L’oiseau licencieux

11 novembre 2014

L’oiseau devient parfois le support lubrique d’une imagerie licencieuse…

Phallus ailé et vagins sur un couvercle attique,

vers 450-425 av. J.-C., Musée national archéologique, Athènes

NAMA_Phallus_aile

Trois noms sont inscrits : Philonides (sous le phallus), Auletria, et Anemone. Celui de la troisième demoiselle nous est inconnu.


Tintinnabulum

Bronze pompéien, 1er siècle ap JC

tintinabullum pompei
Le phallus ailé, orné de grelots,  était un porte-bonheur courant chez les Romains. On n’en connaît pas la signification précise : allusion aux performances  ascensionnelles de l’objet, au caractère volage de son possesseur, ou culte de la fertilité  ?



« Purinega tien duro »

Cuivre gravé fin XVème, Italie du Nord, National Gallery of Art, Washington

Purinega tien duro
Dans cette scène érotique exceptionnelle pour l’époque, un membre ailé à pattes griffues, portant le grelot des oiseaux de proie, vient rejoindre, sur une sorte de perchoir posé sur une branche, un couple pratiquant une position peu orthodoxe.

A noter qu’en italien, le terme « ucello » désigne le membre viril (la signification sexuelle des oiseaux dans l’Italie de la Renaissance a été etudiée en détail par Allen J Grieco [1]). Nous sommes donc en présence d’un oiseau monstrueux rejoignant un homme-oiseau en train d’exercer son oiseau.

Il ne faut pas trop compter sur le texte pour fournir une explication limpide  : la traduction proposée par d’éminents spécialistes se rapproche de « Même si çà les détruisait (pur i (a)nega), que çà tienne dur ».

Une explication serait que les amulettes en forme de phallus ailé étaient une protection contre les mauvais sorts jetés à l’encontre de la virilité (voir [1a])

Le revers de la plaque de cuivre comporte une autre scène moins connue, foisonnant d’allusions sexuelles (expliquées dans [1], p 97)



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De vita et honestate clericorum, XIVeme, BNF, ms latin 4014 fol1De vita et honestate clericorum, XIVeme, BNF, ms latin 4014 fol1 1794-95 Ce_quelle_voit_en_songe Lequeu_Jea detailCe qu’elle voit en songe, Dessin de Jean Jacques Lequeu, 1794-95, GallicaCliquer pour voir l’ensemble

Notons que, depuis les Romains et  bien avant Freud, l‘oiseau est associé au phallus et l’extension des ailes à l’érection.


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Pour Allen J Grieco, cette association se renforce au Moyen-âge par le biais des théories médicinales et diététiques : les oiseaux, animaux chauds car habitants de l’Air, sont une nourriture qui échauffe les sens. C’est pourquoi les tableaux accumulant les volailles ont fréquemment une composante érotique.


Les volaillières
Bartolomeo Passarotti, vers 1580, Fondation Roberto Longhi

C’est le cas de la vieille femme en bouche à bec avec un coq, et de la jeune plumant contre sa plantureuse poitrine une dinde particulièrement turgescente (il suffit de la regarder à l’envers). Comme le fait remarquer Allen J Grieco ([1], p 125) :

« La signature ironique dans le coin inférieur droit du tableau, un moineau (passero) perché sur une cruche de vin, fait allusion au nom du peintre tout en ajoutant aux sous-entendus érotiques du tableau. »

Un des sous-entendus de l’image est celui de la prostitution :

La jeune femme s’expose et semble vanter ses charmes car elle est placée devant l’étal – voire sur l’étal : visuellement, son tabouret forme la continuité de la cage. Elle devient marchandise parmi les produits vendus. Tandis qu’elle croise les jambes, la jeune volaillère lève sa jambe droite et laisse voir sa chaussure et son bas. Cette « jambe en l’air » est un des signes de l’exhibitionnisme féminin ; ce motif obscène est repris ici par Passerotti. À cette idée, le peintre associe celle développée par certains auteurs de l’époque24 selon laquelle les activités de vente sont, pour les femmes, une couverture servant à masquer leur activité de prostitution. Si la jeune femme vend ses charmes, sa vieille compagne est alors l’entremetteuse qui sert d’intermédiaire entre le client et la prostituée. Valérie Boudier [1b]


La volaillière, Bartolomeo Passarotti, vers 1580, collection privée

Le coq est ici magnifié par une poularde roulée en boule devant lui, qui complète sa silhouette glorieuse.

Jeune homme avec un chardonneret et un nid dans un pot à oiseaux

Carel de Moor (II), vers 1700,  Dulwich Picture Gallery.

Carel de Moor (II) Boy with a goldfinch and its nest in a bird-pot vers 1700 Dulwich Picture Gallery

A quoi le jeune homme sourit-il, sinon à la dimension manifestement masturbatoire du pot à oiseaux ?



L’oiseau privé, dit aussi Le couple et l’oiseau envolé

Boilly, fin XVIIIème, Louvre, Paris

Boilly L oiseau prive dit aussi le couple et l oiseau envole
Ainsi un tout petit oiseau  peut parfaitement faire image : les particularités remarquables étant de se faufiler partout et de se déployer en envergure.

Ici la femme mesure, de ses deux mains, l’écart entre le signifiant et le signifié.


Mais de manière générale, l’oiseau le plus lubrique  est le cygne au long cou. En voici quelques exemples choisis…

Léda et le cygne

Tintoret, 1555, Musée des Offices, Florence.

tintoret Leda
En figurant Leda et son cygne dans une chambre à coucher, Tintoret acclimate le mythe antique au décor des courtisanes vénitiennes.

« À droite de l’image, Jupiter transformé en  cygne entre dans la pièce, séduit par la nudité de Léda ; un petit chien vient à sa rencontre. De l’autre côté, une servante amène une grande cage en bois contenant un canard ; un petit chat curieux le regarde intensément.
tintoret Leda detail
Les deux côtés de la toile se répondent de manière spéculaire. Le cygne et la cage sont coupés par le cadrage serré, et les actions des deux femmes, reliées par un jeu de regards et une correspondance de gestes, semblent narrativement coordonnées. Alors que Léda attire le cygne en le saisissant par le cou, la domestique apporte une cage suffisamment grande pour l’enfermer. Jupiter, traditionnellement au centre de l’action, est sur le point d’être piégé, victime de l’entente silencieuse entre les deux femmes…. Le chef des dieux, en se transformant en cygne, devient un « oiseau » comme un autre qui, séduit par Léda, est attiré dans un piège… Le perroquet et le canard encagés préfigurent la future situation de Jupiter. Ils ne sont pas de simples ornements de la chambre, mais des métaphores « de l’amour et de ses dangers » ». [2], p 56 et ss

Plus précisément :

« La cage est une métaphore courante du sexe féminin ; la présence du canard dans la cage figurerait un moment postérieur lors duquel Jupiter, pénétrant dans la métaphore du sexe de Léda, se trouve pris au piège et devient un simple animal domestique comme les autres présents dans l’image. »

Cette iconographie exceptionnelle visait probablement à produire un effet comique  quant  aux malheurs de Jupiter  :

« Dans toutes les oeuvres et les textes antérieurs, le dieu fait coucher Léda sous ses ailes et il s’unit avec elle en utilisant l’astuce ou la force ; dans l’oeuvre de Tintoret, en revanche, Léda dirige l’action et Jupiter trompé devient la victime….En se transformant en oiseau, le dieu est littéralement « uccellato » et « fa una figura da uccello », c’est-à-dire qu’il « est pris au piège » et qu’il « se rend ridicule »… Non seulement il sera enfermé dans une cage, mais il devra partager cet espace confiné avec un canard, un animal beaucoup plus humble que lui »  [2], p 58 et ss

La langue italienne complétait le comique de la situation de Jupiter par un comique verbal :

« À la Renaissance, le terme uccello désigne comme aujourd’hui le membre masculin  et dans les comédies de la première moitié du XVIème siècle, l’archétype de l’homme piégé par ses excès libidineux est Calandrino, dont le nom signifie « oiseau enfermé dans une cage » … Pour un spectateur de l’époque, la vision de Jupiter représenté sous forme de cygne, le cou dressé entre les mains de la princesse  est vraisemblablement très comique. » [2], p 63

Leda, quant à elle, prend la pose d’une courtisane vénitienne :

tintoret Leda mains
« La main de Léda, posée sur l’aile du palmipède, présente l’index allongé comme un digitus impudicus, les doigts de l’autre main glissent entre les draps défaits ; ces gestes, qui évoquent notamment l’acte sexuel, sont utilisés par Titien dans sa seconde version de Danaé. »

La cage est également à comprendre comme une spécialité vénitienne :

« Quant à la grande cage carrée, on peut facilement l’interpréter comme une allusion au supplice de la Cheba, utilisé jusqu’en 1518 par la Justice vénitienne pour punir les crimes les plus graves. La Cheba était une cage carrée suspendue à une poutre du clocher de saint Marc ou du palais des doges ; le condamné y était enfermé et exposé à la vindicte populaire jusqu’à ce qu’il meure parfois de faim et de soif. [2], p 63

Le couple  du canard et du chat (voir Le chat et l’oiseau)  fait comprendre la situation d’ensemble, ramenant le cygne divin à un vulgaire palmipède et réduisant la corps de la princesse à son centre principal d’intérêt .


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Léda et le Cygne

Attribué à Boucher, vers 1740, Collection privée

Attribue_a_Francois_Boucher,_Leda_et_le_Cygne_(vers_1740)
Le long cou du cygne est ici exploité avec franchise, sans hypocrisie ni rétraction mythologique.


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Thermidor

Gravure coloriée, entre 1804 et 1806

Thermidor

« Sous un soleil brûlant l’eau qui tombe en cascade
Et les jeux séduisants de ce Signe amoureux
Aux délices du bain invitent la Naïade
Qui dans l’onde limpide attiédira ses feux. »

D’une manière plus didactique, Léda démocratisée en une quelconque naïade est ici associée au signe du Lion, que l’on voit à la fois dans le ciel et sous forme de robinet dans la baignoire.



Thermidor detail
En porte-savon, un faune marin manie entre ses jambes une métaphore du bec, finalement plus prude que la version Ancien Régime de Boucher.

A noter le calembour de la légende : le Signe amoureux désignant non pas le félin astral, mais le palmipède entreprenant.


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Leda Luca Cambiaso 1570 Coll priveeLuca Cambiaso, 1570, Collection privée gericault leda et le cygne 1818Géricault ,1818, Collection privée
Leda-gerda-wegener 1925Gerda Wegener, 1925 Leda padua paul mathias 1939 Collection HitlerPadua (Paul Mathias), 1939, anciennement Collection Hitler

Leda et le cygne

Concernant l’iconographie foisonnante de Leda et du Cygne, nous nous limiterons à ces quatre exemples peu connus, dans lesquels la plasticité du cou de l’animal est exploitée de manière particulièrement méritante.


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L’éducation d’Orphée

Georges Callot, 1884, Châlons-en-Champagne, musée municipal

Georges Callot, L enfance d'Orphee
Une naïade jouant de la lyre attire un cygne jouant des ailes et du cou.

Le petit Orphée, encore incapable d’imiter la femme, imite l’oiseau, les bras ouverts, le cou dressé et l’oreille tendue. Un épi de roseau figure ce qui lui manque encore.


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L’odalisque

Lord Leighton, 1862, Collection privée

leighton odalisque-huge

Cette odalisque alanguie , dénudée d’un bras et d’un sein, observe le cygne blanc qui tend son cou vers elle et  arrondit ses ailes. L’odalisque était, au harem, un jeune fille vierge mise au service des concubines en titre, dont le seul espoir était d’obtenir les faveurs sexuelles du sultan : d’où  son regard rêveur. Les papillons, emblèmes de la beauté fugace, lui rappellent que son temps est compté.

L’éventail  suggère que le cygne réagit à l’excitation sexuelle de la même manière que le paon,  par cet  hérissement de plumes.

« Suis-je assez belle pour attirer le sultan ? » telle est la question de l’odalisque.

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Nicholas Kalmakoff a tout du cliché improbable : aristocrate russe né dans le luxe, il vécut dans la misère à Paris en se nourrissant de bouillon Kub et en voyant le diable à l’occasion ; mysogyne, narcissique et hautain pour se rendre insupportable à tous, mort à l’asile  : quarante de ses tableaux furent retrouvés aux Puces en 1962 signés d’un K mystérieux (pour un aperçu de sa vie et de son oeuvre, voir http://visionaryrevue.com/webtext3/kal1.html).

Léda

Nicholas Kalmakoff, 1917

Kalmakoff Nicholas leda and the white swan 1917

Léda et le cygne dans l’eau
Nicholas Kalmakoff, pastel, 1917

Léda vivait sur Terre, Jupiter dans le Ciel : en prenant forme de cygne, il la rencontra dans l’Eau, élément intermédiaire, dangereux pour elle, propice pour lui.

Rousse et couverte de bijoux comme une princesse sarmate, elle le repousse mollement sans perdre de l’oeil son bec avantageux.



Kalmakoff Nicholas leda and the white swan 1917 schema
Tandis qu’en haut le bras et le cou s’opposent dans un affrontement simulé, en bas les rotondités de la cuisse et du jabot s’accolent dans un rapprochement consenti.


Kalmakoff Nicholas - Leda and the Black Swan - 1917

Léda et le cygne sur terre
Nicholas Kalmakoff, 1917

L’animal de l’Air et de l’Eau s’est aventuré sur la Terre, dans un lit vert comme la fertilité et rouge comme la passion.

Le bras tendu vers son compagnon noir, la femme brune accueille simultanément le Sexe et la Nuit.


Kalmakoff Nicholas - Leda and the Black Swan - 1917 detail
Attiré par le bec turgescent et les feuilles de lierre vulvaires,  l’oeil ne prête pas  attention à la patte griffue : le coït symbolique éclipse le coït physique.


Pour ses deux Léda, pour ces deux moments de l’Amour que sont la séduction et la satisfaction, Kalmakoff  recourt au même procédé de composition  :

le haut du tableau montre le simulacre, le bas la réalité.


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Carte postale de la série Geishas

Raphael Kirschner, 1901

raphael Kirschner geisha-5
Traduction en version japonaise par le brillantissime  Kirschner : les trois  Lédas-geisha aux cheveux ornés de nénuphars – une blonde, une rousse et une brune – s’occupent chacune de son cygne,  sous l’égide triangulaire du mont Fuji à l’horizon.


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Léda

 Jean-Adrien Mercier,août 1929, Archives  municipales, Angers

Jean-Adrien Mercier_Leda_1929
De la Sinuosité Serpentine d’un cou(p) de Signe…


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Cygne endormi (Sleeping swan)

Lithographie de Michael Parkes, 2000

michael-parkes-sleepingswan 2000

Un cou replié, mais tout prêt, comme le suggère le lampadaire, à reprendre sa position verticale.


Autre caractéristique intéressante s’ajoutant à la longueur du cou : la longueur des pattes. C’est pourquoi, en variante du cygne trop connu, un autre type d’oiseau symbolique a été parfois utilisé comme accessoire pour dames : l’échassier.

Odalisque

Francesco Paolo Michetti, 1873

Francesco Paolo Michetti Odalisque 1873
Commençons par un modèle miniature  : l’ibis égyptien, noble comme l’orientalisme, rose et maniable comme un sex-toy avant la lettre.



Le Flamant rose

Benjamin Constant, 1876, Musée des beaux-arts de Montréal

benjamin constant Le Flamant rose, 1876
Ce tranquille flamant tenté par un pamplemousse pourrait sembler tout à fait anodin, n’était la jarre béante qui lui fait  pendant.


L’ambassade (Die Gesandtschaft)

Max Klinger, 1882, Musée des Beaux Arts, Leipzig

klinger 1882 L'ambassade Die Gesandtschaft Musee des BA Leizig

Le flamant, au cou intéressant, est envoyé en ambassade par deux marabouts guindés, comiquement plantés sur un seul pied. Malgré qu’ils se rengorgent, l’absence de goître les dénonce comme deux jeunes mâles inexpérimentés, qui délèguent les travaux d’approche à un entremetteur plus avantagé par la nature.


Second Intermezzo Rettungen Ovidischer Opfer, Opus II, 9
Klinger, 1879, Bristish Museum

Klinger avait probablement en tête cette composition réalisée trois ans plus tôt : l’Artiste, seul sur une plage et entouré de cactus, portraiture un marabout tandis que quatre Critiques, ses semblables, confèrent derrière lui.


Le Marabout dans le Harem

Gérôme, vers 1889, Collection privée

Jean-Leon Gereme Le Marabout in the Harem
Cagneux et chauve, inconscient de sa laideur, le marabout  déambule dans le bassin, déplaçant des poissons rouges qui ne le craignent pas,  sous le regard moqueur des odalisques.

Il y a bien sûr de l’humour dans cette exhibition,  par un vieil oiseau libidineux, d’un organe démesuré au milieu de femmes sarcastiques : les amateurs fortunés de la peinture de Gérôme étaient capables d’apprécier les nus voluptueux tout autant que leur propre caricature.

Diadumenè

Edward John Poynter, 1883, Royal Albert Memorial Museum, Exeter

Edward_John_Poynter_-_Diadumene

L’alibi du classicisme permet à Poynter de risquer cette nudité, très crue pour l’époque en Angleterre,  et qui le fera taxer d’immoralité  : la Vénus de l’Esquilin aux Thermes.



Venus Esquilin

Pour sa restitution des bras, Poynter imagine que la jeune fille attache ses cheveux avec un ruban, avant le bain. Dans une longue lettre au Times, il explique que c’est le petit doigt de la main gauche encore visible sur l’arrière de la tête, et la direction du ruban, qui lui ont inspiré cette reconstitution : bras gauche levé pour tenir les cheveux tandis que le droit enroule le ruban (voir [3])


Edward_John_Poynter_-_Diadumene oiseau
L’oiseau peut se comprendre comme un témoin innocent – la projection autorisée du spectateur dans le tableau – bien que sa posture le classe dans la tradition des volatiles érectiles.



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Diadumenè, 1893, Collection privée

Faute d’avoir trouvé un acheteur suffisamment audacieux, Poynter produisit cette seconde version, embarrassée de drapés et débarrassée de l’oiseau (remarquer la statue d’argent, dans la niche qui, pour enfoncer le clou, reproduit encore une fois la même  pose).


Chasseur indien

George de Forest Brush, 1887, Collection privée

Forest Indieb ramenant un cygne mort

Brush s’est spécialisé dans les sujets indiens, peignant toute  une série de guerriers bronzés ayant pour proie de prédilection  les cygnes et les flamants roses. Voici un exemple dans lequel le long cou rivalise avec le long pagne, dans une composition qui pourrait s’intituler : le Repos du Chasseur.


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Orphée
George de Forest Brush, 1890, Museum of fine art, Boston

A titre de curiosité, cet Orphée très athlétique, tenant sur son bas-ventre une lyre de compétition pour subjuguer des lapins sexuellement explicites.


Les oiseaux de Max Švabinský

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Gravure de Max Švabinský, « Paradiesische Sonate », Drittes Blatt des Zyklus, 1920

A gauche et à droite, un Phalangère à fleurs de lys (dit encore Bâton de Joseph) et des ombelles sont attaqués par des insectes volants. Au centre, un flamant turgescent semble disposé à faire de même avec la cible que lui propose le faune.

Oiseaux (rajky) 1904Oiseaux (rajky) 1904 Max Svabinsky L'oiseau bleu 1907 Narodni Galerie, PragueL’oiseau bleu (Modrá rajka)
Max Švabinský, 1907, Narodni Galerie, Prague

Le fantasme de la femme nue  visitée par un oiseau revient plusieurs fois chez Max Švabinský…


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Parasol jaune – été (Žlutý slunečník -Léto) 
Max Švabinský, 1909, Collection privée

jusqu’à cette concurrence fortuite, sur un tapis de plage, entre un faisan doré et un parasol.


Femmes et flamants roses

Hans Zatska, fin XIXème, Collection Privée

Hans Zatska Femmes et flamants

Prolifique metteur en scène de petites dames dans des compositions alimentaires, Zatska invente ici un décor composite, mi temple antique,mi boudoir, dans lequel deux prêtresses s’intéressent à deux flamants, lesquels s’intéressent… à un melon  : de la réduction des nobles intentions à la métaphore juteuse…

Hans Zatska Le soir magique

Le soir magique, Hans Zatska

Même principe de « reductio ad libido » dans cet autre décor, en extérieur cette fois : une fille en déshabillé vaporeux – qui doit être une fée vu l’étoile brillant à son diadème – tend à une autre  fille – qui doit être une princesse antique vu ses bijoux et ses sandales à la grecque – une luciole, le tout sous un croissant de lune.

Le détail scabreux est que le héron, en se tordant le cou pour lorgner l’insecte, pointe son bec vers l’entrejambe de la fée.

hans zatzka L'excitation (The tease)
La tentation (the tease), Hans Zatska

Avec son habit traditionnel, revoici notre princesse, cette fois en tête à bec avec une cigogne en extension

L’ironie étant que l’objet de cette émotion manifeste n’est pas la Belle dans son ensemble, mais   la minuscule grenouille verte : le désir réduit à la gourmandise.


Le paravent japonais

Robert Lewis Reid

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Circé et Anatole, Robert Lewis Reid, 1920-26, Akron Art  Museum

Ce tableau s’inspire de la pièce Anatole de Schnitzler (1893) : ce riche séducteur est ici caricaturé sous forme d’un pantin à la mandoline démesurée, manipulé par Circé la Magicienne. Mais ce qui nous intéresse est le magnifique paravent japonais orné d’une grue, qui appartenait effectivement au peintre, et dont il a exploité dans une série de tableaux le potentiel symbolique.


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Le paravent japonais, Reid, Collection privée

Le paravent prend ici la première place, l’oiseau crève  l’écran, dominant de toute sa taille la femme nue.


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Bleu et jaune, Reid, vers 1910, Collection privée

Acculée dans l’angle du paravent, entre la grue qui marche et la grue qui vole, la femme en kimono bleu semble résignée à subir une offensive combinée terre et air.


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Le miroir, Reid, vers 1910, Smithsonian American Art Museum

Dans cette dernière itération, la femme  en robe de soirée bleue est libre de ses mouvements.  Elle dirige vers le spectateur un miroir circulaire, tout en frôlant le paravent du bras. Sans doute faut-il comprendre qu’elle a attiré l’oiseau avec son miroir aux alouettes, et qu’elle lui tend le bras pour qu’il s’y pose.

Devenue dominante et active, la femme dirige l’oiseau et choisit le moment.



Cartes postale aviaires

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Chicago, vers 1920

the-princess-and-the-peacock-1932.La princesse et le paon1932

A gauche, l’oiseau monté sur colonne est tenu à l’oeil, flatté d’une main et  mis en garde de l’autre par un index ambigu : lui est-il demandé de se tenir tranquille, ou d’atteindre la taille voulue  ?

A droite, la taille obtenue semble plus que satisfaisante.


Oiseau

Mahlon Blaine, 1946, Collection privée

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« Dans ce travail, le deuxième de la série, un oiseau mécanique menace la déesse nue à la chevelure de Méduse  qui se recroqueville au sommet d’un robot en pierre, dans une palette rouge, blanc et bleu   infusée de patriotisme américain » [4]



Le bronzage interrompu

Pinup de Gil Elvgren, 1960

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L’ombre du pélican tombe sur la jambe de la belle, qui s’offusque, moins du cou considérable  du volatile, que de cet attentat à son bronzage. L’humour réside dans les deux poissons bleus qui décorent le soutien-gorge, suggérant que l’oiseau, à la différence du spectateur, est plus attiré par le contenant que par le contenu.



pinup pelican_1960 photo
Ce sujet bizarre s’est développé à partir de l’ombre de la main sur le mollet, dans la photographie originale.


Nid douillet

Mustapha Merchaoui

MUSTAPHA MERCHAOUI Nid_douillet

Ce tableau moderne pourrait illustrer une très ancienne métaphore rappelée par Grieco ([1] p 93) :

Le médecin Savonarole… écrit sur les prostituées de Ferrare, qui ont été autorisées par les autorités de la ville à garder leurs seins partiellement ou totalement découverts afin de combattre le vice corrompu contre nature (l’homosexualité masculine) et mettre l’oiseau sur la voie pour qu’il revienne dans le nid.


Références :
[1] Allen J Grieco « From roosters to cocks: Italian renaissance fowl and sexuality » dans « Erotic Cultures of Renaissance Italy, », 2010,  https://www.academia.edu/2399314/From_roosters_to_cocks_Italian_renaissance_fowl_and_sexuality
[1b] Valérie Boudier, Représenter volailles et volaillères dans la peinture italienne du Cinquecento. Analogies physiques et associations alimentaires dans les tableaux de Campi et Passerotti Revue d’ethnoécologie 12 | 2017 http://journals.openedition.org/ethnoecologie/3294
[2] Giove uccellato : quand les métamorphoses se font extravagantes, Francesca Alberti, n E. Boillet, C. Lastraioli (ed.), Extravagances amoureuses: l’amour au-delà de la norme à la Renaissance (Paris, Honoré Champion, 2010), p. 40-70
http://www.academia.edu/5757296/_Giove_uccellato_quand_les_m%C3%A9tamorphoses_se_font_extravagantes_in_E._Boillet_C._Lastraioli_ed._Extravagances_amoureuses_lamour_au-del%C3%A0_de_la_norme_%C3%A0_la_Renaissance_Paris_Honor%C3%A9_Champion_2010_p._40-70
[4]Sur l’artiste maudit que fut Mahlon Blaine, on peut consulter http://grapefruitmoongallery.com/9309

La cage à oiseaux : y entrer

9 novembre 2014

La cage à oiseaux est un réceptacle qui intéresse les deux sexes, selon qu’on considère ce qui y entre ou ce qui en sort.

Voici quelques exemples où elle penche côté fille, en tant que lieu accueillant pour les petits oiseaux.

 

La dame étant arrivée, elle s’assit, ouvrit sa cage et y introduisit le rossignol, en tirant sur le faisceau au grand contentement de chacun.

Pietro Aretino, Sei giornate, 1534 (Bari, 1969), p. 28.

Avvedutasene madama, postasi a sedere, spalancata la gabbia e misocidentro il lusignolo, si tirò a dosso il fascio con gran contentezza d’ognuno’.

Le château mal défendu

Maitre du Livre de Raison, 1475-85, collection privée

Maitre du Livre de Raison 1475-85 L'anti chateau de l'Amour col priv

Cette aquarelle ambigüe, comme d’autres du Livre de raison, a donné lieu à des commentaires variés.

Dans une interprétation sociologisante, Norbert Elias [1] y voit essentiellement les plaisirs de la noblesse, à gauche, et les labeurs des serviteurs, à droite.

Campbell Hutchinson [2] pense que la justification première de la page (illustrer des soins vétérinaires, dans le même esprit didactique que d’autres images du Livre de Raison) a été complétée par une charge contre l’amour courtois, montrant comment les femmes essaient de piéger les hommes de toute condition : le jeune chevalier portant l’écharpe de l’ordre de la Toison d’or aussi bien que le nourrisseur d’oies, à laquelle la fille du puits propose ce qui semble être une pomme. Dans cette lecture, la cage vide serait un dispositif de piégeage tout comme, juste au dessus, le lacet qui a capturé le paysan. On pourrait y voir aussi l’habituel emblème hollandais de la prostitution (voir La cage hollandaise).

Michael Camille [3] pousse encore plus loin l’interprétation en terme de monde à l’envers, où les femmes ont pris l’initiative et où sont dévoyées toutes les métaphores habituelles de l’amour courtois :

« Le jardin du printemps est devenu une branche hivernale à laquelle se balance un jeune abruti, la fontaine se transforme en un puits de lubricité d’où une prostituée fait signe, et, le plus pervers de tous, le Château de l’Amour lui-même, l’édifice qui devrait présenter son portail parfaitement proportionné pour la pénétration frontale, se révèle être, comme le cul de la jeune fille saisi par le jeune homme à l’extrême gauche, le derrière-même de l’amour. »



Maitre du Livre de Raison 1475-85 L'anti chateau de l'Amour col priv detailToujours dans le thème de la chasse aux hommes, Christoph zu Waldburg Wolfegg [4] donne de la porteuse de cage une explication très précise :

« Une autre a retroussé ses jupes pour pouvoir courir plus vite. De manière appropriée, elle tient une cage vide dans sa main. Une dame plus convenable place une main prudente sur son bras dans une tentative infructueuse pour la retenir. L’objet de son désir est le paysan capturé, suspendu dans les airs à un piège. Agitée, la femme du paysan gesticule dans le champ à l’arrière-plan. »


Maitre du Livre de Raison 1475-85 L'anti chateau de l'Amour col priv detail 2
Que le but de la fille à la cage soit de trouver au plus vite un volatile est confirmé par les métaphores aviaires du haut : la cigogne s’égosillant à la saison des amours et le vol d’oiseaux attirés par un leurre. La servante qui se montre à la fenêtre haute participe également à ce sex-appeal généralisé.


Maitre du Livre de Raison 1475-85 L'anti chateau de l'Amour col priv detail hutte
Personnellement, je pense que la scène de l’arrière-plan a une signification autre que celle que lui donne Christoph zu Waldburg Wolfegg : il s’agit de comparer le paysan enfermé dans la hutte et qui pour se nourrir doit tirer le seau par une ficelle, à un chardonneret, oiseau familier qui aux Pays-Bas était dressé pour ce type de situation (voir Le Chardonneret, et derrière).


Le nid d’oiseau

Nicolas Lancret, début XVIIIème, Musée des Beaux-Arts, Valenciennes

Lancret le_nid_doiseaux

Ce petit tableau très explicite est exceptionnel pour Lancret, habituellement plus prude.

On y voit une jeune paysanne attirant du  bras gauche un paysan qui lui présente un nid . Elle jette un regard intéressé sur l’oisillon, en s’appuyant du bras droit sur la cage  toute prête à l’accueillir.

Ce transfert du nid à la cage illustre presque littéralement  une vielle chanson vendéenne :

« C’est un petit oiseau,   Isabeau,
c’est un petit oiseau, Isabeau
l’oiseau est trop volage
il pourrait s’envoler
prête-la-moi, ta cage
il pourrait s’envoler

L’oiseau fut pas dedans, bonnes gens (bis)
Qu’il commence à s’étendre
Prendre du mouvement,
Bonnes gens,
Prendre du mouvement

Pendant c’temps-là, la belle (bis)
Prend du réjouissement,
Bonnes gens
Prend du réjouissement … »

L’oiseau volage, folklore vendéen, cité par Marc Robine : « Anthologie de la chanson française. La tradition » Albin Michel. Paris. 1994.


O l’estroit élargir

Daniël Heinsius, Emblemata amatoria (1607/8)

O l'estroit elargir

La métaphore est  présente dans les livres d’emblèmes, mais avec une grande hypocrisie.

Le texte latin donne ici  un sens noble et général :

Cherchant les étendues, l’oiseau est capturé. Ainsi, nos liens
nous tiennent large, mais ne nous compriment pas moins.

Laxa petens capitur volucris: sic vincula làte
Nostra patent, arctè nec minus illa premunt.

Voir Emblèmes en ligne : http://emblems.let.uu.nl/he1608012.html

L’image rend visible l’ambiguïté du texte : la plainte « O l’estroit élargir » est censée concerner l’oiseau qui se trouve dans la cage (l’amoureux qui souhaiterait reprendre le large) ; mais ce que l’image nous montre, c’est un oiseau qui, encouragé par Cupidon, risque sa tête dans l’étroit vestibule, qui  mène à la cage spacieuse où il pourra se déployer.

Le double-sens de la devise est traduit par un double sens de circulation dans l’image : de l’intérieur vers l’extérieur de la cage, ou vice versa.


En France, la signification sexuelle de la cage et de l’oiseau ne fait pas de doute :

« Cage amoureuse : métaphore pour la nature d’une femme, cage où l’oiseau de l’homme prend ses ébats »
« En sa cage amoureuse où il prit passe-temps » Parnasse des Muses

Dictionnaire comique,satyrique, critique, burlesque, libre et proverbial,Par Philibert Joseph LE ROUX,  Beringos, 1752

La cage dérobée

1753, Hallé, Collection particulière

La cage derobee ou le voleur adroit - Halle 1753La cage dérobée

Une Bergère qui flatte de la Main un jeune Berger - Hallé 1753Une Bergère qui flatte de la Main un jeune Berger

Dans ce charmant pendant de Hallé, une bergère dort, adossée à une botte de foin et à une palissade peu dissuasive et déjà quelque peu disjointe.  Un jeune berger passe le bras par-dessus, pour saisir la cage que la fille cache sous son jupon.

Dans un deuxième temps, la jeune fille se réveille sur le genou du garçon et, satisfaite de la prestation, lui caresse tendrement la joue.

On peut également présenter le pendant dans l’autre sens : la caresse comme préliminaire et la cage comme plat de résistance.


La cage dérobée ou Le voleur adroit - Vivant Denon d’après Hallé 1761 et 1763

La cage dérobée ou Le voleur adroit
Vivant Denon d’après Hallé, 1761 et 1763

Dans la gravure de Vivant Denon, la symbolique de la cage est complétée par celle de la quenouille traversant le panier.

La cage

Fragonard , vers 1760, 65,

The Norton Simon Foundation, Pasadena

Fragonard la cage
Le berger présente entre ses mains une blanche et fidèle colombe, qui aspire à rejoindre la cage brandie  haut  par la jeune bergère.

De l’autre main, celle-ci tient discrètement la corde qui déclenche le piège à oiseaux situé en contrebas : manière de signaler que, si la colombe n’est pas fidèle, des remplaçants sont faciles à trouver.

Les dénicheurs d’oiseaux (The Bird catchers)

Boucher, carton pour une tapisserie de Beauvais,

1748, Getty Museum, Los Angeles

Les denicheurs d'oiseaux Digital image courtesy of the Getty's Open Content Program.

Digital image courtesy of the Getty’s Open Content Program

Cette orgie pastorale contient deux chérubins, trois cages, quatre garçons, quatre oiseaux et cinq filles : c’est dire que les combinaisons possibles sont nombreuses, et devaient faire la joie des amateurs de scènes galantes.



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A l’extrême gauche, la corde tenue par un garçon fait allusion au piège que Fragonard nous montrait,  mais qu’il faut ici deviner.



Les dénicheurs d'oiseaux detail0
A l’extrême droite, symétriquement, un chérubin laisse voleter, en hors champ, un oiseau retenu par une ficelle.



Lus de gauche à droite, les quatre  oiseaux obéissent à une certaine  logique naturelle :

Les dénicheurs d'oiseaux detail2
d’abord on les embrasse…



Les dénicheurs d'oiseaux detail3
puis on les encourage…



Les dénicheurs d'oiseaux detail4
puis on s’amuse à leur faire étendre les ailes…



Les dénicheurs d'oiseaux detail5
…et pour finir  on les fourre dans la cage !


L’oiseau privé

Gravure de Debucourt, fin XVIIIème

L'oiseau privé Debucourt
Ici, la métaphore du piégeage, en se voulant plus directe, confine au grotesque :  une dame seule renversée devant un porche béant, agite une rose vers un oiseau qui fond droit sur elle, telle la flèche qu’aurait pu décocher la statue de Cupidon.

On comprend que l’oiseau surexcité, dédaignant la rose (comprenons les tétons dénudés) va s’engouffrer tête la première dans la cage.


Les deux cages ou La plus heureuse

Gravure d’après Lafrensen, fin XVIIIème

Les deux cages lavreince
Il se peut que deux cages se fassent concurrence, pour un seul oiseau à héberger.

Jean-François JANINET d'après Nicolas LAVREINCE LA COMPARAISON, 1786 Aquatinte
La comparaison
Aquatinte de Jean-François Janinet d’après Nicolas Lafrensen , 1786

Le thème émoustillant de la comparaison pouvait concerner d’autres appâts.

Alexandre CHAPONNIER (1753-1806) d apres Louis Léopold BOILLY LA COMPARAISON DES PETITS PIEDS Aquatinte

La comparaison des petits pieds
Aquatinte de Alexandre Chaponnier d’après Boilly, fin XVIIIème

A noter l‘amateur à genoux, cherchant à voir derrière la robe.

Ma chemise brûle

Fragonard, dessin, Louvre, Paris

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Restons dans le secret  des alcôves féminines, avec ce dessin très enlevé de Fragonard.

Nous sommes dans la chambre des filles. L’une d’elles a le feu au cul. Une compagne lui propose sa cruche, pour résoudre ce petit problème.

La solution définitive consisterait sans doute à faire descendre la cage à oiseaux que ces dames gardent près du plafond, suspendue par un système de poulies.


La Cage inaccessible

Boilly, fin XVIIIème, localisation inconnue

Boilly inaccessible cage
Le comique tient ici au fait que la cage est inaccessible pour des raisons différentes : ni le vieux libidineux, trop vieux, ni le petit enfant, trop petit, ne réussissent à remettre l’oiseau dans la cage que leur présente la mère, ouverte juste à la bonne hauteur.

Reste au vieux ses lorgnons et son livre ; et au jeune, à attendre d’être assez grand pour comprendre et pratiquer la métaphore – si possible avec une cage moins inaccessible que celle dont il est issu.

L’oiseau s’est envolé

Ferdinand de Braekeleer, 1849, Musée de l’Ermitage, Saint Petersbourg

1800s Ferdinand de Braekeleer. (Belgian artist, 1792-1883) The Bird Has Flown
Ce tableau réchauffe tardivement le symbolisme traditionnel hollandais, en forçant quelque peu sur la métaphore.

La fille grimpée sur la table agite un épi pour attirer l’oiseau et lui faire réintégrer sa cage. Le jeune frère retient le chat. Le père prend à témoin le spectateur : « Court toujours, qu’il va revenir ! » en désignant du pouce l’arrière-salle où un jeune homme – sans doute l’amoureux volage – conte déjà fleurette à l’autre soeur.


Les amatrices de colombes (Dove Fanciers)

Elizabeth Gardner Bouguereau, fin XIXème, Collection privée

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Avec une grande ingénuité, l’épouse américaine de Bouguereau nous montre ces deux demoiselles assez intimes pour mettre l’oiseau à la cage avec des mines pénétrées.


Le canari

Carte postale portugaise, début XXième

carte postale portugaise

En première instance, on constate que le canari vient de quitter sa cage et se dirige vers sa maîtresse, attiré par son pépiement.

En appel, on se rend compte que celle-ci n’est pas assise mais accroupie cuisses ouvertes : l’oiseau ne fait que changer de cage.


Le toucan

Pinup de Gil Elvgren

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En rajoutant la cage – qui ne figure pas sur la photographie – l’illustrateur nous plonge dans des affres interprétatives  : le toucan, double symbole phallique, est en effet capable d’attaquer la dame  côté bec et la cage côté queue.

De plus,  l‘appareil photo complique la donne : car tout comme le nid de Lancret, c’est un endroit qui héberge un petit oiseau.

Moralité : les femmes qui veulent juste faire sortir ce petit oiseau risquent fort de devoir mettre en cage un oiseau de taille redoutable.

Références :
[1] Norbert Elias, On the Process of Civilisation, p 202
[2] J. P. Filedt Kok « The Master of the Amsterdam Cabinet, or The Housebook Master, ca. 1470-1500. » p 242 https://archive.org/details/livelierthanlife0000unse/page/241/mode/2up
[3] Michael Camille « The medieval art of love: objects and subjects of desire » p 93 https://archive.org/details/medievalartoflov0000cami/page/92/mode/2up?view=theater
[4] Christoph zu Waldburg Wolfegg « Venus und Mars: das mittelalterliche Hausbuch aus der Sammlung der Fürsten zu Waldburg Wolfegg » 1998 p 61

La cage à oiseaux : en sortir

9 novembre 2014

Présentée ouverte avec l’oiseau qui va ou qui vient de s’échapper, la cage  symbolise souvent  la défloration (voir L’oiseau envolé). Mais parfois, elle perd ce caractère irréversible et dramatique pour devenir, simplement, un lieu qui héberge un petit oiseau.

 

La Cage à Oiseau

Lancret, 1735, Alte Pinakothek, Munich

1735 The Bird Cage_Lancret
Lancret n’est pas un fanatique du symbolisme galant. Mais ici, les enfants tapis dans le taillis à droite suggèrent qu’il y a quelque chose à voir pour l’éducation de la jeunesse.

Effectivement, la fille de droite taquine l’oiseau  dans la cage que le berger-gentilhomme a posé sur sa cuisse, tandis que la fille de gauche, brandissant  la houlette, démontre l’effet qui peut en résulter.

Rappelons que la houlette est un « bâton de berger, muni à son extrémité d’une plaque de fer en forme de gouttière servant à jeter des mottes de terre ou des pierres aux moutons qui s’éloignent du troupeau. »

Cage et houlette  fonctionnent donc ici comme deux images de l’attribut viril, pris dans des états différents.


Le Pasteur Complaisant

Boucher, 1739, Hotel de Soubise, Paris

1739 Le Pasteur Complaisant_Boucher a
Complaisant certes, ce pasteur qui tend sa cage à   la bergère, afin qu’elle puisse en extraire l’oiseau pour en faire ce qu’il lui plaira.

La cage joue ici le rôle d’une braguette amovible et champêtre.


Nous allons suivre Boucher dans une autre scène bucolique,

avant de revenir à la cage proprement dite.

Le joueur de flageolet

Boucher, 1766, Collection particulière

Boucher Le-Joueur-De-Flageolet

Le flageolet frôle visuellement la couronne de fleur, tandis que la calebasse du berger entreprend le chapeau de la donzelle dont le pied, en se posant sur celui du garçon, concrétise ces métaphores.

Pour d’autres exemples de flageolets et de couronnes de fleurs chez Boucher, voir Pendants avec couple .


La Cage

Boucher, 1763,   musée Baron Gérard, Bayeux

Boucher La cage 1763
Tous ces préliminaires nous permettent d’identifier  la couronne vide, l’oiseau comme substitut du pipeau, et même le bout de rondin proche de copuler avec la cage ouverte. Bien que située physiquement derrière le garçon, celle-ci se situe métaphoriquement dans le camp de la fille, confrontant  sa béance  à la plénitude  encore intacte du panier.

Panier et cage fonctionnent plutôt ici comme deux images de l’attribut féminin, pris avant et après.


L’inventivité métaphorique et le plaisir du second degré   n’est pas l’apanage du seul XVIIIème siècle français. En voici un exemple frappant, qui établit par dessus les siècles et l’Atlantique une forme de continuité, entre la France rococo et l’Amérique des pinups.

Le petit oiseau va sortir

Vaughan Bass, vers 1950

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L’appareil photo, avatar moderne de la cage, est ici opéré par une pinup : elle se prépare à  actionner la poire pour déclencher la sortie du petit oiseau.

Premier gag  : celui-ci est en fait déjà sorti,  ridiculisé dans la  marionnette que tient du bout des ongles notre explosive photographe, pour faire sourire ses clients.

 Second gag : en levant la poire, elle relève involontairement sa jupe, se livrant elle même au ridicule.

Moralité : les femmes qui troussent la majesté virile des appareils à soufflet et des trépieds érectiles risquent fort, elles aussi,  de se retrouver troussées.

L'oiseau chéri

9 novembre 2014

Quelques oiseaux favoris…

Philis se jouant d’un oiseau

Gravure de Bonnart, vers 1682-86,

Recueil des modes de la cour de France

Philis bonnart

 

Cet oiseau que Philis abuse,
En le leurrant de ses douceurs
Ressemble aux amants qu’elle amuse
Par d’imaginaires faveurs

L’oiseau fasciné par les deux cerises qu’on lui tend en lieu et place d’autres appas plus consistants représente donc ici le soupirant berné et facile à mener.


Mariette Le Toucher

Notons qu’à cette époque, outre la connotation amoureuse, l’oiseau est souvent pris comme symbole du Toucher.


Jeune femme au perroquet

Vers 1730, pastel de Rosalba Carriera

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Il arrive que le soupirant soit plus coriace et prétende se payer en nature, tel ce perroquet s’attaquant à la dentelle d’un décolleté prometteur.


Jeune fille à la colombe

Greuze, date inconnue, Musée de la Chartreuse, Douai

Greuze_Jeune Fille A La Colombe
Ce tableau est typique de la tactique d’ « ensemblisation » mise au point par Greuze, et ainsi nommée  par Norman Bryson : il s’agit de concentrer dans le tableau, au risque parfois de l’absurde, la quantité maximale de bonheur :

« Si le bonheur est quantifiable, alors je peux simplement ajouter une variété de bonheur à une autre, les combiner tous à la même place, par « ensemblisation ». » [2] p 133

L’enfant-femme constitue une première addition de bonheurs parfaitement contradictoires, à laquelle vient s’adjoindre une seconde chimère :  la colombe, à la fois oiseau dé la Sainte Vierge et oiseau de Vénus :
:

« la colombe ne peut pas être interprétée comme celle du Saint Esprit ; ni même comme une colombe, tant elle unit si pudiquement l’idée d’un jeu d’enfant (‘elle a retrouvé son oiseau’) et celle de la sexualité (l’oiseau, avec sa position suggestive, déclenche des connotations de palpitation, douceur, rondeur, dangereusement proches du ‘sein virginal’). L’image joint ces oppositions dans un scandale à la fois logique et sexuel, où le bonheur fusionnel de la sensibilité est devenu une transgression ouverte ».  [2] p 133, (à propos de la variante de ce thème, « La colombe retrouvée » conservée au musée Pouchkine)

La blancheur évoque la pureté  :  or si cette colombe est pure comme une attachement enfantin, elle ne peut éviter le symbolisme de l’amant chéri, du substitut emplumé que l’on serre dans ses bras avec passion.

Bien sûr, la jeunesse de  la belle enfant fait écarter avec horreur cette hypothèse !

Il faut alors couper le tableau par une ligne horizontale au niveau de la table : en haut,  les bras dodus enlacent  un oiseau dont la blancheur sauve plus ou moins les apparences ;
Greuze_Jeune Fille A La Colombe_detail
en bas, les genoux ronds comme des fesses s’offrent à la pénétration d’un pied de table, à l’effigie d’un quadrupède bien connu  dans la littérature enfantine :

« Les chairs ramollies se prêtent, le sentier s’entrouvre, le bélier pénètre; (…) » Sade, Justine ou les malheurs de la vertu, cité par [1].


La douce captivité

Lagrénée, 1763, Collection privée

Lagrenee la douce captivite

Difficile de partager aujourd’hui les émotions hyperboliques qu’un telle iconographie  pouvait susciter à l’époque :

« Il représente une femme à moitié nue qui caresse une colombe attachée avec un ruban lilas. Figurez-vous une femme belle et désirable dans le moment où la volupté s’empare de ses sens : une rougeur séduisante anime tous ses appas, ses yeux brillent d’un feu céleste, et paraissent cependant troublés ; l’oiseau qu’elle tient dans ses bras s’élance pour la becqueter : elle le retient faiblement; sa bouche appelle les baisers et semble disposée à les rendre : elle ne parait pas agitée de désirs, mais livrée à une douce rêverie, et pénétrée d’attendrissement et de langueur« , Mathon de la Cour, cité par [3]

La polysémie de l’oiseau  fonctionne ici à plein, comme l’explique Démoris :

« l’innocence de la relation avec l’oiseau autorise à représenter le surgissement du désir, dont on ne sait s’il relève du souvenir d’un amant, de l’auto-érotisme ou de la perversion – et le contact physique entre les partenaires, le serin sorti de sa cage symbolisant en outre le consentement au plaisir »  [3]  p 37


Un roman de 1736 de  Charles de Fieux de Mouhy  [4] pousse à l’extrême cette passion pour l’oiseau chéri :   une dame, telle Peau d’Ane avec sa bague, se donne à celui qui lui ramène son serin perdu. Il vaut la peine de citer la scène-choc, où la robe de nuit couvrant la dame  et le tissu couvrant la cage, ainsi que l’oiseau et son aimable découvreur, se confondent dans un style Sainte-Nitouche  ingénument  équivoque :

« Ah voyons voyons monsieur, s’écria madame du Coudrai, après qu’on lui eut passé une robe de lit ; je tremble que ce ne soit pas Serinet, on m’en a déjà tant apporté… Ah! mi mi, mi mi, c’est toi, s’écria-telle, la cage se trouvant entièrement découverte; cher petit coeur, qu’il est joli, viens, viens, hélas ! le pauvre enfant me reconnaît ; voyez, monsieur, comme il me baise les doigts ; …elle ouvrit au serin  ; le petit animal élevé par sa jeune maîtresse, la reconnaissant à sa voix, prit son vol et vint se reposer sur elle. Il n’y fut pas plutôt qu’il se mit à siffler; battit des ailes et dit : baisez, baisez. Avouez qu’il est aimable, s’écria-t-elle…. »

Fragonard Jeune fille tenant dans ses bras une colombe 1775-80 coll partJeune fille tenant dans ses bras une colombe Fragonard Jeune fille tenant dans ses bras un chat et un chien 1775-80 coll partJeune fille tenant dans ses bras un chat et un chien

Fragonard, 1775-80, collection particulière

Fragonard sacrifie à la même sensualité des Lolitas se frottant aux plumes ou aux poils (voir Les pendants de Fragonard ) .



Fragonard 1785 L oiseau cheri Musee Fragonard GrasseFragonard 1785, Musée Fragonard, Grasse Marguerite gerard L oiseau cheri coll priveeMarguerite Gérard (copie), collection privée

L oiseau chéri

Vers la fin du siècle, la sensibilité évolue : après la sempiternelle femme-enfant, c’est la femme en tant que mère et éducatrice qui est désormais sublimée. Fragonard et son élève et belle-soeur Marguerite Gérard délaissent les thèmes galants pour célébrer  les joies de la famille et de la maternité.

Les deux versions diffèrent dans les détails (position du berceau, emplacement du paravent) mais pas par l’idée : la jeune mère sort de son berceau-cage son nouveau chéri, pour lui montrer les favoris qui l’ont précédé dans son affection et qui, oiseaux de Vénus, symbolisent aussi l’amour dont il est issu.  


Jeune femme peintre tressant une couronne de fleurs

Garnier, 1789, collection particulière, 45 x 37 cm

Garnier 1789 La femme peintre coll part
L’année-même de la Révolution, Michel Garnier campe cette splendide image à la fois libératoire et libertine d’une jeune femme qui dépasse les poncifs de la Peinture (la fillette au pigeon et son antithèse, le portrait de vieux noble) pour narguer son serin, mettre au feu sa guitare, s-offrir à elle-même des roses et exhiber ses jolis mollets à la barbe du spectateur.


Michel Garnier 1789 Une femme venant de recevoir le portrait de son mari, le prrsente à la place qu’elle lui destine 47 x 39 cm

Une femme venant de recevoir le portrait de son mari, le présente à la place qu’elle lui destine
Michel Garnier, 1789, collection privée (47 x 39 cm)

Cette variante traite le même thème un peu différemment : le portrait miniature qu’elle vient de recevoir de son « mari », accompagné d’une déclaration d’amour, est destiné à tenir compagnie au  canari dans la cage. Au trophée de plumes qui orne le chapeau, on comprend que la belle a déjà fait des ravages parmi la gens aviaire.


Un bon siècle plus tard, l’oiseau, redevenu érotique et volontiers  exotique, est de retour pour un dernier tour de piste…

Les oiseaux d’amour

Adolfo Belimbau, fin XIXème, Collection privée

adolphe belimbau the_lovebirds 2 adolphe belimbau the_lovebirds

 

Dans la première version, une fille en robe violette est assortie à l’iris qu’elle tient, cueilli dans le massif près de laquelle elle est assise. Une fille en robe verte est quant à elle assortie  à la tige et  au couple d’ « inséparables » qui s’y est perché. Outre leur rôle décoratif, Robe Violette et Robe Verte s’émerveillent de la fidélité légendaire de ces petits volatiles : celle qui tient la tige sourit, l’autre rêve. Le rosier enserrant la colonne, derrière nos deux extasiées, illustre le but implicite qui leur est proposé : embellir et retenir l’Homme.


Dans la seconde variante, plus équivoque, les deux filles portent la même robe, ce qui accentue l’effet sororal. La répartition des rôles est toujours la même : la fille active (celle qui porte les oiseaux) sourit, l’autre rêve. Le doigt tendu en guise de perchoir supprime tout accessoire floral, et crée un contact charnel entre les deux perruches et la fille active, qui de l’autre bras  enlace sa compagne. Du coup, les oiseaux amoureux, accolés seulement par la taille, semblent en être à un stade d’intimité moins proche que celui des dem-oiselles, lesquelles se frôlent le chignon. L’arrière-plan est un rideau transparent orné de branches et de papillons ; l’avant-plan un bras de fauteuil d’un bleu céruléen, en forme de cygne, dont le long cou est coupé aux limites du tableau et de la décence.


L’actrice Clara Bow

Charles Gates Sheldon, couverture de  Photoplay Magazine, avril 1929

charles-gates-sheldon Clara Bow, Photoplay Magazine cover, 1929

Il est possible que les deux perruches portées en bagues temporaires sur l’annulaire de la main gauche  fassent allusions aux amants simultanés de cette rousse scandaleuse.


Les perruches et le chat

Louis Icart, vers 1920Icart Oiseau chat

Icart connait sur le bout des doigts son alphabet XVIIIème, et donne volontiers aux petites femmes de Paris une profondeur historique : ici, la thématique de l’Oiseau Chéri se combine avec celle de la Femme-chat (voir Pauvre Minet ) et celle de l’appétit naturel (voir  Le chat et l’oiseau)  dans cette scène charmante :  Minet en noeud blanc joue avec le noeud bleu de sa maîtresse, laquelle joue avec l’un de ses favoris, de couleur assortie.


 

Les dames de Ney,

1914-18, cartes postales

NEY_minetLa dame au chat Ney Oiseau cheriLa dame au pigeaon

Etrangement, la thématique est ici exactement la même que chez Icart : le noeud du chat, portant un grelot, est analogue à celui de la dame, portant un bijou. L’oiseau convoité est réduit à la plume.

Le pigeon retourné est caressé  par l’une de ses propres plumes, ornée d’une cocarde tricolore. Dans cette iconographie surprenante, il faut sans doute comprendre que le pigeon patriote rentre du front, juste à pic pour se faire enlacer par  sa maîtresse au saut du lit.


Le remplaçant

Illustration de Edouard Touraine pour « La vie parisienne », 1916

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« Quelle terrible chose que la Guerre ! Depuis que mon mari est parti,  je n’ai plus que cet animal-là à tourmenter ».

Cette garçonne autonome, dont la chevelure rousse et la cigarette dominent la crête et le bec de son perroquet isomorphe,  joue avec la peur du remplacement et l’espoir d’une concurrence anodine.


1922 - La Vie Parisienne Magazine Cheri Hedouard

Taquinerie
Illustration de Chéri Hérouard pour « La vie parisienne », 1922

Avec mes beaux amoureux, ta ressemblance est parfaite
Mon Jacquot, tu as comme eux, plus de toupet que de tête.

Après guerre, la Femme Fatale a pris le dessus : le perroquet n’est plus  isomorphe qu’à son chrysanthème, qu’elle exhibe pour une érection générale des ailes au  plumet.

Autre exemple de dialogue muet entre un cacatoès et une poule…

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Imperia

Gravure de Norman Lindsay, 1920


leo-fontan-1928-detroneDetrôné
Léo Fontan, 1928
georges-leonnec-mars 1927-mauvaises-languesMauvaises Langues
Georges Leonnec, mars 1927

Ici le perroquet n’est plus une métaphore de l’amant domestiqué, mais de la  maîtresse elle-même, qui le remplace avantageusement quant aux plumes et au caquet.


Enoch Bolles couvertur pour Film Fun Novembre 1936Enoch Bolles, couverture pour Film Fun, Novembre 1936 Disconnected, Weston Taylor, 1942, Calendar Art for The C. Moss Company« Disconnected »
Weston Taylor, 1942, Calendrier pour The C. Moss Company

Deux perroquets s’intéressant de près aux soutiens-gorge pigeonnants.


Le petit canard

Pinup de Fritz Willis, Avril 1967

Willis le bain 1964
Cette pinup manipule impunément des symboles explosifs : une très grosse cruche, hors de proportion par rapport au petit canard dans la cuvette – version ridiculisée du canari dans la cage.

La bouteille de Chianti qu’elle frôle du pied indique que l’homme n’est guère plus qu’un récipient à vider…


Fritz Willis bouteille

Un moment de plaisir
Pinup de Fritz Willis

… et à remettre dans son panier une fois que le moment de plaisir est passé.


Références :
[2] Word and image, French Painting of the Ancient Regime, Norman Bryson, Cambridge University Press, 1981
[3] Démoris, “L’Oiseau et sa cage en peinture,” dans Esthétique et poétique de l’objet au XVIIIe siècle », Presses Univ de Bordeaux, 2005
[4] « La mouche ou les avantures de M. Bigand », Volume 1, 1736, Par Charles de Fieux de Mouhy http://books.google.fr/books?id=iAI7AAAAcAAJ&dq=serin+mouhy&hl=fr&source=gbs_navlinks_s

L’oiseau envolé

8 novembre 2014

Tout comme la boîte de Pandore,  la cage malencontreusement ouverte d’où l’oiseau va ou vient de s’envoler est  l’image d’une catastrophe, certes privée, mais  tout autant irréversible, qui menace les vraies jeunes filles.

Frans Van Mieris Oiseau echappe allegorie de la chastete 1676 RijksmuseumFrans van Mieris, 1676, Rijksmuseum Willem_van_Mieris_-_The_Escaped_BirdWillem van Mieris, 1687, Kunsthalle, Hamburg

L’Oiseau échappé (allégorie de la chasteté)

Van Mieris père aborde le thème d’une manière plaisante : la jeune fille admoneste en souriant l’oiseau qui tente de s’échapper de sa boîte à bijoux. Le clou, dont l’ombre n’est pas dans le bon sens, fait allusion le percement.

Van Mieris fils fait en revanche dans le pathos : la fille jette un regard noir sur l’oiseau noir qui vient de s’échapper, après avoir mis en miettes un biscuit rond sur la balustrade. Outre le gâchis, c’est la trahison du compagnon favori qui la met en colère : elle lui avait fait confiance en exposant son gâteau en plein air, il en profite pour prendre le large après trois coups de bec. La symbolique du percement est portée par la tige pointue, censée servir de système de fermeture, qui menace le ventre de la fille.



Reperire, perire est

Emblème tiré de Jacob Cats, Proteus (1618)

Reperire, perire est

Le thème était bien connu, popularisé par les livres d’emblèmes. La devise « Découvrir, c’est périr » est expliquée par  le texte et par l’image  :

« La boîte a été ouverte, l’oiseau s’est enfui. Oh Virginité, fleur fragile qui nous échappe si facilement. »
« De doos was op-ghedaen, de voghel was ontvloghen. Ach Maeghdoms, meeps gewas! dat ons soo licht ontglijt. »

Voir http://emblems.let.uu.nl/c161820.html



Enfants jouant devant un groupe d’Hercule

Adriaen van der Werff, 1687 , Alte Pinakothek, Munich

Adriaen van der Werff 1687 Children Playing before a Hercules Group Alte Pinakothek, Munich
Ce tableau charmant et complexe est,  en fait, une leçon de morale qui dénonce le Vice et exalte la Vertu. Nous suivons ici l’analyse de E. de Jongh, 2008, « Tot lering en vermaak Betekenissen van Hollandse genrevoorstellingen uit dezeventiende eeuw » http://www.dbnl.org/tekst/jong076totl01_01/colofon.htm


Le groupe de droite

A l’arrière plan, à droite, une jeune fille assise dessine le paysage, en suivant les conseils du jeune homme debout à côté d’elle.


Le groupe de gauche

A gauche, une autre jeune fille tient un rouleau de papier à dessin, et un homme contemple la tête d’une statue : ce dernier thème étant repris d’un tableau  moins ambitieux, dont le thème est l’enseignement des arts par les Antiques.



Adriaen van der Werff 1680 Atelier du sculpteur Louvre

L’Atelier du sculpteur ou Allégorie sur l’éducation de la jeunesse,
Adriaen van der Werff, vers 1680, Louvre, Paris

Au centre, le jeune artiste au chapeau emplumé, au costume bleu et à l’épaule dénudée, vient d’abandonner la vie de futilité que dénoncent ses habits : dans une sorte d’extase,  il découvre la Beauté Idéale de la sculpture antique – l’immense Gladiateur Borghèse –  « sous l’égide de la petite Muse de la musique Euterpe, divinité inspiratrice mais aussi protectrice de l’éducation artistique » (notice du Musée)


 

Le groupe central

Adriaen van der Werff
Dans la composition complète, le jeune artiste qui levait les yeux vers l’Idéal s’est scindé en deux enfants qui baissent leur regard  vers le futile : l’épaule dénudée est allée  à une très jeune  fille, fort intéressée par l’oiseau qui pointe sa tête à la porte de la cage ; tandis que le costume bleu et le chapeau à plumes ont échu à un jeune blondinet, qui désigne l’oiseau du doigt en tenant, sous son autre main, une tortue.


La vertu en danger

La tortue pourrait symboliser la paresse de ces enfants qui laissent traîner par terre leurs cartons à dessin et perdent leur temps en futilités, au lieu de se passionner pour l’Antique. Mais, en pointant sa tête hors de sa carapace, elle constitue surtout l’antithèse de l’oiseau et de la cage : la prudence contre l’insouciance, la clôture contre l’ouverture.



Venus Medicis dite pudica
La tête désolée de la Vénus Pudica – exemple classique de la Chasteté, est d’ailleurs posée juste sous la cage en signe de désapprobation. Nous sommes donc bien  ici dans le symbolisme  de la cage ouverte et de la virginité menacée.


Le chat

Adriaen van der Werff chat
Car si un  chat est bien présent –  dans les bras du troisième enfant en chapeau à plume – il n’émarge ici à aucun symbolisme sexuel (voir Le chat et l’oiseau) et ne s’intéresse pas du tout à l’oiseau : plus sage que ses maîtres, il fixe  le spectateur comme pour le prendre à témoin de ces gamineries qui menacent de dégénérer.


L’index

 Adriaen van der Werff sangL’enfant debout qui pose son index sur sa bouche ne fait pas partie de la bande des trois paresseux : c’est un jeune artiste qui tente de les ramener au silence, et à la sagesse.

Mais l’index ne fait pas seulement le signe d’Harpocrate : il désigne aussi l’Hercule Vertueux qui, au-dessus, brandit sa massue contre le Vice.

 

Massue qui, compte-tenu des traînées sanguinolentes qui dégoulinent le long du socle, ne peut manquer d’évoquer un autre  instrument et un autre saignement.





















L’Oiseau échappé

Nicolas Lancret, début XVIIIème, Museum of Fine Arts, Boston

Lancret Oiseau echappe
Dans une discrète chorégraphie, le négrillon imite les gestes de la dame : de la main gauche il montre la cage, elle pince sa robe pour signifier, à l’époque des robes à panier…

Les contemporaines - Rétif de la Bretonne(1780)

Illustration pour « Les contemporaines » – Rétif de la Bretonne, 1780

…l’analogie entre ces deux contenants.



Lancret Oiseau echappe mains droites
Et tandis qu’elle présente sa main droite vers le haut en signe de disparition, il fait voleter  la sienne  en guise de potentielle consolation.


 

Fille avec une cage à oiseaux assise sur un lit

Schall, fin XVIIIème, Victoria and Albert Museum

Schall Girl with a Birdcage Seated on a Bed Victoria and Albert Museum

Ici le thème de la cage béante se combine avec un lit défait, un coffre ouvert,  un sac jeté à terre, une boîte en carton défoncée.

Le coupable de tout ce désordre ? Sans nul doute le pelochon, en visible détumescence.


L’oiseau perdu (The lost bird)

Charles Chaplin,  Bowes Museum,Barnard Castle,County Durham, England

Charles Chaplin the-lost-bird

Reprise du même thème : debout et en plus digne.


1798-99 Il_est_libre___[dessin]_[...]Lequeu_Jean_Gallica

Il est libre
Dessin de Jean Jacques Lequeu, 1798-99 (Gallica)

Dans son extraordinaire style érotico-néoclassique, Lequeu développe la métaphore avec cet oiseau du paradis phallique qui s’échappe d’un sombre conduit, tandis que quatre pleureuses se lamentent autour d’une inscription en grec de fantaisie.

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L’oiseau en cage (The Caged Bird)

John Byam Liston Shaw, 1907

1907 John Byam Liston Shaw The Caged Bird

En conclusion de cette série, revenons  à une scène en plein air. A l’inverse de la jeune fille courroucée de Van Mieris, celle-ci suit avec émotion l’envolée de l’oiseau  qu’elle vient de libérer de sa cage, dans les meilleures intentions.

L’ingénue ne remarque pas, derrière elle, les formes oblongues des buis taillés qui  vont lui tenir compagnie désormais.



La cage vide

François-Martin Kavel, début XXème, Collection privée


martin_kavel

Jeune femme en déshabillé

The Empty Birdcage by Martin-Kavel,

La cage vide

 Plutôt spécialiste des poitrines chastement dénudées, il arrive que Kavel rhabille ses jeunes filles : celle-ci ne semble pas si désolée de la perte de son oiseau. Dans une mise en scène particulièrement hypocrite, elle titille d’une main le globe suggestif de la cage, tandis que l’autre main plane devant le « bouton de rose » opportunément suggéré par les fleurs  sur la table.


Une démonstration de roses mieux placées…

john white alexander

Onteora, John White Alexander, 1912


Louis Icart La cage ouverteLa cage ouverte
Icart, vers 1930
suzanne Meunier 1932 En liberte En liberté,
Ssuzanne Meunier, 1932

Tandis qui’Icart, en plaçant la cage au bon endroit,  se contente de suggérer que d’autres oiseaux viendront rapidement remplacer celui qui vient de s’envoler, Suzaonne Meunier  le déclare explicitement :

Laisse s’enfuir l’oiseau volage
Que tu suis d’un regard brillant ;
Demain tu recevras, j’espère en souriant,
Un autre oiseau qui cherchera quelque autre cage.

Le spectateur des années folles, tout juste sorti de la glaciation victorienne, devait trouver particulièrement savoureux ce  détournement de l’image conventionnelle de la virginité irréversiblement perdue en une apologie du changement sans conséquence, d‘oiseau comme de cage. 


Celestin Nanteuil La mariee libere deux colombes d'une cage Rijksmuseum Paris 1851 - 1865La mariée libère deux colombes d’une cage
Célestin Nanteuil, 1851-1865

Le lâcher d’un couple de colombes transfigure totalement le sens de ce rituel nuptial : la perte de la virginité, pour les deux époux, laisse place à l’exhibition publique de leur fidélité.

Le chat et l’oiseau

8 novembre 2014

Le thème du chat et de l’oiseau est celui de la convoitise, du désir irrépressible de posséder. A première vue, la victime devrait s’identifier au sexe faible, soumis à la voracité masculine. Mais souvent l’image fonctionne à rebours  : l’oiseau et le chat gardent leur symbolique sexuelle habituelle, de virilité fragile et d’insatiable appétit féminin.

C’est cette ambivalence qui fait tout l’intérêt du thème.

Gresly Gabriel Tentation

La tentation
Gabriel Gresly, 2ème quart du XVIIème siècle, Musée des Beaux Arts, Dijon

Dans cette charmante   scène, un très  jeune garçon sort de sa cage un oiseau, pour agacer un chat qu’une jeune fille tient fermement dans ses bras.

La tentation dont il est question est bien sûr celle du félin par le volatile ; mais chacun comprend que l’animal parle pour  le propriétaire :  la fille est tentée par le garçon.


Louis de Moni 1725-71 Couple et enfant apparaissant à une fenetre Louvre

Couple et enfant apparaissant à une fenêtre
Louis de Moni, 1725-71,  Louvre

Cette fenêtre hollandaise met en scène trois convoitises superposées :

  • celle de l’enfant envers l’oiseau qu’il vient d’extraire du pot à étourneaux (on voit souvent de tels ces nichoirs suspendus à l’extérieur des maisons hollandaises, voir 1 Chacun cherche son nid)
  • celle du chat envers l’oiseau ;
  • celle de l’homme, qui brandit une bourse dans sa main, envers la jeune femme qui, pour l’instant, retient son chat. 



Après cette innocente introduction, nous allons suivre quelques occurrences

de la fable du chat et de  l’oiseau.

Le satyre maçon

Carrache Satyre macon

Agostino Carracci, gravure de la série Lascivie, vers 1584-86

Dans cette iconographie  inventive, la pierre équarrie, sous la main gauche du satyre, justifie la présence du fil à plomb. Mais au  lieu de mesurer la pierre, le plomb taquine le sexe glabre de la femme.


Plus bas,  cette verticale nous guide jusqu’à la métaphore féline que la maîtresse  nous révèle en retroussant le drap.

Le pied griffu du lit établit une continuité entre les deux félins, chatte et lionne, et nous conduit aux pieds de bouc du satyre-maçon. Son  tablier, avantageusement bossué, retient provisoirement l’instrument de frappe qu’il destine au corps marmoréen de la belle.


Plus haut, le fil qui pend sous  la cage guide l’oeil jusqu’à un nouvelle métaphore  : l’oiseau qui ne demande qu’à sortir montre ce que le tablier cache.

Cette gravure met crûment en place la rhétorique du chat dévorant et de l’oiseau becquetant,

que nous allons retrouver, plus ou moins explicitée, sur une longue durée.


Hieroymus Wierix 1578

“Vanitas Vanitatvm et Omnia Vanitas”
1578, gravure de Hieroymus Wierix, Herzog August Bibliothek

Il est intéressant de noter que Carraci n’a pas totalement  inventé l’idée du satyre-maçon :  il a en fait détourné une gravure imprimée quelques années plus tôt dans une intention  édifiante [1].

Comme précisé par les inscriptions, le  satyre représente ici l’Impudeur (Impudicita) et la femme la Vanité.

L’homme mondain (Mundanus Homo) tout à gauche se trouve a son insu sur la trappe des mille dangers (Milla pericula), dont la targette va être tirée par la femme nue tout à droite, qui se condamne elle-même en montrant doctement une sentence d’Isaïe :

Toute chair n’est que d’herbe (Omnis caro foenum) Isaie 2,6


Au dessus du satyre, la sentence  « Meritrix Abissus Imus » démarque un autre passage féministe de la Bible :

« Car la prostituée est une fosse profonde, Et l’étrangère un puits étroit ». (Traduction L.Segond)
« fovea enim profunda est meretrix et puteus angustus aliena » Proverbes 23:27


Le texte en trois langues en bas de la gravure renfonce le clou : « Onc homme ne sonda coeur de femme impudique ».

Le satyre est donc  ici un satyre-marin, et le fil-à-plomb une sonde, librement réinterprétée par Caracci dans une intention diamétralement opposée. Peut être parce que le mot italien pour fil à plomb, « scandaglio », est très proche de « scandalo ».


Le chat et l’oiseau moralisés

Les Livres d’emblèmes de la fin du XVIème et du début du XVIIème siècle expurgent notre couple de toute connotation sexuelle.


Junius, Hadrianus Emblemata (1565) embleme XXXIXEmbleme XXXIX Hadrianus Junius Emblemata (1565)

 

Le mal m’oppresse et le pire m’effraye.

La petite colombe, enfermée et cloîtrée derrière les barreaux de sa cage,
A peur d’être prise dans les serres recourbées de l’aigle.
L’affligé, dans son esprit anxieux, redoute un danger pire :
à juste titre il s’inquiète et pour sa vie, et de ce qui le tourmente.

Malo oppressus, deterius formidat

Clathrata caveae macerie clusa columbula
Incurvis aquilae permetuit carpier unguibus.
Formidat gravius sollicita mente periculum
Afflictus : capiti is rite suo consulit & rei.

Dans ce livre d’emblèmes, une des acceptions de la cage est celle du mal nécessaire, protection contre un mal plus grand incarné par les griffes de l’aigle.


Pieter Cornelisz. Hooft, Emblemata amatoria (1611) planche 28A Pieter Cornelisz. Hooft, Emblemata amatoria (1611) planche 28B

Serva sed secura, Emblème XXVIII
Pieter Cornelisz Hooft, Emblemata amatoria (1611)

Hooft reprend l’idée, rajoute un chat à côté du rapace, et donne à la morale un sens amoureux :

Le faucon et le chat, frustrés, attraperaient bien l’oiseau en cage.
Mais celui qui est prisonnier de l’amour est protégé de la mort.

Inclusam accipiter frustra, felisque volucrem
Rapturiunt. Nequeo captus amore mori.


Callot 1621-35 Le Chat Guettant L'Oiseau en Cage from Lux Claustri ou La Lumière du Cloitre , plate 10 METCaptiva sed secura, Emblème X
Jacques Callot, 1621-35, illustration pour Lux Claustri ou La Lumière du Cloître , MET

 

Le chat rusé tend des pièges, et n’apprécie pas les cantiques.

Si tu quittes la cage, tu tomberas sous la griffe.

Callidus incidias tendit, nec cantica laudat

Felis: si caueam deseris, ungue cade

A l’inverse, cette curieuse publication tire l’emblème dans un sens religieux : l’oiseau en cage symbolise le moine dans son cloître, à l’abri des tentations du démon.


C’est un bon siècle après que le goût rococo, sous une apparence irréprochable, va user et abuser des sous-entendus du chat et de l’oiseau.

La belle cuisinière

Boucher, avant 1735, Musée Cognacq-Jay, ParisBoucher La Belle Cuisiniere

On repère assez rapidement la morale de cette charmante scène :

« On ne fait pas d’amourette sans casser les oeufs ».



Boucher La Belle Cuisiniere marmite
Car l’œuf cassé n’est pas la seule allusion à l’aventure de la belle cuisinière. Ainsi, la marmite couverte, à côté des clefs, rappelle  que, si la jeune fille est encore fermée, elle est déjà en ébullition, le couvercle prêt à sauter.



Boucher La Belle Cuisiniere oeuf
A côté de l’oeuf  gisent deux évocations assez parlantes de l’instrument de la casse.



Boucher La Belle Cuisiniere chat poule
Tandis que le chat dévorant goulument l’entrecuisse du poulet illustre la scène elle-même.



Boucher La Belle Cuisiniere cycle

Ainsi, depuis la boîte fermée, à l’abri du feu sur le manteau de la cheminée,

jusqu’au placard ouvert révélant une carafe de vin rouge et un linge tout prêt à être tâché,

le tableau détaille les étapes qui vont faire de la jeune cuisinière une femme.


Jeune fille sortant un oiseau de sa cage

Ecole de Boucher, milieu XVIIIème, Collection particulière

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Ce petit tableau très enlevé illustre avec simplicité la thématique dont va se délecter le goût rococo.

La porte de la cage et la gueule du chat,  tournées vers le spectateur à la verticale de l’oiseau, synthétisent l’alternative :

  • soit continuer à entrer et sortir de la cage,
  • soit finir dévoré.

Comprenons que la cage au dessus du chat oppose l’amour réfréné (le flirt, toujours réversible) à l’amour consommé.

English porcelaine plaque S Woodhouse 1839

Le chat et l’oiseau
Plaque de porcelaine de Woodhouse, 1836, Collection privée

Cette petite plaque montre le résultat de ces jeux dangereux :

  • le chat a attrapé l’oiseau imprudemment extrait de sa cage
  • les fleurs, portées dans la robe virginale, sont  tombées par terre.

De la cage au plancher, l’image illustre la faible distance entre le flirt et l’amour physique, et le penchant irréversible de celui-là vers celui-ci.

Remarquons que la porte ouverte vers les bois dénote une seconde imprudence : en libérant l’oiseau pour jouer avec lui (comprenons : en donnant des libertés à son galant) la fille courait  le risque de la consommation,  mais aussi de la fuite de l’amoureux vers d’autres cages.


Le chat et les deux moineaux

1778, Gravure d’après OUDRY pour La Fontaine,  deuxième fable du livre XII

Le chat et les deux moineaux

Une fable de La Fontaine développe cette notion de consommation : si le chat peut être ami de l’oiseau et se contenter pendant longtemps de coups de becs (i.e de bisous), vient un moment où, comme on sait, son appétit vient en mangeant (voir note [2])



Femme et enfant, d’après l’Antique (recto)

Nicolas Fouché, fin 17ème début 18ème, Rennes, Musée des Beaux-Arts

Nicolas Fouche femme et amour
Ce dessin reprend le même thème de la consommation réitérée, en remplaçant le chat par la cage : une fois que l’oiseau est sorti,  tout autre oiseau peut y élire domicile, solution de remplacement qu’insinue l’Amour ailé.


La Toilette

Boucher, 1742, Fondation Thyssen-Bornemisza, Madrid

Boucher_toilette_1742

Côté paravent

Nous sommes au lever. La jeune femme en déshabillé blanc  vient d’être maquillée (la mouche au coin de l’oeil) et sa chevelure poudrée (la grande houpette par terre, et l’éventail pour chasser l’excès de poudre). Maintenant elle rattache sa jarretière, tandis que la servante lui présente un bonnet à choisir.


Côté parefeu

Le feu vient d’être rallumé (le soufflet par terre). Le pare-feu est placé de manière à renvoyer la chaleur vers le lit. Noter la tablette permettant de poser de petits objets, qui est ici relevée. Autre accessoire sur le côté droit : un bougeoir vide, sous lequel pend une bourse à ouvrage.


Sur le manteau de la cheminée, un bougeoir allumé, un bâton de cire à cacheter, une lettre ouverte,  un faisan en porcelaine et un ruban rose, jarretière surnuméraire.



Sur la petite table à droite de la cheminée,  la théière du petit déjeuner fume déjà  à côté de deux tasses. Boucher s’amuse à montrer le bord d’une troisième soucoupe, mais qui ne prouve pas qu’on attend quelqu’un (ce peut être pour le beurre, la confiture, les sucre..).


Un espace féminin

Pare-feu et paravent délimitent un espace douillet, strictement féminin, renvoyé à sa clôture autarcique par les miroirs de la cheminée et de la table de toilette. Même le regard qui guette par dessus le paravent est celui d’un portrait de femme, dans le style d’une femme-artiste :  la pastelliste Rosalba Carriera.


La porte entrouverte

Aussi la porte entrouverte pose problème, insinuant au sein de ce lieu protégé la possibilité d’un courant d’air, d’une intrusion qui semble à la fois autorisée (la clé sur la serrure) et limitée (la table qui  bloque l’ouverture).


Les oiseaux

Le paravent est orné de volatiles dans des branchages : deux oiseaux exotiques s’affrontent du regard, un moineau volette humblement, un faisan de fantaisie attend son tour.

Dans le contexte de La Toilette, il est  légitime  y voir, selon une des métaphores les plus fréquentes aux XVIIIème siècle (voir L’oiseau chéri) : celle des admirateurs  de la belle, pour l’instant condamnés à faire tapisserie.


Boucher_toilette_1742_oiseau

Le seul autre oiseau de la pièce est le faisan en porcelaine, posé sur la cheminée, la queue avantageusement dressée près de la bougie phallique, du mot d’amour et du bâton de cire si facile à faire fondre : à coup sûr, le faisan miniature symbolise ici le soupirant en titre, celui qu’on attend, mais qui ne sera admis à s’introduire qu’après s’être réduit à la dimension de la fente qu’on a bien voulu lui entrouvrir.

La dame qui habite ici reçoit, mais ne se laisse pas envahir.


Le chat

Boucher_toilette_1742_chat
Il s’étire voluptueusement entre les jambes de sa maîtresse, frôlant son bas de satin  de sa queue de velours, dans une continuité charnelle.  Tandis que celle-ci noue sa jarretière, il fait l’inverse, déroulant la pelote, comme s’il anticipait le dévergondage à venir. Et s’amusant avec ce substitut, en attendant le véritable oiseau.

A noter que la pelote est tombée de la bourse à laquelle le fil est resté accroché. Sans doute un trait d’humour : la belle s’entend à vider les bourses de leurs  « pelotes », (au sens figuré, magot amassé).

Ainsi le chat rend visible la part sexuelle de sa maîtresse

– joueuse, nonchalante, vorace –

qui dans cet instant de détente git  extravaginée  hors de la robe.


Le chat invisible

Boucher_toilette_1742_autre pelote

Pelote de toilette : est un petit coffret dans laquelle les dames serrent leur bagues et autres choses dont elles ont besoin à leur toilette, et qui est rembourrée sur le couvercle pour y fourrer les épingles. Dictionnaire universel, Furetière, 1727

Il y a donc caché dans le tableau un  « chat » invisible, évoqué par la robe de chambre fourrée ; et une seconde pelote dans laquelle il  plante ses griffes : la boîte hérissée d’épingles.



Greuze The wool winder 1759

La dévideuse de laine (The wool winder)
Greuze, 1759, Collection Frick, New York


A titre de preuve a contrario, voici ce qu’une jeune fille sérieuse fait avec une pelote et un chat : l’une, elle l’enroule ; l’autre, elle l’ignore.
A remarquer la  lettre B taillée dans la traverse de la chaise : il pourrait s’agir d’une jeune soeur d’Anne-Gabrielle Babut, que Greuze venait d’épouser cette année là (et qui ferait bientôt scandale par ses nombreux amants – mais ceci est une autre histoire).


Une dame sur son divan

Boucher, 1743, Collection Frick, New York

Boucher-Une dame sur son divan 1743

L’année d’après La Toilette, Boucher s’auto-citera avec gourmandise dans ce portrait de sa femme, Marie-Jeanne Buzeau, alors âgée de 27 ans.

Revoilà le fameux paravent, mais  relégué sur la marge droite : ici les soupirants ne sont pas bienvenus.


Boucher-Une dame sur son divan 1743_bourse et fil

La pelote de laine reste reliée par son fil à la bourse : l’absence de chat laisse injustifiée sa présence – sinon pour recycler une détail de La Toilette qui avait dû être particulièrement remarqué.

Boucher-Une dame sur son divan 1743 etagere
Sur l’étagère, nous retrouvons le ruban rose et la théière qui pour l’heure ne fume pas, pointée vers la tasse retournée : Madame lit, et n’est pas d’humeur galante pour l’instant…



Boucher-Une dame sur son divan 1743 chinois

…même si un mandarin la contemple d’un air énamouré en griffonnant sur ses genoux,

à côté d’un bout de papier signé François Boucher : autoportrait de  l’artiste en porcelaine.


Le Repos

Jean-François Colson, 1759, Dijon, musée des Beaux-Arts

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Cette fois, la jeune fille est placée du côté vertueux du pare-feu. Sur sa tablette baissée, un serin s’est posé pour picorer quelques graines. Un ruban bleu le relie à la main de sa maîtresse. On comprend que la fille s’est endormie en jouant avec son oiseau.

Son autre animal favori profite de cette inattention pour surgir par dessus le pare-feu, prêt à gober le serin laissé sans défense hors de sa cage.

Le tableau joue avec la notion d’appât et de prédation : les graines attirent l’oiseau, l’oiseau au bout de son fil attire le chat. Quant au chat, il s’en faut de peu qu’en tirant sur la corde de la sonnette, il ne réveille la maîtresse.

Le pare-feu laisse la jeune fille sans défense face à  un prédateur plus dangereux que le feu : le peintre qui la caresse du pinceau, le spectateur qui la contemple, ou un quelconque séducteur encore en hors champ du tableau.

Mise en garde renforcée par la présence, sur la cheminée, de la théière au long bec prête à verser dans la tasse.


Le paysan amoureux (the rustic lover)

Francis Wheatley,1786, Yale Center for British Art

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La fille devrait s’occuper à ses travaux de couture, entre rouet et panier à linge. Au lieu de cela, elle tend une soucoupe de lait à un chaton qu’elle a installé sur ses genoux. Debout derrière sa chaise, un gaillard  jette un coup d’oeil plongeant et lui susurre quelque chose. Elle tourne la tête pour l’écouter, et ne voit pas son autre  main qui va tirer la queue de l’animal.  Tout en haut, dans la cage, un oiseau penché sur son perchoir ne perd rien de la scène.

Ici, pas de symbolisme torride à rechercher : les deux animaux sont là comme interprètes des intentions de chaque sexe.

Le garçon est comme l’oiseau :  un beau siffleur, perché sur la chaise, épiant les choses d’en haut. Ses bras miment le geste enveloppant de la fille, qui tient l’animal de la main droite et la soucoupe de la gauche :  la main droite du garçon est déjà  au contact du chat, sa main gauche n’a plus qu’à quitter le haut de la chaise pour venir empaumer cette autre source de lait, du côté où l’épaule s’est opportunément dénudée.

La fille est comme le chaton : insatiable, et toute prête à se laisser enlacer.


Minet aux aguets

Gravure de Debucourt, 1796

Minet aux aguets Debucourt 1796

Intéressant exemple d’une inversion de sexe au royaume des métaphores glissantes  !

Minet a sauté de la fenêtre sur la table, queue érigée,  à côté de la canne et du bicorne du visiteur qui va dans un instant entrer en scène.

Pour l’instant, la jeune personne en est encore à apprécier les délices de la lecture.

Du coup, le minuscule oiseau pointant la tête à la porte de sa cage n’est pas sans évoquer  la partie virile du sexe faible.


Le chat et l’oiseau

Schall, fin XVIIIème, Collection privéeSchall Le chat et l oiseau detail

Dans ce sujet manifestement conçu pour exhiber une  femme dévêtue surgissant hors de son lit, la scène  intéressante se situe à l’extrême gauche : un chat est grimpé sur une cage, dans une sorte de copulation symbolique où deux récipients voraces s’emboîtent autour de l’oiseau captif. Au point qu’on ne sait si la fille s’extrait de son lit vaginal pour se précipiter au secours du volatile, ou pour l’engloutir elle-même.

« La fille se met sur lui à califourchon, le visage en face de celui qui la caresse. Elle met l’oiseau en cage, et par ses mouvements excite son ramage ».  XXXIIème façon, la Badine , Les quarante manières de foutre, 1791



Au XIXème siècle, le sujet, trop exploité, passe de mode,  et on ne le rencontre plus que rarement.



George Francis Joseph La Harpiste Collect privee

La Harpiste
Début XIXème, George Francis Joseph, Collection particulière

Ici, c’est une musicienne qui s’interpose entre l’oiseau qu’elle nourrit dans sa cage, et le chat soumis à la double tentation du volatile et des poissons.

Posture qui a l’avantage de mettre en valeur, sous son chemisier rose,  une autre double tentation à l’usage des passants : pour une fois qu’une harpiste écarte les bras !

Visuellement, une de ses mains reste en contact avec la harpe tandis que l’autre frôle la cage : manière de signaler une triple analogie entre l’instrument  et l’ustensile :

  • tous les deux sont grillagés ;
  • tous les deux émettent des sons gracieux lorsqu’on les frôle du doigt ;
  • tous les deux, l’un au sens propre, l’autre au sens figuré, trouvent leur emplacement naturel  entre ses cuisses.

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Anonyme, LE CHAT ET LES CHARDONNERETS, 1ere moitie 19e siecle, Rouen ; musee des beaux-arts

Le chat et les chardonnerets
Gabriel-Germain Joncherie,  1ère moitié 19e siècle, Musée des Beaux-Arts, Rouen

Dans la mangeoire de verre, une cloison sépare les graines et l’eau, que l’habile chardonneret puise avec un dé doré.  De la même manière, une vitre sépare le le couple d’oiseaux et le chat : celui-ci sera-t-il assez audacieux pour se glisser sous la brisure ?


A la fin du XIXème siècle, certains peintres vont se spécialiser dans le  recyclage des sujets galants, offrant à une clientèle nostalgique du Grand Siècle un zeste de grivoiserie dans une confiture raffinée.

La charmeuse

Léon Herbo, 1890, Collection privée

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La main droite sur le roman, la main gauche sous le moineau, la Charmeuse attire l’oiseau par sa rose et le spectateur par son corsage. Figé sur le bronze de Chine, un dragon fait figure de « chat »  bien inoffensif : tout oiseau, même timide et humble, est bienvenu chez cette dame.


Jeune fille avec un chat et une cage à oiseau

Francesco Vinea, vers 1902, Collection privée

Francesco Vinea favourite friends
Grand maître de ce courant, Vinea nous montre ici une jeune fille prometteuse, détournant   avec maestria  l’appétit de son chat vers l’odeur de sa rose, tout en agitant à bonne distance son canari.

Notons que cette remise au goût du jour se fait à contre-sexe : le chat blanc représente manifestement la voracité et la naïveté masculine, face à deux manifestations  de la rouerie féminine : la rose qui embaume et qui pique, le canari qui chante mais ne se laisse pas gober.

Mais la plupart du temps, le prestige des sujets rococo se conjugue avec l’oubli – ou l’édulcoration volontaire -de tous leurs sous-entendus. Ainsi Antonio Gisbert décompose la  scène en deux temps.

Le chat et la cage

Antonio Gisbert, fin XIXème, Collection particulière

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Une dame élégante ordonne à Minet de ne pas toucher à ses canaris, qu’elle conserve dans une cage somptueuse sommée d’une couronne royale.


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Un chat méfiant (A cagey cat)
Antonio Gisbert, fin XIXème, Collection particulière



Néanmoins, Minet fait sa bêtise : non parce qu’il est goulu, mais parce qu’il se méfie de ces être sauvages, qui pourraient menacer sa maîtresse : elle l’excuse en souriant, puisque la cage est intacte.


Son perroquet favori

Adrien de Boucherville, 1872, Collection particulière

Adrien De Boucherville
Même scène de pacification entre le perroquet et le chat sous l’égide d’une  élégante, mais cette fois dans un faux décor XVIIème  désinfecté de tout sous-entendu…


Adrien De Boucherville Son perroquet chéri 1872 détail
… ou presque : à noter, près du bouclier à pointe, le gantelet de fer du maître de céans, mettant en valeur la délicatesse du doigt nu et de la chair en proie aux griffes.


La femme pendue

Heinrich Zille, 1908, Berlin, Stiftung Stadtmuseum

H.Zille, Erhaengte Frau - -

Dans un autre contexte social, le suicide de la maîtresse permet enfin à Minet d’arriver à ses fins.


Le chat et l’oiseau

Anderson (Sophie Gengembre), fin XIXème, Collection particulière

ANDERSON Sophie Gengembre

Progressivement déminé, le sujet était désormais compris comme une admonestation mièvre : « Minet ! Tu ne dois pas bouffer l’oiseau ».

Rien n’empêchait dès lors d’exposer une petite fille relevant sa robe pour montrer son canari à son chat.



Jeune fille et son chat

Charles Nahl, 1866, Collection privée

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Par la chasteté de ses bas blancs, la jeune fille réconcilie le chat et le perroquet dans l’harmonie du Nouveau Monde, après avoir pris son petit déjeuner sur le banc. Le peintre allemand devenu californien nous montre une maison bien tenue, où les baquets et seaux béants sont mis à sécher au soleil sans craindre le moindre symbolisme. Tandis que la mère ou la grand-mère, dans sa cuisine rougeoyante, s’occupe à touiller la marmite.

Pendant que les adultes travaillent, les créatures charmantes et inutiles – animaux et petite fille – sont autorisées à prendre du bon temps sur le seuil.


Petite fille avec un chat

Walter Osborne, fin XIXème, Collection particulière

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L’intérêt de ce petit tableau tient à ce qu’il inverse les positions  habituelles : le chat est assis sur la chaise, la petite fille sur le sol et la cage se trouve tout en bas, à l’opposé de sa place surplombante.

L’autre originalité est l’orthogonalité des regards : la petite fille regarde horizontalement, vers sa mère ou vers le monde des adultes (le balai) ; le chat regarde verticalement, non vers l’assiette posée à son intention sur le sol, mais vers cette nourriture bien plus attrayante que la fillette, en toute innocence, a mis à porté de sa patte.


Oisiveté (Idleness)

John William Godward, 1900, Collection privée

Idleness, by John William Godward
L’oiseau est ici réduit à une plume de paon, qui sert à agacer Minet pour tromper l’ennui. Malgré le drapé vertueux, le marbre irréprochable et l’alibi antique, il n’en reste pas moins que cette belle gréco-romaine  titille la métaphore  de sa féminité avec celle de sa vanité, dans une forme d’auto-érotisme hautain à l’usage des happy-fews.



La dame au chat

Carte postale de Ney,  1914-18

NEY_minet
Quelques années et une guerre plus tard , la pruderie est tombée comme la chemise et la plume caresse la nudité offerte, des poils du haut aux poils du bas.


Pendant l’alerte

Illustration de Henry Gerbault pour Fantasio, 1918

Henry Gerbault 1918 Pendant L'alerte
La légende amusante « N’ai-je rien oublié ? » ne concerne pas seulement la jeune femme descendue dans l’abri avec l’essentiel.

Mais aussi le dessinateur dépositaire de réminiscences plus ou moins inconscientes. En effet, il n’a pas oublié :

  • le miroir, métaphore de la Femme autarcique ;
  • le petit chat, métaphore de son sexe  joueur ;
  • l’oiseau en cage, métaphore de l’amant du moment, dont la photographie est posée dans l’ombre de sa croupe.

Le chat et la cage

Icart,1928

Louis Icart-Femme a la cage
Maintenant, la maîtresse ne fait plus la morale au chat : au contraire, elle le précède dans la dévoration du regard, les mains derrière le dos pour lutter contre la tentation.

La petite femme d’après-guerre assume désormais son appétit pour les oiseaux.


Ce sacré chat (That Damned Cat)

Charles Spencelayh, début XXème siècle, Collection particulière

Charles Spencelayh - That Damned Cat

 Le chat vient de s’évanouir définitivement, avec le canari, dont il ne reste qu’un peu de poussière jaune sur le plancher.

Dans cet ultime ricochet du thème du chat et de l’oiseau, toute notre théorie de beautés plus ou moins ouvertement aguicheuses  laisse place à un vieux barbon,  qui ne taquine que sa pipe.



Carte postale pour Thanks giving, 1908

carte postale Thanks giving 1908

Néanmoins, dans cette carte postale innocentée par la présence de la petite fille, une citrouille à la fente dentue sert de support à l’ostention d’un petit chat, hors de portée de bec d’une dinde au cou turgescent.

Comme si les symboles coriaces avaient continué leur vie souterraine pour ressortir,  incognito et sans crainte d’être reconnus,  à l’occasion d’une fête de famille.


Duane Bryers pinup

Pin up de Duane Bryers 

Emmanchés sur le même poteau, sauvetage par la pinup au grand coeur de son minuscule chat.  Selon qu’on a bon ou mauvais esprit, l‘oiseau donne l’alerte ou tente de piquer le postérieur de son adversaire héréditaire.


Duane Bryers pinup detail

A noter, dans un espace restreint, la cohabitation complexe de cinq symboles phalliques…


Olivia De BERARDINIS pinupPinup de Olivia De Berardinis

Cette composition très symétrique confronte  :

  • le siamois couché avec le siamois assis,
  • les oiseaux qui marchent avec ceux qui volent,
  • la jambe gauche, son bas tombé et sa bottine posée sur le sol avec la jambe droite, son bas tendu et sa bottine en l’air.

Le chat et les oiseauxLe chat et les oiseaux
Anonyme

Cette composition naïve synthétise excellemment l’ensemble des métaphores aviaires :


 

Deux minets de Balthus

Il est paradoxal que l’artiste qui a certainement la plus exploité l’affinité entre la jeune fille et le chat, ait toujours prétendu que la recherche du moindre symbole était vaine : « un chat est un chat  et c’est bien suffisant ».


Balthus Le leverLe Lever
Balthus, 1975-78, Collection particulière
Amor_Vincit_Omnia-Caravaggio_(c.1602)L’Amour Victorieux, Caravage

Ainsi, il faudrait voir seulement ici  une jeune fille manipulant un  oiseau mécanique, tandis qu’un chat intéressé jette un oeil  hors  de son panier. On ne peut s’empêcher de penser que Balthus brouille délibérément les pistes en prenant à rebrousse-poil ses classiques :

  • il « cagifie » le panier, ce qui  « oisifie » le chat et tend donc à  en faire un symbole viril ;
  • inversement,  il féminise ce prototype absolu du petit mâle séducteur qu’est l’Amour Victorieux de Caravage.


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Grande composition au corbeau
Balthus, 1983-86, Collection particulière

Les jambes de la jeune fille épousent toujours la posture de l’Amour Victorieux, mais ses bras sont ici ouverts en croix, désignant d’un côté le corbeau noir perché sur l’étagère, de l’autre trois éléments placés au pied du lit : un tabouret, un panier fermé par une planche, un chat gris couché par terre.  A gauche, un homme miniature, nu, vu de dos, porte une cage.

On peut voir ici un assemblage purement onirique, ne réclamant pas d’interprétation. Cependant cette composition semble destinée, telle les tâches du test de Rorschach, à déclencher un sens face à différents types de regards : d’où peut être l’adjectif « grande ».


Le corbeau menaçant

Ceux qui voient dans le corbeau noir un symbole sinistre  – d’autant plus qu’il vient de la gauche –  penseront que le petit homme se porte héroïquement  au devant de cet oiseau menaçant , pour le prendre au piège et préserver la tranquillité du chat qui dort, et donc la pureté de la jeune fille.

Ceux qui notent au contraire l’attitude épanouie de celle-ci, accueillant à bras ouvert le corvidé,  auront le choix entre deux types d’interprétations positives.


Le corbeau mystique

Les amateurs de spiritualité relèveront que le corbeau, symbole de mort, est aussi depuis les romains le symbole du futur et de la divination (car son croassement, « Cras », signifie « demain » ). Pour eux, la jeune fille, aux marges du sommeil, serait en proie à une sorte d’extase, de révélation mystique : à laquelle l’homme, collé à la terre par sa petite taille, encombré par la cage de ses certitudes, ne peut participer autrement qu’en spectateur distant.


Le corbeau lubrique

Les amateurs de sexualité trouveront cette extase mystique bien joyeuse : en désignant le tabouret, le panier inoffensif et le chat qui dort, la jeune fille invite l’oiseau sauvage à venir se poser sur le premier, puis sur le deuxième, sans risque de se faire dévorer par le troisième : appel à la liberté de l’orgasme, auquel l’homoncule, athlète ridicule tout juste bon à transporter sa propre cage, ne peut participer autrement qu’en voyeur impuissant.


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Captive
Sally Moore

Dans cette toile récente, Sally Moore propose au minou interloqué une solution radicale à son appétit : la cage de chasteté.


Références :
[1] Fonti e simboli per il Satiro “scandagliatore” di Agostino Carracci
http://www.bta.it/txt/a0/06/bta00677.html

[2]

Le Chat et les deux Moineaux

A Monseigneur le duc de Bourgogne

Un Chat, contemporain d’un fort jeune Moineau,
Fut logé près de lui dès l’âge du berceau.
La Cage et le Panier avaient mêmes Pénates.
Le Chat était souvent agacé par l’Oiseau :
L’un s’escrimait du bec, l’autre jouait des pattes.
Ce dernier toutefois épargnait son ami.
Ne le corrigeant qu’à demi
Il se fût fait un grand scrupule
D’armer de pointes sa férule.
Le Passereau, moins circonspec,
Lui donnait force coups de bec ;
En sage et discrète personne,
Maître Chat excusait ces jeux :
Entre amis, il ne faut jamais qu’on s’abandonne
Aux traits d’un courroux sérieux.
Comme ils se connaissaient tous deux dès leur bas âge,
Une longue habitude en paix les maintenait ;
Jamais en vrai combat le jeu ne se tournait ;
Quand un Moineau du voisinage
S’en vint les visiter, et se fit compagnon
Du pétulant Pierrot et du sage Raton ;
Entre les deux oiseaux il arriva querelle ;
Et Raton de prendre parti.
Cet inconnu, dit-il, nous la vient donner belle
D’insulter ainsi notre ami ;
Le Moineau du voisin viendra manger le nôtre ?
Non, de par tous les Chats ! Entrant lors au combat,
Il croque l’étranger. Vraiment, dit maître Chat,
Les Moineaux ont un goût exquis et délicat.
Cette réflexion fit aussi croquer l’autre.

Quelle morale puis-je inférer de ce fait ?
Sans cela, toute fable est un œuvre imparfait.
J’en crois voir quelques traits ; mais leur ombre m’abuse,
Prince, vous les aurez incontinent trouvés :
Ce sont des jeux pour vous, et non point pour ma Muse ;
Elle et ses sœurs n’ont pas l’esprit que vous avez.

La Fontaine, deuxième fable du livre XII, 1693

Pauvre minet

26 octobre 2014

Fillette avec un chat

Domenico Crespi, vers 1700, Pinacoteca Nazionale di Bologne

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Dans ce tableau doublement métaphorique, le chat  – fourrure et griffes, est agacé par la rose – pétales et épines : il s’agit ici simplement d’illustrer  les douceurs et douleurs de l’amour.


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 Fillette jouant avec un chat et une souris morte
Domenico Crespi, 1700, Fizwilliam museum

Suspendue par un fil à la queue, la souris fait le mort, ou est déjà morte. Ses quatre pattes rigides répondent aux quatre griffes saillantes du chat. En maintenant les animaux dans ses deux mains, la fille semble vouloir mettre à égalité  la statique et la dynamique, et prouver à la proie comme au prédateur qu’il existe, au dessus de la loi du plus fort, une puissance supérieure.


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Dessins physiognomoniques de Le Brun (1619-1690)

Le faciès félin de la jeune fille ajoute à l’étrangeté du tableau et pourrait être une application directe des recherches physiognomoniques de Lebrun.  Sauf que les dessins de ce dernier ne seront connus qu’à la fin du XVIIème siècle.

Quelle est donc la logique de Crespi, dans cette composition triangulaire au cadrage étroit, qui semble destinée à mettre en tension un jeu serré d’analogies  ?

Remarquons que la fille, qui ressemble au chat, le serre fort contre elle, sans solution de continuité. Tandis qu’elle évite tout contact direct avec la souris, tenue du bout des doigts au bout d’un fil. De plus, si la souris « ressemble » au chat, c’est en l’inversant en tout point : immobilité, petite taille, tête en bas, pattes saillantes vers la gauche . La fille est le chat sont décidément dans le même camp, la souris est dans le camp opposé.

Sous le sujet visible  –  « une fille excite son chat avec une souris » se cache le sujet métaphorique :

« une fille-chat s’ excite avec une souris »

Nous dédions un article au thème de La souricière d’où il ressort que, si les rongeurs sont des  métaphores phalliques, la ratière est souvent une image du sexe féminin. Doué de plus  d’efficacité que celle-ci pour capturer, d’une cruauté légendaire pour jouer et d’une avidité  sans limite pour engloutir ses petites victimes, le chat en est une métaphore encore plus pertinente.

Béroald de Verville le fait expliquer par la pratique  à une jeune demoiselle :

« La belle s’avisa de demander … ce que vouloit dire madame, par ces rats et chats; ce que le pauvre corps, par innocence charitable et humilité graduelle, et selon la sainteté de nos premiers vœux inférant grâces abondantes, lui fit entendre et pratiquer, en lui faisant naturellement étrangler le rat de nature , par le chat mystique du bas de son ventre ; de quoi elle avoit recueilli un fruit mélodieux de savoureuse délectation, qui ne devroit appartenir qu’à princes et prêtres, si tout alloit d’ordre. Elle étoit, par ce moyen, ingénieusement déniaisée. » [A]


Aime-moi, aime mon chat

(Love me, love my cat)

D’après Philippe Mercier, gravure de James McArdell, après 1716

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Dans cette chaste gravure, la complicité de la jeune fille avec l’animal se lit dans le parallélisme des regards. Elle le serre  dans ses bras pour proclamer le caractère indissoluble et non-négociable de son affection : qui veut me prendre le prend aussi.

Seul le titre, rajouté par une main libertine, laisse une ambiguïté planer sur le chat dont il est question.


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Le boudoir
Etienne Jeaurat, 1769 Walker Art Gallery, Liverpool, UK

La jeune femme se distrait de la main gauche. Son chat grignote la jarretière – en attendant des proies plus  subsistantes. Le perchoir du perroquet, hérissé de traverses, la cheminée et son miroir, hérissés de bougies, en donnent une première approximation.

A noter le pare-feu qui pourrait indiquer que la fille est encore chaste ; et le roman posé sur l’étagère, qui souligne qu’elle est déjà bien au courant de certaines choses.


Jeune femme à sa toilette

Nicolas Lafrensen (attribué à),  fin XVIIIème siècle

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Une jeune femme essaie de mettre sa jarretière, tandis qu’un chat joue à en attraper le bout. L’autre jarretière est encore posée sur le repose-pieds, bien que la jambe droite porte déjà son bas : l’animal n’a pas envie que sa maîtresse finisse de s’habiller.

Ou de se rhabiller :  car les vêtements posés en vrac sur le guéridon et le bouquet de fleur jeté par dessus, révèlent  une hâte certaine. Que confirment les roses tombées par terre en perdant leurs pétales.



Lafrensen jeune femme a sa toilette_detail
Dans le bas-relief au-dessus de la porte, un lion chevauché par un Amour inverse, en proportions et en dignité, le minet retourné entre les jambes de la fille.


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Sans défense, pattes en l’air, ventre offert, l’animal domestique évoque  la soumission de sa maîtresse à l’amour, lequel transforme,  comme on sait, les dignes lionnes en chattes joueuses.



Pauvre Minet, que ne suis-je à ta place.

Nicolas Lafrensen, fin XVIIIème siècle

lafrensen pauvre minet

Assise sur son lit, un jeune femme caresse son chat, dont elle envie l’existence : sa vie à elle doit être bien triste, réduite à lire un livre toute seule dans son grand  lit. L’arrivée de l’animal de compagnie l’a distraite, elle a jeté l’ouvrage par terre et changé de position pour l’accueillir.

Mais par  delà cette situation désolante, le titre a surtout pour objet d’attirer notre attention sur la place du chat : entre les cuisses de sa maîtresse.



lafrensen pauvre minet-table de nuit
A noter également  les deux jambes du guéridon et la fente du tiroir entrouvert sous un retroussis de rideaux.[B]


Le roman

Gravure d’après Garnerel, fin XVIIIème siècle

garnerel le roman

Cette gravure affronte plus gaillardement un sujet très similaire. Nous sommes en hiver, comme l’indique le  manchon de fourrure abandonné sur le fauteuil. La jeune femme relève sa robe pour profiter de la chaleur, tandis que son chat, recherchant lui aussi le confort du foyer, pose mignonnement sa patte  sur le pied  de sa maîtresse.

Sur la table, un miroir de voyage s’échappe d’une sorte de sac à main. Celui-ci contenait sans doute le roman que la fille a sorti pour se précipiter dans la lecture, sans prendre la peine d’enlever son chapeau.



garnerel le roman_reseau

Puis l’oeil repère  tout un réseau d’allusions : une batterie de pique-feux met en joue la cheminée, un soufflet sur le sol met en joue le chat, la queue du chat met en joue l’index de sa maîtresse, laquelle se met en joue (et en joie) elle-même. Sur le tapis, un motif saillant qui titille  un motif rayonnant synthétise cette thématique.

Nous comprenons alors que le roman est dangereux pour les jeunes filles parce qu’il développe leur auto-érotisme (le miroir) et pousse leur main vers telle ou telle  fourrure.



Le lever

Gravure de Massart d’après Baudoin, 1771

Le lever Massart d'apres Baudoin 1771
La métaphore fonctionne quelque fois à contre-sexe, lorsque Minet met en valeur sa partie « queue »  : il la dresse ici à la verticale en voyant le téton que lui montre sa maîtresse, tandis que la bougie du guéridon réitère le symbolisme.

Il n’est pas exclu que celle-ci ne fasse système avec le chat, opposant la prosaïque virilité masculine aux délices de l’auto-érotisme féminin, du sein caressé au minou  érigé.



Pendants

Jean-Frédéric Schall, vers 1780,  Rijksmuseum, Amsterdam

morgentoilet_rijksmuseum_sk-a-3260La toilette du matin avondtoilet_rijksmuseum_sk-a-3261La toilette du soir

Le matin : la belle dame vient de finir ses ablutions, comme le montrent l’éponge, le pot à eau, le flacon de parfum et la chemise de nuit négligemment jetée  sur la chaise percée. Elle va passer sa chemise de jour, puis la robe qui l’attend sur le canapé.

Le soir : cette autre beauté fait l’inverse : elle passe sa chemise de nuit tandis que le chien et le chat se disputent sur sa robe. La table de nuit ouverte sur le pot de chambre, l’éteignoir conique coiffant  la bougie, les draps tourmentés, semblent sous-entendre qu’un grand tremblement  amoureux a eu lieu… dont la dispute des deux animaux familiers constitue une réplique amusante.

 

 

Le chat costumé (Dressing the Kitten)

Joseph Wright of Derby, vers 1770, Kenwood House, Londres

Joseph Wright of Derby Dressing the Kitten 1770
Cette peinture dérangeante, dans laquelle deux filles pas si petites cessent de jouer à la poupée pour s’en prendre à un minet désappointé, a reçu trois catégories d’interprétation :

  • la scène charmante, avec enfants, poupée et chaton ;
  • la métaphore moralisante, sur la cruauté naissante des jeunes filles et leurs jeux manipulatoires  ;
  • l’image « hot », que Wright, trentenaire célibataire, asthmatique et dépressif, aurait gorgé d’allusions sexuelles.



Joseph Wright of Derby Dressing the Kitten 1770 detail
Il est vrai que le bout de queue saillant entre les jambes du chat attire l’oeil, d’autant  qu’il est redondé par le mouvement inverse de la queue du bougeoir et que certains décèlent, derrière le linge blanc, la bandaison scandaleuse de la poupée.

Comme si, en cachant de sa main le symbole phallique classique – la bougie, la jeune fille faisait sortir de l’ombre deux autres membres plus discrets.

En prêtant son bonnet au minet, la poupée confirme leur commune nature, féminine mais  érectile.


Joseph Wright of Derby  Miss Kitty Dressing

Mademoiselle Minet s’habille  (Miss Kitty Dressing)
Gravure de Thomas Watson, 1781

La gravure, plus explicite que la peinture, ajoute sur le bonnet du chat une plume similaire à celle  des deux jeunes filles  et renforce cette solidarité féminine en appelant carrément « Miss Kitty » le chaton, érigé par les mains de l’une, agacé par l’index de l’autre.



Références :
[A] Béroald de Verville, 1610, « Le Moyen de parvenir, oeuvre contenant la raison de ce qui a été, est et sera, avec démonstration certaine selon la rencontre des effets de la vertu »
Dans cette oeuvre d’une liberté et d’une bizarrerie sans pareille, on trouve également un dialogue entre une fillette et une abbesse, qui développe la même métaphore :

Histoire de la fille qui croit être devenue bête
« Adonc en gémissant et pleurant des yeux, elle dit : Ma sacré chère Dame et prude mère, j’ai bien grande occasion dêtre en extrémité de marisson (affliction), pour ce que je deviens bête ; j’ai déjà un petit minon qui m’est venu entre les jambes. Que je voye ? Elle le montra, exhibant physiquement sa petite natureté. Alors l’abesse pour repartir par pièces similaires, et réciproque démonstration, se découvrit et lui fit paraître sa naturance…. Et la fillette de dire « He ! qu’est cela, madame ? O quelle abondance de bestialité ! – Mamie, mamie dit l’abesse, le vôtre n’est qu’un petit minon : quand il aura autant étranglé de rats que le mien, il sera chat parfait ; il sera marcou, margaut et maître mitou… »

https://books.google.fr/books?id=edxiAAAAcAAJ&printsec=frontcover&hl=fr&source=gbs_ge_summary_r&cad=0#v=onepage&q&f=false

[B] On trouvera d’autres exemples dans Guillerm, le système de l’iconographie galante, article dans « XVIIIeme siècle », 1980 https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k327527/f195.image.r=guillerm%20le%20systeme%20de%20l’iconographie%20galante.langFR 

Boilly : Surprises et sous-entendus

4 octobre 2014

A la fin du XVIIIème siècle,  l’image autrefois réservée aux églises et aux palais était devenue moins rare. Elle gardait néanmoins  de ce passé officiel une légitimité qui devait rendre  d’autant plus excitante la découverte, sous l’image sérieuse, d’une interprétation vicieuse : exercice  de déshabillage visuel à l’usage des amateurs d’estampes ou des visiteuses rosissantes.

Toujours est-il que, de ces oeuvres à double-sens, nous avons le plus souvent  perdu la clé. Il ne faut pas s’étonner qu’on ne trouve pas de texte dévoilant leurs sous-entendus – pas plus qu’on ne trouve de solutions dans les recueils de calembours. Et il est vrai que ces images s’apparentent à des sortes de calembours, dont le déclic est tantôt purement visuel, tantôt textuel, tantôt les deux.

Dans l’oeuvre prolifique de Boilly (plus d’un millier de tableaux en trois quarts de siècle), on trouve des trompe-l’oeil virtuoses, mais aussi quelques-uns de ces « trompe-la-tête«  magnifiques de duplicité : nous allons les présenter par  degré d’innocence – et donc de difficulté – croissante.



boilly Tête

Ici, pas de mécanisme compliqué : pour déclencher le déclic, il suffit tout simplement de s’approcher



boilly Tête

Tête d’homme
Boilly, date inconnue

… pour voir, littéralement, ce que cet homme a dans la tête !


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En regardant encore de plus près, nous constatons que l’oeil est dans le sexe, et que le sexe est dans  l’oeil – principe même des images plus subtiles que nous allons maintenant examiner.



Le Prélude de Nina

Boilly, 1786, Musée Pouchkine, Moscou

Boilly Prelude



Voici un couple  juste en train de basculer de la partie de musique à la partie de plaisir  :

  • sous la main droite de l’homme, le clavier prélude à la cuisse ;
  • dans  la main gauche de la fille, le violon  prélude à un autre instrument ;
  • déjà les autres mains sont occupées à des doigtés plus anatomiques.



Une fois notre oeil mis en verve, toutes les idées mal  tournées se mettent à grenouiller : d’une chaise à l’autre, la guitare hanchée  aguiche la canne aux multiples usages.

Et  le piano ouvert pour le prélude anticipe le lit ouvert pour les préliminaires.



« Méfie-toi du chat ! »

Boilly, 1820 ?, Neue Pinakothek, Munich

Boilly Mefie toi du chat

 

Deux jeunes filles s’intéressent à un jeune homme, qui tient dans sa main quelque chose  vers quoi un  chat tend la patte. A voir la cage vide sur le sol, on comprend qu’il s’agit d’un oiseau.

Bientôt, on remarque que la première fille, dans un geste identique à celui du félin, tend sa menotte pour soulever le chapeau du jeune homme ; tandis que par derrière sa compagne tente également de voir ce qui se cache dessous.

Nous sommes dans un jeu de trompeur trompé : le jeune homme fait croire aux filles que l’oiseau est à chercher sous le chapeau – ce qui est vrai, mais au sens figuré.

Au sens propre, le chat va mettre la patte sur lui.

A nouveau au sens figuré, il faut comprendre  que le « chat » dont il faut se méfier n’est pas celui qu’on voit, mais deux  félins autrement plus habiles !

(Sur d’autres déclinaisons  picturales de cette éternelle histoire, voir Le chat et l’oiseau )


louis-léopold-boilly-linnocent-(le-panier-fleuri)

L’innocent (ou le panier fleuri)
Boilly, date inconnue, collection privée

Boilly avait déjà traité, en genre élégant et non pas paysan, un thème similaire : la cage n’est pas là, mais déjà le chat se demande quel drôle d’oiseau peut se dissimuler sous le bouquet.


Rêverie pendant la toilette

Boilly, 1785-90 , collection privée

the-toilet-louis-leopold-boilly 40,5 x 33,5 cm

Assise à côté de son lit, ayant laissé tomber son roman et aéré sa poitrine, la jeune fille s’intéresse moins aux baisers figés du couple de marbre qu’à l’affaire minuscule des oiseaux.


the-toilet-louis-leopold-boilly 40,5 x 33,5 cm detail

Sur le même thème, fréquent au XVIIème siècle, voir Les oiseaux licencieux



Moquerie

Boilly, vers 1787 Collection privée

boilly La Moquerie
A force de sous-entendus, cette scène lue au premier degré confine au surréalisme :

  • une vieille porte un petit chien à l’envers tout en montrant un jeune homme  du doigt ;
  • celui-ci montre un melon à la vieille ;
  • une jeune fille croise les doigts en nous souriant d’un air complice.


boilly La Moquerie_guitare
Commençons par les deux symboles que nous connaissons déjà: la guitare féminine, surplombant la canne tombée par terre, signale une confrontation dans laquelle le sexe faible a  le dessus.


La vieille et le jeune

Nous sommes au début d’un repas, la vieille peut être au choix l’hôtesse, la mère de la jeune fille ou l’entremetteuse d’un souper fin.



boilly La Moquerie_table
Le jeune homme vient d’être servi en vin, mais la bouteille est rebouchée et il n’y a pas d’autre verre sur la table : ce n’est pas un dîner pour deux. D’ailleurs, il a dédaigné l’assiette, la serviette et le couteau qui lui étaient destinés pour s’asseoir  directement devant le plat  (on remarque sur celui-ci des ornements dorés).

Manger dans le plat avec les doigts serait une telle marque d’inconvenance qu’on ne peut l’interpréter que dans un sens symbolique : le jeune gentilhomme est pressé de consommer.

De même, tenir basse la queue du petit chien ne peut être compris qu’au second degré, comme une mise en doute narquoise de la vigueur du convive.


boilly La Moquerie molletEn désignant la grande fente juteuse du melon, le vantard signifie : « On a de quoi la contenter ».  Son mollet bien formé, qui s’avance sous la nappe, renforce cette prétention.

La fille moqueuse

boilly La Moquerie_je t en ratisse Danloux 1784 Je t en ratisse coll partJe t’en ratisse, Danloux, 1784,

Le geste insistant à frotter un index sur l’autre à à l’époque une signification bien précise : « je t’en ratisse », autrement dit « Va te faire voir ». Le geste imite celui du râteau, mais aussi un autre va et vient, ici ridiculisé (sur ce geste, voir aussi 1 Les pendants de Boilly : Ancien Régime et Révolution ).

Le vin coupé d’eau, le verre inachevé, la bouteille refermée, la serviette vierge, le couteau inutile, disent assez que le jeune godelureau n’est pas mûr pour ses prétentions.


Louis_Leopold_Boilly 1791 Le_vieux_vicaire_(an_old_curate)_Musee Pouckine MoscouBoilly, 1791, Musée Pouchkine, Moscou Louis_Leopold_Boilly 1791 Le_vieux_vicaire_(an_old_curate) gravure de ClavareauGravure de Clavareau

Le vieux curé, ou « Ah ! Il y viendra », ou « Je t’en ratisse »

En pleine Révolution, Boilly reprendra le même sujet pour ridiculiser cette fois un vieux curé, qui s’acharne à enfiler une aiguille (Ah ! Il y viendra !). Le geste « Je t’en ratisse » imite le va et vient du fil, tout en prenant, avec ses index croisés, une valeur anti-chrétienne.

De la « Moquerie » au « Vieux Curé », la scène de genre, comme Boilly lui-même, évolue avec son temps.


« Poussez fort ! »

Boilly, date inconnue, Musée Marmottan Monet, Paris

Boilly Poussez fort

Ce tableau de moindre  qualité fait partie des déclinaisons érotiques que Boilly réservait à des amateurs moins raffinés que ses « patrons » habituels.

Le titre concerne bien sûr la porte : il s’agit de ne pas laisser entrer le barbon tandis que l’amant de coeur est encore dans la place.

Ici, pas de complications  : il s’agit d’un souper fin pour deux, avec un melon fendu côté madame et une saucisse côté monsieur. Lequel porte la main sur le col d’une bouteille vers laquelle la femme tend aussi la main :  second substitut, appelé à jouer le même rôle que le manche du violon dans Le prélude de Nina.

Cette toile  possède un pendant, voir Ancien Régime et Révolution.

Le Melon ou l’Amant raillé

Boilly, vers 1787 Collection privée

Boilly Le melon

Dans cette variante, nous retrouvons nos trois  personnages, avec des gestes et des accessoires  légèrement différents : en particulier  le melon, qui devient le titre et le sujet central de l’histoire.

La table

Le seconde chaise a disparu, remplacée par une table de nuit frôlée par un rideau  bleu qui ne peut être que celui d’un lit. Dessus, une bouteille de vin bouchée et une miche. La table de nuit est ouverte côté jeune homme, lui offrant une vue distante sur le pot de chambre.

Sur la table à côté, on retrouve l’assiette vierge avec sa serviette et un couteau, aucun verre n’est visible.

Ce lieu n’est pas une salle-à-manger, mais une chambre  accueillante dans laquelle une collation est servie avant de passer au lit.

Le chien

Il est tombé des bras de la vieille et devenu énorme : le jeune homme retient par le collier, contre sa jambe, cette boule de vitalité animale.

La vieille femme

Boilly Le melon vieille jeune
Elle  désigne de l’index la calote découpée  du melon, qu’elle tient de la main gauche. Le spectateur qui connait le tableau précédent est amené à voir la même chose  :  une queue minuscule, celle du légume à la place de celle de du chien.

Mais l’intention de la vieille semble bien différente : plutôt que de plaisanter sur la virilité du jeune homme,  elle lui vante plutôt les vertus du  légume.Et celui-ci écoute, tout ouie.


Le jeune homme

A la différence du tableau précédent, il ne se contente pas de désigner le melon : il est en train de le découper, à l’aide d’un petit canif à peine visible dans sa main droite.

La jeune fille

Boilly Le melon fille homme
Elle ne brandit plus de saucisse infamante, mais se contente de toucher de la main la perruque du jeune homme, en prenant le spectateur à témoin.


Tous ces sous-entendus, plus opaques que dans la première version,  nécessitent pour être compris un ressort qui nous manque encore.


Le chapeau sur la caisse

Boilly Le melon_chapeau caisse
Dans le coin en bas à droite, un chapeau bleu est posé sur une caissette fermée, à côté d’une carafe d’eau.



Boilly Le melon_table nuit
Ce trio d’objets fait pendant avec l’autre : le rideau bleu posé sur la table de nuit ouverte, à coté de la bouteille de vin et de la miche.


  • La table de nuit ouverte, la bouteille et la miche résument  les plaisirs sensuels que le jeune homme pouvait   trouver ici, mais qui restent  hors de portée de sa patte.
  • La caissette close et la carafe disent probablement ce qu’il aura : porte close et eau plate.

Le melon

« La laitue, la scariole, le melon, sont des substances très rafraichissantes, et dont l’usage continu éteint à coup sûr le flambeau de l’Amour. Aussi remarque-ton que les femmes voluptueuses préparent rarement les aliments de cette espèce, et ne les servent presque jamais à la table de leur époux. » Aphrodisiaque externe, ou traité du fouet  et de ses effets sur le physique de l’Amour, Amédée Doppet, 1788

Servir du melon à un client n’est donc pas la meilleure manière d’exalter sa virilité.



Mais il y a plus : le chapeau est celui du jeune homme, posé là par la courtisane : ce pourquoi elle nous montre si ostensiblement sa tête nue.

Que veut-elle nous faire comprendre  par là ?

Sans doute, que cet homme déchapeauté est comme le melon décapité : un légume, que fuit toute vigueur  animale.


Boilly Le melon mains homme
Nous voyons alors que la main qui retient le chien est tout près de son entrecuisse ; tandis que l’autre  manie le canif dans cet alter-ego potager :

ce jeune homme est un melon qui, à force de se décalotter lui-même, 

n’est plus digne de passer au lit.


Boilly 1785 lady-in-a-white-dress-seated-at-her-desk 46x 39 cm coll priv

Jeune femme en robe blanche à son bureau
Boilly, vers 1785, collection privée.

En toute bienséance, l’index a ici quatre significations,  de plus en plus crapuleuses :

  • il est comme d’habitude le signe de la moqueuse ;
  • il intime au bichon l’ordre de dresser son bâton ;
  • il suggère ce qui manque à Cupidon pour faire de même ;
  • il montre la fente (du tiroir)


Boilly 1785 lady-in-a-white-dress-seated-at-her-desk 46x 39 cm coll priv detail

Un examen plus précis montre que le bichon, tout en approchant son bâton (une flûte ?) des lèvres de la jeune fille,  ne manque pas d’exhiber l’intérêt qu’il porteà cette situation.


L’Artiste

Boilly, vers 1785, Musée de l’Ermitage, St. Petersbourg

boilly La Moquerie_la peintre
Un des charmes de Boilly est que, d’un tableau à l’autre, il réutilise les mêmes ingrédients. De sorte que notre regard, formé ou déformé, en vient à suspecter le pire dans la plus innocente des scènes.


Ce gracieux  portrait reprend, en féminin, la pose du jeune dessinateur de Chardin.
Chardin Jeune dessinateur

Jeune dessinateur taillant son crayon
Chardin, 1737, Louvre, Paris


boilly La Moquerie_saucisse
Mais comme nous reconnaissons ici  la même femme que dans Moquerie, nous en venons  à suspecter que tailler la pointe d’un porte-mine n’est pas, pour cette  dessinatrice, une geste sans sous-entendu. Surtout lorsque la partie « fusain » pointe vers l’entrecuisse d’une statue, tandis que la partie « craie » désigne sa propre opulente poitrine.


boilly La Moquerie_la peintre_detail
Et comme un très beau  et très jeune homme aux longs cheveux, coincé  derrière cette extraordinaire cambrure, lorgne un bas-relief érotique, nous en venons à interpréter la main qui agace le bout de l’instrument,  et  le sourire entendu de la donzelle, comme une sorte de regret amusé : « Dommage !  Si petit encore…! »


victorian-burlesque-dancers-and-costumes-of-1890s-in-photos-and-postcards-vernona-jabeau

Pour ceux qui douteraient encore de la dimension symbolique du porte-mine hypertrophié….


Et voici, pour terminer, un sommet d’hypocrisie visuelle !


A l’entrée (At the Entrance)

Boilly, 1796-98, Musée de l’Ermitage, St. Petersbourg

boilly A l'entree

Première lecture

boilly A l'entree petite
Devant une porte fermée, une grande fille en robe de satin blanc, un ruban dans ses cheveux frisés, tire le cordon d’une sonnette. Sa compagne est plus petite et plus jeune, comme le montrent ses longs cheveux sans apprêt. De la main droite, elle retient le long manchon de fourrure que la grande a lâché pour sonner.


Son caractère encore enfantin se voit à son intérêt pour le chien minuscule qui vient d’accourir, alerté par le tintement.

boilly A l'entree chien

 


Deuxième lecture

La scène de genre charmante se révèle surtout l’occasion de faire chatoyer les satins, bomber les croupes et gonfler les corsages. Selon tous les critères de l’époque, ces deux filles sont des pin-ups, avec leur longues robes cachant tout, sauf le bout pointu du soulier.
boilly A l'entree souliers



La grande jouit des charmes élaborés de la coiffure et de la fourrure ; mais la petite n’est pas en reste avec son long gant de daim qui moule sa main menue et dénude son coude – équivalent technique du  bas-nylon.
boilly A l'entree peau poil


A l’une les prestiges du poil, à l’autre ceux de la peau.


Troisième lecture

Cette image d’une grande et d’une petite fille, toutes deux tellement bien roulées, finit par en rappeler d’autres, où il s’agit d’initiation.

  • Que la main de la jeune caresse distraitement le manchon long comme une cuisse, passe.
  • Que juste au dessus le poignet droit de la grande s’engouffre dans une fente à valeur possiblement didactique, passe encore.
  • Que sa main gauche empoigne avec vigueur le gland de la sonnette, passe toujours.
  • Mais que cette sollicitation fasse accourir le petit chien, symbole XVIIIème du côté animal de l’amour, voici qui coupe court à tous les doutes.



boilly A l'entree manchon

Et nous comprenons que le titre A l’entrée désigne,  outre la porte, le manchon, et outre le manchon, ce nouvel état de la femme dans laquelle la petite, instruite par son aînée,  va  pénétrer incessamment.


 L’image qui va suivre a valu à Boilly d’être inquiété brièvement  pendant la Terreur, accusé par un collègue peintre de corrompre la morale publique.

Elle  joue sur le même type de quiproquo entre le titre et l’image : c’est ici l’article « La » qui va jouer le rôle du chat.


« On la tire aujourd’hui »

Boilly, 1794, gravé par Tresca

Boilly On la tire aujourd'hui



La gravure propose un enchaînement de calembours verbaux et visuels, qui piègent le spectateur dans des interprétations de plus en plus douteuses.


Premier tiroir
Boilly On la tire aujourd'hui titre

Le titre  nous  indique que les billets que le jeune homme tient en main sont ceux d’une loterie, et qu’il est sur le point de quitter le domicile pour se rendre au tirage.



Boilly On la tire aujourd'hui_braguette
Puis  l’image nous montre que la main de la jeune fille, qui semble désigner les billets de l’index, s’attaque avec délicatesse à la braguette.


Deuxième tiroir

Boilly On la tire aujourd'hui titre

Ainsi le titre pourrait  être la proposition que cette  fille très directe  fait à ce jeune homme timide, concernant la pièce principale de son anatomie.



Boilly On la tire aujourd'hui_chapeaux
Puis l’image nous montre les chapeaux, on comprend que le couple vient de rentrer.  Un téton s’échappe du corsage  avant même que le ruban soit dénoué.



Boilly On la tire aujourd'hui_carreau
A voir le carreau recollé, on se doute que le logement n’est pas de luxe, mais de luxure : un lieu  où les virginités se cassent et se réparent.


Troisième tiroir

Boilly On la tire aujourd'hui titre modifie
Alors  le titre  se comprend comme la pensée de la  prostituée.



Boilly On la tire aujourd'hui_seconde fille
Puis l’image nous montre  l‘autre fille qui se dénoue les cheveux, assise à sa table de toilette  devant le lit.


Quatrième tiroir

Boilly On la tire aujourd'hui titre

Alors le titre nous suggère une interprétation encore plus grivoise : « Je suis la proposition que fait la racoleuse au client en parlant de sa coéquipière. »

Cette gravure possède un pendant, voir Ancien Régime et Révolution.

Les clés du compartiment

27 septembre 2014

Pierre Carrier-Belleuse, fils du célèbre sculpteur, a produit des scènes parisiennes, des portraits de personnalités et de gigantesques panoramas, très célèbres à l’époque, dont il ne reste pas grand chose [0].

Pierre Carrier-Belleuse 1881 Panorama de ND de Lourdes detailPanorama de ND de Lourdes (détail)
Pierre Carrier-Belleuse 1881
Pierre Carrier-Belleuse 1918 Pantheon de la GuerrePanthéon de la Guerre, 1918
Pierre Carrier-Belleuse et A.F.Gorguet

Familier donc des grandes machines remplies de portraits, d’anecdotes, et de significations, le peintre nous a laissé quatre tableaux plus intimistes, largement inexpliqués, où il prend un espace clos comme décor de cohabitations incongrues.

L’Omnibus

Pierre Carrier-Belleuse, 1877, Collection particulière

Pierre Carrier-Belleuse 1877 L'Omnibus coll priv

Voici la première incursion de Carrier-Belleuse dans la sociologie des transports en commun. Il ne subsiste pas d’explication sur les personnages représentés, dont certains sont probablement des portraits. Il faut probablement les lire en trois couples.

  • Au centre une bretonne (coiffe et croix autour du cou) est assise près d’un breton (chapeau rond et insigne de pélerinage). Assoupi par son long voyage, il est indifférent à la Parisienne délurée (sans chapeau) assise derrière, et dont le faux-cul rose s’insinue entre lui et sa femme.
  • A gauche un couple de bourgeois entre deux âges, en habit de sortie, discute en se rendant à quelque sortie ou spectacle ; la femme tient entre ses mains le roman qu’il faut avoir lu en 1877, l’Assommoir de Zola.
  • A droite un vieux couple s’ignore : lui est plongé dans son journal, elle tient bien serrés contre elle son sac et son parapluie.

Les réclames ne semblent pas donner d’indications de lecture : au plafond, on devine « Chocolat Menier », « La France », « Rue de la Paix ». Au fond, « Eviter les contrefaçons » et « En vente ».

En l’absence de toute information sur les allusions éventuelles, le tableau reste une scène de genre intéressante, dans la lignée des Omnibus de Daumier. Le fatras des affiches confine des personnages de condition sociale différente, matérialisée par les sept couvre-chefs, dans un espace limité.

Malgré tout, la France est en Paix.


Pierre Carrier-Belleuse 1878 Les Plaisirs de Paris
Les Plaisirs de Paris, Pierre Carrier-Belleuse, 1878

L’année suivante, ce tableau met en scène astucieusement un autre genre de promiscuité, dans la loge d’un café concert.

On reconnaît à droite notre couple bourgeois en pleine discussion : l’époux pratiquement identique (haut de forme, gants, canne), l’épouse tenant un bichon plutôt qu’un livre. La pancarte « Paris en poche » souligne la cohésion de ce couple constitué.

La jeune fille, seule à côté d’une chaise vide, scrute la foule d’un air terne. Attends-elle son fiancé ? Le bouquet voyant, le châle posé en évidence sur l’angle de la baignoire, et la pancarte « Louée » suggèrent une réalité plus crue : l’homme en bas à droite, qui l’évalue du regard, est moins un admirateur qu’un client. Et la seconde pancarte « Plaisirs de Paris », désigne ce couple de fortune.


Dans la même idée de cohabitation forcée, le premier tableau ferroviaire de Pierre Carrier-Belleuse vaut moins par ses qualités picturales que par la petite devinette historique qu’il propose.

Dans le Wagon

Pierre Carrier-Belleuse, 1879, Collection particulière

Dans le wagon  Pierre Carrier-Belleuse


Quatre lecteurs

Quatre hommes en noir sont répartis sur les deux banquettes : celui de gauche lorgne sur le journal de son voisin endormi ; le troisième regarde fixement devant lui ; seul le curé  est plongé  dans la lecture.

Quatre journaux

De gauche à droite :

  • Le Rappel : tendance radicale républicaine
  • Le Journal des Débats : journal de référence
  • titre illisible, commençant par L
  • Le Figaro, journal conservateur


L’année 1879700px-France_Chambre_des_deputes_1877

C’est celle du triomphe des partis républicains, avec l’élection de Jules Grévy à la présidence de la République, suite à la démission de Mac Mahon. Déjà, les élections de 1877 leur avaient donné une large majorité à la Chambre des Députés.


Compartiment France  : côté gauche

Et si l’accoudoir séparait, dans ce compartiment symbolique, les deux moitiés de la politique française ?

Nous aurions à gauche les  Républicains :

  • le lecteur du Rappel, oeillet rouge à la boutonnière, représenterait la gauche radicale ;
  • le lecteur du Journal des Débats, bleuet  à la boutonnière, représenterait le centre somnolent.

En 1879, les fleurs à la boutonnière n’avaient pas encore la signification précise qu’elles acquerront par la suite :

  • oeillet rouge : signe distinctif du boulangisme, puis de la Fête du Travail
  • bleuet de France : souvenir des Anciens Combattants, après la guerre de 1914.

Mais les couleurs rouge et bleu étaient clairement des symboles républicains, comme le montre cette affiche pour les élections de 1879.

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Compartiment France  : côté droit

Le curé absorbé dans son Figaro représente la droite traditionaliste et cléricale.


Carrier-Belleuse Troisieme homme

Le dernier personnage est plus difficile à cerner : c’est le seul dont le journal est illisible, le seul qui regarde fixement devant lui, prenant appui sur sa canne, comme s’il venait d’apprendre une nouvelle perturbante.

L’homme à la Légion d’Honneur

Si le compartiment représente une allégorie de la Chambre de 1877, alors ce bourgeois portant moustache et bouc, plus une décoration impériale, doit représenter le Bonapartisme.

Reste à identifier son journal, dont la particularité est que la Une est entourée d’un liseré noir.


Le Gaulois Mort prince imperial (1)
La Gaulois, 22 juin 1879


Le 21 juin 1879, la France apprenait avec stupéfaction la mort au combat du Prince Impérial, et avec lui la fin du courant bonapartiste.

Le journal, avec un titre court commençant par L, doit être un des autres organes bonapartistes,  Le Pays (de Cassagnac) ou L’Ordre de Paris  (de Rouher).

Ainsi, dans ce tableau de circonstance, le jeune Pierre a sans doute voulu marquer la page qui se tourne entre une époque et un autre sur une voie qui continue  :

  • entre l’Empire qui avait vu consacrer la célébrité de son père
  • et la Troisième République qui la confirmerait

(Albert Carrier-Belleuse fut fait chevalier de la Légion d’Honneur en 1867 puis Officier en 1885).


Départ en voyage de noces

Pierre Carrier-Belleuse, vers 1915, Collection privéePierre Carrier Belleuse Le depart en voyage de noces 1915


Un wagon archaïque

Nous voici dans un wagon de première, capitonné, avec sa fenêtre arrondie et ses poignées en ruban : un  décor typique des années 1870  (voir Compagnes de voyage ), mais totalement archaïque sur les voies ferrées françaises de 1915.

La ligne de téléphone qu’on voit par la fenêtre prouve qu’il s’agit bien d’un wagon du passé, voyageant dans le temps présent.


Un couple séparé

Pour un départ en voyage de noces, étrange que le jeune couple ait pris place de part et d’autre de l’accoudoir capitonné.

A voir leurs regards amusés vers le  vieillard, et la femme qui commence à se déganter, on comprend vite la situation :  le jeune couple vient juste de monter dans le wagon et a  pris les dernières places libres. Le jeune homme pourra-t-il prendre celle du dormeur, pour regarder le paysage tout en enlaçant sa compagne ?


Un peintre décoré

Le dormeur, avec sa Légion d’Honneur à la boutonnière, ressemble à Pierre Carrier-Belleuse lui-même, âgé en 1915 de 64 ans (il avait été fait Chevalier en 1900, et Officier en 1913, ce qui l’autorisait à porter la Rosette).

Pierre Carrier Belleuse Le depart en voyage de noces 1915 detail Pierre Carrier-Belleuse 1907 gallicaPierre Carrier-Belleuse, 1907 (détail), Gallica

On remarque que l’homme du train porte un autre signe distinctif : une bague à à l’auriculaire gauche. Cette bague était très importante pour Pierre Carrier-Belleuse : c’était celle de son célèbre père, perdue dans les vagues et miraculeusement retrouvée quelques années plus tard [1].

Nous sommes donc bien face à une transposition humoristique du peintre en bonhomme roupillant, mais néanmoins en majesté.


Une composition nostalgique

Notons que le point de fuite se situe côté  jeune homme : le peintre se place, par construction, à distance du corps vieilli qui lui ressemble. Chapeau, cheveux noirs, ventre plat  contre crâne chauve, barbe blanche et bedaine, pardessus clair contre veste sombre, le jeune homme semble un concurrent du  vieillard : et le livre à peine entamé contraste avec le journal qu’il ne vaut plus la peine de parcourir.

Concurrent, ou alter-ego ? Au delà de la scène de genre plaisante, on sent une profondeur peut-être involontaire, une complicité nostalgique de part et d’autre de la jeune femme.

Et si le jeune couple était le rêve du dormeur, un souvenir de sa jeunesse, au temps des wagons capitonnés ?

Le  gêneur qu’il est devenu, près du terme de son voyage terrestre, encombre de sa présence assoupie  le départ de son propre voyage de noces.

Le vigile

Pierre Carrier-Belleuse, date inconnue, Collection privéePierre Carrier Belleuse Le vigile

Un jeune homme et sa femme se sont endormis, épaule contre épaule. Le chapeau-melon est posé sur la banquette de l’autre côté de la dormeuse, renforçant le geste de possession du bras. Le bibi abandonné sur les mains de la dormeuse s’oppose au parapluie austère dans les mains gantées de la vieille.


Des tableaux jumeaux

Nous ne connaissons pas la date précise de ce tableau, mais il est clair qu’il a été conçu en contrepoint du précédent.

Voici les éléments en  correspondance :

Pierre Carrier Belleuse Le départ en voyage de noces correspondances

Lecture en pendantPierre Carrier Belleuse Wagon pendants

L’accrochage horizontal rend évidentes certaines  symétries  : le jeune couple endormi fait écho au jeune couple éveillé, tandis qu’aux deux extrémités, sous la signature,  le vieux peintre assoupi forme couple avec  la vieille dame vigilante. On pourrait supposer qu’il s’agisse d’un portrait de Mme Carrier-Belleuse en chaperon, aussi ironique que celui de son époux en barbon. Mais l’hypothèse d’une caricature est fragile, car le peintre n’était pas peu fier d’avoir pris pour épouse Thérèse Duhamel-Surville, petite nièce d’Honoré de Balzac


Une autocitation

Pierre Carrier-Belleuse 1877 L'Omnibus coll priv detailOmnibus, 1877 (détail) Pierre Carrier Belleuse Le vigile detailLe vigile, vers 1915 (détail)

En fait, cette figure de vieille femme acariâtre est une autocitation : elle apparaît déjà dans le tableau Omnibus de 1877, avec la même voilette, et crispant également ses mains gantées sur son parapluie.


Pierre Carrier-Belleuse 1888 La veille d'un debut

La veille d’un début, 1888

La même figure sévère indique, à la jeune danseuse, le destin amoureux qui l’attend (l’as de coeur). Le titre suggère, entre les deux femmes, le même rapport chronologique qu’entre la « veille » et le « début ».


Lecture chronologique

Pierre Carrier Belleuse Wagon pendants

Il n’est pas évident que les deux tableaux de 1915 aient été conçus pour être accrochés en symétrie : car un certain inconfort visuel résulte de la position de la fenêtre, située côté droit dans les deux tableaux.


Un accrochage vertical favorise une lecture plus intéressante, en deux actes :

  • Premier acte : vers 1877, un jeune homme et son épouse sont épiés (et jalousés) par la Vieille de l’Omnibus, pincée comme son parapluie fermé, heureusement séparée du couple par l’accoudoir en forme de serpent.

Carrier-Belleuse Serpent

  • Second acte : en 1915, un vieil homme s’endort, en rêvant au jeune couple qu’il formait au temps jadis. Le journal et le livre font le lien entre ses deux avatars. Et l’absence d’accoudoir crée cette fois un côtoiement intemporel  avec celle qu’il a aimée jadis.

Carrier-Belleuse Pas d'accoudoir


On peut lire les mains tripliquées comme un raccourci mélancolique de l’existence féminine :

Pierre Carrier Belleuse Le depart en voyage de noces mains

  • à demi dégantées au départ du voyage de noces,
  • elles se trouvent nues, dans l’intimité du chapeau, pendant ce long sommeil à deux  que constitue le mariage ;
  • puis elles terminent regantées, à l’abri de tout contact charnel, tripotant un manche de bois.

Article suivant : 1 Femme de plume en tutu

Références :

Voyages de classe

27 septembre 2014

 

Dans cette série de tableaux, Shakespeare et la morale victorienne sont convoqués dans deux  wagons pour une constatation édifiante :

en  Première Classe, on est plus heureux qu’en Seconde.

Première classe : La rencontre

(First Class : The Meeting)

Abraham Solomon, 1854, National Gallery of Canada, Ottawa

A_Solomon First_Class-_The_Meeting,_and_at_First_Meeting_Loved._Abraham_Solomon


Le sous-titre

Inscrit dans la modernité ferroviaire, le tableau porte un sous-titre propre à rassurer les plus classiques :

« Et à notre première entrevue nous nous sommes aimés »

« And at First Meeting Loved » Shakespeare, Cymbeline, Acte V Scene 5

Sauf que cette réplique concerne, dans la pièce, l’instinct fraternel qui fait aimer à la belle Imogène ses deux frères encore inconnus. Citation détournée donc, comme alibi littéraire à une scène de flirt peu conventionnelle pour l’époque.

 

Un thème d’époque

Le thème de l« Amour au premier regard » fut très à la mode de 1840 à 1880 en Grande Bretagne et aux Etats-Unis, dans de petites histoires, de poèmes ou des tableaux comme celui-ci.

« …au milieu du siècle, les représentations du  « love at first sight  » explorent et célèbrent de manière directe  le spectacle du  désir hétérosexuel masculin, de ses origines et de ses mécanismes » [1]


Le père

Dans la rougeur du crépuscule, le père s’est endormi sur son journal. Par crainte du courant d’air qui passe par la fenêtre ouverte, il a posé un foulard, un peu ridiculement, sur son crâne chauve et ses favoris blanc. Le lorgnon qui pend sur son gilet dit bien qu’il ne voit rien. Sur le siège en face de lui, ses gants, un châle, une gabardine, un livre, une canne et un parapluie : tout un fatras de voyage posé en tas inoffensif. Au dessus de lui, son haut de forme est retourné dans le porte bagage :   l’autorité du chef de famille est en suspens.


Le galant

Au coin opposé du compartiment, un jeune homme contemple la jeune fille. Son haut de forme, dans lequel il a jeté une élégante faveur rose, a déjà pris position sur la banquette adverse. Et sa canne à pêche souligne qu’il s’agit d’un sportsman, paré pour tout type de proie.


La jeune fille

Elle a posé sur la banquette d’en face ses deux attributs féminins – un panier de fleurs et un livre – à portée de la main gantée de son entreprenant compagnon de voyage. Entre ses mains gantées, elle tient un pendentif en forme de coeur qu’elle regarde fixement, pensive et rosissante. S’agit-il de son propre collier ?  Peu vraisemblable, vu son chapeau étroitement serré. Placé juste à côté de la main nue du jeune homme, le « coeur qui balance » est  l’appât que le séducteur confirmé vient de lui tendre.


Compartiment flirt

Même dans le confort capitonné des premières classes, la morale victorienne pouvait donc se trouver mise en danger : et le wagon, espace de proximité forcée entre les sexes, est ici  mis en scène  comme un lieu libidinal, sorte de lit à grande vitesse d’une effrayante et captivante modernité.

Le compte-rendu de l’exposition exprime un accueil mitigé : « en tant que tableau, il revèle une exécution savante et puissante. Mais il y a lieu de regretter, pensons-nous, qu’une telle facilité soit prodiguée à un sujet aussi plat, voire vulgaire . The Art Journal, 1854

Suite à ce succès de scandale, Solomon se sentit obligé de produire, l’année suivante, une seconde version,  plus conforme aux convenances.

Première classe : La rencontre

(seconde version)

Abraham Solomon, 1855, Art Gallery, Southampton

A_Solomon FirstClass-TheMeeting-Revised Version


Exit le crépuscule suspect et le personnage féminin pris  en tenaille entre  deux autorités masculines  : maintenant, la lumière entre à flot et la fille est assise bien sagement derrière le rempart de son père, auquel s’adresse, comme il convient, le prétendant.

A_Solomon FirstClass-Comparaison

Père et fille ont échangé leur rôle de tiers exclu. Le triangle mixte qui rapprochait les jeunes gens à l’insu du vieil homme s’est transformé en un triangle strictement masculin, qui rapproche les âges et laisse à l’écart le sexe faible.

 

La jeune fille

Solomon a féminisé les accessoires posés en face d’elle : le parapluie s’est transformé en ombrelle, la gabardine est devenu un plaid sur lequel elle a posé ses gants blancs.

De ses mains nues, elle est occupée non plus à soupeser la sincérité du pendentif, mais à broder, occupation plus recommandable, tout en suivant avec émotion le récit du jeune militaire.


Le père

Intéressé et quelque peu goguenard, il se penche vers le jeune homme pour écouter ses aventures. Sa main dégantée tient un journal, sa main gantée est posée sur sa cuisse, tenant l’autre gant. Le fait d’être à la fois ganté et déganté semble désigner, dans la symbolique de cette série, le manipulateur, celui qui mène le jeu : l’amoureux dans la première version, le père dans la seconde.

Comme le confirme son haut de forme, accroché cette fois au centre et en haut du tableau, soumettant l’ensemble du compartiment à son autorité.


Le jeune militaire

Le prétendant a cette fois un statut social rassurant : son uniforme est celui d’un lieutenant de marine.

Leutnant

Il est sans doute chargé d’une mission de confiance : transporter le coffre métallique qu’il a déposé sur la banquette en face de lui. Il a dégrafé son sabre, qui remplace la canne à pêche en tant que symbole viril. De même que, dans la première version, la canne s’associait au pendentif pour suggérer la Tentation, l’objet déposé par le jeune homme complète celui tenu par la jeune fille :

la lame répond à l’aiguille pour célébrer cette fois le Travail : papa taille et maman coud.

 

Un critique récalcitrant

Malgré cette révision précautionneuse , on trouve encore sept ans plus tard un critique peu convaincu que le réveil et l’intercession du père de famille change  quoi que ce soit à l’immoralité de la scène  : « tellement épris l’un de l’autre et chacun ne s’intéressant qu’à l’autre… ils sont juste un groupe de voyageurs bien habillés, sans objectif défini ni intention, sinon un flirt qui passe ». Dafforne, The Art Journal, 1862

Comme si la rapidité  du train impliquait la fugacité de l’amour…

 

A_Solomon FirstClass-TheMeeting-Revised Version study

Yale Center for British Art

Une petite étude à l’huile pour la seconde version montre tous les objets déjà en place : Solomon avait donc mûrement réfléchi à la signification de chaque détail. Les seules évolutions entre l’étude et l’état final sont la préférence pour les couleurs froides (bleu du ciel, gris du rideau, marron du châle, bleu de la robe, noir de la redingote) et l‘affadissement de l’expression de la jeune fille : un sourire complice remplace l’effroi, à l’écoute des dangers subis.

Au final, comme on pouvait s’y attendre, la version moralisée s’avère moins sensible que l’étude, et bien plus faible picturalement que la version scandaleuse.

En même temps que cette première version, Solomon exposait à la Royal Academy son pendant. Le contraire de la rencontre amoureuse chez les riches, c’est la séparation douloureuse chez les pauvres, comme l’explique le sous-titre du tableau :

« c’est ainsi que nous nous séparons, pauvres d’argent, mais riches en douleur »

« Thus part we rich in sorrow parting poor »

Shakespeare, Timon d’Athenes, Acte 4, Scene 2

Seconde classe : le Départ

(Second Class -the parting)

Abraham Solomon, 1854, National Gallery of Australia, Canberra

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La composition

Après l’intimité des banquettes rembourrées, la promiscuité des bancs de bois.

Le wagon est montré de manière symétrique, avec à gauche une fenêtre vide – le pays natal qu’on ne distingue déjà plus – et à droite une échappée  sur un port : le but de ce voyage en train. La mère et la soeur, malgré leur gêne, ont accompagné le garçon aussi loin qu’il est possible.

A droite, juste sous les bateaux en partance, les bagages qu’il va emporter : un sac avec une étiquette à sa poignée, un foulard noué, une paillasse.

Seaman

Son pantalon blanc et sa chemise bleue suggèrent qu’il s’est engagé comme matelot pour payer son voyage.

A_Solomon Second_Class_composition

La médiane du tableau tombe exactement sur les deux mains jointes, dernier point de contact entre la mère et le jeune émigrant qui va tenter sa chance en Australie.

Le point de fuite est au niveau des yeux de la jeune veuve : comme si le peintre, assis sur la banquette d’en face, se substituait au père disparu.

 

La logique de la séparation

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Première classe : la rencontre nous montrait comment un nouveau lien d’amour s’ajoutait à l’amour filial.

Seconde classe : le départ nous montre comment la Séparation attaque simultanément l’amour filial, l’amour fraternel et l’amour du couple (le marin et sa compagne, dans le compartiment du fond).

 

L’expression des sentiments

A_Solomon Second_Class_-_the_parting-regards

Le jeune homme regarde sa soeur fixement. Il se retient de pleurer pour ne pas ajouter au chagrin de celle-ci, la larme à l’oeil et le mouchoir à la main. Derrière, le rude marin regarde le garçon d’un oeil ému, en songeant aux épreuves qui l’attendent.

 

Les réclames

La cloison du fond est couvert d‘affichettes qui accompagnent et explicitent la scène.

En haut, Goulding and Comp. fournit des outils aux émigrants qui partent chercher de l’or en Australie, tandis que The Monarch leur propose des vêtements bon marché.

Juste en dessous, on peut lire, de gauche à droite, différentes réclames qui retournent le couteau dans la plaie :

  • « Plus de cheveux blancs (No more grey Hair) » : ironie envers la douleur de le jeune veuve ;
  • le bateau CLEOPATRA part à destination de Sydney
  • « Jouets pour étrennes (New Year Gift) » : pas de cadeau pour un garçon pauvre, à l’orée de sa nouvelle vie ;
  • Cowells Manufactory propose des montres et des chronomètres, à celui qui part pour toujours ;
  • Le Corps d’Armée de l’Inde de l’Est recherche des « jeunes gens convenables (few fine young men) » juste au dessus de la tête encore enfantine du garçon : recrutement de classe, sans doute impossible pour lui.
  • le bateau MEDIANA est direct pour Port Phillip

 

L’étude

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Yale Center for British Art

L’étude à l’huile propose exactement les mêmes réclames sur la cloison. Mais les expressions des visages semblent inversées : ici, c’est le jeune homme qui pleure, sa soeur le regarde fixement pour lui imprimer son courage tandis que, derrière, le marin lui sourit pour le réconforter.

A_Solomon Second_Class_-_the_parting-regards_etude

De l’étude à la version finale, l’enfant terrorisé devient un pauvre méritant,

et l’arrachement un départ socialement acceptable, validé par l’autorité de Shakespeare :

« c’est ainsi que nous nous séparons, pauvres d’argent, mais riches en douleur »

 

Retournement de situation

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Et si le jeune matelot effrayé et le fringuant officier naval n’étaient qu’une seule et même personne ?

C’est en tout cas l’idée qu’exploitèrent les gravures qui furent tirées des tableaux,  renommées en Le départ (Seconde Classe)  et Le retour (Première classe), et présentées dans l’autre sens.

Solomon engraving second classLe départ (Seconde classe)

Gravure de 1857

Solomon engraving first classLe retour (Première classe)

Gravure de 1857

 

Sous nos yeux,  la soeur éplorée revient sous la forme d’une souriante épouse, la veuve pauvre qui posait sa main sur l’épaule du petit émigrant devient un père noble, tout prêt à adouber de la senestre ce beau parti.

« Ainsi, la notion réconfortante de la vertu récompensée par l’ascension sociale s’ajouta au pathos de Seconde classe, mitigeant du même coup les aspects frivoles et superficiels de Première Classe [2] ».

Dans cette lecture diachronique, la confrontation dangereuse des deux classes  se transforme en la narration édifiante d’une double réussite, maritime et ferroviaire : de matelot à lieutenant, des bancs de bois aux banquettes de velours.

Bateaux et trains se posent en symboles de  la mobilité sociale par le mérite, mythe  fondateur du XIXème siècle

 

Références :
|1] Love at First Sight: The Velocity of Victorian Heterosexualite, Christopher Matthews, Victorian Studies, Vol. 46, No. 3 (Spring, 2004), pp. 425-454, Published by: Indiana University Press https://www.academia.edu/969999/Love_at_First_Sight_The_Velocity_of_Victorian_Heterosexuality?email_work_card=title
|2] Jeffrey Daniels , « Abraham Solomon », London : Inner London Education Authority, 1985, p 53