Profils de femmes modernes

28 mars 2015

Dans son style très graphique, le peintre américain Harry Wilson Watrous s’est fait une spécialité du papier-peint révélateur, en arrière-plan de beautés quelque peu sulfureuses.

Solitaire,

1900, Harry Wilson Watrous, Collection Privée

Harry Wilson Watrous - Solitaire, 1900


Scènes de chasse

Comme dans le tableau de Crane (voir La chasse imaginée), le papier-peint développe un motif de chasse moyenâgeuse, atmosphère que renforce le coffre posé sur le sol.

Dans le registre du haut, devant un château-fort, un archer vise, sans flèche, un cerf poursuivi par un chien.

Dans le jardin du registre inférieur, un serpent se livre à une chasse moins caricaturale : lové en trois anneaux, il attend sa proie (qui pourrait bien être l’archer aux mollets appétissants).


Une femme dangereuse

La composition laisse entendre que la jeune femme, qui se détourne de son jeu de Solitaire pour observer l’arrivant, partage la tactique du serpent : patience, séduction et piqure mortelle.

Le dossier de la chaise, qui l’enferme derrière ses entrelacs complexes, ainsi que les motifs en chauve-souris de la table rouge (1), participent à la mise en garde : cette femme est dangereuse.

harry-willson-watrous-lotos

(1) Cette table existait réellement : on la retrouve  dans Les lotus, typique de l’autre veine de Watrous, la nature morte orientaliste.


Leonard Campbell Taylor Patience 1906

Patience

Leonard Campbell Taylor, 1906, Collection Privée

Pour comparaison, cette autre dame en blanc d’un peintre anglais de la même époque, explore les mêmes harmoniques négatives.


Trois attributs de la Femme Fatale scandent la composition :

  • au premier plan, les narcisses, fleurs toxiques faussement innocentes, développent leur parfum entêtant ;
  • à l’arrière-plan, le haut de forme posé sur le guéridon ne fait pas le poids à côté du mortier et du pilon  ;
  • au centre, les cartes, étalées pour ce qui n’a d’un jeu que l’apparence, prédisent le destin de soumission qui attend le naïf chevalier-servant :

car la carte qui manque est un Valet de Coeur.


Sophistication

Harry Wilson Watrous, 1908 Haggin Museum, Stockton

Harry Wilson Watrous Sophistication, A Cup of Tea, a Cigarette, and She 1908 Haggin Museum, Stockton


 

Un clin d’oeil à Omar Khayyâm

Le titre que Watrous donna à ce tableau lors de son exposition à la Nation Academy of Design en 1908 – « Une Tasse de Thé, une Cigarette et Elle » (A Cup of Tea, a Cigarette), paraphrase et modernise un verset connu des Rubaiyat de Omar Khayyam – “une Jarre de Vin, une Miche de Pain, et Toi » (« a Jug of Wine, a Loaf of Bread – and Thou »).

Ce zeste de Khayyâm rehausse l’impression d’hédonisme, de liberté et de raffinement.


Une déesse autarcique

Le dossier noir aux sinuosités étranges et la table rouge sang reprennent les principes graphiques de la femme blanche de Solitaire. Mais ici, cette déesse autarcique, gantée, corsetée et chapeautée de noir, semble plus occupée à se contenter d’elle-même qu’à attaquer la proie qui passe.


Les tableaux coupés

Harry Wilson Watrous Sophistication, A Cup of Tea, a Cigarette, and She 1908 Haggin Museum, Stockton detail

Sur le tableau de droite, on devine un riche propriétaire en haut de forme, tenant son cheval par la bride, devant une ferme ou une usine à la cheminée fumante : image du Possédant, que daigne frôler le toupet en plume de coq de la belle : quelqu’un à caresser, mais de loin.

Le tableau de gauche montre un paysage de campagne vide, au delà d’une borne : le véritable idéal de cette Femme Moderne : la Liberté.

Les prétendants (the suitors)

Harry Wilson Watrous, vers 1910, Collection Privée

harry wilson watrous_the_suitors_c1910


Une croqueuse d’hommes

Ce tableau reprend de manière plus explicite le thème de la croqueuse d’hommes.


harry wilson watrous_the_suitors_c1910 detailDe son coffre à jouets, la belle a extrait, pour examen, un gentlemen miniature qui la salue chapeau bas.

La robe noire suggère une Veuve qui n’en est pas à son premier milliardaire.


harry wilson watrous_the_suitors_c1910_oiseau

Sur le papier peint, un motif en forme de globe bleu suggère que c’est ainsi que vont les choses sur cette Terre : l’échassier au plumage magnifique et au long bec se nourrit d’insectes choisis.


Harry Wilson Watrus The dregs 1915

Les rebuts (the dregs)
Harry Wilson Watrous, 1915, Collection Privée

Même idée de la Femme Supérieurement Libre qui abandonne à la danseuse et aux femelles enchaînées le vil fretin dont elle ne veut pas : le peintre, le sculpteur et le violoniste.


Charles Dana Gibson s Life illustration The Vanishing Sex

Le sexe en voie de disparition (The Vanishing Sex),
Charles Dana Gibson, illustration pour Life

Charles_Dana_Gibson00Le sexe faible (The Weaker Sex),
Charles Dana Gibson, illustration pour le Collier’s Weekly v. 31 (July 4, 1903), p 12-13

Charles_Dana_Gibson vers 1920Charles Dana Gibson, vers 1920

Nell Brinley American Weekly magazine 25-10-1925_PrudencePrimLes aventures de Prudence PrimIllustrations de Nell Brinley, American Weekly magazine 25-10-1925

Courtesy Giantess Shrine

L’iconographie de l’homme réduit à un jouet miniature, voire à une une sorte d’insecte,  était  très populaire à l’époque. Sur les origines et l’évolution de ce thème qui trouve à l’époque son point culminant, voir La femme et le Pantin.

Enoch Bolles Couverture de Film Fun avril 1924Enoch Bolles
 Couverture de « Film Fun », avril 1924



Jeune femme au miroir

Harry Wilson Watrous,Collection Privée

Harry-watrous-girl-with-the-mirror

La femme se satisfait de son image tandis que sur le papier-peint, à peine distincts du support, des perroquets dorés s’ébouriffent et rivalisent pour lui plaire.

Pour d’autres exemples de volatiles énamourés, voir L’oiseau chéri.



Confidences

Harry Wilson Watrous, 1909, Collection Privée

Harry Wilson Watrous -_1909_Confidences

Puissamment attirante quand elle est solitaire, la femme qui s’associe à une autre forme une sorte de combinaison moléculaire qui expulse toute présence masculine.


Khayyâm comme sous-titre

Le sous-titre de ce tableau détourne, encore une fois, un verset d’Omar Khayyâm : « Some little talk awhile of Me and Thee » peut se comprendre au sens propre comme « Une courte conversation de Moi et Toi ».

Mais replacée dans son contexte, la phrase prend une dimension bien éloignée de la scène de genre du tableau :

Voici la Porte à laquelle je ne trouverai point Clef,
Voici le Voile au travers duquel je ne pus voir : Pourquoi
Quelque temps parla-t-on un peu de Moi et de Toi,
Et plus tard, ne parlera-t-on plus jamais de Toi ni de Moi ?
There was the Door to which I found no Key;
There was the Veil through which I might not see:
Some little talk awhile of Me and Thee
There was–and then no more of Thee and Me.
Omar Khayyâm,Robaiyyat, n° 2
Traduction M Ramasani, Padideh, Téhéran, 1981


En réduisant l’angoisse métaphysique de Khayyâm à un papotage dans une confiserie, Watrous s’incline devant la capacité des femmes entre elles à rendre prosaïque ce mystère (la Porte sans Clef, le Voile impénétrable) qu’elles représentent pour l’homme.


Deux types de femme

Les deux jeunes femmes s’opposent par leur attitude : la brune pérore de manière démonstrative (une main sur le coeur, l’autre sur sa cravache) et la blonde l’écoute avec une attention soutenue (une main suspendue sur la cuillère, l’autre sous l’oreille).

Il est clair que la fille de droite, avec son chapeau d’homme, son habit d’écuyère et son chien sous la table, a l’ascendant sur la blondinette, qui se penche en avant pour boire ses paroles.


Les tableaux coupés

Harry Wilson Watrous -_1909_Confidences-detail
De quoi parlent-elles ? Les trois tableaux coupés nous en donnent quelques indices :

  • sur le premier, des escarpins quittent le sol face à des bottes : sans doute s’agit-il du rêve de la blonde – un homme fort qui la soulève ;
  • sur le tableau du centre, des sabots sous une robe : peut être ce que la brune reproche à la blonde – des ambitions de paysanne.
  • sur le tableau de droite, des jambes d’homme en redingote, des bottes de cavalier, les pattes d’un cheval devant la barrière d’un champ de course : la conception du monde de la brune – miser, cravacher, faire courir.



Seulement deux filles (Just a Couple of Girls)

Harry Wilson Watrous, 1915, Brooklyn Museum, New York

Harry Wilson Watrous Just a Couple of Girls, 1915 Brooklyn Museum

Ce tableau est devenu une icône lesbienne, sans doute non sans quelque fond de vérité : Watrous est connu en effet pour sa prise de position courageuse vis à vis d’une autre revendication de liberté des moeurs, celle du mariage interracial (voir son tableau datant également de 1915 « La goutte sinistre » ou « La goutte de batardise » “The Drop Sinister »: https://ajoconnell.wordpress.com/2010/11/09/the-drop-sinister/)


Deux types de femme

Les oppositions, plus discrètes que dans « Confidence », semblent suivre le même schéma :

  • la fille de gauche, celle qui écoute, est vêtue de manière stricte ;
  • la fille de droite, qui lit un livre de poèmes (pourquoi pas d’Omar Khayyâm), joue le rôle d’initiatrice, avec une plus d’audace vestimentaire : petit bonnet, chemisier fleuri et transparent ; jupe longue qui est peut-être une chemise de nuit.

Toutes deux portent les cheveux courts et ont renoncé au corset : deux filles très modernes pour 1915.

Harry Wilson Watrous Just a Couple of Girls, 1915 Brooklyn Museum detail

A noter la prudence de Watrous dans le maniement de ce thème puissamment explosif : la main qui pourrait caresser les cheveux est posée bien sagement à plat. Et impossible de savoir si la lectrice est assise sur la chaise ou à demi allongée sur le sofa, la jambe droite cachée par sa compagne.


Le papier-peint

Suffragette
Les deux iris violet et jaune font peut être allusion à la bannière violet/blanc/jaune des suffragettes, dont le combat battait son plein en 1915. Si les deux fleurs renvoient aux deux filles, l’iris mauve du côté de l’initiatrice semble logique, puisque cette couleur symbolisait l’homosexualité depuis la décennie 1890.


Harry Wilson Watrous Just a Couple of Girls, 1915 Brooklyn Museum carpe

La carpe koï est un symbole de virilité, mais surtout de persévérance, pour ces deux filles qui remontent courageusement le courant des préférences  ordinaires.

Nourrir l’oiseau

30 décembre 2014

Celles qui donnent à manger à un oiseau peuvent, au choix,  se comporter en mère ou en maîtresse-femme.



La mère nourricière : à la cuillère

Une Jeune fille de Raoux

Jean Raoux 1717

Jeune fille nourrissant des oiseaux
Jean Raoux, 1717, Collection privée

Des procédés théâtraux

Comme souvent chez Raoult, la simplicité apparente est soutenue par des procédés théâtraux élaborés.

La scène  est cadrée  par le rideau vert et la margelle de pierre, les deux éléments minimaux  que Diderot relèvera dans ses conseils aux comédiens :

« Soit donc que vous composiez, soit donc que vous jouiez, ne pensez non plus au spectateur que s’il n’existait pas. Imaginez, sur le bord du théâtre, un grand mur qui vous sépare du parterre ; jouez comme si la toile ne se levait pas » Denis Diderot, Discours de la poésie dramatique (in Œuvres esthétiques , Paris, Ed. Paul Vernière, 1966,p.231)

L’éclairage venant du haut à droite contrairement à la convention courante, met en valeur le visage et les mains, laissant en suspens dans la pénombre un  décolleté  époustouflant.



Jean Raoux 1717 schema
Enfin, des formes circulaires construisent la douceur de la scène.


Des oisillons voraces

La cage pour la main gauche, la baguette pour la main droite, protègent la belle dame du  contact charnel et tiennent en respect la gent aviaire, aigüe, exigeante, batailleuse, impulsive :  toutes les caractéristiques d’une virilité agressive.


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Femme nourrissant des oisillons.
Gravure de F.A. Moilte d’après J.B. Greuze, 1765-90

Cette gravure reprend, mais en contrepied,  la composition de Raoult. Coincé dans le corsage, l’oisillon a pour double fonction d’attirer l’oeil sur le décolleté et, par ce contact charnel, de suggérer un nourrisson-miniature.

De même, la famille nombreuse, dans le nid, tire le thème du jeu de la féminité vers celui  de la maternité.


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Alexandrine Lenormand d’Etiolles jouant avec un chardonneret
Boucher,  1749, Collection privée

C’est le même registre mignard qu’exploite Boucher dans ce portrait de la fille de Mme de Pompadour, ici âgée de cinq ans, jouant  à la petite mère.


La mère nourricière :  la becquée

Ce  thème  présente une intéressante variante, dans laquelle l’oiseau et la femme se bécotent dans une intimité troublante.

1869 Ange Francois Futterung des Papageis

Fille nourrissant son  perroquet
François Ange, milieu XIXème, Collection privée

Le cornet rose posé sur la cuisse explique ce que la jeune femme propose entre ses lèvres à son favori : un bonbon, pour changer du maïs ordinaire. L’église à l’arrière-plan bénit ce baiser contre-nature.

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Femme et enfant (Mother and Child)
Lord Frederick Leighton, 1865, Blackburn Museum and Art Gallery

Deux petits chaussons  au premier plan, deux  petites chaussettes blanches rangées à côté par maman, le tout à peine plus grands que les cerises : ce tableau, qui  semble patauger dans le sentimentalisme victorien le plus gnangnan, s’en dégage par une sorte d’envol dans l’inventivité et la magnificence graphique.

Nous voici allongés sur le tapis surchargé de fleurs et de fruits, partageant l’intimité de la mère et de la fille. Sur le vase chinois, nous remarquons les deux moineaux posés sur une branche, si réels qu’ils semblent se préparer à piquer sur les cerises ; sur le paravent doré, notre regard s’élève le long des pattes entrecroisées de deux grandes cigognes hiératiques.

Comprenons que la mère et la fille, réunies dans ce moment de transgression ludique (maman couchée sur le tapis, c’est moi qui lui donne la becquée) sont toutes deux des Femmes : à la fois ces petits moineaux qui s’amusent à becqueter,  et ces hautes prédatrices qui, une fois relevées ou élevées, du haut de leurs longues pattes, daignent pencher le bec vers nous.


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La Becquée
Elizabeth Jane Gardner Bouguereau, fin XIXème, Collection privée

Comme d’habitude, l’épouse de Bougereau s’ingénie à  pasteuriser les sujets scabreux : la petite fille s’intéresse à la cerise, la grand fille au bec, annonciateur  d’autres bécôts.


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Femme au perroquet
Auguste Toulmouche, 1877, Kunsthalle, Hamburg

A l’époque des faux-culs, que penser de la feuille en forme de coeur qui, tandis que le perroquet fait diversion,  frôle la croupe de la dame, comme pour extérioriser ses charmes cachés ?


auguste-toulmouche-caladium

Il semble que Toulmouche a inversé le couleurs de la feuille de caladium, pour la rendre moins provocante.


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Robert Hope Lady with an exotic birdFemme avec un oiseau exotique
Robert Hope, début XXème, Collection privée
Femme au perroquet 1930sFemme au perroquet, Carte postale, vers 1930

Ces maîtresses-femme, en revanche, narguent leur perroquet de loin.


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Icart vers 1930 femme avec oiseau et grappe

Femme avec oiseau et grappe
Icart vers 1930

Ici au contraire la femme et la colombe communient dans la même ivresse.


Nourrir du bout des doigts

En l’absence du contact buccal – qui impliquait une forme d’intimité –  le thème de la gâterie aviaire illustre le pur rapport de séduction ou de domination.

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Femme nourrissant un perroquet, homme nourrissant un singe
Caspar Netscher, 1664, Columbus Museum of Art

Cette composition ironique montre une double malice, à l’égard des deux animaux qui ressemblent le plus à l’homme :

  • au perroquet, connu pour la force de son bec, la dame tend une huitre molle ;
  • au singe, réputé gourmand, l’homme offre une noix qu’il refuse (depuis le Moyen-Age, la noix est le symbole de la paresse du singe, voir 2 Thèmes médiévaux connexes).

Mais la scène amusante se prête aussi à une lecture grivoise :

  • avec son décolleté et son plumet provocants, la femme est clairement de mauvaise vie ; en donnant une huitre, aliment aphrodisiaque, à son perroquet, oiseau réputé luxurieux (voir – Le symbolisme du perroquet), elle surenchérit dans l’excès ;
  • en offrant une noix, symbole de la virginité coriace, au singe réputé paillard, l’homme se réserve l’usage de la féminité facile.


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Poynter et ses petites romaines

 

Poynter 1893 chloe dulces docta modos et citharae sciens

Chloe, Poynter, 1893, Collection privée

Le sous-titre du tableau renseigne le spectateur latiniste : Chloe… dulces docta modos et citharae sciens

Chloé me gouverne à présent,
Chloé, savante au luth, habile en l’art du chant ;
Le doux son de sa voix de volupté m’enivre.
Je suis prêt à cesser de vivre
Si, pour la préserver, les dieux voulaient mon sang.

Horace Ode III. 9 À LYDIE


Poynter 1893 chloe dulces docta modos et citharae sciens cage Poynter 1893 chloe dulces docta modos et citharae sciens table

Chloé offre deux cerises au bouvreuil  qu’elle vient de sortir de sa cage (un  sommet de la reconstitution gréco-romaine). Mais quel intérêt, pour une musicienne, de s’encombrer d’un passereau peu réputé pour son chant ? A voir la réserve de cerises sur la table, devant la baie grande ouverte sur la mer, on comprend que le bouvreuil-poète préfère la gourmandise  à la liberté  : « Chloé me gouverne à présent ».


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Maîtresse dont la nature féline est révélée par la peau de panthère et par la patte de lion.


Entre le tragique et le comique, l’esthétique marmoréenne des victoriens s’accommode d’un rien de masochisme.


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Sir Edward John Poynter, 1907, Collection privée

Quatorze ans plus tard, Poynter récidive avec une autre romaine dédaigneuse. Lesbia est le plus souvent représentée pleurant son moineau mort, selon le poème de Catulle. Mais elle sert aussi d’alibi littéraire pour montrer simplement une jeune fille flirtant avec un oiseau : fasciné par les lèvres roses, il en oublie les grappes purpurines.


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La tête d’Hermès, sous les roses, représente tous les barbons subjugués par la Beauté.


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Couverture de Vogue, 1909

Pour ce numéro consacré aux tissus, la robe de la femme rivalise de splendeur avec le plumage du paon. La symétrie des couleurs et du  décor en arrière-plan renforce cet affrontement de deux vanités,  dans laquelle la femme a manifestement le dessus : d’une main elle tend un fruit à l’oiseau, de l’autre elle désigne le cadran solaire horizontal qui les sépare. Or le paon, à cause de sa roue, a toujours été associé au soleil.

Il faut comprendre que le bras tendu submerge  l’aiguille dans son ombre. Ainsi la femme prend doublement le contrôle du paon : en le menant par la gourmandise,  et en le coupant du soleil.


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POSTCARD - CHICAGO - EXHIBIT SUPPLY COMPANY - ARCADE CARD - PIN-UP - WOMAN STANDING FEEDING LARGE BIRD - TINTED SERIES - 1920s

Carte postale pour Thanksgiving

Cette enfant tire de son petit panier un symbole sexuel tonitruant : de quoi déconcerter le gallinacé !


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Un piètre substitut (an unsatisfactory substitute)
Alonzo Kimball, carte postale de 1910

Cette illustration  explicite le thème du nourrissage de l’oiseau mâle, tel qu’il va fleurir au début du XXème siècle  : donné du bout de la pince, le morceau de sucre sert de substitut au bécot.


Nu au perroquet, George Bellows, 1915, Collection priveeNu au perroquet
George Bellows, 1915, Collection privée
Reid_Robert_Tempting_SweetsDes bonbons tentants
Robert Lewis Reid,  1924, Collection privée

A gauche, un érotisme de bon aloi exploite le contraste entre la peau blanche et les plumes chatoyantes.

A droite, une certaine hypocrisie hésite entre la bretelle qui tombe et la chevelure  nouée,  entre l’abandon et la maîtrise,  entre la scène chaude et la publicité pour le chocolat.


POSTCARD - CHICAGO - EXHIBIT SUPPLY COMPANY - ARCADE CARD - PIN-UP - WOMAN STANDING FEEDING LARGE BIRD - TINTED SERIES - 1920s

Carte postale aviaire, Chicago, vers 1920

Naïvement sexy, cette carte postale  prouve que l’image de l’oiseau mené par le bout du bec était également comprise dans  les milieux populaires. Là encore le bandeau bleu dans les cheveux signale que la fille garde toute sa tête, même quand elle montre ses jambes.


Bradshaw Crandell A Dinner Date 1938 Calendrier Hoff Man Dry CleaningA Dinner bradshaw crandell what are you waiting forWhat are you waiting for ?
Bradshaw Crandell Lucky BirdLucky Bird bradshaw crandell

Bradshaw Crandell , 1938, Calendrier Hoff Man Dry Cleaning (les trois premiers)

Le thème de la gâterie promise au perroquet permet d’intéressantes variations sur l’attitude et  la robe  de la dame, celles du perroquet restant les mêmes. Sur le caractère à la fois gourmand et galant de l’oiseau, voir  Le symbolisme du perroquet.


L’homme nourricier

Pieter van Noort, L’étourneau apprivoisé, Musée provincial d’Overijssels, Zwolle

Selon l’analyse de E. de Jongh dans son étude classique sur le symbolisme aviaire [1], faire sortir l’oiseau de la cage est ici une métaphore de la perte de la virginité. L' »étourneau » fait allusion à la jeune fille sans cervelle, qui ouvre sa cage à la légère ; mais son sourire moins niais qu’il n’y paraît semble impliquer une certaine collaboration avec le garçon emplumé, qui pince les lèvres pour apprivoiser l’oiseau.


Retrospectivement, cette toile jette une lueur louche sur toutes ces jeunes filles sérieuses que nous avons vues, au début de cet article, titiller l’appétit de leur oiseau : l’instinct maternel ne servirait-il pas de paravent à l’auto-érotisme juvénile ?

 

Lesbia c.1786 by Sir Joshua Reynolds 1723-1792Lesbia, Reynolds, 1786, Tate Gallery

C’est ainsi que cette Lolita donne rêveusement sa pulpe à picorer, en gardant de l’autre main, bien close, la porte de sa cage.


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(c) Paintings Collection; Supplied by The Public Catalogue Foundation

Ganymède et  l’Aigle
Richard Evans, 1822, Victoria and Albert Museum

Le thème nourrit ici une intention homosexuelle assumée. Le beau Ganymède, avantageusement dénudé, tend sa coupe au bec de Jupiter. Discrètement sculptée sur la colonne de marbre, une tête de bélier préside à cette brûlante libation.


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Cupidon et Psyché
1876, chromolithographie, Boston Public Library

Becquée originale, servie en brochette par un Cupidon tout attendri de cette utilisation inattendue de son dard.  Psyché semble envier l’oisillon, pour des raisons qui lui sont propres.


Références :
[1] E. de Jongh « Erotica in vogelperspectief. De dubbelzinnigheid van een reeks zeventiende-eeuwse genrevoorstellingen'(1968-1969) » https://www.dbnl.org/tekst/jong076erot01_01/jong076erot01_01_0001.php

Nourrir des oiseaux

30 décembre 2014

Nourrir des oiseaux, c’est prendre le risque du groupe : on trouvera dans cette  activité des femmes dominantes : beautés aristocratiques, prêtresses,  fermières, ou des petites dames délurées qui ne font pas dans le détail !

Noblement

bourdon_charite_romaine_bayeuxLa charité romaine
Sébastien Bourdon, XVIIème siècle, Bayeux, Musée d’Art et d’Histoire
allegorie-de-la-charite-et-de-lavarice-paulus-moreelse-1620-collection-priveeAllégorie de la charité et de l’avarice
Paulus Moreelse, 1620, Collection privée

Dans une histoire antique, dite de « La charité romaine », une jeune fille allaite secrètement en prison son père, condamné à mourir de faim.
D’où l’allégorie de la Charité, avec son doux sein, et de l’Avarice qui, telle Eve, ne propose qu’une pomme dure.



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Vénus nourrissant ses colombes
Paulus Moreelse, debut XVIIeme, Collection privée

Cette iconographie, propice à exposer des mamelles généreuses, se transpose aisément du vieillard à l’enfant, puis au volatile... auquel le spectateur s’identifie goulument.


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leighton a-girl-feeding-peacocks

 Une femme nourrissant des paons
Lord Frederick Leighton, 1862-1863, Collection privée

Ce tableau, manifestement conçu pour mettre en valeur la magnificence des plumages comparés à celle de la robe, s’inscrit dans la nouvelle esthétique des années  1860 en Angleterre : les paons étaient alors très appréciés aussi bien dans les beaux-arts, dans les arts décoratifs que dans la mode.


Le problème de la queue du paon

Il est possible que cet intérêt ait été réveillé par les discussions sur la sélection sexuelle théorisée quelques années plus tôt par Darwin   : la beauté de la queue du paon s’expliquant par une préférence accrue de la part des femelles (voir Darwin and Theories of Aesthetics and Cultural History, publié par Barbara Larson,Sabine Flach p 45 et ss).
Du coup ce tableau très esthétisant pourrait trouver sa place dans le contexte intellectuel de l’époque : en nourrissant de préférence le paon blanc, la femelle humaine semble faire un pied de nez à la théorie de la sélection sexuelle : la seule queue visible est la blanche, toutes les queues multicolores sont hors champ.

Les pigeons blancs et noirs, qui se servent directement et égalitairement dans le plat, pourraient également ironiser sur la notion de sélection.


La femme maîtresse

Quoiqu’il en soit, un message parfaitement clair du tableau est que l’Homme, par son Art et son Industrie Textile, surpasse les merveilles de la nature ; et que la Femme éclipse tous ces beaux mâles,  qu’elle tient par l’appétit et qu’elle domine par la taille.


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Femme nourrissant des moineaux
Alfred Stevens, 1859, Collection  privée

Situation inversée dans cette scène toute aussi élégante : il s’agit ici seulement de mettre en valeur l’esprit de charité de la belle dame qui donne de sa brioche aux petits mendiants, tout en se cachant derrière le voilage de la fenêtre pour ne pas les effrayer. Un moineau plus audacieux que les autres, tombé de la rambarde, refait le trajet de la miette, de la main au plancher.

La différence de taille (et de classe) exclut ici toute métaphore amoureuse.


fantaisie d'automne Emile Auguste Pinchart 1874 Coll part

Fantaisie d’automne
Emile Auguste Pinchart, 1874, Collection particulière

La  charité féminine ne craint pas, lorsque l’automne menace, de se transporter dans les bois. On remarque au pied nu et à la gorge découverte sans véritable nécessité, qu’il ne fait pas encore si froid que çà. La délectable hypocrisie de la peinture académique taquine ici ouvertement la métaphore : tandis que deux becs attaquent la donzelle  par la paume, deux autres ont pénétré dans son petit panier, obligeamment suspendu au niveau pertinent de son anatomie.


Moritz Stifter Feeding the birds coll part

Femme nourrissant des oiseaux, Moritz Stifter, collection particulière

Le même idée est ici développée plus largement.


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carl-probst-austrian-1854-1924Femme vénitienne,
Carl Probst, 1887, Collection privée
salome-a-la-colonne-gustave-moreauSalomé à la colonne,
Gustave Moreau, 1885-1890, Collection privée

Le sous-entendu est en revanche très édulcoré dans cette belle nourrisseuse, qui combine avec élégance les iconographies vénéneuses de Salomé et de la Courtisane Vénitienne.


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Ray C. Strang Untitled 1930 Coll privee

Jeune fille avec les pigeons de Saint Marc
Ray C. Strang, 1930, Collection privée

Gracieuse harmonie en blanc pour cette jeune fille extatique qui offre aux pigeons rien moins  à becquetter que sa chair virginale sur le marbre, dans cette première  expérience des frémissements  de la chair.


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Une fille nourrissant des colombes
Charles Chaplin, vers 1870, Collection privée

 Par contraste, voici une manière plus modeste de nourrir des oiseaux.  La jeune fille laisse tomber un filet de grains qu’elle tire de son panier. Du coup, on ne comprend pas l’intérêt pratique de ce léger relèvement de la robe, sinon pour montrer ses deux mignons petons aussi blancs que les colombes : zeste de galanterie XVIIIème  qui était le fond de commerce de Chaplin.


Antiquement

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La nourriture des Ibis sacrés dans le temple de Carnac
Edward Poynter, 1871, Collection privée

Ce tableau constitue un des premiers essais d’acclimatation du nu orientaliste français au puritanisme  des des Iles Britanniques.

Tandis que les fumées d’encens montent vers les statuettes du Dieu à tête d’ibis, les vers tombent vers les oiseaux au long bec qui  grouillent aux pieds de la jeune fille, semblables aux lombrics plutôt qu’à Thot.

Moins ragoutant que le nourrissage des paons, celui des ibis avait au moins l’avantage, sous couvert d’égyptologie, de justifier l’étude d’une intéressante poitrine.


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Alethe, servante de l’Ibis Sacré
dans le grand temple d’Isis à Memphis
Edwin Long, 1888, Collection privée, fin XIXème

Ce sujet très précis est tiré d’un poème et d’un roman de Thomas Moore (The Epicurean) : un jeune philosophe grec voyageant en Egypte vers 255 après JC à la recherche de la vie éternelle, rencontre la prêtresse Alethe, qui se convertit au christianisme et finit martyrisée, tandis que le philosophe finit à la mine.



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Presque vingt ans après Poynter, Long se montre moins audacieux en cachant les vers et les seins. En revanche il exploite l’extension des longs becs  pointus de part et d’autre du cache-sexe de la future martyre.


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Une femme nourrissant des flamants
Louis Comfort Tiffany, 1892, Vitrail,   Living room, Laurelton Hall, Long Island, New York

Dans cette oeuvre très esthétisante, le jet d’eau trace sa  verticale entre le lustre et la main nourricière, attirant le regard sur celle-ci.



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De part et d’autre, les verticales des deux colonnes massives se répondent par symétrie, ainsi que la forme en S des flamants et  de la jeune femme accroupie.


A l’opposé des courbures sensuelles de Tiffany, Frederick Stuart Church redresse simultanément les cous des flamants et la posture de la jeune femme.

Standing Woman with Three Pink Flamingos, Frederick Stuart Church 1916

Femme nourrissant trois flamants

Frederick Stuart Church, 1916, Collection privée

L’idée intéressante  est la fragmentation progressive du rouge, depuis la branche en haut à droite puis à celle que tient la jeune fille, puis aux flamants, jusqu’à sa dissolution dans les reflets : comme si la diagonale descendante illustrait le trajet même de la couleur, de la pointe du pinceau à la toile.


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Après ces oiseaux exotiques, passons à ceux qui sont l’emblème de Vénus depuis l’Antiquité : les colombes blanches.

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Cupidon et les colombes
Lord Frederick Leighton, Frise pour la salle de bal
de Stewart Hodgson, Collection privée

Le mieux placé pour les nourrir est bien sûr Cupidon, sensibilisé par sa mère et par ses ailes aux thèmes jumeaux de l’Amour et de la Volatilité.

Le voici quelque peu embarrassé, entrepris de la bouche et de la cuisse par une gent ailée particulièrement frénétique – tel la  rock-star serrée par ses  groupies.


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The corner of the villa, by Edward John Poynter

Le coin de la villa
(the corner of the villa)
Edward Poynter, 1889, Collection privée
 

Le coin en question, véritable catalogue de  la marbrerie gréco-romaine est réservé aux femmes, aux enfants et aux poissons rouges. Et dédié aux volatiles : les mosaïques du fond sont ornées en haut d’une  divinité ailée ; en bas de  perdrix ou de canards (dont l’un mange un escargot). La seule présence masculine est la statue de bronze à l’extrême gauche, tenant une corne d’abondance de laquelle sortent des raisins véritables, sans doute pour être picorés.

Un  pigeon gris se baigne dans la vasque ; une colombe vient de se poser au bord du plat que la très belle jeune fille tient posée sur ses genoux ;  à droite, quatre autres pigeons observent la scène.

On comprend que seule l‘immobilité sculpturale  de cette beauté à la peau d’ivoire a pu rassurer la colombe blanche. Le seul mouvement perceptible est celui de la petite fille nue, qui désigne du doigt l’arrivante.

Dans un vase d’argent est posée une branche d’olivier, symbole de la paix qui règne en ce lieu  protégé.


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Une femme nourrissant des colombes  dans un Atrium
1900, Albert Tschautsch
 

Dix ans plus tard, cette imitation germanique n’a plus rien du hiératisme luxueux qui faisait tout  le charme de la composition de Poynter. Colombes et pigeons se précipitent sur la nourriture, par terre ou dans le plat que tient gauchement la jeune fille. Le garçon qui domine la scène sur la gauche semble attendre son tour pour attaquer le plat de résistance.



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Cette intention est clarifiée par la fresque du fond, qui sépare le garçon et la fille : on y devine une divinité nue debout derrière une vasque,  au jet d’eau péniblement éloquent.


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Une femme nourrissant des colombes
Sabatini, fin XIXème, Collection privée

Autre resucée, à l’italienne cette fois, et sans grande subtilité. Le brasero qui fume est là pour faire antique, ou pour indiquer le sens du courant d’air.  La tête de tigre rugissant coincée sous le canapé fait partie des accessoires obligés des productions bas-de-gamme,  signe distinctif de la femme fatale.

Ce n’est guère l’impression que produit cette bonne fille,  qui tend en souriant une soucoupe aux pigeons comme un bol de cacahuètes pour l’apéro.


Rustiquement

Les paons, les ibis et les colombes tirent le nourrissage vers  le mystique et le sophistiqué. A l’inverse, la becquée des oisillons exalte l’instinct maternel.

Jean-Francois_Millet_-_Spring_Daphnis_and_Chloe_1865 National Museum of Western Art, Tokyo

 Le printemps (Daphnis et Chloë)
Millet, 1865, National Museum of Western Art, Tokyo

Ce panneau fait partie des quatre qui  furent commandés à Millet pour orner la salle à manger du banquier Tomas, à Colmar. Le Printemps justifie le nid, et l’histoire  de Daphnis et Chloë – deux orphelins recueillis dans la même ferme – donne un sens édifiant à la becquée des oisillons : un prêté pour un rendu.



Des détails souriants allègent la charge morale, et ajoutent à cette Pastorale les accents bacchiques qui siéent à un décor de festin :

Jean-François_Millet_-_Spring_(Daphnis_and_Chloe)_1865 detail offrandes

  • la statue goguenarde, le sexe voilé par un bouquet de fleurs, se goberge d‘oeufs – autant qui ne feront pas d’oisillons – et de fromages – autant de lait volé au chevreau qui tête

Jean-François_Millet_-_Spring_(Daphnis_and_Chloe)_1865 detail oiseaux

  • les deux parents légitimes rappliquent à tire d’aile

Jean-François_Millet_-_Spring_(Daphnis_and_Chloe)_1865 detail oisillons

  • les deux enfants-amants font de drôles de binette, à voir l’érection synchronisé des cinq gosiers surexcités.


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La becquée
Millet, 1870, Musée des Beaux Arts, Lille

La maternité magnifiée dans ce tableau de Millet a pour modèle caché l’instinct aviaire :

« Je voudrais que dans la « Femme faisant déjeuner ses enfants », on imagine une nichée d’oiseaux à qui leur mère donne la becquée. L’homme travaille pour nourrir ces êtres là. » Millet, Lettre à un ami.


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Les Amis ailés
Carl Heinrich Hoff l’Ancien, fin XIXèeme, Collection privée

On renoue ici clairement avec le thème de L’oiseau chéri : encore innocente, la jeune fille fait avec ses pigeons ce qu’elle fera plus tard avec ses amoureux : donner la préférence au plus noble (la blancheur) et au plus hardi (posé sur l’épaule).


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Passons maintenant à la catégorie d’oiseaux la moins noble :  la volaille.

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Millet La provende des poules 1853-56 Kofu Yamanashi Prefectoral museumLa provende des poules, Millet 1853-56,Kofu Yamanashi Prefectoral museum Lille_PdBA_millet_la_becqueeLa becquée,Millet, 1870,Musée des Beaux Arts, Lille

C’est en reprenant cette composition  que Millet, 20 ans plus tard, réalisera la Becquée : même mur orné d’un cep de vigne, même courette en longueur hébergeant la volaille et la marmaille, qui est le domaine de la mère.

Au fond, derrière la porte fermé, le père nourricier trime au verger.


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The Farmer's Daughter by William Quilled Orchardson, 1881

La fille du fermier
William Quilled Orchardson, 1881, Collection privée

Cette fille de fermier fait son entrée dans la basse-cour comme sur une scène d’opéra, soulevant sa jupe à la Marie-Antoinette et donnant le bras à son favori, prête à  attaquer son grand air.

Le trajet du grain, de la jupe  à la main, ne nous est pas montré. On ne croirait pas que les pigeons picorent : on dirait qu’ils s’inclinent devant la diva.


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 La fille du fermier
Elizabeth Jane Gardner-Bouguereau, 1887, Collection privée

La seconde épouse de Bouguereau nous livre ici une version plus conventionnelle, et moralement irréprochable : les volatiles au long cou sont relégués sur la marge : et le coq, situé juste sous le filet de grains qui tombe de la main virginale,  est entouré de ses poules en toute sécurité symbolique.

Derrière, la charrette emplie de foin et le toit couvert de chaume rappellent que le bétail, et même les fermiers, dépendent des dons de la nature. Le tronc d’arbre qui, derrière la chute des grains, monte de la terre au toit, matérialise la solidarité des trois règnes.

Cette représentation idyllique de la Nature, relayée par l’Industrie Humaine, répandant sa générosité sur la volaille, fut présentée à l’Exposition universelle de 1889.


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fermiere pinup
« C’est du maïs mais ils aiment çà »
Pinup de Zoë Mozert, vers 1950

Même posture, mêmes couleurs bleu blanc rouge, mais costume plus décontracté chez cette jeune fille moderne, qui apprécie visiblement de n’être entourée que de coqs. Elle sait s’y prendre avec eux pour les garder à ses pieds, en leur donnant le peu qu’ils réclament.


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Edward Runci - “Worth Scratching For

« Ca vaut le coup de gratter »
(Worth scratching for)
Pinup de Edward Runci, vers 1950

Même domination souriante, mais du point de vue des coqs cette fois : ça vaut le coup de se démener  pour plaire à la belle fermière. Celle-ci économise  les grains dans sa jupe relevée, et les lâche au compte-gouttes,  quand et pour quel coq il lui plait.

A noter que le puritanisme autorise à exhiber les jambes, mais pas les cous suggestifs des volatiles : tous ont la tête vers le sol.


Edward Runci pinup annees 1950

Pinup de Edward Runci, vers 1950

Dans ce sommet de transgression candide, une mariée de rêve offre un grain de riz au  pigeon blanc qui fait la roue, tandis que dame Pigeonne regarde ailleurs. Attention, briseuse de couple en action !


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Feeding the Chickens, Antonina Dolinina 1965 coll part

Nourrir les poules
Antonina Dolinina, 1965 , collection particulière

De l’autre côté du monde, le nourrisseuse ne s’abaisse pas vers ses ouailles : elle s’élève au contraire parmi elles, dans une prude communauté prolétarienne.


Le Poittevin, Eugene Charges et Decharges diaboliques. Par un concitoyen, Paris, Guerrier, 1830 extrait planche 12extrait planche 12 Le Poittevin, Eugene Charges et Decharges diaboliques. Par un concitoyen, Paris, Guerrier, 1830 extrait planche 8
extrait planche 8
Lithographies de Eugène Le Poittevin,
« Charges et Décharges diaboliques. Par un concitoyen », Paris, Guerrier, 1830

Tirée au clair depuis bien longtemps, la métaphore nourricière ressurgit ainsi  sporadiquement chez les artistes qui vivent du recyclage, aussi bien sur le Nouveau Continent que sur l’Ancien.


Icart-Le gouter 1927

Le goûter
Icart, 1927

En France, l’idéologie de la belle fermière est bien différente : elle montre beaucoup moins ses pattes,  et prend soin d’approvisionner égalitairement ses chéris. Lesquels tendent le cou avec un ensemble parfait  vers la main – ou vers la jupe relevée – qui les nourrit.


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Le goûter, Icart

Version plus explicite de cet intérêt, dans le cas où la jupe a disparu au cours d’un accident de transport. Ces canards très anthropomorphes s’intéressent au fruit défendu, plutôt qu’aux pêches fessues répandues sur le sol.


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Le petit dejeuner, Icart, 1927

A la ville, les belles femmes captivent plus volontiers les petits chiens.


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Les éléphants, Icart, 1925

…voire des admirateurs improbables.


Icart-Les voleurs

Les voleurs, Icart

Encore un incident de transport. Les pillards se divisent clairement en deux groupes :  ceux qui  se jettent sur le contenu de la corbeille, ceux qui préfèrent celui du corsage.

 
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Les cerises, Icart, 1928

Le message est ici plus subtil : tandis que les moineaux se jettent sur les cerises  rouges du chapeau, un autre genre d’oiseau risque d’avoir l’oeil attiré par le second accessoire de protection et de séduction de la dame  :  l’ombrelle japonaise aux couleurs rutilantes.


Icart Les cerises 2

Les cerises, Icart

Dans ce dernier cas, la femme propose simultanément tous ses fruits à l’avidité aviaire.


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Dernier type d’oiseau pouvant être nourri par une main féminine : l’oiseau sauvage.

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Margaret W. Tarrant Seagulls

Les mouettes (Seagulls)
Margaret W. Tarrant , carte postale, début XXème

On pratique cette activité enfantine sur les plages de la blanche Albion, dès le début du siècle.

Feeding the seagulls in Florida

Femme nourrissant les mouettes en Floride (Feeding the seagulls in Florida)

On la poursuit innocemment au milieu du siècle sur les plages de Floride (avant l’invention du bikini).

Hitchcock the birds

Affiche pour le film « The birds » de Hitchcock, 1963

Après 1963, on ne s’y risquera plus guère, suite à la révélation mondiale du scandale :

Seagulls warning

OUI, les oiseaux peuvent être vicieux !

Le chat et l'oiseau : autres rencontres

27 décembre 2014

Quelques rencontres du chat et de l’oiseau sans intention libidinale

Madonne à la caille

Pisanello, vers 1420, Musée de Castelvecchio, Vérone

Madonna della quaglia - tempera e oro su tavola - Castevecchio
Pas de chat encore dans ce tableau, mais deux espèces d’oiseaux.


Pisanello_1455_Madonna_della_quaglia_Castelvecchio_Verona detail chardonneret 1 Pisanello_1455_Madonna_della_quaglia_Castelvecchio_Verona detail chardonneret 2

Les deux chardonnerets dans le rosier grimpant dont des symboles courants de la Passion du Christ. En effet, ces oiseaux, connus pour leur propension à se nicher dans les plantes épineuses, auraient selon la légende essayé de soulager les souffrances de Jésus en arrachant avec leur bec les épines de sa couronne, d’où la tâche rouge sang sur leur front.

Ils font ici écho aux deux anges dans le ciel, tandis que la caille unique, sur le sol, renvoie manifestement à la figure de l’Enfant.


Pisanello_1455_Madonna_della_quaglia_Castelvecchio_Verona detail caille caille

 

La caille  est avant tout un splendide dessin animalier. La raison de sa présence est peu claire : on en a fait un symbole de l’amour maternel (parce qu’elle s’occupe bien des ses enfants), du Printemps ou de la Résurrection (parce que c’est un oiseau migrateur), de l’obéissance et de la fidélité (je ne sais pas pourquoi),  de la sensualité (parce que son corps est très chaud), de l’abondance et de la Divine providence (parce qu’elle accompagna la manne qui vint rassasier les Hébreux dans le désert , selon Exode 16-1 ou Nombres 11-4).

C’est bien la référence à la manne qui justifie sa présence dans le tableau,  comme l’explique le Christ lui-même :

« En vérité, en vérité, je vous dis : Moïse ne vous a pas donné le pain qui vient du ciel, mais mon Père vous donne le véritable pain qui vient du ciel. Car le pain de Dieu est celui qui descend du ciel, et qui donne la vie au monde… Moi, je suis le pain de vie. Celui qui vient à moi n’aura jamais faim ; et celui qui croit en moi n’aura jamais soif » (Jean 6:32-35).

La caille, qui représente le Pain du Ciel, donc la Chair de Jésus, complète les chardonnerets, qui font allusion à son Sang.


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Vierge à l’enfant avec chat et oiseau
Giovanni Martino Spanzotti, 1475,  Museum of Art, Philadelphia.

La formule de la Madonne au chardonneret se perpétuera longtemps. Celle-ci est remarquable par la présence du fil à la patte, qui en fait un jouet pour l’Enfant Jésus, et par l’apparition du chat, coincé par celui-ci dans le bord du tableau : on comprend que la présence de Jésus met fin aux mauvais instincts du félin.


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Annonciation Maitre silesien vers1500 National Museum Varsovie
Annonciation
Maître silesien, vers 1500, National Museum, Varsovie

Cette autre composition, très  originale, met en présence sur le sol de la chambre, au centre du panneau, un chardonneret côté habitant du  ciel, et un chat blanc côté Marie. Le chat se détourne de l’oiseau ,montrant par là la pacification qui advient.


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Annonciation Cosme Tura
Annonciation, volets de l’orgue de la cathédrale
Cosmé Tura,  1470, Museo del Duomo, Ferrare

La composition rappelle l’idée de Cosme Tura mettant en balance, mais par directement en confrontation,  côté Ange un volatile et côté Vierge un écureuil  (celui-ci, animal qui se faufile facilement,  serait une allusion à l’accouchement sans douleur de Marie, échappant à la malédiction d’Eve [1]).

« Alors que la tradition byzantine, dont l’art italien est issu, répugne à introduire dans l’icône de l’Annonciation des animaux dont la tradition scripturaire ne fait pas mention, la Renaissance, très tôt, introduit une présence animale. Loin de faire courir le risque du divertissement, voire de la perversion, le nouveau bestiaire insuffle au propos imagé une nouvelle dimension symbolique et par là méditative. Cette présence animale relève le plus souvent du détail, notion nouvelle, en correspondance avec l’esprit analytique des Latins. Une démarche inédite se met en place avec l’avènement des mentalités nouvelles promues par l’humanisme renaissant, celle de l’énigme spirituelle, qui ne se substitue pas à la célébration du Mystère, mais qui se met à son service. » [1]


La Vierge au Chat (La Madonna del Gatto)

Barocci, 1575, National Gallery, Londres

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Dans ce tableau privé, destiné au palais du Comte Brancaleoni, Barrocci invente une iconographie originale : Jean-Baptiste brandit un chardonneret, tandis qu’un chat l’observe avec intérêt.


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Blason des Brancaleoni, comtes de Piobbico

Le chat qui se dresse juste sous la croix  en roseau de Saint Jean Baptiste, est peut-être un clin d’oeil amusant aux armes des Brancaleoni



Mais la gravure tirée du tableau comporte un texte en latin, qui donne une justification théologique à la présence des deux animaux.

'La Madonna del Gatto 1577 gravure de Cornelis CortGravure de Cornelis Cort, d’après Barocci, 1577

Jean joue, Jésus le regarde et se tait.
Chaque parent dénote son propre symbole :
celui-là ramène à  l’homme expulsé du paradis ;
celui-ci pense déjà à assister  l’expulsé.
Ludit Joannes, tacitus miratur JESVS.
Utriusq notat symbolu uterq parens,
Ille refert hominem paradisj e limine pulsum,
Quam ferat hic pulso jam meditatur opem.Fedricus Barotius Urbinensis Inventor.


En montrant le chardonneret au chat,  l’enfant Jean Baptiste annonce aux prédateurs de tous poils que l’harmonie primitive du Paradis Terrestre va bientôt être restaurée, grâce au sacrifice de l’Enfant qui sourit en tétant sa mère.

Ainsi les deux animaux, le chardonneret et le chat, font entrer dans cette scène familiale une douce note tragique.


Invention si charmante qu’on en retrouvera encore un écho, au XIXème siècle, dans cette scène paysanne hors de tout contexte religieux.

Amusing Baby Zampighi, Eugenio
Pour amuser bébé, Eugenio Zampighi



A noter que l’iconographie habituelle du chat dans les Saintes Familles  fait plutôt allusion à la légende médiévale, selon laquelle une chatte avait accouché en même temps que Marie, comme dans cette autre oeuvre de Barocci :

Barocci_Madonna_della_Gatta 1596 Musee des Offices

Madonne à la Chatte,
Barocci, 1595-1600, Musée des Offices, Florence.


La Sainte Famille avec sainte Anne, sainte Elisabeth

et le petit saint Jean-Baptiste

Frans Floris (et atelier), 1654, Musée de Hazebrouck

Frans FLORISLa Sainte Famille avec sainte Anne, sainte Élisabeth et le petit saint Jean-Baptiste


Une invention

La signature « S. D. b. d. : F F. inve. et pxt 1564 » souligne l’originalité de cette iconographie : « Frans Floris a inventé (INVenit) et peint (PiXit) »


Sainte mais complexe

L’invention concerne Sainte Elisabeth, à la fois tante et cousine de Marie, qui apparaît deux fois dans le tableau :  celui-ci a donc pour objectif de résoudre graphiquement une équation familiale  compliquée.

Frans FLORISLa Sainte Famille avec sainte Anne, sainte Élisabeth et le petit saint Jean-Baptiste schema
Dans le coin en haut à droite du tableau s’entassent Anne,  son mari  Joachim qui a pour frère  Zacharie , lequel  est le mari d’Elisabeth. L’unique homme du tableau est donc un mari interchangeable, celui  des deux frères que l’on voudra : l’important est de montrer qu’Anne et Elisabeth sont deux femmes âgées, deux belles-soeurs de la même génération.

Le reste du tableau, sous la couronne de l’ange, revêt un caractère sacré : c’est le lieu des deux naissances miraculeuses, celle de Jean Baptiste précédant celle de Jésus. Ici Elisabeth n’est plus la tante, mais la cousine de Marie : deux mères d’exception partageant la même aventure.


La saynette animale

Pour  un regard moderne, les animaux du premier plan figurent la paix universelle que promet la venue de l’Enfant-Jésus :

  • le chien n’attaque plus le chat,
  • le chat n’attaque plus le perroquet.

Un regard pieux y verra plutôt une double métaphore, dans laquelle un symbole marial, le perroquet (voir -Le symbolisme du perroquet ) voisine avec un symbole christique : la grappe de raisin.

Un regard de théologien en conclura que Marie, d’une manière ou d’une autre, « mange » son propre fils.  De même qu’Elisabeth, tante et cousine, court-circuite les générations, de même Marie se trouve être à la fois la mère du Christ et la première chrétienne.

Un regard plus simple remarquera  que la saynette animale reproduit la scène principale : de même que Sainte Elisabeth embrasse l’Enfant-Jésus, le perroquet baise la grappe avec respect :

la Pureté faite femme rend hommage au Fruit prodigieux,

tandis que la Luxure (le chat) regarde ailleurs.


Artiste misanthrope et quelque peu sceptique sur l’innocence enfantine (voir L’oiseau envolé ), Adriaen Van Der Werff nous propose ici le spectacle moralisateur d’une double cruauté.

Enfants jouant avec un chat

Adriaen Van Der Werff, fin XVIIème

Adriaen Van Der Werff Two Children Playing With A Cat Holding A Bird In Its Jaws

 

Les enfants étaient censés nourrir l’oisillon  (voir la paille dans le bol). A la place, c’est le chat qui le mange.

Cette image forte cultive plusieurs paradoxes, plusieurs Vanités à méditer :

  • le nourri devient nourriture,
  • le favori devient proie,
  • l’objet chéri devient chair, 
  • le jeu devient drame.

Le chat blanc, innocent car sa cruauté est naturelle, est mis en parallèle  avec l’enfant lui aussi habillé de blanc, dont le rictus est équivoque entre l’effroi et le surexcitation. Qu’il ait commis la faute involontairement ou pas importe peu, car le désordre qu’il a causé est biblique : le prédateur s’est emparé de ce qui était interdit. L’enfance est ici présentée comme l’âge de l’infraction.


Un tel sujet ne pouvait pas sortir du néant : Van des Werff l’a développé à partir des oeuvres de son maître, Eglon van der Neer :

Children with Birdcage and Cat / E. H. v. d. Neer / Painting Deux enfants avec un chat et une cage à la fenêtre, Eglon van der Neer , 1675-1679, Staatliche Kunsthalle Karlsruhe Portrait-dune-femme-inconnue-avec-un-serviteur-Eglon-van-der-Neer-ca.-1677-1683-Museum-Kunsthaus-Heylshof-WormsPortrait d’une femme inconnue avec un serviteur Eglon van der Neer ca. 1677-1683 Museum Kunsthaus Heylshof, Worms 

Le même thème y est traité, mais avec moins de cruauté : sans doute les deux enfants fermeront-ils la cage au dernier moment, pour se moquer de la frustration du prédateur.

Dans la version féminine, la jeune maîtresse joue son rôle habituel de pacificatrice entre ses protégés.


Chat guettant un oiseau

 Pieter van Slingelandt ,fin XVIIeme, Musée des Beaux Arts, Rennes

Pieter van Slingelandt Chat guettant un oiseau fin XVIIeme Musee des BA Rennes

 

 Ce n’est pas seulement le pot à oiseaux qui est suspendu au clou, mais l’ensemble de la composition : à ce dernier instant juste avant le saut et l’envol, le quadrupède qui décolle  fait contrepoids  au volatile qui marche.  Et l’oeil jouit, dans cet effet combiné de suspension et de suspens,de la fragilité d’un équilibre sur le point de se rompre.


Les Enfants à la Cage

Le Nain, milieu XVIIème,  Staatliche Kunsthalle, Karslruhe

Le nain Les Enfants à la Cage

Ce tableau semble fait tout exprès pour déjouer les interprétations. Sa gravure par Elluin s’intitule  « Le voleur trahi »,  titre de circonstance sans doute  inspiré par la main du garçon posée entre le chat et la cage. Mais cette tentative d’élucidation reste partielle : comment le chat aurait-il ouvert la cage fermée,  ne serait-ce pas  un des enfants qui a volé l’oiseau ou l’a laissé s’échapper ?

Deux d’entre eux  portent des vêtements sans déchirures et semblent d’un meilleur niveau social ( le garçon à la toque de fourrure et la fille assise par terre). Sont-ils les propriétaires de la cage, les deux autres étant les maîtres du chat ?

Trois personnages regardent vers la terre (le garçon à la toque, la fille de gauche et le chat)  : signe de culpabilité ou de douleur ? Le chat pourrait très bien regretter un compagnon emplumé.

A moins qu’il ne s’agisse, en plus  cryptique, du même message moralisateur que celui de Van der Werff :

les petits d’homme  ont, par la cruauté originelle de l’espèce, fait bouffer un  de leurs favoris par l’autre.

La position des objets rajoute à la confusion  : la cage, symbole féminin de séduction (retenir l’amoureux)  est située entre les deux garçons ; la baguette, symbole masculin de domination, est située entre les deux filles : comme si Le Nain nous dissuadait de  nous aventurer sur la voie des interprétations sexuées.

Le Nain-Christies

Les Enfants à la Cage,
Le Nain, milieu XVIIème,  Collection privée

Cette autre version n’apporte pas d’éléments de comparaison décisif : les gestes des quatre enfants sont exactement les mêmes.  La nature morte du premier plan est plus fournie : à la miche de pain et à la cruche  s’ajoutent des plats, et un grand pot. La scène s’est passée de l’extérieur à l’intérieur, mais il s’agit toujours d’une ruine.



Le nain Les Enfants à la Cage-charrette detail

La charrette
Le Nain, 1641, Louvre, Paris

Ce détail d’un tableau bien plus célèbre montre le même appentis sommaire adossé à un mur ruiné.
C’est dans ce décor dévasté – celui de la région de Laon au temps des Le Nain, qu’il faut  peut être chercher la « moralité » du tableau.


Une maison en ruine, un tonneau vide, une cage vide, un animal familier disparu :

« On pourrait se demander si Le Nain ne fait pas connaître à ces enfants tout simplement la perte d’un objet d’amour, et l’expérience du deuil, sans qu’il soit besoin de recourir à la fiction de la faute sexuelle. » Démoris, Esthétique et poétique de l’objet au dix-huitième siècle, Presses Univ de Bordeaux, 2005, p35


Autoportrait avec sa femme

Giuseppe Baldrighi, après 1756, Galleria nazionale di Parma

baldrighi_autoportrait

Dans ce tableau privé, le peintre de cour se représente dans son luxueux atelier, en train de corriger la pose du modèle :  Adelaide Nougot, la belle et riche américaine qu’il a épousée.

Son portrait, à peine ébauché à la craie, est placé  sur le chevalet, derrière la banquette : sans doute le peintre va-t-il le déplacer vers l’avant, à côté de la boîte à peindre fermée et des pinceaux propres, pour commencer la séance. Le chat de la maison, qui n’ a pas compris que l’oiseau fait partie du décor, a sauté sur les genoux de la dame,  incident imprévu qui insuffle  un peu de vie dans cet ordonnancement très officiel.

On peut aussi considérer que le tableau ne représente pas un moment précis, mais constitue plutôt un portait en gloire de Baldrighi posant au peintre devant ses oeuvres anciennes et futures (le tableau « Hercule délivrant Prométhée » et le portrait  en cours), entouré des preuves de sa réussite : sa femme, ses animaux, son mobilier.



baldrighi_autoportrait pinceaux
Les pinceaux  déployés font écho à l’éventail  de la dame :

 nécessaire de peinture  contre accessoire de beauté,

l’habilité technique rend hommage à l’art de séduire.



Les enfants  Graham

William Hogarth, 1742, National Gallery, Londres

Hogarth_1744 Graham Children

Dans ce portait de famille, un chat est également utilisé en tant qu‘élément de surprise  : mais son irruption va ici bien au delà d’une simple astuce narrative.



Hogarth_1744 Graham Children chat oiseau
A droite, Richard, sept ans, tourne  la manivelle d’une serinette (voir La douce prison ), qui déclenche le chant du bouvreuil en cage, lequel déclenche l’arrivée du chat.



Hogarth_1744 Graham Children_bebe
A gauche, bébé Georges tend la main vers les cerises que lui propose sa grande soeur Henrietta, neuf ans. Il est assis dans une voiture d’enfant ornée d’une colombe dorée qui bat des ailes.



Hogarth_1744 Graham Children horloge

Au dessus de lui, sur l’horloge, un Cupidon doré brandit une faux, un sablier posé à ses pieds. Il faut savoir que la réalité tragique rattrapa la scène plaisante: Bébé Georges mourut avant l’achèvement du tableau. Et les deux  ornements dorés, la colombe et l’enfant-ailé, font allusion à sa petite âme figée dans son envol,  à son petit corps fauché avant l’heure.



Hogarth_1744 Graham Children oiseau oiseauJPG
Bébé Georges, qui tend ici  la main vers sa dernière nourriture terrestre, était l‘oiseau chéri de la famille, plein d’amour comme la colombe, de gaité comme le bouvreuil…  mais guetté par un prédateur implacable .


L’occasion fait le larron (Opportunity Makes a Thief)

Charles Joseph Grips, 1875, Collection privée

Charles Joseph Grips. (Dutch, 1825-1920) Opportunity Makes a Thief 1875

Dans les maisons hollandaises, même le désordre fait rangé : le tapis est roulé, la chope couchée sur le plat pour éviter la casse, pendant que la domestique balaie.

Nous sommes chez un artiste cossu, à voir la presse incrustée d’ébène  à laquelle un drapé de satin rose est accroché.

Petite astuce visuelle : on pourrait croire que, pour se rapprocher du canari, le chat a grimpé sur cette presse. En fait, il est assis sur un objet posé en avant, sur la table,  dissimulé sous le drapé (une grande boîte ?), ce qui justifie le titre.



Intérieur domestique

Charles Joseph Grips, 1881

Charles_Joseph_Grips_-_A_Domestic_Interior,_1881

Dans cette version simplifiée, la servante n’a laissé que son balai, la pelle et le baquet pour expliquer le remue-ménage. Le grand pot de porcelaine chinoise est monté sur la chaise, changeant de place avec la chope couchée dans le plat. Le drapé est devenu doré, illuminé par la rayon de soleil en oblique.

La fascination réciproque du prédateur pour sa proie est momentanément interrompue : le chat a tourné la tête vers un intrus – la servante qui vient reprendre son balai, ou  le spectateur.



L’atelier de l’Artiste

Charles Joseph Grips, 1882

Charles_Joseph_Grips_-_The_Artist's_Studio,_1882

Dans le bric-à-brac habituel, le chevalet, à demi voilé par un drapé bleu, a remplacé la presse pour justifier le titre.

Dessus, sur un tableau à peine esquissé, nous retrouvons  la servante, occupée à peler des légumes devant une cheminée. Astuce visuelle : le manteau de cette cheminée virtuelle prolonge le manteau de la cheminée réelle, dans la pièce de l’arrière-plan :

l’Art du Peintre traverse les murs !



Inconscient de ces raffinements, le chat de la maison contemple le canari en cage, qui le contemple d’en haut, en toute sécurité.

Dans la pièce du fond, le rayon  de lumière qui tombe en diagonale jusqu’au sol matérialise le désir du félin :

mettre à terre la proie aérienne.



La tétée

Charles Joseph Grips, 1849, Collection privée

Charles Joseph Grips Feeding the baby 1849

Dans cette oeuvre plus ancienne, pas de ménage en cours. L’ordre naturel règne : la mère nourrit son bébé, le chat veut croquer  le poulet, accroché par précaution à une sorte de suspension en fer forgé. Faute de mieux, Minet se contente de pourchasser la pelote, tombée juste à l’aplomb du poulet.

Enfant dormant dans son berceau

Charles Joseph Grips, Collection privée

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Cinquième apparition du même chat noir et blanc, cette fois couché  sur une chaufferette,  à côté  d’un berceau dans lequel un bébé dort. Dans le couloir du fond, la mère lève les bras pour nourrir l’oiseau en cage.

En séparant le couple fatidique du chat et l’oiseau, la composition remplace le thème convenu du tableau précédent – la nourriture – par un thème plus original : celui du soin. La mère au pied de la cage et le chat au pied  du berceau  remplissent la même fonction :

l’une veille sur le petit oiseau, l’autre  sur le petit homme.

L’oiseau domestique (the pet bird)

Charles Joseph Grips, 1874, Collecion privée

Charles_Joseph_Grips_The-Pet-Bird

Dans cette composition fortement charpentée, nous retrouvons le même mobilier : la presse (cette fois vue de côté), la chaise et la table à deux plateaux du peintre, ici reléguée à la cuisine.

Victime aviaire de substitution, un canard mort (nourriture humaine) a libéré le canari (nourriture féline) de son statut de proie :  plus de chat dans les parages..

Du coup, le  dialogue vertical a changé de sens : l’oiseau favori se trouve désormais en contrebas d’une prédatrice d’amour, sa maîtresse qui le contemple d’un air songeur. D’un index elle porte l’oiseau, de l’autre elle désigne sa propre joue, soulignant leur affection réciproque.

Le Lever

Balthus, 1975-78, Collection particulière

Balthus Le lever

Il est paradoxal que l’artiste qui a certainement la plus exploité l’affinité entre la jeune fille et le chat, ait toujours prétendu que la recherche du moindre symbole était vaine : « un chat est un chat  et c’est bien suffisant ».
Ainsi, il faudrait voir seulement ici  une jeune fille manipulant un  oiseau mécanique, tandis qu’un chat intéressé jette un oeil  hors  de son panier.

On ne peut s’empêcher de penser que Balthus brouille délibérément les pistes en prenant à rebrousse-poil ses classiques :

  • il « cagifie » le panier, ce qui  « oisifie » le chat et tend donc à  en faire un symbole viril ;
  • inversement,  il féminise ce prototype absolu du petit mâle séducteur qu’est l’Amour Victorieux de Caravage.


Amor_Vincit_Omnia-Caravaggio_(c.1602)L’Amour Victorieux, Caravage

Remarquons que le jouet mécanique synthétise exactement ce qui a été retiré à l’Amour  : ses ailes, et son petit oiseau.

On pourrait dire que Balthus s’amuse à pousser Caravage aux limites :

il castre son Amour Victorieux tout en virilisant le chat, autrement dit la jeune castratrice.


Grande composition au corbeau

Balthus, 1983-86, Collection particulière

balthus great-composition-with-corbel

Les jambes de la jeune fille épousent toujours la posture de l’Amour Victorieux, mais ses bras sont ici ouverts en croix, désignant d’un côté le corbeau noir perché sur l’étagère, de l’autre trois éléments placés au pied du lit : un tabouret, un panier fermé par une planche, un chat gris couché par terre.  A gauche, un homme miniature, nu, vu de dos, porte une cage.

On peut voir ici un assemblage purement onirique, ne réclamant pas d’interprétation. Cependant cette composition semble destinée, telle les tâches du test de Rorschach, à déclencher un sens face à différents types de regards : d’où peut être l’adjectif « grande ».


Le corbeau menaçant

Ceux qui voient dans le corbeau noir un symbole sinistre  – d’autant plus qu’il vient de la gauche –  penseront que le petit homme se porte héroïquement  au devant de cet oiseau menaçant , pour le prendre au piège et préserver la tranquillité du chat qui dort, et donc la pureté de la jeune fille.

Ceux qui notent au contraire l’attitude épanouie de celle-ci, accueillant à bras ouvert le corvidé,  auront le choix entre deux types d’interprétations positives.


Le corbeau mystique

Les amateurs de spiritualité relèveront que le corbeau, symbole de mort, est aussi depuis les romains le symbole du futur et de la divination (car son croassement, « Cras », signifie « demain » ). Pour eux, la jeune fille, aux marges du sommeil, serait en proie à une sorte d’extase, de révélation mystique : à laquelle l’homme, collé à la terre par sa petite taille, encombré par la cage de ses certitudes, ne peut participer autrement qu’en spectateur distant.


Le corbeau lubrique

Les amateurs de sexualité trouveront cette extase mystique bien joyeuse : en désignant le tabouret, le panier inoffensif et le chat qui dort, la jeune fille invite l’oiseau sauvage à venir se poser sur le premier, puis sur le deuxième, sans risque de se faire dévorer par le troisième : appel à la liberté de l’orgasme, auquel l’homoncule, athlète ridicule tout juste bon à transporter sa propre cage, ne peut participer autrement qu’en voyeur impuissant.


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Références :
[1] « Le bestiaire de l’Annonciation : l’hirondelle, l’escargot, l’écureuil et le chat », Michel Feuillet, Revue Italies, Décembre 2008, https://italies.revues.org/2155

– Le symbolisme du perroquet

27 décembre 2014

Le perroquet est un exemple parfait de symbole à deux faces, selon qu’il se situe dans un contexte profane ou dans un contexte sacré. [1]


Face  Hide : un sacré gaillard !

Un amateur de vin

Jan Steen 1663-65 Les effets de l'intempérance National Gallery

Les effets de l’intempérance
Jan Steen, 1663-65, National Gallery


Cette réputation remonde à l’Antiquité :

Il devient insolent quand on lui fait boire du vin . Aristote, Des animaux; Livre 8, chapitre 14, 12

Le vin surtout le met en gaité, Pline, Histoire naturelle, livre X, chapitre 56

De plus, il est allergique à l’eau :

« Il habite les côtes orientales ou indiennes. Il vit sur la montagne Gilboa, en raison de la sécheresse, car il meurt s’il pleut abondamment sur son plumage ». Physiologus


Couder Louis Charles Auguste La captivite de Vert-Vert La mort de Vert-Vert, Couder Louis Charles Auguste, vers 1830, Musée de Beauvais Mallet 1810-20-attrib-Vert-vert coll privVert-Vert, Jean-Baptiste Mallet (attr.), 1810-20, collection privée

Ces deux images s’inspirent « du « spirituel et malicieux » poème « Vert-Vert » publié en 1734 par l’amiénois Jean-Baptiste Gresset (1709-1777), qui connut un grand succès, depuis sa parution jusqu’au milieu de XIXème siècle. Ce poème raconte l’odyssée d’un talentueux perroquet élevé dans la dévotion par les Visitandines de Nevers ; admiré pour son vocabulaire recherché, il est ainsi envoyé aux Visitandines de Nantes par la Loire. Au cours du voyage, il s’imprègne du langage grossier des bateliers et de certains passagers (moine paillard, filles de joie), qu’il s’empresse d’utiliser devant les sœurs de Nantes ; celles-ci, horrifiées par la verdeur des propos, le renvoient à Nevers, où les sœurs, après l’avoir jugé, le mettent en pénitence au cachot, le condamnant au jeûne, à la solitude et au silence. Enfin revenu à de meilleures manières, le volatile pécheur est alors pardonné, puis si généreusement récompensé qu’il meurt d’une indigestion de dragées, « bourré de sucre et brûlé de liqueur ». » [1a]


Pochard et paillard

 

« Comme le dit Aristote, il boit volontiers du vin et c’est un oiseau excessivement luxurieux. Ce n’est pas étonnant, puisque dans le vin est la luxure. »

Thomas de Cantimpré, De naturis rerum, Livre V (De avibus), CIX

Ut dicit Aristoteles, vinum libenter bibit, et est avis luxuriosa nimium. Nec mirum, quia vinum libenter bibit, vinum in quo est luxuria.

« Le perroquet est d’une telle flatterie qu’il veut souvent embrasser une personne qu’il connaît, lorsqu’il est à la maison. Mais si on place devant lui un miroir, comme Narcisse, il se laisse tromper par sa propre image, et tantôt heureux, tantôt triste, simulant les gestes d’un amant, il semble désirer le coït. »

Alexandre Neckham, De Naturis Rerum Libro Duo, ed. Thomas Wright, Rolls Series XXXIV (London, 1863), p. 88.

Psittacus tantae etiam adulationis est, ut hominem osculari sibi notum frequenter velit cum domesticus est. Admoto autem speculo instar Narcissi propria deluditur imagine, et nunc laetanti similis nunc dolenti, gestus amantis praetendens, coitum appetere videtur. 


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Le perroquet des Jardins d’Amour

A la fin du Moyen-Age, un graveur germanique très original, Maître ES, met le perroquet au service de l’ironie et du sous-entendu. L’idéal courtois est largement écorné, au profit soit d’un discours moralisateur contre les faiblesses de la chair, soit d’une intention érotique, voire les deux simultanément.


Maitre ES Petit Jardin D'Amour Staatliche Graphische Sammlung Munich Maitre aux banderolles Fountain_of_Youth Albertina detail

Petit jardin d’Amour
Maître E.S., 1460-67, collection Schedels, Münich

Dans la partie gauche, un couple mature se livre à une étreinte rapprochée. La dame au double hennin, avec son regard entendu vers le spectateur et la bourse qu’elle porte à sa ceinture, est possiblement une prostituée ([2], p 110).

Dans la partie centrale, deux jeunes gens se regardent de loin. Le damoiseau tripote de la main gauche le manche de sa dague ; la demoiselle tient de la même main son perroquet, à la manière d’un faucon : deux attitudes qui parodient trivialement les nobles manières. Entre les deux, la gourde mise à refroidir dans la fontaine évoque l’ivresse des sens à venir. Au dessus, un fou joue de la cornemuse – métaphore en ce temps des parties viriles (voir ZZZ). On peut imaginer que le perroquet est son émissaire à l’oreille de la belle, redoublant par son babil la séduction de la musique.

Dans la partie droite, le couple manquant, que l’on peut reconstituer grâce à une copie, s’abandonnait à une étreinte nettement plus audacieuse (ce pourquoi sans doute il a été coupé) : la dame ne porte pas de coiffe et se laisse retrousser la robe.


Maitre aux banderolles Fountain_of_Youth AlbertinaLa Fontaine de Jouvence
Maître aux Banderoles

Non content de recopier les trois couples, le Maître aux Banderoles a développé l’idée du perroquet superviseur des galanteries. Perché à droite de la fontaine, du côté de ceux qu’elle a revigoré, il les salue en ces termes :

Ô noble et fleurissante jeunesse

O nobilis floridaque juventus


1460-70 Master ES les musiciens a la fontaineMusiciens à la fontaine
Maître E.S., 1460-67

Les deux amoureux communiquent non plus par le regard, mais par le concert de leurs instruments. Juste devant la gourde, le perroquet trempe le bout de son bec dans la fontaine, geste dans lequel Janez Höfler ([2], p 109) voit une allusion à la copulation. C’est plutôt un clin d’oeil humoristique : en attendant de pouvoir accéder au vin, l’oiseau se contente de l’eau, tout comme le couple de la musique.


Un substitut de l’Amoureux

Wenzel von Olmutz, Lute Player, 1481-1500, The British Museum,

Wenzel von Olmütz, La joueuse de Luth, 1481-1500, British Museum

En l’absence de son amoureux, la musicienne s’entraîne à charmer son oiseau favori : non sans succès, puisqu’il lui amène dans ses griffes un anneau.
Texte en allemand du Sud :

J’ai trop envie de toi, mon cher amour crois-moi

och mich vrlaget zir dv gros mein libes, lib noch dir das gelavb mr vor vns


Un luxurieux et un voyeur

1450-68 Maitre_ES_L.213_Fou_et_jeune_fille_au_miroirLe Fou et la jeune fille au miroir, Maitre ES, 1450-68 Niederrhein. Mstr., Der LiebeszauberLe Philtre d’Amour (Der Liebeszauber), vers 1480, Meister des Bonner Diptychons , Museum der Bildenden Kuenste, Leipzig

Dans la gravure de gauche, le perroquet se combine avec le miroir comme attribut de la Luxure, qui déboutonne de la main gauche le col du Fou, lequel en perd son pantalon [2a]. Son regard vers la femme nue redouble celui du Fou dans le Miroir, introduisant un nouveau vice qui, dans les pays germaniques, vient compléter la panoplie  : le voyeurisme.

Dans le tableau de droite, on retrouve la même association entre perroquet, miroir et mateur.

Pour une analyse plus précise de ce tableau, et pour d’autres perroquets dans l’oeuvre du Maître ES, voir Une vieille histoire.


1632-1702 Nicolaes van Lijnhoven , dapres Andries BothGravure de Nicolaes van Lijnhoven d’après Andries Both, 1632-1702

Cette gravure fait partie d’une série de paysans dansants, dans des attitudes comiques et plus ou moins obscènes. Ici l’oiseau qui sort sa tête par la braguette est accompagné d’objets au symbolisme équivalent : la plume plantée dans le turban, les saucisses et le couteau suspendu dans son étui. La gravure complète porte en bas les vers suivants :

di que c’est a mon perroquet
de faire entendre son caquet


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L’attribut de la Femme fatale

Portrait dit de Maguerite de Navarre Walker Art Gallery Portrait dit de Maguerite de Navarre Walker Art Gallery detail

Portrait dit de Marguerite de Navarre, vers 1527, Walker Art Gallery

S’opposant vertement à l’interprétation habituelle du tableau, Anne-Marie Lecoq [3] propose qu’il s’agisse du portrait d’une courtisane :

« Le petit Cupidon bandant son arc sur l’enseigne du chapeau concorde assez bien avec cette interprétation, de même que le perroquet vert, symbole amoureux. Une chose est sûre en tout cas: on ne peut imaginer un seul instant Marguerite de Navarre se faisant portraiturer avec ces attributs, dans ce costume à la fois italien (la résille) et hispano-nordique (le chapeau), et fortement décolleté. Il y a là une impossibilité tenant aux mœurs générales de l’époque (Marguerite était, en 1527, à la fois veuve et reine) et au caractère particulier de la sœur du roi, grave et dévote femme s’il en fut. L’histoire de l’art, et tout particulièrement celle du portrait, exige un minimum de psychologie de la part des historiens. »


Jan Massys 1566 The Ill-matched Pair National Museum, Stockholm.

Le couple mal assorti
Jan Massys 1566, National Museum, Stockholm

Le vieillard a posé sur la table ses cadeaux – un coupe avec des pièces d’or et une broche – et la courtisane le remercie en l’embrassant. L’entremetteuse est contente et la vieille passante rigole.

Les deux animaux imitent les deux principaux protagonistes :

  • à droite, le vieux singe tente de croquer la pomme ;
  • à gauche, le perroquet tient entre ses griffes une amande qu’il vient de casser.

Jan Massys 1566 The Ill-matched Pair National Museum, Stockholm detail
Sa griffe gauche tient l’amande comme la main gauche de la fille tient le crâne de sa victime, tandis que l’entremetteuse fait le geste obscène de la figue (voir – Faire la figue).


Angelo Jank La Femme au Perroquet 1898La Femme au Perroquet, Angelo Jank, 1898

L’iris rubicond du gourmand répond à la pomme tentatrice que lui tend sa maîtresse, nouvelle Eve.


norman lindsay femme au perroquet 1917

Femme au perroquet, Norman Lindsay, 1917

Ce favori délicat se sustente du bout du bec, tandis que sa maîtresse se satisfait du bout du doigt.


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Georg Erler, 1925

Ce bavard surexcité, dont les couleurs et le plumage exubérants font contraste avec le chemisier noir et la demi-nudité de la jeune fille, est par elle remis à sa place.


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La Folie, la Vanité

Le fait que le perroquet reproduise à la perfection la voix humaine, mais sans comprendre ce qu’il dit, a pu en faire, très marginalement, une figure de la Folie (un discours insensé) ou de la Vanité (une Merveille, mais qui ne sert à rien).


La série des Avares (SCOOP !)

Les Avares, Ecole de Marinus van Raymerswaele (1548-51) Hampton courtLes Avares, Ecole de Marinus van Raymerswaele (1548-51) Hampton court

On connaît une soixantaine de variantes de ce thème très populaire au XVIème siècle [3a], dont la chronologie et l’interprétation sont très discutées. Dans un article récent, Larry Silver [3b] a bien souligné les aspects contradictoires de la composition. Les visages sont caricaturaux et les vêtements archaïques, ce qui pousse à une lecture critique de ces professionnels de l’argent. Les différentes inscriptions, parfaitement lisibles, sont en revanche contemporaines de la peinture, et permettent de distinguer deux types de métiers pour l’homme de gauche : ici un changeur (il écrit une série de taux de changes pour les pièces de monnaies, taux correspondant à la plage 1548-51), dans d’autres variantes un collecteur d’impôt (il écrit une liste de taxes, bien réelles, dont il assure la perception). L’homme de droite, avec sa bourse vide, est alors soit un assistant du changeur, soit un contrôleur chargé de vérifier la collecte.

Les lunettes sont typiques de cette ambiguïté, puisqu’on peut y voir tout aussi bien un indice négatif (la courte vue) que positif (l’application, le scrupule).

Quant au perroquet, qui apparaît ici hors de ses contextes habituels, il a été interprété par Sigrid et Lothar Dittrich comme un symbole de la Folie [3c] , ce qui forcerait à adopter la lecture négative de ces manipulateurs d’argent, ruinant la subtilité de la composition [3d].


Quinten-Massys-Les-collecteurs-dimpots-fin-des-annees-1520-Collection-LiechtensteinLes collecteurs d’impôts ,
Quinten Massys, fin des années 1520, Collection du prince de Liechtenstein, Vaduz

Pour Larry Silver, le prototype serait cette composition, qu’il attribue à Quentin Massys. L’atelier de Marinus van Raymerswaele l’aurait recopié une vingtaine d’années plus tard, en accentuant les aspects caricaturaux (comme s’est souvent le cas lorsqu’il recopie Massys) et en remplaçant, de manière énigmatique, les ciseaux par le perroquet.

On peut remarquer que ces ciseaux, avec leurs poignées, s’inscrivent entre deux objets homologues : les lunettes et les deux sceaux qui, sur l’étiquette à l’intérieur de la boîte de poids de Cologne, certifient leur exactitude. Poids, ciseaux et lunettes sont ainsi trois instruments professionnels positifs.

A contrario, on peut remarquer que les ciseaux se situent à l’aplomb d’une boîte à sable posée sur la table (nécessaire d’écriture permettant d’absorber l’encre) et en pendant des ciseaux à moucher, sous la bougie en train de s’éteindre. Sable; bougie qui s’éteint et ciseaux (de la Parque) constituent trois symboles de la Mortalité, auquel on peut sans doute ajouter la porte qui s’entre-baille, laissant entrer un courant d’air fatal pour la bougie.



Jan_Provoost_-_Death_and_the_Miser Groeninge Museum, Bruges

Jan Proovost, vers 1515, Groeninge Museum, Bruges

Mon interprétation de cette série de tableaux est donc celle d’une Vanité, reprenant de manière allusive le sujet de l’Avare et la Mort, que Jan Proovost avait traité de manière explicite dans deux revers de triptyques (voir La mort recto-verso : diptyques, triptyques). La moralité serait en définitive : « Tiens tes comptes scrupuleusement, car la Mort viendra à son heure ». D’où l’insistance sur la vieillesse caricaturale du changeur/collecteur, et l’index menaçant de son « assistant » à la bourse vide, qui personnifie la Mort et la reddition terminale des comptes.

Dans cette lecture, le perroquet surenchérit assez naturellement sur les ciseaux : perché derrière l’homme et inspectant ce qu’il écrit, il est à la fois un symbole positif (l’application, la reproduction fidèle) et un symbole de Vanité (il ne comprend rien).


Autres exemples

Veronese 1573-the-feast-in-the-house-of-levi Gallerie dell'Accademia , VeniseLe festin dans la Maison de Levi (détail)
Véronèse, 1573, Gallerie dell’Accademia , Venise

Cet immense tableau, dont le titre initial était La Cène, donna lieu à un procès devant l’Inquisition à cause des nombreux détails profanes ou triviaux du premier plan, notamment le Fou tenant un perroquet. Véronèse invoqua la liberté de l’artiste de meubler sa composition par de multiples personnages et formes décoratives, à la manière de Michel-Ange dans son Jugement dernier. Finalement, Véronèse dut corriger certains détails et rebaptiser le tableau en Festin dans la Maison de Levi, inscrit en bonne place sur la balustrade.


Adriaen van Utrecht Nature morte au perroquet 1636 Musées royaux des Beaux-Arts de Belgique, BruxellesNature morte au perroquet
Adriaen van Utrecht, 1636, Musées royaux des Beaux-Arts de Belgique, Bruxelles

Le perroquet sépare l’atelier de l’Alchimiste et une table couverte d’orfèvreries précieuses, ornées de scènes religieuses (Abraham et Melchisédech) ou mythologiques. L’oiseau symbolise à la fois la Folie de l’Alchimiste et la Vanité des richesses.



Jacob_Jordaens_-_Cleopatras_Feast_-_WGA11990Le Banquet de Cléopâtre
Jacob Jordaens, 1653, Musée de l’Ermitage, Saint-Pétersbourg (Russie) [4]

« Il y avait deux perles, les plus grosses qui eussent jamais existé, l’une et l’autre propriété de Cléopâtre, dernière reine d’Égypte; elle les avait héritées des rois de l’Orient. Au temps où Antoine se gavait journellement de mets choisis, Cléopâtre, avec le dédain à la fois hautain et provocant d’une courtisane couronnée, dénigrait toute la somptuosité de ces apprêts. Il lui demanda ce qui pouvait être ajouté à la magnificence de sa table ; elle répondit qu’en un seul dîner, elle engloutirait dix millions de sesterces. Antoine était désireux d’apprendre comment, sans croire la chose possible. Ils firent donc un pari. Le lendemain, jour de la décision, elle fit servir à Antoine un dîner, d’ailleurs somptueux –il ne fallait pas que ce jour fût perdu-, mais ordinaire. Antoine se moquait et demandait le compte des dépenses. Ce n’était, assurait-elle, qu’un à-côté ; le dîner coûterait le prix fixé et seule, elle mangerait les dix millions de sesterces. Elle ordonna d’apporter le second service. Suivant ses instructions, les serviteurs ne placèrent devant elle qu’un vase rempli d’un vinaigre dont la violente acidité dissout les perles. Elle portait à ses oreilles des bijoux extraordinaires, un chef-d’œuvre de la nature vraiment unique. Alors qu’Antoine se demandait ce qu’elle allait faire, elle détacha l’une des perles, la plongea dans le liquide et lorsqu’elle fut dissoute, l’avala.»  Pline IX 119-121

Marc-Antoine se trouve en situation d’infériorité dans le tableau : face à lui le numide qui apporte le vinaigre, un dignitaire en turban, et un fou qui place son perroquet au dessus de la reine, soulignant son extravagance. Les deux chiens ont également une signification :

  • le grand, dont la tête frôle le manche phallique de l’épée , symbolise Marc-Antoine dans son état antérieur : amoureux mais libre ;
  • le petit, lové en position foetale dans le giron de la Reine d’Egypte, représente son état suite à son pari perdu : soumis et diminué.

Face  Jekyll : un petit Ange !

Une métaphore christique

Le Physiologus et les premiers théologiens chrétiens voient une métaphore christique dans la manière dont on apprend à parler à un perroquet. En effet, on place le perroquet devant un miroir, qu’il regarde, tandis que par derrière un homme lui parle. De même le Christ, bien qu’il soit le fils de Dieu, a pris forme humaine pour enseigner à l’homme la langue de Dieu :

« L’homme qui veut apprendre à parler à un oiseau
Se cache derrière un miroir, quand il enseigne.
Si l’oiseau se tourne vers la parole,
il voit sa propre image
et pense que c’est un ami qui lui parle…
Ainsi le Christ s’est transformé en un Etranger pour enseigner :
c’est à travers l’Homme qu’il a parlé à l’Homme. »

(Hymne d’Ephrem le Syriaque).


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Un oiseau oriental et paradisiaque

Mappa Mundi d'Ebstorf (vers 1300) detailLes Indes, Mappa Mundi d’Ebstorf, vers 1300 (détail)

Pline précise bien que le perroquet vient des Indes. Soit à proximité du Paradis terrestre dans les cartes médiévales.


1467 Master ES St Jean Evangeliste British MuseumL’apparition de la Vierge à Saint Jean l’Evangéliste 1460-70 Master ES Ste Marie madeleine British MuseumL’enlèvement de sainte Marie Madeleine par des Nages

Maître ES, 1460-70

Maître ES multiplie les perroquets, aussi bien dans un contexte profane que dans un contexte sacré, où ils prennent une acception contraire à celle des Jardins d’Amour : ici le trio de perroquets accompagne les deux saints dans leur expérience mystique, et contribue à sacraliser le paysage. De même, on voit sept perroquets dans la gravure représentant la stigmatisation de Saint François.


1460-70 Master ES La chute de l'hommeLa Chute de l’homme
Maître ES, 1460-70

Nous sommes après la Chute, comme le montre la pomme tombée au sol. Dans une sorte d’anticipation du Déluge, un fleuve coupe désormais le Paradis en deux, et les êtres se regroupent par couples :

  • du côté des humains, des prédateurs : lion et lionne, deux faucons sur le rocher ;
  • du côté de Dieu, des couples d‘oiseaux pacifiques : faisans, perroquets, canards (l’un plongé à l’envers dans l’eau).

Plantés telles des sentinelles à la frontière du monde divin, les perroquets apparaissent ici comme les antithèses de leur prédateur, le serpent grimpé dans l’arbre, trois plumes hérissées sur sa tête. Dürer se souviendra de ce détail, ainsi que de l‘antagonisme entre perroquet et serpent, dans sa propre gravure sur le même thème (voir 3 La Chute de l’Homme.).


1628-29 Peter_Paul_Rubens_-_Adam_and_Eve,_after_Titian PradoAdam and Eve, 1628-29, Rubens, Prado

En recopiant la Chute de Titien, Rubens rajoutera un perroquet rouge derrière Adam, le bec dressé contre l’enfant à queue de serpent. Il sert ici d’antithèse domestique au renard sauvage qui, aux pieds d’Eve, symbolise la fourberie du démon.


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La Sobriété

Sobriete et gloutonnerie 1295 Somme le Roi Bibl. Mazarine - ms. 0870 fol 179r IRHTSobriété et gloutonnerie, 1295, Somme le Roi, Bibl. Mazarine, MS 870 (IRHT)

La Sobriété porte en triomphe le Perroquet et foule aux pieds l’Ours glouton, lequel regarde tristement en direction du banquet tandis que l’oiseau modèle n’a d’oeil que pour sa maîtresse. La source de l’image est très certainement les Amours d’Ovide, un texte dont il existe de nombreux manuscrits médiévaux. Le poète y fait le panégyrique du perroquet mort de Corinne :

« La moindre nourriture te rassasiait, et tu aimais trop à babiller pour aspirer sans cesse après des aliments. Une noix faisait ton repas ; quelques pavots t’invitaient au sommeil ; quelques gouttes d’eau étanchaient ta soif. «  Ovide, Amores 2,6


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La Pureté

On disait que la femelle perroquet fait son nid en direction de l’Orient, où il ne pleut pas, et ne peut donc pas être souillée par la boue.[5]

D’où sans doute la comparaison de Conrad de Wurtsbourg (mort en 1287) dans un poème à Marie :

« Ainsi que cet oiseau, sans jamais s’exposer ni à la pluie ni à la rosée, resplendit dans sa parure comparable à l’herbe fraîche , ainsi Notre – Dame a toujours conservé sa fraîcheur virginale » , Conrad de Wurtsbourg, Goldenen Schmiede


van-eyck-kanonikus-van-der-paele-madonna-christuskind-papagei

La Madone au Chanoine Van der Paele (détail)
Van Eyck, 1434-36, Groeningemuseum, Bruges

C’est cette symbolique qui, pour la plupart des historiens d’art, explique la présence du perroquet au beau milieu de ce très célèbre tableau [6].


Liber precum, Anglais, 1415-40 BNF Latin 1196 fol 113v detail Liber precum, Anglais, 1415-40, BNF Latin 1196 fol 113v

Ici c’est en tant que messager extraordinaire qu’il figure dans la marge. Sa banderole adresse à la Vierge les mots « memento finis », rapelle-toi de la Fin, qu’il faut comprendre ici comme une avertissement à Marie de la fin tragique de son Fils :  le geste de toucher le pied de l’Enfant, à l’endroit de sa future blessure, est une autre manière classique de signifier la Prémonition de la Passion (pour d’autres exemples, voir La Sainte Famille de Nuit).

En pendant du perroquet, la colombe ne peut pas ici évoquer l’Esprit Saint, en raison de sa couleur grise.


Liber precum, Anglais, 1415-40 BNF Latin 1196 fol 113v
Il faut se reporter aux banderoles, aux deux bouts de la verdure, pour comprendre que ce pigeon gris porte un autre message tragique, cette fois destiné au lecteur :

Souvenez-vous du

« Deum time » (Crains Dieu)

remembrez

deum time


Liber precum, Anglais, 1415-40 BNF Latin 1196 fol 113v singe coccinelle
Juste à côté, le singe mirant un urinal et la coccinelle menacée par un oiseau sont, sous l’apparence de drôleries anodines, des allusions à la Maladie et à la Mort.



Deux variations sur la Pureté

Le perroquet rouge de Carpaccio

carpaccio perroquet rouge
Le perroquet rouge apparaît dans trois cycles très différents – la Vie de la Vierge, la vie de Saint Georges et la vie de Saint Etienne – et dans des épisodes très différents : il est donc impossible qu’il ait une valeur symbolique unique.

On remarque en revanche des similitudes formelles fortes :

  • il est placé au premier plan ;
  • il est apparié avec un quadrupède rapide (lapin ou lévrier).

Les deux dernières occurrences fonctionnent par autocitation :

  • présence en bas d’un escalier ;
  • fleur dans le bec de l’oiseau (dans le cas de Saint Etienne, un enfant tend aussi une fleur sous le museau du chien).

Comme le remarque Herbert Friedmann [8], le perroquet rouge est une pure invention de Carpaccio : les Lori unicolores n’ont été découverts que deux siècles plus tard. Pour en trouver la source, il faut remonter à sa toute première apparition, quinze ans auparavant, dans l’oeuvre de Carpaccio.



carpaccio 1490 ca Meditation sur la Passion National GalleryMéditation sur la Passion, Carpaccio, vers 1490, MET

Dans cette composition extrêmement originale :

  • à droite Job prend la parole (comme le montre son index tendu), croisant les jambes au dessus d’un crâne ;
  • à gauche Saint Jérôme reçoit sa parole (main sur le coeur) au dessous de deux livres : le Livre de Job (avec les nombreux signets) et son propre Commentaire sur Job ; on notera deux inventions bizarres, le chapelet de vertèbres et le pommeau de la canne en forme de main ;
  • au centre le Christ descendu de la croix est assis sur un trône en ruine (Israël).

A ce tableau sans titre, on a donné le nom de « Méditation sur la Passion« , car le Livre de Job, comme le démontre notamment Saint Jérôme dans son Commentaire, est en bien des points une anticipation de celle-ci.



carpaccio 1490 ca Meditation sur la Passion National Gallery detail 1
Dans la littérature surabondante sur ce tableau très intellectuel, le perroquet rouge n’a guère été commenté. On aurait dû remarquer sa symétrie avec le lion, attribut de Saint Jérôme. La composition nous indique clairement que le perroquet rouge doit être compris comme l’attribut, inventé ad hoc, de « Saint Job » (la sanctification de San Giobbe est un particularisme vénitien). Inutile de chercher ailleurs un équivalent : les représentations de Saint Job sont rarissimes.

Le lion, blessé par une épine, puis guéri par saint Jérôme, est souvent compris comme une métaphore de celui-ci, sauvé par ses mortifications au désert. Le perroquet rouge doit donc être une métaphore de Job, purifié par ses souffrances.



carpaccio 1490 ca Meditation sur la Passion National Gallery detail 2
Une autre symétrie vient alors à notre aide : opposé en diagonale au perroquet rouge, on trouve un autre oiseau au symbolisme très connu : le chardonneret, qui doit sa tâche rouge au fait de s’être posé sur la couronne d’épines, en la prenant pour un chardon.

Le perroquet rouge est en fait un perroquet rougi, à la fois par les souffrances de Job et par celles du Christ (il est posé entre la plaie à la main et la couronne d’épines).

Ainsi trois compagnons saignants (le lion blessé, le chardonneret tâché et le perroquet rougi) accompagnent discrètement trois hommes qui chacun ont vécu leur Passion [9].



carpaccio 1490 ca Meditation sur la Passion National Gallery schema
D’où le fait qu’il n’y a pas de dichotomie, comme on l’a prétendu, entre un arrière-plan dramatique côté Saint Jérôme et un arrière-plan pacifié côté Saint Job : mais deux moments d’une même Passion : le cerf poursuivi par un léopard, puis rattrapé parce que son chemin est bloqué par un loup. [10]

La logique suivie par Carpaccio devait être assez transparente pour ses contemporains :

  • à l’époque, tous les perroquets sont verts, et symbolisent la Pureté de Marie et/ou le Renouveau ;
  • le perroquet rougi symbolise la purification et la rénovation par le Sang.

Cette invention ayant dû être remarquée, Carpaccio l’a reprise ensuite de loin en loin, hors de son contexte initial, en clin d’oeil aux amateurs.


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Un symbolisme cumulatif

Peter Paul Rubens, hans skola: Susanna och gubbarna..NM 596

Suzanne et les vieillards, copie d’après Rubens, vers 1624, Nationalmuseum, Stockholm

Cette copie d’après un tableau perdu de Rubens propose une lecture amusante à plusieurs niveaux. On voit rapidement que les trois statues renvoient aux trois protagonistes : les deux faunes aux deux vieillards lubriques, l’amour nu avec son urne abondante à Suzanne. Le perroquet surnuméraire s’exclut de ce jeu d’écho (il a probablement été rajouté par une main facétieuse, puisqu’il ne figure ni dans le dessin préparatoire ni dans la gravure de Paulus Pontius de 1624).

En première lecture, il se pose comme l’emblème chatoyant de la Chasteté de Suzanne  ou tout aussi bien comme celui de la Luxure des vieillards. En deuxième lecture, sa position sur la margelle et son plumage ébouriffé évoquent plaisamment sa Propreté, ou tout aussi bien sa phobie aquatique. Enfin, dans une troisième lecture, son œil intéressé ajoute une touche aviaire au thème principal du tableau, le voyeurisme, celui des vieillards comme celui des spectateurs.


jordaens Suzanne et les vieillards Lille musee des beaux arts
Suzanne et les vieillards
Jacob Jordaens, 3e quart 17e siècle, Lille, Palais des Beaux-Arts.

Cette irruption du perroquet dans le thème n’est pas tout à fait unique : Jordaens affuble également Suzanne de ce symbole ambivalent, en pendant au paon de la coquetterie et du chien qui défend mollement sa maîtresse.


Autres significations classiques

Le salut à l’Empereur

« Il salue les empereurs, et prononce les paroles qu’on lui a apprises » Pline


 1287-ca-Lippische-Landesbibliothek-Ms.-70-Der-Naturen-Bloeme-folio-74r.Charlemagne et le perroquet
Der Naturen Bloeme, vers 1287, Lippische Landesbibliothek, Ms. 70 fol 74r

« Alors que Charlemagne errait dans les déserts de Grèce, il fut accueilli par des perroquets qui le saluèrent comme en langue grecque en criant : « Bonjour, empereur ! ». Conclusion qui peut être considérée prophétique, puisque à cette époque Charles n’était que roi des Gaules, et ne devint empereur des Romains que plus tard. » Thomas de Cantimpré, De naturis rerum, Livre V (De avibus), CIX [10a]


Andrea_del_sarto,_tributo_a_cesare,_1519-21Villa MediciTribut à César
Andrea del Sarto,1519-21, Villa Medicis, Rome

Il est possible que le perroquet, en bonne place dans cette composition, soit une allusion savante à cette ancienne légende de la salutation impériale, tout en ajoutant sa touche colorée aux cadeaux exotiques reçus par César (dindon d’Amérique, singes, girafe des Médicis à l’arrière-plan).


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Le Salut à la Vierge

« Il a une grande langue , plus large que celle des autres oiseaux . De là vient qu’il prononce des mots articulés , au point que , si on ne le voyait pas , on croirait entendre parler un homme. Il salue naturellement en disant « Haue » ou « Khaire » » Isidore de Séville

C’est sans doute parce que le cri du perroquet évoque le mot grec pour « Salut ! » que Pline, puis Isidore de Séville, ont compris qu’il disait Ave.


Franciscus de Retza Defensorium inviolatae virginitatis Mariae 1485-90 incunable imprimeur Hurus Saragosse
Defensorium inviolatae virginitatis Mariae, Franciscus de Retza, 1485-90, imprimé par Hurus, Saragosse

Si un perroquet peut dire ave par nature, pourquoi une vierge pure ne peut enfanter par l’ave ?

Isidore de Séville, Etymologies, Chap 7

Psitacus a natura, si ave dicere valet, qoare virgo pura per ave non generaratet

Pour la plupart des auteurs de traités zoologiques du Moyen Age, c’est parce que le perroquet était capable de prononcer le mot AVE qu’on le considérait comme le prophète de l’Annonciation : puisque l’Ave Maria avait déclenché la conception miraculeuse de la Vierge, il était logique que cette scène-culte de la parole  performative soit associée à notre spécialiste du Langage.


Heures 1425-59 BM Boulogne sur Mer MS 0089 fol 36 IRHTAnnonciation, Heures (Bruges), 1425-59 ,BM Boulogne sur Mer, MS 0089 fol 36, IRHT

Cette miniature cumule les exceptions : Annonciation inversée (l’Ange à droite) et présence très intrusive de la donatrice, qui correspond probablement à un souhait personnel de maternité (voir 7-4 Le cas des Annonciations inversées).

Motif assez fréquent dans les bordures ornementales, le perroquet est ici convoqué en tant qu’alter-ego de l’Ange, juste en dessous du mot AVE.


Annunciation_Anonyme Lucca_c1500 Bode Museum BerlinAnnonciation, Anonyme (provenant de Lucques), vers 1500, Bode Museum, Berlin

Pour souligner son statut de messager, le perroquet est perché au dessus de l’Ange, et un livre dans un étui bleu est suspendu à son perchoir.


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L’Eloquence

 

Cicero, De imperio Cn. Pompei vers 1450 BNF Latin 7782 fol 1r.Cicero, De imperio Cn. Pompei ,vers 1450, BNF Latin 7782 fol 1r

Ce n’est pas par hasard que deux perroquets verts encadrent le frontispice de ce traité de Cicéron.


Jean Clouet 1518 Portait de Francois Ier en saint Jean-Baptiste Photo (C) RMN photo Rent-Gabriel OjedaPortrait de Francois Ier en saint Jean-Baptiste
Jean Clouet 1518 Photo (C) RMN photo Rent-Gabriel Ojeda

Le roi tend l’index vers l’Agneau, dans le geste classique de Saint Jean Baptiste annonçant la venue du Christ (voir 1 L’index tendu : prémisses). Le parallèle avec Saint Jean Baptiste s’explique par plusieurs circonstances, politiques et biographiques (François I étant né d’un couple dont on redoutait la stérilité).

La présence du perroquet est en revanche plus controversée. Anne-Marie Lecoq [11] réfute l’idée qu’il saluerait le roi en tant qu’empereur (celui-ci étant l’ennemi des rois de France). Le plus probable est qu’il fait allusion à l’« éloquence cicéronienne » que chacun reconnaissait au jeune roi.

Un argument supplémentaire est que le perroquet se substitue au compagnon aviaire de Saint Jean Baptiste, la colombe : l’éloquence du monarque ne craint pas de se comparer à celle qu’insuffle directement l’Esprit Saint.


Ripa Icologia edition de 1603 p 127Ripa, Icologia, édition de 1603, p 127.JPG

A partir de Ripa, l’oiseau devient le symbole officiel de l’Eloquence, représentée par une jeune fille avec une cage ouverte, et un perroquet posé dessus : « parce que l’éloquence ne connait pas de limite, son but étant de savoir parler de manière probable sur n’importe quel sujet »


Perroquet eloquenceArticle Perroquet,Hieroglyphiques de Jean-Pierre Valerian, 1615 [12]

L’oiseau met ici sa liberté de parole au service de la propagande.


Goya 1799 Quel bec d'or !Que_pico_de_oro Caprices No 53Quel bec d’or ! (Que pico de oro)
Goya, 1799, Caprices No 53

Il s’agit ici de fustiger « les orateurs qui se copient avec des auditoires d’idiots » [12a].


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La Docilité

Aux XVIIème et XVIIème siècles, le perroquet introduit sa touche colorée dans d’innombrables portraits, d’enfants, de couples, ou de la famille tout entière. Il forme très souvent un heureux contraste avec l’autre favori obligé, le petit chien  : plume contre poil, exotisme contre domesticité, hiératisme contre dynamisme. Voir Le perroquet et le chien

En particulier, dans les portraits de jeunes enfants, il fait souvent allusion à l‘éducation idéale, à savoir l’imitation obéissante  :

Quand on lui apprend à parler, on lui frappe le bec avec une baguette de fer; autrement il ne sent pas les coups. Pline, Histoire naturelle, livre X, chapitre 56

Ripa en fait un emblème de la Docilité :

Elle porte sur sa tête, avec une belle grâce, un Tarochino (espèce de perroquet) ou une Pie, car ces oiseaux sont très dociles dans l’imitation des mots et de la voix humaine ; Tarochino dont Monsìgnor della Casa dit : « Joli petit oiseau aux plumes vertes, Quel pèlerin, qui apprend notre langue ». Ripa, Iconologia, 1618 [12b]


1642 Jacob Cats Maeghde WapenFrontispice du poème Les Armes de la Vierge (Maeghde Wapen)
Jacob Cats, édition de 1642 de Houwelick (Le mariage)

Au centre la tulipe assaillie par les abeilles illustre ce qui menace les jeunes Vierges. A gauche la Docilité (leersucht) a pour emblèmes un perroquet et un chien qui fait le beau, à droite la Simplicité (eenvoudicheyt) arbore quant à elle un pigeon et un agneau [12c]. A noter que le perroquet, cette fois en cage, apparaît dans un autre emblème de Cats avec un sens différent : celui du captif heureux de son sort [12d].


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1628 Jan Anthonisz van Ravesteyn (Dutch painter, 1572-1657) Young Boy with a Golf Club and Ball

Portrait d’un garçon avec un club de kolf et une balle
1628, Jan Anthonisz van Ravesteyn (attr), Collection privée

Ce portrait amusant joue sur les motifs en noir et blanc qui harmonisent le damier du manche, les pointillés de la balle, le pelage et le collier du chien, avec la robe et le bracelet du garçon. On devine sur la chaise deux baguettes de tambour, et derrière la crinière d’un cheval de bois.

En mettant strictement en parallèle, d’un côté l’enfant, de l’autre les deux animaux plantés aux deux extrémités d’une même verticale, la composition nous livre une vérité d’évidence :

le perroquet est du côté du manche, le chien est du côté de la balle.

Si le chien représente l’enfance brute, terre à terre, toute en pattes et en énergie, le perroquet sans membres visibles – grosse tête et corps atrophié surplombant les opérations – figure l’enfant bien élevé, qui a appris à parler, sait se tenir et mène son jeu :

le couple du perroquet et du chien fonctionne comme la tête et les jambes.



Princesse inconnue avec un perroquet Cercle de Frans Pourbus le Jeune 1620

Princesse inconnue avec un perroquet
Cercle de Frans Pourbus le Jeune, 1620, Collection privée [13]

Le tableau joue sur le mimétisme, en orange et vert, entre les tissus rutilants et le plumage de cet Amazone à tête jaune, une espèce renommée comme un des plus douées pour apprendre à parler. Outre son caractère d’objet d’importation luxueux, le perroquet a donc peut-être ici une valeur d’exemple, ou de récompense, pour une princesse incitée à être aussi docile que lui.

 


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Le Toucher

Tactus, Gravure de Cornelis Cort d’après Frans Floris I, 1561

Dans la seconde moitié du XVIème siècle, la popularité du perroquet en Hollande lui vaut de s’intégrer dans les séries des Cinq Sens comme représentant le Toucher, s’ajoutant ainsi aux autres animaux emblématiques de ce sens, l’araignée, la tortue ou l’escargot (non présent ici).

Il se semble pas que cette promotion lui vienne de sa manière très humaine de manger en portant une griffe à son bec, mais plutôt de la précision de celui-ci : l’oiseau est représenté becquetant sans la blesser les doigts de sa maîtresse, dans une sorte d’ennoblissement du moineau de Lesbie chanté par Catulle [13b].


Scorpius irata tactus dat vulnera cauda allegorie des sens, le toucher Martin de Vos L attouchement. Recueil Recueil de figures de la Bible de Jean Mes Vers 1590-1591Allégorie des sens, le Toucher : Recueil de figures de la Bible de Jean Mès
Martin de Vos, vers 1590-1591

Un nouvel animal s’ajoute à la thématique :

Si on le touche, le scorpion irrité blesse avec sa queue

Scorpius irata tactus dat vulnera cauda 


Le Toucher, serie des Cinq sens, Crispin de Passe, 1590-1615, VandA
Le Toucher, série des Cinq sens, Crispin de Passe, 1590-1615, Victoria and Albert Museum

Après le toucher vient l’acte

Post tactum factum

Et maintenant, gros Jorglein, qu’est-ce qu’il y a, comment mors-tu mon petit oiseau ?

Mon doigt sait probablement mieux lequel a mordu l’autre

Wie nun , plumps lorglin , was sols sein , wie beiẞt du so das vöglin mein ?

Mein finger solchs wohl besser wissen , Wer ein den andern hab gebissen

Tout en reprenant les codes de l’Allégorie du Toucher, la légende développe un sous-entendu grivois, qui à trait à l’acte (sexuel) et à la déconfiture du « doigt » du garçon.


Loin de la Hollande, Ripa remplace le perroquet, le bec et le doigt par un emblème moins exotique et plus noble : le faucon, les griffes et le bras :

Le toucher : une femme avec le bras gauche nu, sur lequel se tient un faucon, qui la serre avec ses griffes ; et par terre on fera une tortue. Ripa, Icologia, édition de 1593

Cette formule aseptisée et peu réaliste (quelle fauconnière oublierait son gant) n’aura guère de succès, et le perroquet perdurera.


Allegorie du toucher Abraham Janssens II, Le Jeune 1630-40 coll partAbraham Janssens II, Le Jeune, 1630-40, collection particulière Tactus anonyme RijksmuseumGravure anonyme, Rijksmuseum

Allégorie du Toucher


Le Toucher (détail de l'Allégorie des Cinq Sens) Gerad de lairesses 1668 Glasgow MuseumAllégorie des Cinq Sens (détail), Gérard de Lairesse, 1668, Glasgow Museum Attributed_to_Otto_van_Veen_A_Lady_Bitten_by_a_Parrot coll partAttribué à Otto_van_Veen, coll part

Le Toucher

 Sur le tableau de Gérard de Lairesse, voir Les pendants complexes de Gérard de Lairesse.



Quelques cas particuliers

Un pape gaulois

Portrait de Charles de Guise, cardinal de Lorraine, archevêque de Reims Greco vers 1572 Kunsthaus ZurichPortrait de Charles de Guise, cardinal de Lorraine, archevêque de Reims
Greco, vers 1572, Kunsthaus Zurich

« A cette date, Le Greco ne parvient pas à s’imposer sur un marché romain déjà encombré, si bien qu’il a pu accepter de se plier aux exigences d’un commanditaire prestigieux et ayant peut-être un avenir romain… commanditaire qui a pu vouloir un portrait à la vénitienne réalisé à Rome pour se présenter en papabile. Cette prétention est en effet affichée de façon fort explicite par la présence d’un perroquet dont le profil apparaît parallèle à celui du cardinal. Symbole d’éloquence, domaine dans lequel le cardinal de Lorraine excellait, le perroquet est en italien pappagallo, ce qui peut aussi bien signifier pape gaulois.«  [14]

Cette lecture est d’autant plus probable que, dans une copie gravée réalisée à Reims après la mort du cardinal, le perroquet-calembour, devenu obsolète, est remplacé par un crucifix.


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La reverdie

Recueil Robertet 1490-1520 BNF Français 24461 fol 110rRecueil Robertet, 1490-1520, BNF Français 24461 fol 110r

Tout comme la couronne de fleurs, le perroquet est pris ici comme attribut de cette personnification de la couleur Verte, et associé à la Joie :

Le jolis moys de may,

Tant doulx, frisque et joyeulx,

Mignon et gay,

Vert come ung papegay,

Amoureux, gracieux.

Chanson populaire parisienne, vers 1515 [1]

Le mois de Mai était celui des concours d’archerie, dont la cible était un « papegai » en bois peint en vert, fixé en haut d’une tour, d’un arbre, d’un mât ou d’une aile de moulin [14a].

Le perroquet en vient à illustrer la thématique de la reverdie, le retour du Printemps, dans l’iconographie très particulière du Miroir d’Armide :

Renaud présentant un miroir à ArmideDominiquin, 1600-25, Louvre (c) RMN photo Martine Beck-Coppola 1601 ca rinaldo-armida Carrache Musee de CapodimonteCarrache, 1601, Musée de Capodimonte

Renaud présentant un miroir à Armide,

Il faut se reporter au texte pour comprendre la présence du perroquet, à la fois orateur et chantre du printemps :

« Parmi ces chantres ailés, il en est un dont le plumage est varié de mille couleurs : son bec à l’éclat de la pourpre; sa langue forme des sons qui ressemblent aux nôtres: il commence à chanter, tous se taisent pour l’entendre et les vents, dans les airs, retiennent leurs haleines.
« …ainsi un seul jour voit flétrir la fleur de notre vie : le printemps vient ranimer la nature, mais notre jeunesse fuit pour ne revenir jamais. Cueillons la rose dès le matin, le soir elle sera fanée. » Renaud et Armide [15]

Sur le thème du Miroir d’Armide, voir 2 Le Bouclier-Miroir : scènes modernes .


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L’Ingéniosité

Pietro_Paolini_-_Allegory_of_Technology coll part

Allégorie de la Technologie, Pietro Paolini, collection particulière

C’est son habileté à broyer les coques et la force de son bec qui valent au perroquet cette comparaison avec un armurier.


Diego de Saavedra Fajardo, Idea de vn principe politico christiano Munich 1640 Embleme 79 fol 593Embleme 79 fol 593.
Diego de Saavedra Fajardo, Idea de un principe politico christiano, Munich 1640, (c) Biblioteca Nacional de Espana [16]

Les conseils s’éludent par les conseils

Consilia consiliis frustrantu

Le perroquet fait son nid suffisamment haut pour que ses oeufs échappent au serpent, et même le piègent. Cette légende  est inventée en 1640, dans un livre de conseils politiques qui sera traduit dans toute l’Europe :

« Cardano raconte que parmi les oiseaux, il surpasse tous en ingéniosité et en sagacité, et qu’il apprend non seulement à parler, mais aussi à méditer, avec un désir de gloire. Cet oiseau est très franc, une qualité d’une grande ingéniosité. Mais sa franchise n’est pas exposée aux tromperies, et il sait les prévenir à temps. Et, bien que le serpent soit si rusé et si prudent, il se moque de ses arts, et pour en défendre son nid, il le sculpte avec une admirable sagacité, en attendant les branches les plus hautes et les plus fines d’un arbre, sous la forme montrée dans cette Compagnie, pour que lorsque le serpent essaie de les traverser pour massacrer ses enfants, il tombe sous son propre poids. Il est donc commode de frustrer l’art par l’art et le conseil par le conseil. En ce que le roi Ferdinand le Catholique était le grand maître des princes, comme il le montrait dans tous ses conseils… »

L’idée est trop tardive pour justifier les nombreux perroquets qui apparaissent souvent, à partir du XVIème siècle, dans les images du Paradis et de la Chute.


Joseph Zoller Mira satis ac sine omni peccato Mariae sanctissima conceptio 1712 p 33
Joseph Zoller, Mira satis ac sine omni peccato Mariae sanctissima conceptio 1712 p 33 [17]

Le serpent trompé

Fallitur anguis

Au siècle suivant, l’emblème est repris, plus chrétiennement, dans une apologie de Marie qui « sait mieux que le perroquet accabler le serpent malfaisant ».


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Un intrus

 

Bellini 1500-02 battesimo_di_cristo Santa Corona, Vicenza

Le Baptême du Christ
Bellini,1500-02 Santa Corona, Vicenza

On a prétendu, sans aucune autre justification que la couleur rouge, que le perroquet symbolise ici la Passion [18].

Simona Ciofetta [19] rappelle la vieille histoire de l’Ave et exhibe un texte de Bernardino da Novara dans lequel des perroquets de couleur verte saluent le Christ cheminant avec sa mère. Elle ne s’étonne pas que le perroquet, qui n’est pas vert, n’apparaisse que dans la toile de Bellini, et dans aucune des nombreuses répliques qu’elle a suscitées à l’époque.

Le naturaliste Francesco Mezzalira [20] identifie ce perroquet comme étant un Lorius domicella parfaitement représenté, et souligne la rareté de cet animal, qui n’aurait pu être ramené à l’époque que par les premiers marins portugais explorant l’Indonésie. Selon lui, le perroquet pourrait symboliser ici la pureté du Christ, ou bien l’éloquence de Saint Jean Baptiste (la voix de celui qui crie dans le désert) ou encore le salut au nouvel Empereur.

En fait, l’aire de répartition de cette espèce est très étroite, quelques îles des Moluques que les portugais n’atteindront qu’en 1511. Ceci n’exclut pas un commerce antérieur (les clous de girofle, connus depuis les Romains, venaient exclusivement des Moluques) mais souligne l’extraordinaire rareté d’un tel spécimen.

Francesca Marini [21], remarquant que l’oiseau a été rajouté par dessus les couches picturales de Bellini, ne craint pas de l’attribuer à la fantaisie d’un restaurateur (tout le haut du tableau a été entièrement refait au XIXème siècle).


Cas d’application : le perroquet chez Marteen Van Heemskerck


Marteen Van Heemskerck 1545 ca Saint Luc Peignant la Vierge musee des BA Rennes schema 2Saint Luc Peignant la Vierge
Marteen Van Heemskerck, vers 1545, musée des Beaux Arts, Rennes

Dans cette composition très complexe, le perroquet a été diversement interprété :

  • virginité de Marie et victoire sur le Péché Originel (E. K. J. Reznicek, [22]) ;
  • virginité de Marie ; la noix représente la Passion (fruit amer) ( R Grosshans, [23]) ;
  • Annonciation (AVE) : la noix représente le Crucifixion (bois et chair) [24] ;

Marteen Van Heemskerck 1545 ca Saint Luc Peignant la Vierge musee des BA Rennes detail perroquet
Le problème est que la métaphore de Van Heemskerck est totalement originale : l’Enfant Jésus donne au perroquet des noix qu’il casse avec son bec, tour de force dont l’oiseau est en effet capable.

Je pense que ce geste disqualifie toutes les interprétations de type médiéval reliant l’oiseau à Marie : on voit mal la Virginité cassant une noix, d’autant plus que cette dernière constitue elle-aussi un symbole de la Virginité. Je vais résumer et prolonger l’interprétation d’Irving Lavin [25], pour qui le perroquet symbolise ici la Rhétorique ou l’Eloquence, la signification moderne que lui donneront les iconographes du XVIIème (Ripa, Van Mander).


Heemskerck old del valle palazzo Berlin KupferstichkabinettAncien Palazzo del Valle
Heemskerck, Berlin Kupferstichkabinett
Roma_-_Santa_Maria_in_Cosmedin_5846Bocca delle Verita, Santa Maria in Cosmedin


La gueule grotesque sur le sol semble à la fois s’inspirer d’une dalle antique qui était insérée dans la cour du Palazzo del Valle,et d’une autre plaque antique, la Bocca delle Verita : cette curiosité romaine était sensée mordre la main des menteurs. La difformité de la figure imaginée par Heemskerck, une oreille dedans et une oreille dehors, en fait une figure négative : logiquement, elle devrait symboliser le mensonge, les mauvaises paroles. Peut être faut-il comprendre, à sa moue, qu’elle déplore la véracité du pinceau de l’Evangéliste.



Marteen Van Heemskerck 1545 ca Saint Luc Peignant la Vierge musee des BA Rennes schema 2
Tout l’arrière-plan du tableau s’inspire d’un autre haut lieu romain, la collection d’antiques de la cour du Palazzo Sassi, que Heemskerck avait dessiné lors de son séjour à Rome. Irving Lavin, qui a retrouvé le nom des statues telles qu’on les connaissait du temps d’Heemskerck, note avec raison un effet d’écho (en jaune) :

  • Rome et Jupiter renvoient à Marie et Jésus ;
  • le sculpteur (qui évoque Michel-Ange) renvoie au peintre Saint Luc.

Le livre vierge du premier plan à gauche, sur lequel le taureau de Saint Luc pose sa patte, est l’Evangile qu’il écrira après la mort du Christ ; tandis que les livres de médecine, dans la niche renvoient à son métier de médecin ; et le tableau en cours à son troisième talent : celui de peintre (en vert).

Je rajouterai pour ma part que les trois autres statues (en bleu), emblèmes de la maîtrise antique du nu, renvoient au livre d’anatomie du premier plan, emblème des connaissances modernes sur le Corps : 



Marteen Van Heemskerck 1545 ca Saint Luc Peignant la Vierge musee des BA Rennes detail livre
Alors que les Anciens montraient le corps sous toutes ses faces, les Modernes ont réussi à décrire son intérieur.



Marteen Van Heemskerck 1545 ca Saint Luc Peignant la Vierge musee des BA Rennes detail fioleLe détail de l’urinal renversé par la patte du taureau est un morceau de bravoure montrant la virtuosité du peintre.



Marteen Van Heemskerck 1545 ca Saint Luc Peignant la Vierge musee des BA Rennes schema 2
Ainsi Heemskerck met ici au point une structure très originale, où l’arrière-plan antique du tableau fait écho au premier-plan chrétien (pour un autre exemple d’un tel « pendant interne », voir Un pendant très particulier : les Fileuses).

Le perroquet, qui croque les noix opaques et dévoile leur vérité, apparaît comme l’homologue moderne de l’antique Bocca della Verita, qui croque les mains des menteurs.

… le point ultime de l’allégorie de Heemskerck, s’incarne dans le perroquet que l’enfant Jésus présente au spectateur, symbole standard de la Rhétorique. Par là, il définit le tableau comme l’équivalent visuel du sermon idéal envisagé par Erasme et les défenseurs humanistes d’une rhétorique chrétienne, qui combinerait l’apprentissage de l’antiquité avec la simplicité expressive, divinement inspirée, de la Bible. » Irving Lavin [25]


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Marteen Van Heemskerck 1555-60 Apollon et les muses New Orleans Museum of Art detailApollon et les muses
Marteen Van Heemskerck, 1555-60, New Orleans Museum of Art

On a pensé que l’organiste était Polymnie, la muse de l’Eloquence, et que le perroquet perché sur l’orgue symbolisait cet art.



Marteen Van Heemskerck 1555-60 Apollon et les muses New Orleans Museum of Art detail
Sa position ,entre les tuyaux de l’orgue et ceux de la flûte de Pan, pourrait aussi vouloir dire que l’orgue imite la flûte (la musique savante imite la nature).

Il est également possible que cette proximité avec les tuyaux s’explique par une référence à Martianus Capella, poète latin auteur de Noces de Philologie et de Mercure, très obscure encyclopédie dont le Livre IX, l’Harmonie, présente l’art de la Musique. On y lit que « les oiseaux sont attirés par les tuyaux en roseau » [26].


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Marteen Van Heemskerck Le fils prodigueLe fils prodigue, Marteen Van Heemskerck, Collection privée

Dans cette oeuvre récemment retrouvée, le perroquet répond aux deux mêmes allusions  :

  • attirance par le tuyau, 
  • imitation de la flûtiste qui le surplombe.


Références :
[1] Raymond van Uytven, « L’ange Gabriel et le perroquet, selon Boccace. » dans Mémoire en Temps Advenir: Hommage À Théo Venckeleer, Louvain, 2003, p 188 et ss
[1a] Voir le très intéressant site « papegaimuseum », surtout consacré à l’époque moderne http://www.cubra.nl/PM/Gresset_peinture.htm
[2] Janez Höfler « Der Meister E.S : ein Kapitel europäischer Kunst des 15. Jahrhunderts »
[2a] « Master E. S. and the Folly of Love », Keith P. F. Moxey, Simiolus: Netherlands Quarterly for the History of Art, Vol. 11, No. 3/4 (1980), pp. 125-148 http://www.jstor.org/stable/3780567
[3] Anne-Marie Lecoq, Compte rendu sur « François Ier par Clouet (Expositions au Louvre et à Chantilly, 23 mai-26 août 1996) », Bulletin Monumental Année 1996 154-4 pp. 389-391,   https://www.persee.fr/doc/bulmo_0007-473x_1996_num_154_4_4654_t1_0389_0000_4
[3a] Pour une première classification et chronologie, aujourd’hui partiellement remise en cause, voir Lorne Campbell, The early Flemish pictures in the collection of Her Majesty the Queen, 1985, p 114 https://archive.org/details/earlyflemishpict0000camp/page/114/mode/1up
[3b] Larry Silver, « Massys and Money: The Tax Collectors Rediscovered », Journal of Historians of Netherlandish Art, 2015, https://jhna.org/articles/massys-money-tax-collectors-rediscovered/
[3c] Sigrid Dittrich, Lothar Dittrich, Lexikon der Tiersymbole: Tiere als Sinnbilder in der Malerei des 14.-17. Jahrhunderts p 322 et ss
[3d] Le perroquet apparaît dans trois variantes seulement : celle de Hampton Court (changeurs), celle du musée Pouchkine (collecteurs d’impôts) et celle de la collection Rau, qui serait le prototype (voir l’article de Larry Silver, Moneychanging with Parrot, 2015, https://rau-sfimages.s3.amazonaws.com/dossier/Dossier_31-5668.pdf
[4] https://fr.wikipedia.org/wiki/Le_Banquet_de_Cl%C3%A9op%C3%A2tre
Pour des détails intéressants sur l’acidité du vinaigre à l’époque romaine :
Maria Teresa Schettino, La boisson des dieux. À propos du banquet de Cléopâtre, dans Dialogues d’histoire ancienne, Année 2006, Volume 32, Numéro 2, pp. 59-73
http://www.persee.fr/doc/dha_0755-7256_2006_num_32_2_3015
[5] Simona Cohen, « Animals as Disguised Symbols in Renaissance Art », 2008, p 50
[6] Selon des rapprochements quelque peu acrobatiques, le perroquet pourrait ici représenter les prêtres (son nom italien « parrocchetto » signifiant « le petit curé »), le pape (jeu de mot avec papegai) ou l’Esprit Saint (à cause d’une vieille enseigne parisienne).
Voir Élisabeth Mornet « Le chanoine, la Vierge et la réforme. Hypothèses de lecture du tableau de Jan Van Eyck, La Vierge au chanoine van der Paele » dans « RELIGION ET MENTALITÉS AU MOYEN ÂGE » p 409-18 https://books.openedition.org/pur/19844?lang=fr
[8] Herbert Friedmann « A bestiary for Saint Jerome : animal symbolism in European religious art » p 281 https://archive.org/details/bestiaryforsaint0000frie/page/281/mode/1up?q=%22red+parrot%22
[9] Le lien entre les deux oiseaux teintés de sang a été relevé très récemment par Atara Moscovich, mais elle n’y ajoute pas le lion, et ne les considère pas comme les attributs des trois protagonistes. Voir Atara Moscovich « HIS SOUL WITHIN HIM SHALL MOURN » Job as a Bereaved Father in Venetian Renaissance Art », VISUAL REVIEW Vol. 10, No. 1, 2023, p 53 https://www.academia.edu/96613386/_HIS_SOUL_WITHIN_HIM_SHALL_MOURN_Job_as_a_Bereaved_Father_in_Venetian_Renaissance_Art
[10] Pour sauver cette dichotomie (déjà présente dans l’article pionnier de Frederick Hartt en 1940) l’interprétation récente d’Atara Moscovich distingue le tigre négatif (derrière Job) et la panthère positive (derrière Jérôme). Le cerf ratrappé serait un symbole de l’âme dévorée par Dieu, illustrant Job 19,22 : « Pourquoi me poursuivre comme Dieu me poursuit ? Pourquoi vous montrer insatiables de ma chair ? ». Autant la référence à ce verset est pertinente, autant la dichotomie semble artificielle : il s’agit de deux moments d’une même Passion qui se poursuit, de Job à saint Jérôme en passant par le Christ.
Voir Atara Moscovich. « A Leopard or a Panther? The Pairs of the Stag and the Predator in Vittore Carpaccio’s ‘Meditation on the Passion’. » Review of European Studies vol. 11 (November 22, 2019) https://ccsenet.org/journal/index.php/res/article/view/0/41350
[10a] Habet quandam vocem naturaliter, qua salutare videtur Cesares. Unde factum est, ut erranti Karolo Magno per desert Grecie obvie essent aves psittaci et quasi Greca lingua salutaverunt eum clamantes: Imperator vale. Quarum verbum instar cuiusdam prophetie enuntiationem complevit eventus, quia cum tunc eo tempore tantum rex Gallie Karolus esset, sequenti tempore Romanorum factus est imperator
[11] Anne-Marie Lecoq, « Le François Ier en saint Jean-Baptiste du Louvre : quelques précisions iconographiques. » Revue de l’Art – N° 152/2006-2
[12] « Les hieroglyphiques de Ian-Pierre Valerian, vulgairement nomme Pierius autrement, commentaires des lettres et figures sacrées des Aegyptiens et autres nations, oeuvre réduicte en cinquante huict livres ausquels sont adjoincts deux autres de Coelius Curio, touchant ce qui est signifié par les diverses effigies et pourtraicts des dieux et des hommes, nouvellement donnez aux François par J. de Montlyard » Giovan Pietro Pierio Valeriano, 1615 https://books.google.fr/books?id=3L11ZUnWA_wC&printsec=frontcover&hl=fr&source=gbs_ge_summary_r&cad=0#v=onepage&q&f=false
[12c] Jan N. Bremmer « From Sappho to De Sade (Routledge Revivals): Moments in the History of Sexuality » 2014 p 75 https://books.google.fr/books?id=lv3pAwAAQBAJ&pg=PT75
[12d] Le perroquet en cage apparaît dans un livre d’emblèmes de Cats, Proteus (1618) : Amissa libertate laetior (Plus heureux d’avoir perdu la liberté) voir La douce prison
[13b] Une gravure de Pieter Schenck associe explicitement la citation de Catulle à une femme dont un perroquet becquette la main droite. F. W. H. Hollstein, Dutch and Flemish Etchings, Engravings, and Woodcuts, Ca. 1450-1700: Schenck  , p 84
[14] Bruno Restif. “ Les portraits du cardinal de Lorraine. Indices esthétiques et corporels d’un séducteur en politique et religion ”.  dans Bruno Restif; Jean Balsamo; Thomas Nicklas. Un prélat français de la Renaissance. Le cardinal de Lorraine, entre Reims et l’Europe, Droz, p. 401-417, 2015 https://shs.hal.science/halshs-02962525/document
[15] Renaud et Armide, Jérusalem délivrée chant XVI, strophe 13, traduction Lebrun, 1774 https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b8617147r/f192.item.zoom
[19] Simona Ciofetta, Il « Battesimo di Cristo » di Giovanni Bellini in Santa Corona a Vicenza. Patronato e devozione privata, in « Venezia Cinquecento », 2, 1992, pp. 61-88. ISSN 1225-1735 https://www.academia.edu/87397264/Venezia_Cinquecento
[20] Francesco Mezzalira , « Il pappagallo di Giovanni Bellini » https://www.youtube.com/watch?v=a1gcAz3vDOU
[22] E. K. J. REZNICEK « De reconstructie van „t’ Altaer van S. Lucas » van Maerten van Heemskerck » Oud Holland Vol. 70, No. 4 (1955), pp. 233-246 https://www.jstor.org/stable/42711844
[23] R Grosshans, « Maerten van Heemskerck. Die Gemälde », Berlin, 1980
[25] Irving Lavin “David’s Sling and Michelangelo’s Bow: a Sign of Freedom”
https://www.academia.edu/7363365/_David_s_Sling_and_Michelangelo_s_Bow_a_Sign_of_Freedom_
[26] Martianus Capella, Martianus Capella and the Seven Liberal Arts, trans . and ed. William Harris Stahl, II, p 359

La douce prison

27 décembre 2014

Tout l’art de garder en cage…

« A travers cette cage se dessine peut-être obscurément la question de la durée de l’amour et de son rapport à l’institution. Peut-on, faut-il enfermer l’amour ? «  [6], p 47

Tim O brien the-cage-freedom-never-really-comes

« On ne se quitte jamais vraiment la cage
( the-cage-freedom-never-really-comes)
Tim O Brien

 

Emblemata De Denis Lebey de Batilly 1596 No 40Le terrible pouvoir de l’habitude, Emblemata N° 40
Denis Lebey de Batilly, 1596

Terrible est le pouvoir de l’habitude.
Un oiseau habitué à sa cage l’aime tellement
que même s’il le pouvait, il ne voudrait pas s’envoler.
L’esclavage à vie, par la force de l’habitude, transforme, chez beaucoup,
la nature et l’esprit.

Gravissimum imperium consuetudinis.
Assuetus caveae caveam sic diligit ales,
Ut non quum possit, liber abire velit,
Servitium vitae longae assuetudinis usu
Naturam in multis ingeniumque novat.


La coquette gravure de Daulle d apres BoucherLa coquette Boucher Oiseau ChériL’oiseau chéri

1758, gravures de Daullé d’après  des dessins de Boucher

 

Cette jeune fille qui bécote son oiseau pourrait tout aussi bien le humer. Car aux XVIIème et XVIIIème siècles, l’oiseau est une sorte de fleur vivante qu’on offre en  hommage galant, pour amuser et égayer :

 « Madame je vous donne un oiseau pour étrennes…

S’il vous vient quelque ennui, maladie ou douleur

Il vous rendra soudain à votre aise et bien saine »

I. De Benserade, cité par [2]


Par une sorte de synecdoque, l’oiseau chéri peut devenir  l’ambassadeur emplumé de l’amoureux auprès de l’aimée, et la cage le symbole de son doux esclavage :

« Sur votre belle main ce captif enchanté
De l’aile méprisant le secours et l’usage
Content de badiner, de pousser son ramage
N’a pas, pour être heureux, besoin de liberté. »
Vers de J.Verduc cité par [2]Amissa libertate laetior



Cette métaphore avait été popularisée dès le XVIIème siècle, grâce aux livres d’emblèmes hollandais diffusés et traduits dans toute l’Europe :

Amissa libertate laetior (Plus heureux d’avoir perdu la liberté)
Jacob Cats, Sinne- en minnebeelden (1627)


Voici un des petits poèmes, en français, agrémentant cet emblème :

Prison gaillard m’a faict.
J’estois muet au bois, mais prisonier en cage
Je rie, & fais des chants; je parle doux langage.
Chacun, fils de Venus, qui porte au coeur ton dard
Est morne en liberté, & en prison gaillard. [4]


pastel anonyme

 Jeune fille à l’oiseau
Pastel anonyme, milieu XVIIIème

L’oiseau, libéré pour jouer un moment, reste tenu en respect par le doigt de cette jeune fille accomplie. Le risque étant bien sûr qu’il ne s’envole irréparablement (voir L’Oiseau envolé).


Portrait de l’actrice Margaret Woffington

Van Loo, 1738, Collection privée

van loo Portait de l actrice Margaret Woffington
« Meg » Woffington était une actrice célèbre et une maîtresse recherchée.

Ce portait « professionnel » nous la montre jonglant entre deux admirateurs, l’un déjà dans la place, l’autre qui voudrait bien y entrer.

Cependant, garder un oiseau en cage ne suggère  pas toujours un rapport amoureux : ce peut être aussi un divertissement pour les femmes honnêtes…

La Serinette

ou « Dame variant ses amusements »

Chardin, 1751, Louvre, ParisChardin La serinette 1751

L’amusement consistait à apprendre au serin à chanter, autrement dit à provoquer artificiellement un chant d’amour (car seul le serin mâle chante). Jouer indéfiniment un air au flageolet présentait des inconvénients médicaux et moraux : « tant à cause qu’il altère considérablement la poitrine lorsqu’on en joue longtemps de suite que parce qu’il n’est pas fort séant, surtout au Sexe, d’en jouer  » Hervieux, cité par Démoris [6] p 39

Instrument pour dames de la haute société, la serinette palliait ces inconvénients, et permettait  de jouer à loisir l’air qu’on souhaitait inculquer à son serin.

« C’est aussi un exercice de dénaturation, puisqu’il s’agit de substituer la musique d’une mécanique (la femme n’y va de son corps qu’à tourner la manivelle à un rythme constant) au chant naturel de l’oiseau amoureux. «  [6] p 40


 Occupation répétitive à vocation décorative, dans le même esprit féministe que le métier à broder qui figure également ici.

« On voir se profiler ici le spectre de l’ennui père de tous les vices. Le serin permet à la dame de ne pas courir le monde en quête d’objets d’amour… L’oiseau, d’emblème amoureux, est devenu préservatif contre la tentation amoureuse, par un intéressant retournement de la symbolique originelle » [6] p 40

Pour que le dressage soit efficace, il fallait priver l’oiseau de toute distraction : on voit sur le pied de la cage une traverse, ou main, qui permettait de fixer un écran pour isoler la cage de la lumière et de la fenêtre.

Il n’est pas impossible que le thème ait eu une dimension de vécu, pour quelques soupirants trop intensément serinés.

María de las Nieves Micaela Fourdinier, épouse du peintre

Paret y Alcázar, vers 1782, Prado, Madrid

luis-paret-y-alcazar

L’inscription noble en caractères grecs indique simplement « A sa bien-aimée épouse Luis Paret , peinture en couleur faite dans l’année 178 ».

Peut-être faut-il voir dans le serin fasciné par la Beauté une image du peintre lui-même, comme le suggère le nom « Paret » qui, dans l’inscription, disparaît à droite  humblement sous les feuilles.


 

Le joli petit serin

Dessin de Lafrensen gravé par Mixelle le JeuneLe_joli_petit_serin,_dessin_de_Lavrince_grave_par_Mixelle_le_Jeune

Le serin sorti de sa cage, qu’elle donne à baiser à son amie, est sans doute la seule consolation de la dame, en l’absence de l’être aimé dont la noble image en perruque est accrochée au dessus d’elle.

Autre interprétation, moins noble : la dame prête son amant à son amie.


La cage à oiseaux,

la-cage-a-oiseaux-fragonard-1770-75-villa-musee-jean-honore-fragonard-grasseFragonard, 1770-75, Villa-Musée Jean-Honore Fragonard, Grasse

Le jeune fille fait voler son chéri, tout en le retenant par son ruban : libre à lui de venir la bécoter, mais pas d’aller voir ailleurs.


Parfois, l’oiseau prisonnier  perd ses plumes, ne gardant que ses ailes pour montrer sa nature amoureuse

La marchande d’amours

Vien, 1763, château de Fontainebleau, Francevien-1763 la-marchande-damours

« Mais celui qui en est le plus remarqué, est un Tableau dont le Peintre a emprunté le Sujet d’une Peinture conservée dans les ruines d’Herculanum…


Carlo-Nolli-1762

La marchande d’amour, 1762, gravure de C.Nolli

Wall Fragment with a Cupid Seller from the Villa di Arianna, Stabiae, Roman 1st century A.D.

Fresque de la Villa d’Arianna, Stabiae, 1er Siècle après JC

 

…Il est intitulé dans le livre d’explication la Marchande à la toilette. Cette Marchande est une espèce d’esclave qui présente à une jeune Grecque, assise près d’une table antique, un petit Amour qu’elle tient par les aîlerons, à-peu-près comme les marchands de volailles vivantes présentent leurs marchandises. Un pannier dans lequel sont d’autres petits enfans aîlés de même nature, indique qu’elle en a sorti celui qu’elle offre pour montre. Indépendamment de la singularité de cette composition, les Connoisseurs trouvent dans l’ouvrage beaucoup de choses à remarquer à l’avantage du Peintre moderne. » Mercure de France, octobre 1763


 

vien-1763 la-marchande-damours_detail amour

Le digne journaliste ne dit pas mot  sur le geste « professionnel » du volatile, qui n’échappera pas à Diderot dans son commentaire du salon de 1763 :

« le geste indécent de ce petit Amour papillon que l’esclave tient par les ailes ; il a la main droite appuyée au pli de son bras gauche qui, en se relevant, indique d’une manière très significative la mesure du plaisir qu’il promet ».


vien-1763 la-marchande-damours suivante

Autre détail galant noté par Diderot :

«cette suivante qui, d’un bras qui pend nonchalamment, va de distraction ou d’instinct relever avec l’extrémité de ses jolis doigts le bord de sa tunique à l’endroit… En vérité, les critiques sont de sottes gens !  ». Cité par [6].


vien-1763 la-marchande-damours boite

Il aurait pu remarquer aussi la boîte sur la table, qui montre ce que la dame compte  faire, ou les deux béliers broutant des anneaux


vien-1763 la-marchande-damours chaise

… anneaux dont la symbolique  n’échappe pas aux deux oiseaux qui s’attaquent à la couronne de feuillages.


Jacques Gamelin, La marchande d’amours (vers 1765 Musee Baroin Clermont Ferrand

La marchande d’amours
Jacques Gamelin, vers 1765, Musée Baroin, Clermont Ferrand

A comparer avec cette version postérieure attribuée à Jacques Gamelin, plus fidèle au modèle antique (cage ronde, rideau tombant) et insistant sur la transaction plutôt que sur les allusions.


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L’Amour fuyant l’esclavage

Vien, 1789, Musée des Augustins, ToulouseVien 1789 L Amour fuyant l esclavage

Vingt ans plus tard, Vien exposera la scène symétrique,  dans laquelle ces dames  laissent le volatile s’échapper d’une cage pourtant construite à sa taille et aimablement jonchée de fleurs (à noter que la forme de la cage est reprise de la gravure d’Herculanum, ,  que Vien avait utilisée pour son premier tableau  [4])

Elles n’ont plus dès lors qu’à se lamenter sur le cercle vide de leurs couronnes (même la digne statue de marbre en a une).


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La Foire aux Amour 

Rops, 1885, Musée Rops, Namur

Rops 1885 la Foire aux Amour Musee Rops Namur

La Foire aux Amour
Rops, 1885, Musée Rops, Namur

Intéressante reprise du thème sous sa forme pompéienne, avec la vieille marchande qui appelle les chalands et la jeune cliente qui consomme.

Des thèmes connexes de celui de la marchande d’amours sont celui de l’oiseleur féminisé (voir L’oiseleur) et celui de L’oiseleuse .


La tortue ailée (SCOOP !)

La tortue aux ailes de papillon fait partie du même contexte érudit. Oxymore visuel, cet emblème est quelque fois accompagné de la devise « Festina lente (Hâte-toi lentement) »  [5]. Mais c’est ici une autre référence que Rops a en tête :


Salomon Neugebauer - Selectorum symbolorvm heroicorvm centvria gemina (1619)
Amor addidit (alas) – L’amour donne des ailes
Salomon Neugebauer – Selectorum symbolorvm heroicorvm centvria gemina (1619)

La devise s’applique à la fois à la jeune femme comblée, et au captif qui a réussi à grimper jusqu’à sa main.

Mais l’ajout a aussi été guidé par l‘analogie amusante entre :

  • d’une part la carapace d’où sortent les pattes, les ailes et le bouquet enrubanné ;
  • d’autre part la cage de laquelle un des amours s’échappe, la fille et son chapeau fleuri.


L’oiseau chéri

Bouguereau, 1867, Collection privée

BOUGUEREAU L'oiseau cheri
La fin du XIXème siècle verra un grand recyclage et nettoyage des sujets galants, rendus anodins (ou plus excitants ?) par l’âge tendre du modèle : derrière  cette charmante enfant souriant à son bouvreuil, les amateurs reconnaîtront la femme qu’elle est déjà, apte à dresser, manipuler, faire chanter,  voire plumer…


Son animal préféré  (his favorite pet)

Pierre Olivier Joseph Coomans, 1868, Collection privée

Coomans_Her-Favorite-Pet
Exemple de recyclage « à l’antique » : tandis que l’enfant blond tente de ramener l’oiseau  dans sa cage par des cerises au bout d’une ficelle, la jeune femme l’hypnotise sur son épaule, le fixant littéralement du regard et par le regard .

Derrière elle, un oiseau de porcelaine fait corps avec le vase, montrant combien cet assujettissement est puissant.

Sur le mur du fond, une fresque bacchique rappelle aux distraits qu’il ne s’agit pas uniquement d’un sujet pour enfants.


Une beauté pompéienne

Raffaelle Giannetti , 1870 , Collection privée

giannetti raffaelle 1870 A Pompeian Beauty Collection privee

Dans cet univers luxueux peuplée de lions, de griffons, d’anges et de sphinx d’or ou d’argent, les seuls éléments animés sont la fumée d’encens qui s’élève de la cassolette, les fleurs qui débordent de l’amphore, le moineau sorti de sa cage et la belle romaine, échappée au miroir de bronze qu’elle a abandonné sur le divan. Sur la desserte de marbre, les deux coupes près du cratère de vin suggèrent qu’elle attend un visiteur.

Patricienne ou courtisane, cette femme esclave de sa propre beauté,  jouit, comme le parfum, les fleurs ou l’oiseau – trois métaphores d’elle même, d’un court moment de liberté.


Pâques

J.C. Leyendecker, 1923

J.C. LEYENDECKER 1923
Dans ce symbole complexe, la cloche et l’oeuf de Pâques sont respectivement remplacés par la cage et le bébé Cupidon, le temps d’un bisou gourmand au-dessus des jacinthes qui s’ouvrent.


La chambre

Icart, vers 1930

Icart La chambre

Première lecture : Il est sept heures moins cinq du matin. La jeune fille a sauté du lit pour respirer, comme ses deux perruches, l’air frais de Paris. Bientôt, elle va passer ses bas, dont l’un s’échappe du tiroir, et écouter les informations à la radio.


Autre lecture, moins sage : il  est sept heures moins cinq du soir, la fille a ôté ses bas est s’est déjà mise au lit, dans l’attente de son chéri qui va bientôt rentrer. La cage avec ses deux perruches, quadrangulaire comme la lucarne, symbolise leur nid d’amour perché en haut des toits.


 

Les deux perruches

Pinup de Vargas, 1942

1942 Vargas
Dans cette cage sphérique sommée d’une couronne, on peut reconnaître la Terre, avec ses méridiens,  ses calottes polaires et son équateur assujetti au perchoir, qui rappelle la provenance géographique des perruches.

Sous l’oeil bienveillant de cette Vénus revisitée couronnée de marguerites,  les deux Inséparables symbolisent les deux parties de l’humanité, Homme et Femme, maintenues ensemble par la grande déesse de l’Amour.



Des esprits moins lyriques se contenteront de noter que le globe de la cage fait écho à deux rotondités voisines.


Libre comme l’oiseau

Pinup de Fritz WillisWiilis songbird

Nous ne sommes pas si loin de L’oiseau chéri de Boucher, mais en version bas nylon.

La cage porte une étiquette postale : la dame se fait livrer ses favoris à domicile.

En peignant la cage (Painting Birdcage)

Pinup de  Peter Darro

Painting Birdcage Peter Darro

Dans cette iconographie complexe, la femme expose fièrement la cage qu’elle a peinte aux couleurs de son occupant, décomposées façon prisme.

Un oeil grossier verra dans les gants de caoutchouc et dans le résultat contestable,  la preuve que la femme est décidément plus douée pour la  vaisselle que pour l’art, et pour exhiber ses bas couleur chair plutôt que ses initiatives arc-en-ciel.



Un oeil plus scientifique y reconnaîtra une allégorie manifeste de la Mécanique Quantique  : cette unique pinup physicienne de l’Histoire est en train de démontrer expérimentalement que l’objet observé (l’oiseau) n’est pas indépendant de l’instrument de mesure (la cage). De plus, la peinture jaune qui dégouline du pinceau prouve bien que l’observateur n’est pas non plus indépendant de l’expérience.  L’escabeau montant vers la boîte à peinture multicolore ne peut qu’être une allusion à l’atome de Bohr, avec ses niveaux discontinus d’énergie. La grande feuille de papier blanc froissée sur laquelle est tombé une goutte de jaune représente la nature foncièrement aléatoire et  inconnaissable du monde quantique, qui ne se révèle que localement.

De ce fait, le Réel est voilé, comme le professe la robe,

et quantifié, comme l’illustre la maille infime du nylon.


 

Références :
[1] « Les jeux innocents » : french Rococo birding and fishing scenes, Elise Goodman, Simiolus: Netherlands Quarterly for the History of Art, 1995, p 251
[2] Livres d’emblèmes en ligne : http://emblems.let.uu.nl/c162714.html
[4] On Diderot’s Art Criticism , Mira Friedman
[5] Attributs et symboles dans l’art profane : Dictionnaire d’un langage perdu , Guy De Tervarent, p 444, https://books.google.fr/books?id=s_BnmrAKRRUC&pg=PA444
[6] Démoris, “L’Oiseau et sa cage en peinture,” dans Esthétique et poétique de l’objet au XVIIIe siècle », Presses Univ de Bordeaux, 2005

Les oiseaux licencieux

26 décembre 2014

 Volontiers phallique lorsqu’il est isolé, l’oiseau en couple  devient parfois lubrique

Vénus et l’Amour attendant Mars

Lambert Sustris, XVIème siècle, Musée du LouvreLambert Sustris Venus et amour attendant Mars

Poussées par la main de Vénus, les deux colombes blanches en sont aux bécots. Sa flèche à la main, Cupidon interroge sa mère  du regard  : est-il  temps de porter l’estocade ?.



La Lascivité (Lascivia)

Abraham Janssens , vers 1618, Collection privée

1618 ca Janssens,_Abraham_-_Lascivia coll part

Cette Vénus lascivia a substitué à ses deux colombes deux moineaux paillards, et noué sur son épaule une fourrure de bacchante. Pour la suite de l’analyse, voir Les mythologies et allégories plaisantes de Janssens


Nature morte avec un couple de moineaux

Cornelis de Heem, 1657, Städelmuseum, Frankfort1657_de_Heem_Nature morte avec moineaux copulant Stadel Frankfort

Le couple de moineaux sur la branche  attire l’oeil vers le miroir, lequel nous montre la branche posée sur le cul du melon fendu, une image assez transparente (voir Surprises et sous-entendus).

Nous découvrons ensuite le gland du rideau à l’aplomb d’une figue béante, le coquillage au bout de la flûte, sans parler des huitres aphrodisiaques et de la bogue de châtaigne explosée :

à l’exemple des deux passereaux, la digne nature morte se ranime pour une copulation générale.



Jeune fille avec des colombes

Greuze, date inconnueGreuze jeune fille avec des colombes

Dans ce dessin très enlevé, deux colombes ont profité de l’émoi de leur maîtresse pour copuler hors de la cage.



Jeune fille avec des oiseaux

Greuze, 1780-82 National Gallery of Art,  Washingtongreuze Girl With Birds 1780-82 National Gallery of Art Washington

Ici, une jeune fille se dépoitraille devant deux moineaux affamés.

La justification littéraire de cette bizarrerie zoophile est peut être à chercher chez Catulle :

« Passereau, délices de ma jeune maîtresse, compagnon de ses jeux, toi qu’elle cache dans son sein, toi qu’elle agace du doigt et dont elle provoque les ardentes morsures, lorsqu’elle s’efforce, par je ne sais quels tendres ébats, de tromper l’ennui de mon absence ; puissé-je me livrer avec toi à de semblables jeux, pour calmer l’ardeur qui me dévore, et soulager les peines de mon âme ».
Poésies de Catulle, Au passereau de Lesbie, II



La gourmandise des oiseaux pour les poitrines des jeunes filles s’explique aussi  par un point de terminologie :

« Boutons de rose : Pour le bout des tétons d’une femme, qu’on appelle aussi la fraise ».
Dictionnaire comique, satyrique, critique, burlesque, libre et proverbial, Philibert-Joseph Le Roux Beringos, 1752



Exemple d’adaptation  littéraire  :

« Ta gorge est comme un marbre, et la lumière arrose
Sur ses fermes contours deux frais boutons de rose. »
Banville, Les Stalactites,1846, p. 304.



Exemples d’adaptation graphique :

Leonnec oiselets en cageLes oiselets en cage, Léonnec, « Le sourire » Les baisers comptes, Umberto Brunelleschi, 1947, illustration pour les Baisers de DoratLes baisers comptes, Umberto Brunelleschi, 1947, illustration pour les Baisers de Dorat



Vénus sortant de sa couche

James Ward, 1828, Yale Centre for British Art,

Hartford, Connecticut, USAJames Ward Venus sortant de sa couche 1828

Dans ce tableau syncrétique, Vénus a dû emprunter un couple de cygnes à Léda, pour compléter  son couple de colombes traditionnel.


Parfois c’est un groupe d’oiseaux qui rend hommage à une demoiselle…

henry-stacy-marksWaiting and Watching
Henry Stacy Marks, aquarelle,  1854, The Maas Gallery, London
mollie-george-dunlop-leslie« Mollie, In silence I stood your unkindness to hear…' »
George Dunlop Leslie,1882, Russel-Cotes Art Galley & Museum, Bournemouth, England

Il y a chez certains Victoriens une part d’humour et d’allusion largement sous-estimée de nos jours.

Ainsi,  à gauche, rien n’empêche de penser que les deux grues couronnées symbolisent, non pas  deux états d’âme de la femme (Attendre et Regarder) mais deux états du corps de l’homme qu’elle attend et espère regarder.

A droite, le sujet est une vieille chanson ( « Wapping old stairs ») qui joue elle-aussi dans le registre de l’attente. Mollie se plaint que son Tom la néglige, bien qu’elle soit toute prête à laver son pantalon et à faire son grog (« Still your trousers I’ll wash and your grog too I’ll made »).  Le verre vide illustre le futur grog, d’accord. Mais que suggèrent la cuillère dans le verre, la pipe, la tabatière qui baille et la proue du bateau qui se dresse au dessus de la jeune fille ?


frozen-out-george-dunlop-leslieGelés (Frozen out)
George-Dunlop Leslie
frozen-out-george-dunlop-leslie-detail

Le centre du tableau recèle le détail pré-surréaliste d’un cou prêt à s’emmancher dans  un moignon .


Un numéro égyptien au temps d’Auguste

(An Egyptian Difficulty in the Time of Augustus)

John Reinhard Weguelin,  1885, Collection privée

weguelin8

Dans cette iconographie improbable, une compagnie de flamants se trouve dressée par une forte femme, qui désigne de sa baguette le cerceau  feuillu  à travers lesquels ils sont invités à passer.


Lorenzo Lotto - Venus and Cupid.jpg
Rappelons que, depuis Lotto, la traversée d’un cerceau métaphorise allègrement un autre type de pénétration.


Fantaisie victorienne (Victorian Fantasy)

Arthur Drummond, 1893, Collection Privée

Arthur Drummond, Victorian Fantasy 1893

Dans cette production spectaculaire d’un jeune peintre de 23 ans, la famille de pélicans (le père, la mère et les deux petits) est sans doute conçue comme une leçon d’amour vrai, aux pieds de la brune hautaine qui ne songe qu’à faire valoir ses appas et de la rousse, dont l’instinct maternel se réveille à nourrir le petit pélican.

L’oeil soupçonneux retient plutôt la taille extraordinaire des nénuphars qui, combinée au pélican tête basse et au pélican tête haute, suggère une érection généralisée  déclenchée par la spectaculaire Beauté brune – tandis que la rousse s’intéresse à des modèles plus petits.


Le bassin doré

Gaston La Touche, fin XIXème, Collection privée

bassin_dore_latouche
On devine, dans le bloc de statues doré, une nymphe cernée par des amours. Dans le  bassin, deux baigneuses sont entreprises par une flottille de cygnes. Le jet d’eau blanc, qui retombe en parabole, épouse la forme des cous.


Richard Muller Les rivaux 1911 Collection privee
Les Rivaux (Rivalen)
Richard Müller, 1911, Collection privée
 
richard-muller-rivalen-1912
 
Les Rivaux (Rivalen)
Richard Müller, 1912

Dans un nid d’arabesques, deux oiseaux de Paradis se disputent une femelle, dont les longues pattes, l’éventail déployable et le bicorne en forme de bec disent bien qu’elle est de la même espèce qu’eux.


Les oiseaux à long cou

 

La Lune, Willette vallotton-lalerte-1895L’alerte, Vallotton, 1895

Les oiseaux à long cou sont attirés par la Lune…


martin van maele 1907

Martin Van Maele, Gravure de La Grande Danse Macabre Des Vifs , 1905

…et parfois donnent des hallucinations à la gardeuse.


George Pavis La Vie parisienne 1923Pincée, George Pavis, 1923, La Vie parisienne 
suzanne-meunier-1924-au-bord-du-lac-Eros MagazineAu bord du lac
Suzanne Meunier, 1924, Eros Magazine
ADOLFO BUSI. Quand les dindes attaquentQuand les dindons attaquent
Adolfo Busi, carte postale, vers 1925

Becs balourds contre mollets agiles : la fille moderne se joue des gros oiseaux domestiqués.


Emile Friant

Friant etudiante aux champs

 
L’étudiante aux champs
 vers 1920

Sous prétexte d’étudier le contraste entre la fille des champs (debout, avec sa baguette) et la fille des villes (vautrée par terre avec un livre),  Friant titille tout bonnement, avec cette garçonne cul par dessus tête sous l’égide d’un clocher campagnard,  le fantasme du gang-bang aviaire (voir également L’oiseau Chéri).


Emile Friant les oiseaux familiers

Les oiseaux familiers
Emile Friant, 1921, Collection privée

C’est cette fois en intérieur qu’il décline la même  thématique, avec cette amie des piiafs en pyjama : les perruches s’intéressent sans s’y poser au perchoir supérieur qui leur est offert, tandis que les gros perroquets ingnorent le perchoir inférieur pour se disputer une babouche : aux poids-plume le voyeurisme, aux poids-lourds le fétichisme.


Icart

Icart-Oiseaux

L’oiseau préféré
Icart, vers 1930

La robe de cette colombophile est ornée de trois noeuds fleuris, semblables aux trois pigeons qui restent en approche :  le titre prétend  qu’un seul, pour l’instant a droit à son affection.


La femme et les oiseaux

Icart, 1922Louis Icart femme aux oiseaux

Cette brune contrôle encore quelque peu ses oiseaux et son corsage…


Icart Les ailes blanches

Les Ailes Blanches

Cette blonde ne contrôle plus grand chose…


icart elegante place vendome

Elégante place Vendôme

Cette élégante en revanche contrôle tout du bout de son escarpin, y compris le célèbre symbole phallique fait du fût de mille canons…


Quelques exemples récents exploitant la sensualité multipliée des longs becs, des long cous et des plumes :



Erik Thor Sandberg Receptivity 2011
Receptivity
Erik Thor Sandberg,  2011



Erik Thor Sandberg Sasn titre vers 2010
Sans titre
Erik Thor Sandberg, vers 2010



Whitfield-FreshHorses-2009
FreshHorses
Barnaby Whitfield, 2010


A l’opposé de ces encouragements à la luxure, il existe heureusement des couples d’oiseaux exemplaires.

Mars et Vénus, Allégorie de la Paix

Lagrenée, 1770, Geyy Museum, Los AngelesLagrenee allegorie de l'amour getty

Ici une colombe mâle apporte, en symbole d’abondance future,  un épi de blé à sa dame, qui a élu domicile dans le casque désormais inutile : le tout sous les yeux attendris des divinités éponymes.


La leçon d’union conjugale

Gravure de Petit, d’après Boilly, début XIXèmeBoilly La leçon d'union conjugale

Même notion d’exemplarité aviaire dans cette gravure édifiante.Boilly La leçon d'union conjugale detail


Le chapeau de Monsieur remplace le casque, et ses gants se chevauchent sans vergogne sur le tabouret, tandis que les colombes restent chastes…Boilly La leçon d'union conjugale Cupidon


… encouragées par Cupidon qui leur fait le signe de la discrétion


Vénus jouant avec deux colombes

(Portrait de Carlotta Chabert)

Hayez, 1830, museo di arte moderna e contemporanea di Trento e Rovereto

Hayez ballerina-carlotta-chabert-as-venus-1830
Vous êtes un comte trentinois, et vous avez pour maîtresse une danseuse : vous commandez d’elle un portrait mythologique, et vous le montrez à tout le monde pour susciter le scandale.

Mais, pas fou, vous demandez à l’artiste de bien montrer le fil à la patte qui relie les deux colombes de Vénus et, accessoirement, retient les lombes de Carlotta contre le marbre de votre palais, et ses pieds dans le lac de Trente.


Leçon d’amour

Icart, vers 1920

Louis Icart deux colombes

L’Ecole des Oiseaux est encore ouverte au début du XXème siècle, ainsi qu’un peu du corsage il est vrai…


Louis Icart 1922

Mélancolie
Icart, vers 1920

Autre cas où la magie des colombes agit sur les décolletés


Il peut même arriver qu’un groupe d’oiseaux vienne sauver une jeune fille vertueuse…


Bertall Les_Cygnes_sauvages2
La princesse Elisa embrasse le cygne
Illustration de Bertall, fin XIXème

Une des représentations les plus torrides  d’un cygne ithyphallique montre  en fait l’amour fraternel...

The Wild Swans Svend Otto Soerensen
Les cygnes sauvages
Illustration– Svend Otto Sørensen

Dans le conte d’Andersen « Les cygnes sauvages », c’est de joie que rayonne la jeune fille lorsque ses frères, transformés en cygnes, viennent la délivrer du bûcher.

La liberté ou la cage

25 décembre 2014

 

Ouvrir la cage, c’est laisser l’oiseau partir. Ce thème fait la plupart du temps allusion à cet autre événement irréversible qu’est la perte de la virginité (voir L’oiseau envolé) mais parfois, il a tout simplement rapport avec la question de la libération, selon des modalités diverses.



Se libérer de sa famille

george Morland 1786 domestic-happiness N1 de the-story-of-laetitiaLe bonheur domestique, Histoire de Laetitia 1/6
George Morland, 1786

Cette histoire édifiante montre la famille heureuse, réunie sous une cage feuillue qui est le modèle réduit du cottage dans la campagne. S’ensuit la chute de la fille perdue, en quatre étapes ( La Fugue, Les parents vertueux, L’habillage pour le bal masqué, la porte de la taverne)….



george Morland 1786 the fair penitent N6 de the-story-of-laetitia
…avant le retour au cottage natal, dans La pénitente sincère (6/6).



Se libérer de la société

 

Hogarth

Portrait d’une jeune fille de la famille Stamford
William, Hogarth, vers 1730, Collection privée

L’oiseau s’envole vers la cascade  : libération intentionnelle, puisque la petite fille  a dirigé vers le parc  la porte de la cage. Celle-ci est décorée d’un oiseau doré, signe du prix accordé à ce compagnon à plumes. Pourquoi donc l’avoir laissé s’échapper  alors que le compagnon à poils, le petit chien, assiste tristement à ce départ, assis au pied d’une colonnade à la moulure ébréchée ?


L’envol de l’âme

 L’oiseau qui s’envole pourrait être le symbole de l’âme qui retourne vers le ciel : malheureusement, parmi les demoiselles Stamford, aucune n’est morte jeune.


Le « bougeoir » vide

On a aussi remarqué  que la fillette porte la main sur un bougeoir vide, double symbole de l’extinction et de la fugacité des choses (voir http://www.historicalportraits.com/Gallery.asp?Page=Item&ItemID=740&Desc=Young-girl-in-a-garden-|-William-Hogarth)

Or ce « bougeoir vide » est en fait le récipient à eau, fixé à l’extérieur de la cage pour empêcher l’oiseau de le souiller. Si nous nous rappelons que l’oiseau s’envole vers la chute d’eau, alors de détail pourrait effectivement donner la clé du tableau.


Retour à la Nature

De même que les deux arbres constituent l’antithèse naturelle des colonnes, de même la cascade abondante fait contraste avec le récipient d’eau plus ou moins croupissante. Tandis que le chien définitivement domestiqué  reste côté Culture, l’oiseau en cage, qui n’a jamais perdu  son instinct de liberté, retourne d’un coup d’aile à la Nature.

Lecture cohérente avec le caractère  original de Henry, Troisième Comte Stamford : ce personnage pré-romantique a remodelé le paysage de son domaine de Envile Hall et fait construire des bâtiments de fantaisie : un temple classique dans une vallée, une passerelle gothique et une cascade.

Le titre du tableau pourrait donc être : Retour à la Nature dans un Jardin Anglais


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Boccaccio Relating the Tale of the Bird-Cage exhibited 1828 by Joseph Mallord William Turner 1775-1851

La Cage à Oiseau, d’après un conte de Boccace
Turner, 1828, Tate Gallery

 

Ce tableau de Turner traite, sous une apparence très différente, sensiblement  le même thème. Il prétend illustrer un conte de Boccace : or le seul récit du Décameron où il est question d’un oiseau est un passage grivois, sans rapport avec la scène représentée ici :

« Ils passèrent la nuit fort agréablement, et firent plusieurs fois chanter le rossignol ; mais pas si souvent qu’ils l’auraient voulu l’un et l’autre. Cet oiseau, pour reprendre haleine, mettait des intervalles dans son chant, qui n’en devenait que plus agréable chaque fois qu’il le recommençait. Dans un de ces intervalles, qui n’étaient pas fort longs, nos amants accablés soit de fatigue, soit de chaleur, furent surpris par le sommeil vers la pointe du jour. Ils étaient tout nus sur le lit, et la belle embrassait alors son amant du bras droit, et tenait de la main gauche le rossignol qu’elle avait fait chanter. » Boccace  Décameron, V 4 Le rossignol

La référence à Boccace suffisait à suggérer une scène  de libertinage, sans pour autant la montrer. Car cette assistance raffinée, en majorité féminine, ne se livre qu’à un innocent pique-nique dans une clairière, à côté d’une cascade. Les détails les plus audacieux sont ce jeune homme grimpé dans un arbre, à  gauche, ce tabouret renversé ou cette ombrelle retournée. Personne ne s’occupe de la cage à oiseaux, au centre, dont on a soulevé le drap : elle n’est là que pour donner son sens au tableau.

Le château blanc avec sa tour de guet menaçante rappellent, à l’horizon, que cette joyeuse compagnie n’a quitté sa cage que pour un moment, le temps d’une escapade dans les bois.

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Monticelli.Adolphe.Empress.Eugenie.And.Her.Attendants

Adolphe_Joseph_Thomas_Monticelli__The_Empress_Eugenie_and_her_attendants complet

L’Impératrice Eugenie et ses suivantes
Monticelli, vers 1860, Collection privée

 

Dans le pendant de gauche, l’impératrice est assise, songeuse, tandis que deux enfants jouent avec un petit chien. Dans celui de droite, elle est debout, émue, à la vue de ce pigeon libéré qui cherche à revenir vers sa cage, ouverte par les deux enfants.

Monticelli retrouve ici le thème hogarthien des bois libérateurs, et le contraste entre le chien domestique et l’oiseau, créature plus instinctuelle.



Il faut dire que la question d’une certaine cage faisait polémique, à l’époque :

CrinolineLaVilleDeParisCharlesVernier
 La ville de Paris voulant englober la banlieue, caricature de Charles Vernier

La crinoline « cage », formée de cerceaux baleines ou de lames d’acier flexibles reliés entre eux par des bandes de tissus et attachés à une ceinture, avait été inventée en 1856.


Extérieurement, elle donnait aux élégantes des apparences d’oiseau, en tout cas d’objets aériens :

Daumier Crinoline
Manière d’utiliser les jupons nouvellement mis à la Mode, caricature de Daumier



La crinoline, objet paradoxal, libérait la silhouette tout en emprisonnant la femme dans une  cage cachée.



Se libérer de la maison

Jules-Saintin_DistractionDistraction
Jules Saintin, 1875, Collection privée

Même après la mise au rebut de la crinoline, la femme allait rester  encore longtemps enjuponnée et corsetée. Dans ce tableau, le titre Distraction est à lire comme une aporie : la femme tente de se distraire en lisant, puis de se distraire de cette distraction en regardant dans le miroir s’il vient quelqu’un. Mais pas de visiteur en ce boudoir, sinon le spectateur.

Les deux perruches en cage disent l’emprisonnement dans l’amour conjugal. Autour, les cigognes du voilage ; les colombes de l’éventail japonais ; le perroquet, le coq et le cygne du paravent laqué : tout un peuple d’oiseaux libres est figé dans l’artificiel et le luxe.

A gauche, sur le guéridon arabe,  des boudoirs et une mandarine suggèrent  que cette femme-oiseau vit dans une cage dorée.



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arachne-carlo-stratta-1893

Arachne, Carlo Stratta, 1893, Galleria d’Arte Moderna e Contemporanea, Turin

Dans cette oeuvre manifestement inspirée par la précédente, Carlo Stratta tire le thème vers celui de la Femme Fatale : celle ci ne s’ennuie pas, mais elle attend, araignée tissant sa toile.

Du coup, les cigognes au long bec du voilage prennent une signification nouvelle : celle des proies qu’elle a déjà capturées.



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Margaret Murray Cookesley A Caged Bird 1891

Un oiseau en cage (A Caged Bird )
Margaret Murray Cookesley, 1891, Collection privée

Pratiquement le même thème,  transposé en style orientaliste   : une odalisque trompe l’ennui en contemplant son perroquet.

Le narguilé, les perles, la tasse de café et les oranges sur le guéridon font partie des poncifs du harem : les douceurs de l’existence contre celles de liberté (voir Gazeuses déités).

La cruche couchée exhibant son orifice est plus originale, renvoyant au symbolisme direct des pots dans la peinture  hollandaise, et rappelant la fonction unique de la recluse.

La claustra à l’arrière-plan éclaire la métaphore du titre : l’oiseau en cage est bien sûr la captive.

Quant au chat, il  est monté en grade tout en se réduisant en épaisseur.

L’opposition classique  du chat et de l’oiseau  s’est transformée en une alliance entre trois êtres sauvages réduits au statut d‘objet :

  • l’oiseau de compagnie,
  • l’esclave sexuelle et
  • la panthère en carpette.

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jozsef-rippl-ronai-femme-a-la-cage-1892-huile-sur-toile-budapest-galerie-nationale-hongroise

Femme à la cage
József Rippl-Rónai, 1892, Galerie nationale hongroise, Budapest

Dans ce double huis-clos, le serin jaune attendant derrière la porte de sa cage fait référence à sa maîtresse, attendant devant la porte de sa chambre, alternant entre ces deux perchoirs pour humain que sont la chaise et le sofa. La femme à la cage est une femme en cage.


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Georges Leonnec La Vie Parisienne, 18 Aout 1917

Rara avis – Défense de toucher
Georges Leonnec La Vie Parisienne, 18 Août 1917

La sentences du bas « L’amour est un oiseau volage que nul ne peut apprivoiser » se lit évidemment par antiphrase : car l’oiseau rare est bel et bien en cage, nourri de bijou et occupé à se farder le bec.


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Icart La cage ouverte

La cage ouverte,, Icart, vers 1930

La liberté est ici non pas celle de l’oiseau, mais celle de la Femme, qui n’a plus qu’à choisir entre ces friandises colorées.

Comme souvent, Icart détourne un vieux thème, celui de la cage ouverte, pour en faire, non plus une métaphore de la virginité perdue, mais  de la liberté sexuelle retrouvée.

La souricière

24 novembre 2014

Certaines souricières capturent, mais ne blessent pas ;

certaines souris s’y  trouvent bien.

 
 

Il lève la tête tout d’un coup,

puis essaie d’entrer là-dessous,

il ouvre un peu son petit œil,

puis il trouve le petit trou,

comme une souris ou une chauve-souris.

Lorenzo de’Medici, Rime dubbie , no. 293

Rizza il capo in su di botto,

poi s’ingegna entrar lor sotto, 

apre un tratto l’occhiolino,

poi ritrova il bucolino 

come il topo o il pipistrello’, 

Hercule hésitant entre la Vertu et le Vice

Gravure d’après Saenredam, fin XVième

hercules saenredam

La Vertu casquée expose à Hercule son programme pédagogique : un chemin rocailleux, mais qui mène aux vertus cardinales : la Charité (avec ses nombreux enfants), la Force (avec sa colonne), la Justice (avec sa balance), la Tempérance (avec son vase ).
.

Le Vice nu tire le héros par son gourdin et a posé dans l’arbre un programme plus alléchant  : un festin en galante compagnie.

Dans ce paysage moralisé, la souricière révèle le pot au rose : la voie  du Vice n’est qu’un cul de sac. Au dessus du piège, le chemin de l’arbre enveloppe la femme nue, puis s’épanouit vers toutes les femmes nues du tableau : comme si la malédiction de la souris grimpante remplaçait ici celle du serpent biblique.


Femme à la souricière

Mellan, milieu XVIIème, Bibliothèque municipale, Lyon

Souriciere Mellan

Cette gravure inachevée comporte plusieurs détails compliqués :


Souriciere Mellan detail droite

  • en haut à droite, un couple s’enlace tandis qu’une  femme, qui les regarde à travers un  masque souriant, nous prend à témoin avec son véritable visage : celui de la vieillesse ; elle pose son index sur ses lèvres pour nous demander le silence  ;

Souriciere Mellan detail gauche

  • en haut à gauche, un tableau montre un Dieu ailé ( Chronos avec son sablier sur la tête) qui enlève son enfant à une femme ;

Souriciere Mellan amours

  • au centre, un Amour blond tend une grappe juteuse à un Amour noir, tandis qu’un troisième s’intéresse à la feuille de vigne qui ferme le pubis de la femme ;


Souriciere Mellan souricière

  • à gauche, sur le meuble orné d’un amour qui suce son doigt, une souricière ouverte attend sa proie.

Le thème général est assez clair :

  • la Beauté est fugace,
  • le Temps tue l’amour,
  • les Appas sont comme des grains de raisins qui attirent les prédateurs,
  • lesquelles finissent dans le piège.

Dans la métaphore aviaire habituelle,  des amours ailés sont mis en cage (voir L’Oiseau chéri ) . Dans cette métaphore originale, des amours aptères (blancs comme des souris ou noirs comme des rats)  sont également pris dans la souricière :

l’inconvénient étant que la conclusion logique met en équivalence

le sexe de la femme avec un piège à rats.[1]

On comprend que Mellan n’ait pas achevé sa gravure…


luc-lafnet-ca-1930

… dont le thème ressuscitera deux siècles plus tard sous le burin de Luc Lafnet.



10-_Caricature_-_Napoleon_dans_une_souriciere_1815

Napoléon dans une souricière
Caricature hollandaise, 1815

Profitons de cette caricature pour clarifier le fonctionnement de la  souricière à bascule, modèle que nous allons retrouver sur plusieurs siècles, et dont la caractéristique première est qu’il emprisonne, mais ne tue pas.

On comprend bien comment le prédateur, attiré par le fruit, a délogé le crochet, faisant retomber la porte derrière lui.


USA 1942 Jap trapJap Trap
USA, 1941-45

L’empereur Hiro-Hito fera lui-aussi les frais de ce type de propagande bestialisante, avec un modèle plus moderne de souricière.



Mais revenons au XVIIème siècle, âge d’or de cette métaphore.

Fit spolians spolium

Jacob Cats, Monita amoris virginei, Amsterdam,1620.

CatsMonita1620

Dans ce livre d’emblèmes, la souricière a essentiellement une valeur morale générique : tel est pris qui croyait prendre.

Une des devises ramène néanmoins le prédateur captif au cas particulier de l’amant devenu mari :

« Je me suis marié, j’ai perdu la liberté »
« Uxorem duxi, libertate perdidi »



Muscipula Amoris

Emblème 34 de Ludovicus van Leuven, 1629,

Amoris divini et humani antipathia

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Une souris de belle taille est piégée dans une souricière géante, la queue coincée sous la porte.  Cupidon désigne cet appendice à une jeune fille plus intéressée qu’effrayée [1a] . La devise en français fournit la moralité :

« Qui chasse en parc d’Amour a bien dessein de prendre
Mais las ! Va prisonnier, sans penser de s’y rendre »


N’ayant pas oser représenter carrément un Amoureux en cage,  l’artiste a tranché en deux la difficulté  : la partie animale dedans, la partie virile dehors.



1680 ca Le Centre De L'Amour Embleme 28

Gravure de Peter Rollos, Euterpae suboles, 1608 (édition française vers 1680)

Dans ce recueil de gravures grivoises, les légendes en latin et en allemand mettent en équivalence l’oiseau, organe masculin, et la souris, symbole fourré du sexe féminin.

 

S’il est permis maintenant d’échanger un équivalent contre son égal,
alors tu me donneras, jeune fille, la souris en échange de l’oiseau.
Assurément, je ne te refuse pas, jeune homme, cette souris audacieuse,
mais je dois d’abord inspecter le pinson.

Si licet equivalens iam permutarier aequo .
Pro volucri murem tu mihi virgo dabis.
Non equidem improbulum iuvenis tibi renuo murem .
Verum fringilla est conspicienda prius .

 

Jeune fille, je te propose un échange amical.
Je te donne mon pinson contre la souris.
Oui mon coeur, celà peut se faire,
Mais je dois d’abord regarder le pinson.

Jungfram ich halt ein freundlichn Dauschs ,
Ich gib euch mein sinckten für die maus .
Ja Herz , es kan gar woll geschehen,
Ich mus zuvor euren Sinckn besehen


L’édition française, parue vers 1680 sous le titre de Le Centre De L’Amour, Decouvert soubs Divers Emblesmes Galans et Facetieux, rajoute un commentaire plus ambigu, ou le sexe féminin est assimilé à la fois à la cage à oiseau et à la souricière : le rat évoque donc ici quoi que ce soit qui s’y faufile, selon le désir de la fille :

Conditions de Change.

Vois-tu Thirsis, mon Rat n’est point sauvage.
Si je le change avecque ton Pinson,
Je veux qu’à mon désir, sans aucune leçon,
Il sorte et rentre dans ma cage.


Malgré la popularité des livres d’emblèmes, la souricière est restée très rare  en peinture : la version noble du thème  a presque totalement phagocyté la version sale. En tant que métaphore phallique, l’oiseau qui becquette et étend ses ailes est nettement plus recevable que le rat lubrique qui se faufile dans tous les trous en trainant sa queue  démesurée.

Gerrit Dou a utilisé néanmoins la souricière à plusieurs reprises, sans doute parce que sa production massive le contraignait à exploiter systématiquement tous les objets du quotidien.

La souricière

Gerrit Dou, vers 1650, Musée Fabre, Montpellier

Gerrit Dou-La souriciere ca 1650 Musee Fabre detail

Cliquer pour voir l’ensemble

Un jeune peintre ramène triomphalement une souris prise au piège à sa mère, laquelle pèle des panais (dont la forme et même le nom en français sont adéquats au symbole).


Nicolaas Verkolje after Gerrit Dou, Maid with a Mousetrap Mezzotint National Gallery of Art, Washington D.CServante avec une souricièreMezzotinte de Nicolaas Verkolje d’après une oeuvre perdue de Gerrit Dou, National Gallery of Art, Washington D.C Van-Tol-Mousetrap-Rijksmuseum-1660 - 1676Garçon à la Souricière
Van Tol, 1660 – 1676, Rijksmuseum, Amsterdam

Entre les mains de la servante expérimentée, la bougie remplace le panais pour faire comprendre que la souricière s’intéresse à tout type d’objet oblong, y compris l’index du garçon.

Elève et neveu de Dou, Van Tol reprend le même type de composition dans une arcade de pierre avec rideau : avec le chat, un nouveau thème s’introduit ici, celui du chasseur de souris frustré par la mécanique, thème que nous retrouverons plus loin développé par Van der Werff.


The-mousetrap.-1660-Quiringh-Gerritsz.-van-Brekelenkam RijksmuseumGarçon a la souricière
Quiringh Gerritsz van Brekelenkam, 1660, Rijksmuseum
Louis de Moni Garcon a la souriciere XVIIIeme localisation inconnue RKD Num 224516Garçon a la souricière
Louis de Moni, XVIIIème, localisation inconnue, RKD Num 224516

Plusieurs peintres mineurs reprendront le thème équivoque de la souricière manipulée par un jeune garçon,sous l’oeil intéressé d’une fillette ou frustré d’un matou. A noter que dans tous les cas que nous avons vus, la souricière a fonctionné, ce qui sauvegarde la possibilité d’une lecture naïve : un garçon se moque d’une souris prise au piège.

Mais revenons à Dou, qui est certainement celui qui a mis en scène la souricière dans les situations les plus variées.


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La cave à vin

Gerrit Dou, vers 1660, Collection particulière

weinkellerxl

Un vieil homme, privé de tous les plaisirs de  l’existence, se chauffe au fond près du feu.

Dans la cave, un jeune couple (le fils de la maison et une servante) est  venu tirer du vin, dernière consolation de la vieillesse. Le jeune homme le goûte, sous le regard interrogatif de la servante.

A la verticale du verre s’étage une batterie de symboles  :

  • le robinet crache dans la cruche ;
  • la bougie érige sa flamme ;
  • le bouchon comble le goulot ;
  • la souricière, armée, attend sa proie.


 Dominicus_van_Tol-A_Boy_with_a_Mousetrap_by_Candlelight-1664–65

Garçon avec une souricière à la lumière d’une bougie
Dominicus van Tol, 1664–65, Collection privée [2]

Van Tol reprendra les mêmes éléments dans cette composition plus simple où le jeune homme est seul à manipuler la souricière.

En aparté : des volailles mortes

Pieter Slingelandt, Keukeninterieur. Duke of Sutherland Collection, Edinburgh, National Gallery of Scotland

Intérieur de cuisine
Pieter Slingelandt, vers 1670, Duke of Sutherland Collection,Edinburgh, National Gallery of Scotland

Bref aparté sur cette scène singulière : un jeune homme offre à la fille une perdrix morte, tandis que, derrière eux, un cuistot embroche une volaille.

L’offrande ou l’exhibition d’un volatile mort avait donc clairement, en Hollande,   une signification  sexuelle, le plus souvent phallique (voir les analyse de E. de Jongh [1b]) )

 Nous allons en voir tout de suite un bel exemple…



Jeune fille à sa fenêtre avec un chat, une souricière, un canard pendu et un pot en étain

Gerrit Dou, 1670-75, Collection particulière

Gerrit Dou - A Young Girl at a Window Ledge with a Cat and Mouse-Trap

Dans cette apothéose de la symbolique amoureuse, Gerrit Dou a fait très fort :


Gerrit Dou - A Young Girl at a Window Ledge with a Cat and Mouse-Trap_detail aiguiere

  • l‘aiguière utérine

Gerrit Dou - A Young Girl at a Window Ledge with a Cat and Mouse-Trap canard


Gerrit Dou - A Young Girl at a Window Ledge with a Cat and Mouse-Trap cage


Gerrit Dou - A Young Girl at a Window Ledge with a Cat and Mouse-Trap souricière

  • la souricière pleine, sous les yeux souriants de la dame et de son chat (voir Pauvre Minet )

L’équivalence entre l‘oiseau évanoui et la souricière comblée est établie ici de manière quasiment mathématique.

Si nous revenons au premier tableau de la série (le jeune homme qui ramène  sa souris capturée), nous pouvons faire raisonnablement l’hypothèse  que la souricière remplie constitue le pendant  masculin de la cage vide :

  • déniaisage  triomphal pour les jeunes garçons,
  • défloration plus problématique  pour les jeunes filles

La dame du tableau, vu son sourire ravi, n’en est  probablement pas à sa première souris.


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Jeune femme avec une souricière

Abraham Snaphaen, 1682. Leiden, Stedelijk Museum De Lakenhal

Abraham Snaphaen, 1682 Fille avec une souriciere , Museum De Lakenhal Leyde

Même contentement chez celle-ci, qui désigne sa souricière pleine au dessus de sa cruche béante, tandis qu’à droite une bougie remplace le canard mort dans le rôle de l’objet mollissant.

Lorsqu’elle n’est ni une marchande ni une ménagère affairée, la dame  à sa fenêtre  est souvent, dans la peinture hollandaise, une femme légère, comme le confirme ici le papier : « Een kamer te huur » (une chambre à louer).
.



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La souricière

Willem van Mieris, Museum Smidt van Gelder, Anvers

Willem van Mieris - La souriciere

Peut être faut classer parmi ces dames sûres de leurs charmes cette plantureuse musicienne, faisant à son  chat l’hommage d’une souris.

Dans cette prise de possession en deux temps, ce que la souricière a amorcé (la capture) va être fini par le félin (l’ingestion).



Van der Werff

Adriaen van der Werff jeune homme a la souriciere

Garçon à la souricière
Adriaen van der Werff,vers 1678-9,National Gallery, Londres

Même scène, mais en inter-changeant les sexes  : cette fois c’est un très beau jeune homme qui présente une souris à un chat. Deux papillons volettent autour de lui, symboles de la fugacité des  choses belles.


Werff_Adriaen_van_der-Self-Portrait

Autoportrait
Adriaen van der Werff, 1696, L’Ermitage, St. Petersbourg

Le jeune homme ressemble comme un frère à cet auto-portrait brillant, où Adrien dans sa splendeur s’est représenté en train de peindre une Vanité :  un crâne couronné de lauriers.


Adriaen van der Werff jeune homme a la souriciere detail
Tout comme le peintre tient le pinceau de sa main droite, le jeune homme s’approprie le trébuchet, dont le fil semble se confondre avec la calligraphie de la signature.

En somme, la souricière ferait la nique au chat, et le jeune homme brandissant ironiquement  la souris lui dirait : celle-là, tu ne l’auras pas.

Iconographie très personnelle, mais cohérente avec un autre tableau de Van der Werff, où il vante les jeunes gens qui étudient l’Antique, plutôt que de perdre leur temps à des jeux de vilains (voir L’oiseau envolé )


Van der Werff Un garçon mettant un oiseau en cageUn garçon mettant un oiseau en cage (gravure inversée) Adriaen van der Werff jeune homme a la souriciereGarçon à la souricière

Le tableau avait un pendant aujourd’hui connu seulement par la gravure  : des enfants sages ont donné à manger à un oiseau en écartant le chat furibard (pour la scène inverse empreinte de tout le sadisme de l’enfance, voir Le chat et l’oiseau : autres rencontres).

Chez un  peintre moraliste et sublimateur , tel que  Van der Werff nous apparaît,  il y a fort   à parier que le sujet du pendant ait été la modération en amour, 

 faisant barrage dans les deux cas à la voracité sexuelle du prédateur.


Adriaen_van_der_werff,_ragazzo_con_trappola_per_topi,_1676,_Gemaldegalerie alte meister, Berlin

Jeunes gens avec une souricière, Adriaen van der Werff, 1676, Gemäldegalerie alte Meister, Berlin

L’un des garçons retient en souriant la souricière vivante, l’autre montre la souricière mécanique et la souris qui a été capturée dans le second trou. Les trois autres trous sont armés (une ficelle passée à l’intérieur maintient l’anneau en position basse ; en la rongeant pour atteindre l’appât, la souris libère le ressort [3] ).

Ce tableau corrobore l’interprétation précédente : comme souvent au XVIIème siècle, l’innoncence des jeunes enfants est utilisée pour transmettre un message à l’intention des adultes : malheureux ceux qui sont victimes de leur voracité (sexuelle), aussi bien les souris (les hommes) que les chats (les femmes).


Daniel Heinsius, Emblem from Emblemata Amatoria, 1621
Daniel Heinsius, Emblemata Amatoria, 1621

Nous sommes ici très proches de l’ambiance de cet emblème, où un Cupidon en armes indique que celui qui est victime de l’amour est comme une souris qui échappe à la souricière (les femmes) pour tomber dans les griffes du chat (la mort).

La cage libère la souris, le chat attend.Le pire nous attend quand nous échappons au mal.

Le mal me poursuit, et la peur du pire me hante.

Expectat felles, laxat captentula muren:Nos mala vitantes deteriora manent

Il mal mi preme, & mi spaventa il peggio


Giacomo Francesco Cipper, dit« il Todeschini»

Ce peintre de genre d’origine allemande a produit vers 1720 une série de tableaux dont le centre est une souricière, tenue en l’air par le pied du trébuchet

Souriciere a bascule

Cipper A vers 1720 SCENA DI GENERE coll priv photo Galleria Giamblanco Milano

Scène de genre autour d’une souricière
Cipper, vers 1720, collection privée, photo Galleria Giamblanco, Milan

Dans ce style à la fois réaliste et caricatural, la mise à mort de la souris prise au piège, à l’aide d’une longue aiguille, semble empreint à nos yeux modernes d’une cruauté onirique, lourde de sens cachés. Ce tableau, le plus complet de la série,  réunit tous les ingrédients habituels  :

  • un plaisantin, qui fait ici office d’exécuteur ;
  • une jeune fille, intéressée mais craintive ;
  • un jeune garçon ;
  • un chat frustré ;
  • une vieille avec sa quenouille ;
  • une bougie éteinte, qui symbolise probablement la mort imminente de la bestiole, et prochaine de l’ancêtre.

Si nous n’avions que ce tableau, il serait tenant de  chercher une signification d’ensemble. Mais les autres version, plus simples, montre que Cipper procède de manière combinatoire, en juxtaposant ses personnages-type.


Cipper B Zeri loc inconnue Cipper D Zeri loc inconnue

  Cipper, localisation inconnue, photothèque Zeri

Ici, la jeune fille a disparu et c’est la vieille femme qui pique. Dans le tableau de gauche, l’amusant est la diversité des regards fixés sur la souricière (concentration, amusement, convoitise) tandis que le petit garçon, en regardant le spectateur, sert de relais vers la pointe de l’aiguille.


Cipper C Zeri loc inconnue

Cipper, localisation inconnue, photothèque Zeri

La vieille a laissé la place à la jeune fille et l’exécution, en présence  d’un jeune homme et d’une soeur plus jeune, prend ici la valeur d’un  jeu ou d’un gage amoureux exécuté par la plus grande. Mais la symbolique sexuelle n’est probablement pas la bonne clé de lecture : le spectateur de ‘époque devait y voir un divertissement  amusant pour tous les âges, aux dépens d’un nuisible détesté.


Cipper E+Boy+With+A+Mousetrap+And+A+MouseJeune homme avec une souricière et une souris, Cipper, collection privée Cipper F Zeri autoportrait coll priv bisAutoportrait, Cipper, collection privée, photothèque Zeri

Quelquefois la souris échappe à l’aiguille :

  •  pour être donnée au chat ;
  • ou pour être immortalisée avec le peinntre, qui pour le moins lui doit bien cela.

L’apparat trompeur et l’ oiseau envolé

Francois Eisen, 1763, Collection privée

Francois Eisen L apparat trompeur et l oiseau envole 1763

Une souris attrapée par un garçon souriant d’un côté ; un oiseau échappant à une jeune fille catastrophée de l’autre : nous retrouvons la mise en balance  humoristique du déniaisage bénin versus la défloration irrémédiable : la souris n’en meurt pas, mais l’oiseau, une fois la porte ouverte,  ne revient jamais dans sa cage.

Le titre du premier tableau, L’apparat trompeur, suggère une ironie supplémentaire : le fil à laquelle la souris   est pendue la transforme en appât, et le chat en proie.

Une fois libérée  de la souricière, c’est maintenant la souris qui va faire enrager les chattes.


La femme et la souris

Martin Drolling, 1798, Orléans, Musée des Beaux-Arts

Martin Drolling la-femme-et-la-souris 1798 Orleans musee des beaux-arts

Moins efficace que la souricière, le chat mortifié se fait réprimander. Le bébé maladroit voudrait bien lui aussi attraper la souris. La scène de genre abolit ici la vieille métaphore érotique.


La souricière

Alexandre Antigna, 1872

mousetrap 1878

Exemple tardif où une jolie bretonne n’hésite pas à relâcher la souris d’un jeune breton hilare, sous les yeux interrogatifs d’une petite fille, trop jeune  pour apprécier   la symbolique.


La souricière

Angelo Martinetti, 1874,  York Museums Trust

La souriciere Angelo Martinetti 1874
Dans cette scène de genre, prétexte à une exhibition d’escarpins dans des frôlements de satin, la souricière est utilisée pour servir d’appât à un chat.

Ainsi un premier effet Ripolin : le fromage attire la souris qui attire le chat

en cache un autre : la souris excite les filles qui excitent… le spectateur.


Beauté et souris

Maurice Millière, gravure, vers 1925

MAURICE MILLIERE ETCHING - BEAUTY WITH MOUSE

La souris a été extraite de la souricière pour être menée à la baguette.


MAURICE MILLIERE ETCHING - BEAUTY WITH MOUSE detail
Le dressage de l’animalcule satisfera-t-il la maîtresse ?

souris dressee


Pinups à la souris

Scandale 1951 Pierre Fix MasseauPublicité pour les bas Scandale, Pierre Fix Masseau, 1951 K.O-Munson-03In Emergency or Out, Call On Us, Knute O Munson, vers 1951

Renversement de situation : c’est ici la souris humaine qui se dresse, imitant l’animal qui, de part et d’autre de l’Atlantique,  lui rend hommage avec ou sans sa queue.

Références :
[1] Sur le danger de la souricière pour la virilité, on trouve une anecdote amusante dans un livre léger du XVIIème :
« Comme il fut au lit, on lui mit sur la selle d’auprès le chevet un pot de nuit : -or, sur la même chaire, il y avoit une ratière carrée et creuse en rond ; ce n’étoit pas de celles qui ont une porte, mais un ressort qui serre le rat par le milieu du corps.: cet engin-là, qui a pour le moins demi-pied de diamètre, et est en cube, étoit fort tendu, et le ressort fort bandé. Frère Jean se réveilla, pour faire de l’eau ; et prit cet engin par le bord, cuidant que ce fût un vaisseau à pisser, et y présenta son outil, qui s’avançant donna jusqu’à la détente; parquoi,le ressort échappa, et prit le pauvre cas du cordelier, qui sentit plutôt cela que le jour. Il se prit à crier si haut, que Lucifer s’en fût éveillé ; et on lui apporta de la chandelle pour se dégager. »
Béroald de Verville, 1610, « Le Moyen de parvenir, oeuvre contenant la raison de ce qui a été, est et sera, avec démonstration certaine selon la rencontre des effets de la vertu » https://books.google.fr/books?id=edxiAAAAcAAJ&printsec=frontcover&hl=fr&source=gbs_ge_summary_r&cad=0#v=onepage&q&f=false
[1b] E. de Jongh « Tot lering en vermaak Betekenissen van Hollandse genrevoorstellingen uit dezeventiende eeuw », Rijksmuseum, Amsterdam, 1976 ,  p 285 http://www.dbnl.org/tekst/jong076totl01_01/jong076totl01_01_0078.php 
[3] Pour voir cette souricière en fonctionnement : https://www.chaostrophic.com/guy-tests-ruthless-427-year-old-mousetrap-design/

L’oiseleur

16 novembre 2014

Métaphysique, immoral, amoureux, lubrique, le thème de l’oiseleur couvre une large tessiture, pour un nombre d’oeuvres assez réduit.

L’Oiseleur imbécile

Sebastian Brant Narrenschiff Chap 39 Von offliche anschlag Bale (Bergmann von Olpe) 1494 fol 49v

Des attaques évidentes (Von offliche Anschlag)
Sebastian Brant, Narrenschiff Chap 39 fol 49v, Bâle (Bergmann von Olpe), 1494

Dans une de ses toutes premières apparitions, l’oiseleur n’est pas avantagé puisqu’il rate son coup par manque de dissimulation :

Qui annonce bruyamment l’attaque
Et a filé son fil devant tout le monde
Ce dont il est facile de se méfier.

Wer laut den Anschlag kündet an
Und spannt sein Garn vor jedermann,
Vor dem man leicht sich hüten kann.

 

Fou est celui qui veut attraper un moineau
Et laisse son fil en évidence.
Car l’oiseau facilement s’enfuit,
Quand il le voit ouvertement devant lui.

Ein Narr ist, wer will fangen Sparrn
Und offenkundig stellt das Garn;
Denn leicht ein Vogel dem entflieht,
Wenn er es offen vor sich sieht.


L’Oiseleur métaphysique :

une entité supérieure garante d’une forme de morale.

Pieter_Bruegel_L-ancien-Le-trebuchet

Le Trébuchet
(Paysage d’hiver avec patineurs et trappe aux oiseaux)
Pieter Brueghel l’Ancien, 1565, Musées royaux des beaux-arts de Belgique.

 

Ce spectacle  des joies de l’hiver – des villageois jouent aux palets , d’autres patinent, un gamin s’amuse  avec sa toupie, une mère fait marcher son enfant sur la glace – voisine avec une réalité plus sombre :


Pieter_Bruegel_L ancien Le trebuchet toupie

l’hiver, les oiseux n’ont plus rien à se mettre sous le bec.


Pieter_Bruegel_L ancien Le trebuchet trou
Mais quel est ce paquet  étrange qui semble posé à côté du trou dans la glace ?


Skating before the St. George's Gate, Antwerp d apres Brueghel ancien 1558 MET detail

Patinage devant la Porte St. George’s à Antwerp, gravure d’après Brueghel l’ancien, 1558 , Metropolitan Museum, New York
(Cliquer pour voir l’ensemble)

Brueghel l’a repris d’une autre scène de patinage : un petit enfant qui s’est fait un traîneau avec une mâchoire d’âne. Mais ici, la proximité du trou transforme le détail cocasse en image macabre. La fragilité de la glace illustre celle de la destinée humaine :

« L’homme ne connaît pas non plus son heure, pareil aux poissons qui sont pris au filet fatal, et aux oiseaux qui sont pris au piège ;

comme eux, les fils de l’homme sont enlacés au temps du malheur, lorsqu’il tombe sur eux tout à coup. » Ecclésiaste 9.12


Pieter_Bruegel_L ancien Le trebuchet piege
Ainsi le piège peut s’abattre  à tout moment…


Pieter_Bruegel_L ancien Le trebuchet oiseleur cache
…déclenché par l’oiseleur caché.

L’oiseau menacé symbolise ici  l‘âme du pécheur : un auteur a d’ailleurs compté autant d’oiseaux que de personnages, et que de jours dans le mois le plus long : trente et un [0].


sb-line

fable de la fontaine - illustration oudry - l oiseleur l autour et l alouette

L’Oiseleur, l’Autour et l’Alouette
Gravure de Oudry, 1755-1759

Les injustices des pervers
Servent souvent d’excuse aux nôtres.
Telle est la loi de l’Univers :
Si tu veux qu’on t’épargne, épargne aussi les autres.

Un Manant au miroir prenait des Oisillons.
Le fantôme brillant attire une Alouette.
Aussitôt un Autour planant sur les sillons
Descend des airs, fond, et se jette
Sur celle qui chantait, quoique près du tombeau.
Elle avait évité la perfide machine,
Lorsque, se rencontrant sous la main de l’oiseau,
Elle sent son ongle maline.
Pendant qu’à la plumer l’Autour est occupé,
Lui-même sous les rets demeure enveloppé.
Oiseleur, laisse-moi, dit-il en son langage ;
Je ne t’ai jamais fait de mal.
L’oiseleur repartit : Ce petit animal
T’en avait-il fait davantage ?

La Fontaine Livre VI, fable 15

L’illustration d’Oudry traduit bien l’univers mental hiérarchique de la fable : l’Alouette est plumée par  l’Autour lequel est capturé par l’Oiseleur, qui va le dresser pour la chasse.

En haut, le château au dessus des maisons rappelle que l’Oiseleur lui-même est soumis à une autorité supérieure.


LOiseleur lAutour et lAlouette Horace Vernet

L’Oiseleur, l’Autour et l’Alouette
Horace Vernet,Château-Thierry ; musée Jean de La Fontaine

Au XIXème siècle, la révolution est passée, remettant au premier plan l’Homme maître de sa destinée, autonome avec sa caisse sur les épaules, habile avec les fils et la mécanique.

La hiérarchie est remplacée par un étagement horizontal, dans la profondeur perspective   : l’Oiseleur, puis l’Autour, puis la minuscule Alouette, à peine visible au dessus du miroir.


L’oiseleur allégorique

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Allégorie de l’air, dite L’Oiseleur
Peter Van Mol, vers 1620-30, Musée de Valence

Grâce au commentaire d’Abie, le petit mystère de ce tableau nous a été révélé : ce n’est pas exactement un « plumet » que le bel adolescent agite au dessus de sa tête, mais un oiseau de paradis bien vivant, qu’il capture délicatement par le cou. Au XVIIème siècle, on ne connaissait  en Occident ces oiseaux que naturalisés et ayant perdu leurs pattes.  On pensait donc que ces volatiles merveilleux, les manucodiata, passaient leur vie à voler en se nourrissant du nectar du soleil [1].


ulisse_aldrovandi_ornotologia_

Manucodiata
Ornotologia d’Ulisse Aldrovandi, 1620

Par contraste,  le perroquet en bas  à droite déguste une nourriture terrestre : des cerises. Tandis que le cygne blanc qui vole en contrebas, ses pattes bien visibles à l’arrière,met d’autant plus en valeur l’oiseau céleste et multicolore.

Les oiseaux morts accrochés à la perche envoient un message assez  sinistre de nos jours, mais bien dans son époque : cet oiseleur très cartésien, « maître et possesseur de la nature », ne tolère en vie et en liberté que les oiseaux qu’il peut domestiquer :  le cygne et le perroquet. Même le merveilleux manucodiata va finir transformé en plumet selon la mode du temps…

rubens-ladoration-des-mages-detailL’adoration des Mages (détail)
Rubens, 1609, repris en 1628–29, Prado, Madrid
1-abraham_janssens_-_mount_olympus-detailL’Olympe (détail)
Abraham Janssens, 1609, Alte Pinakothek, Munich

Double Cliquer pour voir l’oeuvre en entier


Le tableau recèle par ailleurs un second petit mystère : pourquoi suit-il exactement l’iconographie juvénile de Saint Jean Baptiste au Désert, inaugurée au siècle précédent par Raphaël puis popularisée par Caravage ?

guido-reni-saint-john-the-baptist-1637Saint Jean Baptiste
Guido Reni, 1637,Dulwich Picture Gallery, Londres
michele_desubleo_attribuito_-_san_giovanni_battista_nel_desertoSaint Jean Baptiste
Michele Desubleo (attribué à),      National Gallery of Ireland, Dublin

Aucune chance que  le flamand Pieter Van Mol, qui a étudié à Anvers jusqu’en 1621 puis fait toute sa carrière à Paris, ait pu avoir connaissance du Saint Jean Baptiste de Reni (le tableau était encore en 1678 à Gênes dans la collection de G. Francesco Maria Balbi).

En revanche, Michele Desubleo était lui aussi un flamand élève de Janssens à Anvers, lequel a fortement influencé Mol. Il n’est pas impossible qu’une rencontre d’atelier ait pu produire nos deux chasseurs de sauvages :  en version sacrée un prédicateur, en version profane  un oiseleur.


L’oiseleur immoral

Mais le plus souvent, par un glissement inévitable, l’ingéniosité de l’Oiseleur, imitateur de chants, tireur de ficelles ,  trompeur professionnel  , le fait tomber du côté de l‘immoralité.

Et ceci, depuis les temps bibliques…

L’oiseleur biblique

Dans la Bible, l’oiseleur est mal vu. Il est comparé :

  • à la séductrice, l’étrangère aux douces paroles :

Il se met aussitôt à la suivre, comme le boeuf qui va à la boucherie, comme l’insensé qui court au châtiment des entraves; jusqu’à ce qu’une flèche lui perce le foie, comme l’oiseau qui se précipite dans le filet, sans savoir qu’il y va pour lui de sa vie. Proverbes 7,22-24

  • aux pécheurs :

C’est vainement qu’on jette le filet devant les yeux de tout ce qui a des ailes; eux, c’est contre leur propre sang qu’ils dressent des embûches; c’est à leur âme qu’ils tendent des pièges. Proverbes 1, 17-18

  • à la Mort :

« Les liens du schéol m’enlaçaient, les filets de la mort étaient tombés devant moi. » Psaume 18,6

  • aux méchants :

Car il se trouve parmi mon peuple des méchants ; Ils épient comme l’oiseleur qui dresse des pièges, Ils tendent des filets, et prennent des hommes. Comme une cage est remplie d’oiseaux, Leurs maisons sont remplies de fraude; C’est ainsi qu’ils deviennent puissants et riches. Jérémie 5:26 27


La mort oiseleurGiovanni Paolo Cimerlini, The Aviary of Death 1568, etching Blanton Museum of Art, the University of Texas at Austin

La mort oiseleur
Giovanni Paolo Cimerlini, 1568, Blanton Museum of Art, the University of Texas

Un groupe d’hommes discute sur la tour, un autre lit des livres près du point d’eau, un troisième à droite, formé d’hommes et de femmes , fait de la musique.

Un squelette agite avec un bâton et une ficelle un leurre planté au milieu ; à sa gauche, un écorché semble attendre qu’un oiseau vienne se percher sur un des bâtons fichés dans le sol ; à l’arrière-plan, un squelette et un lévrier poussent des humais vers un filet ; d’autres sont déjà pris au piège, en une masse informe.


R.P. Hermanni Hugonis, Societatis Jesu, Gottseelige Begierden Der Büssenden, Heiligen und in Gott verliebten Seelen, Sultzbach, Lichtenthaler 1669.R.P. Hermanni Hugonis, Societatis Jesu, Gottseelige Begierden Der Büssenden, Heiligen und in Gott verliebten Seelen, 1669, édité à Sultzbach par  Lichtenthaler

Le diable, les chiens de l’enfer et une furie incendiaire pourchassent un pauvre amour qui n’a pour défense qu’une cruche, tandis que Cupidon prend la fuite avec son arc. L’araignée nous signale que la Vanité n’est qu’un piège, dans lequel la Coquette s’est prise. Il s’agit d’illustrer à grand spectacle le psaume 18,6 :


L’oiseleur comme Méchant

embleme sic fraudibus

Sic fraudibus scatent eorum domus (Leurs maisons sont remplies de fraude)
Georgette de Montenay/Anna Roemer Visscher,
Cent emblemes chrestiens (c. 1615), Emblème 85 [1a]

Le texte associé à l’emblème paraphrase Jérémie :

« Regardez, où l’oiseleur étend ses filets, l’appeau
Se cache dans la cage, pour attirer ses parents dans les pièges.
Cette maison est inondée d’impostures, dans laquelle de nuit et de jour
les hordes impies s’abandonnent à leurs plaisirs. »

« En latitat caueis illex, vbi retia tendit
Auceps, cognatas vt trahat in laqueos.
Fraudibus illa fluit domus, in qua nocte dieque
Indvlgent animis impia turba suis »

Un autre texte est  destiné à nous aider à comprendre un détail de l’image :

« (les pervers) vont guettant les justes de travers,
Pour les surprendre et leur porter dommage
Mais Dieu les tient dessous sa main couverts,
Et tôt cherra sur les malins orage. »

L’image montre effectivement un pauvre oiseau en cage attirant ses parents, lesquels sont renvoyés, par la main de Dieu sortant des nuages orageux, en direction de l’église. Ainsi la menace supérieure contre-carre la menace inférieure.

Un esprit fort pourrait  voir, dans ce Dieu réduit à une enseigne impérieuse désignant  sa propre paroisse, une sorte de concurrence déloyale :

main ingénieuse contre main vertueuse, la cause des oiseaux  innocents taquinait déjà nos modernes apories.


Fides, sed cui, vides Jacobi Bornitii Emblemata Ethico Politica, gravure de Nicolaum Meerfeldt, edité par Bourgeat à Mayence, 1669Jacobi Bornitii Emblemata Ethico Politica, gravure de Nicolaum Meerfeldt, edité par Bourgeat à Mayence, 1669 Illustration de « Etwas fur alle, das ist: Eine kurtze Beschreibung allerley Stands-Ambts- und Bewerbs-Personen, » cuivre de Christoph Weigeln, 1711

Dans le premier emblème, l’image de l’oiseleur est mobilisée pour une injonction générale à la prudence :

Fais-confiance, mais ouvre l’oeil

Fides, sed cui, vides

Dans le second, il illustre par antithèse les oiseaux prudents, à savoir les bons chrétiens.

« Celui qui élève son cœur vers Dieu échappe aux cordes et aux postures » . [1b]


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L’oiseleur moraliste

 

Recueil Robertet, 1490-1520, BNF Français 24461 fol 71r

Dans ce recueil, chaque image illustre un proverbe, énoncé dans le dernier vers du quatrain :

« Nul de ma pipée n’approche
S’il n’est en amours bien appris (expérimenté)
Que la fin ne cheut (chute) en reproches,
Car les plus rouges (malins) y sont pris.

L’oiseleur dissimulé sans sa hutte a attaché une chouette sur un arbre enduit de glu : les petits oiseaux l’attaquent et se trouvent pris, certains réussissent néanmoins à s’envoler en cassant la branche qui colle à leurs pattes.

La chasse à la pipée est ici prise comme une métaphore générale des faux-semblants de l’amour, sans préciser si la chouette représente précisément la séductrice ou le séducteur. L’oiseleur s’exclut de la bataille : il se pose en manipulateur, mais aussi en moraliste, puisqu’il nous avertit de son piège.


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Le diable oiseleur

 

Dans la tradition germanique, le diable a partie liée avec la belle femme :


Hopfer_Daniel_Frau_Venus_mit_Amor_und_Teufel 1512 caFrau Vénus, l’Amour et le diable
Daniel Hopfer, 1512

C’est ce que suggère Hopfer dans cette gravure éclectique, qui fusionne la formule de Frau Vénus (Vénus avec des ailes; voir L’oiseleuse) et celle de la chasse à la pipée, avec ce diable tenant un brai (voir 7 Le nu de dos chez Dürer) et les oiseaux effarouchés qui foncent vers elle, caricatures de mâles. Seule la chouette posée sur sa main gauche n’est pas une caricature, puisqu’elle n’est autre que l‘alter ego de Frau Vénus, l’appât  auquel elle se substitue.



Hopfer_Daniel_Frau_Venus_mit_Amor_und_Teufel 1512 ca detail chardon crane
Comme le remarque Charles Scribner [1c], la figure d’Eve est suggérée par deux détails : le chardon qu’elle tient du bout des doigts – symbole de la terre aride après la Chute, et le crâne, de l’autre côté du Diable tentateur.



Hopfer_Daniel_Frau_Venus_mit_Amor_und_Teufel 1512 ca detail noeud
A noter aussi la coiffe nürembergeoise et le noeud d’amour autour du cou (un lien que seul la mort peut défaire), qui en font une femme fatale tout à fait à la mode du temps.


Giacomo Franco 1590-1600 article Predrizet la-revue-de-l-art-ancien
La Chasse à la Chouette
Giacomo Franco, 1590-1600

A la fin du siècle, la métaphore se clarifie : la chouette est la Femme, et les petits oiseaux les jeunes hommes qu’elle attire. Le rôle de l’oiseleur se scinde ici en deux personnages :

  • le satyre – figure humaniste du Diable – qui fait tourner la mécanique ;
  • un jeune homme admoniteur, dont la banderole reste énigmatique, excepté le mot « bouffon ».

Pour Paul Perdrizet [2], le geste de l’index à l’oeil signifie qu’il se tient sur ses gardes, et le chat qu’il serre sous son bras serait un emblème de la prudence. Pour ma part, je pense que l’animal a ici sa signification sexuelle habituelle, lorsqu’il est question de petits oiseaux : le jeune homme tient bien serrée sa belle, de peur qu’elle ne croque les mâles qui passent (voir Le chat et l’oiseau).


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L’Oiseleur oiselé

Dès le XIVème siècle, le poète Oswald von Wolkenstein retourne grivoisement la métaphore, dans son poème Ain jetterin (une cueilleuse) [2a]

 

Vogelfang_mit_Kloben Thomasin von Zirklaere, 1215-16, Wälscher Gast; zu Vers 891f, Sächsische Landesbibliothek Dresden, Ms M 67, fol. 11vChasse à la pipée, Thomasin von Zirklaere, Wälscher Gast, Vers 891f, Sächsische Landesbibliothek Dresden, Ms M 67, fol. 11v

Dans un premier temps, l’oiseleur armé de son bâton fendu (brai) , observe depuis sa hutte une jeune et jolie cueilleuse. Mais celle-ci entre dans la hutte et retourne contre lui tout son art, ce dont il se plaint amèrement :

« J’en ai marre de son brai,
trop souvent il exige mon bouvreuil.
La cabane va s’effondrer. » [2a]

Ainsi, d’une strophe à l’autre le brai, phallique par sa forme, devient vaginal par sa fonction.


1519 Thomas Murner Die Geuchmat. Munich, BSB Rar. 1791 vue 62Attraper le coucou
Thomas Murner, Die Geuchmat (Le pré aux coucous) 1519, Munich, BSB Rar. 1791 vue 62

C’est ce retournement de situation qu’illustre,  bien plus tard, cette caricature du livre satirique de Thomas Murner, où les coucous (cocus) se trouvent placés dans toutes sortes de situations dévalorisantes :

C’est une sagesse particulière
D’être bien équipé pour attraper un coucou.
On peut l’attraper bien mieux par le regard
Que par la chasse, les lacets et les filets.

Es ist eine eine spezielle Klugheit
Geuch zu fangen ausgerüstet zu sein
Man fang ihr gleich so viel mit blicken
Als mit jagen, garn und stricken

L’image se lit en comparant les deux gestes simultanés : au moment où l’oiseleuse attrape l’homme par la main, celui-ci laisse s’échapper son oiseau, autrement dit perd sa virilité.


1590-1600 pieter de jode L'oiseleur et une femme

L’oiseleur et une femme, Pieter de Jode, 1590-1600

Cette chasse à la pipée avec un hibou tête en bas est prise comme métaphore d’une situation amoureuse insatisfaisante [2b] :

Oijseleur, en ton art je voij grande simplesse.
C’est vraij; car mon hijbou point encor ne se dresse.


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L’Oiseleur féminisé

 

vLivre de Coeur d’Amour Epris. Provence, vers 1480-1485. BnF, ms. 24399, fol. 22v Pierre Sala, Emblèmes et devises d’amour Maître de Lyons vers 1500 BL Stowe 955, f.13Pierre Sala, Emblèmes et devises d’amour, Maître de Lyons vers 1500, BL Stowe 955, f.13

Tenture de Chère Aimable et Courtoise Manière

A l’origine, il ne s’agit que d’illustrer une métaphore galante : ces dames, qui n’ont de l’oiseleur que le filet, attendent que passe un coeur qui leur convienne :

Chiere amyable et cortoyse maniere
au coing du boys ont tendu leur pantiere (filet)
en atendant leure plus atreable (l’heure plus favorable)
que par la passe ♥ vollant peu estable (un coeur volage et peu stable)

Le coeur ailé est une édulcoration du phallus ailé qui apparaît dans des oeuvres moins courtoises (voir L’oiseau licencieux) : ce pourquoi sans doute ces dames le préfèrent « peu stable ».


Vogelherd. Holzschnitt, Erhard Schön zugeschrieben, um 1525-30Gravure attribuée à Erhard Schön, vers 1525-30

Cette composition rend explicite l‘appropriation par les femmes des techniques de l’oiseleur :

  • deux costumes de fou sont placés comme appât, sur la hutte et sur une souche ;
  • deux filets forment un couloir ;
  • le fou attrapé par le brai est ramené dans la hutte, qui en complète la symbolique vaginale.

Allégorie de l’Amour
Maître de Francfort, 1520-30, collection particulière

Cette frise en trois temps montre comment les hommes libres, mal conseillés par un fou, se font capturer, puis tenir par des laisses aussi discrètes qu’efficaces.


Vogelherd. Holzschnitt von Niklas Stör vers 1534Gravure de Niklas Stör vers 1534

La technique de piégeage est ici plus simple : la vieille oiseleuse dans sa hutte, aidée par un cochon symbolique, utilise un filet pour capturer des hommes de toute catégorie sociale, dont des moines. Trois femmes elles aussi de classes sociales différentes viennent les cueillir. L’homme sage est resté prudemment dans l’arbre.


Henri Bonnard La rete d'amore 1680 1700La rete d’amore, Henri Bonnard, 1680-1700

Dans cette gravure française destinée à l’exportation en Italie, le piégeage se complète de nouvelles spécialités : la mise en cage à gauche, le plumage à droite. Les grivoiseries ornithologiques semblent avoir été particulièrement répandues en Italie [2c].


L'appeau, dit L'oiseau pris dans les filets Boucher, LouvreL’appeau, dit L’oiseau pris dans les filets, Boucher, 1732, Louvre

La formule est encore vivante dans ce tableau inachevé de Boucher.


Ludwig_Lutz_Ehrenberger_-_Gimpelfang_(colour_litho) 1922La chasse aux bouvreuils (Gimpelfang)
Lithographie, Ludwig Lutz Ehrenberger, 1922

Un dernier écho  transparaît dans cette oiseleuse modern styl.

Sur d’autres femmes qui s’en prennent aux  oiseaux, voir L’oiseau chéri et  L’oiseleuse .


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A partir du dix-huitième siècle, l’oiseleur se spécialise dans un  type d’immoralité de moins en moins condamné  : celui de la chasse  aux filles.

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Greuze La paresseuse italienneIndolence (La Paresseuse Italienne)
Wadsworth Atheneum, Hartford
Greuze le_guitariste_dit_un_oiseleurLe Guitariste napolitain dit Un Oiseleur qui, au retour de la chasse, accorde sa guitare, National Museum, Varsovie

Greuze, 1757

Cet appariement détonnant  d’une oie blanche et d’un oiseleur cynique est étudié dans Les pendants de Greuze.


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Papageno Ramberg 1770

Papageno
Johann Heinrich Ramberg, gravé par Friedrich Wilhelm Meyer Senior (vers 1770)

A partir de la Flûte enchantée (1791), l’oiseleur devient résolument un personnage sympathique :

« Oui, je suis l’oiseleur,
toujours joyeux, holà hoplala !
Je suis connu
des jeunes et vieux dans tout le pays.
Si j’avais un filet pour attraper les filles,
je les attraperais par douzaines pour moi seul !
Je les enfermerais dans ma maison,
et elles seraient toutes à moi.

Et lorsque toutes les filles seraient à moi,
j’achèterais gentiment des sucreries
et à ma préférée
je les donnerais toutes.
Alors elle m’embrasserait doucement,
elle serait ma femme et moi son mari.
Elle dormirait à mes côtés
et je la bercerais comme une enfant »

« Der Vogelfänger bin ich ja –
stets lustig, heißa hopsasa »

La flûte enchantée, Acte I scène 2

Amoureux de toutes, mais fidèle à une seule, Papageno transporte sur son dos une pleine caisse  de métaphores.


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Walther von der Vogelweider Eduard Ille

Le minnesänger Walther von der Vogelweide
Eduard Ille, fin XIXème

Le poète médiéval « Guillaume de Lavolière » est ici représenté en fauconnier et mandoliniste, entouré d’une cour ailée : que ce soit en liberté ou en cage, la gent ailée est sous le charme.


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gp_miroir_alouettes

Le miroir aux alouettes
Jean Ernest AUBERT, Gravure de Mozelle, 1885

Dans cette gravure plus technique, les volatiles ont perdu leurs plumes et concourent vers un phallus à facettes, brandi par un oiseleur ailé.

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Edoardo Gioja charmant fauconnier

Edoardo Gioja
Le charmant fauconnier, fin XIXème,  Collection particulière

Le thème du fauconnier est  proche de celui de l’oiseleur : l’un accumule par la ruse ce que l’autre obtient par la vigueur de son rapace : les deux belles dames le toucheraient bien, si elles osaient.

Une bourse bien remplie démontre un grand succès d’estime.

Le  compagnon dégoûté regarde en bas, à la  recherche de proies moins difficiles.


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Carl Offterdinger La Flute enchantee 1884

La Flûte enchantée
Chromolithographie de Carl Offterdinger, 1884

Retour à la référence obligée : ici, Papageno rejoint Orphée pour  tenir sous le charme de sa flûte une théorie d’oiseaux exotiques, la plupart puissamment membrés (l’oiseau à long cou est bien souvent une métaphore virile, voir L’oiseau licencieux  ).


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Jean Marais oiseleur 1951

L’oiseleur
Jean Marais, 1951 Collection particulière

C’est bien chastement que ce tableau de Jean Marais restitue à l’oiseleur  sa logique interne,  qui aurait dû en faire un thème homosexuel éminent.


Le marchand  ou la marchande d’oiseau

Version urbaine de l’oiseleur, cette figure illustre plaisamment celui ou celle qui multiplie les conquêtes.

bird_seller

Le vendeur d’oiseau
Gravure de Gillis van Breen d’après Claes Jansz Clock

Image anodine d’une maîtresse de maison faisant son marché, sa servante derrière elle, hérissée de bottes de carottes (sans doute beaucoup de lapins à nourrir à la maison).

Mais le marchand a la main dans un sac (ou dans sa braguette) et  le texte explique  gaillardement qu’il refuse de vendre son oiseau, car il le réserve pour une autre dame qu’il « oiselle »  (le verbe fameux verbe vogelen). La figure du marchand  lubrique, bien  repérée dans l’art hollandais [3].


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Metsu 1662 Vieil homme vendant de la volaille Gemaldegalerie Alte Meister DresdeVieil homme vendant de la volaille Metsu 1662 Jeune femme vendant de la volaille Gemaldegalerie Alte Meister DresdeJeune femme vendant de la volaille

Metsu, 1662, Gemäldegalerie Alte Meister, Dresde

Ce remarquable pendant sur le thème comparé du marchand et de marchande de volailles est étudié dans Les pendants de Metsu .


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A-young-woman-mourning-a-dead-dove-a-partridge-and-a-kingfisher-Jacob-de-Gheyn-II-Nationalmuseum - Stockholm

Jeune fille pleurant une colombe, une perdrix et un martin-pêcheur morts
Jacob de Gheyn II, Nationalmuseum, Stockholm

Ce sujet étrange ne s’explique que comme antithèse de la figure précédente : à la marchande délurée qui tord le cou sans sans états d’âme à ses volailles, s’oppose la tendre jeune fille qui s’émeut de la mort de si doux et si aimables volatiles.

C’est Greuze qui rendra transparent ce thème érotico-sentimental de la jeune fille éplorée : voir  2 L’oiseau mort .


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Les petits oiseleurs Francois Boucher ou son atelier Collection part

Les petits oiseleurs
Francois Boucher ou son atelier, milieu XVIIème, collection particulière

Le thème de l’Amour Oiseleur constitue la réponse française au poulet à la flamande.

Dans ce tableau parmi tant d’autre de l’époque, des Amours capturent des oisillons autour d’un Cupidon vanné : comprenons qu’ils rechargent sa cage, comme les flèches son carquois.


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Kern_The_Bachelors_Home

La maison du célibataire
Hermann Armin Kern, fin XIXème, Collection privée

La figure du collectionneur de conquêtes est détournée ici en celle d’un vieux célibataire inoffensif, qui  multiplie les cages et les oiseaux, en proportion inverse de sa capacité à les faire voleter. Impuissance soulignée par l’image de la carotte rappée à hauteur du bas ventre.

L’image du siphon vide sur la commode milite probablement dans le même sens.


Références :
[1] Pour des représentations anciennes du Manucodiata, on peut consulter  http://peterkorver.com/finds/429/ ou http://www.symbolforschung.ch/Tier-Allegorien.html.
[1b] Sur la symbolique de l’oiseleur dans les pays germaniques, voir http://www.symbolforschung.ch/jagd.html
[1c] Charles Scribner, III, « Daniel Hopfer’s « Venus and Amor »: Some Iconographic Observations » Record of the Art Museum, Princeton University, Vol. 35, No. 1 (1976) https://www.jstor.org/stable/3774451
Dans cet article, Scribner n’avait pas identifié le brai, ce qu’il corrigera l’année d’après, mais sans connaître la chasse à la pipée :
Charles Scribner, III, Hopfer’s « Venus and Amor »: An Addendum, Record of the Art Museum, Princeton University, Vol. 36, No. 1 (1977), pp. 25-27 (3 pages) https://www.jstor.org/stable/3774446
[2] Sur l’analyse de Perdrizet et d’autres exemples de cette iconographie, voir l’article de Jean-Yves Cordier https://www.lavieb-aile.com/2017/05/la-chouette-ou-le-hibou-harceles-par-des-oiseaux.la-chasse-a-la-pipee-description-cynegetique-et-valeur-allegorique.troi-8
[2a] Pour la traduction en allemand moderne, voir http://www.fabelnundanderes.at/olieder_1-16.htm
[2b] Sur cette gravure et ses équivalents, voir , E. de Jongh « Mirror of everyday life : genreprints in the Netherlands, 1550-1700 » p 85 https://archive.org/details/mirrorofeveryday0000jong/page/85/mode/1up?view=theater
[2c] Allen J Grieco « From roosters to cocks: Italian renaissance fowl and sexuality » dans Erotic Cultures of Renaissance Italy, 2010 https://www.academia.edu/2399314/From_roosters_to_cocks_Italian_renaissance_fowl_and_sexuality
[3] E. de Jongh, 2008, « Tot lering en vermaak Betekenissen van Hollandse genrevoorstellingen uit dezeventiende eeuw », p 167 http://www.dbnl.org/tekst/jong076totl01_01/colofon.htm