinner Museum Boijmans Van BeuningenLa fileuse, Museum Boijmans Van Beuningen, Rotterdam (33.6 x 28.6 cm)

Ter Borch, 1652-53

La modèle est Wiesken Matthys, la belle-mère de l’artiste, en train de se livrer à deux occupations méticuleuses : le petit enfant et le petit chien, la tignasse et la filasse, se font écho avec tendresse.


Netscher La fileuse (die Spinnerin) Gemaldegalerie_Alte_Meister_(Dresden)La fileuse (die Spinnerin) Netscher La brodeuse (die Naherin) Gemaldegalerie_Alte_Meister_(Dresden)La brodeuse (die Naherin)

Netscher, 1660-84, Gemäldegalerie Alte Meister, Dresde (détruits en 1945)

Le pendant oppose une femme mûre au rouet, et une jeune fille au coussin à broder. Chacune a derrière-elle sa matière première : quenouille sur la chaise, linge dans le panier. Les pendants sont accrochés dans l’ordre logique des opérations (la fabrication du fil précède la broderie) mais dans l’ordre inverse des âges : la finesse des travaux d’aiguille est réservée à la jeunesse. Il y a également probablement un sous-entendu sexuel, entre la femme mûre habituée à manier les quenouilles (métaphore phallique courante), et la jeune fille qui en est à préparer son trousseau.


Livio Mehus Maddalena Asteria vers 1660 Palais Pitti FlorenceMadeleine pénitente (précédemment  Asteria) Livio Mehus Maddalena Danae vers 1660 Palais Pitti FlorenceMadeleine en extase (précédemment Danae)

 Livio Mehus, 1660-65, Palazzo Pitti, Florence

Initialement, le pendant était consacré aux amours terrestres de Jupiter :  à gauche celui-ci prenait la forme d’un aigle pour séduire Asteria (Métamorphoses d’ Ovide, IV, 108) ; à droite celle d’une pluie d’or pour s’introduire chez Danaé.

A une époque et pour une raison inconnues, le pendant fut partiellement repeint pour célébrer les amours célestes de la Madeleine. A gauche, on rajouta des accessoires de piété (crâne, croix auréole) et une chemise de nuit, tandis que les anges continuaient à s’enlacer avec une tendresse déconcertante. A droite, les Cupidons qui recueillaient la pluie d’or furent recyclés l’un en porteur de cilice, l’autre en observateur du flacon de parfum.

Au final, ce repeint improbable aboutit à un résultat parfaitement hypocrite, où la sensualité sous-jacente subvertit la piété affichée, et en fait un objet de délectation pour amateur éclairé.


Nicolas Regnier 1660 ca La Vanite Palazzo reale, TurinLa Vanité Nicolas Regnier 1660 ca La sagesse Palazzo reale, TurinLa Sagesse

Nicolas Régnier, 1626, Palazzo Reale, Turin

Présentés aujourd’hui comme dessus de porte aux deux bouts de la galerie de Daniel, ces deux tableaux ont été conçus pour être accrochés côte à côte :

  • en intérieur, la Vanité, entourée d’objets précieux, un masque sur ses genoux, ouvre en souriant un vase précieux, dans un geste à la Pandore qui appelle des catastrophes (voir la couronne tombée à côté du masque) ;
  • en extérieur, la Sagesse, entourée de livres, à côté d’un crâne qui s’étudie dans un miroir, brandit un balance, emblème de la faculté de juger, mais aussi rappel du Jugement dernier (d’où sa position qui semble peser les deux crânes).

Giovanni_Antonio_Pellegrini_-_Allegory_of_Sculpture_1750 accademiaAllégorie de la Sculpture
Giovanni_Antonio_Pellegrini_-_Allegory_of_Painting_-1750 AccademiaAllégorie de la Peinture

 Giovanni Antonio Pellegrini, vers 1750,  Accademia, Venise

L’une, noiraude et rougeaude, a une robe aux couleurs chaudes et une pose avachie, le marteau dans une main et l’index de l’autre montrant on ne sait quoi . L’autre, une blonde vénitienne, a le profil grec, le drapé en couleurs froides et la pose élégante. Difficile de cacher de quel côté penche le coeur de Pellegrini.



Guardi Allegorie de l Abondance 1747 Ringling Museum of artAllégorie de l’Abondance Guardi Allegorie de l Esperance 1747 Ringling Museum of art Allégorie de l’Espérance

 Guardi, 1747,  Ringling Museum of art

L’Abondance et l’Espérance n’ont pas grand chose à se dire : l’une avance en laissant tomber ses épis, l’autre reste plantée sur son ancre, les fleurs dans son tablier symbolisant les récompenses à venir. L’une dilapide, l’aitre thésaurise. Seul le paysage maritime crée une continuité entre les deux pendants, ainsi que les deux anges qui, l’un portant un bout de colonne et l’autre un morceau d’architrave, s’affairent  au premier temps à relever des ruines.


Jeune femme offrant une guirlande de fleurs à la statue de CupidonOffrande à l’Amour
Jeune femme offrant une guirlande de fleurs à la statue de CupidonBacchante dans l’ivresse devant une statue de Pan

Callet, 1778, collection particulière

Ces deux tableaux font partie d’une série de six réalisée par Callet pour décorer le boudoir du Pavillon de Bagatelle. Toujours vendus ensemble, ils présentent de nombreux éléments de symétrie :

  • statues masculines contrastées : un Cupidon discret et un Pan diabolique  ;
  • vases en bas à gauche : l’un posé sur son pied, l’autre renversé et béant  ;
  • tissu bleu, servant de présentoir pour les roses ou de drap pour la  bacchante  ;
  • élément chauffant : foyer ouvert ou cocotte-minute ;
  • offrande à la Divinité : foyer ouvert  ou tambourinade.

Ces oppositions vont toutes dans le sens du couple le plus fantasmatique du XVIIIème siècle : la vierge (vase intact) et la déflorée (vase béant).


Callet vers 1780 collpart A YOUNG LADY BEFORE A STATUE OF CUPIDJeune femme devant une statue de Cupidon Callet vers 1780 collpart A BACCHANTE PLAYING THE CYMBOLS BEFORE A STATUE OF PAN ALLEGORY OF DEATHBacchante jouant des cymbales devant une statue de Pan

Callet ,vers 1780, collection particulière

Ce pendant réplique celui réalisé pour Bagatelle, en forçant encore sur les oppositions :

  • aux deux colombes innocentes succèdent les deux amours autour du brasero ( orné d’un bélier)  ;
  • le tissu bleu est remplacé par la fourrure de léopard   ;
  • à la poitrine couverte s’opposent les bras déployés (pour les cymbales)   ;
  • la petite torche de Cupidon s’est transformée en un gros thyrse dressé sur la marche ;
  • le panier de fleurs laisse place au vase bavant.

Inhérent  à tout pendant, le plaisir de la comparaison devient ici le  principe du plaisir.


Callet 1778 Offrance a Flore Bagatelle gravure de PatasHommage à Flore (disparu), gravure de Patas Callet 1778 Offrande a Venus musee des Beaux-Arts RouenOffrande a Venus, Musée des Beaux-Arts, Rouen

Callet, 1778

Ces deux autres tableaux de la série formaient eux aussi des pendants sur le même thème : la jeune vierge honorant Flore, la femme accomplie remerciant Vénus et sa pomme.

Le dernier pendant (Adonis partant pour la chasse, couronné par Vénus et Diane au bain accompagné de ses nymphes) n’a pas été retrouvé.


Pour être complet sur les pin-ups à l’antique de Callet, voici un pendant antérieur, dont il me manque malheureusement la moitié la plus émoustillante :

Jeunes filles préparant des dards auprès de la statue de l’Amour Callet 1770 Deux vestales preparant un sacrifice Musee des Augustins ToulouseDeux vestales préparant un sacrifice

Callet, 1770, Musée des Augustins, Toulouse



Michel_Garnier 1788 La jeune musicienne coll privLa jeune musicienne, 1788 Michel_Garnier 1789 Le_jeu_de_cache-cache coll priv 14.6 x 11.4 cmLe jeu de cache-cache, 1789

Michel Garnier, collection privée, 14.6 x 11.4 cm

Ce pendant de très petite taille pousse à l’extrême l’imitation virtuose de la peinture fine hollandaise. A la toute fin de l’Ancien Régime, il met en scène deux facettes de la femme moderne :

  • musicienne savante, à la harpe, lorsqu’elle se montre en représentation au salon ;
  • musicienne légère, à la guitare,) et mère parfaite dans l’intimité du logis (voir le portrait du Père de famille, reflété dans le miroir de la cheminée).

Le fauteuil et la boîte en carton servent de motifs de jonction.



Sigmund Freudenberger 1794 La fileuseLa fileuse Sigmund Freudenberger 1794 La devideuseLa dévideuse

Gravures de Sigmund Freudenberger, 1794 

Ces deux gravures montrent, de part et d’autre de la porte, le coin toilette avec le filage, le coin cuisine avec le dévidage. Dans un esprit didactique, le pendant respecte l’ordre des opérations ;

  • d’abord on fabrique les bobines, puis on en fait des écheveaux ;
  • d’abord on lape, puis on dort.



Marie-Constance_Mayer_1806-_The_Sleep_of_Venus_and_Cupid_Wallace Collection 97 cm x 145 cm« Vénus et l’Amour endormis, caressée et réveillés par les zéphirs », 1806, Wallace Collection Marie-Constance_Mayer_1808-_Le flambeau de Venus, Napoleon museum Arenenberg 99.5 cm x 148 cmLe flambeau de Vénus, 1808, Musée Napoléon, Arenberg

Marie-Constance Mayer

Les deux tableaux, présentés ensemble au salon de 1808, furent acquis par l’impératrice Joséphine et accrochés dans sa galerie de la Malmaison jusqu’à sa mort en 1814.

Dans le premier tableau, des Génies équipés d’ailes de libellule – les « zéphirs », selon le titre original du tableau – viennent embrasser Vénus endormie près de son fils. La lumière blanche qui tombe verticalement, interceptée par la tente rouge, est celle de la pleine lune. Ainsi la composition flirte, en l’inversant, avec le thème plus classique du bel Endymion que Diane vient embrasser, descendant sur un rayon de lune.

Le thème du second tableau est si singulier (voir scabreux) que le livret du Salon de 1808 a jugé bon de l’expliquer :

« Vénus , à son réveil , invite toute sa cour à venir puiser des flammes à son flambeau ; les Amours accourent en foule autour d’elle ; leurs expressions et leurs attitudes annoncent les différens caractères de la passion qu’ils inspirent ».

Un commentateur a noté que « ces amours, ou plutôt ces enfants ailés, sont représentés de sexes différents. Quelques personnes ont blâmé cette licence. [1a] ». Un autre s’en prenait plutôt à l’auteur : « Il ne faut pas que des aventures galantes soient tracées par la main d’un magistrat ou par celle d’un capucin. Il ne faut pas, en un mot, qu’un sujet érotique foit traité par une demoiselle. Il nous semble que cela pèche au moins contre les convenances, sinon contre les mœurs, & s’il ne faut pas être trop sévère en jugeant un tableau sous le rapport de l’art, on ne sauroit l’être trop en ce qui regarde les mœurs. » [1b] . Un seul commentateur s’est essayé à élucider « les différens caractères » annoncés par le livret : « Selon cette demoiselle , l’amour aveugle et l’amour léger sont certainement des amours femelles » [1c]

Si l’on prolonge l’exercice, on notera à gauche un amour pensif au dessus d’un amour passif. A l’extrême droite l’amour aux yeux bandés avance en prenant appui sur son arc, tandis qu’un confère malicieux lui renvoie en pleine face, avec un miroir, la lmuière rasante du soleil qui se lève.

Le sujet plastique du pendant est donc « la lumière verticale de la Lune » et « la lumière horizontale du Soleil levant.

Le sujet érotique, que Joséphine n’a pas dû manquer de saisir, est « Cupidon flapi » et « Cupidon flamboyant »



Ingres Odalisque, d apres La Dormeuse de NaplesOdalisque dormant
Ingres, vers 1820, Victoria and Albert Museum, Londres
(d’après la Dormeuse de Naples, 1808, tableau disparu)
Ingres,_La_Grande_Odalisque,_1814La Grande odalisque,
Ingres, 1814,  Louvre, Paris

Ingres a d’abord peint La Dormeuse« Une femme de grandeur naturelle couchée nue, dormant sur un lit de repos à rideaux cramoisis ». Elle est acquise en 1809 par le Roi de Naples, Joachim Murat, dont l’épouse, Caroline Bonaparte, commande cinq ans plus tard trois nouvelles toiles au peintre. Parmi celles-ci, La Grande Odalisque, une orientale, nue, vue de dos sur fond bleu, qui fait pendant à la jeune occidentale, nue, vue de face et sur fond rouge.

Depuis 1815 et la fuite de Caroline, on est sans nouvelles de La Dormeuse, dont il ne reste que des esquisses faites de mémoire par Ingres, et toute une série de tableaux qui n’en inspirent [2a].



En 2007, on a bien cru l’avoir retrouvée, cachée sous un tableau du XVIIème siècle :Giordano_Venus-2c208

Vénus dormant avec cupidon et satyre,
Luca Giordano, 1663, Musée de Capodimonte, Naples

Mais le scoop a semble-t-il fait long feu [2b].



Charles Robert Leslie 1840-60 An allegory of virtue 45.7 x 30.5 cm coll partAllégorie de la Vertu Charles Robert Leslie 1840-60 An allegory of vice 45.7 x 30.5 cm coll partAllégorie du Vice

Charles Robert Leslie, 1840-60 (45,7 x 30,5 cm)

La Vertu, jolie rousse en robe blanche, boutonnée jusqu’au cou et au poignet, ne s’occupe que de cueillir des roses dans un jardin clos.

Le Vice, brune piquante à la mantille espagnole, sort dans un parc à la fontaine jaillissante, montre sa cheville et regarde qui la regarde.



Puvis de Chavannes 1870 Le Ballon Musee d OrsayLe Ballon
Puvis de Chavannes, 1870, Musée d Orsay
Puvis de Chavannes 1871 Le pigeon voyageur Musee d OrsayLe pigeon-voyageur
Puvis de Chavannes, 1871, Musée d Orsay

Inscriptions sur le cadre, de la main de l’artiste :

 » La ville de Paris investie confie à l’air son  appel à la France »  » Echappé à la serre ennemie, le message attendu exalte le coeur de la fière cité « 


Une symétrie marquée

Les deux tableaux « se répondent point par point : à la femme armée simplement vêtue d’un austère costume du temps – se tournant vers les hauteurs du fort du Mont Valérien au delà des remparts et accompagnant du geste le ballon, s’oppose la même figure de deuil, vue de face cette fois, recueillant le pigeon qui a échappé aux griffes d’un de ces faucons dressés par l’ennemi, au-dessus d’une vue de l’ile de la Cité, enfouie sous la neige ; pendant ce dur hiver, elle tomba en abondance à partir du 22 décembre. » Notice du Musée d’Orsay

Ainsi, formellement, les deux pendants obéissent à une stricte symétrie :

  • une femme vue de dos, tournée vers les faubourgs, lève la main vers un objet ami qui s’éloigne ;
  • une femme vue de face,  le dos à la ville, lève la main vers un objet ennemi ami qui s’approche.


Deux moments du Siège

Canon josephine bastion 40 à Saint OuenCanon Joséphine, bastion 40 à Saint Ouen

Le premier panneau  a probablement été peint depuis ce bastion. Le ballon s’envole vers le Sud Ouest, en direction de l’Armée de la Loire formée par Gambetta.

Le second panneau montre un Paris revenu au Moyen-Age, rétréci à l’ultime enceinte de l’Ile de la Cité. Le combat militarisé du faucon et du pigeon fait  écho à celui qui, de tout temps, a opposé ces deux volatiles près des tours de Notre Dame : comme si la fatalité de la guerre se dilatait dans le temps, à la manière de la neige  accaparant tout l’espace.

« Entre les deux tableaux, quelques semaines voire quelques mois se sont écoulés, qui ont affaibli le moral des Parisiens. Les deux œuvres enregistrent aussi l’abattement de Puvis de Chavannes qui se sent pris au piège d’une ville dont le paysage agreste, ouvert et comme en creux, se déroulant sous le regard dans Le Ballon, est devenu dans Le Pigeon un espace urbain aux fortifications saillantes agressives – c’est la « ville géante à plusieurs enceintes » dont parle Alphonse Daudet dans ses Lettres à un absent (1871). .D’un tableau à l’autre, comme par un phénomène d’éclipse, l’inquiétude et la peur ont succédé à l’optimisme et à l’espoir incarnés par l’aérostat. » [3]



Toulmouche 1883 Dans la serre Musee d'Arts NantesDans la serre Toulmouche le billet Musee d'Arts Nantes 66 x 45 cmLe billet

Toulmouche, 1883, Musée d’Arts, Nantes (66 x 45 cm)

Présentées au Salon de 1883, ces deux toiles renouent avec la tradition du pendant extérieur – intérieur :

  • dans la Serre, la Femme se fait rose parmi les roses, cachant au mépris des piqûres sa poitrine en fleur sous ses consoeurs ;
  • au Salon, la Rose se fait Femme, extrayant du bouquet ce qui lui importe : le billet d’un admirateur.



Emile Bayard 1886-87 Madame PolichinelleMadame Polichinelle Emile Bayard 1886-87 Madame ArlequinMadame Arlequin

Emile Bayard, 1886-87, gravures coloriées

Féminiser ces deux caricatures viriles que sont Polichinelle, avec son bâton, et Arlequin, avec sa batte, ne va pas sans un frisson érotique. Dans la même veine, Emile Bayard a également exploité le thème des duels entre femmes (voir Deux moments d’une histoire ).


GALLAND Pierre Victor La renaissance des Arts Beauvais Musee de l'Oise 1888La renaissance des Arts GALLAND Pierre Victor La renaissance des Lettres Beauvais Musee de l'Oise 1888La renaissance des Lettres

Galland (Pierre-Victor), 1888, Musée de l’Oise, Beauvais

Ces panneaux décoratifs destinés à l’hôtel particulier de l’architecte Jean-Baptiste Pigny, à Paris, son effectivement décoratifs. Mais pas plus. Après deux siècles d’évolution, l’art des pendants atteint ici son point de gratuité, avec des nuages, des angelots, des branches d’olivier, des envolées d’étoffes et des torses nus, qui semblent avoir été tirés au hasard au profit d’une allégorie paresseuse :  les Arts réduits à une lyre et une trompe, les Lettres à un rouleau blanc.

Comme si le peintre ne retenait que la force plastique de la formule, et  s’excusait du symbolisme.


mucha tete byzantine brune 1897Tête byzantine brune mucha tete byzantine blonde 1897Tête byzantine blonde

Mucha, 1897, lithographies en couleur

Dix ans après, Mucha développe son style décoratif expansif. Sur fond de synapses rayonnantes, deux profils « byzantins »  confrontent leur pureté graphique.  La princesse brune, parée de gemmes aux couleurs chaudes, lève la paupière et entrouvre les  lèvres. En face, la princesse blonde, enchâssée dans les couleurs froides, baisse le regard et garde bouche close.

Deux nuances du mystère fin de siècle, entre la révélation esquissée et le sourire silencieux.


L’affichiste belge Privat-Livemont recycle en style Art Nouveau deux sujets classiques de pendants.

privat-livemont 1901 La sculpture chromolithographLa Sculpture privat-livemont 1901 La peinture chromolithographLa Peinture 

Privat-Livemont, 1901, lithographies en couleur

La complémentarité des deux Arts s’exprime par celle des couleurs vert et rouge.


PRIVAT-LIVEMONT LA Fileuse. - 1904La fileuse PRIVAT-LIVEMONT LA Fileuse. - 1904La brodeuse

Privat-Livemont, 1904, lithographies en couleur

La ligne d’horizon (avec moulins et clochers), la végétation identique, les troncs centraux, les broderies similaires (avec papillons) unifient les deux jeunes filles, saisies dans le geste en écho de passer le fil dans le rouet ou à travers la broderie.


Edmundo Pizzella 1906 Le musicien et Derriere le rideau Pastels

Le musicien et Derrière le rideau
Edmundo Pizzella, 1906 ,Pastels, Collection privée

Ces deux Pierrots ambigus reprennent étrangement, dans une sobriété blanches, la même thématique que les princesses de Mucha. Le Pierrot blond ferme les yeux et la bouche, le Pierrot brun entrouvre les paupières, les lèvres et le rideau. Tandis que l’un fait corps des deux mains avec son violon au repos, l’autre, avec sa parole réprimée par l’index, s’identifie au rideau à peine relevé : d’un côté un sommeil instable, de l’autre une révélation esquissée.Edmundo Pizzella, Pierrot 1907

Pierrot
Edmundo Pizzella, 1907 ,Pastels, Collection privée

Cet autre pastel rend évidente la féminité des Pierrots.



Références :
[0] Francis Fletcher, « Mantegna’s Fictive Bronze Judith and Dido : Beyond examplarity » dans « Andrea Mantegna: Making Art (History) », p 186 et ss https://books.google.fr/books?id=OyRcCwAAQBAJ&pg=PA186#v=onepage&q&f=false
[1] « Capolavori da scoprire: la collezione Borromeo : mostra, Milano, Museo Poldi Pezzoli, 23 novembre 2006 – 9 aprile 2007 », Mauro Natale; Andrea Di Lorenzo, p 206
[1a] Charles Paul Landon « Annales du musée et de l’école moderne des beaux-arts » 1808 https://books.google.fr/books?id=-F0UAAAAQAAJ&pg=PA22
[1b] Journal de Paris, Volume 22, 1808, p 2137 https://books.google.fr/books?id=lVkwiJt6j8kC&pg=PA2137
[1c] Journal des débats politiques et littéraires, 7 décembre 1808. https://books.google.fr/books?id=2kvHrlLsPBcC&pg=PP636
[2a]Pour la postérité de la Dormeuse de Naples, chez Ingres et durant tout le XIXème siècle, on peut consulter : http://echos-de-mon-grenier.blogspot.com/2012/09/dingre-fortuny-les-belles-alanguies.html

Pendants solo : homme homme

3 février 2017

Ces pendants confrontent deux personnages masculins.


Lucas Cranach l'Ancien. Joachim II - prince electeur 1520 Jagdschloss GrunewaldJoachim II, prince électeur du Brandenburg, à 16 ans Lucas_Cranach l'Ancien_-_Furst_Johann_von_Anhalt_(Jagdschloss_Grunewald)Le Duc Johann von Anhalt, à 16 ans

Lucas Cranach l’Ancien, 1520, Jagdschloss Grunewal

Mis à part leur âge identique et leur armure très similaire, on ne connaît pas la raison de ce double portrait de jeunes gens. La position du Duc, à droite du pendant donc à gauche du prince, traduit bien son rang subalterne ; de même que son absence de plumet, ses bijoux plus modestes et son geste plus pacifique : il pose la main gauche sur le fourreau de son épée, pointe en bas, tandis que le Prince porte de sa main droite la hache, lame nue vers le haut.



Quentin Metsys Portrait of Erasmus 1517 Galleria Nazionale d'Arte Antica, RomePortrait d’Erasme Quentin Metsys Portrait of Pieter Gillis 1517 Galleria Nazionale d'Arte Antica, RomePortrait de Pierre Gilles

Quentin Metsys, 1517, Galleria Nazionale d’Arte Antica, Rome

On connait bien les circonstances de la composition de ce pendant : les deux amis humanistes, Erasme et Gilles,  eurent l’idée  de commander au peintre le plus célèbre d’Anvers cette double image, en cadeau pour leur ami commun Thomas More qui venait de retourner en Angleterre. Le portrait d’Erasme fut fini en premier car Gilles était souvent malade, et More les bombardait de lettres dans l’attente de son cadeau [1].

Le triangle amical est suggéré dans le tableau par la lettre de More que Gilles tient dans sa main, tandis qu’il pointe l’autre vers le livre “Antibarbari” qu’Erasme est en train de rédiger : on peut même lire ce qu’il écrit, une paraphrase de l’Epître de St Paul aux Romains, avec son instrument d’écriture favori : une plume en bambou.  Grand spécialiste de Saint Jérôme, Erasme est représenté dans la posture caractéristique de ce saint érudit.



Portret-metsys2
La niche avec ses étagères se poursuit d’un tableau  à l’autre : les amis sont assis à la même table. Les originaux sur bois ayant été rentoilés et recoupés, on ne sait pas si les deux panneaux étaient présentés en diptyque ou en pendants : leur taille relativement importante (61 x 47) et la continuité horizontale des étagères  milite plutôt pour une présentation en pendants.


Lucas-Cranach-l'ancien 1532 Luther Staatliche Museen zu Berlin, Gemaldegalerie Lucas-Cranach-l'ancien 1532 Melanchton Staatliche Museen zu Berlin, Gemaldegalerie

Portrait de Martin Luther et Philippe Melanchthon
Lucas Cranach l’Ancien, 1532, Staatliche Museen zu Berlin, Gemäldegalerie

Les deux grands réformateurs sont ici âgés de 49 ans et 35 ans, vêtus de la même aube noire. L’aîné est coiffé d’un béret en signe de préséance et placé à gauche, par ordre chronologique.


Lucas-Cranach-l'Ancien 1543 Martin-Luther-And-Philipp-Melanchthon coll privee

Portrait de Martin Luther et Philippe Melanchthon
Lucas Cranach l’Ancien, 1543, Collection privée

La demande étant très forte, Cranach et son atelier ont fourni de nombreuses répliques, sans toujours tenir compte du vieillissement. Onze ans plus tard, le cadet a pris du galon, coiffé maintenant d’un béret.


Lucas Cranach le jeune 1546 Martin_Luther_Philippe_Melanchthon

Portrait de Martin Luther et Philippe Melanchthon
Lucas Cranach le jeune, 1546, Collection privée

Trois ans plus tard, Cranach fils entérine le passage du temps et  nous montre un Luther grisonnant mais pétant de santé, face à un Mélanchton plus jeune, mais émacié et mal rasé : le tout semblant s’équilibrer. Nous sommes  pourtant l’année de la mort de Luther.



Lucas Cranach le jeune 1558 Martin Luther and Philipp Melanchthon North Carolina Museum of Art, Raleigh

Portrait de Martin Luther et Philippe Melanchthon
Lucas Cranach le Jeune, 1558, North Carolina Museum of Art, Raleigh

Douze ans plus tard, Cranach ressuscite Luther avec une chevelure de neige, tandis que Melanchton n’a blanchi encore que de la barbe.



Double Portrait of Martin Luther (1483-1546) and Philip Melanchthon (1497-1560) (oil on panel)

Portrait de Martin Luther et Philippe Melanchthon
Collection particulière

Cette formule désormais figée est déclinée par l’atelier  : ici, les deux encadrent une vue imaginaire de Rome.  La pelisse de Melanchton est bordée d’une fourrure, bien utile pour réchauffer les vivants.


Lucas Cranach le jeune apres 1560 Luther Stiftung Schloss Friedenstein, Gotha Lucas Cranach le jeune apres 1560 Melanchton Stiftung Schloss Friedenstein, Gotha

Portrait de Martin Luther et Philippe Melanchthon
Lucas Cranach le Jeune, après 1560, Stiftung Schloss Friedenstein, Gotha

Les deux sont morts désormais, le jupitérien et le mercurien , si différents physiquement, mais indissolublement associés par la magie sympathique du pendant.



Les demi-figures caravagesques

Surtout exploitées par les hollandais à partir de 1622 avec des figures de buveurs, de musiciens ou de bergers (voir Les pendants caravagesques de l’Ecole d’Utrecht), cette formule touche aussi d’autres peintres caravagesques.



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Nicolas_tournier,_soldato_che_alza_il_calice,_1619-24 Palazzo dei Musei (Modena)Soldat levant son verre Nicolas_tournier,_soldato_che_alza_la fiasca,_1619-24 Palazzo dei Musei (Modena)Soldat levant sa fiasque

Nicolas Tournier, 1619-24, Palazzo dei Musei (Modena)

L’homme au plumet rouge se tranche un saucisson et du fromage sur le coin d’un chapiteau, tandis que l’homme au plumet blanc dîne d’un pâté sur une table. Tournier a trouvé une solution très simple pour mettre en symétrie ces deux buveurs droitiers :

  • montrer l’un de face et l’autre de profil ;
  • inverser la position du verre et de la fiasque.



sb-line

Tournier 1630 ca Un soldat Musee des Augustins ToulouseUn soldat Tournier 1630 ca Saint Paul Musee des Augustins ToulouseSaint Paul

Tournier, vers 1630, Musée des Augustins, Toulouse

Ces deux tableaux de même taille ont été conservés durant des siècles dans la même famille, c qui laisse epnser qu’ils constituaient des pendants. Une inscription découverte récemment au dos du Saint Paul (« trois tableaux pour le Sr Pennautier ») [1a] confirme la provenance, mais n’éclaire pas le sujet.


La logique du pendant (SCOOP !)

La mise en pendant d’un personnage profane et d’un personnage sacré est intrigante. Sauf si l’on remarque que le soldat fait le geste de tirer de la main droite une épée invisible, tandis que le saint tient sous son bras gauche celle de son martyre.

Le thème sous-jacent pourrait donc être un « martyre de Saint Paul » particulièrement radical, réduit à l’opposition caravagesques entre l’homme de guerre et l’homme de Dieu, entre le velours et la bure.



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Valentin de Boulogne, David avec la tete de Goliath, 1627 coll priveeSamson Valentin de Boulogne Samson, 1630-31. The Cleveland Museum of Art,David

Valentin de Boulogne , 1630-31, The Cleveland Museum of Art

Les deux héros bibliques mis ici en correspondance représentent avant tout deux types de beauté masculine  : le jeune homme imberbe et l’homme mûr velu (on sait que la force de Samson venait de ses cheveux). La pose identique (tous deux accoudés comme de part et d’autre d’une même table)  et le drapé somptueux sont étudiés pour mettre en valeur la rondeur du genou et de l’épaule.

Deux attributs (la fronde en bandoulière et la mâchoire d’âne) permettent d’identifier les deux héros, tandis que les têtes énormes de Goliath et du lion rappellent leur victoire contre un être hors de proportion.

Le tour de force du pendant est d’équilibrer deux figures par ailleurs antithétiques : le jeune berger chétif et le premier des malabars.

 

Ribera 1632 Ixion PradoIxion Ribera 1632 Tityus PradoTityus

Ribera, 1632, Prado, Madrid

Ce pendant montre deux des quatre « Furias » (Ixion, Tityus, Tantale , Sisyphe), personnages mythologiques punis pour avoir offensé Zeus.

Ixion, ayant séduit Junon et de plus s’en vantant, fut condamné par Zeus  à être attaché par les quatre membres sur une roue environnée de serpents. Tityus est un géant qui, pour avoir attenté à l’honneur de Latone, fut précipité dans les Enfers où un vautour lui dévore le foie et les entrailles, qui repoussent éternellement.

Ribera réduit le mythe au minimum : deux hommes allongés, l’un vu de dos et l’autre de face, attachés par les quatre membres, montrés en plongée sur un fond sombre sans repère visuel .  Les détails pittoresques (les serpents, le gigantisme) sont éliminés, seul demeure le dialogue atroce entre l’homme attaché et son bourreau inlassable : le faune qui tourne la roue, l’aigle qui dévide les entrailles.

L’ordre d’accrochage est incertain : dans celui que nous proposons, l’oeil monte du faune en contrebas au rapace surplombant,  des Enfers au Ciel, de l’exécuteur des basses  oeuvres au dieu courroucé, Zeus sous la forme de l’aigle noir.



Rubens 1636-38 democrite pradoHéraclite Rubens 1636-38 Heraclite PradoDémocrite

Rubens, 1636-38, Prado , Madrid

Le couple que forment le Philosophe qui rit et la Philosophe qui pleure a fait l’objet de nombreux pendants au début du XVIIème siècle (voir Les pendants caravagesques de l’Ecole d’Utrecht). Rubens suit la mode pour ce pendant grandeur nature, destinée à décorer un pavillon de chasse de Philippe IV, la Torre de la Parada [1b].


Velazquez 1639-41 Menippe PradoMénippe Velazquez 1639-41 Esope PradoEsope

Vélasquez, 1639-41, Prado , Madrid

Pour le même pavillon, Vélasquez, choisit un couple plus original de célébrités antiques, tous d’eux d’anciens esclaves : d’où sans doute leurs pauvres vêtements.

Ménippe, philosophe célèbre pour sa cupidité, s’enveloppée dans un grand manteau noir et arbore un sourire cynique.

Esope le fabuliste est représenté comme un bon vivant, la main sur la panse, mais au visage triste et amaigri. Le baquet à sa gauche pourrait être une allusion à une anecdote avec son maître Xanthus qui avait parié, étant ivre, qu’il boirait toute l’eau de la mer : Esope lui conseilla de se faire amener un grand récipient d’eau de mer et, au moment de le boire, de dire qu’il s’était engagé à boire l’eau de la mer, mais pas celle des rivières qui s’y déversent. Quant à l’objet posé à droite sur le matelas, il s’agirait de la verrerie que les habitants de Delphes avaient caché dans ses bagages, pour le faire accuser de vol et exécuter.

Vélasquez met ici en scène un couple paradoxal, qui semble prendre le contre-pieds de celui de Rubens : l’homme qui sourit est en fait un triste sire, tandis que l’homme à l’expression désabusée est un être attachant et plein de fantaisie [1c].



Livio Mehus Le genie de la sculpture vers 1650 Palais Pitti FlorenceLe Génie de la Sculpture
Palais Pitti, Florence
Livio Mehus Le genie de la peinture vers 1650 Prado MadridLe Génie de la Peinture
Prado, Madrid

Livio Mehus, vers 1650,

Dans ce pendant inspiré et redécouvert  récemment, le jeune peintre représente deux stades de son évolution artistique. Nous avons la chance d’avoir une explication détaillée de ses intentions :

« Dans le tableau sur la Sculpture,  il avait l’intention de montrer l’amour qu’il avait toujours porté à toutes les sculptures anciennes et belles, et qu’il dessinait volontiers du temps où il se trouvait à  Rome ;  et dans celui sur la Peinture, l’affection avec laquelle, lorsqu’il était à Venise, il étudiait parmi les magnifiques peintures du siècle  de Titien. Dans celui sur la Peinture, il a mis son propre portrait, en train de contempler le beau tableau du Martyre de  Saint-Pierre, que le Génie de la  Peinture, sous la forme d’un très bel enfant, assis sur une pauvre chaise de paille presque entièrement consumée par le temps ,  est en train de recopier avec une grande attention . Avant que cette oeuvre ne sorte de ses mains, le peintre avait écrit dans un endroit approprié cette expression qui faisait allusion à lui-même  :  » Beau Génie dans un pauvre siège  »  ; mais, ne doutant pas qu’une telle mention ne fut estimée trop ambitieuse par certains, il la supprima. Dans celui de la Sculpture, on voit bien le portait de sa personne, parmi les sculptures de cette grande cité les plus renommées et les plus chères à son coeur : parmi lesquelles la colonne Trajane, et son Génie en train de dessiner, voulant  montrer par là les deux pensées qu’à Rome, on dessine et à Venise, on peint.«  [2]

Ajoutons  que la peinture consacrée à Rome montre les jambes de l’Hercule Farnèse, ainsi qu’une statue dorée de Minerve que Mehus devait posséder (il l’a peinte dans une étude sous deux autres angles).



Ducreux 1790s Le Silence, Nationalmuseum Stockholm - 66,5 x 52,5 cmLe Silence Ducreux 1790s La Surprise melee de terreur Nationalmuseum StockLa Surprise mêlée de terreur

Ducreux, 1791-99, Nationalmuseum Stockholm ( 66,5 x 52,5 cm)

Connu pour ses autoportraits qui sont en même temps des têtes d’expression, Ducreux a eu l’idée de confronter ces deux images de lui-même, sous un même éclairage et le même accoutrement (chapeau et houppelande), dans une sorte de dialogue contradictoire où l’une recommande la retenue dont l’autre manque absolument :

  • chevelure dans la lumière contre chevelure dans l’ombre,
  • poing fermé contre paume ouverte,
  • lèvres serrées contre bouche béante.

Le pendant unifie deux autoportraits indépendants, réalisés précédemment :

ducreux 1791 Le-discret Spencer Museum of Art, University of Kansas, Lawrence, KansasLe discret, Spencer Museum of Art, University of Kansas, Lawrence, Kansas Ducreux 1791-self-portrait-in-surprise-and-terror-coll priveeLa Surprise mêlée de terreur, collection privée

Ducreux, 1791



Kronberger Karl A WINTER'S DAY AND NIGHTSo nah - und doch so fern!Si près – si loin (So nah – und doch) kronberger_A WINTER'S DAY AND NIGHT verlorene schluesselLa clé perdue (Verlorene Schluessel)

Un jour d’hiver, jour et nuit
Karl Kronberger,  fin XIXème, Collection privée

Le jour et la nuit, la tempête et le calme, hors les murs et dans les murs, le haut de forme et la casquette, le mouchoir jaune et le mouchoir rouge : les deux scènes de genre se complémentent pour moquer le citadin découronné et dépité, dépossédé en un instant de ses signes de pouvoir et réduit à courber l’échine devant la toute puissance de la neige.


original.94471.tsarPortait de Nicolas II,
Ilya Galkin Savich, 1896, École de commerce de l’entreprise Petrovsky, Saint-Pétersbourg
original.94471.leninePortrait de Lénine ,
Vladislav Izmailovich,1924, Ecole Primaire N°206, Saint Petersbourg

A l’occasion d’une restauration, on vient de redécouvrir le portrait du tsar au dos d’un portrait de Lénine, badigeonné, retourné et accroché au même emplacement, dans la salle d’honneur d’une école de commerce devenue une école primaire.[4]

Présentée côte à côte, les deux faces constituent un pendant convainquant et secret, qui a dû être imaginé par le second artiste pour sa seule satisfaction personnelle : intérieur contre extérieur, tapis contre pavés, colback contre casquette, uniforme militaire contre uniforme prolétarien.

Le tsar, encadré par le miroir qui reflète un double à cheval de lui-même, semble statufié vivant dans sa propre image.  Le bonhomme Lénine lui tourne le dos, et dirige son regard, au delà  de la flèche de la Cathédrale Pierre-et-Paul, vers un idéal encore plus élevé  et doré.




Sur le modèle du couple Luther-Melanchton, on aurait pu s’attendre à trouver  de nombreux portraits croisés de ces deux autres pères fondateurs : Lénine et Staline. Veston contre vareuse, petite taille contre carrure imposante, barbiche contre moustache, calvitie contre chevelure argentée, non-fumeur contre fumeur de pipe, il aurait été facile de mettre en scène la complémentarité du colérique et du sanguin qui semble à la base de toute bonne révolution réussie.

De tels pendants sont en fait rarissimes : nous n’avons trouvé que celui-ci :

URSS 1951 Au nom du communisme

Au nom du Communisme
Affiche de V. Govorkov, 1951, Moscou

Lénine à gauche lance l’électrification, comme le prouve derrière lui l’image d’un barrage avec sa  centrale électrique.
Staline a droite parachève l’oeuvre, en rayant le mot « Désert » dans le libellé « Désert du Karakoum ». Il s’agissait à l’époque d’y creuser le grand canal du Turkmenistan, projet qui sera finalement abandonné. Le plan derrière lui montre un fleuve déjà équipé de deux barrages.


lenine-staline 1a profil lenine-staline 1b profil

Il y a en fait assez peu de  représentations des deux dirigeants  ensemble, et ils sont montrés le plus souvent côte à côte et de profil, ce qui évite toute confrontation et légitime les idées de coopération et de succession.


lenine-staline 2a lenine-staline 2b

La ressemblance physique est magnifiée, au point que le vivant pourrait passer comme la réincarnation du mort.


lenine-staline 3a lenine-staline 3b

A l’issue, absorbés par le drapeau rouge,  les deux  se désincarnent en motifs purement textiles, agités par les bras et le vent.


Références :
[1] Pour les détails sur les deux humanistes et sur les livres représentés, on peut consulter https://mydailyartdisplay.wordpress.com/2012/12/11/desiderius-erasmus-and-pieter-gillis-by-quinten-massys/
[2] ‘Life’ of Mehus , Baldinucci, éditée dans ‘Notizie deiprofessori del disegno da Cimabue in qua (1681-1728)’ quoted from ed. F. RANALLI, Florence [1845-1847], Vol.V, pp.537-38, citée dans Livio Mehus’s ‘Genius of Sculpture’, Gerhard Ewald, The Burlington Magazine Vol. 116, No. 856 (Jul., 1974) http://www.jstor.org/stable/877734
« in quello della scultura ebbe intenzione di far vedere l’amore ch’ei porto sempre all’ antiche e bellissime sculture, e quanto egli volentieri nel tempo, che e’si trattenne in Roma, le disegno ; e similmente in quello della pittura, l’affetto, con che nell’essere a Venezia fece i suoi studi intorno alle mirabili pitture del secolo di Tiziano. In quello della pittura espresse il proprio ritratto, in positura di accennare verso la stupenda tavola del san Pier Martire, mentre il Genio della pittura, in figura di un bellissimo fanciullo, in atto de sedere sopra una povera seggiola di paglia, quasi consumata dal tempo, la sta con grande attenzione ricavando. Aveva il pittore, avanti che questa opera uscisse di sua mano, in un bene adatto luogo scritte queste parole, alludenti a se stesso: « Bel Genio in povera sedia » ; ma, dubitando che tal concetto non fosse da taluno stimato troppo ambizioso, le cancello. In quello della scultura si vede pure il ritratto di sua persona fra le pi’ rinomate a lui piu care sculture di quella gran citta : efra le quali fu la colonna Trajana, e il suo Genio in atto di disegnare volendo inferire con questi due pensieri che a Roma si disegna, e a Venezia si dipinge »

Pendants paysagers matin soir

2 février 2017

Ces pendants opposent deux états particuliers du paysage , aux fortes connotation symboliques: : le matin et le soir.



 

Claude-Lorrain- David sacre roi par SamuelDavid sacré roi par Samuel Claude-Lorrain-le-d-barquement-de-Cleopatre---Tarse--2-Le débarquement de Cléopâtre à Tarse

Claude Lorrain, 1642 – 1643, Musée du Louvre

Ces deux pendants ont été peints à Rome pour Angelo Giori, fait cardinal en 1643. Comme d’autres pendants de Claude, ils opposent la campagne et la mer, une scène biblique et une scène antique, dans une architecture classique qui fait fi de la vraisemblance au profit de la Beauté éternelle.

Dans le premier pendant, le jeune berger David baisse la tête humblement pour recevoir l’onction. A l’extérieur du portique, un serviteur accompagné de deux chiens contemple la scène. Derrière, on amène un bélier pour le sacrifice. Au fond, un pont unit la ville et la campagne. Une caravane y passe, des moutons paissent, des femmes s’occupent des enfants à l’ombre d’un arbre : c’est la paix et la prospérité (il se peut que cette mise en scène d’une intronisation prometteuse ait à voir avec la récente dignité du commanditaire).

Dans le second pendant, le mouvement va dans l’autre sens, de gauche à droite. Les chroniques romaines racontent l’arrivée de Cléopâtre à Tarse, portant les vêtements d’Aphrodite et une profusion de bijoux et de parfums, dans une embarcation à la poupe dorée, avec des rames d’argent et des voiles pourpres . Claude Lorrain n’a pas insisté sur le luxe : le riche bateau est bien là , mais l’or des bijoux est passé dans la lumière. Un serviteur avec deux chiens va au devant de la reine, que Marc-Antoine est venu accueillir sur la pas de la porte.

D’un côté, le tout début d’un règne pieux et béni ; de l’autre, le tout début d’une aventure fatale, entre une reine sensuelle et un aventurier. Mais Claude Lorrain traite en sourdine ces contrastes moraux, afin de ne pas étouffer le sujet principal du pendant :

la splendeur inaugurale de l’aube, la splendeur terminale du crépuscule.



Vernet 1747 Morning_In_Castellemare ErmitageLe Matin à Castellamare vernet 1747 cascatelles de tivoli Saint-Petersbourg, Ermitage,Cascatelles de Tivoli

Joseph Vernet, 1747, Ermitage, Saint-Pétersbourg

La mer calme contraste avec les cascades mouvementées, la côte napolitaine avec la campagne romaine. Mis à part la classique composition en V, Vernet s’intéresse peu à la logique des pendants. Son succès tient au traitement raffiné de la lumière : un matin doré aux lointains embrumés près de la mer, une fin de journée aux ombres tranchées en pleine terre.


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Vernet 1752 Le matin Collection priveeLe soir : port méditerranéen à l’aube avec des pêcheurs et des marchands sur un quai Vernet 1752 Le soir Collection priveeLe clair de lune : port méditerranéen avec des pêcheurs près d’un feu sur le rivage, avec une arche naturelle

Joseph Vernet, 1752, Collection privée

Ici le lieu est le même : deux ports. Mais les lumières sont complètement différentes, entre le crépuscule et le clair de lune, traité ici avec un réalisme novateur.

« Les paysages imaginaires de Vernet, bien que s’inspirant librement de paysages de la côté au Sud de Rome autour de Naples, marquent l’abandon de la demande purement topographique au profit de quelque chose de plus naturel ; c’était leur insistance sur la nature, les formations rocheuses, les conditions météorologiques, les effets du soleil et de la lune sur les différentes surfaces qui intéressaient la plupart de ses patrons étrangers, à partir des années 1740. Ils évoquaient plus que le souvenir d’un emplacement : celui d’une sensation. A la fois naturalistes et évocateurs de l’expérience des voyageurs en Italie, ils étaient à apprécier lors du retour des patrons sous les climats plus calmes de l’Angleterre ou d’ailleurs. Pour les voyageurs du Grand Tour ou les aristocrates européens, ces paysages étaient moins faits pour réveiller le souvenir d’un lieu précis que pour symboliser la traversée des mers dangereuses, l’arrivée sain et sauf au port, la campagne parcourue par l’oeil d’un touriste averti. » Notice Sotheby’s, [1]



Vernet 1752 Le matin Collection privee detail

Dans Le Soir, la lumière dorée et les ombres longues rehaussent les scènes pittoresques du premier plan : dockers soulevant un ballot, tandis que des collègues oisifs entreprennent une voyageuse qui attend son bateau en tricotant.


Vernet 1752 Le soir Collection privee detail feu Vernet 1752 Le soir Collection privee detail

Dans le second tableau, la virtuosité réside dans la cohabitation entre les deux sources de lumière :

  • côté feu, seules sont discernable les femmes qui préparent la soupe, tandis que les hommes attendent dans l’ombre ;
  • côté pleine lune, les silhouettes en ombre chinoise des pêcheurs qui s’activent s’échelonnent, du premier-plan jusqu’à l’infime au delà de l’arche de pierre. Autour de l’astre nocturne des chauve-souris volettent : tout un pré-romantisme en gestation.


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En vingt cinq ans, Vernet a réalisé plusieurs séries des Quatre Parties du jour :

  • pour le château de Russborough du brasseur Joseph Leeson, en 1749 ;
  • pour un commanditaire inconnu, en 1757 ;
  • pour Monsieur Journû de Bordeaux en 1760 ;
  • pour la bibliothèque du Dauphin à Versailles en 1762 ;
  • pour Louis XV et la bibliothèque du château de Choisy en 1765 ;
  • pour la Du Barry et le château de Louveciennes en 1775.

La série de Russborough et celles du Dauphin (ci-dessous) sont exclusivement maritimes.



Vernet 1762 Serie Dauphin Ensemble

Série du Dauphin, 1762, Château de Versailles

Il serait fastidieux de les présenter toutes, car elles sont basées sur le même principe : un pot-pourri des formules à succès du peintre, permettant de goûter à la fois le rendu des effets de lumière et des ambiances météorologiques [2] :

  • le matin : soleil levant sur un fleuve (avec baigneuses, lavandières ou pêcheurs) ou un port, temps calme ;
  • le midi : mer ou rivière, tempête ;
  • le soir : un port ou un torrent (avec baigneuse ou pêcheur), soleil couchant ;
  • la nuit : un port avec un feu sur la rive, pleine lune.

A titre d’exemple, voici une des plus anciennes :

Vernet 1757 Les quatre heures du jour Le matin Art Gallery of South Australia, AdelaideLe matin Vernet 1757 Les quatre heures du jour Midi Art Gallery of South Australia, AdelaideLe midi
Vernet 1757 Les quatre heures du jour Soir Art Gallery of South Australia, AdelaideLe Soir Vernet 1757 Les quatre heures du jour Nuit Art Gallery of South Australia, AdelaideLa nuit

Les quatre heures du jour
Joseph Vernet ,1757, Art Gallery of South Australia, Adelaide

https://en.wikipedia.org/wiki/Four_Times_of_the_Day_(Joseph_Vernet)


sb-linevernet Le Matin Le Soir 1778 Collection privee

 Le Matin (Paysage avec des pêcheurs)   Le Soir (Mer calme au crépuscule)
Joseph Vernet, 1778, Collection privée

Commandé en 1778 par le collectionneur Denis-Pierre-Jean Papillon de la Ferté, ce pendant sans prétention  reprend l’opposition devenue machinale entre le soleil levant et le clair de lune.

 



Jacob More 1788 The cascade of Tivoli at sunset, Marmore at moonlight with figures in the foreground
La cascade de Tivoli le matin, la cascade de Terni le soir
Jacob More, 1788, collection privée

Ce pendant réunit deux curiosités naturelles du Grand Tour, en opposant :

  • le matin et le soir,
  • le soleil et la lune se reflétant dans l’eau ;
  • l’arbre vif et l’arbre mort,
  •  vue d’en haut et vue d’en bas



gericault matinPaysage aux pêcheurs, dit Le Matin
Géricault, 1818, Munich, Nouvelle Pinacothèque
gericault midiPaysage à la tombe romaine, dit Le Midi
Géricault, 1818, Paris, Musée du Petit Palais

gericault soirPaysage à l’aqueduc dit Le Soir
Géricault, 1818, Metropolitan Musem of Art,New York,

Ces trois grands tableaux que Géricault a peints en 1818 après son retour de Rome, formaient un cycle dont la destination reste énigmatique . Y avait-il une quatrième toile, la Nuit ? Les indices sont contradictoires : il reste un croquis représentant  un port au clair de lune, réalisé par Nat Leeb qui dit avoir acheté les quatre tableaux en 1937 ; selon ce témoignage, le quatrième tableau aurait été endommagé par la pluie durant la guerre, puis vendu à un obscur collectionneur brésilien. Mais d’un autre côté, les factures du fournisseur de Géricault, qui ont rendu certaine la datation de 1818, ne mentionnent que trois châssis de la même taille [3].

L’influence de Vernet [4] est manifeste dans les sujets :

  • un départ à la pêche pour le Matin
  • un orage pour le Midi
  • une baignade pour le Soir.

Comme chez Vernet, des éléments unificateurs sont présents : le fleuve, le pont, la montagne, le village, les monuments antiques. Mais l’éclairage dramatisé et l’artificialité assumée tranchent radicalement avec les conceptions de son prédécesseur [5].


Le matin

Seule l’amorce d’un pont est visible sur la rive gauche, à côté du village. Une barque est échouée rive droite, cinq hommes la tirent et la poussent pour tenter de la mettre à flot. Le palmier jauni et la montagne au profil de sphinx, références vaguement égyptiennes, nous remémorent l’histoire d’une autre embarcation : le berceau de Moïse mis à flot dans le Nil pour le sauver de l’assassinat.

Le début du jour coïncide le début d’une vie.


Le midi

Comme l’a montré Joanna Szepinska-Tramer [6], la construction est un mixte de la tombe de Cecilia Metella et du tombeau des Plautes, recomposée à partir d’un recueil de gravures de Florent Fidèle Constant Bourgeois (1804) : nous sommes donc très loin d’une peinture sur le motif.



gericault midi famille
Le pont, plus large, est en partie ruinée. La famille qui vient des montagnes enneigées n’a, pour gagner le village, d’autre solution que de demander de l’aide à des pêcheurs. A voir le ciel gris qui les attend de l’autre côté, la traversée manifestement ne résoudra pas tous les problèmes.



gericault midi detail
Derrière eux, un détail macabre que Géricault n’avait pu voir qu’en Italie, ajoute au côté dramatique de la fuite : un poteau auquel sont attachés les membres de brigands est planté au bord du chemin, à l’emplacement de leur crime.

Le milieu du jour coïncide avec la fondation d’une famille et les orages de la vie.


Le soir

Le pont est maintenant totalement construit : il est même à deux étages, comme si une oeuvre nouvelle avait surélevé l’oeuvre ancienne. Juste en dessous, un vieillard en bleu blanc rouge et bonnet phrygien discute avec un baigneur, autre figure d’un pont transgénérationnel. Ce soir tranquille où l’on se baigne entre les ruines inoffensives d’une tour romaine et d’une tour médiévale, ressemble fort à un paradis républicain.

Le soir du jour coïncide avec la sagesse, la propreté, l’élévation.



Asher-Brown.-Durand-The-Morning-of-Life 1840 The National Academy Museum and School of Fine Arts New YorkLe matin de la vie ( the Evening of Life) Asher-Brown.-Durand-The-Evening-of-Life 1840 The National Academy Museum and School of Fine Arts New YorkLe soir de la vie ( the Evening of Life)
 
Asher Brown-Durand,1840,
The National Academy Museum and School of Fine Arts, New York

Réalisé au retour d’un voyage en Europe, ce pendant montre l’influence lointaine de Claude Lorrain et l’influence proche de l’ami Thomas Cole, que les commentateurs de l’époque ont bien notée (voir Les pendants paysagers de Thomas Cole).

Selon le principe classique (voir Pendants architecturaux), le soleil, placé dans l’intervalle entre les pendants, unifie les deux points de vue.


Le matin
Asher-Brown.-Durand-The-Morning-of-Life 1840 The National Academy Museum and School of Fine Arts New York detail

Dans un paysage antique, le Matin montre de face une famille nucléaire debout au pied d’une statue de l’Espérance (avec son ancre), devant une enfilade de troncs en V dans lesquels il faut voir autant d’arbres généalogiques : « Croissez et multipliez ». Au fond, tous se dirigent vers un Temple.

Asher-Brown.-Durand-The-Morning-of-Life 1840 The National Academy Museum and School of Fine Arts New York temple


Le soir

Dans un paysage médiéval, le Soir montre de dos une vieille femme qui se repose, assise à côté d’un chapiteau tombé d’un temple en ruine. Elle est éloignée du bouquet d’arbres (sans descendance), isolée comme le tronc mort à côté de la colonne : on comprend qu’elle n’avancera pas plus loin, clouée par sa canne à l’entrée du tableau. Au fond, tous se dirigent vers une Cathédrale.

Asher-Brown.-Durand-The-Evening-of-Life 1840 The National Academy Museum and School of Fine Arts New York detail


La logique du pendant

En passant de l’arrière-plan au premier plan, du bâtiment neuf à la ruine, le temple païen de l’autre tableau cède la place, tout comme la vieille femme, à un autre futur, un futur chrétien  : avancer dans la profondeur est en somme comme avancer dans le temps.

Haute résolution : https://www.google.com/culturalinstitute/beta/asset/the-morning-of-life/TAH0jQwvBw-I0g


Asher Brown Durand 1847 Forenoon New Orleans Museum of ArtLa matinée (Forenoon), New Orleans Museum of Art Asher Brown Durand 1847 Afternoon Mead Art Museum at Amherst College 152.4 x 121.9 cmL’après-midi (Afternoon Mead), Art Museum , Amherst College

Asher Brown-Durand, 1847 (152.4 x 121.9 cm)

Cet autre  pendant de Brown-Durand, qui prend pour sujet principal deux immenses troncs en V, est intéressant par sa composition atypique :

  • dans La Matinée, un bûcheron fait tirer par deux boeufs un tronc (qu’il a dû couper le veille), en direction du bord gauche du pendant ;
  • dans L’après-midi, un vacher pousse le troupeau vers le bord droit du pendant

Le soleil, qui est placé  ici des deux côtés du pendant, contribue à cet effet centrifuge.



sarazin_de_belmont_louise_josephine-vue du forum le matin 1865 musee beaux arts de toursVue du forum le matin sarazin_de_belmont_louise_josephine-vue du forum le soir 1865 musee beaux arts de toursVue du forum le soir

Sarazin de Belmont (Louise-Joséphine), 1865, Musée des Beaux Arts, Tours

Le Matin est une vue plongeante depuis le Capitole, en direction de l’Est. Au premier plan, un peintre dessine les colonnes du temple de Saturne, tandis que deux troupeaux de vaches arrivent ou paissent déjà dans le Forum. On distingue à gauche, en plein contrejour, l’arc de Septime Sévère qui termine la Via Sacra. L’aube ressuscite un « campo vaccino » bucolique,  depuis longtemps disparu  en 1865 (à en croire le tableau ci-dessous).


salomon corrodi - foro romano - roma - 1845
Le forum romain
Salomon Corrodi,1845

Le Soir est une vue plongeante prise dans l’autre sens, depuis le Colisée, en direction de l’Ouest. Au premier plan, un berger rentre son troupeau de chèvres, tandis qu’un autre troupeau (touristes, prêtres, militaires ?) visite visite l’esplanade du Temple de Vénus et de Rome. On distingue à gauche, en plein contrejour, l’arc de Titus qui ouvre la Via Sacra, et une autre escouade qui passe. Le crépuscule qui cuit les vielles briques est propice à faire ressurgir les fantômes des Triomphes passés.

Ainsi le soleil couchant ravive la Rome impériale, tandis que le soleil levant fait revivre les temps du Grand Tour. [9]



FREDERIC Leon Les marchands de craie 1882-83 matinLe matin FREDERIC Leon Les marchands de craie 1882-83 soirLe soir

Triptyque des marchands de craie
Léon Frédéric, 1882, Musées Royaux des Beaux Arts de Belgique

Le triptyque relate une journée de la vie de Bernard Scié, marchand de craie de la région de Bruxelles et modèle récurrent de Frédéric.

Le matin

La grande soeur, en tête, fait le travail d’un homme, la hotte de craie sur ses épaules : elle essaie d’en soulager le poids en passant ses mains dans les bandoulières. Derrière elle, le père porte en plus, dans sa hotte, un jeune enfant qui dort ; il donne la main au petit frère qui mange une tranche de pain. Le trio est vu de face, cadré à gauche, au bas d’une descente.


Le soir

Le père, en tête, fait le travail d’une femme, portant un jeune enfant dans ses bras, la hotte vide sur ses épaules. Derrière lui, la grande soeur ramène elle-aussi sa hotte vide ; elle donne la main au petit frère, emmitouflé dans des chiffons pour lutter contre le froid. Le trio est vu de dos, cadré à droite, au bas d’une côte. Très haut sur la butte, une maison domine – château-fort de ceux qui ont, la roulotte de ceux qui n’ont pas grand chose : à peine une marmite qui fume à même le sol.


Le midi

FREDERIC Leon Les marchands de craie 1882-83 midi
La mère a amené le repas, accompagnée de deux enfants et bas-âge et de la soeur cadette, qui s’est assise près du père. Deux troncs désignent les deux soutiens de famille : la mère, assise sous l’église lointaine ; le père, assis sous l’usine qui ne veut pas de lui. Un long égout horizontal sépare le village de ceux qu’elle rejette. La vue plongeante expose à cru les stigmates de la misère : la cruche cassé, le maigre contenu de la bassine et des écuelles, les plantes des pieds nus et les sabots crottés du père, puisqu’on réserve l’unique paire au plus indispensable.

On pourrait croire la famille au comble de l’accablement : mais les mains jointes des enfants et du père, qui a enlevé son chapeau par déférence, révèlent la signification de la scène : les pauvres sont les véritables chrétiens, ils disent le bénédicité. Et les arbres se  lisent d’une autre manière, découpant l’arrière-plan en trois zones :

  • la Mère et l’Eglise : la Foi ;
  • le Père et  l’Usine : le Travail ;
  • les cinq enfants et le Village : la Famille.


La logique du pendant

Le matin, le midi et le soir ont perdu ici toute ambition météorologique : le ciel est uniformément gris, la lumière absente, la route glacée, l’herbe pâle, comme si la poudre de craie avait contaminé le paysage. Les trois moments de la journée sont réduits à leur dimension purement animale : manger, manger, manger. Les hottes extériorisent la logique des estomacs qui se vident et qu’il faut regarnir, Sisyphes du Plat Pays  voués à une réitération indéfinie.

sb-line

FREDERIC Leon Triptyque de l'Age d'Or le Matin, Musee d'Orsay ParisLe matin FREDERIC Leon Triptyque de l'Age d'Or le Soir , Musee d'Orsay ParisLe soir

FREDERIC Leon Triptyque de l'Age d'Or le Midi, Musee d'Orsay Paris
Le midi
Triptyque de l’Age d’Or
Léon Frédéric, 1900-01, Musée d’Orsay, Paris

L’Age d’Or constitue une antithèse éclatante de l’Age de Craie : l’éternel bonheur dans une campagne luxuriante au lieu des allers-retours quotidiens dans une plaine désolée.

Frédéric a conservé la vue plongeante et certains principes de composition :

  • le matin, des chevaux s’éloignent sur une route descendante ;
  • le soir, un cheval remonte vers la ferme une charrette débordante de paille, tandis que des femmes rentrent sans efforts des corbeilles de pommes.

Mais ici, le point de référence est inversé : c’est la maison qui reste au premier plan et la route qui est marginalisée. Prés contre terrasse, fleurs contre fruits, chat contre chien, moulin contre meules de foins, bébé qu’on fait voler contre enfant qui fait ses premiers pas : les deux panneaux latéraux affichent des symétries marquées.

Est-ce par référence à sa première oeuvre à succès que Frédéric, vingt ans plus tard, a baptisé ce triptyque Matin, Midi et Soir ? Car les trois panneaux montrent à l’évidence un autre trio :

  • le Printemps avec ses arbres et ses prairies en fleur,
  • l’Eté où les bergers et les moutons innombrables dorment sous la chaleur écrasante,
  • l’Automne, avec ses meules sous le soleil couchant, tandis qu’on fait goûter aux enfants les pommes et les raisins sous la treille.

Le titre est plus profond qu’il ne semble : l’Age d’Or est celui d’une éternité heureuse, où les années passent comme les jours, et où donc le cycle paisible des saisons a remplacé le cycle épuisant des heures.

Une seconde métaphore est à lire dans chacun des panneaux : s’y mélangent, dans une joyeuse harmonie, des enfants, des femmes et un couple de vieillardmatin, midi et soir de la vie.

Mais l’intérêt principal du triptyque est dans ses ellipses : l’Hiver ne nous est pas montré, et le seul homme du tableau (mis à part le vieillard) est le père qui dort dans le panneau central, armé d’une houlette pacifique.

Comme si l’expulsion de la Mort réclamait l’exclusion de l’Homme.



Références :
[2] Cette division en quatre heures du jour sera théorisée plus tard :
« Les artistes ont généralement observé qu’en le divisant en quatre parties, on trouvoit en chacune d’elles et à l’instant déterminé pour chaque division, des contrastes plus décidés, des oppositions plus prononcées et des effets plus distincts. » La représentation d’un orage pour l’heure de midi est également recommandée ».
Pierre-Henri de Valenciennes, Eléments de perspective pratique à l’usage des artistes, suivis de réflexions et conseils à un élève sur la peinture et particulièrement sur le genre du paysage, Paris, Desenne, Duprat, 1800 ; fac-similé, Genève, 1973, 2e éd. augmentée, Paris, Payes, 1820., p. 405-407, 427-456. « (…)
[3] L’étude la plus récente et la plus fouillée, passionnante comme une enquête policière, est celle de Gary Tinterow : »Géricault’s Heroic Landscapes: The Times of Day », Metropolitan Museum of Art, 1990, librement téléchargeable sur le site du MET : http://www.metmuseum.org/art/metpublications/Gericaults_Heroic_Landscapes_The_Metropolitan_Museum_of_Art_Bulletin_v_48_no_3_Winter_1990_1991
[4] Géricault avait pu voir ses oeuvres au Louvre, ou chez Horace Vernet dont il était très proche.
[5] Pour une mise en perspective historique et esthétique, on peut se référer à « Composition du paysage et émergence du sens. La peinture de paysage et l’art des jardins autour de 1800 », Peter Schneemann, Revu germanique internationale, 1997 http://rgi.revues.org/621?lang=en#ftn45
[6] Joanna Szepinska-Tramer, Recherches sur les paysages de Géricault, Bulletin de la Société d’histoire de l’art français, 1973, p. 299-317.
[9] Pour des vues d’artistes du Forum Romain au cours des siècles, on peut consulter : http://www.rome-roma.net/site-rome-art.php?lieu=forum%20romain

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