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1.1 Diptyques épistolaires : les précurseurs

27 avril 2016

Le thème de la lettre, écrite ou reçue, a été très à la mode entre les années 1630 à 1670 : la Hollande était alors le pays le plus éduqué d’Europe, une nation aux colonies lointaines qui avait su mettre en place un système postal particulièrement efficace.

Les tableaux épistolaires ne sont donc pas un hymne à la banalité du quotidien, mais au contraire un hommage au progrès des temps et la puissance nationale. Svetlana  Alpers, dans son livre « L’art de dépeindre« , a très justement baptisé cette tendance de l’art hollandais : « Regarder les mots ».



 

Anne-de-Bretagne-écrit-à-Louis-XII-Épitres-de-poètes-royaux-folio-1v-Fr-Fv-XIV-8-BNR-St-Petersburgfol 1v Louis-XII-ecrivant-a-Anne-de-Bretagne-Épitres-de-poètes-royaux-folio-51v-Fr-Fv-XIV-8-BNR-St-Petersburgfol 53v
 Épîtres de poètes royaux dédiés à Louis XII et Anne de Bretagne,
Jean Bourdichon, 1508,Fr-Fv-XIV-8, BNR Saint Petersbourg

Nulle part ailleurs que dans ce manuscrit on n’a approché de l’idée de traduire par l’image l’émission et la réception d’un courrier. Mais la mise en parallèle de ces deux miniatures est trompeuse : elles ne fonctionnent pas en diptyque, mais illustrent le début de deux épîtres sur les onze du recueil, et ne sont pas consécutives : dans l’épître 1 (fol 1v), Anne en pleurs exhorte Louis au retour après sa victoire sur les Vénitiens.


Anne-de-Bretagne-écrit-à-Louis-XII-Épitres-de-poètes-royaux-folio-40v-Fr-Fv-XIV-8-BNR-St-Petersburgfol 40v Louis-XII-ecrivant-a-Anne-de-Bretagne-Épitres-de-poètes-royaux-folio-51v-Fr-Fv-XIV-8-BNR-St-Petersburgfol 53v

Les deux miniatures consécutives qui illustrent un échange réel sont celles-ci :

  • dans l’épître 5 (fol 40v), Anne exprime son courroux contre la déloyauté des Vénitiens ;
  • dans l’épître 6 (fol 53v), Louis exhorte Anne a la patience.

De plus d’autres épistoliers interviennent dans les illustrations : les trois Etats de France, le preux Hector de Troie, Mars et l’église militante écrivent à Louis, Louis écrit à Boréas.

Il est remarquable que, dans cet ouvrage entièrement composé de lettres, Bourdichon ait conçu chaque image comme indépendante : à la Renaissance, l’heure du diptyque épistolaire n’a pas encore sonné.



 

Femme dechirant une lettre, Dirck Hals, 1631, Mittelrheinisches Landesmuseum, Mainz

Femme déchirant une lettre
Dirck Hals, 1631, Mittelrheinisches Landesmuseum, Mainz

Dirck Hals Seated Woman with a Letter 1633 Philadelpha Museum of ArtFemme assise avec une lettre
Dirck Hals, 1633, Philadelpha Museum of Art

 

Ces toutes premières représentations du thème exposent déjà les éléments que nous retrouverons par la suite :

  • le tableau de marine évoque l’éloignement physique de l’envoyeur ;
  • la chaise vide souligne son absence ;
  •  le coffre ou la chaufferette (avec la signature du peintre) opposent le confort de la maison avec les dangers courus au loin.



Le diptyque de Ter Borch



Ter Borch Diptyque_Officier ecrivant une lettreOfficier écrivant une lettre, avec un trompette
Philadelphia Museum of Art
Ter Borch Diptyque_Femme scellant une lettreFemme scellant une lettre
Collection privée, New York

 

L’idée de traiter en diptyque le thème du courrier semble revenir à Ter Borch  qui nous montre, en 1658-1659, d’un côté l’envoi d’une lettre, de l’autre l’envoi de la réponse.


Le pendant de gauche

Uniquement masculin, il montre un officier assis à une table, tandis qu’un trompette [1] attend, debout à côté, la lettre qu’il est en train d’écrire. Un bâton de cire à cacheter est posé sur la table.


Le pendant de droite

Uniquement féminin, il montre une dame assise à une table, tandis qu’une servante attend, debout à côté, la lettre qu’elle est en train de cacheter à la bougie. La  lettre qu’elle a reçue est posée, ouverte, sur la table. Le petit carnet rouge pourrait être un manuel pour écrire des lettres d’amour (peut être « Le secrétaire à la mode » de Jean Puget de la Serre , édité en 1645 [2].


Les cheminées similaires

Bizarrement, bien que les deux pièces soient sensées se situer dans des lieux éloignés, leurs cheminées sont similaires : même manteau en bois mouluré, même rideau vert à franges dorées. Plus encore : un des objets posé sur l’étagère,  le flacon avec un liquide brun, est le même dans les deux tableaux.

Pour cette première apparition en peinture d’un diptyque épistolaire, Ter Borch semble avoir voulu « assurer », en sacrifiant la vraisemblance à la lisibilité : les cheminées sont un marqueur permettant d’apparier visuellement les deux tableaux, même pour le spectateur distrait.

Les points de fuite

Ter Borch_Diptyque_Perpective
Le fait que les cheminées soient identiques attire l’oeil sur une subtilité probablement voulue : les fuyantes du manteau désignent, à gauche, un point de fuite situé à hauteur des yeux du militaire ; à droite, à hauteur de ceux de le servante.

Ainsi le spectateur se trouve impliqué de manière cohérente à l’action : à gauche il est encore assis, à droite il est déjà debout et prêt à sortir du tableau, comme la lettre dès qu’elle sera cachetée.


Les meubles « différents »

Les autres éléments du mobilier diffèrent, tout en restant étrangement similaires : le lit-tente contraste avec le lit-clos, mais tous deux ont exactement le même tissu vert et le même galon losangé.  (Le lit-tente n’est pas spécialement masculin ni militaire: dans d’autres tableaux de Ter Borch on peut le voir dans une chambre de dame).

De même, les nappes diffèrent par la couleur, mais les pieds des tables sont les mêmes.

Symétries voulues

D’autres symétries se justifient par la différence des sexes :

  • sur le rebord de la cheminée, poire à poudre contre livre ;
  • sur le plancher, désordre masculin (un fétu de paille, un as de coeur, une pipe cassé, une tâche de terre) contre propreté féminine.

La symétrie entre le lévrier, chien de course campé sur ses quatre pattes, et le petit chien de compagnie qui dort, roulé en boule au  pieds de la maîtresse, renforce le contraste entre l’environnement compétitif du militaire et l’univers tranquille, voire sensuel de la dame.

On peut également mettre en pendant le chapeau que le trompette tient en main, et le seau de la servante : tous deux confirment que le personnage est sur le point de sortir.

Les deux couples

Les postures des personnages sont également symétriques. Mais tandis que le maître et la maîtresse, assis, se tournent le dos, les deux serviteurs, debout, se font face : composition qui induit l’idée d’une affinité entre le trompette et la servante.

De plus le rouge et le bleu des nappes, qui signale les personnages principaux, se retrouve sur la jaquette et la jupe des personnages secondaires : en marge de l’idylle des maîtres se noue, entre les serviteurs,  la possibilité d’une idylle ancillaire.

Trompette d’amour

L’air entendu du trompette, qui  prend le spectateur à témoin, sous-entend peut être une certaine moquerie envers ces personnes de la haute, qui  se compliquent la vie par des approches épistolaires.

Le lévrier lui aussi semble partisan des approches directe :  avec son instinct animal, il va droit à l’entrejambe du trompette, comme s’il avait décelé  avant tout le monde, l’instrument le plus intéressant du musicien.

Métaphores amoureuses

Ter Borch Diptyque_Officier ecrivant une lettre detail epee
Dans une lecture grivoise, d’autres correspondances apparaissent : le pendant du seau à provision, que la servante porte à hauteur de son entrejambe, n’est peut-être pas le chapeau : mais plutôt ces autres objets métalliques et phalliques que sont les éperons, la trompette, l’épée qui la prolonge et l’ombre de l’épée sur le sol..

Et qui sait si le bâton de cire fondant dans la flamme n’avait pas, au XVIIème siècle, la même connotation érotique que – disons – un bâton de rouge happé par des lèvres de vamp dans un film des années cinquante ?

Enfin, l’as de coeur, avec son point rouge, évoque la lettre que la dame tient en main, bientôt marquée d’un cachet rouge :

l’homme propose, la femme dispose.


Une scène de genre

Nous avons complètement compris la scène de genre que le diptyque représente : un militaire déclare sa flamme à une dame, laquelle lui retourne une réponse que nous ne connaîtrons pas [3]. Ce qui donne le schéma suivant :

Ter Borch Diptyque_Schema

Le diptyque logique

Dans ce schéma, il y a quelque chose qui cloche : si Ter Borch voulait vraiment représenter cette scène, alors la composition semble particulièrement maladroite : les personnages principaux se tournent le dos, les lettres s’éloignent l’une de l’autre, l’une sortant par la gauche et l’autre sortant par la droite.  La composition la plus logique aurait été, non pas d’inverser le pendant, mais d’inverser chaque tableau dans un miroir…

Le diptyque « corrigé »

Ter Borch_Diptyque_Logique
Du point de vue de la lisibilité de la scène, les avantages de cette composition sautent aux yeux : les deux épistoliers se font face, les deux messagers sont voisins, permettant au courrier de passer naturellement d’un pendant à l’autre, dans le sens de la lecture et par le trajet le plus court.

De plus, les deux points de fuite, au lieu de diverger, se rapprochent de la position centrale, accentuant la cohérence spatiale des deux scènes.

Si Ter Borch n’a pas opté pour cette composition si logique, c’est soit parce qu’il n’y a pas pensé – chose excusable pour cette toute première apparition du diptyque épistolaire – soit parce qu’il avait une raison supérieure de préférer l’autre composition.


Un scoop !

Revenons aux autres choses qui clochent dans le tableau : les cheminées identiques, les lits et les tables similaires, comme si un même décorateur s’était chargé des deux lieux.

Nous n’avions pas remarqué que la colonne cannelée, bien visible dans la cheminée de gauche, se retrouve aussi dans l’ombre de la cheminée de droite. Et que les deux rideaux latéraux pendouillent exactement de la même manière (on voit les clous qui ont lâché).
Les deux cheminées sont donc exactement les mêmes, mais comme retournées dans un miroir (pour l’une le lit est à gauche et la table à droite, pour l’autre c’est l’inverse).

Quant aux deux tables, il suffit de regarder attentivement pour constater  qu’une des traverses de chêne a été réparée par une  traverse en bois blanc.



Ter Borch Diptyque_Officier ecrivant une lettre_detail
Tout en faisant tourner la table d’un quart de tour pour rendre cette évidence moins visible, il est clair que Ter Borch a délibérément représenté, dans deux lieux censés être éloignées,  la même  table très particulière.


Une astuce pour connaisseur

Pourquoi se comporter ainsi, en brocanteur refourguant d’un tableau à l’autre les mêmes meubles usagés, en accessoiriste négligent, peu soucieux de la cohérence d’ensemble ?

Une réponse est que dans le goût des acheteurs de l’époque, la vérité de la scène comptait moins que le réalisme des objets : en inspectant chaque détail, le spectateur devait fatalement reconnaître la même table réparée. Et une astuce aussi évidente, toute en étant dissimulée, permettait de mettre en valeur le regard aiguisé du connaisseur.



En première lecture, le diptyque de Ter Borch se laisse lire comme une scène de genre : le couple des chiens et le couple des serviteurs, en suggérant des formes d’amour plus directes, sert de faire-valoir  au raffinement ultramoderne des amours épistolaires.

Les « anomalies » de la composition poussent à une seconde lecture, selon laquelle, sous le prétexte d’une scène de genre, le diptyque aurait un sujet plus ambitieux, l’Apologie du Courrier :

  • si les deux pièces éloignées sont si semblables, c’est parce que le Courrier rapproche les lieux avec la fidélité d’un miroir ;
  • si le scripteur et la lectrice se tournent le dos, c’est parce que le Courrier rapproche les êtres comme s’ils se trouvaient de part et d’autre de la même cloison.



Juste après Ter Borch, Gabriel Metsu va reprendre l’idée du diptyque épistolaire.



 

Metsu-Diptyque_1658_Homme ecrivantJeune Homme écrivant une lettre, 1658-1660, Musée Fabre, Montpellier, Metsu-Diptyque_1658_Femme lisantUne Fille recevant une lettre, Timken Museum of Art de San Diego

Il est possible que l’homme soit Gabriel lui-même, la femme sa future épouse Isabelle, et que l’oeuvre ait été conçue à l’occasion  de leur mariage, en avril 1658.


 Le pendant « Ecriture »

Dans le pendant de gauche – aujourd’hui conservé à Montpellier – un homme écrit une lettre dans une chambre, à la lumière d’une bougie tenue par sa servante.


 Le pendant « Lecture »

Metsu-Diptyque_1658_Femme lisant detail

Dans le pendant de droite –  aujourd’hui conservé à l’autre bout du monde, en Californie – une servante tend la lettre à sa maîtresse, qui lisait dans le jardin. On peut déchiffrer le début de l’adresse, Juffr[ouw], qui confirme qu’il s’agit d’une demoiselle :  l’échange épistolaire est donc parfaitement licite.


 

Des symétries simples

Ici pas de complication : le diptyque repose sur des symétries appuyées.

Metsu_Dublin_Prototype

La scène d’écriture a lieu en intérieur nuit, la scène de lecture en extérieur jour : la balustrade du jardin se trouve dans le prolongement exact de la table à écrire, au point qu’en rapprochant les deux tableaux bord à bord, on obtiendrait un objet-chimère, moitié pierre et moitié bois.

L’homme est un prétendant sérieux : un négociant, un homme de loi ou un riche propriétaire, à en juger par les registres qui remplissent l’armoire derrière lui. Lorsqu’il trouve un moment, il s’autorise de saines lectures : voir le petit livre posé sur le tapis, avec son marque-page. La demoiselle lit quant à elle un plus gros livre, qui ne peut être que la Bible.

Ces deux-là sont bien assortis : situation de fortune enviable, âge en rapport, Monsieur dans son étude et Madame dans son jardin.


Metsu-Diptyque_1658_Homme ecrivant_Acte Metsu-Diptyque_1658_Femme lisant fleur

 

La seule originalité de cette composition sage est peut-être la correspondance entre les deux tâches rouges : celle du sceau de l’acte notarié posé sur l’armoire, et celle du pivoine planté dans l’urne. Monsieur collectionne les vieux papiers, Madame cultive ses fleurs.


Une hypothèse qui prend corps

Le « diptyque logique » dont nous avions postulé la possibilité existe bien, et c’est Metsu qui l’a peint !


Metsu-Diptyque_1658_Schema

Le scripteur est orienté vers la droite, la lectrice vers la gauche : la marge entre les deux tableaux fait intégralement partie de la composition, puisqu’elle matérialise le « saut » du courrier d’un lieu à l’autre.

Cette proximité s’exprime dans le regard de la lectrice qui remonte, de droite à gauche, le courant de la communication : par-delà la lettre reçue, on dirait bien que c’est directement son amoureux qu’elle contemple.



Le diptyque de Ter Borch s’intéressait au côté magique et contre-nature du Courrier, qui fusionne des lieux éloignés. Celui de Metsu démontre rationnellement comment ce nouveau media se joue des frontières techniques : celle de l’espace, celle du jour et de la nuit, celle de l’extérieur et de l’intérieur.

Mais aussi, de manière plus excitante, il illustre comment il permet, sans enfreindre la morale,   d’enjamber la barrière entre les sexes, fournissant un accès direct de la chambre du célibataire au jardin de la bien-aimée.  A une époque où les dames ne sortent que chaperonnées, la lettre offre aux gens de qualité un moyen de rencontre révolutionnaire, tout en restant respectueux des convenances.

C’est ce qu’exprime la présence, dans chaque camp, sous les espèces du serviteur, d’un émissaire de l’autre sexe : la proximité physique entre homme et femme n’est admise que si leur position sociale les éloigne.

Article suivant :  1.2 Le Diptyque de Dublin : la Lecture



Références :
[1] C’est probablement Caspar Netscher, l’élève de Ter Borch, qui a posé pour le personnage du trompette.
[2] Love Letters: Dutch Genre Paintings in the Age of Vermeer Peter C. Sutton – October 1, 2003
[3] Cependant, un repentir révèle qu’il y avait aussi côté Dame une carte avec un coeur, par terre à côté du chien : manière de signifier un amour partagé. Voir [2]

 

1.2 Le Diptyque de Dublin : la Lecture

27 avril 2016

Quelques années après la mise au point de ce prototype, Metsu va réaliser le plus parfait et le plus complexe des diptyques épistolaires.

Les deux tableaux, jamais séparés au cours des siècles, se trouvent aujourd’hui  à Dublin.

Article précédent : 1.1 Diptyques épistolaires : les précurseurs



Femme lisant une lettre

Gabriel Metsu, 1662-65, National Gallery of Ireland, Dublin

Woman Reading a Letter METSU

L’estrade

Une jeune femme est installée  confortablement sur une estrade de bois (la soldertje) qui,  tout en l’isolant du sol, lui permet de bénéficier de la lumière du jour et de regarder dans la rue.

La pantoufleMetsu_Dublin_femme_lisant_Chaufferette

Elle a déchaussé son pied gauche pour le poser sur une chaufferette, entièrement prise sous la robe afin de ne pas perdre de chaleur (on distingue à peine son bord rectiligne sous le galon, à côté du chien).


molenaer-young-man-woman-making-music-

Ce tableau de Molenaer montre l’objet plus distinctement.

Le paillasson

Metsu_Dublin_femme_lisant_Pantoufle
La pantoufle n’est pas posée sur le paillasson, mais à côté : manière de souligner que ce n’est pas une chaussure d’extérieur, qui marche sur la terre ou dans les flaques savonneuses.

Le murMetsu_Dublin_femme_lisant_Mur

Le mur d’un blanc-bleu lumineux est un morceau de bravoure digne des murs de Vermeer. Admirons le raffinement des ombres : l’ombre double du miroir, celle des deux clous en haut, et en bas celle de la chaise, à peine esquissée par un zig-zag dans la pâte.


Le miroir

Metsu_Dublin_femme_lisant_Miroir
Sa place près de la fenêtre le désigne, après l’estrade, comme le second dispositif permettant de regarder commodément vers l’extérieur. Il reflète un coin de vitrail et la poignée centrale de la fenêtre (c’est la raison pour laquelle on n’y voit pas le rideau bleu).

Le rideau bleu

Le rideau bleu qui permet de voiler le bas du vitrail est tiré : ainsi nous est confirmé une  troisième fois, après l’estrade et le miroir, que la maîtresse est en position de guetteuse.


Le rideau vert

Voiler les tableaux était une pratique courante à l’époque : non pour les protéger de la lumière, mais pour ménager un effet de surprise et de plaisir au moment du dévoilement : un peu comme le couvre-plat des restaurants gastronomiques.

Le rideau vert introduit un parallèle entre le tableau et le vitrail : les deux offrent un aperçu sur le spectacle du monde : le vitrail, sur le voisinage ; le tableau, sur les mers lointaines.


Le tableau dans le tableau

Metsu_Dublin_femme_lisant_bateau
Il représente un bateau affrontant la tempête, suivi d’un autre plus petit. On peut imaginer qu’il fait allusion à  l’homme que la jeune femme attend, marin ou marchand parti au loin, comme de nombreux hollandais de l’époque. Mais le bateau sur la mer peut également, à l’époque, symboliser l’amour fidèle : dans le livre d’emblèmes de Jan Krul (1634), il est associé à la devise « Loin des yeux, près du coeur ».  On trouve également dans ce même ouvrage un poème qui file la métaphore :

Sur le mer indomptée aux flots toujours mouvants
Vogue entre espoir et crainte mon pauvre coeur aimant :
L’amour est comme la mer, l’amant comme un navire
Froideur est roc mortel, faveur port qu’il désire.
( Cité dans « Vermeer », G Aillaud, A.Blankert, J-M Monthias, Hazan, p 134)

Le fait que la bateau se dirige vers la gauche, droit vers la jeune femme, renforce cette valeur symbolique.


Le seau à provision

Contrairement à ce qu’on pourrait penser, le seau en métal n’exprime pas l’idée d’un lavage interrompu. Il s’agit d’un seau à provision (marktemmer) qui était couramment utilisé pour se rendre au marché, comme le montre un autre tableau de Metsu. Son anse large permettait de le porter à l’épaule.

Metsu_Marche aux herbes Amsterdam panier
 Metsu, Le  marché aux herbes d’Amsterdam (détail)


La flèche d’amour

Assez bizarrement, le seau est décoré d’un motif en forme de flèche pointant vers la maîtresse. Preuve que la lettre est bien une lettre d’amour :  la trajectoire de la flèche redonde et anticipe celle du bateau sur le retour.


La chaise vide

Metsu_Dublin_femme_lisant_boules

Juste au-dessus des épaules de la maîtresse, on voit dépasser deux boules qui montrent, discrètement, que la chaise sur laquelle elle est assise est identique à la chaise vide. La solidarité des chaises fait espérer les retrouvailles du couple : la chaise vide est une invitation à l’absent.


Le déMetsu_Dublin_femme_lisant_De

Seul élément de désordre, le dé tombé sur le sol témoigne de l’empressement et de l’émoi de la jeune femme à prendre connaissance du courrier.


Le mystère de l’ « enveloppe »

Metsu_Dublin_femme_lisant_Lettre Servante

La servante tient, bien en évidence au centre du tableau, un morceau de papier blanc plié. Notre esprit moderne pense immédiatement à une enveloppe : or celle-ci n’a été inventée qu’au XIXème siècle, auparavant la feuille était directement repliée et cachetée.


Une seconde lettre

Il s’agit donc d’une seconde lettre.  Va-t-elle être envoyée, ou vient-elle d’être reçue ?  Le seau ne permet pas de trancher : sa position inclinée semble indiquer qu’il est vide (départ pour le marché), mais le fait de l’appuyer sur la hanche peut suggérer un certain poids (retour du marché).


Une autre lettre reçue ?

Deux lettres reçues en même temps ? La jeune femme serait vraiment très courtisée. Certes, on pourrait invoquer  la  deuxième flèche qui décore le seau, à la limite de l’ombre ; et sur le coin du paysage maritime, le deuxième bateau : abondance de prétendants qui  jetterait sur le tableau une lumière plus que trouble.

Ou bien, s’agit-il d’un deuxième feuillet qui était pliée à l’intérieur du premier, et que la jeune femme, réservant pour plus tard sa lecture, a confié à la servante pour éviter qu’il ne tombe par terre ? Loin de multiplier les amoureux, la jeune femme susciterait-elle un amour trop grand pour tenir sur une seule feuille ?


Une lettre à poster ?

S’il s’agit d’une lettre à poster, est-ce la réponse à la lettre que la maîtresse a en main ? Dans ce cas, elle n’est pas en train d’en prendre connaissance  impatiemment (comme le suggère le dé), mais de la lire et relire avant de se décider à envoyer la réponse, tandis que la servante poireaute. Tout cela contredit l’impression d’impromptu que donne le tableau en première lecture.

Ou bien les deux lettres n’ont tout simplement rien à voir  : alors que la servante se préparait à partir pour le marché avec une lettre à poster, un messager a apporté l’autre lettre, qu’elle s’est empressée d’amener à sa maîtresse : curieuse, elle attend les nouvelles avant de repartir.


A l’adresse du peintre

Une bonne loupe complique passablement la situation : sur la lettre que tient la servante, on peut en effet lire une adresse : Metsu tot Amst […] port : « Metsu au port d’Amst […] ».

S’il s’agit d’une lettre reçue, il nous faut en conclure que la maison est celle du peintre, et que la jeune femme est sa propre femme, ou sa fille.

S’il s’agit d’une lettre à poster, s’agit-il d’une sorte de réclame, d’auto-promotion de la part de l’artiste ?


Metsu et les signatures de papier

 

Metsu Femme en agonie ou La mort de Sophonisbe Museum of Fine Arts, BostonFemme en agonie ou « La mort de Sophonisbe »
Metsu, Museum of Fine Arts, Boston
Metsu La partie de musique , Metropolitan Museum, New YorkLa partie de musique
Metsu, Metropolitan Museum, New York

Metsu a coutume d’apposer sa signature sur un objet bien placé à l’intérieur du tableau : sur un bout de papier ou sur un cahier de musique opportunément tombés par terre. Dans les deux cas, il ne s’agit pas de dissimuler, mais bien de mettre en valeur la griffe du peintre, sur un support blanc qui attire le regard.

Ainsi la présence de la seconde lettre pourrait être simplement une coquetterie du peintre, une astuce pour positionner sa signature en plein centre du tableau.


Le camouflage ostentatoire

Dans la lettre que tient la servante, on peut donc se contenter de voir le tic habituel de Metsu, le camouflage ostentatoire,  poussé ici à son comble : la signature s’intègre doublement au thème épistolaire du tableau en figurant sur la lettre, mais, encore mieux, en se camouflant sous forme d’une adresse postale, « Mestu au port d’Amsterdam ». Libellé grâce auquel la « lettre dans le tableau » s’accorde élégamment avec le « tableau dans le tableau » et son  thème maritime.


Une lettre à soi-même

Peut-être la seconde lettre est-elle simplement un jeu formel sans conséquences. Mais on peut supposer qu’un artiste de la qualité de Metsu, dédiant pour la seconde fois un diptyque à la communication, ait réfléchi mûrement avant de s’adresser une lettre à soi-même, qui ouvre la porte aux vertiges de l’autoréférence et de l’introspection.

Nous reviendrons plus loin sur la signification profonde de cette correspondance en double.


Au thème épistolaire s’ajoute une seconde lecture : celle des rapports entre la maîtresse et sa servante.



La couture

Metsu_Dublin_femme_lisant_Lettre_Maitresse
Un coussin de couture sur ses genoux, la dame s’est installée à la lumière pour ses travaux d’aiguille, un panier de linge derrière elle.

Dame de qualité ou femme du peuple, tout le monde coud dans la Hollande laborieuse. Il est amusant de constater que presque un siècle ans plus tard, on retrouvera, en version populaire, toujours les mêmes attributs (pantoufle, chaufferette, panier, coussin, petit chien).



Mieris,_Willem_van_-_Interior_with_a_Mother_Attending_her_Children_-_1728

Willem van Mieris, 1728, Intérieur avec une mère berçant son enfant


L’estrade

Néanmoins, chez Metsu, la maîtresse est assise sur une estrade près de laquelle la servante est debout : la surélévation marque  la différence de condition.

Dé et seau

Le et le seau, récipients métalliques situés l’un au-dessus de l’autre, illustrent par leur similitude une sorte de solidarité féminine autour des tâches domestiques.

Par leur différence de taille – l’un minuscule et agile, l’autre grand et encombrant – ils font voir toute la distance entre le passe-temps de la maîtresse et le labeur de la servante.

L’ordre troublé

L’irruption de la lettre crée une entorse à cet ordre des choses : la maîtresse a laissé rouler son dé aux pieds de la servante ; celle-ci  s’autorise à jeter un coup d’oeil sur le tableau, objet d’art dont la contemplation est l’apanage des maîtres. Quant au chien,  il a quitté le sol réservé aux bêtes et posé ses pattes sur l’estrade, dans sa tentative de participer à l’émotion humaine.

Le chien

Metsu_Dublin_femme_lisant_Chien
Le chien est le domestique par excellence. Il est situé aux pieds de la servante, mais c’est bien à la maîtresse qu’il appartient, ainsi que le confirme le ruban qu’il porte autour du cou, orange, assorti à sa robe. Petit animal de compagnie, il est là pour partager et égayer sa solitude.

Souvent, dans les tableaux, le chien parle pour son maître ou pour sa maîtresse. Ici, il fixe la seconde lettre avec espoir comme si elle lui était destinée : curiosité  animale qui introduit une note d’empathie amusante avec la jeune femme avide de nouvelles.


Déchiffrer l’image

La pose de la servante intrigue : on sent bien qu’il y a là quelque chose de plus que la simple posture d’attente, en attendant que la maîtresse veuille bien lui faire part des nouvelles. Là encore, il faut faire un effort pour se replacer dans le passé, en un siècle où l’éducation s’arrêtait aux jeunes femmes de bonne famille. Si la servante s’absorbe dans la contemplation du tableau, en tenant la seconde lettre du bout des doigts, c’est manière de signifier que le courrier est pour elle un objet inaccessible : la seule chose qu’elle est capable de déchiffrer,  c’est l’image.

Aucune dénonciation de l’ordre établi dans ce constat : chacun participe à l’émotion au mieux des possibilités que la nature ou la société lui donne :

  • la maîtresse lit la lettre parce qu’elle est riche et éduquée,
  • la servante se contente du tableau parce qu’elle est une servante ;
  • quant au chien, il lit la lettre avec sa truffe.



Metsu_Dublin_femme_lisant_Triangle_Regards

De manière frappante, les têtes des trois protagonistes forment un triangle équilatéral centré autour de la lettre en suspens, triangle qui illustre la divergence de leurs centres d’intérêt : le chien fixe la lettre fermée, la servante contemple le tableau, tandis que la maîtresse lit la lettre ouverte.


Un pur moment de télévision

Le tableau ne cherche pas à saisir l’instant de l’arrivée-surprise de la lettre. Il s’intéresse au contraire au laps de temps qui suit, au temps suspendu de la lecture. Moment privilégié  durant lequel chacun des trois protagonistes, selon ses facultés et ses moyens, échappe à son habitat ordinaire :

  • le chien s’élève sur ses pattes avant,
  • la servante rêve devant une mer sur laquelle elle ne voyagera jamais,
  • la maîtresse imagine le pays lointain que son correspondant lui décrit.

La lecture d’une lettre au XVIIème siècle est, au sens propre, un pur moment de télévision.


Une chaîne de domesticité

Non seulement chacun regarde plus loin, mais plus haut, au-dessus de sa condition naturelle. L’animal domestique regarde la femme domestique, laquelle regarde le tableau de maître – le tableau des maîtres. Quant à la maîtresse, elle regarde la lettre que lui a envoyé celui, dont, bientôt, elle sera à son tour la servante. Le triangle des regards révèle une chaîne ascendante de domesticité, qui culmine dans l’homme absent.
Metsu_Dublin_femme_lisant_Triangle_Hierarchique

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Le promis

Ainsi le tableau nous amène-t-il, par la logique interne de sa construction, à déduire l’identité de l’auteur de la lettre : ce ne peut être que le futur Maître, le promis de la jeune fille, parti au-delà des mers assurer sa fortune, et qui l’épousera au retour.

Le linge blanc

Metsu_Dublin_femme_lisant_linge
Le linge virginal baigné de lumière, c’est donc, bien sûr, le trousseau qu’elle brode.

La pantoufle et le dé

Metsu_Dublin_femme_lisant_Pantoufle Metsu_Dublin_femme_lisant_De_grand

Une fois établi ce contexte nuptial, le dé ne se lit plus seulement comme associé avec le seau. Il fonctionne aussi avec la pantoufle. Coiffant l’index, il évoque l’anneau ,  tandis que la pantoufle prend maintenant une connotation érotique, suggérant l’abandon de la nuit de noces.

Mais pour l’instant, tournée vers le mur, elle illustre aussi le rapprochement impossible, l’attente, le froid. Désappariée, elle montre la solitude de la jeune femme éloignée de son âme soeur.


Une chaîne de fidélité

Du petit chien à la servante, de la servante à la maîtresse, de la maîtresse au futur mari, se propage non seulement l’idée d’une hiérarchie, mais aussi d’une fidélité naturelle.

De l’animal à l’homme, l’amour est une domesticité consentie.



La chaîne triple du regard, de la subordination, et de la fidélité nous a permis de remonter, depuis le domestique le plus humble, jusqu’à un personnage situé hors champ, le promis. Au chien, à la servante et à la maîtresse, il nous faut désormais ajouter le futur maître de maison.

Chose rare : pour une fois, nous allons voir se matérialiser, sous nos yeux, le résultat d’une pure spéculation !

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1.3 Le Diptyque de Dublin : l'Ecriture

27 avril 2016

De manière exceptionnelle, les deux pendants « Lecture » et « Ecriture » ont été conservés, et sont toujours restés groupés au cours des ventes successives. Ils se trouvent  actuellement à Dublin, où les deux amoureux continuent à vivre leurs destins séparés, à cinquante centimètres de distance.

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Jeune homme écrivant une lettre,

Gabriel Metsu,1662-65, National Gallery of Ireland, Dublin

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Le jeune homme en habit noir

Ainsi, le promis de la jeune femme est ce très beau jeune homme aux traits angéliques. Son habit noir, vêtement d’extérieur, ses jambes posées parallèlement à la table, l’absence de livres, montrent qu’il n’est pas de ceux qui se complaisent dans l’étude et les travaux d’écriture : c’est un homme d’action qui ne se pose que le temps de donner de ses nouvelles.

Le chapeau

Le chapeau  fait penser à la pantoufle, autre accessoire vestimentaire isolé. Tandis que celle-ci exprime le confinement de la jeune femme et son incapacité de bouger, le chapeau  posé en équilibre instable au bord du dossier, côté porte, exprime l’inverse : le mouvement qui va reprendre, la tension vers le dehors.

Le nécessaire d’écriture

Metsu_Dublin_Homme_ecrivant_Ecritoire
Il s’agit du pendant masculin des ustensiles de couture (le dé et le coussin à broder). L’encrier, la boîte à cire et la boîte à sable sont en argent. Couché sur la table, on remarque un sceau à cacheter de taille imposante qui signale que, malgré son jeune âge, l’homme jouit d’une reconnaissance certaine.

Le tableau champêtre

Metsu_Dublin_Homme_ecrivant_Tableau
En contraste avec le paysage maritime du pendant féminin, le tableau dans le tableau est ici un petit paradis pastoral dans lequel on distingue un chien et des moutons couchés, une chèvre noire et blanche et, derrière, un bouc brun.

Le troupeau fait indirectement  référence à l’autre poncif de la poésie amoureuse de l’époque : après l’amant nautonnier, l’amant berger, qui n’est cependant pas figuré dans le tableau. Il reste que le paysage bucolique, pendant du paysage tempétueux représente, après les tourments,  l’autre facette de l’amour : l’amour arrivé à bon port, accompli, apaisé.

Le cadre doré

Dans le tableau maritime, l’agitation des vagues était contenue par un simple cadre noir. Ici, un épais cadre doré au décor mouvementé contraste avec la simplicité et le calme de la scène, comme si tout le mouvement, cette fois, avait été expulsé à l’extérieur, figé dans ces lourdes volutes et  ces motifs de fruits. La colombe dorée qui trône en  haut du cadre rajoute le symbole de la paix  à ceux de l’abondance et de la fertilité.

Ce magnifique cadre baroque, que l’on retrouve dans d’autres tableaux de Metsu, existe encore de nos jours : il est la propriété d’un antiquaire new-yorkais.

Le vitrail

Metsu_Dublin_Homme_ecrivant_vitrail
Tandis que dans le pendant féminin, la fenêtre est fermée, elle est ici grande ouverte. De ce fait,  le vitrail prend une place considérable, occupant presque un quart du tableau. Par ailleurs,  on peut voir en bas à gauche  les franges d’un rideau qui dépasse, ce qui renforce la similarité avec la fenêtre de la jeune femme.

Le vitrail grand ouvert

vermeer liseuse dresde
Vermeer utilisera lui-aussi un vitrail grand ouvert dans la Liseuse de Dresde, dans un but bien précis : montrer le reflet du visage dans le miroir, ce qui a pour effet d’enfermer la jeune femme dans l’intimité de sa lecture.

« En faisant du carreau le lieu d’un reflet, Vermeer dédouble le regard posé sur la lettre et souligne ainsi le caractère intime, replié sur lui-même, de la relation à la missive venue de l’extérieur » (Arasse, L’ambition de Vermeer, p 149)



Le vitrail de Metsu lui, ne reflète rien ; au contraire, en totale transparence, il montre le globe posé sur la table.


Gabriel_Metsu-1653–54-A_Woman_Reading_a_Book_by_a_Window-Collection-LeidenFemme lisant un livre à sa fenêtre, Gabriel Metsu, 1653–54, Collection Leiden

Il existe chez Metsu un antécédent à cette disposition, dans cette peinture datant d’une dizaine d’années plus tôt. Elle marque la transition entre la première manière du peintre (sujets bibliques ou mythologiques) et la seconde (scènes de genre). On suspecte donc que cette femme habillée à l’antique, entre ses deux livres et ses deux lettres, est l’allégorie d’un concept (Lecture, Sagesse, Connaissance) dont le secret s’est perdu [1]. En l’absence de tout attribut, il est vain d’émettre des hypothèses : sans doute l’explication était-elle donnée par les inscriptions sur le livre ouvert, aujourd’hui indéchiffrables.

On peut voir dans cette mystérieuse lectrice la précurseuse de notre jeune homme écrivant, qui pourrait donc bien avoir lui aussi une valeur allégorique. A noter également un autre exemple de signature ostentatoire : « Gabriel Metsu » sur la lettre de gauche.


Le globe

Metsu_Dublin_Cadres
Il n’y a pas dans le pendant féminin, d’objet équivalent au globe, du moins d’un point de vue fonctionnel. Si l’on remarque, d’une part qu’il frôle la tête du jeune homme  (la sphère épousant la courbe du crâne), d’autre part qu’il s’inscrit dans le cadre du vitrail, on peut lui reconnaître une affinité formelle  avec le miroir : celui-ci frôle également la tête de la jeune femme (le carré contrastant cette fois avec le visage ovoïde) et il inscrit dans son cadre le reflet du vitrail.

Pour résumer :

  • la tête masculine frôle le vitrail qui encadre le globe,
  • la tête féminine frôle le miroir qui encadre le vitrail.

Nous proposerons en conclusion de cette étude, une sur-interprétation retentissante de cette affinité formelle.

La plinthe

Metsu_Dublin_Homme_ecrivant_Plinthe
Côté masculin, la plinthe en carreaux de Delft est ornée de volatiles (noter le reflet des carreaux sur le carrelage impeccable).


Metsu_Dublin_femme_lisant_Plinthe
Côté féminin, un seul carreau est visible (entre les pieds de la chaise) et représente une grappe et un soleil.

Comme les oiseaux ont tendance à picorer les grappes, les plinthes rappellent donc, avec discrétion, l’appétit du jeune homme pour les fruits de la jeune fille.

Ainsi se complète au ras du sol, le registre des passions animales illustré également par le chien.


Autres correspondances

Certains commentateurs ont suggéré que le jeune homme pourrait être d’une condition supérieure à celle de la jeune fille, d’après la richesse de son ameublement : cadre doré contre cadre noir, rideau à frange contre rideau simple,  tapis contre estrade de bois blanc, dallage en marbre noir et blanc contre sol en pierre.

Mais ces nuances peuvent s’expliquer sans invoquer une différence de condition sociale : la pièce où écrit le jeune homme est une pièce de réception, tandis que celle où la jeune femme brode et lit est une pièce à usage privé.


Un contraste sexué

Les deux pendants sont néanmoins en fort contraste, pour des raisons qui tiennent, non à une différence sociale, mais à la différence des sexes.



Metsu_Dublin_Prototype
Tout comme dans le diptyque-prototype  de 1658, l’écriture, acte créatif et actif, est attribuée au côté masculin, tandis que la lecture, acte passif, se trouve côté féminin. Mais Metsu a renoncé aux dichotomies faciles (nuit/jour, extérieur/intérieur) au profit de différentiations plus subtiles :   l’opposition entre fenêtre ouverte et fenêtre fermée renvoie aux rôles conventionnels de l’homme, ouvert sur l’extérieur, et de la femme, repliée sur l’intimité domestique.

Le contraste entre les « tableaux dans le tableau » va dans le même sens : ostentation du cadre doré contre humilité du cadre simple, scène pastorale proclamant la paix du troupeau, contre marine révélant, derrière le rideau, toute l’émotivité océanique de la femme.

Metsu_Dublin_Synthese



Reste à expliquer le parallélisme que nous avons noté entre le globe et le miroir, qui semblent fonctionner en association étroite avec le vitrail de la fenêtre : vitrail dont le quadrillage attire l’oeil de manière insistante.


Metsu_Dublin_Quadrillages

Juste derrière la tête du jeune homme, le vitrail encadrant le globe pourrait être une métaphore directe de l’acte auquel il se livre : Ecrire : autrement dit faire rentrer le monde dans des lignes.

Au-dessus de la tête de la jeune femme, le miroir encadrant le vitrail évoquerait, réciproquement, l’acte de Lire : refléter fidèlement les lignes qu’un autre a écrites.

Article suivant :  1.4 Le Triptyque de Dublin



Références :

1.4 Le Triptyque de Dublin

27 avril 2016

Je propose ici l’hypothèse d’un accrochage très particulier des pendants de Dublin, qui en ferait un cas unique de triptyque en deux  tableaux !

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Le premier essai

 

Metsu_Dublin_Prototype

Pour son premier dytique épistolaire, en 1658, Metsu avait concocté une composition extrêmement logique, où l’espace entre les deux pendants masculin et féminin matérialisait le parcours de la lettre, dans le sens de la lecture.

Metsu-Diptyque_1658_Schema


Il faut reconnaître à ce premier essai un côté conceptuel quelque peu scolaire : « le Courrier, nouveau média de communication entre hommes et femmes ».


Une composition déconcertante

 

Metsu_Dublin_Homme_ecrivant Metsu_Dublin_femme_lisant

 Pour son chef-d’œuvre de Dublin, dix ans plus tard, on pouvait s’attendre à ce que l’artiste au sommet de sa maturité ait produit une composition encore plus élaborée, dédiée à un concept encore plus ambitieux.


Metsu_Dublin_Schema_horizontal

Or la composition déconcerte par son manque de symétrie.  On retrouve bien dans la partie gauche l’opposition Ecriture/Masculin, Lecture/Féminin, mais la suppression du serviteur rompt l’équilibre des sexes et des conditions sociales. Le thème de la servante qui contemple la marine n’est corrélé à rien, dans l’autre pendant, et la lettre fermée qu’elle tient dans sa main est difficile à justifier.

Enfin,  le scripteur et la lectrice, chacun à côté de sa fenêtre, semblent moins communiquer entre eux que s’absorber dans des activités parallèles : l’un écrit, l’autre lit, mais le saut de la lettre d’un tableau à l’autre est impossible à visualiser. D’où vient alors l’impression d’unité profonde entre les deux panneaux, qu’est ce qui fait que nous ne doutons pas de la continuité de l’histoire ?

S’agissant de la seconde mouture du diptyque épistolaire, ces complexités ne peuvent être imputées à une réflexion inaboutie : au contraire, elles sont la preuve que, dans cette oeuvre-ci, Metsu s’est attaqué à un message autrement plus subtil que l’éloge de l’amour postal.


La lumière-actrice

Remarquons que, dans le prototype de 1658, le contraste d’éclairage entre la bougie et la lumière du jour n’était pratiquement pas exploité. Dans le diptyque de Dublin, en revanche, la lumière joue un rôle de premier plan : tombant de la gauche, elle irrigue la pièce et se pose, en premier, sur la lettre.

Si nous la considérons comme une « actrice » à part entière du tableau, les  pendants « Ecriture » et « Lecture » affichent une similitude frappante :

la lettre, écrite ou lue, apparaît comme un intermédiaire

non pas entre l’homme et la femme,

mais entre la Lumière et le personnage qui tient la lettre.


La lumière-messagère

Metsu_Dublin_Schema_horizontal_lumiere
Comparons cette conception avec celle du prototype : Côté Ecriture, la nouvelle actrice, la lumière du jour joue maintenant le rôle que tenait la servante. Côté Lecture, la lumière s’est substituée au serviteur : c’est elle qui « apporte » la lettre à la maîtresse.

Intellectuellement, la communication se fait toujours par la lettre.

Mais picturalement, le tableau nous dit autre chose : qu’elle se fait par le soleil. C’est la même lumière,tombant de la gauche, qui baigne et unifie les deux pièces.


La perspective

Autre bizarrerie : dans le prototype, le point de fuite de chaque tableau se trouvait à un endroit impossible à déterminer précisément, mais situé en tout cas quelque part entre les deux pendants : situation parfaitement adaptée pour que le spectateur regarde le diptyque « du point de vue du Courrier ».

Metsu_Dublin_Perspective

Dans le diptyque de Dublin, au contraire, les points de fuite sont parfaitement déterminés par les carreaux du sol, et se situent sur la droite de chaque pendant :  le spectateur, empêché d’avoir une vue unifiée des deux, est contraint d’osciller en permanence de l’un à l’autre.


Un dispositif révolutionnaire

Il existe une manière de répondre à ces difficultés : c’est de positionner les deux tableaux non pas l’un à côté de l’autre, comme tous les pendants du monde, mais l’un au-dessus de l’autre !

Voici ce que cela donnerait en théorie :
Metsu_Dublin_Schema_vertical

Si la moitié gauche des deux tableaux est bien dédiée au thème de l’Ecriture et de la Lecture, la moitié droite, là où se trouve la servante, se trouve libérée pour un second thème restant à préciser.


Le double trajet

Et voici ce que cela donne en pratique :

Metsu_Dublin-Tryptique

On voit bien, dans la moitié gauche, le trajet de la lettre qui descend, du maître à la maîtresse. Et dans la moitié droite, un second trajet que nous n’aurions jamais soupçonné, entre  la lettre adressée au peintre et la signature de celui-ci, en haut à droite du pendant masculin.

Dans cette conception remarquable, le Maître apparaît en position centrale, surplombant la Maîtresse et la Servante, chacune occupant sa moitié de tableau. Voici le coup de génie de Metsu :

caser un triptyque  dans un diptyque !

Les difficultés rencontrées pour comprendre la signification des deux lettres, lorsqu’on analyse isolément le pendant féminin, vont-elles se trouver résolues dans cette composition ? Il est clair en tout cas qu’elle ouvre des pistes d’interprétation stimulantes : nous allons en explorer deux.



A côté du thème de la lettre écrite et lue qui leste la partie gauche du triptyque, il doit exister côté droit  un autre thème tout aussi fort, capable d’équilibrer l’ensemble. Le personnage de la servante va nous conduire à une première proposition.




La servante curieuse

Metsu_Dublin_femme_lisant_Tableau
Campée devant le tableau dans le tableau, elle soulève précautionneusement le rideau comme pour se prémunir d’un retour de réalité trop violent, comme si les embruns de la tempête allaient lui sauter au visage. Aux gens simples, les sensations fortes.


Le spectateur dans le tableau

Souvent, un personnage vu de dos fonctionne comme un relai du spectateur dans le tableau : c’est le principe de la Rückenfigur, procédé qui sera plus tard exploité par Caspar-David Friedrich (voir 2 Le coin du peintre )

Ici l’identification est d’autant plus aisée que la servante est justement représentée en train de contempler une peinture :  la servante est « notre alter ego dans le tableau » [1]

Un encouragement aux curieux

Incarnation du spectateur et du bon sens populaire, la servante nous invite comme elle à soulever le rideau : autrement dit à dévoiler la signification de l’oeuvre.

Tous les objets du regard

Non seulement les trois personnages regardent (car écrire et lire sont aussi des opérations du regard), mais les objets eux-même sont presque tous liés au thème de la vision :

« Le peintre a surmonté toutes les préoccupations qu’il aurait pu avoir pour l’anecdote. Son oeuvre ne s’occupe que de l‘attente visuelle. Il juxtapose différentes manières de rendre présent ce qui est absent – la lettre elle-même, un tableau au mur et un miroir. Metsu invente des moyens pour souligner l’acte de regarder. »  [2]


Metsu_Dublin_femme_lisant_tableau_miroir

Miroir et tableau

Accrochés à côté l’un de l’autre, avec des cadres noirs identiques, le miroir et le tableau maritime invitent à la comparaison: l’un nous montre le bout de mer peinte que le rideau vert ne cache pas, l’autre nous montre le bout de vitrail que le rideau bleu ne cache pas.

La représentation picturale est ainsi mise en compétition

avec la représentation spéculaire.

Nous sommes ici au coeur des théories esthétiques de l’époque. Quelques années plus tard, Hoogstraten définira la peinture comme :

«une connaissance qui doit permettre de représenter toutes les idées ou tous les concepts que l’ensemble du monde visible peut nous donner, et tromper l’œil par les contours et les couleurs…« un miroir de la nature » qui « fait que des choses qui n’existent pas paraissent exister, et trompe d’une façon permise, amusante et louable ». Samuel van Hoogstraten,  Inleyding tot de hooge schoole der schilderkonst (Introduction à la haute école de l’art de peinture, 1678)


Miroir et globe

Metsu_Dublin-miroir globe

La composition autorise également une comparaison verticale, cette fois entre le miroir et le globe qui se situe juste au dessus. Carré contre sphère, la symbolique est riche. D’autant plus que nous devons tenir compte du vitrail, qui projette son quadrillage sur le globe et dans le miroir.

Le principe des coordonnées cartésiennes date de 1619 : à l’époque de Metsu, le quadrillage est donc clairement lié à l’idée d’une représentation numérique du réel. Le miroir carré et le globe, tous deux soumis au quadrillage, pourraient donc renvoyer aux questions contemporaines concernant la mesure de la Terre, en géométrie plane ou en géométrie sphérique.

De plus, on peut constater que  ces deux objets s’inscrivent parfaitement dans le thème de la moitié gauche : le globe est un objet sur lequel on peut écrire la réalité spatiale du monde, le miroir un objet sur lequel on peut la lire.


Le thème de la moitié droite

La moitié droite ne contient pas grand chose : les deux « tableaux dans le tableau » et les deux signatures de Metsu : sur l’enveloppe et sur le tableau. On peut donc facilement supposer que son thème est en rapport avec la Peinture.

De plus, la présence de la servante nous livre le thème du bas : la Peinture du point de vue du Spectateur. La partie haute représenterait-elle la Peinture du point de vue du Peintre ?


Chapeau contre seau

Le cadre doré avec sa colombe, la paix champêtre qui règne dans le tableau du haut évoquent un monde idéal, harmonisé  : le tableau tel qu’il se présente dans l’esprit du peintre. Le chapeau posé sur la chaise, juste en dessous, corrobore cette idée du tableau « dans la tête ».

Le tableau du bas en revanche, avec son rideau qui le protège, et son sujet tempétueux évoque un monde voilé et aléatoire : le tableau tel qu’il se présente aux regards des spectateurs. Le seau à provisions, juste en dessous, corrobore cette idée du tableau « sur le marché ».


Les deux signatures

Les deux signatures ont des valeurs bien différentes. Celle du bas est inscrite sur la lettre peinte : elle fait partie du tableau  et c’est une adresse postale: autrement dit elle est destinée à être regardée et lue.

Celle du haut en revanche ne fait pas partie des objets représentés, mais a été apposée pour authentifier le tableau : elle renvoie à l’acte de peindre et à l’écriture.


 

Metsu_Dublin_Synthese_Representation
Tel un expérimentateur sur une paillasse, Metsu a accumulé tous les instruments d’une théorie de la représentation :

  • les  lettres décrivent le monde sous forme littéraire,
  • le globe illustre la projection géographique,
  • le miroir la réflexion spéculaire,
  • les tableaux la transcription picturale.

Quant aux signatures, elles représentent non pas le monde, mais Metsu lui-même..

La partie gauche du triptyque est dédiée en haut à l’Ecriture et en bas à la Lecture.

Pour la partie droite, nous avons maintenant une interprétation cohérente, celle de la Peinture :

  • en bas, comment la regarder ;
  • en haut,comment la concevoir.

En haut le Maître joue le double rôle du scripteur et du peintre, autrement dit de l’Auteur.

En bas le Maîtresse et la Servante fournissent, en lisant et en contemplant, deux incarnations du Spectateur.



En exploitant le thème du regard, nous avons abouti à une première interprétation du « triptyque de Dublin » : une mise en parallèle de l’Ecriture et de la Peinture, assortie d’échantillons sur les formes de la représentation.

Mais ceci laisse à l’écart la chaîne hiérarchique qui structure si fortement le triptyque, surtout depuis que le panneau masculin est venu coiffer l’ensemble de la composition : le Maître commande à la Maîtresse qui commande à la Servante qui commande au Chien.

Cette piste hiérarchique va nous conduire à une seconde interprétation d’ensemble qui se superpose, sans la contredire, à la première.



Un ternaire pour un triptyque

En latin (Spiritus, Anima, Corpus) comme en néerlandais (Geest, Ziel, Lichaam), le ternaire le plus connu repose sur un composant masculin, l’Esprit et un composant féminin, l’Ame. Le troisième terme, le Corps, étant masculin ou neutre.

Un triptyque qui fait figurer le Maître en haut, la Maîtresse et la Servante en dessous, et tout en bas un chien fidèle, mérite au moins de s’interroger sur une possible interprétation philosophique ou religieuse.

Le corps-serviteur

L’idée que l’Esprit et l’Ame doivent commander le Corps, et non l’inverse, est familière aux catholiques.   Metsu, qui l’était,  peut avoir entendu des sermons aussi cocasses que celui-ci :

« L’esprit qui est le maître voudroit aller à l’église, à la grand-messe au sermon et à vêpres ; le corps qui est le valet, porte l’esprit au cabaret, à l’académie, au lieu infâme ; l‘âme qui est la maîtresse voudroit prier Dieu, communier ou gagner l’indulgence, et la chair qui est la servante traîne l’âme aux promenades, aux danses et dissolutions ». Le missionnaire de l’Oratoire, Sermons du Père Le Jeune, Tome VII, 1825.

Mais le tableau pourrait se rattacher à une tradition philosophique plus précise.

L’âme intermédiaire

Le fait que l’Esprit (la partie de l’homme qui est en relation avec le monde des Idées) puisse agir sur le Corps (la partie la plus matérielle) a toujours posé problème. D’où la nécessité, dans la tradition hermétique, d’un principe intermédiaire capable d’articuler le principe spirituel et le principe matériel.

« …Car il est impossible au Noùs, de par son essence, d’habiter nu un corps terrestre : c’est que le corps terrestre ne peut porter une aussi grande divinité et qu’une Force de cette splendeur et de cette pureté ne peut supporter d’être liée par un attouchement direct à un corps soumis aux passions.

C’est pourquoi l’Esprit s’enveloppe dans les voiles de l’Âme ; l’âme qui, à certains égards, est aussi divine, se fait la servante du souffle vital tandis qu’enfin le souffle vital gouverne la créature ». Corpus hermeticum douzième livret, versets 51 et 52


L’Ame servante de l’Esprit et maîtresse du Corps

Metsu n’avait pas besoin d’être un expert en hermétisme pour se représenter l’Ame comme la servante de l’Esprit (le souffle vital), servant en quelque sorte de courroie de transmission de ses ordres vers le Corps (la créature).  Cette conception hiérarchique était relativement populaire à l’époque, comme en témoigne la splendide métaphore qui suit :

« Or quand le corps et l’esprit (qui ont de coutume de de faire par ensemble la guerre) sont tellement d’accord et profitables l’un à l’autre, que l’esprit soit le maître et l’inférieure partie de l’âme (savoir est la raison), la femme, et le corps, le serviteur, et que, librement et volontiers, il obéit à son maître et maîtresse, et que comme les yeux des serviteurs sont ès mains de leurs maîtres et ceux des servantes es mains de leurs maîtresses, ils soient en pareille forme, prêts et appareillés d’obéir. Quand, dis-je, ces choses seront en telles manières disposées, c’est à savoir qu’il y ait une si grande paix et concorde entre eux, lors assurément il y a joie en l’esprit, paix en l’âme et délectation au corps. Et lors notre Seigneur Dieu nous illumine de telle façon de sa divine clarté, comme fait le soleil tout l’air, quand il est serein et libre de tout vent, tempête, pluies et nuées ».

La Perle évangélique: traduction française (1602) Par Daniel Vidal. Texte flamand d’une béguine anonyme, paru en 1535 à l’initiative du chartreux colonais Thierry Loher.

La dernière phrase en particulier semble directement décrire l’ambiance du triptyque : lorsque la concorde (tableau bucolique) et non pas les tempêtes (tableau maritime)  règne entre maîtres et serviteurs, alors la divine clarté illumine toute la scène.


Une métaphysique de la lumière

Au XVIIème siècle, et particulièrement dans les tableaux hollandais, la lumière revêt souvent un caractère religieux ou métaphysique.

« La lumière n’est pas seulement [chez Kepler] l’image du Dieu trinitaire ; elle constitue aussi l’origine des facultés de l’âme, le lien qui rattache le monde spirituel et celui de la matière physique, et un miroir des lois de la nature. » Lindberg, 1986, cité par Arasse, L’ambition de Vermeer, p 169

Nous en savons maintenant assez pour nous lancer dans une interprétation ternaire du triptyque de Dublin.


Le Maître

Que fait l’Esprit ? Il voyage, il perçoit la lumière des choses directement, comme à travers une fenêtre ouverte. Il est capable de quadriller le monde, de le cartographier, de le peindre ou de le dépeindre. Dans la sérénité de son cabinet de travail, en haut de la maison, il donne des ordres écrits.


La Maîtresse

Que fait l’Ame ? Elle réside, elle reflète, elle coud, faisant tenir ensemble les pièces séparées.  Elle ne voit pas le monde directement, mais au travers des quadrillages et filtres que le Maître a disposé autour d’elle. Dans la salle du rez-de-chaussée, elle lit ses ordres et les transmet à la Servante.


La Servante

Que fait le Corps ? Il ne sait pas lire, mais il est sensible aux images, ce qui le rend influençable et vulnérable aux passions. Il peut aller au marché chercher des provisions. Il peut aussi monter au premier étage pour rapporter au Maître le compte-rendu écrit de la Maîtresse.


Le chien

Un animal n’a pas d’Esprit. Il a seulement une petite Ame, qui lui permet d’obéir. Et un petit Corps, qui lui permet de regarder, sans comprendre ce qui se passe.


Un schéma théorique

Metsu_Dublin_Synthese_Ternaire

Le triptyque de Dublin illustre,  sous forme d’une maison hollandaise bien organisée, ouverte comme une maison de poupée, le fonctionnement d’un humain théorique.

Les perceptions apportées par la lumière sont transformées en ordres par l’Esprit, lesquels sont transmis à l’Ame qui les fait exécuter par le Corps et rend compte en retour à l’Esprit. Toute l’astuce de Metsu est d’avoir utilisé le Courrier comme métaphore de ce circuit de commande.


Un auto-portrait philosophique

Une manière d’articuler cette interprétation avec la précédente et de considérer qu’il s’agit non pas du schéma de principe d’un humain quelconque, mais d’un auto-portrait philosophique de Metsu lui-même : la lettre au Maître ne lui est-elle pas adressée ?



Voici donc en éclaté sous nos yeux un Gabriel Metsu trinitaire  :

  • l’intellectuel et l’homme d’action – le Maître qui conçoit et dirige ;
  • la dame aux magnifiques atours – la Beauté que courtise le Maître ;
  • la servante curieuse, qui observe l’oeuvre en train de se dévoiler à elle-même – la Peinture en action, et en jupons…

Alors, le courrier qui descend et monte entre ces trois instances ne serait rien d’autre que le message d’amour adressé par le créateur à sa création, et retour…



Références :
[1] (Victor Ieronim Stoichiţă, « L’instauration du tableau: métapeinture à l’aube des temps modernes », p 233
[2] Svetlana Alpers, « L’Art de dépeindre », p 328

1 La Femme au pantin

23 avril 2016

Il faut attendre la toute fin du XVIIIème siècle pour que le thème de l’homme mené par la femme, jusqu’alors illustré par toute une série de volatiles (voir L’oiseau chéri), trouve une nouvelle incarnation.


Le Pantin (El Pelele)

Goya, 1792, Prado, Madrid

1792 Goya El pelele Prado carton tapisserie

Cette peinture fait partie de la septième série de cartons pour tapisserie destinée au bureau de Charles IV dans le palais de l’Escurial.

« Le plaisir cruel consistant à faire sauter un individu dans une couverture porte un nom en français, c’est l’action de berner. « Berner », c’est selon le Trésor de la Langue Française,  « Molester quelqu’un », le faire sauter dans une « berne » c’est-à-dire une « grande pièce d’étoffe et particulièrement de laine ». Jean-Yves Cordier, voir son blog  lavieb-aile.com.

Ainsi, selon le contexte et les époques, on a pu  berner des gens (par exemple Sancho Panza), des chiens, ou plus paisiblement un  pantin. Ce jeu, pratiqué pratiqué lors des fêtes populaires comme rite d’adieu au célibat, avait aussi une portée symbolique : illustrer le pouvoir des femmes sur les hommes.

Remarquons qu’en cette fin du XVIIIème siècle, ce pouvoir reste singulièrement limité : il faut s’y mettre à quatre pour faire s’envoyer en l’air la marionnette. D’où l’impression que cette image équivoque, plutôt que d’illustrer l’impuissance de l’Homme, montrerait l’effet mécanique que font sur lui toutes ces filles.


1792 Goya El pelele Prado carton tapisserie detail
Ejecté du drap de lit pour s’y renfoncer aussitôt, le Pantin, trahi par sa natte,  est transformé en engin de coït.

Site du Prado : https://www.museodelprado.es/coleccion/obra-de-arte/el-pelele/a1af2133-ff7b-4f47-a4ac-030cb23cb5b6

1815-25 Goya Disparates el pelele

Goya
Série Los Disparates  1815-1823

Dans ce remake post-napoléonien, l’esprit  léger et souriant  a disparu. En compagnie d’un âne, réduits à des silhouettes informes, les pantins ne se réaniment pas plus que des cadavres secoués dans un linceul.


 

George_Cruikshank_-_A_Dutch_Toy_or_A_Pretty_Play-thing_for_a_Young_Princess_Huzza_March_1814_publié le 20 juin
Un jouet hollandais ou un joli joué pour une jeune princesse
A Dutch Toy or A Pretty Plaything for a Young Princess
George Cruikshank, Mars 1814, publié le 20 juin 1814

Ce 20 juin 1814, le parlement anglais débattait d’un lettre de la Princesse royale Charlotte, rompant ses fiançailles avec Guillaume d’Orange. La devise « Orange boven (Orange en haut !) » s’applique ironiquement à la situation du pantin, à la position de ses membres et aussi , plus méchamment, au jet coupé net dans son ascension. Le petit médaillon sur la cuisse, marqué FitzMa et le livre sous le pied, marqué « Lawrence dream » sont des allusions probables à d’autres soupirants, l’un actuel et l’autre passé (vicomte FitzMaurice et George FitzClarence).


1818-English-Ladies-Dandy-Toy-IR-Cruikshank

English Ladies Dandy Toy
Cruikshank, 1818

Quatre ans plus tard, Cruikshank généralise en appliquant la formule à toute anglaise opulente : la femme géante manipule du bout des gants   le pantin-dandy avec sa canne, son  haut-de forme et la queue de pie de sa redingote qui lui bat ridiculement les fesses : caractères virils minuscules face à la plénitude de la poitrine, de la robe et à la turgescence ironique de la plume d’autruche rose.


 

Bonne d'Enfant 1816-24 Georges-Jacques Gatine Costumes Parisiens Les Ouvrieres de ParisLa Bonne d’Enfant (série Costumes Parisiens : Les Ouvrières de Paris)
Georges-Jacques Gatine, 1816-24
1885 Nehlig Pour amuser tt le monde il faut danser a la ronde Chansons et rondes enfantines Weckerlin« Pour amuser tout le monde il faut danser à la ronde »
Illustration de Nehlig, 1885, Chansons et rondes enfantines, Weckerlin

Cette métaphore isolée ne passe pas la Manche : pour de longues années encore, même dans les mains d’une belle femme, le pantin reste un jouet innocent.



daumier-madame-gargantua-1866Madame Gargantua, Daumier, 1866 Art Hazelwood madame-gargantua 2016
Madame Gargantua, Art Hazelwood, 2016

Au delà de la figure convenue de la croqueuse d’hommes, c’est bien un système de consommation  déréglé et autophage qui est dénoncé : d’où la transposition aisée du Second Empire et des billets de 100 00 francs, à l’Empire Américain et à son billet vert.



 

Bertall 1874 Frontispice La comedie de notre tempsFrontispice pour La comédie de notre temps, Bertall, 1874

Cette femme-enfant montée en grade, que les masques à la ceinture désignent comme la Comédie en personne, examine ses dernières victimes avant de les jeter dans sa malle. Les dîners en ville sont son terrain de chasse (la table avec les liqueurs, le manuel de Civilité). Des oeuvres d’art, des titres de noblesse, des bourses pleines sont ses trophées.



La Courtisane moderne (The Thorny Path)

Thomas Couture, 1873, Philadelphia Museum of Art.

 1873-Thomas_Couture-_The_Thorny_Path-philadelphia-museum-of-Art
Rendu célèbre par sa grande composition sur les Romains de la Décadence, Couture critique ici une autre forme de décadence, éternelle et universelle.


L’attelage

Un phaéton est tiré par quatre mâles captifs représentant différents âges et états de la société :

  • un vieux riche ventripotent mène l’attelage, sa bourse à la main, une couronne de Bacchus  sur la tête ;
  • un jeune fou avec clochette tourne son sublime visage vers l’Idéal,  sans sentir les liens sur son pourpoint ;
  • un jeune poète couronné de lauriers continue d’écrire malgré l’esclavage ;
  • un soldat d’âge mur tire lui-aussi, sans songer à trancher les liens avec sa lame.

Selon le catalogue de l’exposition, ils représentent respectivement la richesse, la jeunesse, la poésie et le courage [1].

Les  regards s’évitent, ne se tournent ni vers l’avant, ni vers la cause unique qui les dirige par derrière : isolés chacun dans sa manie, ils avancent entre les chardons.


Le véhicule

 Une sublime jeune femme tient d’une main la bride, de l’autre le fouet. Les initiales TC, gravées sur le piédestal du faune, placent le peintre sous la même égide. Aiguillonnant les hommes, elle-même est poussée vers l’avant par son destin qui la surveille par derrière : une vieille femme emmitouflée et aigrie, avec pour dernier plaisir la carafe de vin dans le panier.

 

Epineux pour les marionnettes, le chemin l’est tout autant pour celles qui tirent les ficelles.



1873 Pieter Willem Sebes Amusing the baby

Pour amuser bébé (Amusing the baby)
1873, Pieter Willem Sebes, collection privée

De la même époque, cette scène de genre qui se veut touchante cache peut-être un sous-texte  : de même que la lionne donne tôt le goût de la viande à ses petits, la Femme Fin de siècle apprend à sa progéniture que manipuler un Pantin est plus amusant qu’un hochet.

 Image en haute définition : https://www.bonhams.com/auctions/17644/lot/210/


Felix Ehrlich The Art Lover, signed, dated F Ehrlich, 1 9 88

L’amoureux de l’Art
Félix Ehrlich, 1888, Collection privée

Ce tableau très original explore le thème inverse, celui du vieil homme à la poupée.  La lance, la chope de bière et le bras du Cupidon sont cassés : on comprend bien qu’il ne reste pas grand chose de la virilité, des plaisirs et de l’Amour. Seule chauffe la colle sur le petit réchaud. La tête à peine recollée semble prête à apostropher le vieux misogyne,  qui se demande s’il n’aurait pas mieux fait de s’abstenir.

 


Dans les années 1880,  Henry Somm va se spécialiser dans un fétichisme particulier : une Parisienne au profil callipyge ridiculisant diversement un petit homme.

HFA-1881 ca. Henry Somm, The Rights of WomanLes droits de la Femme  

HFB_1879 ca Henry Somm The TightropeLa corde raide

HFC 1880 cc Henry Somm HFD 1880 cc HENRY SOMM Dessin
HFE 1880 cc HENRY SOMM Elegante a l eventailPapillon HFF 1880 cc HENRY SOMM Une jeune femme ayant attrape un homme a la canne a pechePoisson
HFG 1880 cc HENRY SOMM Elegante entouree de soupirantsParisiens

 



1882 Artigue moqueuseMoqueuse,
L.Artigue, 1882
 

1882 (avant) Louis Charles Verwee Jeune femme jouant avec un pantinJeune femme jouant avec un pantin
Louis Charles Verwee, avant 1882

 

 

Tous ces artistes mineurs se contentent d’exploiter paresseusement  le masochisme du thème, sans grandes conséquences.  Pour enfin dégager l’énergie explosive  que Goya et Couture avaient subodoré,  il va falloir la succession de deux grands dynamiteurs fin de siècle  :  Rops d’abord dans les arts graphiques, puis Pierre Louÿs en  littérature.

Références :
[1] « O beauté vénale ! Jadis tu faisais des martyrs et des héros, tu ne fais plus que des martyrs et des laquais. O courtisane dégénérée ! Enfant gâtée de ma portière ! Qu’as-tu fait de la poésie, de la richesse, de la jeunesse et du courage qui te servaient d’escorte autrefois?… Un attelage! «  Gazette des beaux-arts: 1860, Volume 1, p 116

2 Les pantins de Rops

23 avril 2016

Rops est le premier à avoir  compris l’exceptionnel potentiel symbolique et érotique de la Dame au Pantin, qu’il va développer  à quatre reprises, sur une dizaine d’années.

De rares antécédents

A sumptuously dressed lady gestures towards a mid-air battle between winged fools; small injured figures fall from a bird-house like edifice. Woodcut by Tobias Stimmer, 1580.

Une dame et ses fous, Tobias Stimmer, 1580 

On ne sait pas si Rops connaissait cette extraordinaire métaphore aviaire, dans laquelle des fous volants, portant des bourses, sont attirés, dépouillés,  déplumés et désarmés dans la volière de la Belle.


anonyme 1871 published by E.Breyer in Brussels

Il a en revanche peut être vu cette caricature, qui fait partie d’un recueil de 32 planches satiriques sur la guerre franco-prussienne.

  • La Mort rappelle aux vaincus : « Qui s’y frotte s’y pique. »
  • La Folie secoue les hommes du Second Empire, et même le pape perd sa clé.
  • La République coupe les fils : Napoléon III et la reine d’Espagne Isabelle II tombent sur des sacs d’or, autour d’un jeune homme qui doit être Louis, le prince impérial.


Dame au pantin et à l’éventail

Rops, 1873, Musée Rops, Namur

1873 Rops Dame au pantin et a l eventail Musee Rops Namur
D’un regard intense, la Dame fixe le polichinelle qu’elle a sorti de sa boîte, ridicule avec ses membres grêles, ses gros sabots, sa ficelle qui pend, son plumet en berne, sa petite canne filiforme, et sa double excroissance hypertrophiée.



1873 Rops Dame au pantin et a l eventail Musee Rops Namur pantin
Elle préfère tenir son éventail vertical que de tirer sur la ficelle et  ragaillardir ces minuscules virilités. Sa main dégantée et son bracelet d’or disent d’ailleurs que tout contact charnel se paye.


1873 Rops Dame au pantin et a l eventail Musee Rops Namur detail bouc

Le profil de bouc de la table introduit une  transitivité très fin de siècle  :

si l’Homme est le Pantin de la Femme, la Femme est le Pantin du Diable [1].


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La Dame au pantin

Rops, 1877, Musée Rops, Namur

1877 _Rops_-La_Dame_au_pantin Coll Babut du Mares, Namur
Si la première maîtresse laissait planer l’ambiguïté sur sa condition (une bourgeoise qui s’amuse ?), celle-ci proclame fièrement, par son ruban, son décolleté, sa bretelle qui pend et l’absence de gants, sa qualité de professionnelle.

Elle a pleinement conscience de son pouvoir érectile, matérialisé  par son bras gauche levé.  Mais si l’Homme – car le Polichinelle porte maintenant monocle et haut-de-forme – veut grimper au ciel, encore doit-il payer le prix fort : des sous à en remplir une coupe, qui s’échappent de son coeur crevé.



rops-the-falconer-la-fauconniere National Gallery of Art, Washington

La fauconnière (the falconer)
Rops, non daté, National Gallery of Art, Washington

La même main brandit ici un faucon phallique. Nous nous rappelons alors  la pluie de pièces de Danaë et sa  signification séminale.



1877 _Rops_-La_Dame_au_pantin Coll Babut du Mares, Namur ubi mulier
La question « Ubi Mulier ? Où est la femme ? » semble posée par le Sphinx. La réponse est donnée juste au dessus : « C’est une coupe mordue par un Serpent « .

Sur le bas-relief six autres pantins pendus  à leur fil élèvent vers ce réceptacle un regard implorant :

  • le sabreur rêve de le remplir de sang,
  • le politicien de discours,
  • le poète de vers,
  • le financier d’or,
  • le peintre de couleurs.

Mais c’est leur propre squelette qui les attend à droite, comme dans toute Danse Macabre.


1877 _Rops_-La_Dame_au_pantin Coll Babut du Mares, Namur detail faune

L’inscription « Ecce Homo (voici l’Homme) » montre que celui-ci est un bouc, du même bronze que son Maître, le Faune ou le Démon cornu dont le profil supplante celui du Sphinx, figure de Sagesse qui s’efface dans le lointain.

Dans cette planche impitoyable, toutes les figures masculines, le pantin de tissu, ses six collègues de pierre, le bouc aux cornes coupées, et même le faune au bas-ventre échancré sont tous frappés d’Impuissance.



Harry Wilson Watrus The dregs 1915

Les rebuts (the dregs)
Harry Wilson Watrous, 1915, Collection privée

La même idée d’une infériorité radicale de tous les corps de métier – l’ouvrier, le violoniste et le peintre –  ressurgira du temps des Garçonnes, de l’autre côté de l’Atlantique  (voir Profils de femmes modernes)


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La Dame au pantin

Rops, 1883-85, Musée Rops, Namur

1883-85 Rops Dame au Pantin Robe noire

Destinée à illustrer Son Altesse la femme d’Octave Uzanne  :

« Je penche pour la femme qui ouvre le ventre de son pantin duquel tomberait ou plutôt s’échapperait du son, des louis d’or, un coeur sanglant et quelques sonnets » Rops, Lettre à O.Uzanne  [2]

ce troisième opus va rassembler les éléments mis en place dans les deux précédentes versions :

  • le Serpent d’Eden, plus grand et désormais identifié par sa pomme (opus 2) ;
  • la main dégantée au poignet cerclé d’or (opus 1) ;
  • la crevure du Polichinelle, spontanée dans l’opus 2, maintenant expliquée par le poignard que la dame porte à la ceinture.

Ainsi se coalisent les trois puissants thèmes du Péché, de la Masturbation et de la Castration réunis.

La frise des pantins est la même, mais dans l’autre sens : lue de droite à gauche, elle conduit à l’expression de dérision qui les désigne : Ecce homo (opus 2).



1883-85 rops Dame au Pantin Musee Rops Namur

La Dame au pantin
Rops, 1883-85, Musée Rops Namur [3]

Cette quatrième et dernière version remplace la femme du monde en fourreau et dentelles noirs, par une amazone au sein nu, une exécutrice à la robe rouge sang et qui tient le poignard dans sa main : ce n’est plus la Mort, mais la Vie pétante de santé qui sourit à sa victime en toute bonne conscience.



1883-85 rops Dame au Pantin detail frise
La frise est la même, mais se prolonge, au delà du squelette, par la question « Ubi mulier » (opus 2) et un point d’interrogation surmonté d’un nouvel arrivant, un crapaud.


La symbolique du crapaud

Hélène Védrine [4] a établi un rapprochement avec un emblème du début du XVIIème siècle :

1607 Rops influence

Medio tutissimus ibis
Emblème d’après Vaenius, 1607, [5]

Ignorant la devise (Au milieu, tu iras en toute sécurité, Ovide, Métamorphoses, lI, 137), un homme portant un bonnet de fou court vers la Prodigalité qui l’attire avec ses espèces sonnantes, et s’éloigne de l’Avarice avec son sac plein et son crapaud à ses pieds.

« Doit-on penser résoudre ainsi la question que pose l’étrange batracien placé sur la dernière marche de la terrasse ? Serait-ce entre Avarice et Prodigalité que se trouve placé le petit Eros boufon et macabre qui est lui-même la devise ropsienne par excellence ? » [4]


Le crapaud est codifié comme emblème de l’Avarice dans l’édition de 1603 de l’Iconologie de Ripa, mais était connu bien avant :


1558 Rops Avaritia . Pieter van der Heyden after Pieter Bruegel the Elder

L’avarice (détail)
Série des sept péchés capitaux, Pieter Brueghel l’Ancien, 1556-1557

Cliquer pour voir l’oeuvre en entier

Où l’on voit que la pluie d’or est aussi un symbole de l’Avarice, pourvu qu’elle tombe dans un sac.


1883-85 rops Dame au Pantin detail
La similarité de composition avec l’emblème de Vaenius pourrait donc bien n’être qu’une  coïncidence. Le Fou avec sa marotte à tête de Mort se trouve juste sur l’axe du Crime, qui va de la Victime au Serpent, puis au Squelette,  en suivant la chute des pièces d’or dont aucune ne s’échappe de la vasque :

la Femme Fatale n’est qu’Avarice.



1883-85 rops Dame au Pantin detail pantin
Une fraise blanche de Pierrot rajoute un attribut supplémentaire de victime à cet Homme-miniature, qui n’a gardé du polichinelle de départ que la bosse : à savoir sa virilité devenue  infirmité.

H. Védrine fait remarquer  avec pertinence que la découpe de son ventre dessine un N majuscule, ce qui ferait référence à une autre série emblématique de Rops : celle des Naturalia.

La série des Naturalia

Bien que cette série ne comporte pas à proprement parler de pantin, elle constitue clairement une variation et un prolongement du thème de la Femme Fatale brandissant une miniature.

Ad majorem diaboli gloriam

(à la plus grande gloire du Diable)

Rops, dessin, vers 1875

01 1875 ca Rops-Naturalia ad majorem diaboli gloriam
Le comble de la nudité, le squelette, révèle aussi la réalité du sexe féminin : à la fois vulve et ceinture de chasteté, de même forme que le masque de bouc écorné qui dans cette série remplace le Pantin.

L’obscénité ici procède par assimilation graphique (sexe=cadenas=masque), par inversion (en détournant la devise des Jésuites) et par passage à la limite, (en poussant l’effeuillage jusqu’à l’os).


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L’Humanité

Diaboli Virtus in Lombis,  Saint Augustin
Rops, vers 1875

02 1875 ca Rops Humanite Diaboli Virtus in Lombis St Aug. (Etude pour Naturalia) Musee Rops
La citation : « La force du Diable est dans les reins » est en fait de Saint Jérôme  ( Contra Jorimen, 2, 1. 2) mais  Rops met couramment les Pères de l’Eglise dans le même sac. Les trois têtes de mort, de singe, et de Beethoven prouvent que toute l’Evolution ne peut rien  contre la vérité des lombes. La Femme est une décapitatrice innocente, puisque pour elle tous les visages  d’homme portent le même masque : celui du Diable.


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Diaboli virtus in lumbis est

Rops, 1888

1888 Rops_DiaboliVirtusInLumbis
Rops reprendra la même citation dix plus tard, appuyée par une métaphore anatomique différente : après le pubis diabolique, voici le pelvis entomologique.

Rops pervertit ici la vielle métaphore (voir Le crâne et le papillon) en rajoutant, à titre de transgression complémentaire, la tête de Saint Jean Baptiste brandie par cette Cupidonne fessue.


sb-lineNaturalia non sunt turpia

Rops, pointe sèche, vers 1875

03 1875 ca rops-Naturalia non sunt turpia coll priv Moliere

Cette fois, la devise latine, « Les parties naturelles ne sont pas honteuses », est attribuée à Saint Jérôme (tout aussi faussement).

Pour faite bonne mesure en pédantisme souriant, Molière est aussi mis à contribution  :

« Avec la permission de Monsieur, je vous invite à venir voir l’un de ces jours pour vous divertir de la dissection d’une femme, sur quoi je dois raisonner. »  Molière, Le Malade imaginaire, II, 5

Le sang menstruel apporte un démenti flagrant à ce que prétend la devise. Rops est coutumier de cette contradiction entre texte et image :

« Ce masque-sexe flamboyant est visuellement confondu au mot qui le désigne « jetant par la bouche des flammes qui se mêlent au mot Naturalia« … Alors que le texte brandi comme par une Gloire érotique dit, conformément au motto inscrit à ses côtés, que la sexualité n’est pas honteuse … le sexe greffé sur le bassin squelettique apporte un déni immédiat et macabre… De disjonction en déni, l’image ne finit que par dire l’Inquiétant et c’est le mode de composition de cet Umheimliche qui prime plutôt qu’une signification stable forcément rassurante. » [4] p 100


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« J’appelle un chat un chat », Boileau

Rops, vers 1875

04 1875 ca Rops Naturalia Boileau Musee Felicien Rops, Namur

 

Cette fois la citation est exacte (Nicolas Boileau, Première Satire, 1666).

Le masque pubien a effectivement été retouché dans le sens d’une similitude féline.

« Dans cette savante mise en scène, les naturalia qui sont censés ne pas être turpia se révèlent précisément tels. En faisant semblant de racheter les parties naturelles, la Décadence brandit le spectre de la lubricité et récuse la chair en y logeant le monstre. Rops s’acharnant sur le nu moderne le tire vers l’allégorie satanique d’autant que, sur certaines épreuves, une note au crayon, attribuée à son alter ego, Jacques Pontaury, accuse l’appartenance fantastique de la figure:

« Et souventes fois, à Paques-Flories qui est saison de rut, esbaudoyements et accollements de Nature, apparaît la femelle de icelluy Satan, mi partie en gourgandine, et mi partie en esquerlette. Sans camise, avec testins tout nuds; et aussy faisant veoir son sexe, lequel a visaige de Diable avec coarnes de bouc. Et vient de nuit tenant en sa dextre, un autre sexe, comme celui qui est à son pubice, pour faire cheoir en fornication, les jouvenceaux qui sont chauds en leurs coillons, lesquels, voyant ce sexe se débraguettent et deviennent ainsy en servage d’Enfer pour cette estrange er Vénérienne Gouge. – Jacques Pontaury (Gauderies, Contes sallés et pasquaies du Païs Nameurois) »

Evanghélia Stead, [6]


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Naturalia non sunt turpia, Baudelaire, Sénèque l’Ancien

Rops, vers 1875

05 1875 ca Rops Naturalia Baudelaire Seneque Bibliotheque de l'Universite de Varsovie

 

La citation de Baudelaire

« Hélas ! les vices de l’homme, si pleins d’horreur qu’on les suppose, contiennent la preuve (quand ce ne serait que leur infinie expansion) de son goût de l’infini » Baudelaire, les Paradis artificiels


« Élévation vers l’idéal, c’est bien ce que semble représenter cette femme qui brandit un sexe comme un fanal, en même temps que Rops représente conjointement, selon une dialectique proprement baudelairienne, ce qui la retient ancrée à la matière et à l’inéluctable fatalité de la mort. » H. Védrine [7]


La citation de Sénèque

La seconde citation est lapidaire : « dux malorum femina » Elle est extraite du Phèdre de Sénèque :

« Sed dux malorum femina: haec scelerum artifex (Les femmes sont la source de tous les maux; ce sont elles qui trament les forfaits) »


« On perçoit bien à quel point elle semble contredire le sens du titre de l’œuvre. La succession et le montage de citations mettent ainsi en évidence le propre travail d’inversion de l’image qui, autour du pôle représenté par la diagonale de la jupe tendue, oppose un sexe glorieux à un sexe mortel.«  H. Védrine [7]


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1870 JULES_LEFEBVRE La VeriteLa Vérité
Jules Lefebvre, 1870
 

1870 ca Bartholdy Esquisse pour la statue de la liberte Brooklin Museum

 

 

 

 

 

Esquisse pour la statue de la Liberté
Vers 1870, Bartholdy, Brooklin Museum

 

Dans ces deux robustes allégories de l’époque :

  • la Vérité brandit son miroir lumineux de la dextre, en tenant de la senestre la corde du puits dont elle est sortie ;
  • la Liberté brandit sa torche d’une main et tient une chaîne brisée de l’autre.


01 1875 ca Rops-Naturalia ad majorem diaboli gloriam Miss Marylin Liberty

Avec sa femme-squelette tenant d’une main un masque enflammé, de l’autre un bout de liquette, Rops s’est évidemment amusé à  pasticher et transgresser ces deux nobles modèles… comme d’autres le feront plus tard.


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Holocauste

Rops, 1895

1895 Rops Holocauste

L’holocauste est celui des deux coeurs embrasés qui se consument en forniquant. Au-dessus, la Femme écarte ses linges comme des nymphes. Centrée sur elle, la devise proclame que les parties intimes ne sont pas honteuses.



1895 Rops Holocauste faune
Centrée sur le Faune rigolard, la devise dit le contraire.

« ..aux côtés du thème de la révélation de la nudité, la planche affiche son pastiche. Un petit faune, tombé à la renverse, ouvre impudemment les jambes pour montrer du doigt… une feuille de vigne. Couronné de pampres, rieur, brandissant le thyrse, il est le double grotesque de la femme nue et sacralisée. » Evanghélia Stead, [6]


Références :
[1] « L’homme pantin de la femme, la femme pantin du diable, sont deux de ses thèmes favoris, d’une grande portée psychologique, rendus avec une intensité plus excessive que ce11e de Baudelaire, avec lequel il a des rapports très grands. Imaginez que le poète des Fleurs du Mal ait ecrit avec lignes, et vous aurez quelque idée de Rops, le seul artiste assez mystique pour pourtraicter la perversité moderne » Joséphin Péladan, L’Artiste, Mai 1883.
[4] Anamorphoses décadentes: l’art de la défiguration, 1880-1914 : études offertes à Jean de Palacio, Presses Paris Sorbonne, 2002, Iconologie, Etude d’Hélène Védrine, p 107
[5] Gravure de Vaenius tirée de Emblems of the Low Countries: A Book Historical Perspective Par Marleen van der Weij, Librairie Droz, 2003, p36
[6] Le monstre, le singe et le fœtus: tératogonie et Décadence dans l’Europe fin-de-siècle Evanghélia Stead, p 112, Droz, 2004

[7] Le marginal et le liminal : quelques pratiques d’annotations littéraires et visuelles chez Félicien Rops et James Ensor, Hélène Vedrine https://textyles.revues.org/1246#ftn16

3.1 Après Pierre Louÿs : au bout d’un fil

23 avril 2016

Le roman de Pierre Louys parait en 1898. Bien que Goya et Rops aient influencé le choix du titre, il ne s’agit d’un pantin qu’au figuré, et aucune illustration du livre n’en montre un directement.

Néanmoins, cette parution va donner de la chair et un second souffle à ce qui n’était jusqu’alors qu’un sujet quelque peu théorique : cas d’école où un événement purement littéraire va produire un effet de cristallisation graphique, et légitimer pour le grand public un thème jusqu’alors sulfureux et réservé aux happy fews.

Devenu à la mode, le Pantin XXème siècle va épouser toutes les péripéties de l’époque et se décliner à toutes les sauces : à fil, à main, réduit à une poupée voire simplement à un masque.



Au bout du fil

La manipulation sans contact est le geste qui met le mieux en valeur la supériorité de la Femme : cette haute teneur en masochisme en a fait, et de loin, la formule la plus répandue.



Leon Roze 1900 ill pour Marguerite Bellanger Les amours de Napoleon III
Léon Roze, couverture pour « Les amours de Napoleon III », par Marguerite Bellanger, 1900

La toute nouvelle iconographie se reflète dans cette métaphore de la République triomphante de l’Autocratie.

Mais c’est surtout dans le domaine léger qu’elle va faire florès.



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1900 carte postale

Carte postale 1900

Dans une réminiscence de la pesée des âmes, cette cocotte rigolote sauve le bel homme svelte et condamne le vieux ventripotent.


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1900 cc carte postale cakewalk intime

Cake walk intime
Série de six cartes postale 1900

Les pas de la danse à la mode servent de prétexte à des nudités agrémentées d’accessoires variés, dont le Pantin.



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Advertisement for a Gentleman's Evening at the Vienna Opera by Heinrich Lefler

Publicité pour une soirée d’Hommes à l’Opéra de Vienne,
Heinrich Lefler, 1901

Autodérision parfaitement assumée par les membres du Königliche et Kaiserliche Opera : la vie n’est qu’un théâtre de marionnettes aux mains de la Femme Fatale.



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Raphael Kirschner 1La rencontre Raphael Kirschner 2La présentation
Raphael Kirschner 3La déclaration Raphael Kirschner 4L’invitation
Raphael Kirschner 5La danse Raphael Kirschner 6La promenades

 Série de six cartes postales, Raphael Kirschner, 1902

Toutes les phases de la parade amoureuse sont délicieusement manipulées par l’Eternel Féminin.

Notons que c’est dans la Déclaration seulement que le fil de la dame est relâché : comme si la marionnettiste voulait, à ce moment seulement, laisser le choix à sa créature.

Pour toutes les séries de cartes postales de Kirschner, voir le précieux site :  http://www.ak190x.de/kirchnerneu.htm


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Poster for Opera by Francois and Victor ClericeAffiche pour l’Opéra : Le Chevalier d’Eon
Francois and Victor Clerice, 1908
AB 1916 L Clauss La femme et le pantin Librairie Charpentier et Fasquelle,Illustration pour La femme et le pantin
L.Clauss, 1916, Librairie Charpentier et Fasquelle

Deux trouvailles d’illustrateurs ingénieux :

  • à gauche l‘ombre invertie du marionnettiste ;
  • à droite la femme de chair piétinant l’ombre du pantin, au centre de sa toile d’araignée.



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AA 1909 Angel Zarraga, La femme et le pantinLa femme et le pantin
Angel Zarraga, 1909, Museo Andrés Blaisten, Mexico
AA 1914 Pierrot malade fderico beltran massesLe premier-né (El primogenito)
Federico Beltran Masses, 1914

Le peintre mexicain Zarraga a peint ce tableau juste après un retour aux sources en Espagne, dans l’atelier de Zuloaga : il s’agit explicitement d’une illustration non pas du roman, mais du titre de Pierre Louÿs. La Femme y apparaît debout et avec toutes les armes de son sexe (la nudité et les bijoux) tandis que le Pantin, mi Pierrot mi clown blanc, est affublé de dentelles et d’une robe fleurie.

Dans le « Premier-Né » de Federico Beltran Masses, Pierrot et Colombine deviennent un couple transgressif où un vieil enfant prolongé, aux membres interminables engoncés dans des linges blancs, anguleux et maladif, fait ressortir d’autant les courbes voluptueuses de sa « mère ».

Revenu en Espagne où il est né, sulfureux ou souffreteux, le Pantin de Louÿs ne trouble en aucun cas la placidité de la Nudité glorieuse à laquelle il est confronté.



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Marionnettes siciliennes

1903 Sargent-MarionettesMarionnettes (derrière le rideau)
Sargent, 1903, collection privée.
1912 De Maria Berghez Ettore, Rinaldo e Armida Galleria d'Arte Moderna, PalermoRenaud et Armide
Ettore De Maria Berghez, 1912,  Galleria d’Arte Moderna, Palerme

Le peintre américain s’intéresse à la technique exotique des baguettes, mais la portée de la composition va bien au delà, avec ces trois jeunes gens en blanc manipulant les passions humaines au profit de deux adultes en noir (le chef-marionnettiste et le spectateur). Sargent a conservé ce tableau toute sa vie et l’a légué à ses descendants.

Le peintre sicilien rappelle que la figure de la Femme qui manipule le Héros existe depuis bien longtemps dans la littérature nationale (La Jérusalem délivrée, du Tasse).


Sophia Loren at the Venice Film Festival in 1958
Sophia Loren, Festival du Film de Venise, 1958



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Edmund_Joseph_Sullivan_-Le Roi S'Amuse, 1910. Illustration to 'The French Revolution A History' by Thomas CarlyleLe Roi s’amuse (Illustration pour ‘The French Revolution A History’ par Thomas Carlyle
Edmund Joseph Sullivan, 1910

C’est ici Marie-Antoinette qui incarne une opulente marionnettiste.



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1910 ca Carte postaleCarte postale, 1910 1910 ca von BayrosFranz von Bayros, 1910

En version populaire ou en version raffinée, le thème est désormais solidement ancré.


1910-12-09 Regina Badet au theatre Antoine

Régina Badet au Théâtre Antoine, 1910


Pieter van der Hem Pulling the Strings 1911

Tirer les ficelles
Pieter van der Hem, 1911

Il permet de tirer les ficelles d’un masochisme et d’un lesbianisme discrets.


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1913 Georges LepapeLa Femme et les Pantins
Georges Lepape, 1913
1913 HerouardLa Femme et le Pantin
Herouard, 1913

En style commedia dell’arte, le Moche offre vainement un bouquet somptueux quand le Beau peut se contenter d’une rose.

En style Parisien Polisson, c’est l’Homme de la Rue qui est préféré au Peintre, au Poète, au Juge, à l’Officier, au Député, au Monarque et au Moine, à l’issue d’un exercice d’élasticité comparée.

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1914 Nice Mossa1914 1915 Nice Mossa1915

Affiches pour le Carnaval de Nice, Gustav-Adolf Mossa

En 1915, la Ville de Nice personnifiée fait danser au son de ses grelots la population ficelée. Par contraste avec le joyeux Pantagruel affichiste de l’année précédente, cette image ambigüe, qui se rattache aux géantes fatales de Mossa, ne peut manquer d’évoquer la folie régnant sur le monde.

Sur l’état d’esprit de l’artiste à cette époque, voir Diane ZORZI, L’œuvre de Gustav-Adolf Mossa pendant la Grande Guerre 1915-1918, https://hicsa.univ-paris1.fr/documents/file/9-Zorzi-Mossa.pdf


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Et deux calamités arrivèrent : les Suffragettes et la Guerre.


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1916 Vote Suffragettes Postcard

« Je fais s’asseoir les petits garçons »
I’m making the boys sit up

Carte Postale en faveur des Suffragettes, 1916

Quadruple sens pour cette petite carte postale. Les garçons n’ont plus qu’à s’asseoir :

  • pour assister au spectacle ;
  • époustouflés par la marionnettiste ;
  • parce que ce sont eux les pantins ;
  • une fois les femmes élues.


1918 herouardmarionnettes-parisiennes-puppets-hprints-comDeux héros qui se vouent à tous les seins
Hérouard, La Vie Parisienne, 1918
1919-umberto-brunelleschi-marionette-puppet-harlequin-art-deco-style-hprints-comE finita la tragedia… la comédie recommence
Umberto Brunelleschi, 1919


 

Julien Mandel Alice Prin (Kiki de Montparnasse) 1920 ca Studio Armand Noyer (AN) A1 NUDE AND DOLL Julien Mandel Alice Prin (Kiki de Montparnasse) 1920 ca Studio Armand Noyer (AN) A3
Julien Mandel Alice Prin (Kiki de Montparnasse) 1920 ca Studio Armand Noyer (AN) A4 Julien Mandel Alice Prin (Kiki de Montparnasse) 1920 ca Studio Armand Noyer (AN) A5 Julien Mandel Alice Prin (Kiki de Montparnasse) 1920 ca Studio Armand Noyer (AN) A5a

Julien Mandel Alice Prin (Kiki de Montparnasse) 1920 ca Studio Armand Noyer (AN) A7

Vers 1920, Julien Mandel, 1920, Studio Armand Noyer (AN)

Cette modèle qui est sans doute Alice Prin, la bientôt célèbre Kiki de Montparnasse, relance le thème sulfureux au tout début des années folles.



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Max Bruning 1920 ca Les poupees Port folio Map. F. Schemann, LeipzigLes poupées Max Bruning 1920 ca Opium Port folio Map. F. Schemann, LeipzigOpium

Max Brüning, vers 1920 Port folio F. Schemann, Leipzig

Sur les douze gravures de la série, Max Brüning en consacre deux à des marionnettes, illustrant deux extrêmes de la condition masculine :

  • dans la version cosmopolite, la natte sert de laisse au chinois féminisé, supplanté par un Pierrot lubrique ;
  • dans la version destroy, la pipe démesurée explique l’effroi de la fille.


Max Bruning Ex libris Dr Werner WolffEx libris Dr Werner Wolff, Max Brüning

Dans un contrejour spectaculaire, la marionnettiste piétine la Liberté et la Tragédie, en manipulant la baguette de la femme qui se croit maîtresse.


1922_vald_es_polichinelleDécidement, Polichinelle sera toujours un mauvais farceur
Vald’es, 1922

Dans cette version parisienne, au contraire, la marionnette réussit ce qui est impossible au passant : voir ce que cache la robe.


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Harry Clarke 1922 The Fairy Tales of Charles Perrault
Harry Clarke, 1922, The Fairy Tales of Charles Perrault, p20 et 21

Ces deux bas de page élégants et subtils sont liées par la même idée d’une Fatalité qui tire les ficelles :

  • à droite est illustrée non pas la fable, mais la moralité du Petit Chaperon Rouge : à savoir que toutes sortes de loups « suivent les jeunes Demoiselles, jusque dans les maisons, jusque dans les ruelles «  ;
  • à gauche, l’introduction de Thomas Bodkin se clôt par une Fée avec sa baguette, dont on ne sait si elle va unir ou dissocier le couple.

Pour accéder au livre : https://archive.org/details/fairytalesofchar00perr/page/20/


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1923-rene-vincent-le-sexe-fort-puppet-marionette-hprints-comLe sexe fort
René Vincent, 1923, La Vie Parisienne
leo-fontan-September 1923-eros magazineLéo Fontan, Septembre 1923, Eros magazine

Mais les Fondamentaux reviennent la plupart du temps : l’homme des Années Folles aime se voir en chiffe molle, inerte ou suppliante.


Georg Erler Georg Erler 1925 ca exlibris Emil Netter Ex Libris Emil Netter, vers 1925

Georg Erler 

La Guerre a définitivement remis à leur place dérisoire les hommes à couvre-chefs qui pensaient régenter le monde.


Michel Fingesten exlibris emil netter

Ex Libris Emil Netter, Michel Fingesten 

Emil Netter était visiblement un amateur du thème de la femme-araignée, qui attrape sa proie au bout d’un fil.


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1926 Femme Pantin1926, La Femme et le Pantin 1928 LA FEMME ET LE PANTIN Conchita Montenegro Raymond Destac1928, affiche suédoise pour le film  de Jacques de Baroncelli, LA FEMME ET LE PANTIN, avec Conchita Montenegro et Raymond Destac

1927 Jean Gouweloos La Femme et le Pantin Musee Charlier, Bruxelles

La Femme et le Pantin
Jean Gouweloos, 1927, Musée Charlier, Bruxelles

Petites ou grandes, en chemise ou nues, en dessin ou en peinture, verticalement ou horizontalement, les Femmes s’amusent avec leur Pantin, en extension ou flagada.


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1931 ou 36 Pierre Dionisi La femme et le Pantin ParisLa femme et le Pantin
Pierre Dionisi, 1931 ou 36
1933 norman-lindsay-puppet-danceLa danse du Pantin
Norman Lindsay, 1933
1936-georges-leonnec-la-femme-et-le-pantin-sexy-looking-girl-topless-puppet-hprints-comLa femme et le Pantin
Georges Leonnec, LaVie Parisienne, 1936

Sorti de son pot à volonté, dégonflé et regonflé à loisir, le Pantin revêt  un caractère de plus en plus scabreux.


1934 Les fleurs du mal. ed Le Vasseur Manuel Orazi frontispice gallicaFrontispice  1934 Les fleurs du mal. ed Le Vasseur Manuel Orazi Hymne a la Beaute p 41Hymne a la Beauté, p 41

Illustrations de Manuel Orazi  pour « Les fleurs du mal », éditions Le Vasseur, 1934, gallica  



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l-ange-bleu-couverture_revue_1930L’Ange Bleu
Couverture de la revue Das neue Film Programm, 1930
https://artifexinopere.com/wp-content/uploads/2016/04/l-ange-bleu-1930.jpgL’Ange Bleu
Affiche française, 1930

C’est seulement en 1935 que Von Stroheim mettra à l’écran La femme et le Pantin (The Devil Is a Woman) avec  Marlène Dietrich. Mais dès 1930 les deux avaient inauguré leur collaboration fracassante avec un thème tout aussi sulfureux, bien qu’il n’y a pas à proprement parler de pantin au bout d’un fil dans l’« Ange Bleu ». La richesse de l’histoire tient à ce qu’elle oscille entre deux thèmes contradictoires :

  • à gauche, la vision « Doctor Unrat » : celle de la femme-poupée qu’il sera facile de ployer, à l’image des branches de lunette ;
  • à droite, la réalité : celle de l’homme-clown manipulé de toutes parts.

Si Unrat avait fixé son attention sur le haut-de-forme plutôt que sur les bas, peut-être aurait-il évité de finir la tête enfoncée dans ce faux-col vaginal :

du danger d’interchanger les symboles sexuels !



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1934-03-SpicyStories

Spicy Stories
Edition de Mars 1934

En passant l’Atlantique, le thème va revenir à sa simplicité originale, et s’adapter à l’imaginaire local. Le Pantin n’est plus un looser désigné, mais un homme qui a les moyens de rendre le match intéressant : le Millionnaire avec son haut-de-forme, insigne de puissance et de virilité.


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1940 ca Doll dance

Danse de poupées
Vers 1940

Dans ce numéro burlesque de danse en miroir, Rene doit suivre les mouvements d’Arlette la marionnette, bien sûr sans la regarder. On se demande ce qui est le plus apprécié dans ce spectacle : la perfection de la coordination, la plastique de la chair exaltée par celle du bois, ou bien le vieux fantasme de plier à sa volonté une Géante, par la seule force de la pensée.



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1945 ca Elvgren Jack In BoxJack In The Box
Pinup de Gil Elvgren, vers 1945
1949 (March ) elvgren-theyre_easy_to_handle when you know how« Ils sont faciles à mener quand on sait comment »
« they are easy to handle when you know how »
Pinup de Gil Elvgren, mars 1949

Même monté sur ressort, portant une moustache irrésistible et coiffé de son symbole phallique substitut de celui de Pinocchio, le Millionnaire n’est pas de taille à impressionner la pinup.

Lorsqu’il est à fil, noter que c’est la main droite qui manipule avec agilité les parties supérieures, tandis que la main gauche suffit à agiter la canne et les guibolles.



sb-line1950 ca Danse macabre

Danse macabre
Vers 1950

Même technique chez cette blonde et cette brune, spécialistes du dépouillement jusqu’à l’os.

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PETER DRIBEN - Getting Gertie's Girdle - Feb 1953 Flirt magazineGetting Gertie’s Girdle
Peter Driben, Février 1953, Flirt magazine
Bill Randall May 1953Bill Randall, calendrier Mai 1953

La pin-up de gauche expose, un par jambe et par sein, les deux  qualités masculines nécessaires pour la satisfaire : l’argent et le muscle.

Celle de droite fait danser les hommes, jusqu’à ce qu’elle se retrouve prise à son propre piège.


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1953 Jantzen

Et vous pouvez vous pencher, 1953, Publicité pour les gaines Jantzen

Preuve de l’efficacité de la gaine, un mannequin de bois prouve à ses deux marionnettes humaines, la femme en tenue de gala et celle en tenue d’extérieur, que leur taille est aussi souple que la sienne.


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1956 Mahlon Blaine garden-of-eden

Le Jardin d’Eden
Mahlon Blaine, 1956, Collection privée

Dans cette oeuvre dédicacée au magicien Dunninger, Blaine nous montre un Diable marionnettiste, aux seins de femme et au collier de serpent, rejouant de ses deux mains griffues la scène de la Pomme, tandis que l’Ange vengeur attend de rentrer en scène.


1956 Mahlon Blaine garden-of-eden detail

Pour un illustrateur réputé déjanté (voir sa biographie sur http://grapefruitmoongallery.com/9449) , une logique subtile est à l’oeuvre : pour la saisir, il suffit de suivre les dix fils.

1956 Mahlon Blaine garden-of-eden fils

  • aucun ne mène à la figurine du serpent : le diable ne se manipule pas lui-même ;
  • cinq fils partant de sa main droite (en bleu) animent Eve : ses deux pieds, son torse, sa tête et sa main gauche qui tend la pomme à Adam ;
  • un fil supplémentaire partant de sa main gauche (en jaune) se dirige, sans l’atteindre, vers la main droite d’Eve ; celle-ci fait le geste traditionnel de la réception de la Parole, paume à l’avant, face à la tête du serpent ;
  • les quatre autres fils partant de la main gauche animent Adam : ses deux pieds, sa tête et sa main droite, qui enlace la hanche d’Eve.

Autrement dit : la pomme est manipulée par le Diable : mais aucun fil n’oblige Eve à écouter le Serpent, aucun n’oblige Adam à accepter la pomme.

Même chez les Pantins, il n’y a Péché que s’il y a Liberté.



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1963 Amorella Rhodia

Les tissus Amorella 1963 rayonnent dans le monde entier, 1963, publicité pour les tissus Rhodia

Les fils évoquent astucieusement et le produit (la rayonne), et le slogan.



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She was eager to be taught each new step of the strange illicit dance of desire Midwood-F371-1964
 
Pretty puppett
Editions Midwood, N° F371, 1964 

Comme souvent, la brune sulfureuse initie la bonde candide, « impatiente d’apprendre chaque nouvelle étape de l’étrange et illicite danse du désir ».


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1984 Boris Vallejo_

1984, Boris Vallejo

Manipulation à double étage.


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Femme et marionnette

Femme et marionnette
Illustrateur inconnu, date inconnue

Au nombre de fils, cette Cruella est gagnante, si on oppose la densité de sa chevelure et la rigueur de ses résilles bien tendues, aux six ficelles lâches du pantin qu’elle envoie balader du bout d’un ongle.


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2008 Fiona StephensonFiona Stephenson, 2009
2009 Fiona StephensonStick 'em UpFiona Stephenson, 2008

En soubrette pour Milliardaire en chapeau claque, ou en cowgirl pour Latino en sombrero : même manière de ridiculiser les machos.


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sally moore playtimePlaytime
Sally Moore 
Svetlana Mishchenko-Sapsay Pouvoir 2013Pouvoir  Svetlana  Mishchenko-Sapsay, 2013

Brune au blonde, femme-enfant ou femme fatale : deux exemples récents d’autoportraits aux marionnettes.



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2010 ca Keith GarveyKeith Garvey
2010
michael-oswald play with mePlay with me
Michael Oswald

Deux figures de style pour pousser le thème aux limites :

  • le réductionnisme : le Pantin comme pantin ;
  • l’auto-référence : le Pantin comme son propre Marionnettiste.


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michael-cheval

Evolution
Michael Cheval, vers 2013

Michael Cheval Evolution 2015

Evolution
Michael Cheval, vers 2015

Enfin, la mise en abyme (voir L’effet Droste).

A noter la hiérarchie décroissante (en taille et en sophistication) :

  • la Marionnettiste en chair, en os et en bicorne,
  • le Fou en tissu et chapeau à grelots,
  • le Pantin en bois et chapeau à pompon,
  • le bout de tissu pendu à un seul fil, qui constitue la réduction ultime de la Marionnette.

Voici ce que dit l’artiste de ce tableau :

« Selon la théorie de Darwin, tout évolue du primitif au complexe. En fait, tout dans notre vie est  sujet à cette loi. Les relations sociales et personnelles croissent en développant des complications. Les systèmes plus développés contrôlent le système primitif. Cela peut être illustré par l’exemple du théâtre de marionnettes, où un humain contrôle une belle poupée avec une tête de porcelaine qui contrôle à son tour une poupée en bois, qui gère une poupée de chiffon qui ressemble à un homme. Ne semble-t-il pas la même chose dans notre société ? « 

https://www.parkwestgallery.com/6-michael-cheval-artworks-explained-by-the-artist/36934

Dans cet enchaînement de causes, chacune ne maîtrise qu’une cause qui lui est inférieure en terme de degrés de liberté : mais qui, en haut de la chaîne, manipule la Marionnettiste ? Ne serait-ce pas cet arbre dangereux (qui semble un nid de lianes rembobinées sur elles-mêmes ) ou ce ciel qui s’obscurcit jusqu’à a complète opacité  ?


Will Wilson Pulling-Strings-1994

Pulling Strings
Will Wilson, 1994

Ici tout pend au bout d’un fil : les astres dorés, les grelots, les mains… et ce que le manipulateur  manipulé manipule.


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Alphonse Inoue Exlibris Alphonse Inoue Exlibris 1
Alphonse Inoue Exlibris 4 Alphonse Inoue Exlibris 3

Alphonse Inoue est un graphiste japonais contemporain, qui renoue avec la formule des Ex Libris, ces sortes de Vanités orgueilleuses, à usage privé mais à vocation universelle, où les jeunes filles et les squelettes ont toujours fait bon ménage.


En politique

Où la domination à dénoncer n’est plus celle de la Femme Fatale, mais de ceux qui tirent les ficelles.

JS Pughe The EuroPean concert Puck 5 mai 1897The European concert, JS Pughe, Puck, 5 mai 1897

Vu d’Amérique, c’est le tsar qui dirige l’orchestre des nations européennes.


Joseph Keppler The living issue Puck 6 juin 1900

Difficile de rester vivant (The living issue), Puck, 6 juin 1900

Joseph Keppler His First War Hero Puck 1er janvier 1901 Guillaume II Waldersee

Son premier héros de guerre (His First War Hero), Puck, 1er janvier 1901

Joseph Keppler

Dans ces deux caricatures, Joseph Keppler utilise la même composition pour dévaloriser sa cible :

  • Bryan, candidat battu d’avance à la présidentielle, fait semblant de bouger encore ;
  • le maréchal Waldersee, envoyé par Guillaume II pour mater la révolte des Boxers, n’est qu’un pantin.


Les paroles et les actes Achille Lemot dans Le Pelerin (1909)Les paroles et les actes, Achille Lemot dans Le Pelerin (1909)

Clémenceau est ici dénoncé à la fois :

  • comme marionnettiste, agitant les épouvantails du cléricalisme et de la démission ;
  • comme pantin de son ambition, des Juifs, des Francs-Maçons, des Socialistes et des Anglais.


Louis Morinet 1915 Les marionnettes du Pantin
Les marionnettes du Pantin, Louis Morinet, 1915

Durant la guerre, Guillaume II deviendra à son tour un pantin à découper qui manipule ses marionnettes (le sultan, l’empereur d’Autriche, le roi de Bulgarie).


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Caricature de Der wahre Jacob. Nr. 514. 1906

Caricature tirée de  la revue anticléricale « Der wahre Jacob »,  Nr. 514. 1906

Dans la grande tradition des danses macabres, cette Mort marionnettiste illustrait la charge  ci-dessous :

Les tambours vous entourent
Tant que vous avez des paillettes
Vous qui êtes comme des jouets
Dans la main du Destin géant
Vous, robe, couronne, ruban –
Profitez bien de votre temps!
Rappelez-vous, une fois que la marée tourne,
Le bateau du bonheur a une voie d’eau,
Le géant est fatigué de son jouet
Et vous jette dans la boue.
Tant que la petite lampe est allumée –
Une fois que le grand coup de balai approche,
Votre danse arrive à sa fin !
Drum tummelt euch im Flitterstaat,
Die ihr ein Spielzeug in der Hand
Des Riesen Schicksal seid —
Ihr, Kutte, Kron’ und Ordensband —
Genießet eure Zeit!
Bedenkt: einst wendet sich das Blatt,
Das Glücksschiff kriegt ein Leck,
Der Riese hat sein Spielzeug satt
Und wirft euch in den Dreck.
So lang das Lämpchen brennt —
Wenn einst der große Kehraus naht,
Ist euer Tanz zu End’!

Origine : http://www.payer.de/religionskritik/karikaturen10.htm


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Alberto Martini 1916 Danza macabra Europea 2 Atto della danza, N°2 1er acte de la danse macabre européenne

Alberto Martini 1916 Danza macabra Europea 51 Le pantin bocheN°51 Le pantin boche (Constantin Ier de Grèce)

 Alberto Martini, 1915, série de cartes postales : La Danza macabra europea

Deux images de cette série violemment anti-germanique montrent le Mort tirant les ficelles des têtes couronnées de la Triplice.


Alberto Martini 1916 Danza macabra Europea 27 Le militarisme allemand et le pantin N°27 Le militarisme allemand et le pantin

Alberto Martini 1916 Danza macabra Europea 21 La purification de l'armee prussienneN° 21 La purification de l’armée prussienne

Guillaume II y reçoit un traitement de faveur, en pantin ou en soudard efféminé (l’affaire Harden-Eulenburg est un scandale d’homosexualité au sein de l’armée allemande en 1907).

Pour l’intégralité des trois premières séries, voir http://vnicbibhbr01.cloudapp.net/EXPLOITATION/la-danza-macabra-europea-1915.aspx.


1924-jack-abeille--la-femme-et-le-pantin-marianne-le-sourire-cover-hprints-com

La femme et le pantin, ou Marianne et l’électeur
Jack Abeille, 1924, Le Sourire

Affiche anticommuniste France 1936Affiche anticommuniste, France, 1936

Affiche de l'exposition antimaconnique de Belgrade, 1941Les juifs tirent les ficelles. Lesquelles et comment ? Toutes les réponses à l’exposition  antimaçonnique . Belgrade, 1941

John Heartfield, AIZ, August 10, 1933 L'outil dans les mains de Dieu Le jouet dans celles de ThyssenL’outil dans les mains de Dieu ?
Le jouet dans celles de Thyssen !
Montage antinazi de John Heartfield, AIZ, August 10, 1933

soviet-antireligious-posterAffiche soviétique antireligieuse, 1936

Pope, prêcheur de secte, mollah, rabbin – tous prêchent la “doctrine”, qui est étrangère au communisme. Ne soyez pas trompés – libérez-vous de la drogue de la religion !

3.2 Guignols, poupées, masques

23 avril 2016

Guignols

Rarement la Femme Fatale lâche ses fils et fourre directement sa patte dans la gaine : contact direct qui annihile la domination distinguée et fait de la Marionnettiste la complice, plutôt que la maîtresse de sa Chose.



Exposition de Haute Couture Liege 1907 Salle Du Continental

Exposition de Haute Couture, Liège, 1907

La marionnette est vêtue dans le même style que l’élégante, mais pas identiquement : manière de dire que la Haute Couture satisfait à la fois le désir de suivre la mode et celui de rester unique.



1904 Victor Mignot La Femme au Pantin

La Femme au Pantin
Victor Mignot, 1904

A en croire la petite Tour Eiffel qui clipse  le rideau, cette lithographie embarrassée doit vouloir représenter une Parisienne mettant en extension les membres supérieurs d’un vieux Beau. L’air furibard  de la marionnette s’oppose à toute interprétation extatique. A moins qu’il ne faille comprendre que, justement, elle se plaint de ne pouvoir dresser que les bras.



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1911 Leymarie La femme et le Pantin

La femme et le Pantin
Leymarie, Salon de 1911

Ici encore, l’artiste a du mal à maîtriser son sujet. A la Beauté absorbée dans la contemplation de son miroir tandis qu’on la pédicure, un Faune soumet un pantin rouge, bras dressés, qui doit bien représenter quelque chose. D’autant que les chaussures vides du premier plan, ainsi que l’urne qui passait par là, soulignent la disponibilité de la Dame.


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1918 armengol guignol-hprints-com

Le Confident discret
H.Armengol, Fantasio, 1918

« A son Guignol silencieux,
N’en craignant pas les bavardages,
Elle peut, plaisir silencieux,
Conter tous ses marivaudages »

  • Au premier degré, cette illustration gentillette a au moins le mérite d’assigner au  pantin un rôle cohérent  : celui du confident discret ;
  • au second, on peut se demander si l’air désolé du Guignol et sa natte qui pendouille dans le dos, ne titillent pas le thème plus affriolant du spectateur muet, les bras levés symbolisant son impuissance à prendre part.


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Les Eternels Pantins
Maurice Pépin, le Sourire, Février 1918

Où se confirme une nouvelle fois la valeur érectile des bras levés : la belle femme fait manifestement de l’effet à la marionnette mâle, tandis que sa femelle l’attend avec son gourdin.  Les couleurs noir et rouge des pompons du chapeau et des chaussures reprennent celles du couple de créatures : accessoires parmi d’autres de l’Eternel Féminin.


sb-lineTheatre_Magazine_cover_1921-08Theatre Magazine, Août 1921

De ses poches pleines, la marionnettiste a sorti deux favoris qui s’opposent : un soupirant du temps jadis et un des temps modernes.


sb-line

1921 Icart

 Les deux amies et les marionnettes
 Icart, 1921

Après avoir épuisé  Pierrot, le Gendarme et Guignol (reconnaissable seulement à son chapeau noir), les deux amies s’en prennent à un Gnafron qui a tout du richard en goguette : il s’agit probablement d’un clin d’oeil  d’Icart à Thomas Couture, puisque ces quatre types de victimes correspondent exactement à ceux de La Courtisane moderne (voir 1 Les pantins précurseurs) : la Poésie, le Courage, la Jeunesse et la Richesse.


Encre de Lusche vers 1930

Encre de Lusché, vers 1930.

Même thème en plus explicite, réduit à deux victimes consentantes : le Clown blanc et l’Auguste.

Poupées

Sous la Femme Fatale, la Femme-enfant. Et sous le Pantin, la poupée...

Rassenfosse

Armand Rassenfosse le joujou 1892Le joujou, Rassenfosse, 1892 1896 rassenfosse poster-for-salon-des-centAffiche pour le Salon des Cent, Rassenfosse, 1896

Ces deux illustrations très ropsiennes datent d’avant le livre de Pierre Louÿs.

A gauche, une prostituée soumet le  pantin à l’érection simultanée des quatre membres. A droite, la Folie examine à la loupe une femme moderne, comme pour s’assurer que cette miniature d’elle-même est fidèle à l’original.

Il suffit de les comparer  avec l’oeuvre qui suit pour comprendre comment le livre a pu cristalliser en un thème chimiquement pur ce qui était jusqu’alors le sujet de fluctuantes variations symbolistes.


1898 rassenfosse-illustration La femme et le Pantin livre pierre Louis

Illustration pour La femme et le Pantin, Rassenfosse, 1898

Dès cette toute première exposition sont mises à jour toutes les oppositions binaires du thème   :

  • femme géante contre homoncule,
  • nudité contre habits de soirée,
  • posture fière contre avachissement,
  • chatte contre souris.

Les effets de lumière accentuent le suspense théâtral : la femme blanche à l’ombre noire va-t-elle laisser choir le pantin, du halo lumineux où elle l’exhibe vers l’obscurité du sol qu’il n’aurait  pas dû quitter ?

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L’homme aux poupées

Jean Veber, Salon de 1896

1896 Jean Veber L homme aux poupees

Cet étrange tableau, aujourd’hui disparu, rendit perplexe les commentateurs du Salon :

« L’enseignement moral de cette allégorie, en tout cas le morceau capital c’est l’insolente nudité d’une grande fille qui s’étale, jambes ouvertes, près de notre rêveur de chimères, sans qu’il daigne y jeter les yeux. Revanche, appel, ironie de la réalité méprisée ? Mystère. » [3]

Le mystère ne s’expliquera qu’en 1899, avec la parution de « L’Homme aux poupées », de Jean-Louis Renaud, avec quinze illustrations par Jean Veber.[1]

1899 Jean Veber Illustration pour l'hom

Illustration pour « L’homme aux poupées »
Jean Veber, 1899



Voici l’histoire dans ses grandes lignes   :

Le héros, « Menzel a une manie, qu’il satisfait à heure fixe. Chaque jour, à deux heures de l’après-midi précises, il entre dans une pièce plongée dans la pénombre et habitée par un petit peuple nombreux : ses poupées… Son plaisir est de les contempler, de les caresser, de les ranger. De les réparer aussi… Car cet excentrique s’est mis en tête que ses poupées ont, sinon une âme, du moins une sensibilité, qu’elles aspirent à vivre, qu’elles vivent, même, sous son regard et de son amour… Plus rien d’autre ni personne n’a d’importance à ses yeux, et certainement pas cette femme, Yane, actrice rencontrée un soir à l’opéra et qui l’importune, depuis, de ses assiduités. Elle est belle, pourtant, Yane, à faire tourner les têtes…. Comme la douceur et l’humilité n’ont pas l’effet escompté, elle passe à la vitesse supérieure et se dévêt devant lui, qui n’a d’yeux que pour une poupée, nue elle aussi. Alors, « humiliée, vaincue », prise à son tour de folie, une folie homicide, voilà qu’elle met en pièces le peuple des poupées sous les yeux effarés de leur roi, étrangement inerte… Prise de pitié et de remords, Yane prend alors pour le consoler l’apparence d’une poupée, ou d’un automate, le rôle d’Olympia des Contes d’Hoffmann d’Offenbach dans lequel Menzel l’avait vue la première fois, à l’opéra. » Résumé par Laurent Martin  [2]


L'Homme aux poupees affiche de film 1909 par Rodolphe Bereny

Affiche pour le fim « L’Homme aux poupées »,
Rodolphe Berény, 1909

Voici le stade final de cette transformation. A noter que, malgré le mode d’emploi détaillé (Haut-Bas-Fragile),  l’opulence de la Femme Début de Siècle  rend problématique sa chosification, à laquelle se prêtait  mieux l’exsangue Femme Fin de Siècle.


1899 Jean Veber Illustration pour l'homme-aux-poupees 2

Illustration pour « L’homme aux poupées »
Jean Veber, 1899

Cette précoce apparition du thème de la femme-objet flirte avec le fétichisme masturbatoire, mais relève également du fétichisme au sens religieux, selon l’analyse passionnante de Laurent Martin :

« La poupée, a fortiori l’automate en laquelle Yane doit se muer pour attirer l’attention de Menzel, est un être ambigu, matière inerte modelée à la semblance de l’humain, double sublimé du corps organique, qui participe de la matière et de l’esprit, à mi-distance de l’animé et de l’inanimé, mais aussi du profane et du sacré, à la fois jouet et idole. » [2]

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1902 F.Bac La reine du BalLa reine du Bal,
F.Bac, 1902
1902 ca Le lilliputienLe lilliputien
Wilhelm Schertel, date inconnue

Ces deux versions illustrent toute la richesse stylistique et métaphorique de la Belle Epoque : tandis que la femme-liane attire dans son cercle solaire, du bout de son éventail,  son Admirateur minuscule, la Garçonne dépoitraillée se moque gentiment de son Adorateur.


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1903 The San Francisco call December 27

The San Francisco call, 27 décembre 1903 

Au nouvel an, la fille moderne laisse tomber le vieux beau de l’année d’avant, démantibulé, pour en prendre un tout neuf, qu’elle va pouvoir faire tourner entre ses deux baguettes

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1917 ando fantasio

Chasseresse
Ando, Fantasio, 1917

« Si la chasse du gibier est interdite, la chasse à l’homme est toujours ouverte ».

Plutôt culotté, en pleine guerre mondiale, de tirer au pigeon des barbons et des généraux : manière de dire que c’est tout ce qui reste à l’arrière ?


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1917 Marion Davies by Henri Clive Ziegfeld FolliesMarion Davies par Henri Clive, Ziegfeld Follies, 1917 1919 Vargas Bessie LoveBessie Love,Vargas,1919

Deux idoles de l’Epoque, chacune avec son pantin mâle : la blonde a choisi le noir, la brune  préfère le blanc.


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1920 ca postcard-chcago-arcade-card-exhibit-supply-company-pin-up-woman-by-table-with-woman-puppet-Carte postale, vers 1920, Chicago 1920 ca postcard-chicago-exhibit-supply-company-arcade-card-pin-up-woman-in-scarf-with-puppet
Carte postale, vers 1920, Chicago

Même fille et même poupée : seuls changent le tissu de la robe et la hauteur du portage.


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Carte postale, vers 1920
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Barbebleuette, Profiteuse, Del Marle, 1920

Jouer avec leur poupée intéresse encore les grandes filles. Certaines n’en ont qu’un, d’autres en un plein placard (numérotés de un à six comme les femmes de Barbe-Bleue).


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1922 Milliere La-Vie-Parisienne-La-Femme-et-le-Pantin
La Femme et le Pantin, Maurice Milliere, 1922, La Vie Parisienne« Et maman qui dit que je suis trop grande pour jouer à la poupée »
xxx Tu las bien dans le tiroir
« Tu l’as bien dans le tiroir, cette fois ! »

L’expression est attestée dès 1867… http://www.languefrancaise.net/Bob/5147



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1924 Fabius Lorenzi RivaliteRivalité, Fabius Lorenzi, 1924 1925 La Vie Parisienne Rene Vincent.La femme et ses pantins, René Vincent, La Vie Parisienne, 1925 
1929 Koister les-fetiches-a-la-mode-carte postaleKoister, Les fétiches à la mode, Carte postale, 1929

Le


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Eugene Reunier

La mariée, Eugène Reunier, années 20

Auréolée par un coeur ambigu, cette mariée réduit à l’essentiel son jouet en haut de forme.


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1929-maurice-milliere-la-femme-et-le-pantin-the-puppet-hprints-com
La Femme et le Pantin, Maurice Millière, 1929
1922 zaliouk-la menagerie de Line hprints-comLa ménagerie de Line
Zaliouk, 1922

Cherchez le Pantin ou cherchez le Singe : la réponse est dans le cadre.


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Privat Livemont 1931 Jeune femme nue aux poupees coll privee
 
Jeune femme nue aux poupées
Privat Livemont, 1931, collection privée

Lassée des poupons, de la mode et de la Commedia dell’Arte, la grande fille se consacre désormais à l’exotisme.



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Dream Man Earle K. Bergey Cover for La Paree - October, 1935L’homme idéal (Dream Man), Earle K. Bergey,  Couverture pour La Paree, Octobre 1935 1953 edward-runci-They're Easy To HandleIls sont faciles à manier (They’re Easy To Handle),
Pinup de Edward Runci,1953

Blonde Girl With Puppet - Driben - 1938

Peter  Driben, 1938

Qu’il ou elle soit de papier ou de chair , toujours la Femme domine ses pantins.

1958 Bardot

 Brigitte Bardot dans  « La Femme et le Pantin »
Phtographie de Robert Doisneau, Paris, 1958



Masques

La Femme et le Masque est un thème ancien et très large, qui  évoque la Comédie,  le Mensonge,  la Duplicité, la Comedia del Arte, la Fête Vénitienne etc…

Nous n’aborderons ici  que le  cas très particulier où le masque, par synecdoque, constitue le stade ultime du Pantin, décapité et évidé, réduit à une face vide.



Rops Heliogravure avant 1870 repris en 1889 comme Frontispice pour les Masques Modernes de Felicien Champsaur

Rops, Héliogravure (avant 1870) reprise en 1889 comme frontispice pour les « Masques Modernes » de Felicien Champsaur

Le thème de la femme nue brandissant un masque a été décliné par Rops dans sa série des Naturalia (voir 2 Les pantins de Rops). Mais la particularité de cette gravure est l’étalage de masques en trophées. En voici une description d’époque :

« Une aimable et plantureuse Folie, nue, debout, de face, doublement accoudée sur un entablement, supporte de sa main gauche gantée une tête coiffée de créneaux et panachée de flammes vives qui n’ont pu brûler le fil retenant à son crâne une grosse araignée. A ce signe distinctif, il est impossible de ne pas reconnaître le cerveau de Paris. Un bonnet phrygien, une marotte montée en éventail, un soupçon de ceinture maintenant à peine une batte, et un grand manteau dont les plis se couchent moelleusement à ses pieds composent le costume sommaire et suffisant de la belle fille.
Le socle de l’entablement porte des armes fantaisistes de Paris avec la devise : Fluctuat nec mergitur, enlaçant deux masques de personnages connus. Puis, au-dessus et dans le fond, accrochés, les masques d’Alexandre Dumas fils, Sarcey, Déroulède, Alphonse Daudet, Émile Zola, Aurélien Scholl, Charles Garnier, etc.  » Supplément au catalogue de l’œuvre gravé de Félicien Rops, par Erasthène Ramiro, 1885

L’auteur n’insiste pas sur la « batte » passée à la ceinture, instrument de dompteuse et attribut viril capturé.


Une explication visuelle (SCOOP !)

Les armes gravées sur le socle ne sont pas que fantaisistes : on y voit un bateau à aubes (modernisme) piloté par un amour ailé, et dont la vapeur, en sortant de l’écusson, fait écho à la flamme de la torchère.

Ainsi le sujet du socle – des parisiens jeunes et vieux réduit à des masques et gouvernés par l’Amour – explique la gravure dans son ensemble, mais en inversant les tailles : le grand écusson aux quatre créneaux devient le petit masque-torchère, et le petit Amour devient la grande dompteuse avec sa batte-gouvernail.


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1908 auguste francois gorguet The symbolism of the theater. Chromolithography for the newspaper, ComoediaAuguste Francois Gorguet
1908, Couverture de Comoedia, 15 décembre 1908, gallica

Dans cette révision aseptisée, la femme est le Théâtre et ceux qui la servent sont les masques des auteurs à la mode.


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1917 rassenfosse-la-marchande-de-masques-

La marchande de masques
Rassenfosse, 1917, Collection privée

Transposant l’idée de Rops, Rassenfosse transforme la dompteuse en montreuse, sur un théâtre de foire : tous ces masque de porcelaine sont ceux des hommes, jeunes ou vieux, beaux ou laids, qu’elle a mené à la baguette et dont elle a tiré les ficelles.   Tandis que tous ont les yeux clos, elle est la seule à les ouvrir, derrière son loup de velours.



1917 rassenfosse-la-marchande-de-masques-etude

La marchande de masques, Etude

Privée de son loup, la marchande de hasard redevient une Liégeoise ordinaire…

Pour un bon aperçu de l’oeuvre  de Rassenfosse : https://fr.pinterest.com/jeanjacqueswolf/armand-rassenfosse/


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1922 Masken LUDWIG LUTZ EHRENBERGER

Masques, Ludwig Lutz Ehrenberger, 1922

Ehrenberger importe le thème de Rassenfosse dans la Vienne des Années folles


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1916 Kirchner

Le Masque Japonais
Kirchner, 1916

La barbe et les yeux du drapeau redondent ceux du masque, pimentant le thème de l’impuissance par celui du voyeurisme. Comme souvent chez Kirchner, le japonisme fait passer l’érotisme.


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Femme entre crâne et masque
Ray Donley, 2006

La femme au masque de loup a vaincu le masque de porcelaine ; elle poursuit son tête à tête avec ce qui reste de son Jouet.


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Quatre chinoises de paravent
Léonnec, la Vie parisienne, 1920

C’est ici au titre de la chinoiserie que le masque vient se faire titiller par la fille du troisième panneau.


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Maurice Millière, Fanny, vers 1930

La modèle emblématique de Millière, Fanny, est  ici mise à contribution dans une oeuvre aux sous-entendus multiples, illustrant des expressions variées : tailler une plume, servir de cache-sexe, torche-cul : au final, il semble que la Presse ne soit pas particulièrement flattée.



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Choisissez, Mesdames !
Maurice Millière, 1930

 Ici j’ai les portraits frappants
De ceux qui seront vos amants.

Même thème, en plus explicite et en moins classieux.


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La femme et les pantins
Maurice Millière, 1918

Même thème : la cocotte admire sa dernière acquisition, qui lui sourit, tandis que les précédentes font la gueule.


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Les masques de l’Amour
Hérouard, 1919

« Voyez-les mes amoureux
Mon coeur hésite entre les deux
La poésie et la finance :
entre les deux mon coeur balance ».

Même thème, réduit par la Garçonne à un choix binaire entre le Lunaire et le Lubrique.



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1925-30 Charles Gates Sheldon Photo de Mary WessonPhotographie de Mary Wesson, vers 1920 Charles Gates Sheldon Portrait de Mary WessonPortrait de Mary Wesson, vers 1920
Charles Gates Sheldon Portrait of Mary Wesson vers 1920
Charles Gates Sheldon The Glorified American Girl, Brown and Bigelow calendar pin-up, 1932The Glorified American Girl, calendrier Brown and Bigelow , 1932
Charles Gates Sheldon Lady with Puppet, The Saturday Evening Post cover, October 31 , 1925Femme avec poupée, couverture du  Saturday Evening Post , October 31 , 1925 1925-30 Charles Gates Sheldon The PuppetLa marionnette, 1925-30

Charles Gates Sheldon

Photographe de charme et dessinateur de pinups, Charles Gates Sheldon a abusé des poupées, masques et marionnettes pour occuper les mains de ses girls.



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1925 Beauty and the beast vargas

La Belle et la Bête
Vargas, 1925

Ici, il ne reste plus que le dernier choix. Cinq ans avant King Kong, la Blonde n’a pas peur de faire enrager le Gorille.



Références :

[0] George Lafenestre, La Peinture aux Salons de 1896, Revue des Deux Mondes, 4e période, tome 135, 1896, https://fr.wikisource.org/wiki/La_Peinture_aux_Salons_de_1896
[1] Pour l’ensemble des illustrations de l’Homme aux Poupées, voir https://jeanveber.com/2014/09/22/lillustrateur/