L'artiste se cache dans l'oeuvre
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Monthly Archives: février 2017

Habillé/déshabillé : la confrontation des contraires

19 février 2017
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On ne compte plus les tableaux où une femme nue s’expose à côté d’un homme habillé : les Trois Grâces, les nymphes de tous poils, les saintes martyres, les modèles dans l’atelier ou les déjeuners sur l’herbe fournissent des prétextes variés à cette situation, très recherchée du point de vue masculin.


Nicolas Regnier - St Sebastian tended by the holy Irene ca 1650

Saint Sébastien soigné par Sainte Irène
Nicolas Régnier, 1626–30, Ferens Art Gallery, Hull

L’inverse, l’homme nu à côté d’une femme habillée, est beaucoup plus rare dans la peinture classique. Mis à part les sujets dont la caractère religieux désamorce l’inconfort de la situation (les Piéta, les Saint Jean Baptiste et Salomé, les Saint Sébastien soigné par Sainte Irène), on compte sur le bout des doigts ces confrontations explosives…

Amour et Psyche Gentilesch 1628-30 Ermitage Saint PertersbourgAmour et Psyche,
Gentileschi, 1628-30, Ermitage, Saint Pertersbourg
Johannes Cornelisz Verspronck Roman charity 1633-35La charité romaine Johannes Cornelisz Verspronck  1633-35, Collection privée

…quelques « Amour et Psyché », quelques « Charité Romaine » [1]

En dehors de ces situations sexuellement dangereuses, nous allons nous intéresser à des oeuvres où la chair nue interagit avec la chair habillée de manière chimiquement pure, soit entre deux hommes. soit entre deux femmes.

Pour le cas particulier de la confrontation entre une homme en armure et une femme nue, voir A poil et en armure



L’homme nu et l’homme habillé

Sweerts Clothing the naked 1661 MET
« Habiller le nu »
Michael Sweerts, 1661, Metropolitan Museum, New York

Le cadrage rapproché met en valeur le contraste entre la chair et le velours, sans qu’il soit ici nullement question de sensualité entre ces beaux jeunes hommes. La composition illustre les paroles de Jésus :

« Car j’ai eu faim, et vous m’avez donné à manger; j’ai eu soif, et vous m’avez donné à boire; j’étais étranger, et vous m’avez recueilli; j’étais nu, et vous m’avez vêtu; j’ai été malade, et vous m’avez visité; j’étais en prison, et vous êtes venus à moi. «  Mathieu 25,35:36

Placer l’homme nu à gauche a un double avantage :

  • le sens de la lecture correspond au sens du tableau (du nu vers le vêtu) ;
  • le jeune homme riche présente de sa main droite la chemise immaculée, à forte valeur rédemptrice, tandis que sa main gauche escamote le pantalon prosaïque.

Catholique convaincu, proche du renouveau religieux autour de Saint Vincent de Paul, Sweerts a peint ce tableau à Amsterdam, juste avant de s’embarquer vers l’Orient avec un groupe de missionnaires.



Sweerts De_naakten_kleden_Rijksmuseum_SK-A-2847-1646-49

Vêtir les dévêtus,
Michael Sweerts, entre 1646 and 1649, Rijkmuseum, Amsterdam

Une dizaine d’années auparavant, il avait déjà illustré ce sujet de manière moins percutante, au sein d’une série de sept tableaux illustrant les Sept Oeuvres de Charité.

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large-interior-london-w-9-1973 Chatsworth House Derbyshire

Large Interior W9, London
Lucian Freud, 1973, Chatsworth House, Derbyshire

Dans la tradition familiale, le petit-fils de Sigmund place ici sa propre mère, Lucie Freud, en situation d’analyste ; et sa compagne d’alors, Jacquetta Eliot, en situation d’analysante. L’opposition nu/vêtu recoupe à la fois l’opposition jeunesse/vieillesse et l’opposition parole/silence : parler, c’est se dénuder ; écouter, c’est ne pas se découvrir d’un fil.
Le mortier du peintre, broyant du gris et en position de pot de chambre, est une signature phallique qui laisse ouvertes toutes les interprétations.



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Large Interior, Notting Hill
Lucian Freud, 1998, Collection privée

Lucian Freud ne recherchait pas systématiquement le scandale, mais n’aimait pas les imprévus. Derrière le whippet Pluto dormant et l’écrivain Wyndham lisant du Flaubert, c’est sa modèle Jerry Hall qui posa durant de longs mois, donnant la tétée à son bébé en hommage à la Tempête de Giorgione. Comme un jour elle était malade, Freud de rage remplaça son visage par celui de son assistant, le peintre David Dawson [2] .

L’opposition nu/vêtu s’enrichit ici d’une opposition de textures (cuir fauve du canapé contre drap blanc de la chaise) et d’une métaphore entre le livre et le bébé, fruit de l’écrivain/fruit de la femme.



barn02_3523_02detail
L’époustouflante vue plongeante nous laisse percevoir, dans notre traversée de l’atelier immobile et baigné de soleil, quatre mouvements minuscules :

  • la respiration du chien qui dort,
  • les allers-retours de l’oeil qui lit,
  • la succion des lèvres qui tètent
  • et, tout au fond, le pas de la fillette qui traverse la rue.



La femme nue et sa servante

du XVIème au XXème siècle, la servante habillée va prendre de l’envergure, jusqu’à faire pratiquement jeu égal avec le nu qu’elle était sensée mettre seulement en valeur.

Titien Venus d Urbin 1534 Musee des Offices Florence
Vénus d Urbin
Titien, 1534, Musée des Offices, Florence

A l’orée du thème, les servantes s’introduisent discrètement à l’arrière-plan, affairées à fouiller dans un coffre, pour compenser d’une certaine manière l’immobilité de la maîtresse et les vêtements qui lui manquent. Le coffre entre-baillé fait bien sûr écho à la main rêveuse.

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Odalisque with a Slave, by Jean-Auguste-Dominique Ingres

Odalisque à l’esclave
Ingres, 1849, Fogg Art Museum,Cambridge

Lorsque Ingres reprend Titien, il retravaille et différencie les figurantes : l’une devient une musicienne blanche, admise à partager l’avant-plan ; l’autre, noire, reste à l’arrière : malgré sa longue robe, c’est en fait, comme le montre le poignard passé discrètement dans sa ceinture, l’eunuque qui garde le harem.

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OLYMPIA manet 1863 Musee Orsay

Olympia
Manet, 1863, Musée Orsay

Lorsque Manet reprend le thème, il chipe à Titien la pose de la maîtresse et l’idée d’un objet-métaphore : ici c’est le bouquet de fleurs, dont une main noire titille l’emballage. Manet n’avait pas besoin d’Ingres pour imaginer sa Numide, qu’une simple raison de contraste justifie : robe blanche et inclinaison contraire. De part et d’autre de la ligne de séparation, deux femmes-bustes, impossibles siamoises, s’équilibrent et se complètent : l’une montre sa nudité et cache son sexe, l’autre cache sa peau et exhibe un organe floral démesuré, qui ridiculise le chat malingre. C’est pourtant lui qui a scandalisé les puritains : comme quoi un chat peut en cacher un autre.

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Gustave_Courbet_1866__Woman_with_a_Parrot METFemme au perroquet
Courbet, 1866, Metropolitan Museum of Arts
Roybet_OdalisqueOdalisque (La sultane)
Roybet, vers 1875, Ermitage, Saint Petersbourg

Lorsque Courbet tâte à son tour de l’Odalisque, c’est à sa manière, radicale : la maîtresse, maintenant à plat dos, sert de perchoir au perroquet. En tant que domestique exotique paré de mille couleurs, l’animal fait un clin d’oeil à la négresse de Manet, tout en gardant sa signification usuelle : l’amant qu’on enchaîne et qu’on fait chanter (voir Le symbolisme du perroquet).

Roybet, en bon opportuniste, colle le torse de l’Odalisque de Courbet sur les jambes de celle d’Ingres. Et la musicienne au dhotar est recyclée en Numide à l’éventail.

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Bazille_La_Toilette_1869-70 _Musee_Fabre_MontpellierLa Toilette
Bazille,1869-70, Musée Fabre, Montpellier
Veronese vers 1560 Mariage mystique de Sainte Catherine Musee FabreMariage mystique de Sainte Catherine
Véronèse, vers 1560, Musée Fabre, Montpellier

Lorsque Bazille rend hommage à l’Olympia de Manet, c’est au travers d’une composition en carré inspirée de ce tableau de Véronèse, qu’il avait étudié au musée Fabre.

La nudité de la chair se trouve encerclée, et comme condamnée, par des échantillons d‘antagonistes : la peau noire de la servante à genoux et la robe longue de la servante debout ; mais aussi le kimono, la fourrure du canapé, la tapisserie du mur, le marbre du sol. Tout ici est saturé de textures, sauf la peau blanche, de sorte que ce rhabillage prend des allures de martyre suspendu.

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Edmund Tarbell Tutt'Art@

La toilette
Edmund Charles Tarbell, 1893, Collection privée

Il n’y a aucune chance que Tarbell ait pu voir, lors de son séjour en Europe, la toile de Bazille qui était conservée dans sa famille. C’est donc d’une réinvention qu’il s’agit, puisant sans doute aux mêmes sources. En blanchissant sa servante, Tarbell évite une confrontation de peau trop scandaleuse pour les Bostoniens de l’époque, sauf sous couvert d’orientaliste.

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Valotton-La-Blanche-et-la-Noire-1915-Fondation-Hahnloser

La Blanche et la Noire
Valotton, 1915, Fondation Hahnloser, Winterthur

Quand Valloton paraphrase Olympia, c’est avec son humour et son modernisme coutumier : la maîtresse ne cache plus rien, elle dort ; la servante n’apporte plus de bouquet, elle fume, et elle est passée au premier plan pour s’asseoir sur le lit, dans une sororité provocante.


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norman-lindsay-the-lute-player-1924

Le Joueur de Luth
Norman Lindsay, 1924

Une fois reconstitués, les trois couples racontent une histoire légère :

  • à gauche, l’homme couvert aborde la Suivante vêtue ;
  • à droite l’autre Suivante montre cheville et poitrine en pure perte, puisque son compagnon, au dessus, n’a d’yeux que pour la Maîtresse ;
  • au centre, celle-ci n’est vêtue que de son éventail, sorte d’expansion élégante du pubis ; son prétendant, le joueur de luth, a lâché l’instrument, dont le manche s’aventure nettement plus loin qu’il ne devrait, jusqu’à plonger dans la rosace.


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Leon Kroll Summer, New York, 1931 photographie Leon Kroll Summer, New York, 1931

Summer
Leon Kroll , New York, 1931

Il faudra attendre encore un peu pour voir apparaître dans la puritaine Amérique cette nudité épicée par des accompagnatrices vêtues.



Allégories comparées

Calumny, detail of Truth and RemorseLa calomnie d’Apelle (détail)
Botticelli, vers 1495, Musée des Offices, Florence
Cliquer pour voir l’ensemble

Ce groupe est située à l’extrême gauche du tableau et constitue la conclusion de l’histoire : le Remords, habillé de voiles de deuil, se tourne vers Vénus dénudée, qui invoque la Vérité céleste. Ce couple vêtu/dévêtu équilibre et compense, en quelque sorte, le couple du Calomniateur habillé en noir et du Calomnié dénudé.

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Titian Sacred Profane

L’Amour Sacré et l’Amour Profane
Titien, 1514, Galerie Borghese, Rome

La magnificence comparée du tissu et de la chair devient chez Titien matière d’esthétique et de philosophie. Si la réussite formelle est éclatante, l’intention philosophique est moins claire (pour un résumé des deux interprétations principales, voir [2a])

Par la suite, les peintres, dans d’innombrables scènes de toilette ou de déshabillage, exploiteront à plaisir le contraste entre la femme nue et la femme habillée. mais jamais avec cette simplicité originelle, cet équilibre tranquille entre les deux termes de l’équation.


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La Pécheresse et l’Immaculée Conception

 

1500-1550 Recueil de palinods Eve et Marie FR 379 fol 6vEve et Marie, Recueil de palinods, 1500-1550, FR 379 fol 6v

« Eve est la voix qui l’homme griesve (trompe) ;
Marie est voix qui le reliesve (relève).

Cette iconographie très particulière, confrontant Eve nue et Marie habillée, se développe au XVIème, principalement en Italie [2b].

Rosso Fiorentino (d’après), Marie Immaculée Nouvelle Ève, 1528. Paris, École des Beaux-Arts
Marie Immaculée Nouvelle Ève
Rosso Fiorentino (d’après), 1528, École des Beaux-Arts, Paris

Heureusement, une description par Vasari nous donne la signification de cette allégorie très originale :

« ll représenta nos premiers parents attachés à l’arbre du péché ; la Vierge leur retire de la bouche le péché, symbolisé par la pomme, et foule aux pieds le serpent ; dans le ciel, voulant signifier qu’elle est vêtue de soleil et de lune, il figura Diane et Phoebus nus. » [3]


Carlo_portelli,_disputa_sull'immacolata_concezione,_1555_(Museo di Santa Croce florenceDispute sur l’Immaculée Conception
Carlo Portelli, 1555, Museo di Santa Croce, Florence

Une des formules qui se développe par la suite oppose :

  • un registre céleste, avec Marie entourée d’angelots ;
  • un registre terrestre où des autorités, armés de deux gros livres, discutent de l’Immaculée conception, au dessus d’Adam et Eve nus.

Le vêtement de Marie est donc une manière d’affirmer sa conception sans péché, tandis que la nudité des parents de l’Humanité souligne les conséquences de la Chute.



Carlo_Portelli 1566 Immaculate_Conception Florence, Galleria dell'Accademia eglise OgnissantiAllégorie de l’Immaculée Conception (provenant de l’église des Ognissanti)
Carlo Portelli, 1566, Galleria dell’Accademia, Florence

Ces précédents permettent de comprendre la génèse de cette oeuvre audacieuse, qui confronte directement Marie, vue de face, à un nu de dos serpentiforme extrêmement sensuel. En 1671, le tableau fut remplacé dans l’église par une Immaculée Conception plus conforme, et on rajouta une robe à Eve, qui ne fut nettoyée qu’en 2003.

  • Dans le registre céleste, Dieu le Père est en train de créer, en même temps, Marie immaculée et l’agneau innocent.
  • Dans le registre terrestre, le collège savant est ici constitué par les rois David et Salomon (assis de face et de dos), la sibylle persique et la sibylle libyque.
  • Le lien entre les deux registres est constitué par l’arbre de la Chute, le serpent piétiné par Marie illustrant la prédiction de la sibylle persique :

Voici que tu piétineras la Bête

ecce bestia conculcaberis


La prophétie de l’autre sibylle est subtilement modifiée. A la place du texte habituel :

Le ventre de sa mère sera la balance (du jugement) pour tous les hommes

Uterus matris eius erit statera cunctorum

la banderole porte :

Son ventre (prépare) les décrets (qui frappent) tous les hommes

Uterus eius (praeparat) statuta cunctorum

par allusion à Job 25,35 :

Son ventre prépare les perfidies

uterus eius praeparat dolos

Ainsi est détournée la prophétie de la sibylle libyque : non plus pour annoncer le Christ et le Jugement dernier, mais pour dénoncer le ventre d’Eve et la malédiction humaine.


Carlo_Portelli 1566 Immaculate_Conception Florence, Galleria dell'Accademia eglise Ognissanti detail Carlo_Portelli 1566 Immaculate_Conception Florence, Galleria dell'Accademia eglise Ognissanti detail vetu

On mettra sur le compte des exagérations maniéristes qu’Eve fasse du pied à Adam, lui taquine la barbe, et saisisse de l’autre main le manche posé entre ses jambes.


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Nature et Raison

 

1500-1550 Recueil de palinods Nature et raison FR 379 fol 33rNature et Raison, Recueil de palinods, 1500-1550, FR 379 fol 33r

Nature, nue côté forêt, dialogue avec Raison, habillée côté ville.


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Vertu et Vice

Michelet Saulmon pol de Limbourg 1402 revers de la medaille de Constantin British Museum detail

Revers de la médaille de Constantin
Michelet Saulmon sur un dessin de Pol de Limbourg (attr), 1402, British Museum

Cette médaille, probablement réalisée pour le Duc de Berry, devient très énigmatique lorsqu’on la décrit en détail :

« Deux femmes, l’une vieille et drapée de la tête aux pieds, l’autre jeune et nue jusqu’à la taille, de part et d’autre de la Croix et de l’Arbre de Vie. De la bouche de deux serpents au sommet de la Croix coule de l’eau qui est transportée par deux autres serpents, dont les queues sont saisies par un enfant (Hercule) jusqu’au bassin situé en dessous. Par une ouverture pratiquée à la base de celle-ci, au-dessus de laquelle se trouve un animal (un lion), on voit le pied de la Croix, enlacé par un autre serpent. La jeune fille à moitié nue piétine un animal (une belette) sous son pied gauche. Dans sa main droite passe une corde qui est attachée à l’oiseau (un aigle) perché derrière elle. Un oiseau similaire perché derrière la femme plus âgée n’est pas attaché. » [2c]


Loin de moi de me glorifier / sinon de la Croix / De notre Seigneur Jésus-Christ

Epitre aux Galates 6,14

·MIHI·ABSIT·GLORIARI/NIS·IN·CRVCE/·DOMINI·NOSTRI·IHV·XRI·

L’inscription, astucieusement scindée en trois, désigne la femme nue comme celle qui se glorifie, tandis que la femme vêtue est du côté du Seigneur : une première lecture est donc celle de l’opposition Marie / Eve (dont l’Orgueil, la vaine Gloire, a causé la perte). Mais on peut tout aussi bien y voir l’opposition entre Chrétienté et Paganisme (Vénus), tout approprié dans le cas d’une médaille dédiée à Constantin et à la découverte de la vrai Croix [2d].



Michelet Saulmon pol de Limbourg 1402 revers de la medaille de Constantin British Museum detail
Le détail du petit enfant entre les deux serpents invite à une troisième lecture : celui du Choix d’Hercule entre la Vertu et le Vice, dont la médaille serait alors le plus ancien exemple connu (ce qui reculerait de presque un siècle la chronologie de Panofsky [3]). Cette lecture se précise si l’on compare les deux mains : la femme vêtue cueille ce qui semble être une fruit tandis que la femme nue tient tête en bas un oisillon, que la corde rattache au gros oiseau en contrebas : il s’agit très certainement du leurre à plumes qui était utilisé pour l’entraînement des oiseaux de proie (voir L’oiseleuse) :

la médaille oppose donc, en définitive, la Femme qui aime Dieu à celle qui préfère les Hommes.


die_wahl_des_herakles Ecole de Cranach 1537 ap Herzog Anton Ulrich-Museum, BraunschweigHerzog Anton Ulrich-Museum, Braunschweig die_wahl_des_herakles Ecole de Cranach 1537 ap coll partCollection particulière

Le Choix d’Hercule, école de Cranach, après 1537

Dans la version décente, la Vertu, habillée et la tête voilée, se trouve du coté d’un bois, le chemin difficile où seul le cerf, l’âme assoiffée de Dieu (Psaume 42), peut se frayer un chemin. Hercule, avec sa massue transformée en bâton de voyageur, va probablement se détourner du chemin facile, ouvert vers la vallée, que lui montre la femme nue (le Vice, la Volupté).

Dans la version plus osée, le paysage, totalement symétrique, n’est plus moralisé. L’animal symbolique est un Lion, métaphore d’Hercule. Les deux femme sont nues, sauf un voile transparent pour la Vertu et une feuille de vigne pour la Volupté. Cette dernière manipule d’un air entendu le bâton qui passe entre les jambes du héros, et prend dès lors une signification particulière.


hercules saenredam
Le Choix d’Hercule, Gravure d’après Saenredam, fin XVième

La Vertu, armée et habillée, développe ses arguments, tandis que la Volupté, bien peignée et nue, met directement la main au gourdin. Sur les détails de la gravure, voir La souricière.

Mis à part ces exemples, les représentations du Choix d’Hercule ne sont pas aussi tranchées : les deux femmes sont toutes deux vêtues, le Vice un peu plus richement ou légèrement que la Vertu.


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La nudité magnifiée

Felicita-breve-1644-pag-156-vol.IIdata-271x300Félicité Mondaine Felicita-eterna-1644-pag66-part.I-img.LVIIIdata-269x300Félicité éternelle

Comme le remarque Panofsky ([3], p 177) la nudité perd progressivement, au XVIème siècle, la valeur d’Immoralité qu’elle avait au Moyen-Age, et prend au contraire une acception positive : pureté, vérité, immatérialité, éternité, que consacre dans maintes rubriques l’Iconologie de Ripa.


return-of-peace-thuldenLe retour de la Paix
Theodor van Thulden, 1657, s-Hertogenhosch, Noordbrahants Museum
 Allegory-of-Justice-and-Peace_Theodoor-van-Thulden_Baroque_allegorical-paintingAllégorie de la Justice et de la Paix
Theodor van Thulden, 1659, Landesmuseum für Kunst und Kulturgeschichte, Münster.

Ces deux allégories célèbrent la fin de la Guerre de Trente ans et le traité de Wetsphalie.

Dans la première version, la Paix, tenant d’une main un caducée et de l’autre une corne d’abondance, enlace la Guerre en jupe rouge sang, qui tient son épée baissée et a abandonné sur le sol ses autres armes et son armure. Deux amours y mettent le feu tandis que symétriquement, dans le coin en haut à gauche, deux autres amours jouent du tambourin et cajolent un lièvre, animal peu belliqueux. La Paix dévoile son sein droit en signe de lactation prolifique. Si le caducée mercuriel est là pour symboliser sa sagesse, les perles sur la chevelure blonde sont plutôt des attributs vénusiens : on comprend dès lors qu’un thème bien connu se cache sous l’allégorie : celui de Vénus attirant Mars dans sa couche (voir 4.2 Jouer avec les armes)

Dans la seconde version, la Paix s’est complètement dénudée et a changé son caducée de main, pour enlacer plus commodément sa compagne. Celle-ci, tout en gardant son épée et sa jupe rouge, s’est transformée en Justice, comme le précise l’amour de gauche en montrant du doigt la balance (la bourse ouverte par terre signifie non pas que la Justice est vénale, mais au contraire qu’elle foule aux pieds les richesses). A l’extrême droite, un autre amour s’acharne à mettre le feu à l’armure, de manière peu lisible.

Pourquoi la Paix est-elle habillée lorsqu’elle congratule la Guerre, et à poil lorsqu’elle enlace la Justice ? Il est clair que le second tableau, en format allongé, privilégie la symétrie : les attributs sont tenus dans une seule main et les amours sont en miroir, l’un vu de face et l’autre vu de dos ; du coup il est logique d’avoir rajouté le contraste vêtement/nudité, quitte à renoncer à l’image de la mamelle prolifique : pas tout à fait d’ailleurs car c’est désormais la Justice qui s’y colle, commençant à dénuder son sein gauche.

L’allégorie, noble alibi d’un érotisme plantureux…


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Les balançoires de Von Stück

 

Von Stuck 1898 Balancoire Villa Franz von Stuck, MunichLa balançoire (Die Wippe)
Franz von Stück, 1898, Villa Franz von Stück, Munich

Ce tableau effectue une triple transgression :

  • il transpose dans la Grèce antique le thème rococo de la balançoire, dont le va et vient est compris depuis Fragonard comme une métaphore galante ;
  • il remplace l’escarpolette par un gourdin coincé dans une fourche ;
  • il met en jeu un couple de jeunes filles, dont la blonde littéralement envoie en l’air la brune.

Celle-ci, avec ses cheveux dénoués, sa poitrine juste dénudée, sa peau mate, et sa robe rouge, exprime une jouissance juvénile ; tandis que sa partenaire, à la chevelure étudiée, entièrement nue et à la peau blanche, joue le rôle de l’initiatrice qui contrôle la situation.

Visuellement, on se heurte à une petite énigme : le gourdin, qui semble à droite pénétrer dans la robe rouge, ressort à gauche sous-celle-ci. Il faut comprendre que cette robe, très large, retombe des deux côtés : la brune n’est pas assise à cru sur le bois. De la même manière, un tissu vert empêche le contact entre la blonde et le bois, sauvegardant la bienséance et déniant l’interprétation phallique, tout en la suggérant avec vigueur.

Ainsi Von Stück dépasse habilement l’opposition habillée / déshabillée : la fille vêtue n’est pas si chaste, et la fille nue pas si lascive.


Franz_von_Stuck_-_Orpheus_myth_salle de musique 1897-98Le Mythe d’Orphée (salle de musique)
Franz von Stück, 1897-98, Villa Franz von Stück, Munich

La même année, von Stück réalise en style pompéien la décoration murale de sa salle de musique, autour d’une statue archaïque de Diane polychromée par ses soins :

  • en haut Orphée charme les animaux par sa lyre ;
  • en bas à gauche est repris un tableau de 1890, Ecoute clandestine (Belauschung), pour sa diagonale ascendante et pour l’analogie thématique : une sirène est attirée par la flûte d’un faune ;
  • en bas à droite est repris la Balançoire de 1898, pour sa diagonale descendante.

On peut s’étonner qu’une composition à la limite du grivois vienne clôturer un cycle d’inspiration élevée, à la gloire de la Musique. Il s’agit probablement d’une allusion à la mort d’Orphée, dont la lyre échoua à calmer les Ménades, déchaînées à cause de son refus de s’unir à toute autre femme qu’Eurydice. Elles le démembrèrent, puis furent punies par Dyonisos, qui les transforma en arbres.



Franz_von_Stuck_-_Orpheus_myth_salle de musique 1897-98 detail
Sous le signe du laurier, le regard de Diane, qui n’aimait guère les hommes, se pose sur ces fillettes dévergondées en train de se réjouir de la Mort d’Orphée, sur un arbre en forme de lyre.


Franz_von_Stuck Die Liebesschaukel 1902La balançoire de l’Amour (Die Liebesschaukel)
Franz von Stück, 1902

Quatre ans plus tard, Stück ôtera au thème tout caractère sulfureux en nous montrant une opposition nue/habillée strictement hétérosexuelle, entre adultes aux gestes symétriques, debout sur la pointe des pieds. C’est Cupidon qui fait monter alternativement l’un et l’autre, reprenant le rôle habituel de la Fortune qui mène le Monde.


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Norman_Lindsay_swans_and_peacocks_grande
Cygnes et paons (aquarelle) 
Norman Lindsay, non daté, collection particulière

Le pluriel indique bien que les deux oiseaux sont des avatars des deux filles : la Pureté est nue, l’Orgueil est habillé.


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Magritte Fillette et Fillette nue se promenant dans la rue 1954

Fillette et Fillette nue se promenant dans la rue
Magritte, 1954, Collection privée

Le surréalisme de la scène masque une allégorie fort bourgeoise.

La voyez-vous ?

Voir la réponse...

C’est au décor qu’il faut associer les deux fillettes :

  • la brune, nue, est du côté de l’ombre, du jardin clos, des maisons : autrement dit de l’espace privé ;
  • la blonde, habillée, est du côté éclairé de la rue, de la ville qui s’étend au loin : autrement dit de l’espace public.


Autriche : Les Athéna de Klimt

 
Klimt L'Art Grec (Tanagra et Pallas Athene) 1890 Escalier du Kunsthistorisches MuseumL’Art Grec (Une jeune fille de Tanagra, Pallas Athena) Klimt L Art egyptien 1890 Escalier du Kunsthistorisches Museum l’Art égyptien (Isis)
 
Klimt,  1890-91, Escalier du Kunsthistorisches Museum, Vienne
 


L’Art grec

Klimt L'Art Grec (Tanagra et Pallas Athene) 1890 Escalier du Kunsthistorisches Museum detail athena

La déesse Pallas Athéna, vêtue d’une tunique  rouge et d’un pectoral décoré d’une tête de Gorgone [3a], tend de la main gauche une lance et tient dans sa main droite une statuette de Nike (la victoire) posée sur un globe / brandissant au dessus de sa tête une couronne de lauriers, quasi invisible dass l’ombre de la colonne.

A gauche, dans l’espace entre les deux colonnes, la fille de Tanagra se penche, tenant dans sa main gauche une couronne de lauriers qui complète et explicite celle de la Nike.


L’Art égyptien

Klimt L'Art Grec (Tanagra et Pallas Athene) 1890 Escalier du Kunsthistorisches Museum detail isis

La déesse Isis, nue, tend de la main droite un ankh et tient dans sa main gauche un sistre de fantaisie, imaginé par Klimt ; derrière elle, le vautour de la déesse Nekhbet.


Klimt L'Art Grec (Tanagra et Pallas Athene) 1890 Escalier du Kunsthistorisches Museum detail isis et sarcophage

A droite, dans l’espace entre les deux colonnes s’empile tout un bric-à-brac égyptien  [3b]. Le sarcophage à face féminine fait écho, comme une image de la Mort, à la déesse qui, de l’autre côté de la colonne, brandit devant le rapace le hiéroglyphe de la Vie.

Haute définition : https://www.google.com/culturalinstitute/beta/asset/egypt/GgH8ARu61GIoZw


Une opposition complexe

Autant Pallas Athéna obéit à tous les canons iconographiques,  autant Isis relève d’une certaine audace, car cette déesse n’est jamais représentée dénudée, ni dans l’art égyptien ni dans l’art romain.

Isis au sistre, Époque d’Hadrien 117-138 ACE Pusee du capitole rome

Isis au sistre, Époque d’Hadrien 117-138 , Musée du Capitole, Rome

Il ne s’agit pas ici de révélation ésotérique, comme dans l’Isis dévoilée d’Helena Blavatsky parue en 1877, mais d’une révélation  purement érotique, dans laquelle la déesse nue est transformé en symbole du triomphe de l’Amour sur la Mort (le sarcophage du panneau latéral).

En regard de cette logique forte qui unit les deux panneaux égyptiens, la signification des deux panneaux grecs se laisse moins facilement déchiffrer.


La « fille de Tanagra »

klimt-griechische-antike-1-1890


M.Halm-Tisserant [3c] a pu identifier le vase grec que Klimt a recopié à l’arrière-plan.

Athena_Hercules_Cerberus_Hades Leagros Group Painter, from Cervetri (c. 520 BCE)Athena, Hercules, Cerbere, Hades, Persephone aux EnfersPeintre du groupe de Leagros, provenant de Cervetri (c. 520 BCE), Musée du Vatican 372 louvre-aphrodite-detachant-sandaleAphrodite rattachant sa sandale, Louvre, Paris

 

La fille de Tanagra, avec sa robe à motifs géométriques, ses yeux fardés et sa lourde chevelure rousse, est une pure invention klimtienne, qui tranche par son modernisme avec la rigoureuse Athéna. Certains y ont vu l’influence d’Emilie Flöge, très jeune rousse flamboyante dont le peintre était tombé amoureux cette année-là. Quoiqu’il en soit, cette jeune fille aux yeux lourds qui fait à Aphrodite l’hommage d’une couronne de lauriers, et se superpose à Hercule pour capturer le monstre de la Mort,  est la toute première incarnation de ces femmes fatales qui naîtront plus tard du pinceau de Klimt.

La couronne de vrai laurier, s’opposant à la couronne emphatique de la Nike qui s’efface dans l’ombre de la colonne, signale peut être l’ambition du peintre, déjà,  de se construire une gloire hors de l’académisme.


La Pallas Athéna de 1898

KLIMT Gustav , Pallas Athene, 1898, Vienne, Historisches MuseumPallas Athena, Klimt, 1898,  Vienne,  Historisches Museum pallas_athena_-_franz_von_stuck_1898 coll partPallas Athena, Franz von Stuck, 1898, collection  particulière

On voit comment, sept ans plus tard, Pallas Athéna s’est elle-aussi métamorphosée en femme fatale klimtienne, alors que  Franz von Stuck, pourtant autre  sécessionniste notoire, en reste encore à la représentation classique.


Les fonds à la grecque

Hydrie G43 Musee Vatican Heracles combattant Neree le Vieux de la Mer

Héracles combattant Nérée, le Vieux de la Mer
Hydrie G43 Musee Vatican

Cette modernité tient pour beaucoup à la technique du fond recopié sur des vases grecs authentiques,  héritée de la formation de décorateur de Klimt et qu’il appliquera à de nombreuses oeuvres de sa première période. Ici, le vase a été choisi parce que, plastiquement, les écailles de la cuirasse d’Athéna prolongent celles du montre marin. Peut-être aussi parce que, politiquement, le thème de la lutte du héros contre le monstre donne à voir celui de la Sécession contre l’Académisme. Mais aussi parce que, esthétiquement, la confrontation entre le style archaïque de l’arrière-plan et le style hellénistique du premier plan épouse le thème, à la mode depuis Nietsche, du dyonisiaque s’opposant à l’apollinien.

« En plaçant Athéna, la déesse classique par excellence, sur un arrière-plan spécifiquement archaïque, Klimt mine en fait l’autorité de toute la tradition classique. Sa peinture montre et célèbre un passé d’Athéna plus sombre et plus noir, un passé qui avait été complètement réprimé dans ses incarnations phidiennes au Parthénon, aussi bien que dans la statue de Kundmann devant le Reichrat. » [3d]

 

Nuda veritas

KLIMT Gustav , Pallas Athene, 1898, Vienne, Historisches Museum detailPallas Athena, Klimt, 1898, détail Nuda Veritas, Gustav Klimt, 1899, Osterreichisches Theatermuseum de VienneNuda Veritas, Gustav Klimt,1898, revue Ver Sacrum1899, Osterreichisches Theatermuseum de Vienne

Comme si l’Isis nue du panneau de 1891 avait sauté en miniature dans la main d’Athéna, la Nike se retrouve à poils (roux comme il se doit) et, un miroir dans la main à la place du signe de vie,  se métamorphose en cette autre Déesse  des Sécessionnistes qui s’expose hardiment,   la même année, en couverture de leur organe officiel.

Sur la symbolique de Nuda Veritas, on peut consulter l’excellent papier du blog jeveuxunerousse [3e].

 

Norvège : les trois Femmes de Munch

munch Three Stages of Woman (The Sphinx) 1894 Rasmus Meyer Collection, Bergen, Norway

Trois âges de la Femme (Le Sphinx)
Munch,  1894, Collection Rasmus Meyer , Bergen, Norvège

La chair nue de la femme mûre est  posée ici comme l’intermédiaire entre la robe blanche de la jeune fille  et la robe noire de la vieille. De l’autre côté d’une plante sanguinolente, se tient un homme en habit noir.

La femme nue et le vieille prennent à témoin le spectateur, l’une aguicheuse et l’autre triste, accolées autour d’un tronc comme les deux faces d’un même réalité sordide. Aux deux bords, la jeune fille sur le sable, qui regarde en arrière la pureté originelle de la mer, et le jeune homme qui détourne le regard vers le sol, semblent chercher tous deux une échappée impossible à ce destin.



Munch The Woman Kvinnen Date 1899 Medium Lithograph with gouache

Les femmes (Kvinnen)
Munch, 1899, Lithographie avec gouache

Munch a repris plusieurs fois ce thème, avec diverses techniques. Ici, l’homme a été supprimé, et l’inversion mécanique dûe au procédé renverse le sens du temps.


edvard-munch-women-I 1895 Aquatinte et pointe secheFemmes-I
Munch, 1895, Aquatinte et pointe sèche
edvard-munch-women-I 1895 eau forte et pointe secheFemmes-I
Munch, 1895, Eau-forte et pointe sèche


Appariements symbolistes

ferdinand_max_bredt-1901 Sinnenlust und Seelenfrieden eve-et-marie coll privee

La sensualité et la paix de l’âme (Sinnenlust und Seelenfrieden), ou Eve et Marie
Ferdinand Max Bredt, 1901, Collection privée

Les deux Mères de l’Humanité sont présentées de part et d’autre du Pommier, par ordre d’apparition sur la scène.

Eve à gauche ouvre grand ses deux bras, touchant d’un côté le fruit défendu, et de l’autre le récipient dans lequel elle espère transvaser la connaissance du Bien et du Mal. Cette position, qui anticipe la Crucifixion et devrait éveiller une sainte horreur, a pour effet contradictoire de mettre en valeur le pubis glabre et les seins offerts, bref tout ce qu’Adam a gagné grâce à la Chute. La tête inclinée, la chevelure ondulante, le regard droit, cette mère enjouée prend le spectateur à témoin de l’amusante contradiction.

Marie quant à elle ferme les mains sur son pubis, comme désolée par l’attitude aguichante de notre grand-mère commune, et lève les yeux au ciel. Entretemps, la mode a changé : les robes sont devenues plus longues et le cheveux plus raides.

Le serpent ne s’y trompe pas : en descendant de l’arbre, il contourne prudemment la « Paix de l’Ame », et préfère aller s’amuser avec le « Plaiser des Sens ».


Ferdinand_Max_Bredt_1901 -_Zwischen_Gut_und_Bose

Entre le Bien et le Mal (Zwischen Gut und Böse)
Ferdinand Max Bredt, 1901, localisation actuelle inconnue

L’homme n’a pas hésité à s’asseoir sur un buisson afin de dissimuler son bas-ventre : on voit par là que nous sommes dans un autre oeuvre puissamment moralisatrice. Le Bien, une jeune mondaine en robe longue, châle virginal et chignon impeccable, a heureusement coupé la route au Mal, que l’on ne décrit plus. Si Bredt avait été un peu pervers, il nous aurait montré l’homme donnant sa main gauche au Bien et sa main droite au Mal, illustrant par là une attitude masculine courante. Mais comme il est très pervers, il nous montre l’homme emprisonnant le Bien dans ses deux mains, de manière à ce que le Mal puisse lui peloter la hanche et se frotter contre sa croupe.

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Hruby, Sergius Allegorie1902

Allégorie avec deux femmes (La tentation ?)
Sergius Hruby, 1902, Collection privée

La femme habillée, avec son auréole, ignore la pièce d’or que lui présente dans sa paume la femme nue. Le Vice florissant sourit tandis que la Vertu triste s’étiole, les mains crispées sur son bas-ventre. Iconographie rare de la Femme Fatale, qui préfère habituellement corrompre les jeunes gens.


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Fate, Life, Truth, Beauty Georg Pauli 1905

Le Destin, la Vie, la Vérité, la Beauté
Georg Pauli, 1905, Collection privée

La jeune fille filant sa quenouille est menacée par le ciseau du Destin. La Nudité compile ici trois valeurs (la Vie, la Vérité, la Beauté) et le Vêtement Noir les trois contraires (la Mort, le Mensonge, la Laideur). On comprend que la vieille femme ne veuille pas montrer sa tête.



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La dialectique de Zwintscher

Oskar Zwintscher, Der Tote am Meer 1913 Dresden, Stadtmuseum
Le Mort au bord de la mer (Der Tote am Meer)
Oskar Zwintscher, 1913 , Stadtmuseum, Dresde

Cette oeuvre énigmatique croise quatre binarités :

  • l’homme nu, mort, et horizontal ;
  • la femme habillée, vivante et verticale.

Le noeud de la composition est que cette dialectique se joue devant un décor à trois bandes : si le mort a partie liée avec le Sable et la femme avec le Ciel, à qui appartient la bande émeraude de la Mer ?

S’ouvre alors la possibilité d’une échappée ternaire :

  • entre la Terre et l’Air, l‘Eau ;
  • entre le Nu et l’Habillé, la Robe ;
  • entre le Vertical et l’Horizontal, la Profondeur ;
  • entre la Mort et la Vie, l’Eternité ;
  • entre l’Homme et la Femme, l’Artiste.


Anselm_Feuerbach,_Am_Meer_–_Iphigenie_III (Modern Iphigenie,_1875 Museum Kunstpalast DusseldorfAnselm Feuerbach, Iphigenie III (Moderne Iphigenie), 1875, Museum Kunstpalast, Düsseldorf

Ce sujet célèbre de Feuerbach offre lui-aussi une lecture multiple :

  • dans la première scène de l’« Iphigénie en Tauride » de Goethe, la mer symbolise l’espoir de l’exilée : « Je passe de longs jours sur le rivage, où mon cœur cherche en vain la terre de Grèce »
  • mais elle prélude aussi à la tragédie qui vient, puisque tout étranger abordant sur la rive devra être sacrifié à Diane.

Il est très possible que l’intention de Zwintscher ait été de compléter par un quatrième opus la série de Feuerbach : la femme debout serait alors Iphigénie contemplant ce que la tragédie lui prépare : immoler son frère Oreste.

Pour Janina Majerczyk [3f], le tableau pourrait être interprété comme une illustration des conceptions esthétiques de Feuerbach :

« la Peinture qui imite absolument la nature, incarnée par l’homme nu, s’oppose à l’Art qui cherche à accomplir un idéal artistique plus élevé, que personnifie ici par la figure féminine antiquisante. »


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Die Muskete, November 1927, illustration de Sergius Hruby

Illustration pour la revue Die Muskete,
Sergius Hruby, novembre 1927

L’image est accompagnée du poème ci-dessous, d’un symbolisme quelque peu daté :

Tu ne peux pas t’habiller en mariée
Robe de soie, couronne de myrte.
Le destin malin ne le souffre pas,
Il prend plaisir à mon tourment,
En t’arrachant aux jeux et à la danse.
De tous ses doux plaisirs,
La vie t’en a si peu donnés.
Pas de lit nuptial à préparer,
Car ta bouche, jamais baisée,
C’est la mort libre et sauvage qui la touche.

Du konntest dich nicht bräutlich kleiden
mit Seidenkleid und Myrtenkranz.
Des Schiksal Tücke wollt’s nicht leiden,
wollt’s sich an meinen Qualen weiden
und riss dich rauh von Spiel und Tanz.
Von allen seinen süssen Lüsten
Das Leben dir so wenig bot.
Kein Hochzeitlager darf ich rüsten,
denn deinen Mund, den nie geküssten,
berührt der wilde Freier Tod



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ZHILINSKY, DMITRY 1979 Adam and Eve

Adam et Eve
Dimitri Zhilinsky, 1979

Les ancêtres nus sont sur le point de sortir du tableau pour aller rejoindre leurs descendants habillés : le pied d’Eve va se poser sur la main gauche du peintre, tandis que sa femme tend la main droite vers la pomme qu’Adam lui présente.

En tombant hors du paradis, les feuilles sèchent instantanément, prévenant du danger de ces accouplements transgénérationnels.


Espagne : nudités en dentelles

Angel Zarraga- The Nude Dancer La bailarina desnuda 1907-09 Coleccion Andros Blaisten Mexico

La danseuse déshabillée (La bailarina desnuda)
Angel Zarraga, 1907-09, Coleccion Andros Blaisten, Mexico

Au centre du tableau, la mantille noir et la robe blanche posées côte à côte sur le muret disent bien qu’il est question ici d’opposer des contraires : jeunesse contre vieillesse, air serein contre air désabusé, station debout contre station assise, château juché contre village tassé.

Les deux femmes ont gardé chacune un accessoire de coquetterie : un éventail qui ne sert pas pour la vieille, et pour la beauté nue une voilette ravageuse qui sert principalement à attirer le regard où il faut.


Edgar_Degas l attente 1882 Musee d Orsay

L’attente
Edgar Degas, 1882, Musee d Orsay

Transposé en extérieur sur une terrasse espagnole et poussé ici à l’extrême, le couple de la danseuse et de sa mère exploite toujours la même ambiguïté : beauté naïve ou beauté vénale, duègne ou entremetteuse ?


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Julio Romero de Torres La grace 1913 Musee de Torres CordoueLa grâce Julio Romero de Torres Le peche 1913 Musee de Torres CordoueLe péché

Julio Romero de Torres, 1913, Musée de Torres, Cordoue

La grâce

Le cadavre de la pécheresse, soutenu par deux nonnes, est béni par la mère abbesse. Une jeune fille comme il faut, voilée et tenant le lys de la virginité, pleure devant cette nudité coupable. A l’arrière-plan, un paysage imaginaire déroule toutes les curiosités de Cordoue : le cimetière de San Rafael, l’église de la Fuensanta, le fleuve Guadalquivir, Calahorra et le champ de la vérité, le pont romain, la mosquée et sa tour, la façade de l’église de Santa Marina, San Lorenzo.


Le péché

La pécheresse vue de dos s’admire dans un miroir, telle la Vénus de Vélasquez (voir Le miroir révélateur 1 : déconnexion), tandis que trois vieilles entremetteuses disputent de ses avantages. A gauche, une femme souriante lui amène la pomme du péché, qui contrebalance le lys marial de l’autre tableau. A l’arrière-plan, on admire d’autres monuments de Cordoue : le château des Almodovar et l’église de San Hipolito.



Julio Romero de Torres Las dos sendas, 1911-1912 Museo carmen thyssen malaga

Les deux voies (Las dos sendas)
Julio Romero de Torres , 1911-1912, Museo Carmen Thyssen, Malaga

Le diptyque développe le thème de la rédemption et du péché déjà présent dans cette oeuvre de 1911. La jeune fille nue et encore vierge (voir la lys à la bonne place) doit choisir entre la nonne au visage angélique (Raphaelite Ruiz), avec son livre, et la marieuse au visage fatigué (la chanteuse Carmen Casena) avec son plateau de bijoux. Les scènes du fond précisent les conséquences du choix : soit prier au pied de la croix dans un couvent, soit danser en ville sur une table en joyeuse compagnie.

Il est clair que la jeune fille, soulevant des deux mains sa mantille et mollement appuyée sur un canapé aux moulures escaladées par des amours, penche plutôt côté festif. Choix approuvé discrètement par le peintre qui s’est représenté deux fois dans la scène galante, comme guitariste et comme convive.

En plaçant le Salut côté gauche et la Perdition côté droit, dans le diptyque comme dans Les deux chemins, Romero de Torres se réfère implicitement à la composition des Jugements derniers : sauf qu’ici, à l’emplacement du Christ Triomphant, il n’y a rien.


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federico-beltran-masses-La Maja Marquesa, 1915 Coll part

La fille-marquise (La Maja Marquesa)
Federico Beltran Masses, 1915, Collection particulière

Ce portrait a fait scandale lorsqu’il fut refusé pour immoralité par le Comité del Exposición Nacional de Bellas Artes, en 1915. Le titre lui-même était une pure provocation : la « maja » est une fille du peuple à l’esprit libre, tandis que la marquise ici représentée en était une des plus authentiques, que certains critiques ont bien reconnue : María de Gloria del Collado y del Alcázar, Echagüa y del Noro

«  Malgré la large couverture de la peinture lors de sa première exposition, ce triple portrait reste une énigme :  la Maja Marquesa était bien connue dans la haute société espagnole pour ses ancêtres distingués, mais aussi pour son mode de vie lesbien scandaleux . En permettant d’identifier sa Marquise nue – pas simplement un modèle payé – Beltran a pris un risque considérable. De plus, il heurtait  une autre convention du temps en présentant son nu aux côtés de compagnes habillées, comme Manet l’avait fait pour Olympia et pour le Déjeuner sur l’Herbe plus de trente ans auparavant. Cependant, il s’agit bien ici de représenter une figure reconnue de la haute société, seulement vêtue d’une mantille,  coiffure réservée habituellement à des occasions spéciales, avec les robes traditionnelles que portent les deux compagnes anonymes de la Marquesa – ce qui a causé une particulière indignation chez les conservateurs du Comité. «  http://www.stairsainty.com/artwork/la-maja-marquesa-1915-263/


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Louis Icart Conchita 1929

Conchita
Louis Icart, 1929

La mantille et le châle allaient résumer quelque temps l’érotisme de la très catholique espagne, ancêtres exotiques du tchador.


Italie : les soeurs de Casorati

Felice Casorati le-signorine 1912 Venezia, Galleria d Arte Moderna

Les demoiselles (le signorine)
Casorati, 1912, Gallerìa d’Arte Moderna, Venise

Les cartels posés sur le sol, à côté d’objets symboliques, donnent le nom des quatre jeunes filles.

La première, Dolores, est une bourgeoise à pois, grande pintade dressée à côté d’une dinde, entre missels et cercle à broder. Les mains au menton, l’air consterné, elle est de celles pour qui l’existence est labeur et douleur.

A l’opposé, la quatrième, Gioconda, grassouillette et en robe rouge, accueille en souriant, les bras croisés, tout ce que l’existence a de bon : les frivolités en tous genre, éventail, écrins, colliers, cadeaux.

La deuxième, Violante, en robe violette, est une grand amatrice de fards et de boîtes de toutes tailles. Les mains crispées sur une boîte et son bas-ventre fermés, elle jette un regard jaloux vers son contraire.

Car Bianca, nue et les bras ouverts, n’a rien à cacher, rien à celer : elle donne des fruits et des fleurs, les dés de la Fortune lui sont favorables, et le miroir de la Vérité la désigne.


Une source ironique

bernardo-parentino-tentations-de-saint-antoine-1480-90-huile-sur-panneau-464-x-582-cm-galleria-doria-pamphilj-rome

Les tentations de Saint Antoine
Bernardo Parentino, 1480-90, Galleria Doria Pamphilli, Rome

Dans une lettre à un ami, Casorati a révélé la source de son inspiration : ainsi Bianca joue, cernée par ses trois repoussoirs féminins, le même rôle que Saint Antoine, rencontrant un diable qui lui tend un plateau de pièces, tandis que deux soldats tentent de le convaincre de les prendre [4]

Ceci nous fournit une clé de lecture plus complexe : parmi ces demoiselles, c’est Gioconda, la vie satisfaite, qui expose le plus clairement son caractère démoniaque (la robe rouge) ; mais Dolores (La vie douloureuse) et Violante (la vie chaste) ne sont pas moins des ennemies de la Vraie Vie.

Cette morale libératrice s’accompagne d’un humour décapant : une fois qu’on a reconnu la citation, la transformation du vieil anachorète rugueux en une adolescente anguleuse a quelque chose de jubilatoire. D’autant que la pose de celle-ci, offerte devant le tronc d’un cèdre, ne peut manquer de convoquer une autre figure sexy de la martyrologie : la fille nue et les trois habillées transgressent, en les changeant de sexe, Saint Sébastien et les archers [5].


Le miroir édulcoré

Reste une petite énigme : pourquoi le miroir nous montre-t-il les creux poplités de la donzelle, et non pas une scène plus intéressante, par exemple l’artiste en train de peindre, comme il est d’usage dans les tableaux ambitieux ? (voir Le peintre en son miroir : 1 Artifex in speculo).



Felice Casorati le-signorine 1912 Venezia, Galleria d Arte Moderna miroir

Etat antérieur du miroir (reconstitution humoristique)

Dans la version exposée en 1912, le miroir reflétait ni plus ni moins que les fesses de la Vérité, tout en rendant hommage au pantalon si particulier du premier diable. C’est lors de l’entrée du tableau dans les collections publique qu’il a été demandé à Casorati de baisser un peu le regard.



Après la Guerre, Casorati s’éloigne du symbolisme et de l’influence de la Sécession Viennoise, pour un « réalisme magique », plus géométrique et statique.



Felice Casorati Donna e armatura Galeria d Arte Moderna, Turin, 1921

Femme et armure (Donna e armatura)
Casorati, 1921, Galleria d’Arte Moderna, Turin

La vue plongeante et le gigantisme de l’armure , loin d’écraser la femme nue, renforcent au contraire sa posture déterminée et son regard volontaire : car le géant n’a pas de tête. C’est aussi l’occasion de décomposer les trois textures, d’habitude enchevêtrées, du métal, de la chair et du tissu.



Felice Casorati le-due sorelle 1921

Les deux soeurs (le due sorelle)
Casorati, 1921, Collection privée, Milan

La femme nue assise se trouve maintenant confrontée à une femme habillée, assise dans la même posture. Le fenêtre est invisible, accentuant l’effet d’énigme. C’est aussi l’occasion d’une métaphore entre les femmes et les livres, l’un ouvert et les autres fermés. Une sorte de révision du message des « Signorine » : les deux femmes ici sont soeurs, la vérité ne s’oppose pas, mais se complémente au mystère.


Felice Casorati, Le ereditiere (o Le sorelle), 1910Les héritières ou les soeurs (Le ereditiere o Le sorelle),
Casorati, 1910, Collection privée
1500 Carpaccio deux dames venitiennesLes Courtisanes,  Carpaccio, 1500 , Musée Correr, Venise

La formule des soeurs parallèles avait déjà intéressé Casorati, en 1910. Peut-être la présence des deux chiens avait-elle alors catalysé la référence aux Courtisanes : discrète dans le cas des deux petites filles, elle devient évidente pour les deux grandes, faisant bénéficier les tableaux d’une énigme par procuration (voir 1 …une vieille histoire ).



 France : des confrontations sophistiquées

Les belles dames Art déco de Raphael Delorme

Raphael-Delorme Les Styles 1927

Les Styles, Raphael Delorme, 1927, collection particulière 

Antiquité, Moyen Age, Renaissance et Epoque moderne se distinguent par le bâtiment en arrière-plan, la coiffure et la posture : les deux styles extrêmes se répondent : sphère contre cube, aigles noirs contre colombes blanches, spirales du chapiteau contre ressorts de la montre. Le style Renaissance avec son lévrier blanc prend la figure d’une Vénus alanguie. Au milieu des ces trois nus tranche le style médiéval : corseté, vertical, enchâssé dans la cathédrale comme une pieuse relique.


Raphael Delorme L'Afrique, l'Asie, l'Europe, l'Amérique vers 1920 coll part
Les quatre continents, Raphael Delorme, non daté, collection particulière

Ici le vêtement caractérise l’Europe : l’Afrique, l’Asie et l’Amérique sont nues.


Raphael Delorme La répetition vers 1920 coll part
La répétition
Raphael Delorme, non daté, collection particulière

Quatre poissons rouge dans le bocal, quatre femmes dans le local. L’étrangeté vient ici des appariements incertains :

  • si l’on se fie à la symétrie des deux intrus – le tableau avec l’arlequin vue de face, le chien vu de dos – on opposera les deux spectatrices habillées, qui nous font face, et les deux actrices nues ;
  • si l’on s’intéresse aux accessoires, on constituera deux couples nus-habillés : les espagnoles (debout) et les figures de carnaval (assise et à genoux) ;
  • si l’on s’en tient à la symétrie de la pièce, on constituera deux autres couples nus-habillés : les deux femmes devant le sofa, et les deux devant la porte.


Raphael Delorme 1920 coll part Camembert J.Boudet

Camembert
Raphael Delorme, non daté, collection particulière

La petite nymphe, avec ses quatre colombes, vient rêver devant l’image du pâtre, avec ses quatre brebis.


Raphael Delorme L'offrande (femmes aux colombes) coll part
L’Offrande
Raphael Delorme, non daté, collection particulière

Deux prêtresses, la brune presque nue et la blonde presque habillée, sortent de leur arcade pour adorer une colonne. Les deux ne s’opposent pas, mais s’additionnent à l’orifice, à la mer, au palais blanc et aux deux colombes pour former une image idéale de l’Eternel féminin, en extase devant une érection.


Une allégorie populacière de Courmes

Alfred Courmes La chute d'Icare 1964 coll part
La chute d’Icare
Alfred Courmes, 1964, collection particulière

Les cinq cercles de la cible correspondent aux cinq personnages : rouge pour nu, noir pour habillé.

Les cinq bites d’amarrage leur correspondent aussi : dressées pour les quatre femmes au pistolet, abattue pour Icare. Celui-ci, sans tête ni sexe, est l’image de la virilité vaincue, tandis que les quatre fessiers féminins, alternativement offerts et interdits, sont les cibles qu’il a loupées.



Perséphone US

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Photographie de Judy Dater pour Life, 1976

La vieille dame est Imogen Cunningham, une des premières photographes américaines, alors âgée de 91 ans. La nymphe nue est le modèle Twinka Thiebaud, âgée de 31 ans. Séparant la vieille femme habillée et la jeune femme nue, le sequoia du Yosemite , qui ne meurt et ne se déshabille jamais, donne une image de permanence et d’étrangeté.

La photo a été publiée dans un numéro de Life magazine consacré aux 200 années de la femme américaine, et a reçu plusieurs interprétations :

Elle « parodie les représentations du voyeurisme masculin dans l’histoire de l’Art Occidental, tout en revisitant malicieusement les mythes de viol de lieux sacrés. Elle oppose le citadin et le pastoral : le bagage technologique de Cunningham – vivre en ville et voir la ville – lui pend autour du cou sous la forme d’un grand appareil photographique, obsolète, alors que se rencontrent de vielles légendes avec de nouvelles manières de voir. » Lucy Dougan [6].


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Thomas Hart Benton,1939, Thomas Hart Benton Home & Studio State Historic Site, Kansas City
thomas_hart_benton_persephoneThomas Hart Benton peignant Perséphone

 La composition s’inspire, aux dires de Dater, de celle du Perséphone de Thomas Hart Benton. Mais plutôt qu’il ne sépare les deux personnages, l’arbre ici sert de nid à la femme nue et révèle son affinité avec elle (lui aussi s’habille et se déshabille) : d’autant que le mythe de Perséphone est associé au retour cyclique de la végétation.

La photographie de Benton en train de peindre recrée malicieusement, par son angle de vue, le sujet-même du tableau : un homme habillé debout contemplant une femme nue couchée.



Références :
[1] http://chariteromaine.blogspot.fr/
[2] L’anecdote est racontée ici :
http://www.lrb.co.uk/v35/n23/julian-barnes/heart-squasher
et ici :
http://www.lefigaro.fr/culture/2010/03/09/03004-20100309ARTFIG00664-large-interior-notting-hill-de-lucian-freud-decrypte-.php
[2a] http://www.cineclubdecaen.com/peinture/peintres/titien/amoursacreprofane.htm
[2b] Sur le développement du thème , voir Marianna Lora « Ut rosa spineti compensans flore rigorem. La Vierge Immaculée comme Nouvelle Ève dans la peinture italienne du xvie siècle » https://journals.openedition.org/acrh/4345
[2c] https://www.britishmuseum.org/collection/object/C_M-269
[2d] Un point qui reste mystérieux est la paire de nombres (234 et 235) au recto et au verso de la médaille.
[3] Erwin Panofsky,« Hercule à la croisée des chemins et autres matériaux figuratifs de l’Antiquité dans l’art plus récent », trad. fr. D. Cohn 1999
« Hercules am Scheidewege und andere antike Bildstoffe in der neueren Kunst » 1930 https://digi.ub.uni-heidelberg.de/diglit/panofsky1930/0196/image,info#col_text_ocr
[3a] Le motif de la Gorgone vient directement de la description d’Homère : Athéna « revêtit la cuirasse de Zeus qui amasse les nuées, et l’armure de la guerre lamentable. Elle plaça autour de ses épaules l’Aigide aux longues franges, horrible, et que la Fuite environnait. Et là, se tenaient la Discorde, la Force et l’effrayante Poursuite, et la tête affreuse, horrible et divine du monstre Gorgô. » Iliade, rhapsodie V; Traduction Leconte de Lisle
[3b] Le musée étant fermé pendant la réalisation des tableaux, les objets représentés ne font pas partie des ses collections. On trouvera dans https://de.wikipedia.org/wiki/Griechische_Antike_und_Aegypten_(Klimt) les livres consultés par Klimt pour sa documentation.
[3c] « De Macron à Klimt : «plakountes» et pissenlits », M Halm-Tisserant – ‎1992 www.persee.fr/doc/rvart_0035-1326_1992_num_96_1_347989
[3d] « Gustav Klimt and the Precedent of Ancient Greece » , Lisa Florman The Art Bulletin Vol. 72, No. 2 (Jun., 1990), pp. 310-326, http://www.jstor.org/stable/3045736
[3e]   https://jeveuxunerousse.wordpress.com/2012/05/08/nuda-veritas-par-gustav-klimt/
[3f] Janina Majerczyk « Oskar Zwintscher: Zwischen Symbolismus und Neuer Sachlichkeit » p 406
[4] http://www.istrianet.org/istria/illustri/parenzano/anthony-ita.htm
[5] Casorati : mostra antologica : Milano, Palazzo Reale, 17 marzo-20 maggio 1990
[6] The photo « parodies depictions of male voyeurism in the history of Western art, as it playfully amends all those mythical violations of sacred places. It juxtaposes the city against the pastorale: Cunningham’s technological baggage of city life/city seeing hangs around her neck in the form of a large camera, but here it is obsolete and new ways of seeing and old narratives come together ». https://en.wikipedia.org/wiki/Imogen_and_Twinka_at_Yosemite

Les variantes habillé-déshabillé (version chaste)

12 février 2017
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Variantes dans lesquelles le déshabillage n’a rien du dévergondage…



Benozzo Gozzoli, Saint Sebastien misericordieux, 1464, fresque,San Gimignano, Sant Agostino.Saint Sébastien miséricordieux
Benozzo Gozzoli, 1464, fresque,San Gimignano, Sant’Agostino.
 

Benozzo Gozzoli Saint Sebastien 1464, fresque San Giminiano Duomo

Benozzo Gozzoli, Martyre de saint Sébastien, 1465, fresque, 525 x 378 cm, San Gimignano, Duomo

Nous citons ici l’étude de Karim Ressouni-Demigneux [1], qui a expliqué pourquoi Saint Sébastien, habillé en 1464, est représenté nu en 1465. Ces deux iconographies, l’une exceptionnelle, l’autre très courante, correspondent à deux conceptions de l’intercession du Saint auprès de Dieu pour protéger les hommes de la Peste.


La version habillée

« En mars 1464, des nouvelles alarmantes signalent que la peste se rapproche de la cité. Benozzo interrompt alors son travail (un cycle consacré à la vie de saint Augustin) et réalise en quatre mois cette fresque impressionnante de 5 m 27 sur 2 m 48. Dans la partie inférieure du ciel, des anges couronnent saint Sébastien tandis que d’autres l’assistent en brisant les flèches décochées depuis le ciel. Entre Sébastien et Dieu qui, courroucé, lance sur l’humanité les flèches de la peste, la Vierge et son Fils intercèdent au nom de leur propre douleur et en raison des mérites de saint Sébastien qu’ils désignent chacun de la main. »

Précisons que les deux dénudent leur poitrine :

  • le Christ pour offrir à la colère divine la plaie de son flanc,
  • la Vierge pour lui rappeler ses seins nourriciers.

Cette double exhibition, assez fréquente, a été étudiée par P.Perdrizet ([0], p 237, Comment le Moyen-Age a figuré l’Intercession de Marie).


La version dénudée

« Dès la fin de l’année Benozzo est au Duomo et commence un nouveau saint Sébastien qu’il signera le 18 janvier suivant, soit deux jours avant la fête consacrée au saint. Si, de toute évidence, la fresque du Duomo est un pendant de celle de Sant’Agostino (les dimensions et l’encadrement sont identiques), on constate immédiatement que Benozzo est revenu à l’iconographie qui s’est imposée dans les décennies suivant la peste noire. La solution trouvée à Sant’Agostino, cohérente, va ainsi constituer un cas unique, sans antécédents ni descendances. »


Les deux iconographies

« Ces similitudes accentuent l’opposition radicale des deux images. Saint Sébastien est habillé à Sant’Agostino, il est nu au Duomo ; les flèches métaphoriques sont brisées dans un cas, elles sont tirées par des hommes et fichées dans le corps du saint dans l’autre cas. Enfin, le couple formé par le Christ et Marie ne joue pas le même rôle ici et là. C’est justement ce rôle joué par la Vierge et son Fils à Sant’Agostino que saint Sébastien prend en charge au Duomo et qu’il prend en charge depuis 1348. Son martyre est effectivement la souffrance physique, terrestre, qui lui donne la possibilité d’intercéder. Mais dès lors que la peste est matérialisée par une volée de flèches à laquelle les hommes souhaitent échapper, cette même sagittation cristallise bien d’autres affects en devenant le lieu d’une métaphore simple et explicitement reliée à la maladie : il fut lui aussi perclus de flèches, il a enduré une souffrance similaire.

La très pertinente solution figurative de Sant’Agostino, qui n’évoque que de manière allusive cette sagittation, par une flèche et une palme brandie par deux anges, ne permet pas l’empathie que le corps nu et sagitté propose. L’écart entre la protection offerte par le manteau, évidente, et la sagittation, est ainsi du même ordre que celui qui, dans les deux fresques, distingue l’attendrissant geste de Marie qui se dépoitraille à Sant’Agostino de la simple prière qu’elle adresse au Duomo. Nous avons d’un côté une approche émotionnelle et de l’autre une approche rationnelle.« 



raphael-.songe.du.chevalierLe songe du chevalier
Raphaël, 1504, National Gallery, Londres
Raphael_-_Les_Trois_Graces_-_Google_Art_ProjectLes Trois Grâces
Raphaël, Musée Condé, Chantilly

On ne connaît pas la disposition initiale de ces deux petits panneaux, pratiquement de la même taille : étaient-ils présentés recto verso, ou l’un servant de couvercle à l’autre ? On bien formaient-ils le revers d’un diptyque conjugal (ce qui expliquerait la différenciation sexuelle manifeste ente les deux panneaux [2] ?  Impossible de le savoir. Quant à leur iconographie,  nous allons reprendre ici quelques éléments de la synthèse d’Inès Martin [2a].


Le songe de Scipion

« Il semble plausible qu’il puisse … s’agir de Scipion l’Africain – hypothèse largement partagée, d’après le poème épique La guerre punique de Silius Italicus, auteur latin du I° siècle après Jésus-Christ…. Dans l’incipit du livre XV, on trouve le topos du jeune héros mis face au choix entre le vice et la vertu : le héros est allongé à l’ombre d’un verdoyant laurier, lorsque « tout à coup, se dressent devant lui la Vertu et la Volupté, qu’il voit descendre des cieux, et qui se placent à sa droite et à sa gauche ». »

Dans la représentation de Raphaël, « la Vertu offre des cadeaux spirituels, c’est-à-dire le livre et l’épée, qui correspondent à la sapientia (sagesse) et potentia (pouvoir). La Volupté offre un cadeau sensuel, c’est-à-dire la fleur, qui correspond à la voluptas (plaisir)… Vêtue de manière élégante et avec des couleurs brillantes, elle a un vêtement rouge et bleu ciel, la tête couverte et embellie par un fil de corail et une fleur qui lui fixe les cheveux sur la nuque. Avec la main gauche, elle tient le fil d’un collier qui lui ceint la taille et les seins. « 


Les Trois Grâces

Dans Les Trois Grâces, « la Castitas (Chasteté) porte un pagne et n’a point de bijoux autour du cou. Voluptas (Volupté ou Plaisir), à l’opposé, se distingue par son long collier muni d’un joyau. Pulchritudo (Beauté), avec un bijou plus modeste, est la connexion entre les deux allégories les plus extrêmes : elle touche la Chasteté à l’épaule, mais elle se tourne vers le Plaisir. »


Relation entre les deux panneaux

« Selon Panofsky et Chastel, la peinture des Trois Grâces est la conclusion logique de l’épisode : les pommes des Hespérides, symboles d’immortalité, sont le prix accordé au héros qui vient de choisir la vie vertueuse. »

Une autre interprétation, moins moraliste, repose sur les symétries des deux panneaux :

⦁ au couple Vertu/Volupté du premier correspond le couple Chasteté/Volupté du second ;
⦁ au chevalier endormi sous le laurier correspond la figure centrale, la Beauté.


Raphael_-_Les_Trois_Graces_-_Google_Art_Projectraphael-.songe.du.chevalier

Si l’on présente les deux panneaux l’un au dessus de l’autre, le trio des Grâces semble illustrer, dans le domaine particulier de l’Amour, les pôles contraires entre lesquels, dans la vie pratique, l’Homme doit trouver son équilibre, entre Vertu et Volupté. Il ne s’agit pas tant d’être vertueux que victorieux. Et atteindre la Victoire sur terre, c’est comme atteindre la Beauté dans l’idéal.

Issues du songe du chevalier, les trois Grâces apparaissent comme les fruits oniriques du laurier, telles les pommes qu’elles portent.


Pour être complet, signalons que l’analyse se complique encore si l’on veut tenir compte [2b] :

  • du motif original, révélé par la réflectographie infrarouge de 1986, où une seule des femmes nues tient une pomme ,
  • de l’inventaire de la collection Borghèse (1615-1630), qui nomme les deux panneaux Les Trois Vertus et Les Trois Grâces.

Raphael_-_Les_Trois_Graces_schema

Ce schéma récapitule les trois grandes interprétations concurrentes, dont aucune n’est entièrement satisfaisante :

  • le Jugement de Pâris et les trois déesses (en jaune) ;
  • le Songe de Scipion et la récompense de la Vertu – les pommes d’or des Hespérides (en blanc) ;
  • Les Trois Vertus et les Trois Grâces (en bleu).




hans-holbein diptych-with-christ-and-the-mater-dolorosa 1521 Kunstmuseum, Offentliche Kunstsammlung, Basel

Diptyque avec le Christ et la Mater Dolorosa,
Hans Holbein, 1521, Kunstmuseum, Offentliche Kunstsammlung, Bâle

Il existe de nombreux diptyques où la Mère et le Fils sont mis en regard. Celui-ci, un morceau de virtuosité perspective datant de la jeunesse de Holbein, les met en scène dans un décor somptueux sensé être le palais de Pilate. Un contrepoint géométrique s’établit entre – côté Marie, le pilier et le portique arrondis – côté Jésus le pilastre et le portique carré, dont les voussures préfigurent la croix. Entre les deux, la pièce ouverte à la fois vers l’arrière-plan et vers le haut, vers la Terre et vers le Ciel, appelle la présence divine.

Mais c’est l’opposition entre les étoffes proliférantes et la chair offerte aux regards, entre l’enchâssement pudique et la nudité tragique, entre la douceur et la douleur, qui fait toute la force de cette extraordinaire composition.



Eugenia Martinez Vallejo, Carreno de Miranda, 1680, Prado, Madrid

Double portrait d’Eugenia Martínez Vallejo
Carreno de Miranda, 1680, Prado, Madrid

Eugenia était âgée de six ans et pesait environ 70 kilogrammes lorsqu’elle arriva au palais du roi Charles II, à Madrid.

« Le Roi notre Seigneur ordonna qu’elle soit vêtue  à la mode du Palais,  d’une robe somptueuse de brocard rouge et blanc avec des boutons d’argent, et il commanda au second Apelles de notre Espagne, son peintre, le distingué Juan Carreño, de faire deux portraits d’elle : l’un nu  et l’autre habillé ». Juan Cabezas, témoignage d’époque

Ainsi, le double portrait vise à immortaliser à la fois la singularité de la nouvelle attraction et la magnificence du cadeau royal. En la déguisant en Bacchus, le peintre légitime le nu : à l’époque, la mythologie reste un meilleur alibi que l’anatomie comparée.

Il y a probablement une ironie discrète dans le fait de faire tenir à la monstresse d’un côté des pommes et de l’autre une grappe. Comme si le fruit de l’Ivresse, qui fait oublier, compensait à l’avance celui  de l’Amour,  qu’elle risque fort de ne pas connaître.



Ruth in Boaz’s fields (1853)-francesco-hayez-Bologna, Collezioni Comunali d’Arte 139x1011853, Collezioni Comunali d’Arte, Bologne (139 x 101 cm) portrait-of-a-woman-as-ruth-francesco-hayez-1853 ca-musee de la collection de Jean-Paul II - Varsovie 123 x 159Vers 1853, Musée de la collection de Jean-Paul II, Varsovie (159 x 123 cm)

Ruth, Hayez

La version dénudée est certainement la première : il s’agit d’une commande du collectionneur bolonais Severino Bonora, qui avait simplement demandé à Hayez une scène orientale mettant en scène une belle bédouine [2c].

Ruth, une étrangère réduite à la mendicité, est en train de glaner dans le champ de Booz, qui à la suite de cette rencontre va la prendre pour femme. La main droite ouverte suggère l’offrande de soi, en contrepartie de la gerbe. Dans l’esprit de l’art orientaliste, le bracelet d’esclave et la poitrine dénudée appartiennent au registre de la disponibilité sexuelle. Mais le regard de côté désamorce le caractère provocant de la pose, et autorise une lecture chaste, où les seins nus s’ajoutent à la gerbe pour symboliser la fécondité (de l’union de Ruth et Booz descendra le roi David). Ainsi le tableau échappe à l’Enfer des oeuvres pour collectionneur averti (il a été exposé au public de Bologne en 1853).

Néanmoins Hayez a peint, probablement la même année, la version soft, moins ambigüe et plus facile à commercialiser.



Pierre_Puvis_de_Chavannes Esperance 1872 The Walters Art Gallery BaltimoreL’Espérance
Puvis de Chavannes, 1872, The Walters Art Gallery, Baltimore
Pierre_Puvis_de_Chavannes Esperance 1871-72 Orsay ParisL’Espérance
Puvis de Chavannes, 1871-72, Musée d’Orsay, Paris

Juste après la guerre de 1870, Puvis de Chavannes réalise deux versions de l’Espérance, sans doute en parallèle, car la version nue ne peut pas être considérée comme une ébauche de l’autre. Le modèle est Emma Daubigny, âgée de vingt ans à l’époque. On ne connaît pas la raison de cette conception en double, sinon peut être le souvenir des deux majas de Goya (voir Les variantes habillé-déshabillé (version moins chaste)).


La version habillée

c’est cette version que Puvis a choisi d’exposer au Salon de 1872, avec un succès mitigé : nombre de critiques trouvèrent que cette Espérance était bien maigre. D’autres furent touchés par le symbole, ainsi Armand Sylvestre qui consacra au tableau un poème :

« Blanc vêtue et si frêle, ainsi qu’une enfant née
Aux jours sombres, assise aux Champs où nos morts froids
Gisent sous le funèbre alignement des croix
L’Espérance est-ce toi, douce vierge étonnée ?
Dans nos champs ruinés où rode la belette,
Si pâle qu’en tes yeux rêve l’étonnement
De vivre encore, oh ! c’est bien toi l’ange
Qui frissonne au vent clément de l’aube violette. »

Armand Sylvestre, à Puvis de Chavannes

Inutile de chercher la belette, elle n’est là que pour la rime.

Le paysage se développe vers la droite, de sorte que le rameau d’olivier se découpe à mi-distance des deux ruines, et à mi-distance des deux talus hérissés de croix. Tout en montrant l’Espérance assise dans un camp, cette oeuvre n’oublie pas l’existence de l’autre camp.


Ambrogio Lorenzetti Fresque des Effets du Bon Gouvernenement Sienne La Paix detail
La Paix (détail de la fresque des Effets du Bon Gouvernement)
Ambrogio Lorenzetti, 1337-40, Sienne

Elle est manifestement inspirée de la fresque de Lorenzetti,


La version nue

Elle n’a été exposée qu’en 1887, dans la galerie Durand Ruel. Il n’y a qu’une seule ruine et le cadrage est resserré sur la jeune fille en fleur, assise sur un tas de gravats où justement des fleurs commencent à repousser.

Ici, la nudité attire le regard sur l’Espérance, tandis que dans la version habillée, la plage blanche de la robe le faisait ricocher vers la branche d’olivier, au centre de la composition.



Gauguin_Nature_morte_a_L Esperance 1901
Nature morte à L’Espérance
Gauguin, 1901, Metroploian Museum, New York

C’est la version nue, moins rationnelle et plus sensuelle, que Gauguin admirait beaucoup. Il en possédait une photographie qui l’a accompagnée partout, de Paris à Tahiti, puis à Atuana. Il l’a faite figurer en bonne place dans cette nature morte tardive, hommage aux peintres qu’il admirait le plus [3] : Puvis, Van Gogh et son tournesol…


Edgar Degas_1879-80_Le petit cabinet de toilette_120x79
Le petit cabinet de toilette
Degas, 1879-80

… ainsi que Degas, représenté ici par une jeune femme nue regardant vers la gauche : raison peut être pour laquelle le visage de l’Espérance a été retourné lui-aussi vers la gauche.



Références :
[0] Paul Perdrizet, La Vierge de Miséricorde. Étude du thème iconographique, Paris, Albert Fontemoing éditeur, coll. « Bibliothèque des Écoles françaises d’Athènes et de Rome no 101 », 1908 https://archive.org/details/bibliothquedes101ecoluoft/page/n9/mode/2up
On peut aussi consulter les études récentes de Franz Slump « Gottes Zorn – Marias Schutz, Pestbilder und verwandte Darstellungen als ikonographischer Ausdruck spätmittelalterlicher Frömmigkeit und als theologisches Problem » http://www.slump.de/l5.htm
[1] Les paradoxes temporels d’un tableau détruit de Francisco Pacheco, Karim Ressouni-Demigneux, Images Re-vues, Hors-série 1 , 2008 https://imagesrevues.revues.org/1091
[2] « Privatporträts : Geschichte und Ikonologie einer Gattung im 15. und 16. Jahrhundert », Angelica Dülberg, 1990, p 139 et ss
[2a] http://www.inesguide.fr/pages/mes-exposes/moderne/raphel-le-songe-1504.html
[2b] Bruno Mottin, « RAPHAËL AU MUSÉE CONDÉ : quelques résultats d’un examen sous l’angle du laboratoire » https://cima.ng-london.org.uk/documentation/files/N-0213/02_Provenance/Mottin_in_Musee_Conde_no_62_2005.pdf
[2c] http://www.euromanticism.org/ruth-in-boazs-fields-1856/
[3] Recent Acquisitions: A Selection, 1986-1987, By Metropolitan Museum of Art (New York, N.Y.), p 42
https://books.google.fr/books?id=TGk9eetaEEYC&pg=PA41&lpg=PA41&dq=hope+puvis+de+chavannes+two+versions&source=bl&ots=fRqoNu7Qq6&sig=3xXb3O2tVVoxKKrMLfnwkMK0Rdo&hl=en&sa=X&ved=0ahUKEwjVi4fJucbRAhXE6RQKHYNNCYcQ6AEINjAJ#v=onepage&q=hope%20puvis%20de%20chavannes%20two%20versions&f=false

Les variantes habillé-déshabillé (version moins chaste)

12 février 2017
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Ces oeuvres présentent une version habillée et une version nue, tantôt pour les destiner à des amateurs différents, tantôt au contraire pour les confronter dans un effet de striptease.

Deux versions (habillée et nue)

 

800px-Mona_Lisa,_by_Leonardo_da_Vinci,_from_C2RMF_retouchedMona Lisa Léonard de Vinci 1503-1519, Louvre
Leonardo: Gioconda Nuda Museo di Vinci potrebbe essere suaGioconda nuda,  Museo ideale Leonardo da Vinci, Florence

Il existe plusieurs versions de la Joconde nue, dont le caractère androgyne saute aux yeux. On peut penser qu’il s’agit de variations fantasmées postérieures.


Jonconde Nue Musee conde ChntillyJoconde nue, Musée Condé, Chatilly Leonardo: Gioconda Nuda Museo di Vinci potrebbe essere suaGioconda nuda,  Museo ideale Leonardo da Vinci, Florence

Un dessin conservé au musée Condé possède des pointillés qui se superposent presque exactement avec la Joconde nue (version de Florence). Certains pensent que la version nue aurait pu être un état préparatoire de la version habillée (voir l’état des recherches dans [1] et [2].



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La femme entre deux ages musee de RennesMusée de Rennes La femme entre deux ages nue musee de RennesMusée de Rennes

La Femme entre deux Ages
Anonyme français, vers  1575

« La gestuelle très explicite montre le refus de la jeune femme qui tend cruellement au vieillard ses bésicles, méprisant l’argent que celui-ci fait mine de compter. Au contraire, d’un geste précieux et symbolique de la main droite, elle tâte le petit doigt de son amant en signe d’approbation. » 

La version de Rennes a été restaurée récemment, retrouvant sous un repeint la braguette éloquente du vieillard, inspirée du personnage de Pantalon dans la Commedia dell Arte.

Tandis que la version habillée a été reproduite en série (on en connait une dizaine d’exemplaires), la version nue, unique et de meilleure qualité picturale, répond certainement à une commande particulière.


La_femme_entre_les_deux_ages 1565-67 pieter-perret1565-67
La_femme_entre_les_deux_ages 1579 gravure Pieter Perret1579
 
La Femme entre deux Ages
Gravure de Pieter Perret 

La genèse de cette iconographie très particulière a été explorée par R. Lebègue [3]. Elle pourrait remonter à la fin du XVème siècle (oeuvre perdue de M.Wohlgemuth).

Le tableau habillé est  copié sur la première version de la gravure de Perret, dont les vers en français et en allemand explicitent savoureusement le sujet, en particulier le geste de pincement qui met en équivalence les lunettes et le « petit doigt » :
:

« Voiez ce viel penard (*) , envlopé dans sa mante
Les bras croisez, gémir ce qu’il veut et ne peut;
La belle gentiment de deux dois luy présente
Ses lunettes, disant qu’a grand tort il se deut;
D’ailleurs rend son mignon pleyn d’une amour plaisante,
Serre son petit doit, et veult tout ce qu’il veult.
Bonhomme, tenez vos lunettes
Et regardez bien que vous nettes {sic)
De l’âge propre au jeu d’amours;
Un chacun cherche son semblable :
Souffrez qu’un aultre plus valable
Cueille le fruit de mes beaus jours. »

(*) Vieillard pénible


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Juliette_Recamier 1800 David, LouvrePortrait de madame Récamier
Jacques-Louis David, 1800, Musée du Louvre
Juliette_Recamier_Entourage de David, Chateau-musee de Boulogne-sur-MerJuliette Récamier
Entourage de David, vers 1810, Château-musée de Boulogne-sur-Mer.

La version dénudée

« ne représente pas vraiment Madame Récamier, guère ressemblante il est vrai, car une dame de ce rang n’aurait jamais posé nue et surtout les pieds sales. Ce serait une vengeance du peintre pour un tableau que le modèle aurait refusé auparavant. D’autre part, Jacques-Louis David n’était pas en très bons termes avec Juliette Récamier suite à une commande restée inachevée, pour de multiples raisons. » [4]



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delacroix_femme d alger louvreFemmes d’Alger dans leur appartement,
Delacroix, 1834, Louvre, Paris
Renoir_-_Parisiennes_in_Algerian_Costume_or_Harem_-_Google_Art_ProjectIntérieur de harem à Montmartre (Parisiennes habillées en algériennes),
Renoir, 1872. Musée national de l’art occidental, Tokyo.

En 1834, Delacroix a l’occasion de passer quelques heures dans un vrai harem à Alger, et en ramène des impressions si fortes qu’elles marqueront toute son esthétique [5]. L’indolence des trois épouses à la peau claire, la première  fixant paisiblement le spectateur, les deux autres partageant l’intimité d’un narguilé, s’oppose à l’activité de la Numide debout et vue de dos, qui va sortir du tableau sur la droite.

En 1872, Renoir, qui rêve d’Algérie mais n’y a pas encore mis les pieds, accommode le tableau célèbre à la sauce montmartroise, froufrous et  chairs dévoilées. Il conserve les quatre mêmes personnages mais modifie leurs interactions :  les trois épouses se trouvent recentrées autour d’une occupation commune  ; le miroir mural de Delacroix est maintenant tenu par la troisième épouse.  La servante numide quant à elle se trouve encore à droite et  vue de dos, mais assise sur un coffre de rangement.


delacroix_femme d alger louvre composition Renoir_-_Parisiennes_in_Algerian_Costume_or_Harem_-composition

C’est en comparant les lignes de composition que l’on comprend combien Renoir a ruminé et repensé en profondeur ce tableau qu’il admirait tant. La numide mise à part, la composition de Delacroix s’organisait autour d’un losange presque vide, centré sur le mystère de la porte rouge entre-baillée. Dans un format en hauteur cette fois, Renoir utilise la même composition en losange pour réorganiser les personnages autour d’une activité commune – l’habillage et le maquillage – et d’un premier rôle : la blonde crémeuse aux yeux chargés de khol, parisienne pur sucre grimée en algérienne.



Renoir_-_Parisiennes_in_Algerian_Costume_or_Harem_-tete
Avec son visage composite, elle personnifie  l’intention même de Renoir : remaquiller, tout en la déshabillant,  ce qui était pour lui « la plus belle peinture du monde ».



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Study of Mme Gautreau c.1884 by John Singer Sargent 1856-1925Etude, Tate Gallery, Londres
Sargent_MadameXEtat actuel

Madame X (Virginie Amélie Avegno Gautreau)
John Singer Sargent, 1884, Metropolitan Museum of Arts [6]

« Il lui faut toute une année pour achever le portrait. La première version du portrait, avec son fameux décolleté, sa peau si blanche et son port de tête altier sur une bretelle tombée de son épaule donne un effet global encore plus audacieux et sensuel. Lorsqu’il est présenté à Paris au Salon des artistes français de 1884, il déclenche un scandale. Sargent remet en place la bretelle pour tenter d’apaiser la réaction du public, mais le mal est fait. Les commandes françaises se tarissent et il admet à son ami Edmund Gosse en 1885 qu’il envisage d’abandonner la peinture pour la musique ou les affaires. Finalement, il part s’installer à Londres et y poursuit sa carrière de portraitiste. » [7]


Gustave Courtois_Gautreau_1891 musee orsay

Madame Gautreau en 1891, Gustave Courtois, Musée d’Orsay, Paris

En 1891, le profil est inversé et  la robe est passée du noir au blanc : mais l’épaule gauche est toujours dénudée, en clin d’oeil au scandale  assumé.


pin_up_before_after_35

Une manoeuvre pudique (Modest maneuver)
Pinup de Gil Elvgreen

En écho à la bretelle rattachée de Madame Gautreau, voici la manipulation inverse :  en passant de la réalité à l’art, la jarretelle se détache.



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dali 1925

Ana Maria à la fenêtre,
Dali, 1925, musée Reina Sofía, Madrid.

Ce tableau a été peint dans la maison de la famille à Cadaquès, lorsque la soeur de Dali avait dix sept ans. Il donne une impression de réalisme et de grand équilibre, alors qu’il contient un grosse anomalie :

  • la fenêtre a un seul battant, l’absence de celui  de gauche étant rendue moins criante par le linge blanc posé sur le rebord ;

et deux autres plus discutables :

  • la maison que l’on voit dans le reflet de la vitre n’apparaît pas en vue directe (en fait, comme la fenêtre est ouverte à angle droit, le reflet peut parfaitement montrer une maison située en hors champ, sur la gauche de la fenêtre) ;
  • les rayures du rideau de gauche sont verticales, celles du rideau de droite sont en oblique : il faut comprendre que le rideau de droite a été repoussé par le battant ouvert (même si l’oblique est exagérée).




dali jeune-vierge-autosodomisee-par-les-cornes-de-sa-propre-chastete-1954

Jeune Vierge autosodomisée par les cornes de sa propre chasteté,
Dali, 1954,Collection privée

Selon certains critiques, ce  tableau serait, vingt ans après,  une charge de Dali contre sa soeur, pour la punir d’avoir publié une biographie particulièrement négative. Selon d’autres, la femme serait Gala. En fait, le nu est  copié sur une revue sexy des années 30.


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dali 1925 pieds dali jeune-vierge-autosodomisee-par-les-cornes-de-sa-propre-chastete-1954 pieds

Mais l’auto-citation fait peu de doute, ne serait ce que dans le détail des ballerines sans talon.


dali 1925 perspective dali jeune-vierge-autosodomisee-par-les-cornes-de-sa-propre-chastete-1954 perspective

Dans le premier tableau, le point de fuite construit par les lignes du plancher,  de l’embrasure et du battant, tombe nettement au-dessus du niveau de la mer (sommes à un étage élevé de la maison), un peu au dessus et à gauche de la jeune fille. Ainsi la construction est conçue pour appeler le spectateur à venir combler le vide, et s’accouder fraternellement à gauche de la jeune fille.

Dans le second tableau, le point de fuite place le spectateur dans une situation  radicalement différente de l’admiration  fraternelle de 1925  : voyeurisme, par sa position latérale ; et fétichisme, par sa position basse, au niveau de la croupe.


dali jeune-vierge-autosodomisee-par-les-cornes-de-sa-propre-chastete-1954 cornes

Dans les oeuvres de cette époque, les cornes de rhinocéros tronquées sont fréquentes. Phalliques vues de côté, elles se révèlent vaginales vues par la tranche (celle qui effleure la chevelure de la jeune fille), voire virginales lorsque la cavité disparaît (celle qui effleure sa croupe). C’est ainsi que le titre du tableau est topologiquement justifié.

Tandis que sept cornes volantes assiègent la jeune femme, sept fragments métalliques de la barre d’appui flottent dans l’air, ligne droites amollies en courbes, dont l’une se referme en jarretelle sur la cuisse et l’autre en prépuce sur la corne.


dali jeune-vierge-autosodomisee-par-les-cornes-de-sa-propre-chastete-1954 detail dentelliereVermeer, Le Dentellière (détail), 1669-71, Louvre, Paris dali jeune-vierge-autosodomisee-par-les-cornes-de-sa-propre-chastete-1954 detail

Dali prétendait que ce tableau « l’un des plus chastes de tous », lui avait été inspiré par la Dentellière :  de même que la composition de Vermeer converge vers une aiguille qu’on ne voit pas piquer, de même celle de Dali élude, par le flou, la rencontre attendue de la croupe et de la corne.

Tandis que sept cornes volantes assiègent la jeune femme, sept fragments métalliques de la barre d’appui flottent dans l’air, ligne droites amollies en courbes, dont l’une se referme en jarretelle sur la cuisse et l’autre en prépuce sur la corne.



L’effet de striptease

Coffret de mariage 1390-1400 atelier de Baldassare Ubriachi Venise ou Florence Jugement de Paris avec Mecure VandA A 27-1952Histoire de Pâris (Eléments d’un Coffret de mariage)
Atelier de Baldassare Ubriachi (Venise ou Florence) 1390-1400, Victoria and Albert Museum (N° A 27-1952)

  • La scène 7 montre Mercure apparaissant à Pâris dans un rêve et lui demandant de départager les trois déesses.
    Dans la scène 8, Mercure tenant la pomme d’or se décale en arrière, laissant les trois déesses nues face à Pâris toujours endormi.

L’invitation au déshabillage nuptial se fait donc sous l’alibi de l’onirisme.

 


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triptyque satirique 1

Texte du phylactère :
« Laisse ce panneau fermé, sinon tu seras fâché contre moi ».

Bien sûr, le spectateur va ouvrir le panneau, et trouver derrière…


triptyque satirique 2 triptyque satirique 3

Diptyque satirique
Anonyme flamand, début XVIème, Collections de l’Université de Liège

…le derrière du même personnage, avec un chardon fiché dans son pantalon :  » Ce ne sera pas ma faute car je t’avais prevenu avant. « 

En face, un fou fait la grimace : « Et plus nous voudrons te mettre en garde, plus tu auras envie de sauter par la fenêtre. « 

La signification précise de cette oeuvre unique, et notamment du chardon, nous reste inconnue. Contre quel interdit s’agit-il de nous mettre en garde ? Homosexualité, scatologie, avarice ? En l’absence de toute source et de tout élément de comparaison, mieux vaut s’abstenir d’échafauder [8].



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Pietro Bertelli, Courtesan and Blind Cupid c. 1588,METUne Courtisane et Cupidon aveugle
Pietro Bertelli, vers 1588, MET

C’est à Venise, ville de toutes les licences, que Pietro Bertelli a publié des gravures à volets, le sommet de l’érotisme pour l’époque (sur de telles gravures à sujet macabre, voir Plus que nu).


Album de souvenirs italiens XVIIeme

Livre de famille (Stammbuch) de Philipp Hainhofer, 1597

D’après l’inscription en allemand, Philipp Hainhofer avait dix neuf ans quand il a collé dans son Stammbuch cette image, inspirée des gravures de Bertelli, que lui avait donnée un ami. Les deux sentences encouragent avec humour le jeune consommateur :

Peu de sagesse suffit à celui qui a bonne fortune

Poco senno basta a chi fortuna è buona ,

Une fois la lampe enlevée, pas de différence entre les femmes

Sublata lucerna nihil interest inter mulieres


Album de voyage Cortesiana Vedoa ferarese

Cortesiana, Vedoa ferarese
Album de voyage, XVIIème siècle, photo Margherita Palumbo [0c]

Cette image est typique des albums personnels que les riches touristes du Nord faisaient réaliser par des artistes italiens. Elle met en parallèle deux stéréotypes, une courtisane multicolore et une veuve noire, sans doute moins opposés qu’ils ne nous le semble aujourd’hui : car les veuves étaient appréciées pour leur liberté sexuelle.



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Honthorst 1625 Smiling Girl, a Courtesan, Holding an Obscene Image Saint Louis Art Museum Honthorst 1625 Smiling Girl, a Courtesan, Holding an Obscene Image Saint Louis Art Museum detail
Qui reconnaît mon cul de derrière
(wie kent mijn naers [kont] van afteren)

Courtisane tenant une image obscène
Honthorst, 1625, Saint Louis Art Museum [9]

La jeune femme en riches habits, diadème à plumes et décolleté pigeonnant, qui nous regarde de face en souriant, nous présente une femme nue, vue de dos, qui nous surveille entre deux doigts écartés en nous défiant de la reconnaître.

Il ne fait aucun doute qu’il s’agit du portrait promotionnel d’une courtisane, en public et dans l’intimité.


Honthorst 1625 L'entremetteuse Centraal Museum Utrecht

L’entremetteuse
Honthorst, 1625, Centraal Museum, Utrecht

On la retrouve comme enjeu dans cette transaction entre une vieille entremetteuse et un jeune homme dont la vue à contre-jour souligne la timidité.



Honthorst 1625 L'entremetteuse Centraal Museum Utrecht detail
Tandis que les mains de chair sont encore écartées, celle d’ombre fusionnent déjà sur le luth. Et l’éteignoir mis en évidence sous l’aisselle, dit bien ce qui va arriver à la bougie.



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Martin van Meytens - Kneeling Nun c1731 Martin van Meytens - Kneeling Nun b

Nonne agenouillée
Martin van Meytens le jeune, 1731, Stockholm, Nationalmuseum

Le jeune nonne en prière se retourne  en souriant  vers le visage d’une vieille passant à travers les barreaux. Seul le rideau rouge posé  bizarrement sur le le Prie-Dieu pourrait suggérer aux mauvais esprits l’idée d’un dévoilement….

La paillardise vient ici d’une triple  transgression : scène de séduction entre femmes, entre religieuses, entre  jeune et  vieille, dans laquelle  le spectateur s’identifie, par construction,  à la vieille nonne libidineuse.

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boucher 1742 tableaux superposes

L’enfant gâté, La gimblette, Boucher, 1742, Staatliche Kunsthalle, Karlsruhe

La jupe relevée, L’oeil indiscret, Boucher, 1742, Collection privée

Réalisés pour le fumoir du financier Pierre Paul Louis Randon de Boisset, les deux peintures « découvertes » masquaient les deux peintures  « couvertes » de manière à ménager, pour les spectateurs éclairés, le plaisir de la surprise et celui de la comparaison (voir plus d’informations dans Les pendants de Boucher).


Boucher 1743 Odalisque coll privL’odalisque habillée, collection particulière (65 x 51 cm) Boucher-1743-Lodalisque_brune_LouvreL’odalisque brune, Louvre, Paris (65 x 53 cm)

Boucher, 1743

L’année suivante, Boucher réalise, en version nue et en version habillée, ce portrait affriolant dont on a dit, au choix, qu’il serait celui de sa femme ou de la Marquise de Pompadour. Vu la coïncidence de dates avec les tableaux précédents, , Il est probable que la version habillée servait de couvercle à l’autre.



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a-pair-of-reverse-glass-paintings XVIIIeScène pastorale a-pair-of-reverse-glass-paintingsVénus et Cupidon

Peintures sur verre, XVIIIème siècle

Derrière la quenouille et la flûte se cachent deux instruments plus offensifs : l’arc et la flèche, que Vénus tient  pour l’instant hors de portée d’un  Cupidon impatient. Les sages occupations du recto – filer la laine et filer la chansonnette – sont trahies par le verso qui révèlent ce qu’elles taisent : le désir de tirer un coup.



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Fussli A Woman Standing at a Dressing Table or Spinet, c. 1790-1792 National Gallery OttawaFemme debout contre une table ou une épinette
Füssli , 1790-1792, National Gallery, Ottawa
Fussli A Woman on a balcony with high dressed hair and hat 1790-92Femme à la fenêtre
Füssli , 1790-1792,Auckland Art Gallery

Exemple de pendant recto-verso avec cette vue de dos de l’affriolante Madame Füssli devant un rideau ouvert, puis vue  de face à la fenêtre (noter  la jupe probablement relevée)


Fussli A Woman Standing at a Dressing Table or Spinet, c. 1790-1792 National Gallery OttawaFemme debout contre une table ou une épinette
Füssli , 1790-1792, National Gallery, Ottawa
Fussli Callypiga 1790-1800 coll priveeCallypiga
Füssli,  1790-1800, Collection  privée

Exemple de pendant habillé/nu et bienséant/érotique : à droite, Madame Füssli [10] s’admire dans un miroir tout en se laissant admirer, encadrée par deux pieds de table gaillards. A noter l’étonnante frise du tapis, où une vulve se trouve doublement attaquée, puis relâchée, dans une sorte de cinématographe paillard.


Dominique Vivant Denon Neapolitan woman, standing, facing front, and lifting her skirt to reveal her nudity. 1787 British museum Dominique Vivant Denon Neapolitan woman, standing, from behind, and lifting her skirt to reveal her nudity. 1787 British museum

Femme napolitaine
Dominique Vivant Denon, 1787, British Museum

D’autres artistes de la même époque ont sacrifié au fantasme de la jupe relevée :  ces deux études font le tour du sujet.



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P00742A01NF2008 001La maja nue
Goya, entre 1790 et 1800, Prado, Madrid
P00741A01NF2008 001La maja vêtue
Goya, 1800-1803, Prado, Madrid

La version nue a précédé la version habillée, mais bientôt les deux ont été présentées en superposition, selon le même procédé que Boucher :

 » les deux grands tableaux … étaient la propriété de Manuel Godoy ; le tableau avec la femme habillée était placé sur le tableau avec la femme nue, et c’était un mécanisme qui permettait de découvrir le second.  » [11]



Manet Jeune femme habillee en costume espagnol 1862Jeune femme habillée en costume espagnol,
Manet,1862,New Haven, Yale University Art Gallery

Un peu plus tard, Manet s’amuse avec les classiques : sur le divan de Madame Récamier, il dépose la Maja Nue tout en la rhabillant… en homme ! [12]


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1856 Antoine_Wiertz_Coquette_DressLa coquette habillée
Antoine Wiertz, 1856,
Musée Wiertz, Bruxelles
1856 Antoine Wiertz-Le miroir du diableLe miroir du Diable
Antoine Wiertz, 1856,
Musée Wiertz, Bruxelles

Wiertz renoue avec  le procédé XVIIIème des deux peintures couverte et découverte, sans que nous sachions si la paire était destinée être présentée superposée ou juxtaposée.

L’élément novateur est ici le miroir qui, lorsque c’est le diable qui le manipule, déshabille la coquette et la transforme en dévergondée (voir Le miroir transformant 2 : transfiguration).



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masson_-_l_origine_du_monde_-_1955Terre érotique
André Masson, 1955
Origin-of-the-WorldL’origine du monde
Courbet, 1866, Musée d’Orsay

Le dernier propriétaire, Jacques Lacan, avait demandé un cache à son ami André Masson. Il est fort probable que « Terre érotique », tracée d’un fin trait blanc  comme par un pinceau à un seul poil, ait été conçue comme une antithèse ironique de l’abondante toison noire. Pour un résumé des aventures du célèbre tableau et de ses caches, voir [13].



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pendule a secret Circa 1900 A pendule a secret Circa 1900 B

Pendule à secret, vers 1900

La plupart des objets érotiques « à transformation » ne se contentent pas d’un simple striptease.



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Alfons Walde Elegant lady coll part Alfons Walde Elegant lady with raised skirt coll part

Alfons Walde, vers 1940, collection particulière

Le peintre autrichien Alfons Walde s’essaye ici au pendant Habillé/Déshabillé, mais sa formule favorite est celle de la femme recto-verso (voir 4 Les figure come fratelli : postérité).

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verres-annees-50-5 Photo lescopainsd-abord.over-blog.com
Photo lescopainsd-abord.over-blog.com

En 1941 apparait un tout nouveau procédé breveté pour la première fois par Meyercord : les images de pin-up dénudées sont recouvertes d’une couche de décalcomanie blanche qui disparaît lorsqu’elle est humidifiée et refroidie [14].



verres-annees-50-3 Photo lescopainsd-abord.over-blog.com
Le procédé fonctionne aussi en recto-verso.



verres strptease 1983
Il se décline jusque dans les années 80.


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Pinup cristal Paris Hollywood N°82 1949 couverture Pinup cristal Paris Hollywood N°82 1949 souris

Pinups avec masque en papier cristal, Paris Hollywood N°82 1949

1960 ca pinup cristal A1 1960 ca pinup cristal A3 1960 ca pinup cristal A2

Pinups avec masque en papier cristal, vers 1960

En pleine mythologie de l’effeuillage, des revues parisiennes imaginent cette solution peu convaincante.



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miroir strptease Germany A miroir strptease Germany B

Miroirs à couvercle basculant

Une autre innovation plus robuste, due à la technologie allemande.



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Sie kommen (Naked and Dressed) Helmut Newton, 1981 naked Sie kommen (Naked and Dressed) Helmut Newton, 1981 dressed

Sie kommen (Naked and Dressed)
Helmut Newton, 1981, Paris

La version nue révèle  des symétries puissantes :

  • devant, une brune  et une blonde avancent à contrepied l’une de l’autre ;
  • derrière, deux « suivantes » avancent les mains sur les hanches,  chacune  à contrepied de la « maîtresse » vers laquelle elle tourne la tête.

La version habillée ajoute des  symétries  différentes : les deux pantalons et les deux jupes se répartissent par symétrie centrale, tandis que les deux capes se trouvent dans la moitié droite. Le chapeau qui couronne la blonde la met en position de meneuse, d’autant qu’elle est maintenant la seule à lever le pied gauche (la deuxième fille a changé de pied).


A la difficulté technique, Newton ajoute la virtuosité thématique. Dans cette marche suspendue :

  • la version nue met à  égalité  les deux dominantes, la brune et la blonde ;
  • la version habillée consacre la victoire de la blonde.



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Olga Zavershinskaya

Photographie de Olga Zavershinskaya

On passe de l’une à l’autre simplement en relevant la robe.


Références :
 [1] https://fr.wikipedia.org/wiki/Monna_Vanna
[2] Catalogue de l’exposition de 2019 : Mathieu Deldicque, « La Joconde nue »,  musée Condé.
[3] R. Lebègue, Note sur un tableau du musée de Rennes,  Annales de Bretagne. Tome 37, numéro 3-4, 1925. pp. 377-383; http://www.persee.fr/doc/abpo_0003-391x_1925_num_37_3_1622
[4] https://fr.wikipedia.org/wiki/Juliette_R%C3%A9camier
[5] Pour une étude des Femmes d’Alger sous toutes les coutures, voir http://www.jcbourdais.net/journal/delacroix.php
[6] http://www.metmuseum.org/blogs/digital-underground/2015/paintings-uncovered
[7] https://fr.wikipedia.org/wiki/Madame_X_(John_Singer_Sargent)
[8] http://www.wittert.ulg.ac.be/fr/flori/opera/anonyme1/anonyme1_notice.html
[8a] Margherita Palumbo, « A Unique Souvenir from Venice, » 28 August 2019, https://www.prphbooks.com/blog/2019/8/27/a-unique-souvenir-from-venice
[9] https://nl.wikipedia.org/wiki/Jonge_vrouw_met_een_medaillon
[10] L’inscription en haut à gauche est Powell en lettres grecques. Au verso, également crypté en lettres grecques, on peut lire Soph Rawlins, le nom de jeune fille de l’épouse de Füssli, qui lui a inspiré de nombreux dessins fantasmatiques.
[11] https://fr.wikipedia.org/wiki/La_Maja_nue
https://fr.wikipedia.org/wiki/La_Maja_v%C3%AAtue
[12] http://kerdonis.fr/ZMANET01/
[13] https://www.cineclubdecaen.com/peinture/peintres/courbet/originedumonde.htm
[14] Une large collection de verres striptease : https://lescopainsd-abord.over-blog.com/2023/02/les-verres-strip-tease-des-annees-70-80-par-nath-didile.html

Les pendants d'histoire : temps modernes

11 février 2017
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Isaïe d’Issenheim
 Garouste, 2007, Diptyque

Nous avons la chance d’avoir une description par l’artiste de cette oeuvre complexe.   Nous la  citons presque intégralement.


Le panneau de gauche

Garouste réinterprète  le panneau de l’Annonciation du retable d’Issenheim :

Grunewald Retable d'Issenheim Annonciation

Grünewald, 1512-16, Musée Unterlinden, Colmar


Le décor

On retrouve « le dallage polychrome du sol, les culs-de-bouteille des verrières, les remplages flamboyants des baies, les colonnettes et les moulures des arcs ogifs. Dans le dallage du sol de la chapelle, Gérard Garouste a inscrit des motifs géométriques gris-bleu dont plusieurs présentent la forme d’une croix chrétienne. L’intention didactique de l’artiste français apparaît ici en toute clarté : le spectateur doit comprendre que l’espace dans lequel l’artiste allemand a installé la figure de Marie représente, dans l’Isaïe d’Issenheim, le monde du christianisme. »[8]


Isaïe

« Chez Gérard Garouste, le prophète Isaïe retrouve un statut de personne, là où Grünewald le réduit au simple stéréotype du prophète juif enturbanné, traité telle une statue au format réduit par opposition à Marie, figure monumentale aux couleurs de la vie. Tandis que Grünewald a eu l’idée d’associer la statue du prophète à une branche en pierre, l’artiste français a souhaité intégrer ce motif de la branche à la figure du prophète, opérant une fusion de l’humain et du végétal. Des mains et des pieds nus d’Isaïe partent des racines qui constituent à l’évidence, une référence imagée au thème des racines juives de la civilisation chrétienne. »   [8]


Les deux livres

La vue plongeante  permet, tout en respectant l’architecture de la chapelle, d’escamoter le personnage de Marie, dont seul le livre est resté au sol.  A la place de l’archange Gabriel,  un Garouste aux ailes tricolores se trouve enserré dans une camisole de force, bâillonné par un papier illisible.

6-isaiee-d-issenheim-c-gerard-garouste-c-galerie-daniel-templon-c-photo-bertrand-huet detail Isaie 6-isaiee-d-issenheim-c-gerard-garouste-c-galerie-daniel-templon-c-photo-bertrand-huet detail Garouste

« Dans l’ombre de la voûte qui surplombe la scène de l’Annonciation, le prophète Isaïe tient un livre ouvert dont le texte est illisible. Dans l’oeuvre de Grünewald, ce dernier fait pendant à un autre livre ouvert, quelques centimètres plus bas, aux pieds de la Vierge : une citation de l’Evangile de Mathieu y est inscrite en latin, parfaitement lisible, qui passe pour être une traduction du livre tenu par Isaïe. Mais si  l’on se donne la peine d’ouvrir le Livre des Prophètes, à la page dite (Isaïe, VII, 14) et de lire le texte hébreu, on s’aperçoit que cette traduction est erronée. » G.Garouste [9]

Le texte du bâillon est donc  la traduction correcte, mais interdite,  du texte  d’Isaïe, tandis que le livre de Marie exhibe la traduction fautive [10].


Le panneau de droite

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« …Mais le sujet est tabou. De ce détournement et de cette spoliation en règle, on ne parle pas. Ce n’est pas faute d’avoir essayé. Je suis allé frapper un jour d’escapade à la porte d’une église. J’attendais un miracle. J’aurais pu l’attendre longtemps car j’étais paralysé, faute d’avoir avalé un certain médicament. Un infirmier est venu me délivrer. »  G.Garouste [9]


La logique du pendant

« Ambiance gothique. Unité de lieu, une église :  vue extérieure sur le parvis, vue intérieure plongeante depuis une voûte. L’unité de temps s’opère par le moyen du raccourci entre l’ange enroulé dans une camisole et le personnage figé sur le dos, pattes en l’air, comme un gros scarabée. Quant à l’unité d’action, ce pourrait être la Chute. Par cette mise en scène, je reviens sur un sujet que j’ai déjà abordé, celui de la transmission des connaissances et de l’ambiguïté des valeurs culturelles. Mais cette fois, c’est le Fou qui prend la parole car il est un fait acquis qu’un fou parle tout seul et voit des choses que les autres ne voient pas, par exemple les signes manifestes d’une duperie collective. Il est libre de tout dire. » G.Garouste [9]

 



Références :
[1] http://museefabre.montpellier3m.fr/pdf.php/?filePath=var/storage/original/application/47fcbe178c60db598047563b621fe8a1
[2] http://www.ac-orleans-tours.fr/fileadmin/userupload/ia37/PDF/Missions/actionsculturelles/beaux-arts/DOSSIERPEDAGOGIQUEVINCENTAnne-1.pdf
[3] « I got only one short look of it; but I saw nature so beautifully depicted, that in spite of all I could do the tears burst from my eyes, and the impressions made by it is as powerful at this moment as it was then. […] There was never anything of the kind made such an impression on me25. » Hogg, The Art-Union, mai 1839, no 4, p. 74.
[4] On trouvera une traduction documentée dans http://www.address-to-a-haggis.c.la/
[5] http://www.victorianweb.org/painting/wilkie/paintings/2.html
[8] Dossier pédagogique de l’exposition de Mons (24/09/2016 au 29/01/2017) http://www.bam.mons.be/accueil-des-publics/scolaire/dossiers-pedagogiques/exposition-gerard-garouste/view
[10] Gérard Garouste, 2009, Skira p 265
[11] « En hébreu il existe un mot et un seul, betula, pour dire d’une femme qu’elle est vierge. Et un autre mot, alma (alm : caché, secret) pour désigner une jeune fille ; celle que son père soustrait aux regards des hommes, s’il le faut en l’enfermant dans sa chambre. Alma n’est pas nécessairement betula. Les traductions du texte hébreu en grec, puis en latin, ne s’encombrent pas de subtilités aussi crues et choisissent de traduire alma par vierge…. Cet infime glissement de sens serait-il l’effet du hasard, ou des alea de la traduction ? Au regard du dogme, il révèle pourtant la naissance du mythe, fondateur du christianisme, de la pureté de la Vierge. » Gérard Garouste, 2009, Skira p 218

Age d'or (2) : les pendants moraux

8 février 2017
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Ce type particulier de pendant conceptuel se développe dans la seconde moitié du siècle : il tire partie de la structure binaire du pendant pour passer un message moral, en montrant soit deux situations opposées (moralement  ou socialement), soit deux aspects complémentaires de la même notion.

Hogarth 1751 Beer-street-and-Gin-lane

Beer Street, Gin Lane
Hogarth, 1751

Cette paire de gravures militantes compare la prospérité d’une rue où les habitants s’adonnent à la boisson traditionnelle de l’Angleterre, la bière, et la décrépitude d’une population qui s’abandonne à cette nouveauté pernicieuse qu’est le gin.

Conçue pour l’éducation du peuple, ce pendant fourmille de détails croustillants [2], et fonctionne par la profusion plutôt que par la symétrie. Voici les rares détails qui se répondent :

  • le toit en réparation et le toit qui s’écroule ;
  • l’enseigne en forme de tonneau et celle en forme de cercueil ;
  • la maison du prêteur sur gages : en brique, décrépite et sans clients d’un côté, elle est reconstruite en pierre de l’autre, et son enseigne redressée forme une croix impie qui vient se poser juste en haut du clocher.


Hogarth 1751 Beer-street-and-Gin-lane detail peintre
A noter également le personnage du peintre, qui fait le lien entre les deux scènes : sous une image « A la santé du Barley Mow » (chanson à boire traditionnelle), il est en train de peindre, en s’inspirant de la bouteille suspendue, une publicité pour le gin.


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Gabriel de Saint Aubin - Promenade de Longchamp c1760 Musee Rigaud Perpignan 80 x 64 cmLa promenade de Longchamp, Musée Rigaud, Perpignan Gabriel de Saint Aubin La parade du boulevard c1760 National Gallery 80 x 64 cmLa parade du boulevard, National Gallery, Londres [3]

Gabriel de Saint Aubin, vers 1760, 80 x 64 cm

Ces deux tableaux de même taille n’ont pas été exposés ni vendus en pendants : il est néanmoins très probable qu’ils aient été conçus comme tels.


La promenade de Lonchamp

La composition est divisée par les troncs d’arbre en trois sections :

  • à gauche, une table avec trois dames, un gentilhomme qui tend la bouteille et un vieux mendiant qui tend la main ;
  • au centre un couple élégant ;
  • à droite, une vielleuse et un guitariste assis par terre, un chien qui gambade et une file de carrosses qui attendent.


La parade du boulevard

La composition est la encore divisée en trois zones, mais réparties différemment :

  • la foule, dont tous les regards se tournent vers l’estrade ;
  • un couple de comédiens qui s’affrontent à l’épée pour la parade (spectacle gratuit incitant le spectateurs à entrer dans le théâtre) ;
  • un jeune homme endormi sur son tambour (sans doute celui qui a rameuté la foule).


La logique du pendant

Le pendant compare deux spectacles gratuits :

  • à l’extérieur de Paris, une parade pour les riches ;
  • sur le boulevard du Temple, une parade pour les pauvres.



Noël Hallé

Halle 1738 Antiochus tombant de son char Richmond, The Virginia Museum of Fine ArtsAntiochus tombant de son char, The Virginia Museum of Fine Arts, Richmond (99.7 × 135.9 cm)
Halle 1738 Antiochus-dictant-ses-dernieres-volontes-collection HorvitzAntiochus dictant ses dernières volontés, collection Horvitz (100,5 x 135 cm)

Hallé, 1738

Dans le premier tableau, Antiochus, qui se rendait à Jérusalem pour exterminer les juifs et détruire le temple, a un accident de char.

Dans le second, sur son lit de mort, il montre le ciel qui l’a puni, et dicte ses dernières volontés en faveur des juifs.


La logique du pendant

Dans ce pendant extérieur-intérieur, la posture d’Antiochus, couché tête en bas hors de son char, puis tête en haut dans son lit, illustre son relèvement moral.

D’autres symétries se révèlent progressivement entre les deux compositions :

  • les deux chevaux renvoient aux deux soldats ;
  • le soldat qui s’incline vers le visage du roi trouve un écho dans scribe qui note ses dernières paroles ;
  • l’autre soldat, qui relève sa jambe droite fracturée, renvoie au médecin qui la soigne.


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halle Hercule et Omphale Les dangers de l'amour hercule-omphale Salon de 1759 Musee de choletLes dangers de l’amour (Hercule et Omphale) halle Les dangers de l'ivresse bacchanale Salon de 1759 Musee de choletLes dangers de l’ivresse (Bacchanale)

Hallé, Salon de 1759, Musée de Cholet

Mis à part le titre, rien n’apparie réellement ces deux scènes ; et les soi-disant « dangers » (la féminisation d’un côté, la violence et le viol de l’autre) sont montrés avec si peu de conviction que le résultat obtenu est plus proche d’une apologie que d’une mise en garde.


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Halle, l education des riches, 1764-1765 coll partL’éducation des riches
Halle, l education des pauvres, 1764-1765 coll partL’éducation des pauvres

Hallé, 1764-65, Collection particulière

Trois ans après la publication de l’Emile, ce pendant engagé se place résolument dans le camp de Rousseau.

Le jeune riche, encouragé par son précepteur et surveillé  par son père et sa mère, fait face d’un air crispé à son maître de mathématiques, en se reculant le plus possible sur son siège. La mappemonde et le plan de la forteresse disent bien que ce type de savoir est celui qui sert au pouvoir. Le jeune frère, encore un peu libre, feuillette un carnet de dessins à côté d’une guitare qui attend la fin du pensum.

Du côté des pauvres, pas d’enseignant spécialisé, tout le monde instruit les enfants : le père montre comment suivre un plan, la mère surveille la broderie, la grande soeur apprend les lettres à la petite et une servante aide le plus jeune à monter l’escalier.

Un chien de compagnie (inutile) et un chat (utile) complètent la symétrie. A remarquer aussi,à l’extrême droite, le mendiant qui entre chez les pauvres, et à l’extrême-gauche, le valet indifférent qui quitte la pièce des riches. Les uns font la charité, les autres se font servir.


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Halle 1779 Cornelie Mere des Gracque Musee Fabre MontpellierCornélie, Mère des Gracques
Hallé, 1779, Musée Fabre, Montpellier
Halle 1779 Agesilas jouant avec ses enfants Musee Fabre MontpellierAgésilas jouant avec ses enfants
Hallé, 1779, Musée Fabre, Montpellier

C’est dans l’Antiquité  que Hallé va maintenant chercher une mère et un père modèle, pour ce  pendant très classique qui respecte l’opposition intérieur/féminin et extérieur/masculin.

 «Cornélie, mere des Gracques, recevant la visite d’une Dame Campanienne, richement vêtue, & qui tiroit vanité de toutes ses parures, lui dit, en lui présentant ses Enfans, qui revenoient des Ecoles publiques : pour moi, voilà mon faste et mes bijoux. Valere Maxime, lv. IV, ch. 4″ Notice du Salon de 1779 « Quelqu’un riant de voir Agésilas à cheval sur un bâton, avec son fils, qui était encore dans l’enfance : maintenant, lui dit Agésilas, gardez-moi le secret. Quand vous serez père, vous conterez mon histoire  à ceux qui auront des enfants. » Histoires diverses d’Elien, traduites du grec, avec des remarques par B.-J. Dacier, 1772

Cignaroli 1768 La mort de Caton Budapest, Musee des Beaux-ArtsLa mort de Socrate Cignaroli 1768 La mort de Caton Budapest, Musee des Beaux-ArtsLa mort de Caton

Cignaroli, 1768, Musée des Beaux-Arts, Budapest

Le pendant confronte, dans l’ordre chronologique, le suicide édifiant d’un Grec et d’un Romain, entourés de disciples montrant tous les signes de l’affliction la plus extrême :

  • de part et d’autre des deux mains inanimées de Socrate s’opposent la coupe de ciguë avec laquelle il s’est empoisonné, et le livre ouvert qui proclame  son immortalité ;
  • la diagonale de l’épée monte vers le corps christique de Caton le Jeune : on dit qu’il se donna la mort après avoir lu une dernière fois le Phédon de Platon.

Ainsi le livre qui symbolise la sagesse antique passe virtuellement du tableau grec au tableau latin.


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Vincent (Francois-Andre ) 1776 Alcibiade recevant les lecons de Socrate Musee Fabre,MontpellierAlcibiade recevant les leçons de Socrate Vincent (Francois-Andre ) 1776 Balisaire, reduit a la mendicite, secouru par un officier des troupes de l empereur Justinien Musee Fabre,MontpellierBélisaire, réduit à la mendicité, secouru par un officier des troupes de l’empereur Justinien

Vincent (François-André ), 1776 ,Musée Fabre, Montpellier

Bien que le goût néoclassique prétende à une simplification après les excès du rococo, ce pendant  continue à exiger une lecture experte.

Une scène d’intérieur s’oppose à une scène en pleine air. Dans chacune, un jeune soldat casqué et cuirassé dialogue avec un homme mûr barbu, accompagné d’un jeune homme en toge blanche.


Alcibiade et Socrate

A gauche, Alcibiade est un jeune général ambitieux, qui revient prendre conseil auprès de son maître Socrate. Celui-ci, en contrebas du militaire casqué, est remis a égalité par la présence derrière lui de son daimon ailé et couronné de lauriers, qui  lui souffle  la bonne leçon : avant de gouverner les autres, il faut apprendre à se connaître soi-même . De la  main droite, chacun des deux montre  le signe de son pouvoir : le bâton de commandement et l’index de la persuasion.  De la main gauche, chacun tient en réserve son arme  : l’épée ou le rouleau de parchemin [1].

Cette composition en V est sous le signe de la  confrontation : dans le triangle du milieu s’inscrivent le bouclier et le glaive.


Bélisaire

A droite, Bélisaire est un vieux général aveugle et déchu, qui se sert de son casque  pour mendier, et porte encore sa cuirasse sous son manteau de pauvre. Un jeune garçon le guide. Un de ses anciens soldats le reconnait au moment où il lui donne l’aumône, crispant les lèvres devant  la dureté du sort [2].

Cette composition en V inversé est sous le signe de la communion : les mains du jeune homme, de l’homme mûr et du vieillard se rejoignent autour du casque, arme d’orgueil  devenu récipient d’humilité : son retournement est à  l’image du retournement du destin.


La logique

Vincent (Francois-Andre ) schema
Du bâton de commandement au bâton du mendiant, il n’y a que l’interstice  entre les deux pendants.


Peyron

PEYRON Jean Francois Pierre 1781 Belisaire recevant l'hospitalite d'un paysan ayant servi sous ses ordres Musee des Augustins ToulouseBélisaire recevant l’hospitalité d’un paysan ayant servi sous ses ordres, 1779 PEYRON Jean Francois Pierre 1782 Cornelie mere des Gracques Musee des Augustins ToulouseCornélie, mère des Gracques, 1781

Jean François Pierre Peyron, Musée des Augustins, Toulouse

Réalisé deux ans plus tard pour le même commanditaire (l’abbé de Bernis), et exposé avec le premier tableau au salon de 1785, le second tableau a sans doute été conçu comme pendant [6]. Les deux scènes empruntent à chacun des pendants précédents (Vincent 1777 et Hallé 1779), preuve que ces sujets moralisantes étaient devenus pratiquement interchangeables : les deux compositions cohabitent sans interagir, et on aurait bien du mal à trouver un point commun entre elles, dans le fond ou dans la forme, sinon que ce sont toutes deux des exemples édifiants tirés de l’Antiquité.


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PEYRON Jean Francois Pierre 1782 Cornelie mere des Gracques Musee des Augustins ToulouseCimon entrant en Prison pour faire accorder la Sépulture à son Père Miltiade Pierre Peyron 1785 ca Socrate arrachant Alcibiade a la Volupte Musee de GueretSocrate arrachant Alcibiade à la Volupté

Pierre Peyron, vers 1785, Musée de Gueret

Cimon et Miltiade

Le premier tableau illustre la piété filiale de Cimon envers son père :

« Celui-ci, le grand capitaine Miltiade, héros de guerre illustre mais très pauvre, avait été reconnu coupable par Athènes pour péculat. N’ayant pas pu payer l’amende à laquelle on l’avait condamné, il avait été envoyé en prison. Le fils Cimon âgé de vingt ans fit donc preuve à l’occasion du décès survenu lors de l’emprisonnement d’une extraordinaire obéissance au devoir de piété filiale. Il prit la place de son père mourant ou mort (selon les versions) dans la prison, pour assumer personnellement la condamnation prononcée, ce sacrifice volontaire étant le seul moyen qui pût légitimer la sépulture officielle dont son père aurait dû être privé. » [6a], p36


Alcibiade et Socrate

Le second tableau montre également une scène édifiante entre un homme mûr et un jeune homme : Socrate,un livre sous le bras, vient chercher Alcibiade dans le lit des courtisanes : il lui fait honte en lui montrant ses armes qu’il a attachées à une statue de Priape, dont la fumée du brasero voile opportunément la partie sensible. Alcibiade quitte sa couronne de fleurs, on comprend qu’il gagnera à la place une couronne de lauriers.


La logique du pendant

Initialement, les tableaux devaient montrer, en intérieur et en extérieur, deux épisodes de la vie de Socrate :

« Lorsque d’Angiviller commande, en 1780, deux tableaux en pendant à Peyron, il propose pour sujet du premier la mort de Socrate (mais Peyron choisir de traiter les Funérailles de Miltiade): pour le second, il écrit à Vien: Je ne serois pas faché que l’un des deux [tableaux) fût un sujet où il y eût des femmes, et nues, car il dessine bien» (Correspondance des Directeurs, L. XIV. p. 14 » [6b], p 102

Le remplacement de la Mort de Socrate par le sujet bien plus rare de la Mort de Miltiade est l’occasion d’une composition à la Watteau (centre vide / centre plein) , d’une grande symétrie :

  • rapport père-fils et mentor-disciple ;
  • armes suspendues de Cimon et d’Alcibiade ;
  • lit de mort et lit de volupté.


Giuseppe_Cades 1782 ca Achille,_jouant_de_la_lyre_sous_sa_tente_avec_Patrocle,_est_surpris_par_Ulysse_et_Nestor LouvreAchille jouant de la lyre sous sa tente avec Patrocle, est surpris par Ulysse et Nestor, Louvre giuseppe-cades 1782 -la-vertu-de-lucrece-ou-tarquin-le-superbe-et-collatinus-chez-lucrece Toledo Museum of ArtLa vertu de Lucrèce, ou Tarquin le superbe et Collatinus chez Lucrèce, Toledo Museum of Art

Giuseppe Cades, vers 1782

La surenchère néoclassique fait que les sujets deviennent rares, et les titres à rallonge cachent souvent la minceur du propos.

Le premier tableau illustre un passage du Chant IX de l’Iliade, où les Grecs viennent en ambassade auprès d’Achille pour tenter de l’enrôler dans leur camp.

Pour le second, par raison de symétrie, il fallait un sujet tiré de l’histoire romaine, et une héroïne d’un calibre suffisant pour équilibrer le divin Achille. La chaste Lucrèce pouvait faire l’affaire, mais pas dans sa scène du suicide, tellement ressassée depuis deux siècles : Cades imagine donc une scène originale, où elle coud des manteaux pour les soldats, avec ses dames de compagnie. Elle reçoit la visite-surprise de son mari Collatinus (qui lui prend la main), et de Tarquin, l’allié de celui-ci : à la manière dont il la scrute, on devine la suite : il va la violer et elle se poignardera pour échapper au déshonneur.


La logique du pendant

L’idée sous jacente est de montrer comment l’irruption de guerriers, dans un lieu protégé, va arracher un beau musicien à sa lyre et une noble dame à sa couture, pour les transformer en héros.

Ce type de production très intellectuelle peut sembler une impasse puisque, sans les titres, le pendant ne fonctionne pas. Turner au siècle suivant renouera avec cette inflation textuelle et assumera totalement l’alliance du pictural et du littéraire : ses pendants, pour être compris, seront non seulement affublés de titres copieux mais accompagnés de poèmes explicatifs (voir Les pendanst de Turner 1797-1828).


Un cas très intéressant sur la loqique des pendants moraux à la fin du XVIIème siècle est celui d’Angelica Kauffmann, qui a consacré au thème de « Cornélie, Mère des Gracques » trois pendants très différents, sorte de point culminant du néo-classicisme : voir Les pendants d’Angelica Kauffmann.

George Morland, c.1789 The effects of youthful extravagance and idlenessLes effets des excès et de l’oisiveté de la jeunesse (The effects of youthful extravagance and idleness) George Morland, c.1789 The Fruits of Early Industry and EconomyLes fruits de l’économie et de l’activité précoces (The Fruits of Early Industry and Economy)

George Morland, vers 1789, collection privée

Lorsqu’un peintre se livre désormais à l’exercice des correspondances, c’est avec une lourdeur moralisatrice et un parallélisme rigoureux :

  • le père de famille maigre, en habits rapiécés, assis à une table vide, lève les yeux vers le ciel en attendant un salut qui ne viendra pas ; tandis que le père de famille gras, en perruque, assis à une table encombrée de papiers et de pièces, reçoit d’un clerc affairé (la plume entre les dents) un paiement bien mérité ;
  • la mère pauvre se crève les yeux à coudre, tandis que la riche tend à sa fille une grappe de raisins ;
  • la fille de la maison sert de servante en attisant le pauvre feu tandis que la fille riche est servie par un domestique noir ;
  • le jeune fils allongé par terre, la manche déchirée, a laissé tomber son livre pour jeter vers son père un regard de reproche, tandis que le fils de famille riche, à l’abri de tout besoin, joue tranquillement avec le chien.


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A Married Sailor's Return c.1800 by Julius Caesar Ibbetson 1759-1817Le retour du marin marié An Unmarried Sailor's Return c.1800 by Julius Caesar Ibbetson 1759-1817Le retour du marin non-marié

Ibettson, 1800, Tate Gallery

Le marin marié rentre dans sa maison montrant tous les signes de la prospérité et de la continuité familiale : ses vieux parents, sont fils qui joue déjà au bateau, les porcelaines sur la cheminée, les pièces répandues sur la table et la malle qui passe juste par la porte.

A l’inverse, le marin non marié rentre dépenser ses sous au cabaret, entouré de musiciens, de filles et d’ivrognes.

 

Références :
[2] https://en.wikipedia.org/wiki/Beer_Street_and_Gin_Lane
[3] https://www.nationalgallery.org.uk/paintings/gabriel-jacques-de-saint-aubin-a-street-show-in-paris
[4] http://museefabre.montpellier3m.fr/pdf.php/?filePath=var/storage/original/application/47fcbe178c60db598047563b621fe8a1
[5] http://www.ac-orleans-tours.fr/fileadmin/userupload/ia37/PDF/Missions/actionsculturelles/beaux-arts/DOSSIERPEDAGOGIQUEVINCENTAnne-1.pdf
[6] https://www.nationalgallery.org.uk/paintings/jean-francois-pierre-peyron-cornelia-mother-of-the-gracchi
[6a] Jacques Berchtold, «Les témoignages littéraires du thème de Cimon et Miltiade » dans « Le jardin de l’esprit: textes offerts à Bronislaw Baczko » De Bronisław Baczko, Kaja Antonowicz, Michel Porret, François Rosset https://books.google.fr/books?id=rTjtkNRH_JoC&pg=PA36#v=onepage&q&f=false
[6b] Pierre Rosenberg, Udolpho Van De Sandt « Pierre Peyron: 1744-1814″

L'âge classique : sujets religieux

7 février 2017
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Les diptyques chrétiens avait déjà exploré toutes les possibilités des pendants :

  • élargir et symétriser une même scène : l’Annonciation, avec l’Ange et Marie,
  • mettre en regard deux scènes opposées : la Nativité et la Crucifixion,
  • exposer deux scènes consécutives : la Mise en croix et la Descente de Croix.

C’est  au XVIIème siècle que la mode  viendra  d’appliquer ces procédés à la peinture d’histoire, qui allait devenir pour longtemps le genre privilégié des pendants.

Sujets religieux

Ces pendants favorisent la méditation en rapprochant deux épisodes  :

  • de  l’Ancien et le Nouveau Testament ;
  • offrant une composition similaire, soit symétrique, soit parallèle ;
  • plus rarement, illustrant  deux temps d’une histoire.



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Rustici-Francesco-1625-ca-Salome-Musee-BA-Budapest-218-x-156-cmSalomé et la tête de Saint Jean Baptiste, vers 1625, Musée des Beaux Arts, Budapest (218 x 156 cm)
Rustici Francesco 1624 ca Saint Sebastien soigne par Irene Musee des BA Amiens 224 x 154 cmSaint Sébastien soigné par Irène, vers 1624, Musée de Picardie, Amiens (224 x 154 cm)

Francesco Rustici

Ce probable pensant confronte, à la même lumière d’une torche, deux meurtrières juives et deux sauveteuses romaines. La grande tâche rouge de la robe de Salomé met en évidence, dans un déséquilibre voulu, l’absence du corps décapité.



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Liss Johan_-_La deploration d abel_1628-29 Venise, Galerie de l AcademieLa déploration d’Abel Liss Johan_-_The_Sacrifice_of_Isaac_1628-29 Venise, Galerie de l AcademieLe sacrifice d’Isaac

Johan Liss, 1628-29, Galerie de l’Académie, Venise


E 1645-91 Lievo Mehus Sacrifice d'Isaac Statens Museum for Kunst CopenhagueLe sacrifice d’Isaac E 1645-91 Livio Mehus Moise et le buisson ardent Statens Museum for Kunst CopenhagueMoïse et le buisson ardent

Livio Mehus, 1645-91, Statens Museum for Kunst, Copenhague

Sur ces pendants, voir   Le sacrifice d’Isaac : 4 variantes, formes atypiques

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I luca-giordano sacrifice abel et cain coll partSacrifice d’Abel et Caïn I luca-giordano sacrifice Isaac coll partSacrifice d’Isaac

Luca Giordano, Collection particulière

A la fin du siècle, Luca Giordano mettra également en rapport l’histoire d’Abel et Caïn et celle d’Abraham et Isaac  en mettant cette fois en valeur l’idée de Sacrifice. Sur ce pendant, voir  voir Le sacrifice d’Isaac : 4 variantes, formes atypiques



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Mattias Stom 1630-50 The Adam et Eve pleurent la mort d'Abel Musee des BA La ValetteLa déploration d’Abel Mattias Stom 1630-50 Parabole di bon samaritain Musee des BA La ValetteParabole du bon samaritain

Mattias Stom, 1630-50, Musée des Beaux Arts, La Valette

Mattias Stom apparie le  thème de la Déploration d’Abel avec une scène du Nouveau Testament, la Parabole du bon Samaritain (Luc 10.25-37).

Il s’agit d’un pendant parallèle qui met en correspondance :

  • deux victimes innocentes : Abel assassiné et un Juif attaqué par un brigand ;
  • deux hommes à genoux et le bras tendu : le vieil Adam par impuissance, le brigand par méchanceté aveugle ;
  • deux personnages culminant en haut du triangle des corps : Eve se tordant les mains de douleur, le bon Samaritain se servant des siennes pour arrêter le meurtrier (dans la Parabole, il a un rôle moins spectaculaire, se limitant à panser et à ramasser le blessé) ;
  • deux évocations du Mal et du Passé, dans le triangle en haut à gauche : Caïn le meurtrier s’enfuyant au milieu des chardons, et les voyageurs qui ne se sont pas arrêtés pour porter secours.

Cette composition livre un message fort : dans le cas du Bon Samaritain, le Mal n’est pas incarné par le brigand, simple instrument : le véritable crime, comparable à celui d’Abel, n’est pas le Meurtre, mais l’Indifférence à la souffrance.



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da Cortona, Pietro, 1596-1669; Laban Seeking His IdolsLaban cherchant ses Idoles, Bristol Museum et Art Gallery Pietro da Cortona 1630–35 Alliance_of_Jacob_and_Laban LouvreL’Alliance de Jacob et de Laban, Louvre

Pietro da Cortona, 1630–35

Ces deux tableaux ont été commandés l’un par le cardinal Francesco Barberini, l’autre par son frère Antonio (les deux étant en concurrence auprès de leur oncle le pape Urbain VIII). Ils montrent deux temps d’une même histoire (Genèse 31, 19-54) : après avoir épousé Léa et Rachel, les deux filles de son oncle Laban, Jacob s’est enfui en empruntant les idoles de celui-ci.

Le premier tableau montre Laban qui, ayant rattrapés les fugitifs à la montagne de Galaad., cherche ses idoles dans un coffre dont Jacob tient le couvercle ouvert. A droite Léa est debout et Rachel assise.



Pietro da Cortona 1630–35 Laban Seeking His Idols Bristol Museum et Art Gallery detail
Mais les idoles sont en fait dissimulées sous le tissu bleu : « Rachel avait pris les théraphims, les avait mis dans la selle du chameau et s’était assise dessus. » Rachel dit qu’elle était indisposée et son père ne trouva rien.

Finalement, père et beau-fils se réconcilièrent, édifièrent un monceau de pierres pour délimiter leurs domaines et « Jacob offrit un sacrifice sur la montagne ».

C’est ce que montre le second tableau où réapparaissent les quatre mêmes personnages, mais dans un ordre différent : Léa, Rachel, Jacon et Laban.


La logique des pendants (SCOOP !)

Compte-tenu des circonstances très particulières de la commande, le peintre a dû veiller à maintenir un équilibre rigoureux entre les deux tableaux, notamment en ce qui en faisait la valeur, c’est-à-dire le nombre de figures :

  • en compensation des deux serviteurs qui déchargent les chameaux, il rajoute dans le second tableau deux enfants nus, sans nécessité narrative ;
  • le serviteur en manteau brun qui rattachait un ballot à l’arrière-plan est équilibré par celui qui, au premier plan, alimente le brasier ;
  • à l’aiguière avec son plateau, sortis du coffre, correspond celle sur laquelle un des enfants s’appuie et le plateau posé au centre, là encore sans nécessité narrative (il ne sert pas à recueillir le sang de l’agneau).



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Ribera 1639 Dream of Jacob PradoLe rêve de Jacob Ribera 1639 Liberation of st Peter PradoLa libération de Saint Pierre

Ribera, 1639, Prado, Madrid

A gauche, Jacob voit dans son sommeil une échelle entre ciel et terre, d’où les anges descendent et montent. A droite, Saint Pierre dans sa prison est réveillé par un Ange qui vient le libérer : les anneaux qui enserraient ses poignets s’ouvrent miraculeusement.

Le thème du pendant est donc « L’ange dans le sommeil », avec un exemple dans l’Ancien Testament et un dans le Nouveau. Chacun des tableaux présente sur sa gauche une issue impossible : l’arbre qui ne monte pas jusqu’au ciel, la fenêtre grillagée ; et sur sa droite la sortie angélique : vers la divinité ou vers la liberté.

Au centre, les barreaux de l’échelle font charnière avec les barreaux de la grille, imposant l’ordre de lecture.


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H lippi, Lorenzo , Abraham et Isaac _da_s.lucia_a_montecastello Museo diocesano (San Miniato).JPGAbraham et Isaac H lippi, Lorenzo agar_nel_deserto,_da_s.lucia_a_montecastello Museo diocesano (San Miniato)Agar au désert

Lorenzo Lippi (attr), vers 1640, provenant de l’église Santa Lucia de Montecastello, Museo diocesano, San Miniato

Pour ce pendant, voir Le sacrifice d’Isaac : 4 variantes, formes atypiques

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5Oa 1640-50 Pasquale Chiesa sacrifice isaac Doria PamphiliLe Sacrifice d’Isaac 5Oa-1640-50-Pasquale-Chiesa-agar-et-lange-Doria-PamphiliAgar et l’ange

Pasquale Chiesa, 1640-50, Galerie Doria Pamphili, Rome

Pour ce pendant sur le même thème, voir Le sacrifice d’Isaac : 2 type solidaire.


1685-88 Pagani Paolo, Agar er lange, Venise, Palazzo Capello SalvioniAgar et l’Ange 1685-88 Pagani Paolo, Sacrifice d'Isaac, Venise, Palazzo Capello SalvioniSacrifice d’Isaac

Palazzo Capello Salvioni, 1685-88, Venise

Pour ce pendant sur le même thème, voir Le sacrifice d’Isaac : 4 variantes, formes atypiques


1715 Federico_Bencovich Hagar_and_Ishmael_in_the_Desert Schloss WeißensteinAgar, Ismaël et l’ange, Schloss Weißenstein, Pommersfelden 1715 Federico_Bencovich Abraham_s_sacrifice_of_Isaac_-_ Strossmayer Gallery ZagrebSacrifice d’Isaac, Strossmayer Gallery, Zagreb

Federico Bencovich, 1714

Pour cette version du XVIIIème siècle, voir Le sacrifice d’Isaac : 3 format horizontal 



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Museo Thyssen- BornemiszaLes filles de Loth Museo Thyssen- BornemiszaL’ivresse de Noé

Bernardo Cavallino, 1640-45, Musée Thyssen Bornemisza, Madrid

Deux tonalités morales opposées

Dans la Genèse, deux épisodes illustrent l’ivresse d’un Père, avec des moralités opposées : tandis que les deux filles de Loth l’encouragent  dans sa faiblesse afin de commettre le sommet de l’impudicité – l’inceste, les trois fils de Noé le couvrent  d’un manteau afin de masquer ses parties intimes (représentées ici de manière inhabituellement crue).


Une composition rigoureuse

Le format ovale permet de focaliser chaque composition sur un objet significatif : objet du Scandale (la coupe) ou objet de la Pudeur (le manteau).

Le Père abusé est représenté vu de face et assis, le Père protégé vu de dos et couché. Mais tandis que les poses des pères s’opposent, celles des enfants se répondent :

  • la fille de gauche, qui pose une main sur la chevelure grise de son père et tient  la coupe de l’autre, fait pendant au fils de droite, qui pose une main sur la branche d’arbre et ouvre son autre main au dessus du sexe nu de Noé ;
  • la fille de droite fait écho au groupe des deux frères de gauche.


 Une solution graphique ingénieuse (SCOOP ! )

Si l’on examine attentivement ce groupe, on constatera que, de part et d’autre de cette véritable cape d’illusionniste,  ne sont montrées que deux mains, deux mollets, et un seul visage : cette fusion visuelle des deux frères porteurs du manteau les rend symétriques de  la soeur qui porte à deux mains la carafe.



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Giacinto Brandi 1684-1685 Loth et ses filles Palazzo Chigi Ariccia, 160 x 136 cmLoth et ses filles Giacinto Brandi 1684-1685 L'ivresse de Noe Palazzo Chigi Ariccia, 160 x 136 cmL’ivresse de Noé
Giacinto Brandi, 1684-1685, Palazzo Chigi, Ariccia, (160 x 136 cm)

Quarante ans plus trad, ce pendant traite le même thème dans un style plus classique que caravagesque. Cette fois ce sont les deux coupes, en argent et en or, qui sont mises en équivalence.



Giacinto Brandi 1684-1685 schema
Apparemment dissymétrique, la composition s’éclaire si on la lit se lit en deux moitiés :

  • d’un côté les enfants indignes ;
  • de l’autre le père malheureux (accompagné par le Bon fils das le cas de Noé).



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Jordaens 1641-42 Ruth et Naomi Ringling Museum SarasotaRuth et Naomi Jordaens 1641-42 Boaz Ringling Museum Sarasota.Boaz

Jordaens, 1641-42, Ringling Museum, Sarasota

Ce pendant illustre, en deux temps, la rencontre de Ruth avec son futur mari, Boaz. Ruth est une jeune Moabite qui arrive au pays de Juda en accompagnant sa belle-mère Naomi, une Juive qui rentre au pays.

Dans le premier tableau, Ruth a été autorisée par Boaz à glaner dans ses champs : un crible à ses pieds, elle montre sa récolte à Naomi :

« Elle ramassa des épis dans le champ jusqu’au soir, puis elle battit ce qu’elle avait récolté. Il y eut environ 22 litres d’orge…. Sa belle-mère lui dit: «Où as-tu ramassé des épis aujourd’hui? Où as-tu travaillé? Béni soit celui qui s’est intéressé à toi!» Ruth raconta à sa belle-mère chez qui elle avait travaillé: «L’homme chez qui j’ai travaillé aujourd’hui s’appelle Boaz», dit-elle. Naomi dit à sa belle-fille: «Qu’il soit béni de l’Eternel, qui garde sa bonté pour les vivants comme pour les morts! Cet homme nous est proche – lui dit encore Naomi – il est un de ceux qui ont droit de rachat sur nous.» (Ruth 2, 17:20)

Le second tableau illustre l’épisode qui suit, dans lequel Boaz utilise son droit de rachat sur une parcelle de terre appartenant à Naomi :

« Autrefois en Israël, pour valider toute affaire relative à un rachat ou à un échange, on retirait sa sandale et on la donnait à l’autre : c’était ce geste qui servait d’attestation en Israël. Celui qui avait le droit de rachat dit donc à Boaz: «Fais-en l’acquisition pour ton compte» et retira sa sandale ». (Ruth 4, 7:8)


La logique du pendant

En inversant l’ordre héraldique, Jordaens nous fait comprendre que Ruth et Boaz ne sont pas encore mariés. Tout en restant irréprochable par rapport au texte, Jordaens ne peut s’empêcher de jouer avec le thème du vieillard riche et quelque peu ridicule, de l’entremetteuse intéressée et de la jeune femme plantureuse, dont le décoleté n’a rien de biblique.


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stella 1631 Suzanne et les vieillards Coll. David Rust (USA).Suzanne et les vieillards stella 1631 Joseph et la femme de Putiphar Coll. David Rust (USA).Joseph et la femme de Putiphar

Stella, 1631, Collection David Rust (USA) [1]

Réalisé sur marbre jaspé, ce petit pendant extérieur/intérieur regroupe les deux scènes les plus torrides de la Bible en matière de désir sexuel, des deux vieillards pour Suzanne et de la femme de Putiphar pour Joseph. Cette parité fait que le pendant peut être considéré comme :

  • symétrique – si on s’intéresse au sexe des personnages,
  • parallèle – si on s’intéresse aux rôles d’agressé(e) et d’agresseur(euse).

Les textures différentes du support sont laissées découvertes pour représenter d’un côté les parties en marbre, de l’autre les draperies.


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Stella 1647 Salomon recevant la Reine de Saba Musee des Ba de LyonSalomon recevant la Reine de Saba Stella 1647 Salomon_sacrifiant_aux_idoles Musee des Ba de LyonSalomon sacrifiant aux idoles

Stella, 1647, Musée des Beaux-Arts de Lyon [2]

Tirées de la vie de Salomon, ces deux scènes d’intérieur s’opposent d’emblée par l’ambiance lumineuse :

  • lumière naturelle qui vient d’en haut à gauche, au delà du dais de Salomon : la figure du Roi reste dans l’ombre, manière de souligner son humilité par rapport à Dieu ;
  • lumière artificielle des quatre flambeaux qui éclairent d’un côté l’idole, de l’autre ses adorateurs ; une lune décroissante apparaît dans la fenêtre, allusion à la déesse Atsarté à laquelle Salomon aurait fait lui-même des offrandes.

Il semble que Stella ait voulu composer une sorte de développement du chef-d’œuvre de son ami Poussin, Le Jugement de Salomon, qui illustre la sagesse du Roi : la soumission de la richissime Reine de Saba montre les fruits de cette sagesse ; tandis que la soumission de Salomon aux idoles, à la fin de sa vie, en constitue la négation.


La Majesté de Salomon

Le premier tableau,se divise en trois sections bien délimitées :

  • le Roi à gauche, entouré de ses conseillers ;
  • le Reine de Saba au centre, entourée de ses suivantes ;
  • les serviteurs et servantes apportant les cadeaux.

Ceux-ci figurent donc à la fois derrière de la Reine, et au point le plus éloigné du Roi, ce qui souligne leur caractère accessoire.


La Folie de Salomon

Le second tableau se divise, au niveau du brasero qui brûle en hommage à l’idole, en deux sections non hermétiques :

  • a gauche, Salomon à genoux, entouré par ses femmes et des danseuses au sein nu ;
  • à droite le lieu des cadeaux offerts à l’Idole, avec au fond des musiciens et en plan moyen deux danseuses qui ont échappé au groupe.


La logique du pendant (SCOOP !)

Stella 1647 Salomon schema

Un soldat en manteau bleu et un prêtre en manteau rouge flanquent le pendant sur les bords externes (en vert).

Salomon (en bleu) passe du haut au centre, prenant la place subordonnée qu’occupait la Reine et laissant la place supérieure à l’Idole (en rose).

Le point de fuite se décale subtilement : placé à genoux juste derrière la Reine dans le premier tableau, le spectateur se trouve comprimé dans la foule des adorateurs, juste derrière Salomon et au même niveau que lui, accompagnant le Roi dans sa déchéance.


Donato Creti 1720 ca Le roi Salomon sacrifiant aux faux dieux Musee Roger Quilliot Clermont-FerrandLe roi Salomon sacrifiant aux faux dieux Donato Creti 1720 ca Le roi Salomon recoit la reine de Saba Musee Roger Quilliot Clermont-FerrandLe roi Salomon recoit la reine de Saba

Donato Creti, vers 1720, Musée Roger Quilliot, Clermont-Ferrand

Il est amusant de constater que, soixante dix ans plus tard, soumis aux mêmes contraintes de composition panoramique, Creti retrouvera, en les inversant, les mêmes solutions graphiques :

  • sur les bords extérieurs du pendant, symétrie entre les puissances invitantes féminine et masculine : l’idole et Salomon ;
  • au centre de chaque panneau, symétrie entre les deux invités debout, le roi tenant l’encensoir et la reine offrant un coffret d’or.

    sb-line
Stella 1650-55 La Vierge donnant de la bouillie a l'Enfant Jesus Chateau de Blois 66 x 52 cmLa Vierge donnant de la bouillie à l’Enfant Jésus, Chteau de Blois (66 x 52 cm) Stella 1650-55 Christ mort sur les genoux de la vierge Musee municipal de l’Eveche Limoges 65 x 53 cmChrist mort sur les genoux de la vierge, Musée municipal de l’Evêché, Limoges (65 x 53 cm)

Stella, 1650-55

Je me contente ici de citer l’analyse de Sylvain Kerspern [3], qui rattache avec raison ce pendant à la tradition iconographique (illustrée notamment par la Piéta de Michel-Ange) qui met en parallèle la Marie de l’Enfance du Christ avec celle de la Passion :

« Dans ce dialogue imagé, Stella associe les langes contraignants que, jusqu’à la dernière guerre mondiale encore, on appliquait en France aux nourrissons jusqu’à au moins six mois, et le suaire dont la Vierge se sert pour essuyer les blessures de son fils. Le caractère exceptionnellement violent chez Stella de l’image ne me semble précisément pouvoir s’expliquer que comme résultant de ce que propose celle de Blois. Celle-ci, dirions-nous aujourd’hui, nous montre la diversification alimentaire : la robe verte laisse encore voir l’ouverture pour le sein droit, simplement recouvert par la tunique; en complément, la Vierge donne de la bouillie qu’un angelot tient au chaud.
C’est tout le charme et toute la profondeur de bien des ouvrages de Stella, semblant s’attacher à la restitution du quotidien tout en lui donnant un résonnance profonde, spirituelle, encore accrue par la recherche d’un univers formel recherchant l’économie et tendant au monumental. Ainsi, le rapprochement attendu entre les deux tableaux autrefois à Saint-Germain amène à associer la nourriture terrestre apportée par la mère au sacrifice du fils, évoquant ainsi l’Eucharistie transmise par le pain – la bouillie – et le vin – le sang du Christ »



sb-line

Murillo 1664 - 1665 miracle du gentilhomme romain L'apparition de la vierge à Patricio Juan PradoL’apparition de la Vierge au patricien Jean (Joannes Patricius) et à sa femme Murillo 1664 - 1665 miracle du gentilhomme romain Patricio Juan raconte le Miracle au Pape PradoJean raconte le Miracle au Pape
 
Les Hémicycles, ou le Miracle du gentilhomme romain 
Murillo, 1664 – 1665, Prado, Madrid [4]

Ces deux toiles racontent en deux temps la fondation miraculeuse de la basilique Sainte Marie Majeure à Rome, en l’an 852.

  • Dans le premier tableau, l’apparition de la Vierge montre du doigt, à gauche, l’endroit recouvert de neiges où devra s’élever l’église qui lui sera consacrée.
  • Dans le second tableau, le lendemain matin, les mêmes racontent leur rêve commun au pape Liberius ; à droite, une longue procession, menée par le pape en grand apparat, se dirige vers la colline romaine qu’une neige miraculeuse vient de marquer.

Murillo 1664 - 1665 eglise-santa-maria-la-blanca Seville

Eglise Santa Maria la Blanca, Séville

Les pendants se faisaient face de part et d’autre de la nef, de manière à ce que la Vierge soit, dans les deux tableaux, orientée en direction de l’autel. Cette solution, anti-chronologique dans la vue d’ensemble, est logique en vue séparée : chaque tableau est disposé dans le sens naturel de la lecture :

  • l’apparition, puis les rêveurs ;
  • l’audience, puis la procession.


Murillo 1671-74 La multiplication du pain et des poissons Hopital de la Charite SevilleMoïse fait jaillir l’eau du rocher de Horeb Murillo 1671-74 Moise fait jaillir l eau du rocher de Horeb Hopital de la Charite SevilleJésus multiplie le pain et les poissons

Murillo, 1671-74, Eglise de l’Hôpital de la Charité, Séville

Quelques années plus tard, Murillo réalise un autre pendant monumental pour une autre église de Séville : il s’agit de mettre en  parallèle, dans un format panoramique, deux scènes de l’Ancien et du Nouveau Testament relatant un miracle alimentaire. La composition respecte l’opposition classique entre un centre plein (autour du personnage de Moïse) et un centre vide (échappée sur la foule et l’horizon). On s’attendrait néanmoins à ce que le personnage de Jésus se trouve sur le bord droit, concluant la narration.



Murillo hospital-caridad
La disposition des deux toiles l’explique : Jésus se trouve du côté du choeur, et la foule du tableau du côté de la foule des malades.


Berchem Nicolaes 1670 Le Fils prodigue Musees d'art et d'histoire de GeneveLe Fils prodigue
Berchem Nicolaes 1670 Abraham receives Sarah from King Abimelech. Musees d'art et d'histoire de GeneveAbraham reçoit Sarah du Roi Abimelech

Nicolaes Berchem, 1670, Musées d’art et d’histoire de Genève

Ce pendant moralisateur oppose :

  • sous un ciel sombre, le fils perdu qui s’adonne au libertinage, entre une statue de Vénus, un singe sur le piédestal (l’animalité triomphante) et deux chiens qui s’accouplent ;
  • sous un ciel qui s’éclaircit, l’épouse légitime restituée sur l’ordre de Dieu, entre un vase d’abondance, un singe revenu sur terre et trois chiens fidèles.


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van der Werff Adriaen , 1699 Sara brings Hagar to Abraham (Genesis 163-4) Alte Pinakothek, MunichSarah mène Agar à Abraham (Genèse 16,3-4) van der Werff Adriaen , 1699 the banishment of Hagar and Ishmael (Genesis 21,9-21) Alte Pinakothek, MunichLe bannissement d’Agar et d’Ismaël (Genèse 21,9-21)

Adriaen van der Werff, 1699, Alte Pinakothek, Munich

Ce pendant intérieur / extérieur illustre deux moments de l’histoire de la descendance d’Abraham :

  • dans le premier, Sarah, vieille et stérile, présente à son mari Abraham une jeune servante égyptienne, Agar, afin qu’il en ait un fils ;
  • dans le second, Sarah (qui a entre temps miraculeusement accouché d’Isaac) pousse Abraham à chasser dans le désert Agar et son fils Ismaël.

Très didactique, la composition met en parallèle :

  • le couple Abraham / Agar : nu, assis et en contact puis debout, habillé et disjoint ;
  • un tiers familial : la vieille épouse légitime et le jeune fils illégitime ;
  • le vase de vin (pour les ébats) et la gourde d’eau (pour le désert).

van der Werff Adriaen , 1699 Sara brings Hagar to Abraham (Genesis 163-4) Alte Pinakothek, Munich detail van der Werff Adriaen , 1699 the banishment of Hagar and Ishmael (Genesis 21,9-21) Alte Pinakothek, Munich detail

Ajoutons deux morceaux de bravoure, à vocation émouvante mais à effet émoustillant  :

  • le sein d’Agar, mis en exergue par son geste de pudeur ;
  • sa croupe, modelée par le geste de désarroi de son fils.

Références :
[1] http://www.dhistoire-et-dart.com/Stella/Stella_cat_Rome1631_32.html#SuzannePotiphar1631
[2] https://fr.wikipedia.org/wiki/Salomon_recevant_la_Reine_de_Saba
https://fr.wikipedia.org/wiki/Salomon_adorant_les_idoles_(Jacques_Stella)
[3] http://www.dhistoire-et-dart.com/Fortunecritique/Blois-Peintures.html
[4] https://www.museodelprado.es/en/the-collection/art-work/the-foundation-of-santa-maria-maggiore-in-rome/2c656ec2-4a1e-43a0-b26a-d67e1737b8d0
https://www.museodelprado.es/en/the-collection/art-work/the-foundation-of-santa-maria-maggiore-in-rome/61495770-ee6c-4983-ae38-2f2a87e002ce

Pendants avec couple

5 février 2017
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Ces pendants ont pour sujet le couple :  soit ils mettent en regard deux  couples en situation comparable,  soit ils montrent un seul couple à deux moments d’une même histoire (voir aussi Pendants Avant-Après). Nous avons regroupé les deux cas de figure car, formellement, le problème de composition est identique : comment mettre en équilibre quatre corps ?

A Joseph et la femme de Putiphar - Leonello Spada 1610-15 Lille, Musee des Beaux-Arts,Joseph et la femme de Putiphar
Leonello Spada, 1610-15, Lille, Musée des Beaux-Arts
A Renaud et Armide Alessandro Tiarini 1610-15 Lille, Musee des Beaux-Arts,Renaud et Armide
 Alessandro Tiarini 1610-15 Lille, Musée des Beaux-Arts

Ces deux tableaux décoraient la galerie du palais du cardinal Alessandro d’Este.


Le pendant biblique (intérieur jour)

La femme de Putiphar (l’intendant de Pharaon)  tente de séduire Joseph, vendu en esclave à son mari. Elle l’attire dans sa chambre mais, refusant de trahir son maître, il fuit en abandonnant son manteau. La séductrice s’en servira comme preuve pour l’accuser de viol et le fera jeter en prison.


Le pendant chrétien (extérieur nuit)

Nous sommes juste après la bataille pour délivrer Jérusalem, durant laquelle la magicienne Armide, amoureuse du chevalier Renaud, a tenté vainement de le tuer  d’une flèche. Prenant la fuite, désespérée par la défaite, Armide s’est réfugié dans une « ombreuse vallée », et a « déposé à terre son arc, son carquois et toute son armure ».  Le tableau illustre  très  littéralement la suite du texte du Tasse :

« Elle se tait alors, et sa résolution prise, elle choisit le trait le plus vigoureux et plus acéré. Renaud arrive et la voit près de se donner la mort ; son visage est couvert d’une pâleur funèbre, et le fer est levé. Il s’approche et par derrière saisit le bras qui dirige contre sa poitrine l’arme fatale. Armide se retourne et le voit avec surprise, car elle ne l’a point entendu venir. Elle pousse un cri, détourne avec dédain ses yeux d’un visage qu’elle adore, et s’évanouit. Elle tombe, ployant sa tête languissante, comme une fleur à demi coupée ; mais Renaud lui fait de son bras un appui, et desserre les voiles qui couvrent son sein. «  Le Tasse, La Jérusalem Délivrée, Livre XX, CXXVII, CXXVIII

Tiarini a résolu élégamment la petite difficulté scénaristique : puisque Renaud n’a que deux bras – le droit pour détourner la flèche et le gauche pour soutenir l’évanouie, c’est elle-même qui s’est dépoitraillée pour mieux se perforer – l’important étant de justifier noblement le décolleté.


La logique d’ensemble

Visuellement, des symétries profondes unissent les deux panneaux : un homme debout (tête nue et tête découverte), une femme assise (jambe nue et jambe voilée). L’homme tire vers la gauche, la femme tire vers la droite. Trois mains sont visibles : deux masculines et une féminine côté biblique, deux féminines et une masculine côté chrétien


A Joseph et la femme de Putiphar - Leonello Spada 1610-15 Lille, Musee des Beaux-Arts detail A Renaud et Armide Alessandro Tiarini 1610-15 Lille, Musee des Beaux-Arts detail,

Dans les deux cas, la tension  se cristallise autour d’un  objet synthétique :

  • le  manteau, symbole de la pudeur de Joseph mais aussi de la traîtrise féminine  ;
  • la flèche, qui a vainement  tenté de  perforer Renaud, puis Armide, et se transforme sous nos yeux en symbole de leur amour.

Deux histoires de désir de la femme pour l’homme  : condamnable chez l’Egyptienne qui le manifeste crument, il devient admirable chez la guerrière à proportion  qu’elle s’y refuse.

hop]

Regnier 1640 ca Judith Holopherne Herzog Anton Ulrich Museum Braunschweig Judith et Holopherne Regnier 1640 ca La charite romaine Herzog Anton Ulrich Museum BraunschweigLa charité romaine

Régnier, vers 1640, Herzog Anton Ulrich Museum, Braunschweig

Le pendant oppose deux jeunes femmes formant couple avec une personne âgée :

  • la violente Judith conspire avec une vieille femme pour couper la tête d’Holopherne ;
  • la charitable Pero nourrit dans sa prison son vieux père Cimon.



Louis de Boullogne l'Aine Cephale et Procris,musee des beaux-arts de Caen 1Procris offrant le javelot d’Artémis à Céphale Louis de Boullogne l'Aine Cephale et Procris,musee des beaux-arts de Caen 2La Mort de Procris

Louis de Boullogne l’Aîné, musée des Beaux-Arts de Caen

Ce pendant intérieur-extérieur illustre deux moments de l’histoire à rebondissements entre Céphale et Procris.

Celle-ci était une nymphe de Diane, qui se détourna de sa maîtresse pour épouser le beau prince Céphale. Mais suite à des manigances de l’Aurore (tombée amoureuse de Céphale), Procris fut chassée en Crète où Diane lui fit don d’un chien de chasse et d’un javelot magiques, qui ne rataient jamais leur proie.

Le premier tableau nous montre Procris, déguisée en une belle jeune femme, revenant séduire Céphale en lui offrant les cadeaux de Diane (d’où le croissant de lune sur son front).

Puis Procris se fit reconnaître et les deux époux se réconcilièrent. Mais Procris, jalouse d’Aurore, suivit une nuit son mari parti à la chasse.

Le second tableau nous montre l’issue fatale : ayant pris Procris pour du gibier, Céphale lui décocha son javelot infaillible.

Les deux moments ont été choisis pour leur symétrie et leur caractère tragique : le javelot, agent des retrouvailles entre les deux amants, est aussi celui de leur séparation définitive.



Allegory of Wealth ADRIAEN PIETERSZ VAN DE VENNE 1630-40 Musee Pouchkine MoscouAllégorie de la Richesse
Adriaen Pietersz van de Venne, 1630-40, Musée Pouchkine, Moscou
Allegory of Poverty ADRIAEN PIETERSZ VAN DE VENNE 1630-40 Allen Memorial Art Museum, OberlinAllégorie de la Pauvreté
Adriaen Pietersz van de Venne, 1630-40, Allen Memorial Art Museum, Oberlin

Fortes sont les jambes de ceux qui peuvent porter la Richesse
(Het sijn stercke beenen die Weelde konnen dragen)

Faibles sont les jambes de ceux qui doivent porter la Pauvreté
(Het Sijn ellendige beenen die Armoe moeten draegen)

Dans le premier tableau :

  • un homme fort  porte sur ses épaules une jeune femme qui renverse un verre de vin et disperse des pièces d’or et d’argent ;
  • les deux sont vêtus richement ;
  • sur le sol, des articles de loisir : boîte à jouer, balle, masque, raquettes, maillet de croquet  ;
  • au fond à gauche un château, à droite un couple qui danse accompagné par un chien.

Dans le second tableau :

  • un mendiant aveugle conduit par un chien porte sur le dos une vieille femme tenant un clapet de lépreux et un bol à aumône, sur laquelle  à son tour un petit enfant est juché ;
  • les vêtements déchirés, les sabots de bois remplis de paille, la chaîne du chien rallongée par un bout de ficelle disent la précarité ;
  • sur le sol,  les cylindres en bois  à quatre pieds sont ces poignées qu’utilisent les culs de jatte  pour se propulser le long du sol, et le manche doit être celui d’une béquille : les deux faisant écho  aux « jambes faibles » de la légende ;
  • au fond à droite une masure, avec un couple qui se repose.



Dans la même veine  misérabiliste, Van de Venne a  réalisé une étonnante série de cinq tableaux, malheureusement dispersée et incomplète,  illustrant l’enchaînement de la Pauvreté à La Mort

Adriaen van de Venne B1 Armoe soeckt lijst1 La pauvreté mène à la ruse
Armoe [de] soeckt lijst»
Adriaen van de Venne B1 Armoe soeckt lijst grisaille

Un vieillard  aveugle et estropié, jouant de la vielle, s’appuie sur une veille femme qui joue quant à elle du rommelpot (tambour à friction). A l’arrière-plan, un jeune homme les jambes en l’air moque leurs infirmités.

Il nous manque le deuxième tableau La ruse mène à la richesse  (Lijst soekt rijkdom)


Adriaen van de Venne B3 Rijkdom soeckt weelde3 La richesse mène au luxe
Rijkdom soeckt weelde
Adriaen van de Venne B4 Weelde soeckt ellende4 Le luxe mène à la misère
Weelde soeckt ellende

A gauche une belle femme lève sa coupe au bel homme qui lève sa bourse.
A droite elle lève  toujours sa coupe, mais donne maintenant son bras à celui qu’elle a réduit à la mendicité.



Adriaen van de Venne B5 Ellend soeckt de doot
5 La misère mène à la mort
Ellend’ soeckt de doot

Le cinquième et dernier tableau inverse les sexes, transformant le mendiant en mendiante et la belle dame en squelette, qui brandit un sablier en remplacement de la coupe de vin. Par rapport à tous les autres tableaux où les couples avancent de droite à gauche,  le sens de la marche est inversé :  en direction du cimetière.



Les pendants subtils de Willem van Mieris (SCOOP !)

Wilhelm van mieris 1698 Paris and Oenone Wallace Collection LondresPäris et Oenone Wilhelm van mieris 1698 Venus and Cupid Wallace Collection LondresVénus et Cupidon

Wilhelm van Mieris, 1698, Wallace Collection, Londres

Ce pendant mythologique semble bizarrement dissymétrique, avec un couple d’amoureux et un couple mère-enfant. Il faut un peu de réflexion pour comprendre que le second tableau constitue une extension du premier, racontant l’autre versant de l’histoire :

  • à gauche Pâris jure fidélité à la nymphe Oenone, en inscrivant son nom dans l’écorce ;
  • à droite Vénus déjà réveille  Cupidon, qui va insuffler à Pâris l’amour de la belle Hélène.

sb-line

Willem_van_Mieris Le_Marchand_de_gibier_Musee_du_LouvreLe Marchand de gibier Willem_van_Mieris Les bulles de savon_Musee_du_LouvreLes bulles de savon

Willem van Mieris, début XVIIIème, Louvre, Paris

Ces deux tableaux de même taille et de même composition ont tout pour être des pendants… sinon que le thème commun est rien moins qu’évident.

Dans le premier tableau, une femme à l’arrière-plan tend une pièce à un marchand qui vient de saigner gibier et volaille sur le rebord de la fenêtre ; une cage à oiseau est suspendue à l’extérieur.

Dans le second tableau, une femme à l’arrière-plan tend une grappe à un jeune homme richement vêtu qui sort des perles d’une bourse et fait des bulles de savon ; un jeune enfant regarde un oiseau dans la cage, qui est maintenant posée sur la fenêtre.

On voit bien que le pendant oppose la profusion des dépouilles d’animaux à poils et à plumes, à une collection d’objets sphériques (grains de raisin, perles et bulles). De plus les Amours des bas-reliefs font écho aux scènes du haut :

  • côté gibier, ils font la chasse à une chèvre avec un chien ;
  • côté dégustation, ils se délectent de son lait.

Mais aucune signification d’ensemble ne se dégage clairement.

sb-line

Willem van Mieris 1707 A POULTRY SELLER coll partLa vendeuse de volaille Willem van Mieris 1707 A GENTLEMAN OFFERING A LADY A BUNCH OF GRAPES coll partHomme offrant une grappe de raisins à une dame

Willem van Mieris, 1707, collection particulière

Depuis leur achat séparé en 1756 et 1765 par Jan et Pieter Bisschop , les deux tableaux ont toujours été exposés côte à côte, mais on ne sait rien de leur origine. Cependant, leur logique, très proche de celle des tableaux du Louvre, milite en faveur de pendants :

  • à gauche : à la volaille vendue correspond dans le bas-relief une scène de chasse à la chèvre .
  • à droite : aux fruits goûtés, raisins et pêches correspondent les jeux  des putti du bas-relief : s’arroser d’eau, gambader ou se gaver.

La draperie verte, qui passe de l’avant à l’arrière, rappelle la cage à oiseau du premier pendant, à la fois élément commun et support de variation.

Manifestement les deux pendants exploitent des oppositions similaires : Chasse et Cueillette, Viandes et Fruits, Gens du Peuple et Gens du monde, Activité et Oisiveté, Achat et Don, Transaction et Séduction, Utilité et Gratuité… Mais le plaisir du pendant réside sans doute, ici, dans l’empêchement de conclure.



Boucher (d apres) couple-d-amoureux 2 Louvre Boucher (d apres) couple-d-amoureux Louvre

Couple d’amoureux
Anonyme, Louvre, Paris

On ne sait évidemment rien sur ce pendant plus qu’osé, qui représente le même couple à deux moments successifs de l’action. Entre la phase avancée et la phase terminale des préliminaires, les amours ont disparu (trop hard pour eux), le bélier est venu rejoindre sa brebis et la blonde, pressentie sur le flanc droit, a cédé sur le flanc gauche : son chapeau s’est dénoué, sa  main gauche a lâché  le  panier pour se poser sur l’épaule de son compagnon…


Boucher (d apres) couple-d-amoureux Louvre detail mains…tandis que sa main droite, sans changer de geste, est passée  de la défense à l’abandon.


Boucher boudoir Du Barry
Boucher, pour le boudoir de la duchesse du Barry, localisation inconnue

On relève le même geste ambigu pour la main droite de la dame debout, auquel un amour s’apprête à révéler le mystère de la volupté céleste. Tandis que sa compagne, plus aguerie, évalue l’ustensile que lui propose un jeune colporteur d’articles parisiens.



François_Lemoyne 1723 Hercule et Omphale LouvreHercule et Omphale, Louvre, Paris François_Lemoyne 1723 Perseus_and_Andromeda_-_WGA12656 Wallace CollectionPersée et Andromède, Wallace Collection, Londres

François Lemoyne 1723

Ce pendant raffiné peut se lire de deux manières.

En lecture symétrique, il met en balance :

  • les deux nus féminins debout, contre un arbre ou contre un rocher ;
  • les deux héros, Hercule féminisé et assis, Persée en armes et en vol ;
  • un personnage secondaire : l’amour présentant des bonbons ou le monstre marin.

En lecture parallèle, il oppose les sexes et révèle des homologies de gestes :

  • Vénus tenant la massue se transforme en Persée tenant le glaive ;
  • Hercule levant la cuisse droite se transforme en Andromède levant la cuisse gauche.

Ainsi le second tableau, la libération d’Andromède par Persée, vient à la fois expliquer et contredire le premier : l’enchaînement d’Hercule par Omphale.


Guarana Jacopo Hercules And OmphaleHercule et Omphale Guarana Jacopo Paris And Helen Of TroyPâris et Hélène de Troie

Jacopo Guarana, 1750-80,Collection privée

A gauche Omphale s’est saisie de la massue d’Hercule et lui a donné sa quenouille. A droite Pâris casqué empoigne Hélène pour l’enlever. Domination par la femme ou par l’homme, il s’agit toujours de passion aveugle, comme l’expriment les deux Cupidons qui prennent le spectateur à témoin.


Tischbein 1754 The_Mocking_of_Anacreon Staatliche Museen, KasselAnacréon moqué Tischbein 1754 Hercule et Omphale Staatliche Museen, KasselHercule et Omphale

Tischbein, 1754, Staatliche Museen, Kassel

Le premier tableau traite le même thème de l’amour ridicule : le vieux poète Anacréon tente de faire boire une femme très jeune (seul moyen d’arriver à ses fins) mais celle-ci se moque de lui et repousse la coupe.

Outre le décor extérieur/intérieur, Tischbein a soigné les symétries des personnages secondaires :

  • à la servante pinçant les cordes de la lyre correspond celle qui noue le ruban dans les cheveux d’Hercule ;
  • à l’Amour qui brandit le stylet du poète correspond celui qui s’empare de la massue ;
  • à l’Amour qui unit le couple mal assorti correspond celui qui, regardant en souriant le spectateur, le prend à témoin de ce travestissement ridicule.

Le thème de ce pendant très enlevé est donc l’homme tourné en dérision par la femme.



johann-heinrich-tischbein-the-elder-tarquin violant LucreceTarquin violant Lucrèce johann-heinrich-tischbein-the-elder-cleopatre et antoine mourantCléopâtre veillant Antoine mourant

Tischbein, collection privée

Ce pendant met subtilement en symétrie deux scènes de l’Histoire romaine :

  • Tarquin viole Lucrèce sous la menace, et celle-ci lui montre son sein dans lequel elle va bientôt plonger son propre poignard, se suicidant pour ne pas survivre au déshonneur ;
  • Cléopâtre veille Antoine qui vient de se suicider en croyant qu’elle était morte, tout en songeant déjà au serpent qu’elle va poser sur son sein, pour ne pas survivre à son amant.

On pourrait baptiser ainsi ce pendant très allusif : « la future blessure », ou « le sein  dévoilant le dessein ».



halle salon de 1763 la-cage-derobee---or-ie-voleur-adroit coll privUne bergère qui flatte de la main un jeune berger halle salon de 1763 Une bergere qui flatte de la main un jeune berger coll privLa cage dérobée ou Le voleur adroit

Hallé, salon de 1763, collection privée

Cette Pastorale met en parallèle :

  • la fille qui dort et celle dont l’audace se réveille ;
  • le voleur de cage qui viole la palissade et le gars sérieux qu’on rejoint par dessus le mur.

Casali Andrea Bacchus et Ariane Angelique et Medor
 
Bacchus et Ariane, Angélique et Médor
Andrea Casali, Collection privée

Très décoratifs, ces deux pendants multiplient les symétries, jusqu’à rendre les couples presque indiscernables : seule la couronne de Bacchus, qu’il a jetée dans le ciel pour devenir la Couronne Boréale, et les noms que Médor inscrit dans l’écorce de l’arbre, permettent de les identifier.

Le thème commun est donc celui de l’Amour-Passion, et de ses marques pérennes.


gandolfi Ubaldo 1770 Persee et Andromede collez._comunali,_bolognaPersée et Andromède gandolfi Ubaldo 1770 diane et endymion,_collez._comunali,_bolognaDiane et Endimyon

Ubaldo Gandolfi, 1770, Collections comunales, Bologne

Persée et Andromède

Dans lé récit d’Ovide, Persée tue au corps à corps le montre marin qui retient Andromède attachée à son rocher. Gandolfi s’écarte ici du texte en imaginant que Persée, monté sur le cheval ailé Pégase, utilise pour pétrifier le monstre la tête de Méduse qu’il a tranchée lors d’un épisode précédent.


Diane et Endymion

Diane vient chaque nuit admirer Endymion, endormi durant trente ans pour conserver sa beauté : elle soulève si délicatement son manteau que le chien fidèle ne se réveille pas.


La logique du pendant

Il n’y a pas ici d’autre thème commun que le couple. Dans chaque pendant :

  • une figure en vol (homme puis femme) s’éloigne ou passe au premier plan ;
  • une figure assise sur un rocher (femme puis homme) s’incline vers l’extérieur ou vers le centre.

Il en résulte une opposition entre le couple que divise la diagonale montante et le couple qui fait cercle autour du centre. La subtilité de cette chorégraphie est qu’elle contrarie la suite de l’histoire : Persée va s’unir à Andromède, tandis que Diane jamais ne touchera Endymion.

Cette discordance entre le visuel et le narratif fait, pour le connaisseur blasé, tout le piment de la composition.


Durameau Projet pour un groupe sculpte du catafalque de l imperatrice Marie Therese 1781

Projet pour un groupe sculpté du catafalque de l’impératrice Marie-Thérèse
Durameau,  1781, Louvre, Paris

Transcription picturale d’un pendant sculpté, ce tableau est un témoignage du goût rococo pour les symétries raffinées. Deux couples s’y confrontent, chacun composé d’une femme allongée et d’une femme debout. Les femmes allongées lèvent le bras gauche en signe de désespoir, et s’appuient du droit sur une mappemonde et une corne d’abondance, bonheurs terrestres qu’il faut quitter. Les femmes debout tiennent du bras droit le recto, et du bras gauche le verso, d’un médaillon à l’effigie de la défunte impératrice. De l’autre bras, l’une brandit un sablier (car c’est la Mort) et l’autre prend le ciel à témoin (ce doit être la Vie).

Le raffinement est que, du côté Recto où la médaille expose le noble visage de la défunte, les deux acolytes détournent le leur pour montrer l’étendue de leur désespoir : même la Mort semble désolée. Tandis que du côté Verso, où l’on peut lire les louanges de l’Impératrice,  les deux acolytes se font face comme pour dialoguer sur ses mérites.

Ainsi l’Effusion et la Raison se complètent-elles pour déplorer l’immense perte.


Michel Garnier 1799 Salon Le coup de vent sur le Pont royal (Dallas, Museum of Arts) 45 × 37 cmLe coup de vent sur le Pont royal, Dallas, Museum of Arts (45 × 37 cm) Michel Garnier 1799 Le Passage du ruisseau 46 x 38 cmLe Passage du ruisseau (46 x 38 cm)

Michel Garnier, 1799

Bien que la femme porte le même vêtement (robe blanche et chapeau à plumes), il n’y a pas de certitude que ces tableaux météorologiques aient été conçus comme pendants,

Le premier, exposé au Salon de 1799. montre deux couples : un à l’arrière-plan, traversant le pont et perdant un chapeau ; l’autre sur le quai, la dame rattrapant in extremis son chapeau. Le petit décrotteur en haillons retient également le sien, cessant de s’occuper de la botte de l’homme, qui a reposé le pied au sol pour s’arc-bouter contre le vent et protéger sa compagne : tous ces détails prouvant bien la soudaineté du coup de vent.

Trait de modernité, la lanterne ballotte, mais résiste, grâce au système d’accrochage qui nous est décrit dans le détail, sur les deux rives : grâce à la poulie, on peut faire descendre la lanterne le long du poteau droit, en lâchant la corde le long du poteau gauche.

Le second tableau, non exposé au Salon, a quant à lui été repris en gravure.

Michel Garnier 1799 le passage du ruisseau gravure Simon Petit

Le Passage du ruisseau, 1799, gravure de Simon Petit

La planche inutilisable, le chapeau du porteur tombé dans le ruisseau et le chien qui hésite à se mouiller les pattes pour suivre sa maîtresse, justifient le bien-fondé du portage. Mais la passante qui sourit à l’arrière-plan ajoute à ce rapprochement social un sous-entendu galant : l’élégance chevauchant le muscle.


La logique du pendant

Le thème commun est celui du mauvais temps et de l’anecdote parisienne : le coup de vent resserre les couples légitimes et sépare les classes sociales, la pluie fait l’inverse…


Jean- Frederic-Schall-Les fiances 1790 coll partLes fiancés Jean- Frederic-Schall-Les epoux 1790 coll partLes époux

Jean- Frédéric Schall, 1790, Collection  particulière

Le fiancé prend à témoin les pigeons pour démontrer à sa future, manifestement réticente, le caractère bien naturel des bisous. A leurs pieds, un coq, une poule et des poussins, famille prolifique et heureuse, prouvent l’excellence de l’intention.

Une fois mariés, les mêmes font de la lecture et un pique-nique dans une grotte, sous l’égide  d’un Eros ailé tenant les emblèmes des deux sexes : la torche dressée et la couronne de fleurs. Un melon fendu, un abricot ouvert, un couteau planté dans la miche et  une bouteille mise à refroidir dans le ruisseau, disent leur bon appétit, tandis que l’époux pose sa main sur le ventre rebondi de l’épouse, afin de constater le résultat.



Girodet Trioson 1795-1800 Scenes de genre galantes La Frayeur de l'orage. Musee de BernayLa Frayeur de l’orage Girodet Trioson 1795-1800 Scenes de genre galantes La Frayeur du Reptile Musee de BernayLa frayeur du serpent

Girodet Trioson, 1795-1800, Scènes de genre galantes , Musée de Bernay

Dans la forêt, le zig-zag d’en haut fait défaillir la jeune femme : son compagnon en profite pour se rapprocher par l’avant.

A la porte du parc, le zig-zag d’en bas la fait s’enfuir : son compagnon, lui faisant un rempart de son corps, en profite pour se rapprocher par l’arrière.



John W. Lighton Rider and Girl Flirtation Knohl Collection Bowers Museum Santa Ana, CaliforniaFlirt entre un cavalier et une jeune femme John W. Lighton Sailor and Girl Flirtation Knohl Collection Bowers Museum Santa Ana, California Flirt entre un marin et une jeune femme

John W. Lighton, Knohl Collection, Bowers Museum, Santa Ana, California

Ces deux pendants opposent lourdement les riches et les pauvres, le haut de forme et la casquette, la dentelle et le tablier,  la terre et la mer, le loisir (le club de golf) et le devoir (les bateaux de guerre), la blonde et la rousse, la fille à papa  et la femme du peuple.



Henri Privat Livemont 1931 1 Henri Privat Livemont 1931 2

La Tentation de Saint Antoine, Henri Privat-Livemont, 1931 , collection privées

Dans ce pendant improbable de la fin de sa vie, Privat-Livemont met en scène deux faces de la tentation:

  • dans le bureau bourgeois, elle semble échouer (le moine garde la main sur le livre et le séant sur chaise) ;
  • dans l’étable, elle réussit (le moine pose les mains sur la tentatrice et s’asseoir dans la paille près du cochon qui sommeille, le groin près des navets).

Privé de bourse en 1883 par l’arrivée au pouvoir en Belgique d’un gouvernement clérical, Privat-Livemont avait sans doute de bonnes raisons de bouffer du curé : en dénonçant, sans grand danger à l’époque, l’hypocrisie cléricale (chasteté au salon, cochonneries au sous-sol), le pendant flatte aussi celle du spectateur, toujours friand de petites dames sous l’alibi d’un pendant « grand-siècle ».



Pendants solo atypiques

4 février 2017
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Nous regroupons ici des pendants à un seul personnage, mais pas tout à fait un  homme ou une femme…

  Watteau, Le Singe sculpteur, vers 1710, Orleeans, Musee des Beaux-ArtsLe Singe sculpteur
Watteau, vers 1710,Orléans, Musée des Beaux-Arts
Watteau singe peintre musee arts decoratifs parisLe Singe peintre
D’après Watteau, Musée des Arts Décoratifs, Paris

Il s’agit sans doute ici de se moquer des artistes prétentieux qui se réfèrent au vieil adage « Ars simia naturae », l’Art est le Singe de la Nature. Cette oeuvre est étudiée plus en détail dans Les pendants de Watteau.



chardin-Le singe peintre-1740 Musee des Beaux Arts chartresLe singe-peintre
Chardin, 1740, Musée des Beaux Arts, Chartres
chardin-Le singe antiquaire -1740 Musee des Beaux Arts chartresLe singe-antiquaire
Chardin, 1740, Musée des Beaux Arts, Chartres

Dans la même veine ironique, le pendant caricature cette fois l’Artiste et l’Amateur d’Art. Tout comme Watteau, Chardin exploite le potentiel comique des jambes velues sous les tissus luxueux.



chardin-Le singe peintre-1740 Louvre Paris detail
Dans la version du Louvre, on comprend que c’est nous, le spectateur, qui sommes pris comme modèle, et que c’est sous forme simiesque que l' »artiste » est en train de nous dessiner.


 

Hubert Robert 1760 Les Polichinelles peintres Musee de Picardie AmiensLes Polichinelles peintres Hubert Robert 1760 Les Polichinelles chanteurs Musee de Picardie AmiensLes Polichinelles chanteurs

Hubert Robert, 1760, Musée de Picardie, Amiens

Réalisés durant les années romaines d’Hubert Robert, ces panneaux pleins de verve et de dérision mettent en scène,  dans un atelier rustique ou en prison,trois polichinelles en chapeau pointu qui se prennent pour des artistes, dans la lignée des singes de Watteau et de Chardin.

« Dans le premier panneau, un polichinelle peintre est assis sur un tonneau et, palette en main, ébauche un tableau placé sur un chevalet. A sa gauche une bouteille de vin et un verre illustrent son penchant pour la boisson. Près de lui un chien joue avec un chat et, plus loin, dans la pénombre de l’atelier, deux autres polichinelles s’emploient à broyer des couleurs.

Dans l’autre peinture, un polichinelle assis sur un tambour et deux de ses compagnons debout près de lui chantent joyeusement en suivant une partition dressée sur un lutrin rustique. Leur jovialité s’explique sans doute par la présence de quatre bouteilles de vin placées au sol et qui ont dû faciliter l’ardeur musicale des protagonistes qui chantent allègrement. «  Notice de Matthieu Pinette, base Joconde [1]

 



Références :
[1] http://www.culture.gouv.fr/public/mistral/joconde_fr

Pendants solo : mari -épouse

4 février 2017
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De nombreux pendants confrontent un homme et une femme. A l’origine il s’agit essentiellement de portraits de couples maritaux. Avec le développement de la peinture allégorique et de la peinture de genre, apparaissent des appariements  plus variés.


1470 ca Maitre de St Jean de Luze Portrait dit de Hugues de Rabutin Musee des BA DijonPortrait dit de Hugues de Rabutin 1470 ca Maitre de St Jean de Luze Portrait dit de Jeanne de Montaigu Musee des BA DijonPortrait dit de Jeanne de Montaigu

Maître de Saint Jean de Luze, vers 1470, Musée des Beaux Arts, Dijon

Ce portait d’un couple dont l’identification est incertaine fait montre d’une grande subtilité :

  • la lumière venant de la gauche crée dans un premier temps un effet d’unité ;
  • cependant les ombres montrent qu’il y a une cloison entre les deux époux ;
  • cloison qui explique l’accrochage différent des deux statuettes, l’une vue de face et lautre de profil ;
  • sous celle de la Vierge s’affiche en lettres d’or la prière de l’époux
    « VIRGO DECORA, VIRGO SPECIOSA, CONFER MICHI AUXILIUM / QUOD OMNIBUS CONFERS ETIAM / NON ROGATA » (Vierge gracieuse, vierge belle, accorde-moi l’aide que tu accordes à tous même sans qu’on te prie.)
  • sous celle de Saint Jean l’Evangéliste règne le silence de l’épouse.

Tandis que l’époux assume une forme publique de dévotion (proclamant que la protection de la Vierge s’adresse à tous), l’épouse se cantonne dans une dévotion purement privée, en tête à tête avec son saint éponyme.



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1492-95 Portraits presumes de Charles VIII et Anne de Bretagne BNF Lat 1190

Portraits présumés de Charles VIII et Anne de Bretagne
Attribués à Jean Perréal, 1492-95, Libellus precum BNF Lat 1190 (Gallica)

Ces portraits peints a tempera sur un bois très mince formaient à l’origine un petit diptyque de poche (180 x 107).



1492-95 Portraits presumes de Charles VIII et Anne de Bretagne BNF Lat 1190 demi ouvert

On les a ensuite recouverts d’un volet à tirette et on a inséré entre eux huit feuillets de parchemin, de manière à en faire un mini-livre de prières.

L’identification du couple fait débat (vu le réalisme peu flatteur du mari) mais la plupart de érudits reconnaissent Charles VIII et Anne de Bretagne [0]



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Henry-The-Pious-Lucas-Cranach-the-Elder

Heinrich le Pieux, Duc de  Saxe et sa femme Katharina von Mecklenburg
Lucas Cranach l’Ancien, 1514,Gemäldegalerie Alte Meister, Dresden

Ces deux impressionnants portraits en pied, grandeur nature, partageaient le même cadre avant d’être transférés du bois vers la toile. Ils ont été réalisés à la suite du mariage du duc et de la duchesse, en 1512 (on ignore pourquoi la réalisation prit deux ans). [1]

Sur la tête du marié est posée, de guingois,  une couronne d’oeillets qui fait pendant au grand  plumet blanc de la duchesse – accessoire de coquetterie très à la mode à l’époque chez les princesses allemandes. L’oeillet rouge est un symbole d’amour pur et vrai.


Portraits-Of-Henry-The-Pious-Renaissance-Lucas-Cranach-the-Elder detail bijou homme Portraits-Of-Henry-The-Pious-Renaissance-Lucas-Cranach-the-Elder detail bijou

Le marié porte au cou une broche avec deux mains jointes, la mariée une parure avec les initiales H et K.



Portraits-Of-Henry-The-Pious-Renaissance-Lucas-Cranach-the-Elder detail bijou femme IHS
Sa toque est ornée d’un médaillon avec le signe catholique  IHS (Katarina se convertira au protestantisme en 1535)

Au delà de ces détails d’orfèvrerie, le plus frappant est le dimorphisme sexuel exacerbé  qui s’étend jusqu’aux animaux : chien de chasse féroce  exhibant sa queue spiralée, côté duc,  petit bichon blanc aplati côté duchesse.   C’est l’époque où  la  femme cache tout tandis que l’homme exhibe fièrement ses attributs, des mollets à l’entrejambe et au symbole éloquent de  la dague toute prête à sortir du fourreau.



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Dans  tous les pendants mari-épouse que nous avons vus jusqu’ici, celle-ci se situe sur le pendant de droite, autrement dit à la gauche du mari. Cet ordre conventionnel, dit héraldique, résulte du fait que le mari donne toujours le bras gauche à sa femme (afin de pouvoir tenir l’épée de son bras droit). Ceci est d’ailleurs un cas particulier du principe de dextralité proposé par Hugo van der Velden, selon lequel le personnage le plus important se trouve toujours à la droite de l’autre [2].

En voici une très rare exception….

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Maarten van Heemskerck,Portraits of a Couple, possibly Pieter Gerritsz Bicker and Anna Codde, 1529 Rijksmuseum woman Maarten van Heemskerck,Portraits of a Couple, possibly Pieter Gerritsz Bicker and Anna Codde, 1529 Rijksmuseum man

Portrait d’un couple, possiblement Pieter Gerritsz Bicker et Anna Codde,
Maarten van Heemskerck, 1529, Rijksmuseum, Amsterdam

Si l’identification du couple est incertaine, on sait du moins, d’après le cartouche en bas du cadre, que la femme avait 26 ans et l’homme 34. Il s’agit du tout premier portrait d’un couple de notables flamands, et la position de l’épouse contredit la dextralité : on a suggéré qu’elle était peut être d’une extraction plus haute que celle de l’homme, ou qu’il s’agissait d’un portrait de fiançailles [3].

Peut-être la raison est-elle tout simplement que le principe ne s’applique pas si la femme et l’homme ne sont pas dans la même pièce : car bien que les décors semblent en continuité, les deux lieux sont bien différents, et chacun s’y livre à l’activité emblématique de son sexe :

  • l’homme est en train de tenir son livre de comptes et a sur la table ses accessoires d’écriture : plume, boîte à sable, racloir, bloc de cire rouge et sceau marqué d’une ancre ; au mur, un petit miroir reflète son profil, de manière impossible ;
  • la femme file, avec son rouet, la laine qu’elle tire de l’écheveau (les trois lettres AEN n’ont pas été déchiffrées).

Museo Thyssen- Bornemisza Maarten van Heemskerck, Portrait of a Spinning Woman, c. 1530.Madrid, Museo Thyssen-Bornemisza detail rouet

Portrait d’une femme en train de filer
Maarten van Heemskerck, vers 1530, Musée Thyssen-Bornemisza, Madrid

Dans cet autre portrait de fileuse par  Heemskerck, le rouet à double entraînement, d’un modèle de grand luxe, montre plus clairement son mécanisme : mise en mouvement par la manivelle, la grande roue entraîne une poulie qui fait tourner l’épinglier, pièce en U par laquelle entre le fil et qui est chargée de sa torsion ; une seconde poulie, plus petite, fait tourner à une plus grande vitesse la bobine sur laquelle il s’enroule.

L’instrument pendu sur la gauche est également instructif : il s’agit d’un dévidoir à main, qui servait à transformer en écheveau la bobine sortie du rouet, de manière à faciliter ensuite la mise en pelotes.


Maarten van Heemskerck, Portrait of a Spinning Woman, c. 1530.Madrid, Museo Thyssen-Bornemisza detail panier

Musée Thyssen-Bornemisza, Madrid

Maarten van Heemskerck,Portraits of a Couple, possibly Pieter Gerritsz Bicker and Anna Codde, 1529 Rijksmuseum woman detail panier

Rijksmuseum, Amsterdam

Le panier nous révèle, incidemment, le rôle de celui qui est pendu à la même place derrière la fileuse du Rijksmuseum : il contient les pelotes terminées. Peut être le tissu qui les couvre est-il, lui aussi, un symbole de modestie.



Maarten van Heemskerck,Portraits of a Couple, possibly Pieter Gerritsz Bicker and Anna Codde, 1529 Rijksmuseum mandetail pelote
Un dernier détail très significatif n’a pas été remarqué ; sur la table du mari, entre son visage et son profil impossible est posée un échantillon de la production de sa femme.

Comme si le fil traduisait la continuité du mariage ; et comme si les pelotes, nombreuses mais encore cachées par le tissu (vert comme la robe) étaient une promesse, pas seulement de production, mas de reproduction : d’où la place de la pelote achevée, entre l’homme et son image reproduite.


1560-70 Man and Woman at a Spinning Wheel, Pieter Pietersz. (I),

 

Homme et femme en train de filer
Pieter Pietersz. (I), vers 1560, 1570, Rijksmuseum, Amsterdam

Pour l’analyse de ce portait d’amoureux, voir 4 Phalloscopiques par destination : objets combinés


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Antoine van Dyck, 1641 Le Prince Guillaume d'Orange (14 ans) et son epouse Marie-Henriette Stuart (10 ans) , Rijksmuseum, AmsterdamLe Prince Guillaume d’Orange (14 ans) et son épouse Marie-Henriette Stuart (10 ans)
Antoine van Dyck, 1641 , Rijksmuseum, Amsterdam
Gerard van Honthorst 1641 Le Prince Guillaume d'Orange (20 ans) et son epouse Marie-Henriette Stuart (16 ans) , Rijksmuseum, AmsterdamLe Prince Guillaume d’Orange (20 ans) et son épouse Marie-Henriette Stuart (16 ans)
Gerard van Honthorst 1647, Rijksmuseum, Amsterdam

Ces deux portraits du même couple à six ans d’intervalle sont une autre exception à l’ordre héraldique, qui s’explique par le fait que Marie-Henriette Stuart, fille du Roi d’Angleterre, était princesse royale, tandis que Guillaume II d’Orange n’était que le fils du Stadhouder de Hollande : il devnt lui-même Stadhouder l’année du second portrait, et mourut trois ans plus tard.

Pour d’autres cas particuliers d’inversion héraldique dans le cas des couples de donateurs, voir 1-3 Couples irréguliers.


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Gortzius Geldorp Family Portrait, 1598 M Gortzius Geldorp Family Portrait, 1598 F

Sigismund von und zum Pütz, Catharina Broelman et leurs enfants
Gortzius Geldorp, 1598

Revenons aux pendants maritaux ordinaires :  celui-ci impressionne par sa volonté de symétrie : les blasons, les lourdes chaînes en or et les enfants (garçons avec le Père, filles avec la Mère), toutes les richesses de la famille sont exhibées avec fierté.  Seule exception à cette symétrie  : l’homme pose une main sur le pommeau de son épée, tandis que la femme tient dans sa main un gant.


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Willem Willemsz van der Vliet, A pair of portraits of Willem de Langue and Maria Pijnaeke

Portraits de Willem de Langue et Maria Pijnaeke
Willem Willemsz van der Vliet, 1626, Stedelijk Museum Het Prinsenhof, Delft

Vingt ans plus tard, la mode est devenue plus austère, confondant hommes et femmes dans un même moule vestimentaire : velours noir et fraise blanche. De part et d’autre de la même table, le notaire  et son épouse [4] semblent les reflets l’un de l’autre dans un miroir, au point qu’ils tiennent leurs gants dans des mains opposées. Les seuls éléments différenciateurs  sont les objets posés sur la nappe : des papiers notariaux et un nécessaire d’écriture, côté époux , une Bible côté épouse : pouvoir contre piété, écrits civils contre livre sacré, l’homme s’occupe de l’ici-bas et la femme de l’au-delà.


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Frans_Hals_-_Petrus_Scriverius1626 METL’écrivain Petrus Scriverius
Frans Hals, 1626, MET, New York
Frans_Hals_-_Anna_van_der_Aar 1626 METSa femme Anna van_der_Aar
Frans Hals, 1626, MET, New York

A l’issue de cette uniformisation, l’homme et la femme ne se distinguent plus que par la coiffe. Hals néanmoins casse cette symétrie plane par une utilisation subtile du  cadre ovale, qui fonctionne ici comme une sorte d’objectif : entre la main droite  de l’écrivain, mise en exergue en avant-plan,  et la main droite de la femme,  posée sur son coeur en arrière-plan,  le pendant se déploie dans la profondeur, de la vie sociale à la vie intime.


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1618 ca Daniel Mytens, Thomas Howard, 2nd Earl of Arundel and Surrey, Alathea, Countess of Arundel and Surrey, Arundel Castle

Thomas Howard, second comte d’Arundel et Surrey et son epouse Alathea
Daniel Mytens, vers 1618, Arundel Castle

Ce double portait montre les époux dans leur palais du Stand à Londres, l’un désignant de sa canne la galerie des sculptures, l’autre assise au seuil de celle des peintures. L’artiste n’a pas cherché à créer une perspective unifiée, mais au contraire il a voulu que le spectateur rende hommage tour à tour aux deux amateurs d’art.



1618 ca Daniel Mytens, Thomas Howard, 2nd Earl of Arundel and Surrey, Alathea, Countess of Arundel and Surrey, Arundel Castle detail
A noter, au fond de la galerie de peinture, un double portrait presque identique, mais sans les architectures : la notion de « tableau dans le tableau » s’arrête ici à l’étalage des richesses, en évitant soigneusement la récession à l’infini (voir L’effet Droste).


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Frans_van_Mieris_(I)_1650-55Old Man with a Tankard on his Knee Gemaldegalerie Alte Meister dresdeVieil homme avec un pichet de bois et une pipe Frans_van_Mieris_(I)_1650-55 old_Woman_with_a_Flowerpot Gemaldegalerie Alte Meister dresdeVieille femme plantant un rosier dans un pot de fleurs

Frans van Mieris (I), 1650-55, Gemäldegalerie Alte Meister, Dresde

Dans ce témoignage sensible, un vieux couple prend l’air devant la porte :

  • l’homme, le pourpoint ouvert et le tablier troué, s’est endormi avant de se livrer aux dernières joies de l’existence : le pichet est fermé et la pipe en terre, éteinte, risque bien de se briser ; le couteau inutile est coincé entre tonneau et la pierre ;
  • la femme a gardé sa coquetterie et plante un rosier dans un pot, à côté d’un livre de prières qui exprime son espérance.

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Gerard van Honthorst - Allegorical Portrait of Princess Amalia van Solms in Mourning Holding a Portrait of Frederik Hendrik Gemaldegalerie, Berlin 85 x 83 cm

La princesse Amalia van Solms en deuil, tenant un portrait de Frederik Hendrik
Gerard van Honthorst, 1651-52, Gemaldegalerie, Berlin (85 x 83 cm)

Un cas limite de pendant conjugal est celui où, par la force des choses, il se réduit à un seul tableau : ici la mort a décalé l’époux d’un niveau, le transformant en « tableau dans le tableau ».

 

Coupole de l'Oranjezaal palais Huis ten Bosch La HayeCoupole de l’Oranjezaal, palais Huis ten Bosch, La Haye Gerard van Honthorst avant 1647 Portrait of Princess Amalia van Solms Coupole de l'OranjezaalLa Princesse Amalia van Solms dans a Coupole de l’Oranjezaal, Gerard van Honthorst, avant 1647

Initialement, la princesse Amalia van Solms s’était fait portraiturer seule au sommet du chef d’oeuvre d’architecture qu’elle avait fait édifier, et où il se trouve encore aujourd’hui. A la mort de son époux, elle l’avait fait remplacer par le double portrait funèbre qui se trouve maintenant à Berlin, inversé de droite à gauche de manière à respecter l’ordre héraldique.


Gerard van Honthorst - attr 1650 ca Princess Amalia van Solms Collections royales, La Haye 85cm x 83
La Princesse Amalia van Solms, XVIIIèeme siècle, Collections royales, La Haye (85cm x 83)

Cas exceptionnel : celui-ci a été remplacé une seconde fois au XVIIIème siècle, par ce portrait encore plus macabre, où l’image du défunt a laissé place à son simple crâne.


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Bartholomeus van der Helst 1655 Portrait d’homme coll priv Bartholomeus van der Helst 1655 Portrait de femme coll priv

Portraits d’un couple
Bartholomeus van der Helst, 1655, collection privée

Sur deux chaises ornées d’une tête de lion, ce couple inconnu pose sur son balcon. Derrière l’uniformité austère des vêtements en blanc et en noir, des détails introduisent un discret dimorphisme : vigne et lierre, ville et campagne, horizon de collines et échappée maritime, ciel bleu et ciel nuageux modulent finement l’union inséparable que proclame la balustrade.


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Ter Borch 1666-67 Burgomaster_Jan_van_Duren_METLe Bourgmestre Jan van Duren Ter Borch 1666-67 margaretha_van_haexbergen_METSon épouse Margaretha van Haexbergen

Ter Borch, 1666-67, MET, New York

Dans ce portrait d’un couple de l’élite de Deventer, Ter Borch choisit, pour magnifier la dignité de ses modèles, un décor réduit au strict minimum : la complémentarité de la table et de la chaise suffit à symboliser leur union.


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Faisons un saut  à travers d’innombrables portraits maritaux, jusqu’aux derniers échos de la formule…

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Lilly Martin Spencer 1854 Young Husband, First Marketing METLe jeune mari : premier marché Lilly Martin Spencer 1854 The Young Wife First Stew METLa jeune épouse :premier ragoût (first stew) (étude)

Lilly Martin Spencer, 1856, MET [6]

Ce pendant humoristique s’amuse de l’inexpérience des deux jeunes époux, qui veulent trop bien faire :

  • le mari a tellement rempli son panier que l’anse s’est détachée, faisant tomber des légumes, cassant des oeufs et l’empêchant d’ouvrir son parapluie sous l’orage ;
  • la femme s’est armée d’un tablier et a ordonné tous les ingrédients sur la table pour faire elle-même la cuisine; mais elle échoue à la première épreuve : peler les oignons.

Le passant hilare et la servante interloquée sont les émissaires du spectateur à l’intérieur des deux scènes. La solution que suggère le pendant est toute simple : pour éviter le ridicule, mieux vaut laisser la servante faire le marché et le ragoût.


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Portrait of Tulla Larsen

Munch et sa fiancée Tulla Larsen

En 1902, Munch et Larsen étaient fiancés depuis environ quatre ans ; il fuyait ses avances dans toute l’Europe et elle le suivait. Après une nième dispute et un coup de feu qui a blessé Munch à la main gauche, il a décidé de scier en deux ce panneau, qui a été récemment reconstitué.



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Schiele Autoportrait aux physalys 1912 Leopold Museum, Vienne. Schiele, Autoportrait aux physalys, 1912 Schiele Potrait de Wally Neuzil 1912 Leopold Museum, Vienne.Schiele, Portrait de Wally Neuzil 1912

Leopold Museum, Vienne

Tout en respectant la position traditionnelle de l’homme à gauche, ce portrait de couple affecte, avec les deux visages s’inclinant l’un vers l’autre, un impression de proximité, de complicité.

Cependant, la vue en  contre-plongée contribue à donner à Egon, assis sur une chaise blanche, un regard incisif et supérieur ; tandis que la vue plongeante  place Wally, coincée dans un fauteuil vert, dans une position plus passive et  réceptive. Nous ne sommes pas devant la simple représentation d’un couple d’amoureux : mais surtout d’un artiste avec sa modèle.

De plus, en mettant en balance les gros fruits rouges de la physalis et les petites baies rouges d’une branche anonyme, la composition dit bien de quel côté se trouvent l’excentricité, la fécondité, l’illumination (même si c’est celle de lampions) et de quel côté le fruit purement consommable. Ce portrait de Schiele avec sa compagne et modèle est aussi un portrait psychologique, où la formule du pendant laisse les deux amants dans leurs postures opposées.

Cette année 1912, ils vivent dans le petit village de Neulengbach, où leur comportement sulfureux vaudra à Schiele quelques jours de prison.


Schiele Two lovers (self portrait with Wally), 1914-15 Coll part Schiele, Deux amants (autoportrait avec Wally), 1914-15, Collection particulière seated-couple-egon-and-edith-schiele-1915 Albertina VienneSchiele, couple assis, Egon et Edith, 1915, AlbertinaVienne

Il faudra attendre sa séparation avec Wally  et son mariage avec Edith Harms, en 1915, pour voir  apparaître des représentations du couple plus équilibrées et fusionnelles.



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JOSEPH CHRISTIAN LEYENDECKER Kuppenheimer Style Book advertising diptych, Fall & Winter 1918-1919

Joseph Christian Leyendecker  
Diptyque publicitaire pour le « Kuppenheimer Style Book », Automne Hiver 1918-1919

Après la guerre, Madame s’est emparé du képi, et son Marine se laisse volontiers lier les mains. Les couples se forment ou se reforment, comme l’illustrent  les deux inséparables sur le tissu du fauteuil.


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rumbelle_diptych_by_thatmadgray 2013-16

Rumbelle diptych
Madeline Gray (ThatmadGray), Deviant Art, 2013-16

La même technique  de la pelote a été récemment redécouverte  par Belle pour domestiquer Rumpelstiltskin (la Bête), dans cette illustration de  la série Once Upon a Time.

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Diptych -Before the date 1949 Norman Rockwell

Avant  le rendez-vous (Before the date)
Norman Rockwell, 1949

Les deux jeunes gens s’activent parallèlement dans leurs chambres respectives,  le réveil indique 18h45 et le  billet du dancing est déjà  dans le chapeau. L’humour tient bien sûr à la symétrie des attitudes : même virtuosité capillaire, même déhanchement comme si les deux cherchaient déjà à se frotter,  au mépris de la bande de séparation. Chacun contemple dans le miroir sa propre image en finition, tandis qu’à côté une photographie montre l’image parfaite de l’âme-soeur (plus un cheval côté garçon).

Car il s’agit bien d’une sorte de cowboy juvénile, foulard dans une poche-revolver et harmonica dans l’autre, et la jeune fille est moins une cavalière qu’une pouliche  à conquérir, croupe rose et jarrets à couture.


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Ben Stahl Femme Ben Stahl Homme

Homme et femme
Benjamin Stahl, années 50

La maison (table ronde, lampe avec abat-jour, grand portait de famille) est opposée au bureau (table rectangulaire, encriers, petits cadres), l’unité étant assurée par le mur vert et les brochures bleu ciel. Il pourrait s’agir d’un couple établi, saisi dans ses activités traditionnelles : la femme à la maison s’occupant de ses dentelles, l’homme au bureau de ses papiers.

Mais il est plus vraisemblable qu’un zeste de galanterie XVIIIème se soit introduit subrepticement en plein puritanisme wasp : la jeune blonde tente son plus audacieux décolleté tandis que le jeune homme, son agenda dans une main et une violette dans l’autre,  se prépare pour le rendez-vous en se moquant bien des paperasses.


Benjamin Stahl

A noter que les deux panneaux n’ont pas exactement les mêmes proportions : la femme est  svelte, l’homme carré.



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TimCockburn morning-I coll partMorning-I TimCockburn morning-II coll partMorning-II

Tim Cockburn, vers 2010, Collection privée

Madame  s’est levée guillerette et se sèche dans une serviette verte.

Serviette que nous retrouvons sur le rebord de la baignoire lorsque Monsieur, en pyjama rouge, vient étudier ses cernes devant le miroir.

Malicieuse inversion des stéréotypes, où la femme s’active tandis que l’homme se contemple.



Références :
[0] « Les manuscrits à peintures en France: 1440-1520 » par François Avril; Nicole Reynaud; Emmanuel Le Roy Ladurie 1995, notice 206
[1] Détails en haute résolution : http://lucascranach.org/DE_SKD_GG1906H
Description détaillée : http://www.malcomess.com/DOK/PDF/UNI-TEXTE/HA_Lucas_Cranach.pdf
[2] Tal, Guy. 2011. “Switching Places: Salvator Rosa’s Pendants of A Witch and A Soldier, and the Principle of Dextrality.” Notes in Art History 30, no. 2: 20–25.
[3] https://www.museothyssen.org/en/collection/artists/heemskerck-maerten-van/portrait-lady-spinning
[4] http://www.sothebys.com/fr/auctions/ecatalogue/2009/old-master-paintings-am1074/lot.38.html
[6] https://www.metmuseum.org/art/collection/search/437073
https://www.mauritshuis.nl/en/explore/the-collection/artworks/the-huntsman-93/
[6] https://www.metmuseum.org/art/collection/search/765285
https://www.metmuseum.org/art/collection/search/21126

Pendants solo : femme femme

4 février 2017
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Ces pendants confrontent deux personnages féminins différents.

Le cas particulier de la même femme monté sous deux aspects  est traité par ailleurs (voir  Les variantes habillé-déshabillé (version moins chaste) )

Mantegna-1490-The-Vestal-Virgin-Tuccia-with-a-sieve-National-GalleryLa vestale Tuccia avec son tamis (72.5 x 23 cm) Mantegna 1490 A Woman Drinking Sophonisbe National Gallery 72.5 x 23 cmFemme buvant (Sophonisbe ?) (72.5 x 23 cm)

Mantegna, 1490, National Gallery, Londres

Ces deux panneaux sur bois imitant le bronze et le marbre, représentent deux héroïnes antiques :

  • Tuccia, accusée d’inceste, se disculpa en transportant l’eau du Tibre dans un tamis, sans en perdre une goutte ;
  • Sophonisbe, reine carthaginoise, se suicida en buvant du poison plutôt que d’être capturée par les Romains.


La logique du pendant (SCOOP !)

La raison du choix de ces deux héroïnes n’est pas claire (l’eau qui sauve entre l’eau qui tue ?), mais plusieurs détails confirment une conception en pendant ;

  • l’éclairage inverse dans les deux panneaux suggère que ceux-ci étaient exposés face à face, ou de part et d’autre d’une fenêtre ;
  • le vase aux deux lys, symbole de la Virginité, fait écho au laurier à deux branches, symbole de la Vertu ;
  • enfin la marche de la vestale se passe en extérieur, tandis que la figure immobile de la buveuse s’appuie sur l’encadrement d’une porte.


Deux autres oeuvres, cette fois des toiles, appartenaient au même ensemble décoratif (probablement le premier studiolo d’Isabelle de Gonzague à Mantoue).

Mantegna 1490 ca didon Musee des BA Montreal 65,3 x 31,4 cmDidon (65,3 x 31,4 cm) Mantegna 1495 ca Judith avec la tête d'Holopherne Musee des BA Montreal 65x 31 cmJudith avec la tête d’Holopherne (65x 31 cm.)

Mantegna, 1490, Musée des Beaux Arts, Montréal

  • La reine phénicienne Didon avait juré de rester fidèle à son défunt mari Sychaeus Plutôt que de se remarier, elle préféra se jeter dans un bûcher. Dans l’Eneïde de Virgile, le bûcher est prévu pour se débarrasser des souvenirs d’Enée, son amant qui l’a abandonnée. Mais au lieu d’y mettre le feu, elle se suicide avec la propre épée d’Enée. Mantegna nous montre Didon devant le bûcher éteint, avec dans une main l’urne de son défunt mari, et dans l’autre l’épée de son amant.
  • Judith la juive pénètre dans le tente du général Holopherne pour lui trancher la tête d’un coup d’épée.


La logique de la paire (SCOOP !)

La confrontation des deux femmes est très problématique : s’agit-il d’opposer une vicieuse et une vertueuse, ou bien d’honorer deux vertueuses (car Didon, selon la source à laquelle on se réfère, appartient aux deux catégories [0]) ? Par ailleurs la dissymétrie entre le couple de femmes et la femme seule contrarie le fonctionnement en pendant.

La lumière venant de la droite dans les deux oeuvres, il est probable qu’elles se trouvaient côte à côte sur le même mur, formant une frise continue, à la manière des Triomphes de César (dix tableaux réalisés entre 1484 et 1492).


Giampoetrino a produit vers 1520 une série de quatre belles suicidaires, aussi dénudées qu’internationales :

Giampietrino Suicide par armour Didone-c.-1520 Palazzo Borromeo Isola BellaDidon la phénicienne,Palazzo Borromeo, Isola Bella (94,5 x 71 cm) Giampietrino Suicide par armour Lucrezia Chazen Museum of Art Univeristy of WisconsinLucrèce la romaineChazen Museum of Art ,University of Wisconsin (95.6 x 70.8)

 Le suicide conjugal (le poignard par fidélité)


Giampetrino Suicide pour l'honneur 1520 ca Cleopatra Bucknell University LewisburgCléopâtre l’égyptienneBucknell University, Lewisburg (94.3 x 7.1) Giampetrino Suicide pour l'honneur 1520 casophonibePalazzo Borromeo Isola BellaSophonisbe la carthaginoisePalazzo Borromeo, Isola Bella (94,5 x 71 cm)

 Le suicide politique (le poison plutôt que la prison)

J’ai reconstitué ci-dessus les appariements  originaux,  tels qu’ils étaient probablement présentés avant leur division malheureuse (antérieurement à 1676) [1].


Cranach 1540 ca Lucrece et Judith detruit 1945 bombardement Dresde

Lucrèce et Judith
Cranach, vers 1540, détruit en 1945 lors du bombardement de Dresde
 

Le pendant met en parallèle une héroïne romaine et une héroïne  biblique que Cranach a souvent représentées par ailleurs  :

  • Lucrèce, pieuse épouse qui, violée par son hôte, se suicida pour ne pas survivre au déshonneur ;
  • Judith, pieuse veuve qui, se livrant au général ennemi, le tua avant qu’il ne la touche.

Le schéma implicite, un  acte de violence commis par une femme après ou avant un acte sexuel, avait tout, sous prétexte de  montrer la Vertu, pour émoustiller les spectateurs   de  l’époque :

  • plastique longiligne des deux nudités à peine voilées ;
  • symbolique comparée du poignard à la lame courte et de l’épée à la lame longue, manipulées par ces dames.



sb-line

Tournier 1630 Paysanne aux fruits fondation Bemberg ToulousePaysanne aux fruits Tournier 1630 Paysanne à la coupe de fruits fondation Bemberg ToulousePaysanne à la coupe de fruits

Tournier, 1630, fondation Bemberg, Toulouse

La logique du pendant (SCOOP !)

Toujours dans le goût caravagesque pour le cadrage en demi-figure, ces deux portraits de paysannes opposent :

  • couleur froide et couleur chaude de la jupe ;
  • cheveux visibles et cheveux cachés sous la coiffe ;
  • regard direct et regard baissé ;
  • tablier relevé en geste d’offrande et coupe portée à bout de bras ;
  • fruits à pépins et fruits à noyau.

La présence de la figue ouverte en bonne place, à côté de la grappe bachique, complète les allusions à la disponibilité amoureuse de la femme de gauche (les pépins étant une figure de la multiplicité), en contraste avec la pudeur de celle de droite (le noyau figurant l’unicité de l’amour).



sb-line

Cano Alonso Apparition du Christ crucifie a sainte Therese de Jesus 1629 PradoApparition du Christ crucifié à Sainte Thérèse de l’Enfant Jésus Cano Alonso Apparition du Christ triomphant a sainte Therese de Jesus 1629 PradoApparition du Christ triomphant à Sainte Thérèse de l’Enfant Jésus

Alonso Cano, 1629, Prado, Madrid

A gauche, la sainte est représentée écrivant à sa table de travail, vue de face, contemplant l’apparition du Christ en Croix dans un ciel tourmenté.

A droite, elle est à genoux, vue de dos, et le Christ lui apparaît triomphant dans un ciel dépourvu de nuages.

Les deux panneaux faisaient partie d’un retable pour le couvent de Saint Albert à Séville, dont la composition précise n’est pas connue.


Ter_Borch 1652-53 A mother combing the hair of her child, known as Hunting for lice MauritshuisFemme peignant son enfant ((La chasse aux poux), Mauritshuis, La Haye (33.2 x 28.7 cm)
Ter_Borch 1652-53 The Spinner Museum Boijmans Van BeuningenLa fileuse, Museum Boijmans Van Beuningen, Rotterdam (33.6 x 28.6 cm)

Ter Borch, 1652-53

La modèle est Wiesken Matthys, la belle-mère de l’artiste, en train de se livrer à deux occupations méticuleuses : le petit enfant et le petit chien, la tignasse et la filasse, se font écho avec tendresse.


Netscher La fileuse (die Spinnerin) Gemaldegalerie_Alte_Meister_(Dresden)La fileuse (die Spinnerin) Netscher La brodeuse (die Naherin) Gemaldegalerie_Alte_Meister_(Dresden)La brodeuse (die Naherin)

Netscher, 1660-84, Gemäldegalerie Alte Meister, Dresde (détruits en 1945)

Le pendant oppose une femme mûre au rouet, et une jeune fille au coussin à broder. Chacune a derrière-elle sa matière première : quenouille sur la chaise, linge dans le panier. Les pendants sont accrochés dans l’ordre logique des opérations (la fabrication du fil précède la broderie) mais dans l’ordre inverse des âges : la finesse des travaux d’aiguille est réservée à la jeunesse. Il y a également probablement un sous-entendu sexuel, entre la femme mûre habituée à manier les quenouilles (métaphore phallique courante), et la jeune fille qui en est à préparer son trousseau.


Livio Mehus Maddalena Asteria vers 1660 Palais Pitti FlorenceMadeleine pénitente (précédemment  Asteria) Livio Mehus Maddalena Danae vers 1660 Palais Pitti FlorenceMadeleine en extase (précédemment Danae)

 Livio Mehus, 1660-65, Palazzo Pitti, Florence

Initialement, le pendant était consacré aux amours terrestres de Jupiter :  à gauche celui-ci prenait la forme d’un aigle pour séduire Asteria (Métamorphoses d’ Ovide, IV, 108) ; à droite celle d’une pluie d’or pour s’introduire chez Danaé.

A une époque et pour une raison inconnues, le pendant fut partiellement repeint pour célébrer les amours célestes de la Madeleine. A gauche, on rajouta des accessoires de piété (crâne, croix auréole) et une chemise de nuit, tandis que les anges continuaient à s’enlacer avec une tendresse déconcertante. A droite, les Cupidons qui recueillaient la pluie d’or furent recyclés l’un en porteur de cilice, l’autre en observateur du flacon de parfum.

Au final, ce repeint improbable aboutit à un résultat parfaitement hypocrite, où la sensualité sous-jacente subvertit la piété affichée, et en fait un objet de délectation pour amateur éclairé.


Nicolas Regnier 1660 ca La Vanite Palazzo reale, TurinLa Vanité Nicolas Regnier 1660 ca La sagesse Palazzo reale, TurinLa Sagesse

Nicolas Régnier, 1626, Palazzo Reale, Turin

Présentés aujourd’hui comme dessus de porte aux deux bouts de la galerie de Daniel, ces deux tableaux ont été conçus pour être accrochés côte à côte :

  • en intérieur, la Vanité, entourée d’objets précieux, un masque sur ses genoux, ouvre en souriant un vase précieux, dans un geste à la Pandore qui appelle des catastrophes (voir la couronne tombée à côté du masque) ;
  • en extérieur, la Sagesse, entourée de livres, à côté d’un crâne qui s’étudie dans un miroir, brandit un balance, emblème de la faculté de juger, mais aussi rappel du Jugement dernier (d’où sa position qui semble peser les deux crânes).

Giovanni_Antonio_Pellegrini_-_Allegory_of_Sculpture_1750 accademiaAllégorie de la Sculpture
Giovanni_Antonio_Pellegrini_-_Allegory_of_Painting_-1750 AccademiaAllégorie de la Peinture

 Giovanni Antonio Pellegrini, vers 1750,  Accademia, Venise

L’une, noiraude et rougeaude, a une robe aux couleurs chaudes et une pose avachie, le marteau dans une main et l’index de l’autre montrant on ne sait quoi . L’autre, une blonde vénitienne, a le profil grec, le drapé en couleurs froides et la pose élégante. Difficile de cacher de quel côté penche le coeur de Pellegrini.



Guardi Allegorie de l Abondance 1747 Ringling Museum of artAllégorie de l’Abondance Guardi Allegorie de l Esperance 1747 Ringling Museum of art Allégorie de l’Espérance

 Guardi, 1747,  Ringling Museum of art

L’Abondance et l’Espérance n’ont pas grand chose à se dire : l’une avance en laissant tomber ses épis, l’autre reste plantée sur son ancre, les fleurs dans son tablier symbolisant les récompenses à venir. L’une dilapide, l’aitre thésaurise. Seul le paysage maritime crée une continuité entre les deux pendants, ainsi que les deux anges qui, l’un portant un bout de colonne et l’autre un morceau d’architrave, s’affairent  au premier temps à relever des ruines.


Jeune femme offrant une guirlande de fleurs à la statue de CupidonOffrande à l’Amour
Jeune femme offrant une guirlande de fleurs à la statue de CupidonBacchante dans l’ivresse devant une statue de Pan

Callet, 1778, collection particulière

Ces deux tableaux font partie d’une série de six réalisée par Callet pour décorer le boudoir du Pavillon de Bagatelle. Toujours vendus ensemble, ils présentent de nombreux éléments de symétrie :

  • statues masculines contrastées : un Cupidon discret et un Pan diabolique  ;
  • vases en bas à gauche : l’un posé sur son pied, l’autre renversé et béant  ;
  • tissu bleu, servant de présentoir pour les roses ou de drap pour la  bacchante  ;
  • élément chauffant : foyer ouvert ou cocotte-minute ;
  • offrande à la Divinité : foyer ouvert  ou tambourinade.

Ces oppositions vont toutes dans le sens du couple le plus fantasmatique du XVIIIème siècle : la vierge (vase intact) et la déflorée (vase béant).


Callet vers 1780 collpart A YOUNG LADY BEFORE A STATUE OF CUPIDJeune femme devant une statue de Cupidon Callet vers 1780 collpart A BACCHANTE PLAYING THE CYMBOLS BEFORE A STATUE OF PAN ALLEGORY OF DEATHBacchante jouant des cymbales devant une statue de Pan

Callet ,vers 1780, collection particulière

Ce pendant réplique celui réalisé pour Bagatelle, en forçant encore sur les oppositions :

  • aux deux colombes innocentes succèdent les deux amours autour du brasero ( orné d’un bélier)  ;
  • le tissu bleu est remplacé par la fourrure de léopard   ;
  • à la poitrine couverte s’opposent les bras déployés (pour les cymbales)   ;
  • la petite torche de Cupidon s’est transformée en un gros thyrse dressé sur la marche ;
  • le panier de fleurs laisse place au vase bavant.

Inhérent  à tout pendant, le plaisir de la comparaison devient ici le  principe du plaisir.


Callet 1778 Offrance a Flore Bagatelle gravure de PatasHommage à Flore (disparu), gravure de Patas Callet 1778 Offrande a Venus musee des Beaux-Arts RouenOffrande a Venus, Musée des Beaux-Arts, Rouen

Callet, 1778

Ces deux autres tableaux de la série formaient eux aussi des pendants sur le même thème : la jeune vierge honorant Flore, la femme accomplie remerciant Vénus et sa pomme.

Le dernier pendant (Adonis partant pour la chasse, couronné par Vénus et Diane au bain accompagné de ses nymphes) n’a pas été retrouvé.


Pour être complet sur les pin-ups à l’antique de Callet, voici un pendant antérieur, dont il me manque malheureusement la moitié la plus émoustillante :

Jeunes filles préparant des dards auprès de la statue de l’Amour Callet 1770 Deux vestales preparant un sacrifice Musee des Augustins ToulouseDeux vestales préparant un sacrifice

Callet, 1770, Musée des Augustins, Toulouse



Michel_Garnier 1788 La jeune musicienne coll privLa jeune musicienne, 1788 Michel_Garnier 1789 Le_jeu_de_cache-cache coll priv 14.6 x 11.4 cmLe jeu de cache-cache, 1789

Michel Garnier, collection privée, 14.6 x 11.4 cm

Ce pendant de très petite taille pousse à l’extrême l’imitation virtuose de la peinture fine hollandaise. A la toute fin de l’Ancien Régime, il met en scène deux facettes de la femme moderne :

  • musicienne savante, à la harpe, lorsqu’elle se montre en représentation au salon ;
  • musicienne légère, à la guitare,) et mère parfaite dans l’intimité du logis (voir le portrait du Père de famille, reflété dans le miroir de la cheminée).

Le fauteuil et la boîte en carton servent de motifs de jonction.



Sigmund Freudenberger 1794 La fileuseLa fileuse Sigmund Freudenberger 1794 La devideuseLa dévideuse

Gravures de Sigmund Freudenberger, 1794 

Ces deux gravures montrent, de part et d’autre de la porte, le coin toilette avec le filage, le coin cuisine avec le dévidage. Dans un esprit didactique, le pendant respecte l’ordre des opérations ;

  • d’abord on fabrique les bobines, puis on en fait des écheveaux ;
  • d’abord on lape, puis on dort.



Marie-Constance_Mayer_1806-_The_Sleep_of_Venus_and_Cupid_Wallace Collection 97 cm x 145 cm« Vénus et l’Amour endormis, caressée et réveillés par les zéphirs », 1806, Wallace Collection Marie-Constance_Mayer_1808-_Le flambeau de Venus, Napoleon museum Arenenberg 99.5 cm x 148 cmLe flambeau de Vénus, 1808, Musée Napoléon, Arenberg

Marie-Constance Mayer

Les deux tableaux, présentés ensemble au salon de 1808, furent acquis par l’impératrice Joséphine et accrochés dans sa galerie de la Malmaison jusqu’à sa mort en 1814.

Dans le premier tableau, des Génies équipés d’ailes de libellule – les « zéphirs », selon le titre original du tableau – viennent embrasser Vénus endormie près de son fils. La lumière blanche qui tombe verticalement, interceptée par la tente rouge, est celle de la pleine lune. Ainsi la composition flirte, en l’inversant, avec le thème plus classique du bel Endymion que Diane vient embrasser, descendant sur un rayon de lune.

Le thème du second tableau est si singulier (voir scabreux) que le livret du Salon de 1808 a jugé bon de l’expliquer :

« Vénus , à son réveil , invite toute sa cour à venir puiser des flammes à son flambeau ; les Amours accourent en foule autour d’elle ; leurs expressions et leurs attitudes annoncent les différens caractères de la passion qu’ils inspirent ».

Un commentateur a noté que « ces amours, ou plutôt ces enfants ailés, sont représentés de sexes différents. Quelques personnes ont blâmé cette licence. [1a] ». Un autre s’en prenait plutôt à l’auteur : « Il ne faut pas que des aventures galantes soient tracées par la main d’un magistrat ou par celle d’un capucin. Il ne faut pas, en un mot, qu’un sujet érotique foit traité par une demoiselle. Il nous semble que cela pèche au moins contre les convenances, sinon contre les mœurs, & s’il ne faut pas être trop sévère en jugeant un tableau sous le rapport de l’art, on ne sauroit l’être trop en ce qui regarde les mœurs. » [1b] . Un seul commentateur s’est essayé à élucider « les différens caractères » annoncés par le livret : « Selon cette demoiselle , l’amour aveugle et l’amour léger sont certainement des amours femelles » [1c]

Si l’on prolonge l’exercice, on notera à gauche un amour pensif au dessus d’un amour passif. A l’extrême droite l’amour aux yeux bandés avance en prenant appui sur son arc, tandis qu’un confère malicieux lui renvoie en pleine face, avec un miroir, la lmuière rasante du soleil qui se lève.

Le sujet plastique du pendant est donc « la lumière verticale de la Lune » et « la lumière horizontale du Soleil levant.

Le sujet érotique, que Joséphine n’a pas dû manquer de saisir, est « Cupidon flapi » et « Cupidon flamboyant »



Ingres Odalisque, d apres La Dormeuse de NaplesOdalisque dormant
Ingres, vers 1820, Victoria and Albert Museum, Londres
(d’après la Dormeuse de Naples, 1808, tableau disparu)
Ingres,_La_Grande_Odalisque,_1814La Grande odalisque,
Ingres, 1814,  Louvre, Paris

Ingres a d’abord peint La Dormeuse :  « Une femme de grandeur naturelle couchée nue, dormant sur un lit de repos à rideaux cramoisis ». Elle est acquise en 1809 par le Roi de Naples, Joachim Murat, dont l’épouse, Caroline Bonaparte, commande cinq ans plus tard trois nouvelles toiles au peintre. Parmi celles-ci, La Grande Odalisque, une orientale, nue, vue de dos sur fond bleu, qui fait pendant à la jeune occidentale, nue, vue de face et sur fond rouge.

Depuis 1815 et la fuite de Caroline, on est sans nouvelles de La Dormeuse, dont il ne reste que des esquisses faites de mémoire par Ingres, et toute une série de tableaux qui n’en inspirent [2a].



En 2007, on a bien cru l’avoir retrouvée, cachée sous un tableau du XVIIème siècle :Giordano_Venus-2c208

Vénus dormant avec cupidon et satyre,
Luca Giordano, 1663, Musée de Capodimonte, Naples

Mais le scoop a semble-t-il fait long feu [2b].



Charles Robert Leslie 1840-60 An allegory of virtue 45.7 x 30.5 cm coll partAllégorie de la Vertu Charles Robert Leslie 1840-60 An allegory of vice 45.7 x 30.5 cm coll partAllégorie du Vice

Charles Robert Leslie, 1840-60 (45,7 x 30,5 cm)

La Vertu, jolie rousse en robe blanche, boutonnée jusqu’au cou et au poignet, ne s’occupe que de cueillir des roses dans un jardin clos.

Le Vice, brune piquante à la mantille espagnole, sort dans un parc à la fontaine jaillissante, montre sa cheville et regarde qui la regarde.



Puvis de Chavannes 1870 Le Ballon Musee d OrsayLe Ballon
Puvis de Chavannes, 1870, Musée d Orsay
Puvis de Chavannes 1871 Le pigeon voyageur Musee d OrsayLe pigeon-voyageur
Puvis de Chavannes, 1871, Musée d Orsay

Inscriptions sur le cadre, de la main de l’artiste :

 » La ville de Paris investie confie à l’air son  appel à la France »  » Echappé à la serre ennemie, le message attendu exalte le coeur de la fière cité « 


Une symétrie marquée

Les deux tableaux « se répondent point par point : à la femme armée simplement vêtue d’un austère costume du temps – se tournant vers les hauteurs du fort du Mont Valérien au delà des remparts et accompagnant du geste le ballon, s’oppose la même figure de deuil, vue de face cette fois, recueillant le pigeon qui a échappé aux griffes d’un de ces faucons dressés par l’ennemi, au-dessus d’une vue de l’ile de la Cité, enfouie sous la neige ; pendant ce dur hiver, elle tomba en abondance à partir du 22 décembre. » Notice du Musée d’Orsay

Ainsi, formellement, les deux pendants obéissent à une stricte symétrie :

  • une femme vue de dos, tournée vers les faubourgs, lève la main vers un objet ami qui s’éloigne ;
  • une femme vue de face,  le dos à la ville, lève la main vers un objet ennemi ami qui s’approche.


Deux moments du Siège

Canon josephine bastion 40 à Saint OuenCanon Joséphine, bastion 40 à Saint Ouen

Le premier panneau  a probablement été peint depuis ce bastion. Le ballon s’envole vers le Sud Ouest, en direction de l’Armée de la Loire formée par Gambetta.

Le second panneau montre un Paris revenu au Moyen-Age, rétréci à l’ultime enceinte de l’Ile de la Cité. Le combat militarisé du faucon et du pigeon fait  écho à celui qui, de tout temps, a opposé ces deux volatiles près des tours de Notre Dame : comme si la fatalité de la guerre se dilatait dans le temps, à la manière de la neige  accaparant tout l’espace.

« Entre les deux tableaux, quelques semaines voire quelques mois se sont écoulés, qui ont affaibli le moral des Parisiens. Les deux œuvres enregistrent aussi l’abattement de Puvis de Chavannes qui se sent pris au piège d’une ville dont le paysage agreste, ouvert et comme en creux, se déroulant sous le regard dans Le Ballon, est devenu dans Le Pigeon un espace urbain aux fortifications saillantes agressives – c’est la « ville géante à plusieurs enceintes » dont parle Alphonse Daudet dans ses Lettres à un absent (1871). .D’un tableau à l’autre, comme par un phénomène d’éclipse, l’inquiétude et la peur ont succédé à l’optimisme et à l’espoir incarnés par l’aérostat. » [3]



Toulmouche 1883 Dans la serre Musee d'Arts NantesDans la serre Toulmouche le billet Musee d'Arts Nantes 66 x 45 cmLe billet

Toulmouche, 1883, Musée d’Arts, Nantes (66 x 45 cm)

Présentées au Salon de 1883, ces deux toiles renouent avec la tradition du pendant extérieur – intérieur :

  • dans la Serre, la Femme se fait rose parmi les roses, cachant au mépris des piqûres sa poitrine en fleur sous ses consoeurs ;
  • au Salon, la Rose se fait Femme, extrayant du bouquet ce qui lui importe : le billet d’un admirateur.



Emile Bayard 1886-87 Madame PolichinelleMadame Polichinelle Emile Bayard 1886-87 Madame ArlequinMadame Arlequin

Emile Bayard, 1886-87, gravures coloriées

Féminiser ces deux caricatures viriles que sont Polichinelle, avec son bâton, et Arlequin, avec sa batte, ne va pas sans un frisson érotique. Dans la même veine, Emile Bayard a également exploité le thème des duels entre femmes (voir Deux moments d’une histoire ).


GALLAND Pierre Victor La renaissance des Arts Beauvais Musee de l'Oise 1888La renaissance des Arts GALLAND Pierre Victor La renaissance des Lettres Beauvais Musee de l'Oise 1888La renaissance des Lettres

Galland (Pierre-Victor), 1888, Musée de l’Oise, Beauvais

Ces panneaux décoratifs destinés à l’hôtel particulier de l’architecte Jean-Baptiste Pigny, à Paris, son effectivement décoratifs. Mais pas plus. Après deux siècles d’évolution, l’art des pendants atteint ici son point de gratuité, avec des nuages, des angelots, des branches d’olivier, des envolées d’étoffes et des torses nus, qui semblent avoir été tirés au hasard au profit d’une allégorie paresseuse :  les Arts réduits à une lyre et une trompe, les Lettres à un rouleau blanc.

Comme si le peintre ne retenait que la force plastique de la formule, et  s’excusait du symbolisme.


mucha tete byzantine brune 1897Tête byzantine brune mucha tete byzantine blonde 1897Tête byzantine blonde

Mucha, 1897, lithographies en couleur

Dix ans après, Mucha développe son style décoratif expansif. Sur fond de synapses rayonnantes, deux profils « byzantins »  confrontent leur pureté graphique.  La princesse brune, parée de gemmes aux couleurs chaudes, lève la paupière et entrouvre les  lèvres. En face, la princesse blonde, enchâssée dans les couleurs froides, baisse le regard et garde bouche close.

Deux nuances du mystère fin de siècle, entre la révélation esquissée et le sourire silencieux.


L’affichiste belge Privat-Livemont recycle en style Art Nouveau deux sujets classiques de pendants.

privat-livemont 1901 La sculpture chromolithographLa Sculpture privat-livemont 1901 La peinture chromolithographLa Peinture 

Privat-Livemont, 1901, lithographies en couleur

La complémentarité des deux Arts s’exprime par celle des couleurs vert et rouge.


PRIVAT-LIVEMONT LA Fileuse. - 1904La fileuse PRIVAT-LIVEMONT LA Fileuse. - 1904La brodeuse

Privat-Livemont, 1904, lithographies en couleur

La ligne d’horizon (avec moulins et clochers), la végétation identique, les troncs centraux, les broderies similaires (avec papillons) unifient les deux jeunes filles, saisies dans le geste en écho de passer le fil dans le rouet ou à travers la broderie.


Edmundo Pizzella 1906 Le musicien et Derriere le rideau Pastels

Le musicien et Derrière le rideau
Edmundo Pizzella, 1906 ,Pastels, Collection privée

Ces deux Pierrots ambigus reprennent étrangement, dans une sobriété blanches, la même thématique que les princesses de Mucha. Le Pierrot blond ferme les yeux et la bouche, le Pierrot brun entrouvre les paupières, les lèvres et le rideau. Tandis que l’un fait corps des deux mains avec son violon au repos, l’autre, avec sa parole réprimée par l’index, s’identifie au rideau à peine relevé : d’un côté un sommeil instable, de l’autre une révélation esquissée.Edmundo Pizzella, Pierrot 1907

Pierrot
Edmundo Pizzella, 1907 ,Pastels, Collection privée

Cet autre pastel rend évidente la féminité des Pierrots.



Références :
[0] Francis Fletcher, « Mantegna’s Fictive Bronze Judith and Dido : Beyond examplarity » dans « Andrea Mantegna: Making Art (History) », p 186 et ss https://books.google.fr/books?id=OyRcCwAAQBAJ&pg=PA186#v=onepage&q&f=false
[1] « Capolavori da scoprire: la collezione Borromeo : mostra, Milano, Museo Poldi Pezzoli, 23 novembre 2006 – 9 aprile 2007 », Mauro Natale; Andrea Di Lorenzo, p 206
[1a] Charles Paul Landon « Annales du musée et de l’école moderne des beaux-arts » 1808 https://books.google.fr/books?id=-F0UAAAAQAAJ&pg=PA22
[1b] Journal de Paris, Volume 22, 1808, p 2137 https://books.google.fr/books?id=lVkwiJt6j8kC&pg=PA2137
[1c] Journal des débats politiques et littéraires, 7 décembre 1808. https://books.google.fr/books?id=2kvHrlLsPBcC&pg=PP636
[2a]Pour la postérité de la Dormeuse de Naples, chez Ingres et durant tout le XIXème siècle, on peut consulter : http://echos-de-mon-grenier.blogspot.com/2012/09/dingre-fortuny-les-belles-alanguies.html
[2b] Un article favorable à l’hypothèse : http://culturebox.francetvinfo.fr/expositions/peinture/la-dormeuse-dingres-cachee-sous-une-peinture-mediocre-a-naples-219009
Un article très défavorable : http://www.latribunedelart.com/le-tableau-disparu-a-la-recherche-de-la-dormeuse-de-naples-de-jean-auguste-dominique-ingres
[3] Commentaire de https://www.histoire-image.org/etudes/defense-paris-1870
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