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4-3 Le donateur-souris : seul, au centre – Synthèse quantitative

16 juin 2019

Avant de proposer une synthèse quantitative sur l’ensemble des formules, ce denier article sur les donateurs-souris rassemble les exemples d’une formule très rare, dans lequel le donateur se situe au centre.

Pour autant que le faible nombre et le manque de documentation permette de dégager une idée générale, les plus anciens de ces cas de semblent relever d’une « intercession de substitution », où le donateur prie un Saint Patron, qui étrangement ne relaye pas cette prière vers la Madonne.



1350 - 1399 Anonimo fiorentino sec. XIV, Madonna con Bambino, santi e donatrice Narodní galerie Praga
Vierge à l’Enfant, avec des saints et une donatrice
Anonyme florentin, 1350 – 1399 sec. XIV, Národní galerie, Prague

Ce tout premier  exemple résulte peut-être une simple maladresse de l’artiste, due à l’étroitesse du format.


1380 - 1422 Taddeo di Bartolo, Madonna con Bambino, santa martire, san Domenico e donatore Collezione P. Bottenwieser, BerlinoVierge à l’Enfant, avec une sainte martyre, Saint Dominique et un donateur
Taddeo di Bartolo, 1380 – 1422 , Collection P. Bottenwieser, Berlin
1385 paolo-di-giovanni-fei-la-virgen-con-el-nino-y-los-santos-lindenau-altenburgVierge à l’Enfant, avec Saint André, Saint Jean Baptiste et un donateur
Paolo di Giovanni Fei, 1385, Musée de Lindenau, Altenburg

Ces deux exemples en revanche relèvent clairement d’une composition délibérée : le donateur (ou la donatrice) tourne clairement le dos à la Madonne et au second Saint. ll n’est pas question bien sûr d’impolitesse mais d’éviter de déranger Marie en train de s’occuper de Jésus. Il semble que le donateur (la donatrice) aux pieds de sa sainte patronne (son saint patron) veuille manifester le même sentiment d’amour que Jésus pour sa mère.



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1420-60 Ventura di Moro, Madonna con Bambino in trono, san Girolamo, san Giovanni Battista, angeli e donatore coll priv
Vierge à l’Enfant, avec Saint Jérôme, Saint Jean Baptiste, des anges et un donateur
Ventura di Moro, 1420-60 , collection privée

Ce dernier exemple entretient le même contraste entre un saint lettré (ici Saint Jérôme) et le fruste Saint Jean Baptiste. Lisant son livre entre les deux, le donateur a visiblement plus d’affinité pour celui qui est revenu du désert que pour celui qui est resté.



Variations avec Saint François

Cet autre cas, plus récent et bien documenté, relève de tout autre chose que de cette « intercession de substitution ».


1452 Benozzo_Gozzoli_Saint François prechant aux oiseaux devant Montefalco, eglise San Francesco, Montefalco

Saint François prêchant aux oiseaux devant Montefalco
Benozzo Gozzoli, 1452, Eglise San Francesco, Montefalco

Le théologien et prédicateur Fra Jacopo da Montefalco, de l’ordre de Frères Mineurs, avait commandé à Gozzoli un cycle de fresques pour l’église San Francesco de Montefalco. Il s’est d’ailleurs fait représenter dans une des fresques, agenouillé aux pieds de Saint François (en troisième position).


1450 Benozzo Gozzoli Madonna and Child between St Francis and St Bernardine of Siena San Fortunato, MontefalcoVierge à l’Enfant entre Saint François d’Assise et Saint Bernardin de Sienne
Benozzo Gozzoli, 1450, San Fortunato, Montefalco
1452 Benozzo_Gozzoli_-_Madonna_and_Child_with_Sts_Francis_and_Bernardine,_and_Fra_Jacopo_-Kunshistorisches Museum WienVierge à l’Enfant, avec Saint François d’Assise, Saint Bernardin de Sienne et le donateur Fra Jacopo da Montefalco, Kunshistorisches Museum Wien
Benozzo Gozzoli, 1452

Commandée la même année 1452, la  Madonne assise (à droite) reprend la composition de la Madonne debout réalisée en 1450  (à gauche) pour l’église toute neuve du couvent de San Fortunato (lui aussi appartenant aux Frères mineurs). Le panneau rend un hommage quelque peu ostentatoire au commanditaire : la très grande symétrie le met en valeur et attire l’attention, en pendant, sur son monogramme FG OM qui parsème le coussin de la Vierge (Fra Giacomo, Ordinis Minorum). Malgré le luxe des damas et du drap d’honneur en hermine, il s’agit bien d’une Vierge de l’Humilité, assise près du sol et en extérieur.

Le donateur est de taille « enfant », dans la situation assez rare où il se présente en position d’honneur sans être encouragé par Jésus : c’est ici la patronage de Saint François qui justifie cette audace.


1452 Benozzo_Gozzoli_-_Madonna_and_Child_with_Sts_Francis_and_Bernardine,_and_Fra_Jacopo_-Kunshistorisches Museum Wien detail

Noter les rayons lumineux qui s’échappent de la plaie du flanc et de celles des mains, la droite posée sur l’épaule du donateur, la gauche tournée vers Marie pour plaider sa cause.



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1458 Nicolo Alunno Madonna dei Consoli Francesco d'Assisi, san Bernardino da Siena Pinacoteca comunale, Deruta
Vierge à l’Enfant, avec Saint François d’Assise, Saint Bernardin de Sienne et le donateur Jacobus Rubei de Deruta (Madonna dei Consoli)
Nicolo Alunno(Nicolo da Foligno), 1458, Pinacoteca comunale, Deruta

Réalisé pour l’église San Francesco de Deruta, ce panneau constituait le centre d’un triptyque dont les volets ont été perdus [1]. Six ans plus tard, Alunno recopie en format vertical la composition de Gozzoli (jusqu’au détail des rayons de lumière de Saint François), mais modifie radicalement le donateur : le resserrement du format le pousse vers le centre et oblige à diminuer sa taille.



1458 Nicolo Alunno Madonna dei Consoli Pinacoteca comunale, Deruta Jacobus Rubei de Deruta
Il se trouve du coup dans une situation privilégiée (à cheval sur le nom du peintre, gravé dans le marbre) mais dans une fausse position, puisque son regard et la banderole portant son nom s’adressent maintenant à Saint Bernardin, et non plus à l’enfant.

On voit dans cet exemple qu’il ne faut pas surestimer les contraintes théologiques, par rapport au désir d’obtenir la copie d’un tableau bien connu dans la région (Deruta est à 40 km de Montefalco).


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1475-80 Bartolomeo Caporali, san Francesco d'Assisi, san Bernardino da Siena, donatore e angeli, San Giovanni Battista, San Bartolomeo National Gallery

Saint Jean Baptiste ; Vierge à l’Enfant avec Saint François d’Assise, Saint Bernardin de Sienne, des anges et un donateur ; Saint Bartholomé
Attribué à Bartolomeo Caporali, 1475-80, National Gallery, Londres

Quelques années plus tard, un jeune peintre de Pérouse trouve enfin la bonne formule : le donateur retrouve la taille « enfant » et tourne maintenant son regard vers saint François, lequel intercède auprès de la Vierge.


1475 Bartolomeo Caporali e Sante d'Apollonio del Celandro trittico della justizia Galerie Nationale Perouse

Triptyque de la Confrérie de Sant’ Andrea della Giustizia
Bartolomeo Caporali e Sante d’Apollonio del Celandro, 1475, Galerie Nationale, Pérouse

Pour comparaison, ce triptyque de la même époque montre deux membres masculins de la Conférie aux pieds de la Madonne (de taille enfant), et deux membres féminins autour du Christ sortant du tombeau (de taille humaine). Cette différence entre le retable et la prédelle témoigne encore d’une certaine réticence, même dans une cité importante comme Pérouse, envers la formule « moderne » du donateur à taille humaine.

Le triptyque a été réalisé pour l’église de Santa Mustiola, la sainte du panneau de gauche, qui porte ostensiblement un anneau au bout d’un fil. L’amusant est que cette relique de la Vierge avait été volée en 1472 à l’église Santa Mustiola de Chiusi, et ramenée triomphalement à Pérouse.

Un cas isolé : Pier-Francesco Fiorentino

 

1477 Pier Francesco Fiorentino,Santi Giusto e Tommaso avec le dominicain Tommaso Cortesi, Museo Civico San Gimignano provenant de San Giusto

Vierge à l’Enfant entre San Giusto et san Tommaso avec le dominicain Tommaso Cortesi,
1477, Pier Francesco Fiorentino, Museo Civico, San Gimignano, provenant de l’église San Giusto

Dans une conception résolument conservatrice, le donateur-souris est posé sur le piédestal du trône, ignoré par l’Enfant qui joue avec un oiseau aussi grand que lui. Cette taille minuscule le place presque à équidistance entre son saint éponyme, derrière lui, e et le saint patron de l’église, en face de lui.

A la différence des exemples précédents, nous ne sommes pas ici dans une situation d’intercession, mais simplement de signature visuelle.


1490 ca Pier-Francesco-Fiorentino-Saint Laurent, saint Pierre Martyr, saint Jean Saint Blaise eveque dominicain Petit Palais Avignon

Vierge à l’Enfant avec Saint Laurent, saint Pierre Martyr, saint Jean, Saint Blaise et un evêque dominicain
Pier-Francesco Fiorentino, vers 1490, Musée du Petit Palais, Avignon (photo J.L. Mazières)

Saint Laurent s’appuie du pied sur son gril, à côté de l’évêque-souris qui a déposé sur le sol, par respect envers Marie, sa mitre et sa crosse. Au dessus, son confrère gigantesque, saint Pierre Martyr, arbore tranquillement son épée plantée dans le dos. Dans le dos de l’Enfant qui joue avec son collier de corail sans remarquer le donateur, Saint Jean présente son livre fermé, et Saint Blaise manipule le peigne à carder de son martyre. Réalisé par un prêtre et fruit de conventions parfaitement orthodoxes, cette composition autistique atteint de nos jours un haut degré de surréalité.


1494 PIER FRANCESCO FIORENTINO donateur FR LAVRENTI BARTHOLI chiesa di S. Agostino San Gimignano

Vierge à l’Enfant avec des saints et le frère Lorenzo Bartholi
Pier Francesco Fiorentino, 1494, autel de San Bartolo, église de S. Agostino, San Gimignano

La comparaison est amusante avec ce retable où le nombre de saints a doublé : Saint Laurent avec son gril est passé à l’extrême droite, remplacé par Saint Etienne avec son caillou dans le crâne. Saint Pierre Martyr est resté à la même place, mais sans son épée. Saint Bartholomé (avec le tranchoir qui l’a écorché vif) et Saint André (avec le poisson qu’il a péché) se sont insérés derrière la Madonne, qui du coup a perdu son trône. En pendant de Saint Pierre Martyr a été rajouté saint Vincent Ferrer ; et au premier plan Saint Martin et saint Augustin agenouillés.

L’organisation des huit saints dénote un grand sens hiérarchique : du premier à l’arrière-plan se succèdent deux évêques, deux diacres, deux frères dominicains et deux apôtres. Ce souci de symétrie se lit aussi dans la position de l’Enfant -passé du genou gauche au centre – et du donateur – passé au centre et regardant en direction de Saint Martin, lequel montre l’Enfant du doigt. Son saint éponyme et le saint patron de l’église se trouvent ici derrière lui.

L’inscription du dessous est  intéressante  :

« Au divin Dominique, Frère Laurenzo Bartholi a dédié, Pier Francesco Prêtre florentin a peint 1494″ DIVO DNICO FR Bartholi DICAVIT Lavrenti PETRUS FRANCISC PREBYTER FLORENTIN Pinxit 1494



1494 PIER FRANCESCO FIORENTINO donateur FR LAVRENTI BARTHOLI chiesa di S. Agostino San Gimignano schema
Ainsi Saint Dominique, à qui le retable est dédié, est figuré implicitement dans le tableau par le « triangle dominicain » que forment les trois frères, avec Lorenzo Bartholi à la pointe.


Synthèse quantitative

Le donateur-souris à droite

Ma base de données comporte 47 exemples.
GrapheSourisHistoDroiteItalie

En Italie (43 cas), la formule largement dominante est la formule la plus naturelle d’un point de vue héraldique  : position d’humilité, sans bénédiction (34 cas sur 43).

GrapheSourisHistoDroiteNord

 

Dans les Pays du Nord (4 cas), il semble qu’on préfère d’abord la formule secondaire, remplacée vers 1450 par la formule primaire.


Le donateur-souris à gauche

Ma base de données comporte 72 exemples de donateurs-souris placés à gauche.

GrapheSourisHistoGaucheItalie
En Italie (66 cas), on voit apparaître en premier la formule la plus logique, avec bénédiction (position d’invitation) , supplantée vers 1450 par la formule sans bénédiction (position d’intrusion), avant que le donateur-souris ne disparaisse totalement après 1522.


GrapheSourisHistoGaucheNord
Dans les Pays du Nord (6 cas), on ne rencontre que la formule intrusion, et le donateur-souris disparaît également en 1520.

En Italie

GrapheSourisHistoToutItalie
Si l’on regarde les quatre formules simultanément, l’Italie, initiatrice de toutes ces innovations, présente une évolution assez logique (sur 109 cas) : la position d’invitation (vert sombre) apparaît en premier, suivi par la position d’humilité (bleu sombre). Vers 1300, ces deux formes, conformes aux règles héraldiques, sont largement majoritaires. Ensuite, on assiste à l’essor continu de la formule « intrusion » (vert clair) qui, les règles héraldiques s’oubliant peu à peu, s’impose par sa puissance graphique. A l’inverse, la formule de la bénédiction par la droite, plus difficile d’un point de vue graphique, ne se développe pas.


Dans les pays du Nord

GrapheSourisHistoToutNord
Dans les pays du Nord (pour autant que mes 10 cas soient significatifs), la formule « intrusion » est largement préférée, le donateur-souris à droite n’apparaît que tardivement.


Disposition relative du donateur et de l’Enfant

Mais oublions le geste de l’Enfant, souvent discret, pour nous s’intéresser uniquement à la position des deux éléments « mobiles » par rapport à la Vierge.

GrapheSourisProportionDonateurPosition donateur GrapheSourisProportionPosEnfantPosition Enfant

Le premier schéma montre que la position du donateur à gauche, plus robuste d’un point de vue graphique, apparaît en premier, fait ensuite jeu égal avec la position à droite, pour subsister en dernier.

Le second schéma montre une prédominance très nette, au départ, de l’enfant porté à droite (influence du type byzantin Hodigitria), qui s’inverse de manière régulière, la position de l’enfant au centre restant marginale.


Bénédiction ou indifférence (avant 1350)

GrapheSourisCorrelationNonBenissantAvant1350Enfant non-bénissant GrapheSourisCorrelationBenissantAvant1350Enfant bénissant

Avant 1350 (22 cas), on ne trouve que des enfants à droite ou au centre (premier axe), et la situation correspond exactement à nos deux cas théoriques :

  • lorsque l’enfant ne bénit pas, on place le donateur à droite (position d’humilité) ;
  • lorsque l’enfant bénit, on place le donateur à gauche (position d’invitation)

La situation que nous avions interprétée comme une sorte de bénédiction implicite (l’enfant non bénissant serait situé à droite, au dessus du donateur à droite) n’est en fait que le résultat de la prégnance, aux hautes époques, du type  Hodigitria, dans laquelle l’enfant est toujours à droite.


GrapheSourisProportionGesteDroiteDonateur à droite GrapheSourisProportionGesteGaucheDonateur à gauche

Comme nous l’avions remarqué, la formule compliquée de la bénédiction par la droite est toujours restée très minoritaire.

Le second  diagramme est en revanche une vraie surprise : si, au départ, la présentation par la gauche est bien déclenchée par le geste de bénédiction, cette idée s’inverse totalement par la suite : on oublie donc assez vite le côté intrusif de la formule, au profit de sa facilité de lecture et de son dynamisme ascensionnel.



Références :

4-2 Le donateur-souris : seul, à gauche

15 juin 2019

Voyons maintenant les deux cas où le donateurs se situe à gauche du panneau.

Donateur à gauche, enfant bénissant

Commençons par l’autre formule « naturelle » : celle de la position d’invitation, où le donateur entre par la gauche pour se présenter à main droite de l’Enfant qui le bénit.

Au tout début, la bénédiction de l’Enfant est un geste général, qui s’adresse  au spectateur. C’est progressivement que les artistes auront l’audace d’en faire un geste d’accueil destiné spécifiquement au donateur.

1175 - 1224 San Michele Arcangelo e donatori, Madonna e donatore Museo Nazionale d'Abruzzo, L'Aquila  

 

   
1175 - 1224 San Michele Arcangelo e donatori, Madonna e donatore Museo Nazionale d'Abruzzo, L'Aquila detail
Détail de l’Enfant

 

Saint Michel archange et des donateurs, Vierge à l’enfant avec une donatrice
1175 – 1224, Museo Nazionale d’Abruzzo, L’Aquila

Pour cette toute première apparition à gauche, l’Enfant Jésus fait envers la donatrice le geste byzantin de la bénédiction ( l’index tendu, le majeur légèrement courbé, le pouce croisé sur l’annulaire et le petit doigt courbé), mais sans regarder la donatrice. Le fait que la Vierge lui donne le sein suggère néanmoins une forme de solidarité féminine, tandis que les donateurs masculins sont placés aux pieds de Saint Michel, dans l’autre panneau.


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Enthroned Madonna with Christ Child, 2nd half of 13th century, MMaestro di Sivignano, vers 1250, Museo Nazionale d’Abruzzo, L’Aquila    

 

1275-85-Acre-Anonimo-veneziano-Madonna-con-Bambino-in-trono-angeli-e-donatore-The-Art-Institute-of-Chicago-ChicagoDiptyque de dévotion pour pèlerin peint à Acre
1275-85, The Art Institute of Chicago, Chicago

(Cliquer pour voir l’ensemble)

Dans ces deux exemples plus récents, l’Enfant fait maintenant le geste occidental de la bénédiction (deux doigts tendus) du côté du donateur, mais toujours sans interaction avec lui : ce dernier reste en dehors de la scène, soit posé sur le cadre soit suspendu dans le ciel.

Au bas de la Madonne du Maestro di Sivignano sont inscrits les deux hexamètres suivants, qui sont à lire plutôt comme le titre du tableau que comme les paroles du donateur :

Dans le sein de la Mere brille la Sagesse du Pere In Gremio Matris Fulget Sapientia Patris

Ces vers sont asses fréquents (avec des variantes [1] ) et font allusion une épître de Saint Paul qui nomme Jésus « la Sagesse de Dieu ».


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1275-80 Maestro della Maddalena, tra sant'Andrea, san Giacomo e donatore, Arts decoratifs, ParigiVierge à l’Enfant entre Saint André et Saint Jacques, avec un donateur
Maestro della Maddalena, 1275-80, Musée des Arts Décoratifs, Paris

Le donateur, un laïc, semble porter un bouclier (vu par l’intérieur, du côté de ses attaches). Ce détail, joint au fait que Saint André est placé en position d’honneur à droite de la Vierge, a fait supposer que le retable se trouvait dans l’église disparue Sant Andrea de Florence, dans le quartier des artisans du cuir. [2]



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1308 Master of Cesi Donatrice Donna Elena chiesa-di-santa-maria-assunta-cesi

Vierge à l’Enfant avec la Donatrice Donna Elena
Master of Cesi, 1308, Eglise de Santa Maria Assunta, Cesi [3]

Tout en conservant une symétrie systématique, l’artiste a légèrement décalé la Vierge sur la droite, pour laisser en bas du montant gauche du trône la place de la donatrice. La seconde dissymétrie est la main bénissante de l’Enfant, du côté de la donatrice. Bien que celui-ci ne la regarde pas, il y a là une discrète explication de sa position : bénéficier en premier de cette bénédiction.

La discrétion de la donatrice est confirmée par l’inscription où son prénom, ELENA, apparaît sur la droite, sans rapport avec sa position :

Au nom de Dieu, Amen. An de grâce 1308 (temps du Seigneur) Sous le pape Clément V, Indiction 6. Dame Elena a fait faire cette oeuvre. IN NOMINE DOMINI. AMEN. ANNO DOMINI MILLESIMO CCCVIII (TEMPORE DOMINI) CLEMENTIS PAPE V, INDICTIONE VI. DOMINA ELENA FECIT FIERI HOC OPUS

L’indiction est la manière liturgique de numéroter les années, à l’intérieur d’un cycle de 15 ans.


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1300-24 Orlandi Deodato Madonna con Bambino in trono Pise, Musee national d'artPise, Musée national d’art 1300-24 Orlandi Deodato Madonna con Bambino in trono e santo vescovo che presenta il donatore, loc inconnueLocalisation inconnue

Deodato Orlandi, 1300-24

Le panneau de droite est le premier où le donateur apparaît non plus seul, mais présenté par son saint patron. Le couple patron/donateur  est encore conçu comme un élément optionnel, que sa taille miniature permet de rajouter sans modifications dans une composition existante. L’absence de tout signe de reconnaissance de la part des personnages sacrés s’explique par le caractère générique de l’icône, et par les facilités de la production en série.



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1325 Lello da Orvieto with donor presbitero Rainaldo Cathedral of Anagni
Vierge à l’Enfant avec le donateur Raynaldus
Lello da Orvieto, 1325, Cathédrale d’Anagni

Ici encore le donateur se surimpose à la composition, sans interaction avec les personnages sacrés. Pour une fois nous disposons ici d’un texte détaillé :

Cette oeuvre a été commandée par Raynaldus, prêtre et clerc de cette église, en Mai de l’année du Seigneur 1325. Ici sont les reliques des Saints Thomas, Archevêque de Cantorbery, Thomas d’Aquin et Pierre, evêque d’Anagni Hoc op(us) fieri fecit do(mi)n(us) Raynald(us) pre(s)biter et cl(er)icus isti(us) eccl(es)ie sub an(n)o d(omi)ni MCCCXXV mense madii ibi sunt d(e) reliq(u)is S(an)c(t)o(rum) Thom(ae) Archiepi(scopi) Cant(uarensis), Thom(ae) d(e) AQ(ui)no et Pet(ri) Epi(scopii) Anagnini »


Une indication visuelle (SCOOP !)

Il est probable que ce panneau de grande taille surplombait l’autel contenant les dites reliques [4]. Le situation très familière du donateur, en haut des trois degrés du socle et décalant le texte, n’est donc pas dûe à un quelconque privilège ecclésiastique : c’est le moyen d’indiquer au spectateur où se trouvent précisément (« ibi sunt« ) ces reliques.


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En aparté : le type de la Hodigitria

1230 ca Berlinghiero_Berlinghieri_Hodegetria MET
Vierge Hodegetria
Berlinghiero Berlinghieri, vers 1230, MET, New York

Ce type d’icône de la Vierge à l’Enfant est un des plus répandus de l’art byzantin. Debout, vue à mi-corps et portant l’Enfant sur son bras gauche, la Vierge est, étymologiquement, celle qui « montre le chemin ». L’Enfant tient un général un livre-rouleau dans la main gauche est bénit de la main droite (ici, avec le geste occidental).


 
1320 Pietro Lorenzetti Philadelphia Museum of ArtVierge à l’Enfant avec un donateur inconnu

Pietro Lorenzetti, 1320, Philadelphia Museum of Art 
1325-30-Lippo-Memmi-Madonna-and-Child-with-Donor-NGAVierge à l’Enfant avec un donateur inconnu
Lippo Memmi , 1325-30, NGA, Washington [5]

Ces deux exemples sont les premiers où l’Enfant se montre conscient de la présence du donateur. Grâce au type Hodigitria, sa position sur le bras ou le genou gauche de Marie laisse au peintre l’espace nécessaire au déploiement naturel de son bras droit.


Bénédiction  retenue chez Lorenzetti (la main bénissante s’avance à peine) et détournée chez Lippo Memmi (la main s’arrête au voile, prémonition du linceul) : comme si l’idée d’interaction entre l’enfant divin et le donateur était encore très audacieuse.



1320 Pietro Lorenzetti Philadelphia Museum of Art detail moine
Toujours aussi minuscule, ce dernier s’est individualisé : les deux artistes réussissent, en miniature, deux véridiques portraits de moine.


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Théologie de la douleur

1380 ca Antonio_Veneziano _Museum_of_Fine_Arts,_Boston
Vierge à l’Enfant avec une nonne
Antonio Veneziano, vers 1380, Museum of Fine Arts, Boston (www.mfa.org)

Le cadrage à mi-corps rapproche mécaniquement la nonne de l’objet de son adoration, sur un fond d’or abstrait sans aucune indication spatiale. Si gracieuse que soit cette composition, elle n’est pas la représentation merveilleuse d’une rencontre, mais l’exposé d’une théologie très précise.



1380 ca Antonio_Veneziano _Museum_of_Fine_Arts,_Boston detail main
La main droite du bébé esquive (ou esquisse ?) le geste de la bénédiction : l’Enfant, en âge si tendre, est-il déjà capable de bénir ? Telle est la question que le peintre se pose (et nous pose).


Douceur et douleur (SCOOP !)

1380 ca Antonio_Veneziano _Museum_of_Fine_Arts,_Boston langue oiseau
Le geste extraordinaire de Marie n’a pas été commenté. On pourrait croire qu’elle donne son index à sucer en guise de tétine, mais ce geste serait trop trivial. La « cassure » étrange de l’auréole de l’Enfant, ainsi que ses petites dents bien visibles, nous donnent l’explication : Marie donne à mâcher le bord retourné de son manteau à l’enfant qui fait ses dents !

Mais à cet instant précis où la douceur maternelle est encore capable de soulager ses douleurs, le chardonneret lui pique le pouce en deux endroits, préfiguration extraordinaire de la Passion


1380 ca Antonio_Veneziano _Museum_of_Fine_Arts,_Boston schema
Dernière trouvaille géniale : par l’analogie des formes, l’artiste nous fait comprendre que Jésus, tout comme le chardonneret qui tente vainement de s’échapper, est déjà prisonnier de sa crucifixion. Et par l’emplacement de la nonne , il répond lui-même à la question :

oui, parce qu’il est capable de souffrir, l’Enfant sevré est dès maintenant en capacité de sauver.



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1368-polyptyque-guariento donatore Francesco il Vecchio de Carrare Gemaldegalerie BerlinVierge à l’Enfant avec le donateur Francesco il Vecchio de Carrare
Guariento, 1368, Gemäldegalerie, Berlin.
1394 ca Nicolo di Pietro Donateur Vulciano Belgarzone di Zara, Gallerie dell'Accademia, VeniceVierge à l’Enfant avec le donateur Vulciano Belgarzone de Zara
Nicolo di Pietro, vers 1394, Gallerie dell’Accademia, Venise

En avançant dans le XIVeme siècle, la bénédiction de Jésus devient plus franche, et s’accompagne du geste d’accueil de Marie, au dessus du donateur : comme si la main de la mère relayait le geste du fils, et compensait sa petitesse.



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1375 Agnolo_gaddi,_madonna_in_trono_e_santi,_,_da_s.m._novella_qa_firenze Galleria nazionale (Parma)

Vierge à l’Enfant avec des saints et une donatrice inconnue
Agnolo Gaddi, 1375, Galleria nazionale (Parma)

Destiné à une église dominicaine (Santa Maria Novella de Florence), le panneau fait figurer Saint Dominique en position d’honneur, juste derrière Saint Jean Baptiste, tandis que Saint Paul et Saint Laurent se contentent de la partie droite.

Le panneau est composé comme un triptyque [6] mais, de manière très originale, deux saints dominicains plus récents apparaissent en remplacement des colonnes : Saint Pierre Martyre et Saint Thomas d’Aquin. Autre originalité : la hiérarchie très précise dans les présentations à l’Enfant : de manière symétrique, chacun des deux saints majeurs présente un saint dominicain agenouillé.



1375 Agnolo_gaddi,_madonna_in_trono_e_santi,_,_da_s.m._novella_qa_firenze Galleria nazionale (Parma) detail
Mals la minuscule nonne rompt la symétrie : elle est présentée par Saint Pierre Martyre et, via celui-ci, par Saint Jean-Baptiste et par  la Vierge. Au plus bas de cette cascade, elle accumule trois intercessions prestigieuses qui légitiment le geste de bénédiction de Jésus.



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1380-90 Niccolo di Pietro, Madonna con Bambino con san Francesco d'Assisi e donatore coll priv
Vierge de l’Humilité avec saint François d’Assise et un donateur
Niccolò di Pietro,1380-90, collection privée

Ici encore le donateur accumule sur sa tête les présentations par son Saint Patron et par la Vierge.


1380-90 Niccolo di Pietro, Madonna con Bambino con san Francesco d'Assisi e donatore coll priv schema

L’artiste a ajouté une idée très originale : tandis que la main droite des trois personnages sacrés illustre le passage de l’intercession (cercles verts)  à la bénédiction (cercle jaune),  leur main gauche,   de la pomme d’Eve à la chair de Jésus, puis au stigmate de Saint François, trace un résumé en trois points de l’histoire de l’Incarnation (cercles rouges).

(Nous avons déjà  rencontré ce détail de la main tenant le  pied, en  anticipation de la Passion, chez Olivuccio di Ciccarello da Camerino, voir 3-3-1 : les origines).


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1380 ca Catarino Veneziano Humilite Walters Arts Gallery Baltimore

Vierge de l’Humilité avec des saints et un donateur (Polyptyque)
Catarino Veneziano, vers 1380, Walters Arts Gallery, Baltimore

Le donateur partage avec la Vierge le même paradoxe : à la fois humble (à même la terre) et somptueux (même bleu très onéreux de la robe).



1380 ca Catarino Veneziano Humilite Walters Arts Gallery Baltimore signature
Par sa position centrale, il partage également sa gloire avec l’artiste dont la signature, juste au-dessous, encadre son blason aujourd’hui effacé.


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1391-92 Enrique de Estencop donateur párroco de Longares don Francisco de Aguilon, Musee National d'Art Catalan, Barcelone
Vierge à l’Enfant avec le curé de la paroisse de Longares don Francisco de Aguilón,
Enrique de Estencop, 1391-92, Musée National d’Art Catalan, Barcelone

De la main gauche, Marie tient un lys et l’Enfant tient un oiseau ; de la main droite, Marie soutient l’Enfant qui bénit : le curé se trouve donc, très logiquement du côté du sujet, non de l’objet.


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1438-39 Blasco_de_Granen_-_Virgin_of_Mosen_Esperandeu_de_Santa_Fe_Museo Lazaro Galdiano

Vierge à l’Enfant avec le donateur Mosen Esperandeu de Santa Fe
Blasco de Granen, 1438-39, Museo Lazaro Galdiano, Madrid

Il s’agit du panneau central du retable qui décorait la chapelle funéraire de Mosen Esperandeu, dans l’église du couvent de San Francisco de Tarazona (Saragosse), dédiée à Notre Dame des Anges. Mais à la différence des exemples précédents, ni Jésus bénissant, ni Marie dont la main droite est occupée à tenir un lys, n’interagissent avec le donateur.

Nous rencontrons donc ici un contre-exemple de la tendance, dans un contexte funéraire, à placer le donateur sur la droite. L’inversion est peut-être liée à la présence de l’ange en position symétrique, qui tire le panneau vers la composition à deux donateurs (voir 4-4 …en couple) : dans le couple hybride formé par le chevalier (avec ses éperons) et l’ange qui porte son blason, ce dernier joue le rôle de l’écuyer, ce qui explique sa position subordonnée selon l’ordre héraldique.

Ainsi la présence du donateur à gauche, mais sans interaction avec les personnages sacrés, résulterait ici d’un compromis entre la formule funéraire habituelle (donateur à droite) et la composition à deux donateurs (supérieur hiérarchique à gauche).



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1400-49 Ventura di Moro attr Cristo crocifisso con santa Maria Maddalena, Madonna con Bambino e donatore Capodimonte, Napoli

Crucifixion, Vierge à l’Enfant avec un donateur
Ventura di Moro (attr), 1400-49, Musée de Capodimonte, Naples

Les deux volets de ce petit diptyque de dévotion mettent en parallèle deux réponses du divin à l’humain : le sang qui baigne Marie Madeleine en prières au pied de la Croix préfigure la bénédiction qui récompense le donateur en prières aux pieds de la Vierge.



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1440-Jacopo-Bellini-Vierge-dhumilite-adoree-par-un-prince-de-la-maison-dEste-Louvre
Vierge d’humilité adorée par un prince de la maison d’Este (Leonello, Ugo ou Melialuse) [7]
Jacopo Bellini, 1440, Louvre

Ce panneau est une exemple de « perspective signifiante », où la taille des différents éléments correspond à leur importance narrative, et non à leur éloignement. C’est ainsi que le cerf couché, en bas à droite, est de taille minuscule par rapport à la fraise des bois sous la robe de Marie. On pourrait le considérer comme un emblème, mais il forme une paire avec le second cerf qui broute à l’arrière-plan, (il ne s’agit pas d’une biche, vu ses cornes). A gauche, le donateur est immense par rapport au cerf, mais minuscule par rapport à l’Enfant :

rapports de taille qui traduisent la hiérarchie animal/humain/divin.



1440 Jacopo Bellini Vierge d'humilite adoree par un prince de la maison d'Este Louvre details
Une haie continue sépare la pelouse de la Vierge et la campagne, qui se développe derrière de manière symétrique : des cavaliers sortent des deux villes fortifiés ; un appentis adossé au rocher, à gauche, fait pendant à un édicule à côté d’une maisonnette, à droite. La scène de gauche est difficile a interpréter (des cavaliers passant devant un ermite ?), mais celle de droite montre une ruche sous abri ; une lance posée sur le puits semble désigner l’homme à l’arrière, la tête renversée vers le ciel, comme un soldat attaqué par les abeilles.


Deux mondes séparés (SCOOP !)

L’idée du panneau semble être de comparer deux espaces séparés : à l’arrière le monde humain d’après la Chute, où les hommes tout comme les abeilles, doivent se fortifier les uns contre les autres ; à l’avant, une clairière paisible, variante du Hortus conclusus marial, où les cerfs se reposent et broutent sans s’affronter.


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1465 Vivarini The Madonna of Humility (member of the Dominican Order), the Annunciation, the Nativity, and the Pieta MET

Triptyque de la Vierge de l’Humilité, avec une donatrice dominicaine
Vivarini, 1465, MET, New-York

Dans les Vierges de l’Humilité avec donateur, la proximité du couple divin est en général compensée soit par l’écartement de l’Enfant (situé à l’opposé du donateur) soit par la non-interaction. Cet exemple est le seul (sur 8 dans ma base de données) où la donatrice se trouve à la fois à proximité de l’Enfant, et bénie par lui : familiarité avec le divin qu’autorisent à la fois son statut de nonne, et le caractère privé de ce petit triptyque de dévotion [8].


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1472 Nicola di Maestro Antonio di Ancona, san Leonardo,Girolamo,Giovanni Battista, Francesco d'Assisi e donatrice Carnegie Museum of Art

Saint Léonard, Saint Jérôme, Saint Jean Baptiste, Saint François d’Assise et une donatrice
Nicola di Maestro Antonio di Ancona, 1472 ,Carnegie Museum of Art

Dans cette oeuvre d’une grande préciosité, trois saints portent ostensiblement un livre et pointent tout aussi ostensiblement leur index, tandis que le quatrième, Saint François échappe à leur docte conversation, les mains jointes sur son livre fermé.


1472 Nicola di Maestro Antonio di Ancona, san Leonardo,Girolamo,Giovanni Battista, Francesco d'Assisi e donatrice Carnegie Museum of 1472 Nicola di Maestro Antonio di Ancona, san Leonardo,Girolamo,Giovanni Battista, Francesco d'Assisi e donatrice Carnegie lion

Les détails entretiennent entre eux des rapports tout aussi emphatiques, et passablement gratuits : la donatrice-souris montre son indifférence au lion blessé, que Saint Jérôme tient en respect de son index de géant.


1472 Nicola di Maestro Antonio di Ancona, san Leonardo,Girolamo,Giovanni Battista, Francesco d'Assisi e donatrice Carnegie enfant 1472 Nicola di Maestro Antonio di Ancona, san Leonardo,Girolamo,Giovanni Battista, Francesco d'Assisi Carnegie Museum detail

Car elle est sous la protection de la minuscule bénédiction de Jésus. L’artiste conclut sa démonstration d’habileté par le détail de la mouche à côté de la pomme, et passe du marbre au parchemin pour compléter sa signature.


 Donateur à gauche,

enfant non bénissant

Terminons par la formule la plus paradoxale, celle de l’intrusion, où le donateur se présente en position d’honneur sans avoir la justification d’y être invité par l’Enfant.




La formule apparaît très tôt, dans des images sans aucune interaction (l’Enfant tête ou s’intéresse à une fleur).

<1250 ca Amasbury psalter Ms. 6 All Sou
Vierge à l’enfant allaitant avec une donatrice inconnue
Psaultier Amasbury, vers 1250 Ms. 6 All Souls College, Oxford


Du côté du lion

Ici l’Enfant serre dans sa main droite la main de Marie qui presse son sein, et de sa main gauche la pomme du Péché : l’opposition lait/pomme se retrouve en bas, dans les deux animaux symboliques : le lion qui comme un chiot mordille le pied droit de Marie, et le basilic qu’elle écrase de son pied gauche. Le lion évoque le Christ (le « Lion de Juda« ) tandis que le basilic fait écho au serpent et à la pomme.

Dans cette forte polarité gauche/droite il est logique que la donatrice, une nonne, soit placée du côté positif. En outre, c’est aussi le côté privilégié pour présenter une supplique (voir 2-4 Représenter un dialogue) : or elle tient dans ses mains une banderole qu’elle tend à Marie, et qui porte le début de la salutation angélique : « Ave Maria gratia plena dominus tecum be <nedicta tua in mulieribus> »

Tandis qu’en général le suppliant présente une demande de salut pour lui-même, la nonne redit ici les paroles de l’Ange de l’Annonciation : et la fin qui manque dans la banderole : « Bénite entre toutes les femmes » se lit directement dans l’image de l‘allaitement.


Allaiter du sein gauche

Il est à noter que, bien que la droite soit fortement valorisée dans cette image, le fait que Marie donne son sein gauche n’a visiblement pas de connotation négative (sans doute parce qu’à la différence des mains, les seins sont identiques et interchangeables).


En aparté : la Vierge  Galaktotrophousa

XIIeme XIIIeme Vergine Galaktotrophusa Monastere S.Maria di Maniace SicileVierge Galaktotrophousa, XII-XIIIeme siècle, Monastère S.Mariadi Maniace, Sicile XIIIeme madonna_galaktotrophousa Eglise san_francesco aversaVierge Galaktotrophousa, XIIIème siècle, Eglise San Francesco, Aversa

L’iconographie de la Vierge au Lait s’est introduite en Italie via la Sicile à partir de l’art byzantin, avec des seins minuscules conformes au puritanisme de cet art [9]. L’allaitement par le sein gauche est une simple modification de la formule de la Vierge Hodigitria (vue à mi corps et portant l’Enfant du bras gauche), mais on rencontre dès le départ l’autre possibilité, l’allaitement par le sein droit.



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Virgin and Child with a Donor (oil on panel)1200-1300, Museo Horne, Florence 1325-30 Memmi Lippo di Filippuccio Madonna con Bambino in trono e donatore Museo d'Arte Sacra, Asciano Lippo Memmi, 1325-30,Museo d’Arte Sacra, Asciano.

Vierge à l’Enfant avec un donateur inconnu

Dans ces deux cas, le format très haut (sans doute la disproportion maximale entre la vierge et le donateur) évite l’effet d’intrusion dû à l’infraction de la règle héraldique.


1260-1264 Gradual, Sequentiary, Sacramentary Austria, perhaps Salzburg, Morgan Library MS M.855 fol. 110v

Graduel et Sacramentaire autrichien,
1260-1264, Morgan Library MS M.855 fol. 110v

Une fois cet effet éliminé (ici par la miniaturisation et la situation « hors cadre » du donateur), la formule du donateur à gauche offre tout son potentiel ascensionnel, dans le sens naturel de la lecture.


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1336 Andrea_orcagna ou Maso di Bianco _ss_Mattia,_Giorgio_e_un_donatore San Giorgio a Ruballa
Vierge à l’enfant, Saint Matthieu avec un donateur et Saint Georges
Andrea Orcagna ou Maso di Bianco, 1336, église San Giorgio a Ruballa

On ne connaît ici ni l’origine du panneau, ni l’identité du donateur, un ecclésiastique. La présence des saints complique la problématique : le donateur est probablement lié à Saint Matthieu, mais ce dernier ne fait ici aucun geste de présentation. Il est logique qu’il occupe la place d’honneur, en tant qu’Evangéliste, et que Georges se poste à la gauche de Marie pour monter la garde (c’est l’emplacement privilégié pour les saints militaires).

Dès lors, en admettant que la position du donateur soit liée à celle de l’Evangéliste, ce peut être soit parce que son prénom est Matthieu, soit parce que Mathieu est le saint patron de son église (peut être san Matteo di Gavignano). Il y a ici trop d’incertitudes pour pouvoir trancher.


Le bord ambigu

1336 Andrea_orcagna ou Maso di Bianco _ss_Mattia,_Giorgio_e_un_donatore San Giorgio a Ruballa detail
Le coin inférieur droit révèle une intéressante expérimentation graphique sur la notion de bord : tandis que la laisse entre Saint Georges et le dragon nous conduit en hors-champ, sa lance nous mène en avant-plan, laissant entendre d’une part que le donateur se trouve placé sur une étroite corniche devant le panneau, d’autre part que la lance sort de ce « tableau dans le tableau ». Il ne faut sans doute pas voir une grande profondeur théologique dans ce détail, mais plutôt un effet purement graphique, un « truc » de virtuosité qui anticipe les nombreux objets que les artistes de la Renaissance peindront en trompe-l’oeil, , mi-dedans mi dehors, au bas de leurs retables (pour un exemple d’objet-limite chez Crivellli, voir ).


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Bénédiction déguisée et donateur-oiseau (SCOOP !)

1356-72 Lorenzo Veneziano, Madonna con Bambino in trono e donatore The Fine Arts Museums of San Francisco

Vierge à l’enfant avec un donateur
Lorenzo Veneziano, 1356-72, The Fine Arts Museums of San Francisco

Vu de loin, l’Enfant semble esquisser une bénédiction, mais en fait il touche de la main droite l’encolure de sa mère. De l’autre main, il tient une grappe qu’un perroquet vient picorer, tandis que le donateur vient derrière. Ces idées de « bénédiction déguisée » et  de « donateur-oiseau »  attiré par l’Enfant pourraient être pure coïncidence, si elles n’étaient corroborée par d’autres exemples du même type

1390 Vanni Andrea, Madonna con Bambino in trono e donatore Chiesa di S. Spirito, SienaVierge à l’enfant avec un donateur
Andrea Vanni, 1390 , Museo diocesano, Siena (anciennement à l’église di S. Spirito)
 

 

 

   

 1440-60 Francesco d'Antonio da Viterbo, Madonna del cardellino Museo Civico, Viterbo église Santa Maria in GradiVierge au chardonneret (Madonna del cardellino)
Francesco d’Antonio da Viterbo, 1440-60 , Museo Civico, Viterbo (autrefois au dessus de la porte de la sacristie de l’église Santa Maria in Gradi)

 Ici, à la place du raisin pour attirer l’oiseau vers la droite, l’enfant utilise cette fois un fil pour le retenir tandis qu’il s’envole vers la gauche. Du coup la situation du donateur du côté du jouet prend une valeur moins précise que dans la métaphore du donateur-oiseau : la bénédiction déguisée vaut seulement comme un signe d’humilité, comme s’il n’était pas digne d’interrompre le jeu de l’enfant.



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1425-74 Cristoforo di Giovanni da Sanseverino, Andrea, Michele , GianBattista, Saba, Museo Piersanti, Matelica cardinale Brancaccio

Vierge à l’enfant avec le cardinal Rinaldo Brancaccio, et les Saints André, Michel, Jean Baptiste, et Saba
Cristoforo di Giovanni da Sanseverino, vers 1427 , Museo Piersanti, Matelica

Ce panneau a été probablement commandé par le cardinal Brancaccio (dont les armes apparaissent en bas) pour l’église romaine de Sant Andrea e Saba (d’où les deux saints) [10]. C’est à ma connaissance le premier exemple d’un polyptyque où un donateur à gauche quitte le compartiment latéral, et donc  la protection de son Saint patron (voir 1-4-1 Tryptiques italiens). Cette familiarité a sans doute à voir avec le haut rang du commanditaire.



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1440 Meister der Darmstadter PassionVierge_à_l'Enfant Berlin Gemaldegalerie 1440 Meister der Darmstadter Passion Trinite Berlin Gemaldegalerie

Retable de Bad Orb (revers des volets)
Meister der Darmstadter Passion, 1440, Gemäldegalerie, Berlin

Ce retable décorait le maître-autel de l’église Saint Martin de Bad Orb. Il comportait au centre une Crucifixion (détruite en 1983 dans l’incendie de l’église) encadrée par l’ Adoration des Mages et l’Exaltation de la Sainte Croix [11].

Les volets latéraux, détachés à l’époque baroque, ont été conservés à Berlin. Au revers, ils montrent, en miroir le début et la fin de l’histoire : la mère avec Jésus enfant, le Père Eternel avec le Christ mort. Un parallèle ingénieux associe le lys blanc, que la mère donne à l’Enfant, et la colombe blanche qui complète la Trinité : ainsi le Saint Esprit est présent dans les deux panneaux, en tant que troisième terme.


Une question d’éclairage (SCOOP !)

L’artiste a tenu compte du positionnement du retable pour faire coïncider son éclairage avec celui de l’édifice : la lumière vient de droite, donc du Sud, comme le montre le fort contraste entre les rideaux latéraux : bleu clair pour la face éclairée, bleu sombre pour la face à l’ombre.

Cette question d’éclairage est probablement la raison principale du positionnement du donateur (un chanoine inconnu), afin qu’il fasse face à la lumière, tout comme l’Enfant Jésus et le Christ. De plus, cette position à gauche est tout indiquée pour un revers de retable : placé en avant des deux trônes, le donateur embrasse du regard l’ensemble de l’oeuvre qu’il a offerte, tout en indiquant au spectateur le point de départ de sa contemplation.



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Dans les Vierges de l’Humilité, moins formelles et moins sensible théologiquement que les Vierges en majesté, les artistes sont plus libres dans leurs choix de composition : ainsi, dans les deux exemples qui suivent, l’Enfant est tantôt au dessus du donateur, et tantôt à l’opposé. Et  dans les deux cas,  cette formule favorise une forme de fraternité entre l’Enfant et le donateur.

Le donateur : un petit frère (SCOOP !)

1400-50 Zanino_Di_Pietro_-_Madonna_of_Humility_with_a_Donor_and_Angels_-coll priv

Vierge de l’Humilite avec des anges et un donateur
Zanino di Pietro, 1400-50 , collection privée

En plaçant son donateur en contrebas de l’Enfant, yeux et mains levées dans une posture similaire et portant le même tissu rose, Zanino di Pietro a soigné un effet de parallélisme visuel entre les deux silhouettes, comme si le donateur était une sorte de projection minuscule du divin Enfant : son petit frère sur la Terre .

Le donateur : un second fils  (SCOOP !)

1445 ca Giovanni di Paolo Vierge de l'Humilite avec deux anges et un donateur inconnu METVierge de l’Humilité avec deux anges et un donateur inconnu
Giovanni di Paolo, vers 1445, MET, New-York

Ici, le donateur, en « touchant » visuellement le manteau, fait écho à l’ange de gauche, qui le touche quant à lui physiquement. L’intéressant est que l’autre ange, en embouchant et tenant à deux mains sa trompette, mime quant à lui ce que fait Jésus avec le sein de Marie.

C’est donc ici un parallélisme logique entre les deux « fils » et les deux anges du tableau qui a dicté la position du donateur.



Madone de l'abbe Wolfhard Strauss 1440-1450-Church-of St Emmeran,RegensburgMadone de l’abbe Wolfhard Strauss, 1440-1450, Eglise de Saint Emmeran,Regensburg Van-Eyck 1435 The Lucca Madonna Staedel Museum FrancfortMadone de Lucques, Van Eyck, 1435 Staedel Museum, Francfort

En contraste, cette Madone allemande exactement contemporaine reste fidèle à l‘ancienne iconographie de la Vierge allaitante, assiste en Majesté sur son trône : le donateur en prières et les deux anges qui la couronnent restent à distance respectueuse. La madone de Regensburg est inpirée de la Madone de Lucques, de Van Eyck.


1435 Eyck_madonna_rolinLa Vierge du Chancelier Rolin, 1435, Louvre, Paris

On ne peut que constater l’abîme conceptuel entre le minuscule abbé de Regesnburg et le richissime chancelier Rolin qui, à la même époque, prie de plain-pied et à taille égale avec la Vierge (voir 1-2-3 La Vierge du Chancelier Rolin (1435)).



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Crivelli

A une période où le donateur-enfant devenait courant, Crivelli n’a utilisé que la formule archaïsante du donateur-souris, dont la taille est souvent minorée par un objet-repoussoir.

1470 ca Crivelli_Madonna_and_Child_Enthroned_with_a_DonorNGA
Polyptique de Porto San Giorgio, Panneau central (Madonna Cook), 
Carlo Crivelli, vers 1470, NGA, Washington

 (Cliquer pour la reconstitution de l’ensemble) [12]



1470 ca Crivelli Polittico_di_Porto_San_Giorgio donateur
Ici l’écclésiastique albanais Prenta di Giorgio se trouve pris en sandwich entre la pomme d’Eve et la couronne de Marie, ce qui est en somme le sort de tout humain.


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1482 Crivelli,_Madonna_col_Bambino_e_piccolo_frate_francescano_orante Pinacoteca Vaticano
Vierge à l’Enfant avec un donateur franciscain
Crivelli, 1482 , Pinacoteca Vaticano, Rome

Ce panneau est la partie centrale d’un triptyque aujourd’hui perdu, réalisé pour le couvent de San Francesco in Force, et le frère franciscain n’a pas été identifié avec certitude.



1482 Crivelli,_Madonna_col_Bambino_e_piccolo_frate_francescano_orante Pinacoteca Vaticano detail perles
Suspendus à un collier de perles, le rubis proprement céleste de la Reine des Cieux fait écho à la branche de corail, accessoire protecteur d’un bébé bien terrestre.



1482 Crivelli,_Madonna_col_Bambino_e_piccolo_frate_francescano_orante Pinacoteca Vaticano detail franciscain
La position du franciscain attire l’oeil sur la fracture dans le marbre, matérialisation de la présence du Mal et de l’Imperfection sur cette Terre (Crivelli est bien connu pour ses mouches, qui remplissent le même rôle). La fracture, colmatée par le pied droit de la Vierge, rappelle de manière subtile que la pureté de Marie contrecarre la pomme d’Eve, tenue à distance par la main gauche de l’Enfant.


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1490 ca Crivelli,Virgin and Child with Saints and Donor, Walters Art Museum, Baltimore

Vierge à l’Enfant avec des saints et le donateur Fra Bernardino Ferretti
Carlo Crivelli, vers 1490, Walters Art Museum, Baltimore.

Dans cette compositions moins solennelle, sans trône et à mi-corps, une copie très proche de notre frère franciscain se trouve sur la même margelle que l’Enfant, tel un jouet sur une étagère : cette position à la fois extérieure et inférieure minore l’infraction à l’ordre héraldique.


Une Madonne franciscaine

Le panneau de Crivelli a été réalisé pour Fra Bernardino Ferretti (Fra Bernardino da Ancona, d’où les initiales F.B.D.A), probablement pour sa chapelle privée dans l’église de San Francesco ad Alto à Ancône. De part et d’autre de la Madonne couronnée, deux Frères éminents relaient auprès de la madonne la prière du minuscule franciscain :

  • en position d’honneur le fondateur de l’ordre, Saint François en adoration, les mains croisées sur sa poitrine (mais sans stigmates) ;
  • en pendant un autre franciscain célèbre, saint Bernardin de Sienne, tenant devant sa poitrine son signe distinctif (une plaque avec le monogramme du Christ entouré de flammes).

Le donateur a choisi un placement hiérarchique, sous le fondateur de son ordre plutôt que sous son saint homonyme. Position qui lui permet de se placer, à la limite du tapis, sous la protection du manteau de Marie.


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1491 Crivelli Saints Francis and Sebastian avec donatrice Oradea Becchetti, National Gallery

Vierge à l’Enfant avec Saint François, saint Sébastian et la donatrice Oradea Becchetti
Carlo Crivellli, 1491, National Gallery, Londres

Ce panneau a été commandé par Oradea Becchetti, veuve du marchand Giovanni Becchetti, afin de respecter le dernier voeu de son mari : fonder une chapelle dédiée à Sainte Marie de la Consolation dans l’église San Francesco de Fabriano. D’où la présence de Saint François en position d’honneur, présentant  la veuve en prières.


Une oeuvre d’utilité publique

Dans l’inscription gravée en bas du panneau dans le rebord de marbre, Oradea se révèle très fière de sa générosité envers les siens, aussi bien morts que vivants :

« A Marie pleine de bonté, mère des consolations, en compassion pour ses ascendants et ses descendants , avec une somme non modique de son propre argent, Oradea di Giovanni a dédié ceci. »

Il faut dire que Crivelli était alors un peintre célèbre et qui avait été fait chevalier, comme l’indique fièrement le mot MILES dans sa signature.

Mais au delà de la famille, le retable bénéficiait aussi aux visiteurs. Un panonceau autrefois posé devant le retable, mentionnant « l’Honorable Oradea di Giovanni Becchetti », promettait 140 jours d’indulgence à ceux qui prieraient certains jours, notamment pour la Saint Jean-Baptiste (le patron de son mari), la Saint François et la Saint Sébastien ([13], p 148).


1491 Crivelli Saints Francis and Sebastian avec donatrice Oradea Becchetti, National Gallery donatricel

Oradea, dont le prénom signifie littéralement « Je prie Dieu » servait donc d’exemple avec son chapelet, de complément visuel au panonceau.

Ces jours là, la veuve relayait à l’intérieur du tableau la prière du visiteur, qui se multipliait avec celle des Saints, dans une sorte d’amplificateur de piété.

Ainsi la position de la donatrice, certes humble (par sa taille) mais très honorable (entre la Vierge, dont elle frôle le manteau, et Saint François, dont elle frôle la bure) traduit la reconnaissance de sa situation sociale, bienfaitrice de sa famille et de sa ville.


Soigner les plaies (SCOOP !)

1491 Crivelli Saints Francis and Sebasti
L’escargot du premier plan a, comme souvent été interprété comme une métaphore de la Virginité de Marie. Mais dans le contexte particulier de ce tableau, entre les stigmates clairement cicatrisés de Saint François, et les plaies peu saignantes de Saint Sébastien, il semble plutôt posséder une valeur prophylactique. En pendant à la flèche brisée tombée sur le sol (qui complète celle qui traverse le genou gauche du martyr), sa coquille donne l’image d’une cuirasse, d’une protection moins fragile qu’il n’y paraît : on sait qu’un escargot peut reconstituer sa coquille brisée si on le nourrit avec des fragments de coquille. D’où la croyance antique de son efficacité, justement dans le traitement des blessures :

« Les flèches, les traits qu’il s’agit d’extraire du corps, sont attirés extérieurement par l’application d’un rat, d’un lézard coupés en deux. Les limaçons qui s’attachent par groupe aux feuilles des arbres sont pilés, chair et coquille, et appliqués sur la peau dans le même but. L’escargot qui paraît sur nos tables est bon aussi mais il faut mettre la coquille de côté. » Pline, Histoine Naturelle, XXX, XLII



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1522 Sabatini Andrea, Madonna con Bambino in trono tra santi e donatore coll priv
Vierge à l’enfant avec des saints et un donateur
Andrea Sabatini , 1522, collection privée.

Ce panneau retardataire n’a d’autre intérêt que d’être le tout dernier exemple d’un donateur-souris en Italie : il s’agit de Blaise Melanese, général de l’ordre bénédictin de Vallombreuse.


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1515 Simon Gotz, abbot of the monastery at Obermarchtal santa-ana-virgen-nino-donanteThyssen Exterior left wing
Triple Saint Anne avec le donateur Simon Götz, abbé du monastère de Obermarchtal
1515, Musée Thyssen Bornemisza, Madrid
Cliquer pour voir l’ensemble

La formule du donateur-souris disparaît à la même époque dans les pays germaniques : celui-ci de trouve au revers d’un triptyque dont le panneau central a disparu [14]. A noter que la problématique de l’ordre héraldique n’a guère de sens ici, puisque la figure d’autorité est Sainte Anne debout, flanquée de Jésus bébé et de Marie enfant (iconographie de la Triple Sainte Anne).

Références :
[1] Etudes d’epigraphie medievale, Volume 1, Robert Favreau, p 89 https://books.google.fr/books?id=HxZr7pcpURQC&pg=PA89&lpg=PA89
[2] L’arte a Firenze nell’età di Dante (1250-1300), Angelo Tartuferi, Mario Scalini, 2004, p 98
https://books.google.fr/books?id=ucXz26HOwPgC&pg=PA98
[3] http://www.iluoghidelsilenzio.it/chiesa-di-santa-maria-assunta-cesi-tr/
aa voir INHA https://books.google.fr/books?id=I8AFWHCEMU0C&pg=PA141&dq=MUCCIA+CIANTARI&hl=fr&sa=X&ved=0ahUKEwiX-Mrcv9nfAhUxyIUKHdPFBQoQ6AEIKTAA#v=onepage&q=MUCCIA%20CIANTARI&f=false7
[4] « Thomas Aquinas’s relics as focus for conflict and cult in the Late Middle Ages: the Restless Corpse » Marika Räsänen, 2007, p 177
[9] Studies in the Iconography of the Virgin, Victor Lasareff, The Art Bulletin Vol. 20, No. 1 (Mar., 1938), p 35 https://www.jstor.org/stable/3046561
[10] Matelica Segni Di Vita E Di Luce, A. Trecciola, 2005, p 89 https://books.google.fr/books?id=et4NDhAOs7MC&pg=PA89
[12] Sur l’histoire du polyptique et de ses vissicitudes : https://it.wikipedia.org/wiki/Polittico_di_Porto_San_Giorgio
Sur la Madonne Cook : https://www.nga.gov/collection/art-object-page.41616.html
[13] Renaissance women patrons : wives and widows in Italy c. 1300-c. 1550 Catherine E.King, 1998

4-1 Le donateur-souris : seul, à droite

15 juin 2019

Lorsque le donateur se trouve seul en présence de la Madonne, les positions théoriquement privilégiées devraient être :

  • lorsque l’enfant ne bénit pas, à droite du panneau (position d’humilité) ;
  • lorsque l’enfant bénit, à gauche du panneau (position d’invitation).

Mais la convention du donateur-souris autorise une sorte d’exterritorialité : par son insignifiance, la silhouette minuscule échappe en partie à l’ordre héraldique, ce qui donne aux artistes une certaine liberté dans les variations. C’est ainsi qu’on trouvera, très tôt, les formules inverses : des donateurs à droite qui se font bénir , ou des donateurs arrivant par la gauche et non bénis.

En parcourant différents exemples de ces quatre formules, nous verrons que, malgré tout, quelques tendances se dégagent en fonction des époques et des lieux.

Commençons par les deux cas (non bénissant et bénissant) où le donateur se trouve à droite du panneau.



Le Donateur à droite, non béni

(position d’humilité)

1280 ca Ugolino di Nerio The-Madonna-and-Child-with-a-Donor-Chiesa della Misericordia - San Casciano in Val di PesaVierge à l’Enfant avec un donateur inconnu
Ugolino di Nerio, vers 1280, Chiesa della Misericordia, San Casciano in Val di Pesa
1310-30 Segna di Bonaventura, Madonna con Bambino in trono con san Bartolomeo, sant'Ansano e donatrice coll privVierge à l’Enfant , entre Saint Bartholomé et Saint Ansanus, avec une donatrice inconnue
Segna di Bonaventura, 1310-30, collection privée

Le panneau d’Ugolino di Nerio, le plus ancien que j’ai trouvé, est un représentant du type majoritaire : le donateur est dans la position la plus humble, à la fois à droite en au bas d’un trône démesuré, et l’Enfant est inconscient de sa présence (ici il lui tourne le dos et joue avec le voile de sa Mère).

Dans le panneau très similaire de Segna di Bonaventura, l’Enfant, qui joue avec le voile et un oiseau, amorce un mouvement vers le donateur, mais toujours sans le regarder ni lui donner de signe de reconnaissance.

Dans cette absence d’interaction, la situation de l’enfant, du même côté que le donateur, pourrait sembler une sorte de compensation, de « bénédiction » implicite par le corps plutôt que par la main. Nous verrons à la fin de ce chapitre, par l’approche quantitative, que cette situation n’a rien à voir avec une idée de compensation.



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1325-Martini-Simone-The-Madonna-and-Child-with-Saints-and-a-Donor-Isabella-Stewart-Gardner-Museum-BostonVierge à l’Enfant avec des saints et une donatrice dominicaine inconnue
Simone Martini, 1325, Isabella Stewart Gardner Museum, Boston [1]
1330-70 Paolo Veneziano, Madonna con Bambino e donatore Museo Diocesano, ImolaVierge à l’Enfant avec le donateur Pietro Zizi (« D(OMI)N(U)S PETRUS D(E) CICIS »)
Cercle de Paolo Veneziano, 1330-70, Museo Diocesano, Imola

La composition a mi-corps, sans trône, comporte très rarement un donateur : sans doute à cause du caractère ostentatoire de ce type de figuration, qui cadre mal avec un objectif de dévotion privée.

Chez Simone Martini, la moniale qui a commandé ce petit panneau (28 X 20 cm) apparaît marginalement, dans une sorte de « prédelle » souterraine où elle se retrouve encore diminuée en taille<>

par la présence des saints à mi-corps.

Pour comparaison, la Madonne d’Imola, de format plus imposant (75 x 60 cm), montre un donateur en riches vêtements fourrés, qui ne cherche pas l’incognito : monté sur le « parapet » que constitue le bord du cadre, il se fait bénir les yeux dans les yeux avec l’Enfant.


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1300-5~1

Vierge à l’Enfant avec un dominicain, Saint Jacques, Saint Thomas d’Aquin, saint Léonard, et un donateur
Maestro dell’Incoronazione di Urbino, 1300-50, église San Domenico, Fano

Cette lunette peinte orne une niche funéraire, au dessus du sarcophage du Podeste de Rimini Ugolino de’ Pili, mais ne lui est pas contemporaine : le minuscule donateur en robe rouge, agenouillé à droite en avant du cadre cosmatesque, n’est donc pas identifié.

Il ne faut pas nécessairement chercher une différence « théologique » dans les deux personnages latéraux sur fond noir (les trois autres sont devant un drap d’honneur) et dont les auréoles sortent devant le cadre : c’est le format en lunette qui a obligé l’artiste à ce débordement (l’auréole de Saint Thomas d’Aquin sort aussi).


Un objet de transition

Les fers de Saint Léonard, constituent une « transgression visuelle » plus significative : on rencontre quelquefois de tels objets dans les compositions « en parapet », où le donateur se place sur un promenoir en avant de la scène sacrée (voir l’exemple de la lance de Saint Georges chez Orcagna en 1336, ci après). Remarquons qu’ici l’artiste s’est abstenu de faire « sortir » de la même manière le bâton de Saint Jacques, comme si cette structure en relief était destinée au donateur, sorte d’échelle, ou mieux, de « perchoir ». Dans une fresque funéraire, il n’est pas exclu que ces « fers », symboles de la libération des corps, aient ici une valeur symbolique particulière : celle d’amener à l’intérieur de la scène sacrée la petite âme du donateur, à l’image du chardonneret entre les mains de l’Enfant.


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1325-35 Ugolino di Nerio with Saints Peter, Paul, John the Baptist, Dominic and a donor, The Art Institute of ChicagoVierge à l’Enfant avec les Saints Pierre, Paul, Jean Baptiste, Dominique et un moine dominicain inconnu
Ugolino di Nerio, 1325-35, Art Institute of Chicago
   1333 Meo da Siena Madonna con Bambino in trono tra angeli e un donatore Stadel Francfort detail Vierge à l’enfant avec l’abbé bénédiction Ugolino
Meo da Siena, 1333, Städel Museum, Francfort
Cliquerpour voir l’ensemble

Dans le premier panneau, quatre saints viennent encadrer le trône : les deux fondateurs de l’Eglise, Saint Pierre et Saint Paul, au niveau de l’Enfant ; le plus ancien et le plus récent de ses serviteurs, Saint Jean Baptiste et Saint Dominique, debout sur l’estrade. La présence de ce dernier crée une continuité avec le moine donateur, que bénit son supérieur immédiat, par délégation de l’autorité supérieure.

Dans le retable de Meo da Siena, l’abbé s’introduit au centre du polyptyque, dans une familiarité avec la Vierge que rend plus évidente l’ange qui caresse sa tonsure, et la galerie de six saints derrière lui. Le polyptyque comporte sur l’autre face le Christ entouré des douze apôtres : il est logique que le donateur se soit fait représenter du côté le la Vierge et des Saints, intercesseurs par rapport à l’Autorité suprême.


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Museo Thyssen- Bornemisza

Vierge à l’Enfant avec un donateur inconnu
Master of the Memento Mori, vers 1360, Copyright Museo Thyssen-Bornemisza, Madrid [2]

Voici un des tous premier exemples d’une iconographie très différente : non plus une Vierge en majesté – assise sur son trône, mais une Vierge dite de l’Humilité – assise sur le sol et allaitant. La taille microscopique du sein et le terme « Sancta Maria Humilitate«  inscrit sur le fond d’or montrent que cette représentation n’allait pas encore de soi. Cette innovation, qui accentue l’humanité de Marie, apparaît vers 1320 à Avignon (voir 3-3-1 : les origines) et se développe après la peste noire de 1348 : elle s’accompagne très souvent d’une inversion de la position de l’Enfant, porté désormais à gauche.

D’où ici un double effet d’humilité de la part du donateur : non seulement l’Enfant tête sans s’occuper de lui, mais de plus il se trouve à l’opposé.


Un Memento Mori (SCOOP !)

Mais le caractère unique de cette oeuvre tient à la présence du squelette derrière le donateur, et à la banderole tenue par l’Ange :

Tu es pris, tu ne peux t’échapper ; sois toujours prêt à devoir mourir I’ ti so’ p(re)so, no(n) potrai fucire  sta sempre presto p(er) dov(er) morire

La Mort qui pousse le donateur dans le dos illustre le premier vers ; le geste de l’Ange désignant l’Enfant illustre le second.


1398 Nicolo di Pietro Pushkin museum
Vierge à l’Enfant avec un donateur inconnu
Nicolo di Pietro, 1398, Pushkin museum

Pour comparaison, dans ce panneau très similaire, où des anges volettent de la même manière autour d’une Vierge d’Humilité – l’inversion de la position du donateur traduit une inversion du message, d’une vision tragique à une vision positive : plutôt que d’être amené à rebours, tiré par un Ange et poussé aux fesses par la Mort, le donateur se présente non plus dans la peur de la mort, mais dans l’Espérance de la Résurrection (illustrée au fronton par le Christ entre la Vierge et Saint Jean) ; et tout en continuant de téter, l’Enfant le récompense en le désignant à sa mère.



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1380-90 Andrea di Bartolo - Madonna dell'Umilta (davanti) National Gallery of Art, Washington revers crucifixon don inconnu
Vierge de l’Humilité avec une donatrice inconnue
Andrea di Bartolo, 1380-90, National Gallery of Art, Washington

Il serait hardi de déduire de ce seul exemple que la position du donateur sur la droite traduirait un « memento mori » implicite. Ce panneau biface porte sur une face la scène la plus négative, la Crucifixion ; et sur l’autre la scène positive de la Vierge de l’Humilité . Cependant au sein de cette scène positive, la robe blanche de la donatrice, faisant écho au linge qui protège Jésus, constitue tout comme ce linge une image ambivalente : à la fois symbole de pureté et prémonition du suaire.


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1473-Giovanni-Antonio-da-Pesaro-coll-privee

Vierge à l’Enfant avec Saint Onuphre, Saint Jean Baptiste, Saint Jérôme, un Saint Evêque, Saint Aiuto et un donateur agenouillés (retable de San’t Aiuto )
Giovanni Antonio da Pesaro, 1473, collection privée

Ce panneau pose deux énigmes iconographiques :

  • le rare Saint Onufre, à gauche (avec les deux lions qui selon la légende creusèrent sa sépulture dans le désert), est mis en balance avec un saint évêque portant un livre, sans autre attribut permettant de l’identifier ;
  • le rarissime saint franciscain Aiuto (il n’est connu que par son nom inscrit juste en dessous) est agenouillé en taille souris face au donateur, lui-même en taille super-souris !

Construit symétriquement, le panneau possède des éléments en pendant :

  • la croix de Saint Onuphre et la crosse de l’évêque ;
  • les deux lions de Saint Onuphre  derrière Saint Aiuto et le lion de St Jérôme derrière le donateur (qui semblent eux aussi prier à leur manière) ;
  • la banderole de Saint Jean Baptiste et le livre de St Jérôme ;
  • deux moines à gauche, deux docteurs de l’Eglise à droite.

Le saint évêque de droite est très probablement Saint Flaviano di Ricina, un Saint très populaire dans les Marches,


En aparté : Saint Onuphre et Saint Flaviano

1506-1508 Lorenzo_Lotto_Saint Thomas d'Aquin et Saint Fabiano Detail du polyptique de Recanati, Museo civico, RecanatiSaint Thomas d’Aquin et Saint Fabiano (Détail du polyptique de Recanati),
Lorenzo Lotto, 1506-1508, Museo civico, Recanati
    

  

 

 

 

 

 

 

 

 

  


1508 Lorenzo_Lotto_Saint Fabiano et Saint Onuphre Gallerie Borghese RomeSaint Fabiano et Saint Onuphre

Lorenzo Lotto, 1508, Gallerie Borghese, Rome

Lotto l’a représenté avec la même absence d’attributs pour l’église de Recanati (sans palme), et en pendant avec Saint Onuphre dans sa très célèbre Madonne Borghèse. Saint Fabiano était connu pour s’être retiré dans une grotte, à côté de son tombeau.

Outre les lions qui lient directement Saint Onuphre et Saint Jérôme, le point commun sous-jacent entre les quatre grands saints du retable de San’t Aiuto est très certainement le passage au désert.



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1490–1520 Ecole danubienne l. Maria mit Kind; Hl. Barbara; Hl. Antonius; unkown donor Galerie nationale slovaque

Vierge à l’Enfant avec Sainte Barbe, Saint Antoine et un donateur inconnu
Ecole danubienne, 1490–1520, Galerie nationale slovaque, Bratislava

Voici l’exemple le plus tardif de la position d’humilité, dans ce qui est sans doute une autre épitaphe pour un ecclésiastique. A noter le collier de corail de l’enfant, protection courante pour les bébés de l’époque.


Une composition surprenante

On a reconnu avec raison la Sainte comme étant Sainte Barbe : elle porte ici non pas sa tour, mais son second attribut, un calice. C’est sa position à gauche qui est doublement étrange :

  • d’une part elle occupe la place d’honneur par rapport au Saint masculin ;
  • d’autre part sa place traditionnelle, lorsqu’elle forme un couple avec une autre sainte, est toujours la plus modeste, à droite.

En aparté : la position standard de Sainte Barbe

1465-1470 master-of-the-pottendorf-votive-panel-the-virgin-and-child-enthroned-with-angels,-with-saints-dorothea-and-barbaraLa Vierge à l’Enfant avec Sainte Dorothée et Sainte Barbe
Master of the Pottendorf votive panel, Autriche, 1465-70, collection privée
  Master of Hoogstraten 1520-30 The Virgin and Child with Saints Catherine and Barbara Royal Collection TrustLa Vierge à l’Enfant avec Sainte Catherine et Sainte Barbe
Master of Hoogstraten, 1520-30, Royal Collection Trust

Dans l’exemple de gauche, c’est Sainte Catherine qui offre un fruit à l’Enfant (une poire en l’occurrence). Dans l’exemple de droite, Sainte Dorothée offre une rose à l’enfant, dont le rouge est assorti avec son collier de corail.


Offrir une grenade (SCOOP !)

Si notre artiste danubien a fait prendre cette place inhabituelle à Sainte Barbe, c’est clairement pour la mettre en position de donation. Et ce qui est très original, c’est la nature du fruit qu’elle offre : ni pomme ni poire, mais une grenade.

A cause des nombreux grains qu’elle contient, la grenade est le symbole de l’Eglise en tant que communauté de croyants. Mais elle est aussi « le symbole de la prêtrise parce qu’elle porte des fruits riches dans sa peau dure (métaphore de l’élévation spirituelle dans l’ascèse) » [3]. Associée au calice, c’est sans doute ici la valeur particulière qu’elle prend : représenter une seconde fois le donateur, mais de manière symbolique : en tant que prêtre s’offrant à Jésus.

Il ressort de ces quelques exemples que le donateur-souris, en position d’humilité , lorsque l’Enfant ne le bénit pas , représente très souvent un défunt .

Voyons maintenant si l’on trouve les mêmes connotations funéraires dans le cas de l’Enfant bénissant.



La rétro-invitation : l’enfant accueille

ou bénit sur la droite


1311-1313 Ecole de Duccio Tabernacle35 Pinacoteca Siena
Tabernacle 35
Ecole de Duccio, 1311-1313, Pinacoteca, Siena

Les spécialistes ont remarqué depuis longtemps le caractère exceptionnel de cette composition, et ont surtout discuté de l’identification du roi (voir [4], p 242 et ss). Mais non moins importante est la raison de cette toute première bénédiction par la droite, clairement intentionnelle, puisque Marie double le geste de l’Enfant en tendant de la main droite une fleur blanche vers le roi.


Un « couronnement » terrestre (SCOOP !)

Notons que la position de l’Enfant Jésus, à droite pour nous par rapport à Marie, est cohérente dans toutes les scènes du triptyque : comme si l’artiste avait voulu propager dans l’ensemble de la composition l’idée explicité dans la scène-clé du Couronnement, où Marie siège en position d’honneur à la droite de son Fils.


1311-1313 Ecole de Duccio Tabernacle35 Pinacoteca Siena schema
Il est clair que l’artiste a voulu opposer cette scène du Couronnement céleste, qui se déroule de droite à gauche, avec la scène terrestre de la « bénédiction de la couronne », qui se lit dans l’autre sens. D’ailleurs, en plaçant de manière inhabituelle Saint Paul sur la gauche, et en le croisant avec Saint Jean l’Evangéliste, l’autre saint porteur de livre (cercles blancs), l’artiste nous indique, dans chaque registre, où doit commencer la lecture.

Ainsi la position d’humilité du roi se trouve mise en parallèle, non pas avec la scène où Marie est la Reine des Cieux, mais avec celle de l’Annonciation, encore plus haut, où elle est la Servante du Seigneur.


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1320 Niccolo e Francesco di Segna, Madonna à trono con bambino e donatrice MUCCIA Ciantari wife of Guerino Ciantari , Lucignano, Museo
Vierge à l’Enfant avec la donatrice Muccia Ciantari
Niccolo e Francesco di Segna, 1320, Lucignano, Museo

Peu de temps après apparaît cette donatrice, identifiée par l’inscription :

Dame Muccia, qui fut la femme de Guerino Ciantari. «MONA MUCCIA MOGLIE CHE FU DI. GUERINO CIANTARI ».

Le passé simple, tout autant que l’habit de deuil, suggèrent qu’il s’agit d’une épitaphe. Le fait que la silhouette se superpose, dans l’inscription, non pas à son propre prénom, mais au nom de son mari, suggère que Dame Muccia est vivante, et que l’épitaphe est destinée à commémorer son époux.



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1377 Spinello Aretino - Madonna con Bambino in trono, Santi e donatore - - affresco staccato - Museo Diocesano, Arezzo
Vierge à l’Enfant avec Saint Jacques et Saint Antoine Abbé avec Clemente Pucci di Montecatino
Spinello Aretino, 1377, Museo Diocesano, Arezzo (provient du cloître de l’église Saint Augustin)

L’inscription du bas indique que Clemens Pucci de Monte Catino a fait faire cette oeuvre et a été enterré à cet endroit du cloître en 1377 [5]. La présence de saints complique la logique du positionnement, qui n’est plus régie uniquement par l’interaction entre l’Enfant et le donateur. La position d’honneur de Saint Jacques s’impose par son ancienneté et son prestige d’apôtre, souligné par le livre. Le choix de Saint Antoine comme présentateur est énigmatique, puisqu’il ne correspond ni au prénom du donateur, ni à sa qualité de militaire ni au patron de l’église.

La composition se rattache aux épitaphes de chevaliers, présentés par Saint Georges ou Sainte Catherine, dont il existe à la même époque de nombreux exemples à Vérone ou à Milan, mais toujours à taille humaine (voir Vierge à l’Enfant ). Les particularités sont ici le choix de saints moins héroïques, et la taille-souris.


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1378 Simone di Filippo Madonna col Bambino, angeli e il donatore Giovanni da Piacenza Pinacoteca Bologna
Vierge à l’enfant avec le donateur Giovanni da Piacenza
Simone di Filippo , vers 1378, Pinacoteca Nazionale, Bologna

Plutôt que d’affronter la difficulté de la bénédiction sur la droite, l’artiste en reste ici à une interaction plus simple : l’Enfant désigne le donateur de la main gauche tout en s’accrochant de la droite au manteau de sa mère.

Le nom du donateur est connu par un document notarié.


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1485-90 Maestro del Cespo di Garofani Santa Maria Consolatrice Caterina d'Alessandria castelvecchio-verona
Vierge à l’Enfant avec un donateur, entre Sainte Marie Consolatrice et Sainte Catherine d’Alexandrie
Maestro del Cespo di Garofani, 1485-90 , Musée de Castelvecchio, Vérone (ancien maître-autel de l’église Santa Maria Consolatrice).

Sainte Marie Consolatrice est une sainte locale dont les deux attributs sont le lys de la pureté et une balance dont le plateau le plus haut porte deux minuscules momies : il s’agit des corps des saints martyrs Fermo et Rustico, que les Véronais avaient décidé de racheter à poids d’or aux habitants de Capo d’Istria : au moment de la pesée, la Sainte allégea miraculeusement les deux corps, économisant d’autant sur la somme convenue [6].

En tant que patronne de l’église, elle se trouve à droite de la Madonne ; en tant que bonne comptable, elle regarde venir avec sympathie le donateur. On peut penser que l’élévation du plateau préfigure le coup de pouce qu’elle est disposé à lui donner pour faciliter son ascension post-mortem.


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1450 avant Stefan_Lochner_-_Madonna_mit_dem_Veilchen Musee diocesain Kolumba Cologne

Madonne à la violette (Madonna mit dem Veilchen)
Stefan Lochner, avant 1450, Musée diocésain Kolumba, Cologne

Dans cet autre panneau destiné à servir d’épitaphe, l’abbesse Elsa von Reichenstein est agenouillée sur le sol, violette parmi les violettes, prête à se faire cueillir comme l’humble fleur que Marie tient déjà dans sa main pour la faire bénir par Jésus. Elle implore :

Douce vierge, demande pour moi la miséricorde de ton enfant.Lève-toi pour que je puisse te contempler et trouver avec toi la paix éternelle dulcis de nato veniam mihi virgo rogato ;insta ut te videam tecum sine fine quiescam


1450 avant Stefan_Lochner_-_Madonna_mit_dem_Veilchen Musee diocesain Kolumba Cologne detail
A l’image de la croix, la fleur coupée symbolise un sacrifice : sans doute pour l’abbesse celui de sa vie de femme, puisque, parmi toutes les nobles dames du couvent de Sainte Cécile de Cologne, elle fut en 1443 la seule à faire ses voeux perpétuels [7].

Les phylactères mettent dans la bouche des personnages sacrés des louanges qui, derrière Marie, s’adressent tout autant à l’abbesse.

Dieu le Père :

Je t’ai choisie dans un amour éternel, Jerémie 31:3 In caritate perpetua dilexi te


Le Saint Esprit :

Elle est mon repos dans les siècles des siècles, Psaumes 132:14 Haec requies mea in saeculum saeculi


Les anges :

Elle dont la couche ne connut pas la souillure, Sagesse 3:13 hec est q[u]e nescivit thorum in delicto


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1481 Crivelli possibly Ludovico Vinci, a noble of the town of Fermo MET
Vierge à l’Enfant avec un donateur
Crivelli, 1481, MET, New York

De manière , Crivelli conserve et même renforce, la miniaturisation du donateur. Dans ce panneau central d’un triptyque disparu, ni la Vierge au regard vague, ni l’Enfant Jésus en position centrale ne s’intéressent au donateur (peut être Ludovico Vinci, noble de la ville de Fermo). Faisant à peine partie du décor, avec un degré de réalité moindre que le vase et le chardonneret qui l’encadrent, sa figurine se réduit à une sorte de signature en image, au positionnement indifférent.



Références :
[4] « Painted Piety: Panel Paintings for Personal Devotion in Tuscany, 1250-1400 », Victor M. Schmidt , 2005
[5] Come un prato fiorito: studi sull’arte tardogotica, Luciano Bellosi, 2000, p 37
https://books.google.fr/books?id=3jA9YnJaDGcC&pg=PA37&lpg=PA37
[6] « Dell’Identita De Sagri Corpi De’ Santi Fermo, Rustico, E Procolo, Che Si Venerano Nella Chiesa Cattedrale Di Bergamo », Antonio Tommaso Volpi, 1761, p 260 https://books.google.fr/books?id=wwZfAAAAcAAJ&pg=PA260

3-4-3 La vision de Patmos : son développement

14 juin 2019

Presque au terme de cette étude sur les apparitions de la Vierge devant témoin, récapitulons ce que nous avons observé.

La vision de l’Ara Coeli (voir 3-2-1 … sur la droite)

1450-1475 Christine de Pisan, Epitre Othea, La sibylle de Tibur Auguste La Haye, Bibliothèque Meermanno KB74G27
Dans le cas particulier où le témoin est Auguste, la question hiérarchique prend tout son sens, puisqu’il s’agit de montrer que l’Empereur sur Terre reconnaît la supériorité de la Reine des Cieux.

La rareté du thème permet de suivre sa propagation, depuis l’Italie jusqu’à l’Europe du Nord. Dans les oeuvres les plus anciennes c’est la convention du visionnaire qui prime (Auguste à gauche), puis à partir du XVème siècle on rencontre de plus en plus souvent des inversions, qui accentuent sa situation d’infériorité.


La Vierge au Croissant avec un donateur (voir 3-3-1 : les origines)

1515 ca Lucas_Cranach_d_Ae_-_Friedrich_der_Weise_in_Verehrung Kunshalle Karlsruhe
Lorsque le témoin est un dévot, la question de l’ordre héraldique, entre un être de chair et un être de lumière, ne joue aucun rôle : dans pratiquement tous les cas, c’est la convention du visionnaire qui s’applique.


La Vierge de l’Apocalypse et Saint Jean (voir 3-4-1 : les origines)

1300-25 Royal MS 19 B XV f 20v

Lorsque le témoin est Saint Jean, la situation est plus complexe : la convention du visionnaire devrait jouer à plein, et c’est bien ce qu’on constate majoritairement dans les manuscrits de l’Apocalypse. Mais à la différence du dévot (qui commande un seul selfie avec la Vierge au Croissant), Saint Jean est un héros récurrent qui figure dans presque toutes les images : d’où les diverses expérimentations graphiques que nous avons vues (inversion ou sortie du cadre) visant à créer un effet de variété ou à attirer l’attention.

Il nous reste maintenant à voir ce qui se passe lorsque la vision de Saint Jean n’est pas un épisode d’une série, mais un sujet traité de manière indépendante. Le sujet de Saint Jean à Patmos est très courant, notamment dans les Livres d’Heures, mais le cas particulier qui nous intéresse, celui où il voit la Vierge, n’apparaît qu’assez tard, vers 1460, et tout d’abord dans l’art germanique.

L’approche chronologique est ici sans espoir, car il est si facile de rajouter la Vierge dans une image de Saint Jean à Patmos que tout artiste a pu y parvenir sans s’inspirer nécessairement d’une oeuvre antérieure. De même, distinguer les apparitions par la gauche ou par la droite ne mène à rien : les manuscrits des Apocalypses avaient rendu les inversions familières, et nous verrons que des artistes n’hésitent pas à copier un devancier en inversant le motif.

J’ai donc préféré regrouper les oeuvres en cinq catégories obéissant à des enjeux graphiques bien distincts : ce qui va nous permettre de découvrir quelques influences inattendues.



Un tête à tête avec la Vierge

1460 ca Maitre ES St_John_the_Evangelist_in_Patmos
Saint Jean à Patmos
Maitre ES, vers 1460

La première oeuvre indépendante sur le sujet est cette gravure du Maître ES : l’île rocheuse, reliée à la ville par un pont, est à la fois exotique (les perroquets) et paisible (les biches). Saint Jean, au centre de l’image, est en train de tremper la plume dans son encrier lorsque la Vierge apparaît à l’horizon, portée par la Lune qui se lève. L’aigle au premier plan, roi du ciel posé sur la Terre, signale le prodige inverse de la Femme en vol.


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1475-80 Martin_Schongauer_-_Johannes_auf_PatmosMartin Schongauer, 1475-80 Johannes Gleismüller, 1490, Germanisches 1490_Gleismüller_Johannes_auf_Patmos_anagoria Germanisches Museum NurembergMuseum, Nuremberg

Saint Jean à Patmos

Schongauer inverse le sujet et le recentre sur la Vierge et Saint Jean, aux extrémités de la diagonale descendante. L’horizon est libre, accentuant le caractère insulaire. Trois formes se découpent devant lui (l’Aigle, l’Arbre et la Montagne), illustrant l’idée d’élévation : mais tandis que l’Aigle, sous la Vierge, est le seul qui peut physiquement se détacher de la Terre, Saint Jean en revanche peut s’élever par la pensée.

Gleismüller recopie la gravure en l’inversant (voir les plis identiques du manteau) et remplace l’arbre – qui cachait la vue – par une forêt dépourvue de toute signification symbolique.


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1525-30 Noel Bellemare Louvre 1525-30 Noel Bellemare Louvre schema

Noël Bellemare, 1525-30, miniature isolée, Louvre

L’idée d’exploiter les diagonales est venue à d’autres artistes : dans cette composition très pensée, Bellemare a supprimé l’aigle et remplacé la Madonne par un halo vide, devant lequel Saint Jean lâche sa plume de surprise. Les branches de l’arbre, se découpant sur le ciel, répètent la main du Saint qui se tend vers l’apparition, dans un contraste très efficace entre le triangle terrestre, saturé, et le triangle céleste, épuré de toute présence.



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1520-30 Joos_ van_Cleve_and_Lucas_Gassel_-_St._John_the_Evangelist_on_Patmos University of Michigan Museum of Art 1520-30 Joos_ van_Cleve_and_Lucas_Gassel_-_St._John_the_Evangelist_on_Patmos University of Michigan Museum of Art schema

Joos van Cleve et Lucas Gassel, 1520-30, University of Michigan Museum of Art.

A l’opposé, Joos van Cleve a cédé aux tentations de la vue panoramique : les habituels éléments ascensionnels (l’aigle, la montagne, l’arbre) tentent de s’organiser selon les diagonales, pour conduire le regard du spectateur vers le centre du tableau, à côté des yeux de Saint Jean. Mais le thème de la vision céleste se dilue néanmoins dans l’ensemble.


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1613 Pieter_Lastman_Boijmans Van Beuningen
Pieter Lastman, 1613, Musée Boijmans Van Beuningen, Rotterdam

Un siècle après Bellemare, Pieter Lastman retrouve l’efficacité des deux zones fortement contrastées : le triangle céleste est sombre, englobant les formes en V de l’aigle et des troncs ; le triangle humain est en pleine lumière, seulement dédié à l’acte d’écrire et au bonheur des tissus chatoyants.


La Vierge au centre

1486 Johannes auf Patmos, illuminierte Seite aus dem Waldburg-Gebetbuch, WLB Stuttgart, Cod. brev. 12, fol. 34vWaldburg-Gebetbuch, 1486, WLB Stuttgart, Cod. brev. 12, fol. 34v 1512 livre-dheures-coll part-f7rLivre-d’Heures, 1512, fol f7r, Collection particulière

Les compositions avec la Vierge au centre sont assez rares, puisque graphiquement déséquilibrées : ici c’est l’Aigle qui remplit la moitié vide.


1539-1540 Heures_de_François_Ier_-_Saint_Jean_à_Patmos_(f5) MET

Heures de François Ier, 1539-1540, fol 5, MET

Ici l’artiste a bouché le trou avec un paysage anecdotique : clocher, paysan, barque.


1530 ca Antonio Vazquez San Juan en Patmos Iglesia de San Pablo, ValladolidAntonio Vazquez, vers 1530, Eglise San Pablo, Valladolid 1600-30-Sanchez-Cotan-vision_john_evangelist_patmos_Musee-Santa-Cruz-ToledeSanchez Cotan, 1600-30, Musée Santa Cruz, Tolède.

Saint Jean à Patmos

Autres solution, adoptée par des peintres espagnols : convoquer carrément sur Terre le spectaculaire Dragon à sept têtes.


1585 El_Greco_-_The_Virgin_of_the_Immaculate_Conception_and_St_John_Musee Santa Cruz de Tolede
L’Immaculatée Conception et Saint Jean
Greco, 1585, Musée Santa Cruz, Tolède

Dans la première de ses toiles consacrées à l’Immaculée Conception, Greco fait allusion à la vision de Patmos en plaçant, en regard de Saint Jean, un croissant de lune au dessus d’un paysage symbolique.



1585 El_Greco_-_The_Virgin_of_the_Immaculate_Conception_and_St_John_Musee Santa Cruz de Tolede detail
Tour, palmier, jardin clos, serpent, bouquet de roses, fontaine (à l’extrême droite) sont autant d’attributs mariaux.


Après le triptyque de Memling

1474-79 Memling,_polittico_di_san_giovanni Oud Sint-Janshospitaal Bruges

Triptyque de Saint Jean
Memling, 1474-79, Oud Sint Janshospitaal, Bruges.

Ce triptyque est une oeuvre totale, qui met en regard la Décapitation de Saint Jean Baptiste (volet gauche) et la Vision de Saint Jean l’Evangéliste (volet droit), mais présente également la vie des deux Saints Jean dans les innombrables détails du panneau central [1].



1474-79 Memling,_polittico_di_san_giovanni Oud Sint-Janshospitaal Bruges hautjpg
L’oeil est attiré par deux halos de lumière : à gauche le ciel s’ouvre sur Dieu le Père envoyant la colombe du Saint Esprit au dessus du baptême de Jésus ; à droite, la Femme de l’Apocalypse tend à un Ange son enfant pour le sauver du Dragon à sept têtes. Deux détails minuscules (la colombe qui descend, l’Enfant qui monte) sont donc mis visuellement en balance.



1474-79 Memling,_polittico_di_san_giovanni Oud Sint-Janshospitaal Bruges volet droit
Le panneau de droite expose, au dessus de Saint Jean, les principaux épisodes de l’Apocalypse : véritable gageure iconographique qui a eu un effet décisif sur les représentations ultérieures.



1474-79 Memling,_polittico_di_san_giovanni Oud Sint-Janshospitaal Bruges volet droit detail
Notons en particulier comment les quatre cavaliers sont individualisés, illustrant tous les détails du texte ; et en même temps intégrés de manière chronologique dans la suite des épisodes (après Saint Jean s’agenouillant devant l’autel) et de manière réaliste dans le panorama imaginaire (noter leurs reflets dans l’eau).


1520-40 Joos Van Cleve Saint Jean a Patmos Valenciennes, musée des BA photo JL Mazieres

Saint Jean à Patmos
Joos Van Cleve, 1520-40 Valenciennes, musée des BA photo JL Mazieres

Un demi-siècle plus tard, Joos Van Cleve simplifiera et inversera la composition de Memling, en déplaçant sur terre la scène de Saint Jean devant l’autel, et en conservant l‘idée du reflet, mais pour le halo. Remarquons que l’Aigle est absent, tout comme il est absent du triptyque.


1497 Isabella breviary BL Ms. 18851 f. 309r,Bréviaire d’Isabelle, 1497, BL Ms. 18851 f. 309r 1510-20 Breviaire Grimani Bibliotheque Marciana VeniseBréviaire Grimani,1510-20, Bibliothèque Marciana, Venise

Saint Jean à Patmos

L’effet touche aussi les miniaturistes : influence directe sur celui du Bréviaire d’Isabelle (même détail des reflets), influence plus indirecte sur celui du Bréviaire Grimani. Il est clair que la position de Saint Jean à droite de l’apparition devient extrêmement fréquente après le triptyque de Memling.


En aparté : Le démon sur l’île

1500 ca Livre d’Heures de Jeanne I de Castille. Saint Jean à Patmos BL Add. Ms. 35313 f 10v
Livre d’Heures de Jeanne I de Castille, vers 1500, BL Add. Ms. 35313 f 10v

Toujours dans la même veine, cette miniature est intéressante par un détail amusant, typiquement médiéval.



1500 ca Livre d’Heures de Jeanne I de Castille. Saint Jean à Patmos Add. Ms. 35313 f 10v detail
Un petit diable essaye, avec un harpon, d’intercepter l’encrier du saint, pour l’empêcher d’écrire ce qu’il voit.


1431 ca Maitre de Rohan, Heures d'Isabella Stuart, Fitzwilliam Museum,Ms. 62 fol 13r

Maître de Rohan, vers 1431, Heures d’Isabella Stuart, Fitzwilliam Museum,Ms. 62 fol 13r

Ce motif d’un démon antagoniste à l’aigle fait une de ses toutes premières apparitions – en tout cas une des plus amusantes – dans l’étude du Saint., sous son siège même.


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Apocalipsis in dietsche, 1400-50, BNF Neer 3 fol 2r

On le retrouve, opposé cette fois à l’Ange, dans une des très riches illustrations de la première Apocalypse en néerlandais : ici, il ne cherche pas la bagarre et utilise sa gaffe pour partir en barque précipitamment, tandis que l’Ange arrive sur l’île de l’autre côté : suprématie écrasante de l’aviation sur la marine.


1443 Utrecht Lectionnary Den Haag KB 69.B10 patmos

Lectionnaire d’Utrecht, 1443, Den Haag KB 69.B10

L’idée d’un démon plus agressif , mais qui échoue comiquement, se développe dans quelques Livres d’heures. Elle implique d’inverser les positions,  afin que le bon élément se trouve à la droite du Saint tandis que le mauvais sujet sévit à sa gauche.


1440-50 Horae secundum usum romanum BNF NAL 3229 fol 13rHorae secundum usum romanum, 1440-50, BNF NAL 3229 fol 13r Libro de horas de Leonor de la Vega 1468 Biblioteca Nacional de Espana, Madrid fol 91Livre d’Heures de Leonor de la Vega, Willem Vrelant, 1468, Biblioteca Nacional de España, Madrid fol 91

Ici le bon élément est l’Aigle, qui aide la Saint à dérouler son parchemin, ou l’avertit que dans son dos le démon est en train de vider son encrier dans l’eau .


 


1490-95 Bosch Saint_John_Baptist Madrid Museo Lazaro GaldianoSaint Jean Baptiste au désert, Museo Lazaro Galdiano, Madrid

1490-95 Bosch Saint_John_on_Patmos_Berlin,_Staatlichen_Museen_zu_Berlin,_Gemaldegalerie_HRSaint Jean l’Evangéliste à Patmos, Gemäldegalerie, Berlin

Bosch, 1490-95

Ceci nous amène à cette oeuvre très célèbre de Bosch, sans doute les volets d’un triptyque perdu, composé selon le modèle de Memling.



1490-95 Bosch Saint_John_on_Patmos_Berlin,_Staatlichen_Museen_zu_Berlin,_Gemaldegalerie_HR schema
On retrouve ici tous les ingrédients d’une vigoureuse composition en diagonale : la Vierge et l’Ange constituent les éléments célestes, alignés sous le regard de Saint Jean. A l’opposé, l’Aigle dégradé en une sorte de gros oiseau balourd et l’arbre étique semblent ancrés côté terre, plombés par le démon qui est une sorte de résumé caricatural de l’ensemble.


Un démon de synthèse (SCOOP !)

1490-95 Bosch Saint_John_on_Patmos_Berlin,_Staatlichen_Museen_zu_Berlin,_Gemaldegalerie_HR detail arbre

  • Par ses ailes, il imite l’Aigle, mais ses pattes d’insecte trahissent sa nature rampante.
  • Par son harpon posé contre le talus, il imite l’arbre, mais n’attrape aucun oiseau.
  • Par ses lunettes et son brasero en guise de chapeau, il imite le Saint : mais c’est un visionnaire myope et à la tête qui fume


Saint Jean se détourne


1496-98 Durer apocalypse_frontispiece
Frontispice de l’Apocalypse
Dürer, 1496-98

 Dürer invente une formule très percutante dans laquelle Saint Jean se retourne vers le spectateur, et à la Femme l’accompagne dans cette rotation, quittant les lointains pour venir léviter au premier-plan, à portée de sa main gauche.

L’aigle, le scripteur et l’apparition convoquée par le geste de la main partagent la même couronne de nuages, manière d’évoquer  la nature quasiment céleste de l’Artiste, nouveau Saint Jean.


1496-98 Durer apocalypse Femme et Dragon detail

La Femme et le dragon (détail inversé)
Cliquer pour voir l’ensemble

On ne peut s’empêcher de penser que le frontispice compense, en l’inversant, la gravure correspondante à l’intérieur du recueil :

  • la femme ailée séparée de son enfant laisse place à la Vierge à l’Enfant,
  • le dragon ailé, crachant du feu et scindé en sept gueules qui s’affrontent devient un aigle, un encrier et un apôtre.


1515 Durer Vision David Livre de prieres de l'Empereur Maximilien I, Munich, Bayerische Staatsbibliothek, 2 L.impr.membr. 64, fol. 16vVision de David (fol. 18v) 1515 Durer Vision Jean Livre de prieres de l'Empereur Maximilien I, Munich, Bayerische Staatsbibliothek, 2 L.impr.membr. 64, fol. 17vVision de Jean (fol. 17v)

Dürer, 1515, Livre de prières de l’Empereur Maximilien I, Munich, Bayerische Staatsbibliothek, 2 L.impr.membr. 64

Il existe de Dürer une autre Vision de Patmos plus confidentielle :  dans ce dessin marginal du Livre de prières de l’Empereur, l’artiste utilise habilement les deux marges gauche et basse pour caser les trois protaganistes, alors que  dans l’illustration précédente, la marge gauche suffisait pour caser Dieu le Père et David.

La vision sur la gauche est imposée par la structure du manuscrit : les dessins marginaux accompagnent les débuts de chapitre (signalés par une majuscule ornementée) : or dans les deux cas ces débuts de chapitre tombent sur des pages verso, où la marge large est à gauche.


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1508 Hans_burgkmair-st_john_the_evangelist_in_patmos alte pinakoyhek Munich
Retable de Saint Jean (Johannesaltar)
Hans Burgkmair, 1508, Alte Pinakothek, Munich

Burgkmair a repris la même idée de Saint Jean se retournant, mais a laissé la Femme dans le lointain, indistincte dans son halo. La vision de Patmos a perdu tout caractère apocalyptique, transposée en accueil de la lumière au sein d’une nature paradisiaque.


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1517 Battista Dossi Pinacoteca Nazionale, Ferrara
Battista Dossi,1517, Pinacoteca Nazionale, Ferrara

Le frère de Dosso Dossi développe la même posture dans un sens totalement opposé : il s’agit ici pour Saint Jean de se détourner de la vision terrifiante.


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1640 ca Alonso Cano Patmos Musee des Beaux-Arts Budapest
Alonso Cano, vers 1640, Musée des Beaux-Arts, Budapest

Ici la vision de matérialise sous forme de signes à peine discernables sur les nuages, que le visionnaire se hâte de transcrire.


Saint Jean voit, sans regarder

A l’issue de ce retournement, on aboutit à une idée plus radicale : montrer une pure vision intérieure.


1511 ca _Baldung_Mass of St Gregory triptych reconstruction

Triptyque de la Messe de Saint Gregoire
Hans Baldung Grien, vers 1511 (reconstruction)

Ce triptyque reprend l’idée de Memling de représenter les deux Saints Jean dans les volets latéraux. Saint Jean Baptiste, son agneau et Sainte Anne trinitaire font donc pendant à Saint Jean l’Evangéliste, son aigle et la Madonne au croissant de Lune.


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Saint Jean à Patmos
Hans Baldung Grien, vers 1511, MET, New York

Le nouveauté du panneau est que saint Jean, ostensiblement, ne regarde pas vers l’arrière : les volutes nuageuses autour du halo lumineux signalent qu’il s’agit bien d’une pensée, d’une image purement mentale.


1514 et 1515 Baldung atelier schnewlin kapelle Freiburg im Breisgau

Atelier de Baldung Grien, 1514-15, Schnewlin Kapelle, Freiburg im Breisgau

Le panneau est copié presque à l’identique dans ce retable où le volet gauche est cette fois dédié au Baptême du Christ par Saint Jean.


1515 Erhard Altdorfer St. John on Patmos Nelson-Atkins Museum of Art
Saint Jean à Patmos
Erhard Altdorfer, 1515, Nelson-Atkins Museum of Art

Le frère d’Albrecht Altdorfer reprend la même composition en l’inversant et en la modifiant quelque peu : l’objet que Saint Jean tient dans sa main gauche est son taille-plume, preuve de la rapidité de son écriture.


1520-25 Ortolano Fondation Cini Venise
Saint Jean à Patmos
Ortolano, 1520-25, Fondation Cini, Venise

Le même part-pris de regarder ailleurs se propage en Italie (où les représentations de Saint Jean avec la Femme de l’Apocalypse sont quasi inexistantes avant celle-ci).


1533 ca franais-heures-de-saulx-tavannes-saint-jean-patmos-heures-de-saulx-tavannes-saint-jean-arsenal-ms640-f2
Saint Jean à Patmos
Heures de Saulx-Tavannes, français, 1533, Arsenal MS 640 fol 2

On le retrouve en France dans cette miniature où toute la construction en profondeur est conçue pour prouver que le Saint ne peut pas voir l’Apparition, située physiquement entre les deux arbres derrière lui.



1533 ca franais-heures-de-saulx-tavannes-saint-jean-patmos-heures-de-saulx-tavannes-saint-jean-arsenal-ms640-f2 detail
Il ne s’agit pas à proprement parler d’une vision intérieure, car l’image suggère fortement que c’est l’Aigle (dont l’oeil est latéral et notoirement bon) qui raconte à son maître ce qu’il voit.



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1540 Master of the Female Half-Lengths National Gallery
Saint Jean à Patmos
Master of the Female Half-Lengths, 1540, National Gallery

Pas de vision directe non plus dans cette composition très méditée, où réapparaît en bas à droite notre vieux démon au harpon.



1540 Master of the Female Half-Lengths National Gallery schema
Il sert ici à clôturer le parcours qui mène l’oeil du spectateur depuis la vision céleste la plus lointaine et la plus divine à la vision terrestre la plus proche et la plus diabolique, en passant par l’arbre qui fait communiquer haut et bas. Au passage le Dragon est comparé à l’Aigle (qui tient ici gentiment l’encrier dans son bec) et la montagne au saint lui-même, fermement planté sur son île.


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1598 Tobias_Verhaecht Ermitage

Saint Jean à Patmos
Tobias Verhaecht, 1598, Ermitage.

Les deux rochers (dont l’un épouse la forme de l’aigle) cachent à ce saint Jean halluciné la vue directe sur le champ de bataille.



1598 Tobias_Verhaecht Ermitage schema
En bas à gauche le Dragon s’attaque à un Ange, en haut il est vaincu par Saint Michel, déclenchant une pluie d’anges déchus au dessus d’un oiseau blanc. A droite le croissant de la Femme se reflète dans deux autres véhicules : la barque des pêcheurs qui tirent évangéliquement leurs filets, et celle de l’apôtre, de l’autre côté du crucifix.


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1620 ca Pedro de Orrente Patmos Prado Madrid

Saint Jean à Patmos
Pedro de Orrente, vers 1620, Prado, Madrid

Cette autre toile maritime entretient l’ambiguïté : le rocher gêne la vision, mais sans l’empêcher complètement. Ce qui intéresse le peintre, c’est l’analogie visuelle entre le vieil homme entouré de rochers et la jeune femme environnée de nuages, qui empruntent aux pierres la même tonalité rougeoyante (telle une île dans le ciel).


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1618 Georg_Gaertner coll part
Saint Jean écrivant
Georg Gaertner le Jeune,1618, collection particulière

Cet artiste de Nuremberg s’est spécialisé dans des tableaux à la mode de Dürer. Un siècle après lui, Il reproduit ici fidèlement sa célèbre gravure de la Femme de l’Apocalypse, accrochée derrière un Saint Jean à son étude, qui transpose quant à lui les nombreux Saint Jérôme du maître.

Une coupe avec le serpent et une tête d’aigle complètent la panoplie.


Des livres qui parlent (SCOOP !)

L’inscription sur le livre de l’étagère  « Sanguinius N°4 » montre que ce tableau représentait le tempérament Sanguin, dans une série consacrée aux quatre Evangélistes et aux quatre Tempéraments [2].


1618 Georg_Gaertner coll part detail

La phrase inscrite en haut de la page droite du livre est apparemment de l’artiste, et explique pourquoi le symbole de Saint Jean est l’aigle :

Transmettant fidèlement le mystère de la divinité du Christ, on le représente sous la forme d’un aigle christi divinitatis misterium fideliter tradens aquilae specie pingitur


Le passage en dessous est celui des Noces de Cana, tiré de l’Evangile de Jean (Jean2:1-4). Il faut probablement le relier d’une part avec le flacon d’eau pure posé sous la gravure, d’autre part avec la coupe au serpent : tout comme Jésus a transformé l’eau en vin, Saint Jean a transformé le breuvage empoisonné en eau pure.

Ainsi une chaîne symbolique s’établit entre la Femme vêtue de soleil et le serpent, lointain cousin du dragon à sept têtes.


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Terminons par un chef d’oeuvre absolu : le diptyque de Vélasquez .

1618 Velasquez Immaculee conception National_Gallery, Londres 1618 Velasquez Saint Jean National_Gallery, Londres


Diptyque de l’Immaculée Conception et de la vision de Patmos.

Vélasquez, 1618, National Gallery, Londres

Cette oeuvre de jeunesse, qui provient d’un couvent de Carmélites de Séville, avait été probablement commandée pour soutenir le dogme de l’Immaculée Conception.


L’Immaculée Conception

Comme chez Greco, la figure surplombe un paysage symbolique, réduit ici à deux éléments : un temple rond qui évoque à la fois la tour mariale et la Grèce antique de Patmos, et une fontaine d’eau pure.

L’auréole avec les douze étoiles et la demi-lune, transformée en croissant par sa luminescence intérieure, allient la précision géométrique et l’inventivité graphique. Le troisième attribut, le manteau de soleil, est au contraire très discret : un pourtour doré à la limite du manteau nous fait comprendre que la Femme masque la lumière qui éclaire les nuages.


Saint Jean

1618 Velasquez Saint Jean National_Gallery, Londres detail 1614 Vestigatio arcani sensus in apocalypsi Ludovicus ab Alcazar, Anvers,grav Don Juan de JaureguiGravure de Don Juan de Jauregui dans « Vestigatio arcani sensus in apocalypsi « , Ludovicus ab Alcazar, Anvers, 1614

La Femme de l’Apocalypse, esquissée d’après une gravure contemporaine, nous est montrée sans son enfant, comme la Vierge dans le volet de l’Immaculée Conception. Mais la lumière qui manquait à l’une est devenue ici le signe dominant, puisque c’est elle qui éclaire le visage du Saint, et son livre.



1618 Velasquez Saint Jean National_Gallery, Londres detail livre
La main est en suspens au dessus de la page de gauche : Vélasquez n’a pas oublié que Jean est un Juif qui écrit de droite à gauche [3] .

Mais les deux pages sont aussi une auto-référence  au diptyque : la page blanche à l’Immaculée Conception, la page qui commence à être écrite à la Vision de Patmos.


Un accrochage inversé (SCOOP !)

1618 Velasquez Saint Jean National_Gallery, Londres 1618 Velasquez Immaculee conception National_Gallery, Londres

D’où l’idée de présenter les deux panneaux en sens inverse de celui qui semblerait naturel : on évite ainsi la duplication gênante de la femme, et on retrouve le véritable objectif du diptyque :

montrer visuellement que la Femme de l’Apocalypse et l’Immaculée Conception ne font qu’une.



1618 Velasquez Immaculee conception National_Gallery, Londres schema

Dans le panneau de gauche, Saint Jean transcrit sa vision, entre l’Aigle, oiseau de Jupiter, et les deux livres fermés (sans doute l’Ancien Testament, en dessous et marqué d’un signet ; et l’Evangile qu’il a lui même écrit, usagé).

Dans le panneau de droite, l’Immaculée Conception regarde le Saint par derrière : c’est elle qui réellement l’inspire, trait d’union entre deux moments de l’Humanité : la Sagesse grecque et la Pureté chrétienne.



Références :
[1]Pour une agréable présentation de ces détails et des textes correspondants, voir https://francois-vidit.com/docs/fr/bruges/hopital-saint-jean/saint-jean
[2] Dans son tableau des Quatre apôtres en 1528, le tempérament sangun est associé à Jean
https://fr.wikipedia.org/wiki/Les_Quatre_Ap%C3%B4tres
[3] « Patmos in the Reception History of the Apocalypse » Ian Boxall, p 205 https://books.google.fr/books?id=GlMQCvBhjOIC&pg=PA205

3-4-2 La vision de Patmos dans les Apocalypses anglo-normandes

13 juin 2019

 

Filiation des Apocalypses anglo-normandes

Apocalyses anglo-normandes schemas
Selon Peter Klein [1], toutes ces Apocalypses dérivent d’un prototype perdu, réalisé dans les années 1240, qui aurait ensuite donné naissance à trois groupes. Cette généalogie, très hypothétique puisque aucun manuscrit n’est daté, n’est pas partagée par tous les spécialistes.

Parmi la cinquantaine de manuscrits concernés[2], nous allons en feuilleter une douzaine, du point de vue qui nous intéresse ici : la figuration de Saint Jean.


A Le groupe Morgan

A1 L’Apocalypse Morgan [3]

1255-60 Apocalypse Morgan, Londres, MS M.524 fol. 2vfol 2v 1255-60 Apocalypse Morgan, Londres, MS M.524 fol. 6vfol 6v

Apocalypse Morgan, Londres, 1255-60, MS M.524

Ce manuscrit est entièrement historié, avec deux images par page. Saint Jean n’apparaît pas partout, mais la convention graphique est très simple : il est toujours à gauche de l’image, sauf pour ponctuer la fin d’un épisode.

Dans le premier exemple, la position à droite conclut l’épisode des quatre cavaliers ; dans le deuxième, elle introduit un nouvel épisode, celui des deux témoins.


1255-60 Apocalypse Morgan, Londres, MS M.524 fol. 10rfol 10r 1255-60 Apocalypse Morgan, Londres, MS M.524 fol. 16rfol16r

Dans le troisième exemple, Saint Jean réapparaît à sa position normale pour séparer deux épisodes faciles à confondre : celui du Dragon et celui de la Bête de la mer. Dans le quatrième au contraire, il s’insère à l’intérieur de l’image pour créer un lien entre les deux moitiés : le renversement de la sixième coupe, et le résultat.


1255-60 Apocalypse Morgan, Londres, MS M.524 fol. 8v

La Femme et le Dragon (fol 8v).

A noter que Saint Jean ne figure pas dans la miniature de la Femme au dragon, ni dans celle du combat de Saint Michel avec le Dragon.

Dans ce manuscrit qui ne comporte aucune page de texte, la figurine de Saint Jean est en somme utilisée comme un signe de ponctuation graphique : tantôt tiret, tantôt trait d’union.



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1250 ca Bodleian MS Auct D4.17 fol 4v
Le troisième et le quatrième cavalier (fol 4v)

Un autre manuscrit du même format (Bodleian MS Auct D4.17 [4]) suit exactement les mêmes conventions de « ponctuation ».


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A2 BNF MS Français 403 [5]

 

1250, BNF MS Francais 403 fol 9rLe quatrième cavalier (fol 9r) 1250, BNF MS Francais 403 fol 32vLa sixième coupe (fol 32v)

Salisbury, vers 1250, BNF MS Français 403

Cet autre manuscrit, très proche mais avec du texte intercalaire et une seule image par page, utilise Saint Jean de manière encore plus carrée : il est toujours à gauche, sauf dans l’image du dernier cavalier. Et il réapparaît (après quelques images où il est absent) pour marquer la spécificité de l’image de la sixième coupe.


1250, BNF MS Francais 403 fol 19v
La Femme et le Dragon (fol 19v).

Comme d’habitude dans le groupe Morgan, il ne figure pas en compagnie de la Femme au dragon.

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 Synthèse sur le  groupe Morgan

Du point de vue du positionnement de Saint Jean, le groupe Morgan se caractérise par une convention simple : il est toujours à l’intérieur de l’image, et est utilisé comme une sorte de signe de ponctuation graphique.

B Le groupe Metz

Ce groupe tire son nom d’un manuscrit de la Bibliothèque de Metz, disparu durant la seconde Guerre Mondiale.

B1 L’Apocalypse de Cambrai [6]

1260 ca BM Cambrai MS 422 fol 73rJPG 1260 ca BM Cambrai MS 422 fol 74v

La sixième coupe (fol 73r-74v)
Belgique (Louvain ?), vers 1260, BM Cambrai MS 422

Dans ce manuscrit, Saint Jean figure toujours à gauche, à l’intérieur des images : ici son apparition sert à relier les deux moitiés de l’épisode.


1260 ca BM Cambrai MS 422 fol 22r
Quatrième cavalier (fol 22r)

Dans quatre images seulement, il se trouve en position externe, sur la marge large : ici cette irrégularité sert, comme d’habitude, à clôturer l’épisode des cavaliers.



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B2 L’Apocalypse d’Abingdon [7]

Ce manuscrit a une structure très particulière : l’Apocalypse est illustrée sur les pages de gauche (au dessus du texte en latin), tandis que celles de droite montrent des images complémentaires illustrant son commentaire par Berengaudus (en français).

Le personnage de Saint Jean apparaît soit en position intérieure gauche, soit plus rarement en position extérieure, du côté de la marge large. Les trois exceptions à cette règle sont intéressantes.


1250-75 BL Add MS 42555 fol 5v
Saint Jean devant les sept cierges, Saint Jean devant les sept église (fol. 5v)

Apocalypse d’Abingdon
Anglo-normand, 1250-75, BL MS Add 42555

L’illustrateur a aggloméré en une seule image deux scènes qui sont habituellement séparées . Il a donc dû représenter Saint Jean deux fois : à l‘intérieur (agenouillé avec les pieds dépassant du cadre) et à l’extérieur, debout et inspiré par l’Ange.


1250-75 BL Add MS 42555 fol 14v
Le quatrième cavalier (fol. 14v)

La deuxième exception est classique : elle sert à clôturer l‘épisode des cavaliers.


1250-75 BL Add MS 42555 fol 64vUn Ange montre Babylone détruite (fol 64v) 1250-75 BL Add MS 42555 fol 65rUn Evêque réconforte les habitants d’une ville ruinée (fol 65r)

Saint Jean apparaît deux fois sur la page de gauche, à l’intérieur de l’image et dans la marge droite, le regard dirigé vers la page de droite.

Le texte de celle-ci développe une comparaison entre l’Ange de la première image et l’Eglise, personnifiée par l’évêque : la figurine marginale fonctionne comme un trait d’union, attirant l’oeil sur le parallélisme entre les deux images.



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B3 L’Apocalypse BNF Lat 14410 [8]

Saint Jean figure partout en position interne gauche, sauf dans cinq miniatures où il se trouve dans la marge large.


1275-1300 BNF Lat 14410 fol 10Premier cavalier (fol 10) 1275-1300 BNF Lat 14410 fol 11Quatrième cavalier (fol 11)

Apocalypse BNF Lat 14410
Anglo-normand, 1275-1300, BNF Lat 14410

Ici on comprend qu’il encadre les deux images consacrées aux cavaliers.


1275-1300 BNF Lat 14410 fol 21
La quatrième trompette (fol 21)

De manière assez subtile, il intervient dans une seule des six miniatures consécutives de la série des trompettes, pour tenir compagnie à son oiseau favori, l’aigle, qui ici dit trois fois « Malheur ».


1275-1300 BNF Lat 14410 fol 15La multitude des Elus (fol 15) 1275-1300 BNF Lat 14410 fol 16L’ouverture du septième sceau (fol 16)

Les deux autres apparitions de la figurine marginale semblent destinées à lier deux images recto-verso qui se passent en fait dans des lieux contigus (l’autel est à côté du trône), comme le montre la Mandorle avec le Christ.



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B4 L’Apocalypse des Cloisters [9]

1330 Apocalypse des Cloisters fol 10v Le controle des quatre ventsLe contrôle des quatre vents (fol 10v ) 1330 Apocalypse des Cloisters fol 11r La benediction des ElusLa bénédiction des Elus (Apocalypse 7) (fol 11r)

L’Apocalypse des Cloisters
Normand, vers 1330, MET, New York

Dans ce manuscrit très régulier, Saint Jean est toujours à gauche lorsqu’il est en position intérieure. Dans neuf miniatures, il apparaît en position extérieure, toujours sur la marge large :

  • dans trois couples : 5v-6r, 6v-7r, 8v-9r (troisième et quatrième cavalier) ;
  • sur l’image isolée de la Multitudes des Elus (5r) ;
  • entre la quatrième et la cinquième trompette (14r, 14v).



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Synthèse sur le  groupe Metz

Du point de vue du positionnement de Saint Jean, le groupe Metz voit apparaître une innovation par rapport au groupe Morgan : la figurine sort à l’extérieur de quelques images, toujours les mêmes, et toujours sur la marge large (sauf dans le format très particulier de l’Apocalypse d’Abingdon )


1260 ca BM Cambrai MS 422 fol 22r detail
Cambrai MS 422 fol 22r (détail)

Le cadre de l’image prend une épaisseur matérielle : auparavant simple délimitation graphique, il est vu maintenant comme une cloison dans laquelle l’illustrateur prend soin de ménager une sorte de judas, afin que la Saint puisse voir et entendre. Ce dispositif ambigu déclare à la fois que Jean est en dehors de l’image (comme le Lecteur est en dehors du Livre), et qu’il en fait partie (puisqu’il peut manipuler le judas). On remarquera que cette perméabilité concerne également le cheval, qui vient marcher en avant du cadre.

Ces jeux avec la limite des conventions graphiques prouve une certaine maturité du regard, une prise de distance par rapport à l’immersion brutale dans le surnaturel que devaient apprécier les lecteurs des générations précédentes.



C Le groupe Westminster

Ce groupe rassemble des manuscrits de très haute qualité, destinés à la Cour.


C1 L’Apocalyse de la reine Eleanor [10]

La convention graphique de ce manuscrit est très simple : Saint Jean apparaît dans presque toutes les miniatures, à l’intérieur de l’image et à gauche, debout et tenant un livre.

1250 R.16.2_013_R.16.2_005r
Fol 5r
Anglo-normand, vers 1250, Trinity College R.16.2

Cette page comporte deux positions différentes de Saint Jean :

  • en haut intégré dans l’image : il s’agit ici d’une scène double ( Saint Jean écoute l’Ange puis le Vieillard, Apocalypse 5:1-5)
  • en bas dans une case séparée (solution abandonnée après ce feuillet)

Pour briser l’uniformité, l’artiste alterne les fonds bleu et rouge ; de même il inverse régulièrement les couleurs de la robe et du manteau : c’est le livre et la position à gauche qui permettent d’identifier Saint Jean.


1250 R.16.2_020_R.16.2_008vFol 8v 1250 R.16.2_021_R.16.2_009r.jpgFol 9r

Trinity College, Cambridge

Une transition plus radicale se produit au tournant d’une page : le jeune homme imberbe devient pour toute la suite un barbu grisonnant.


1250 R.16.2_029_R.16.2_013r
Fol 13r Trinity College, Cambridge

Dans la page dédiée à la Femme de l’Apocalypse, Saint Jean n’apparaît pas.


1250 R.16.2_054_R.16.2_025v
Fol 25v Trinity College, Cambridge

Toute l’efficacité de la convention se révèle dans cette Vision de la Jérusalem Céleste : un enchaînement de relais fait monter le lecteur, via Saint Jean puis l’Ange devant les murailles, puis le même Ange à l’intérieur de la ville en train de la mesurer, jusqu’à la source du « fleuve d’eau de la vie » (Apocalypse 21:10-27).


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C2 L’Apocalypse de Toulouse [11]

1300-20 Apocalypse de Toulouse BM Toulouse ms 815 fol 24v 25r
fol 24v-25r
Apocalypse de Toulouse, 1300-20, BM MS 815

Dans ce manuscrit, qui dérive visiblement de celui de la Reine Eleanor, Saint Jean apparaît dans pratiquement toutes les images, y compris celle de la Femme et du Dragon, et toujours à gauche.


1300-20 Apocalypse de Toulouse BM Toulouse ms 815 fol 39v 40r
fol 39v-40r

La seule exception est dans cette double page où, exceptionnellement, la Grande Prostituée figure deux fois : assise « sur les grandes eaux » et assise « sur une bête écarlate ». La figure de Jean sert de trait d’union entre les deux


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C3 L’Apocalypse Add MS 35166 [12]

1250-1300 BL Add MS 35166 fol 16v Femme vetue de soleil
La Femme vêtue de soleil (fol 16v)
L’Apocalypse Add MS 35166
Anglais, 1250-99, British Library Add MS 35166

Beaucoup moins complexe que le précédent mais réalisée selon les mêmes schémas de composition (une miniature en haut de chaque page, encadrée en vert et or, au dessus du texte et du commentaire), ce manuscrit présente Saint Jean en position interne gauche, dans toutes les images où il figure.


1250-1300 BL Add MS 35166 fol 18r Le dessechement de l'EuphrateLe dessèchement de l’Euphrate (début de la sixième coupe) (fol 18r ) 1250-1300 BL Add MS 35166 fol 18v Le resultatLe résultat (fin de la sixième coupe) (fol 18r )

Le seule exception est intéressante, car elle apparaît au même endroit que que dans l’Apocalypse de Cambrai, pour attirer l’attention du lecteur sur le fait que la scène de la sixième coupe se prolonge sur deux miniatures.

Quant à la position externe, elle se présente seulement cinq fois : à gauche en marge large (fol 10v 21v, 25v), à gauche en marge étroite (fol 11r), et à droite en marge large (fol 24r).


1250-1300 BL Add MS 35166 fol 24r

fol 24r

Ici, c’est sans doute parce que l’image illustre deux phrases successives (le Christ dans le pressoir et la Vision des armées célestes, Apocalypse 8 :13-14). Ce qui confirme le rôle de la figurine marginale comme auxiliaire de lecture.


1250-1300 BL Add MS 35166 fol 10v L'Adoration de l'Agneau et du SeigneurL’Adoration de l’Agneau et du Seigneur (fol 10v) 1250-1300 BL Add MS 35166 fol 11r Le septième sceauLe septième sceau (fol 11r)

Dans ces deux feuillets côte à côte, l’illustrateur s’est donné la peine, à droite, de choisir la marge étroite, afin d’accentuer le parallélisme entre les deux compositions. La preuve qu’il ne s’agit pas d’une erreur est qu’on retrouve exactement la même disposition des figurines marginales, aux mêmes folios 10v et 11r, dans un autre manuscrit anglais plus ancien et qui en est certainement le prototype [13].


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C4 L’Apocalypse Getty [14]

L’Apocalypse Getty (anciennement Dyson Perrins), manuscrit anglais des années 1255-60 est une oeuvre très innovante, puisque ses quatre-vingt deux illustrations incluent la figure de Saint Jean : après trois pages introductives, touts les autres illustrent verset par verset le texte de l’Apocalypse.

Tous les folios ont la même structure : le texte de l’Apocalyse en noir, un commentaire en rouge, et au dessus la miniature dans un encadrement vert et or.


Normalisation et exception (SCOOP !)

1255-60 Anglais getty museum Ms. Ludwig III 1 (83.MC.72) fol 2v sept eglises d'Orient
fol. 2v
Apocalypse Getty
Anglais, 1255-60, Getty museum Ms. Ludwig III 1 (83.MC.72)

« J’entendis derrière moi une voix forte, comme le son d’une trompette, et qui disait : « Ce que tu vois, écris-le dans un livre, et envoie-le aux sept Eglises »

La figure du narrateur indique que le récit à la première personne commence ici, et il est placé à droite, pour bien montrer que le voix se situe « derrière lui« .

On remarquera que cette position est malcommode, puisqu’elle oblige à caser le Saint dans la marge la plus étroite, côté reliure. L’artiste commence ici par une exception délibérée à ses propres conventions graphiques, qui sont au nombre de trois.


Les trois formules (SCOOP !)

Pour les déceler, il faut considérer les pages par couples, un verso à gauche et un recto à droite, telles qu’on les voit quand le livre est grand ouvert. On ne rencontre que les trois formules  ci-dessous  :

  • « interne » : Saint Jean est à l’intérieur du cadre et à gauche (22 cas « IG-IG ») ;
  • « externe » : Saint Jean est à l’extérieur du cadre, sur la marge large (9 cas « EG-ED ») ;
  • « mixte » : Saint Jean est au verso à l’extérieur gauche, au recto à l’intérieur droit (11 cas « EG-IG »).

On comprend que la formule interne s’impose lorsque le Saint a une interaction avec un autre personnage, mais elle est aussi employée dans des cas où il se trouve en position purement contemplative.


1255-60 Anglais getty museum Ms. Ludwig III 1 (83.MC.72) liste 1 1255-60 Anglais getty museum Ms. Ludwig III 1 (83.MC.72) liste 2

Dans cette liste, la formule interne est en jaune, la formule externe en bleu, la formule mixte en vert. L’alternance entre les trois formules ne semble pas avoir d’autre raison qu’un souci de variété. Mais Les rares exceptions (en rouge) méritent d’être étudiées, car l’illustrateur s’en sert pour créer un effet de surprise, porteur d’une signification particulière.


Des exceptions significatives

1255-60 Anglais getty museum Ms. Ludwig III 1 (83.MC.72) fol 4v The Vision of GodLa vision de Dieu sur son trône (fol 4v) 1255-60 Anglais getty museum Ms. Ludwig III 1 (83.MC.72) fol 5 The Vision of the LambLa vision de l’Agneau (fol 5r)

(Getty museum)

En comparant les deux images côte à côte, le spectateur voit immédiatement que le personnage barbu, vêtu en gris et qui passe ridiculement la tête par le trou du cadre (comme dans un noeud coulant) n’est pas Saint Jean…

1255-60 Anglais getty museum Ms. Ludwig III 1 (83.MC.72) fol 4v 5r detail

…mais Judas, contemplant sa victime (l’Agneau sacrifié).


1255-60 Anglais getty museum Ms. Ludwig III 1 (83.MC.72) fol 7v The Fourth Horseman

Le quatrième cavalier (fol 7v)
(Getty museum)

Selon la formule interne, ce verso devrait montrer le Saint en Intérieur gauche, tout comme pour les trois miniatures précédentes qui illustrent les autres cavaliers. En le plaçant à l’extérieur droit, l’illustrateur clôture la séquence tout en créant un effet visuel amusant, avec l’Aigle qui tente de s’enfuir à travers le trou pour rejoindre son maître.


1255-60 Anglais getty museum Ms. Ludwig III 1 (83.MC.72) fol 19v Femme vetue de soleil OKLa Femme vêtue de soleil (fol 19v) 1255-60 Anglais getty museum Ms. Ludwig III 1 (83.MC.72) fol 20r The Woman Clothed in the SunLa Femme vêtue de soleil donne son enfant à l’Ange (fol 20r)

(Getty museum)

Selon la formule interne, le folio de droite devrait montrer Saint Jean à l’intérieur du cadre : en le plaçant sur la marge droite, dans quelle la nuée déborde, l’illustrateur attire notre attention sur le détail qu’il faut voir : la Femme qui disparaît après avoir sauvé son enfant.


1255-60 Anglais getty museum Ms. Ludwig III 1 (83.MC.72) fol 20v The Battle between the Angel and the DragonLe combat entre l’ange et le Dragon au dessus de la Mer (fol 20v) 1255-60 Anglais getty museum Ms. Ludwig III 1 (83.MC.72) fol 21 Le Demon de la TerreLe Démon de la Terre (fol 21)

(Getty museum)

L’illustrateur conserve la même position anormale à l’image suivante, pour créer un effet dramatique en plaçant le Saint du côté des dragons, les contemplant par une fente étroite. Avant de revenir, à l’image suivante, à la classique formule interne.



1255-60 Anglais getty museum Ms. Ludwig III 1 (83.MC.72), fol 23v The Dragon Giving the Sceptor of Power to the Beas
Le Dragon donne le sceptre du Pouvoir à la Bête (fol 23v)
(Getty museum)

Selon la formule externe, le Saint devrait être placé dans la marge gauche : en l’inversant, il semble que l’illustrateur a peut être voulu créer une correspondance avec l’autre scène maritime que nous venons de voir (fol 20v), les feuillets intermédiaires montrant des scènes terrestres.



1255-60 Anglais getty museum Ms. Ludwig III 1 (83.MC.72), fol 34v Le dessechement de l'Euphrate (debut de la sixieme coupe)jpg
Le dessèchement de l’Euphrate (début de la sixieme coupe) ( fol 34v)
(Getty museum)

Selon la formule interne, Saint Jean devrait être en intérieur gauche, ce qui est le cas pour les illustrations des six autres sceaux. L’exception, que nous avons déjà rencontrée, signale qu’il s’agit d’une situation intermédiaire, avant l’image montrant le résultat de l’action du Sixième sceau (celui-ci étant le seul auquel sont consacrées deux images).


Un illustrateur inventif

Ce manuscrit exceptionnel révèle donc un dessinateur particulièrement inventif, explorant les possibilités formelles qu’offre le jeu avec le cadre. Mais son innovation la plus spectaculaire reste cette figuration systématique du Saint qui, par un puissant effet de relais, aspire le spectateur à l’intérieur de sa vision horrifique.


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C5 BNF Lat 10464 [15]

Cet autre manuscrit anglais de la même époque a de nombreuses affinités avec l’Apocalypse Getty

1275-1300 BNF Lat 10464 fol 11rBNF Lat 10464 fol 11r 1255-60 Anglais getty museum Ms. Ludwig III 1 (83.MC.72) fol 9v L'adoration de l'Agneau et du SeigneurGetty fol 9v (Getty museum)

L’adoration de l’Agneau et du Seigneur (Apocalypse 7:9-17)

Par exemple, ces deux illustrations du même passage montrent tous deux Saint Jean en position externe, écoutant l’un des viellards :

« Alors un des vieillards, prenant la parole me dit:  » Ceux que tu vois revêtus de ces robes blanches qui sont-ils, et d’où sont-ils venus?  » « 

L’interversion de la position de Saint Jean correspond-elle au fait que les illustrations sont décalées, l’une au recto et l’autre au verso ?


1275-1300 BNF Lat 10464 fol 21rBNF Lat 10464 fol 21r 1255-60 Anglais getty museum Ms. Ludwig III 1 (83.MC.72) fol 19v Femme vetue de soleil OKGetty fol 19v (Getty museum)

Pour la Femme de l’Apocalypse, le décalage n’a en revanche pas d’effet sur la position du Saint, qui reste en interne gauche.

1275-1300 BNF Lat 10464 fol 21VBNF Lat 10464 fol 21v 1255-60 Anglais getty museum Ms. Ludwig III 1 (83.MC.72) fol 20r The Woman Clothed in the SunGetty fol 20r (Getty museum)

Pour la Femme et le Dragon, même chose : le décalage n’a pas d’effet sur la composition.

On constate dans certaines parties une volonté de constitution de couples symétriques : par exemple dans la série des Sept Eglises, les positions du saint sont symétriques entre le verso et le recto. Mais ce principe ne se maintient pas dans l’ensemble du manuscrit.



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C6 Apocalypse de Douce [16]

L’Apocalypse de Douce (Anglais, 1250 -75, British Library, Bodleian Ms180) est très proche des deux précédentes.


1250–75 Douce_Apocalypse_-_Bodleian_Ms180_-_fol 22vDouce fol 22v (British Library) 1255-60 Anglais getty museum Ms. Ludwig III 1 (83.MC.72) fol 9v L'adoration de l'Agneau et du SeigneurGetty fol 9v (Getty museum)

L’adoration de l’Agneau et du Seigneur (Apocalypse 7:9-1)

Ces deux images, toutes deux au verso, ont la même composition.


1250–75 Douce_Apocalypse_-_Bodleian_Ms180_-_fol 33v_Woman_Clothed_in_the_SunDouce fol 33v (British Library) 1255-60 Anglais getty museum Ms. Ludwig III 1 (83.MC.72) fol 19v Femme vetue de soleil OKGetty fol 19v (Getty museum)

La Femme de l’Apocalypse est très semblable dans les deux manuscrits.


1250–75 Douce_Apocalypse_-_Bodleian_Ms180_-_fol 34r_Woman_Clothed_in_the_SunDouce fol 34r (British Library) 1255-60 Anglais getty museum Ms. Ludwig III 1 (83.MC.72) fol 20r The Woman Clothed in the SunGetty fol 20r (Getty museum)

La Femme au Dragon en revanche, est différente : la figure de Jean est absente, et la position de la Femme est inversée, alors que les deux images sont au recto.

Malgré quelques affinités, l’Apocalypse de Douce ne partage pas du tout les mêmes contraintes formelles que l’Apocalypse Getty :

  • Saint Jean n’est pas présent dans toutes les images (seulement dans 67 sur 97) ;
  • Sa position dominante est la position interne : 39 à Gauche, 13 à Droite, 3 au Centre, et 5 où il se trouve deux fois, à gauche et à droite.
  • La position externe est rare : 4 cas à Gauche, 3 à droite.
1250–75 Douce_Apocalypse_-_Bodleian_Ms180_liste 1 1250–75 Douce_Apocalypse_-_Bodleian_Ms180_liste 2

De plus, on ne constate pas du tout une volonté de regrouper les compositions par couples symétriques. Les positions du Saint alternent arbitrairement, même à l’intérieur d’une même série.



Un bon exemple est la comparaison de la série des Sept Eglises avec le BNF Lat 10464 (le Getty ne comporte pas cette série). Alors que le premier manuscrit montre une volonté de constituer des couples symétriques, le second ne révèle aucune régularité.

Si l’illustrateur du Getty montre clairement une volonté de mettre en place des régularités, afin d’attirer l’attention du lecteur sur les ruptures de rythme, les autres copistes ne montrent pas un tel esprit de système : même si l’utilisation de calques aurait pu permettre, dans un même atelier, d’inverser facilement des images selon qu’elles se trouvaient au recto ou au verso, on constate d’une part que certaines ne sont jamais inversées (Saint Jean devant la Femme) alors que d’autres le sont parfois, mais sans règle systématique (La Femme et le Dragon).



Synthèse sur le  groupe Westminster

Du point de vue du positionnement de Saint Jean, le groupe Westminster se caractérise par une présence accrue du saint (sans doute synonyme de richesse) et l’utilisation de toutes les possibilités graphiques :

  • position interne à gauche ou à droite ;
  • position externe sur la marge large ou sur la marge étroite.

Ces manuscrits hautement sophistiqués s’adressaient à un public capable de remarquer les ruptures de régularité, et de chercher à leur donner un sens. Cependant, seul l’illustrateur de l’Apocalypse Getty a développé un système formel assez strict pour donner aux rares écarts une valeur expressive indubitable. Les manuscrits postérieurs sont plus sujets à l’arbitraire, comme si les lecteurs, désormais accoutumés à l’omniprésence de Saint Jean, appréciaient plus la variété (par rapport aux autres commanditaires) que la mise au point de conventions graphiques rigoureuses.



Références :
[1] « Apocalypses anglaises du XIIIe siècle », Yves Christe, Journal des Savants Année 1984 1-2 pp. 79-91
[10] L’Apocalyse du Trinity College http://sites.trin.cam.ac.uk/james/show.php?index=1199
[13] Cambridge, Trinity College, MS B.10.2 : http://trin-sites-pub.trin.cam.ac.uk/james/viewpage.php?index=58

3-4-1 La vision de Patmos : ses origines

13 juin 2019

Les spécialistes ont patiemment exploré le vaste et complexe corpus des manuscrits médiévaux de l’Apocalypse, et distingué différentes familles. Nous allons parcourir quelques exemples selon les filiations présumées, mais en nous intéressant uniquement à deux questions particulières :

  • quelles conventions graphiques régissent les représentations de Saint Jean ?
  • comment en particulier est-il représenté (ou pas) face à la Femme de l’Apocalypse [1] ?



La figuration de Saint Jean (haut moyen àge)

Je suis ici la classification en quatre familles de Peter Klein [2].


1) Le groupe carolingien : Trêves/Cambrai

 

880-900 Apocalypse de Cambrai, BM Cambrai, Ms. 386 fol 6v LaodiceeL’Eglise de Laodicée (fol 6v) 880-900 Apocalypse de Cambrai, BM Cambrai, Ms. 386 fol. 27rLa Femme et le Dragon (fol. 27r)

Apocalypse de Cambrai, 880-900 , BM Cambrai, Ms. 386

Le manuscrit le plus ancien de ce groupe est l’Apocalypse de Trêves (Trier Stadtbibl. codex 31), 800-25, copié à Cambrai à la fin du siècle. La convention graphique est simple : lorsque la miniature est sur la page gauche, Saint Jean est en bas à gauche ; et réciproquement. La figurine fonctionne en somme comme un auxiliaire de lecture, indiquant où il faut poser son doigt.

A noter que l’artiste a traduit « vêtue de soleil » en rajoutant l’astre sous le pied droit de la Femme, la Lune étant sous le gauche.


cambrai-apocalypse

La vision de la Jérusalem céleste, fol 42r

Notons que cette convention d’alternance est enfreinte lorsqu’elle contredit la convention du visionnaire,  selon laquelle celui qui voit est à gauche. C’es le cas dans cette scène où l’Ange montre à Saint Jean la Jérusalem Céleste.


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2) Le groupe Valenciennes/Paris/Bamberg

 

800-25 Valenciennes, BM MS 99 fol 15rLa multitude des Elus (fol 15r) 800-25 Valenciennes, BM MS 99 fol 23rLa Femme et le Dragon (fol 23r)

Valenciennes, 800-25, BM MS 99 [3]

Dans le manuscrit de Valenciennes, la convention est très simple : dans les miniatures où il est présent, Saint Jean se place toujours à gauche (que ce soit une page verso ou recto), à une exception près :

800-25 Valenciennes, BM MS 99 fol 31r
La Grande Prostituée de Babylone (fol 31r)

La vision scandaleuse doit forcément apparaître au plus bas de la page. Et comme le texte dit explicitement :« Viens, je te montrerai le logement de la grande prostituée qui est assise sur les grandes eaux… (Apocalypse 17:1) », l’Ange prend à gauche la place de celui qui montre, remplaçant provisoirement Saint Jean dans le rôle d’admoniteur.



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BNF n.a Lat 1132 fol 10v La multitude des elusLa multitude des Elus (fol 10v) BNF n.a Lat 1132 fol 17r La femme et le dragonLa Femme et le Dragon (fol 17r)

Paris, 900-25, BNF n.a Lat 1132 [4]

Un siècle plus tard, le copiste de Paris suit les mêmes principes (et la même exception pour la Prostituée).


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1000-20 Apocalypse de Bamberg Msc. Bibl. 140 fol 21r La troisieme trompetteLa troisième trompette (fol 21r)

1000-20 Apocalypse de Bamberg Msc. Bibl. 140 fol 29V La Femme et le DragonLa Femme et le Dragon (fol 29v)

Apocalypse de Bamberg, 1000-20, Msc. Bibl. 140 [5]

Enfin, encore un siècle après, dans le manuscrit othonien de Bamberg, Saint Jean apparaît à gauche ou à droite, sans règle particulière. Souvent il ne joue pas de rôle narratif particulier, mais permet d’enrichir les images trop vides, comme celles des trompettes. En tout cas on n’a pas toujours pas besoin de lui dans l’image-choc de la Femme avec le Dragon.


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3) Le groupe mixte

1100-50 Bodleian Library MS. Bodl. 352 fol 008v
Apocalypse de Haimo [6]
1100-50, Allemagne du Sud, Bodleian Library MS. Bodl. 352 fol 008v

Ce groupe, peu homogène, présente des iconographies vraiment bizarres. L’Apocalypse de Haimo, par exemple, se compose de quatorze feuillets extrêmement compacts, sortes de tableaux synoptiques dans lesquels le personnage de Jean n’apparaît pratiquement pas. Voici celui qui concerne la Femme et le Dragon (dans le registre inférieur).


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4) Les Beatus

Il s’agit d’une série de manuscrits espagnols, qui suivent une tradition textuelle et iconographique spécifique.


980-999 Beatus-san-millan Livre 980-999 Beatus-san-millan

Beatus de San Millan, 980-1000

La figure de Saint Jean est pratiquement absente des illustrations, sauf de celles où il joue explicitement un rôle : lorsque l’Ange lui donne un livre, ou le bénit, ou lui désigne les sept églises, ou lui montre la Jérusalem céleste.


 

 

 

 

  


Beatus de LiebanaBeatus de Lebiana (Codex de Fernando I et Dona Sancha), 1047, Bibliothèque Nationale d’Espagne, Codex Vitr/14/2 [7]

1086 Beatus de Lebiana Burgo de Osma, Archives de la Cathedrale, Ms 7 f 117vBeatus de Lebiana, 1086, Burgo de Osma, Archives de la Cathedrale, Ms 7 f 117v.

Il ne figure en revanche jamais dans l’illustration dédiée à la Femme et au Dragon, qui suit une iconographie très stéréotypée. La Femme se trouve en haut à gauche de l’image. Dans les illustrations les plus riches, elle est représentée deux fois : en haut avec ses attributs, en bas avec les ailes que l’ange lui a données pour échapper au dragon : elle symboliserait ainsi l’Eglise céleste (avec les ailes) et l’Eglise terrestre. L’image ne prétend pas reconstituer ce que Saint Jean a eu sous les yeux, mais vise plutôt à proposer un panorama conceptuel de ce qu’il a écrit :

« Les figures sont à lire selon l’ordre de la pensée et non selon l’ordre d’une réalité sensible incluse dans un lieu, un temps, un espace uniques et synthétisés » Mireille Mentré [8]



La figuration de Saint Jean (Moyen âge)


Le Liber Floridus

Cette encyclopédie médiévale a été recopiée de nombreuses fois. Certaine de ces versions comportent une représentation synthétique de l’Apocalypse, inspirée par celle des Beatus : mais l’introduction de Saint Jean en haut à gauche décale vers le bas la Femme de l’Apocalypse.


1150-99 Liber Floridus de Wolferbuttel fol 34

Liber Floridus de Wolfenbüttel
1150-99, Herzog Augustbibliothek, Gudeanus lat. 1 fol 34 [9]

Saint Jean n’est pas ici figuré en tant que visionnaire, mais plutôt en tant qu’admoniteur qui, face au spectateur, introduit la scène au lecteur.

 

 

 

 

 1260 ca Liber-Floridus-BNF Latin 8865 fol 39Liber-Floridus, vers 1260, BNF Latin 8865 fol 39

1450-75 Jean Mansel Liber Floridus Chantilly, musee Conde MS 724 folio14vJean Mansel, 1450-75, musée Condé, Chantilly, MS 724 fol 4v

De copie en copie, l’iconographie du Liber Floridus reste remarquablement stable durant trois siècles.


 

Les Apocalypses anglo-normandes

Entre 1240 et 1300, l’Angleterre a connu une exceptionnelle floraison de manuscrits de l’Apocalypse, d’abord destinés à des religieux, puis ensuite à la cour. La richesse et la complexité de ces oeuvres impose de les examiner à part (voir 3-4-2 : les Apocalypses anglo-normandes).



 

Les Apocalypses tardives (XIVème siècle)

Après la phase d’exploration de toutes les possibilités graphiques et sémantiques qu’offre l’introduction de Saint Jean comme héros récurrent, les illustrateurs s’assagissent et se limitent à des formules très simples.

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L’Apocalypse Corpus Christi [10]

1330-39 Apocalypse Corpus Christi MS 020 fol 27rLe Dragon à sept têtes (fol 27r) 1330-39 Apocalypse Corpus Christi MS 020 fol 43vLa Grande Prostituée (fol 43v)

Apocalypse Corpus Christi (Visio Sancti Pauli)
1330-39, Parker Library MS 020

Dans ce manuscrit extrêmement homogène, Saint Jean figure dans toutes les miniatures, dans un compartiment adjacent à gauche de l’image. Et même lorsqu’il interagit avec l’Ange, il l‘attire dans son compartiment, plutôt que de pénétrer dans l’image.



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Apocalypse Queen Mary [11]

1300-25 Royal MS 19 B XV f 20v

La Femme de l’Apocalypse (f 20v)
Apocalypse Queen Mary
Anglo-normand, 1300-25, Royal MS 19 B XV

Ce manuscrit très imaginatif rompt avec les illustrations littérales : l’artiste fait l’impasse sur le vêtement de soleil, inventant une apparition élégante et blafarde qui se découpe sur le firmament étoilée, arquée comme son croissant de lune et entourée de six figures tonitruantes.


1300-25 Royal MS 19 B XV f

Le combat contre le dragon (f 22v)

La même réapparaît deux feuillets plus loin, ailée et confirmant son affinité avec l’arc de cercle.


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Apocalypse de 1333 [12]

Français, 1333, BNF Français 13096

Ce manuscrit est très systématique, puisque saint Jean figure dans tous les couples de pages, selon deux formules seulement.


1333 Apocalypse_de_S_Jean_BNF Français 13096 fol 28rfol 33v 1333 Apocalypse_de_S_Jean_BNF Français 13096 fol 34rfol 34r

Soit, dans le cas le plus fréquent, la page de gauche laisse suffisamment de place sous le texte pour y placer l’image de Saint Jean écrivant, auquel cas il ne figure pas dans la grande miniature de droite.


1333 Apocalypse_de_S_Jean_BNF Français 13096 fol 27vfol 27v 1333 Apocalypse_de_S_Jean_BNF Français 13096 fol 28rfol 28r

Soit la page de gauche est entièrement textuelle, et la figure de Saint Jean écrivant se déporte à gauche de la miniature principale.

Cette convention très efficace pose donc Saint Jean à la fois en visionnaire (il regarde vers la droite) et en relais du spectateur à l’intérieur de l’histoire (il écrit ce que je lis).



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La tenture d’Angers

Dans le format très différent de la tapisserie, cette autre série est intéressante à étudier du même point de vue des conventions graphiques (malgré ses quelques manques).


La femme revêtue du soleil
La Femme vêtue de soleil (troisième pièce)
Hennequin de Bruges, 1373-77, Château d’Angers [13].

La Femme vêtue de soleil obéit à la convention graphique la plus fréquente : le Saint est à gauche, isolé dans un baldaquin en situation de spectateur. Une autre convention respectée dans toutes les pièces est l’alternance du fond rouge (comme ici) et du fond bleu.


La grande prostitué sur les eauxLa grande prostituée sur les eaux (5ème pièce) La prostitué sur la bêteLa prostitué sur la bête (5ème pièce)

Dans quatre cas, Saint Jean quitte son édicule pour effectuer une interaction avec un autre personnage.


Le Christ au glaive

Christ au glaive (1ère pièce)

Les âmes des martyrsAmes des martyrs (1ère pièce)

Dans un certain nombre de cas, il n’y a pas d’édicule : en général c’est pour permettre une interaction (exemple de gauche) mais pas toujours (exemple de droite).

Enfin, dans les pièces 2 à 4, six scènes sont inversées par rapport à la convention dominante : le Saint figure à droite (5 dans son édicule, 1 sans édicule).


Les deux témoinsLes deux témoins La mort des deux témoinsMort des deux témoins
Joie des hommes devant les témoinsDevant les témoins morts Les témoins ressuscitentLes témoins ressucités

Cet exemple isolé d’inversion (le seule dans la pièce 4) a une certaine valeur expressive : en rompant la continuité narrative, il attire l’attention sur l’irruption de la violence, et met en parallèle les témoins morts et les témoins ressuscités.



1373-77 Hennequin de Bruges Tenture d'Angers schema 1
Un panorama de l’ensemble montre bien l’écrasante supériorité de la formule dominante : à gauche dans un édicule. La pièce 2 concentre les inversions, comme si on avait envisagé d’alterner globalement la position du saint d’une pièce à l’autre, avant d’y renoncer.



1373-77 Hennequin de Bruges Tenture d'Angers schema 2
Dans les trois dernières pièces en tout cas, les inversions sont absentes.


Les Apocalypses du XVème siècle

Dans ces manuscrits somptueux, les artistes donnent libre cours à leur imagination et à leur virtuosité : les anciennes conventions sont remplacées par des part-pris spécifiques à chaque maître, voire à chaque manuscrit.

Nous n’allons présenter qu’un seul exemple, qui renouvelle complètement l’iconographie habituelle de la Femme de l’Apocalypse


L’Apocalypse de Jean de Berry [14]

1415 ca Morgan MS M.133 fol. 36v Femme et DragonLa Femme et le Dragon (fol. 36v) 1415 ca Morgan MS M.133 fol. 65v La Grande ProstitueeLa Grande Prostituée (fol. 65v)

Maître de L’Apocalypse de Jean de Berry ,France, vers 1415, Morgan MS M.133

L’artiste très original qui a réalisé ce manuscrit a comme parti-pris de représenter Saint Jean le moins souvent possible, et de faire l’impasse sur les détails habituels. Je résume ci-dessous l’explication lumineuse que donne Richard K. Emmerson de ces deux énigmatiques miniatures [15].

La Femme sans soleil

Dans celle de la Femme avec le Dragon, le maître a omis le soleil et les douze étoiles, mais mis en évidence son ventre de femme enceinte. Il a rajouté au centre trois mentions manuscrites : « notre dame » et « leglise » sous le ventre de la Belle, « dragon » sur le ventre de la Bête. Ces inscriptions confirment l’interprétation de la Femme de l’Apocalypse comme représentant à la fois Marie et l‘Eglise, menacées par le Diable. La couronne renforce l’interprétation mariale, tandis que la palme de martyre dans la main droite, le livre dans la main gauche, appuient l’ interprétation ecclésiale.

Pour Richard K. Emmerson, l’absence de soleil est relative au contexte politique du Grand Schisme, qui justement est en train de se terminer à l’époque du manuscrit : le dernier pape d’Avignon, Benoît XIII, est sur le point d’être déposé définitivement par le pape de Rome, Urbain VI. Or pendant son exil, Benoît XIII, autrement dit Pedro della Luna, s’était réfugié chez Louis II d’Anjou, l’oncle de Jean de Berry. Pour traduire sommairement cette image très politique : « l’Eglise aujourd’hui n’a plus de chef, mais un dragon qui attaque Pedro« 


La Femme sans étoiles (SCOOP !)

A l’appui de cette interprétation, ajoutons que les étoiles, que le dragon fait tomber du ciel avec sa queue, sont ici au nombre de douze : celles qu’il a volées à l’Eglise.


La Prostituée astrale

Trente feuillets plus loin, le maître insère une nouvelle iconographie pour la Grande Prostituée, juste avant l’image où elle chevauche la Bête écarlate. Ici, elle est assise sur une chaise curule, les pieds sur la Lune et un petit soleil coincé entre ses cornes démoniaques. Emmerson a montré que l’artiste prend à contre-pied le texte (le commentaire de l’Apocalypse par Berengaudus), qui compare pour les opposer la Prostituée à la Femme vêtue de Soleil : ici, l’image dit en somme que la Prostituée (l’Eglise de Rome) a volé les attributs de l’Eglise.

Cette interprétation politique est corroborée par le fait qu’une autre Apocalypse de la même époque (Maître des Médaillons, Ms 28 fol 100v, Musée Condé, Chantilly) reprend la même idée d’affubler la Grande Prostituée des attributs de la Femme de l’Apocalypse.



Les exemples que nous venons de voir montrent bien le dilemme des illustrateurs médiévaux de l’Apocalypse : la position naturelle de Saint Jean est à gauche, à la fois en tant qu’admoniteur et en tant que visionnaire. Mais le besoin de rompre la monotonie oblige à introduire minoritairement des inversions, parfois justifiées, souvent arbitraires.

Pour ceux qui s’intéressant à des conventions graphiques particulièrement sophistiquées, voir mon article détaillé sur la position de Saint Jeean dans les Apocalypses anglo-normandes, 3-4-2 : les Apocalypses anglo-normandes.



Références :
 [1] Pour un panorama général des attitudes de Saint Jean dans les Apocalypses de différentes époques, voir Richard K. Emmerson, « Visualizing the Visionary: John in his Apocalypse.” dans « Visions, Dreams and Insights in Medieval Art and Thought ». Ed. Colum P. Hourihane. Index of Christian Art series. Pennsylvania State University Press, 2010. pp. 148-76.
[2] « Les cycles apocalyptiques du Haut Moyen Âge, à propos de trois ouvrages récents » Yves Christe, Journal des Savants, Année 1977, 4, pp. 225-245 https://www.persee.fr/doc/jds_0021-8103_1977_num_4_1_1359
Pour une vue générale et plus récente des différentes familles de manuscrits, voir l’article de Richard K. Emmerson, « Medieval Illustrated Apocalypse Manuscripts » dans « A COMPANION TO THE PREMODERN APOCALYPSE. Ed. Michael A. Ryan.Leiden Brill 2016. Pp 21-66.
https://www.academia.edu/26039488/_Medieval_Illustrated_Apocalypse_Manuscripts._In_A_COMPANION_TO_THE_PREMODERN_APOCALYPSE._Ed._Michael_A._Ryan._Leiden_Brill_2016._Pp._21-66
[5] Apocalypse de Bamberg Msc. Bibl. 140 : http://nbn-resolving.de/urn:nbn:de:bvb:22-dtl-0000087130
[7] Codex de Fernando I et Dona Sancha https://www.wdl.org/en/item/10639/view/1/370/
[8] Mireille Mentré, Mireille Mentré, Création et Apocalypse, histoire d’un regard humain sur le divin, Paris 1984, p. 154.
[14] Apocalypse de Jean de Berry http://ica.themorgan.org/manuscript/thumbs/77026
[15] Richard K. Emmerson “On the Threshold of the Last Days: Negotiating Image and Word in the Apocalypse of Jean de Berry.” dans « Exploring the Threshold of Medieval Visual Culture ». Ed. Elina Gertsman and Jill Stevenson. Boydell and Brewer, 2012. Pp. 11-43.
https://www.academia.edu/12207835/_On_the_Threshold_of_the_Last_Days_Negotiating_Image_and_Word_in_the_Apocalypse_of_Jean_de_Berry._Exploring_the_Threshold_of_Medieval_Visual_Culture._Ed._Elina_Gertsman_and_Jill_Stevenson._Boydell_and_Brewer_2012._Pp._11-43

3-3-3 La Vierge au croissant : l'apparition à gauche

13 juin 2019

Les cas où la Vierge au Croissant apparaît à gauche sont si rares, qu’ils méritent chacun une étude particulière. Nous allons voir qu’on trouve presque toujours une forte raison expliquant l’exception à la règle.



Les parti-pris graphiques


Le manuscrit Morgan MS M.88

1370-80 Psalter-Hours, France, Morgan MS M.88 fol. 151r
Psaultier, 1370-80, France, Morgan MS M.88 fol. 151r

La Vierge de l’Apocalyse possède bien ses trois signes : les rayons, les douze étoiles, la lune à ses pieds.

La donatrice lui adresse en français sa supplique personnelle :

« GLORIEUSE VIERGE PUCELLE
QUI DE LA TRES DOUCE MEMELLE
E LATAS TOT TRES CHIERE ENFANS (allaitas ton très cher enfant)
FAIT MA CONCIENCE SI BELLE
QUE LA MOE ARME NE CHANCELLES (que mon âme ne chancelle)
IOUR DE MON TRESPACEMENT. »

Cette personnalisation très particulière a posé problème à l’artiste, qui a eu du mal à caser le texte dans l’espace entre les personnages, prévoyant en haut une cloison verticale qu’il n’a pas maintenue jusqu’en bas. Mais pourquoi a-t-il placé, contrairement aux habitudes, la donatrice à droite de la Vierge au croissant ?

Parmi les 35 miniatures du manuscrit, seules trois autres comportent des textes, inscrits cette fois sur des banderoles.



1370-80 Psalter-Hours, France, Morgan MS M.88 fol. 14r

Résurrection de Lazare (fol 14 r)

Du Christ à Lazare :

LAZARE VENI FORAS (Lazare, sors et viens)


1370-80 Psalter-Hours, France, Morgan MS M.88 fol. 15v
Entrée du Christ à Jérusalem (fol 15v)

Des habitants de Jérusalem à Jésus :

BENEDICTUS QUI VENIT IN NOMINE DOMINI (Béni soit ceui qui vient au nom du seigneur) :

Celui de gauche est en train d’enlever sa chemise, l’autre l’étend déjà sous les pieds de Jésus

Réponse de Jésus :

SI COGNUSTES EN DIEU (?) (ainsi vous avez reconnu Dieu)


1370-80 Psalter-Hours, France, Morgan MS M.88 fol. 165r
Annonciation aux Bergers (fol 165r)

De l’Ange aux bergers :

PUER NATUS EST NOBIS (Un enfant nous est né).

On constate que l’artiste respecte chaque fois la même convention : placer le locuteur à la droite de la parole qu’il profère (sauf sans le cas des habitants de Jérusalem, où la place libre est à droite).

Cette convention personnelle est si forte qu’elle l’amène à retourner l’image dans le sens inverse de la lecture : c’est à contresens que Jésus avance vers Lazare et rentre dans Jérusalem, que l’Ange descend vers les bergers et que la donatrice vient s’agenouiller devant la Vierge de l’Apocalypse.



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Un Livre d’Heures breton

Ce manuscrit comporte deux miniatures pleine page dans lesquelles des donateurs, laïques, figurent sur la droite :

Livre d'heures a l'usage de Rennes, 1420, Arsenal Ms-616 fol 129rFol 129r
Livre d'heures a l'usage de Rennes, 1420, Arsenal Ms-616 fol 150rFol 150r

Livre d’heures a l’usage de Rennes, 1420, Arsenal Ms-616 fol 13r 153v 161r

  • d’une Vierge de l’Humilité, accompagnée de deux anges musiciens et d’un ange chanteur ;
  • d’une Vierge au Croissant, encadrée par deux rideaux et deux anges musiciens, qui tend l’Enfant à huit anges en vol.

La présence des rideaux laisse supposer [0] que cette iconographie unique a été inspirée par un Mystère local.


Livre d'heures a l'usage de Rennes, 1420, Arsenal Ms-616 fol 13r 153v 161r
Livre d’heures a l’usage de Rennes, 1420, Arsenal Ms-616 fol 13r 153v 161r

Un donateur apparait encore à trois reprises dans le manuscrit, toujours à gauche et toujours à l’intérieur d’une lettrine.

Dans ce manuscrit, la position du donateur n’est pas déterminée par le caractère recto ou verso de la page, mais par le statut de l’image, pleine page ou lettrine.



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Les Heures de Daniel Rym

1420‒30 Book of Hours of Daniel Rym Walters Elizabeth van Munte Ms. W.166 fol 60r 61v1420‒30, Livre d’Heures de Daniel Rym, Walters Ms. W.166 fol 60r 61v

L’épouse du commanditaire, Elizabeth van Munte, est représentée agenouillée au bas de la page de droite. On remarquera qu’elle n’est pas en prières devant la Vierge au croissant proprement dite, mais devant une autre figure mariale portant trois couronnes, posée devant elle :  les trois fleurons transformés en bougeoir indiquent qu’il s’agit d’une statue. Cette solution de compromis marque bien l’embarras de l’illustrateur devant la vision sur la gauche, laquelle résulte d’une convention graphique du manuscrit : les treize miniatures pleine page qui ouvrent chaque heure se trouvent systématiquement à gauche.


1420‒30 Book of Hours of Daniel RymWalters Ms. W.166 fol 111vFlagellation, fol 110r 1420‒30 Book of Hours of Daniel RymWalters Ms. W.166 fol 112rFol 111v

Cette pleine page est la seule qui comporte un orant, placé du côté droit et qui mécaniquement prie vers la gauche : le cadre épais de la miniature exclut  la vision directe.


1420‒30 Book of Hours of Daniel RymWalters Ms. W.166 fol. 168v
Daniel dans la fosse aux lions, fol. 168v

A contrario, lorsqu’il s’agit de manifester la proximité du donateur avec son prophète éponyme, l’illustrateur l’inclut à gauche de la miniature pleine page qui lui est dédiée. Ce morceau de bravoure du manuscrit est particulièrement inventif :

  • les sept lions sensés dévorer Daniel sont montrés sous la forme de paisibles agneaux :
  • un ange amène par les chevaux le prophète Habacuc ;
  • pendant cette opération de ravitaillement par les airs, le garde s’endort sous son énorme bouclier.

Toute côté dramatique est évacué au profit d’un parti-pris d’embellissement :

  • la chaîne autour du cou du prisonnier complète élégamment son habit ;
  • le visage barbu et doré évoque probablement Dieu qui, dans le dos du garde et face au donateur, est le bouclier qui protège les deux Daniel ;
  • le donateur et le prophète se ressemblent d’ailleurs comme deux frères.



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1476 Der Graf von Waldburg kniet vor der Madonna im Strahlenkranz; illuminierte Seite aus dem Waldburg-Gebetbuch, WLB Stuttgart, Cod. brev. 1

Le comte de Waldburg devant la Vierge de l’Apocalyse
Waldburg-Gebetbuch, 1476, WLB Stuttgart, Cod. brev. 1.

On rencontre une situation comparable dans ce manuscrit, dont l’illustrateur obéit à une convention systématique : dans toutes les miniatures où il figure, le donateur est systématiquement placé à droite [1]


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1503 ca Hours of King James of Scotland James of Scotland Osterreichisches Nationalbibliothek, Vienne, ONB MS 1897 fol fol 24vLe roi Jacques IV d’Ecosse présenté par Saint Jacques priant devant Jésus, fol 24v p 56 1503 ca Hours of King James of Scotland Queen Margaret Osterreichisches National Library Vienne, MS 1897 fol 243vLa Vierge au croissant apparaissant à son épouse Margaret Tudor en prières, fol 243v p 500

Heures de Jacques d’Ecosse, vers 1503 Osterreichisches Nationalbibliothek, Vienne, ONB MS 1897

Ce manuscrit somptueux [2] est un cadeau du roi à son épouse, à l’occasion de leur mariage en 1503. Etrangement, les deux époux ne sont pas représentés en diptyque, et sont même éloignés, l’un au début et l’autre à la fin du livre.

Les deux images montrent le roi et la reine priant dans une chapelle privée, isolée par une grille. Mais les situations  sont en bien des points radicalement opposées.

Le roi prie devant un retable montrant le Christ en Salvator Mundi, éclairé par deux cierges allumés. Saint Jacques figure par rapport à lui dans la même situation que le Saint André du retable par rapport au Seigneur : en compagnon, en assesseur. Il ne s’agit pas d’une vision : simplement de la présence à ses côtés de son saint Patron en chair et en os, qui l’accompagne et garde la porte.

La reine prie devant un autel sur lequel se trouvent deux statues dorées représentant l’Annonciation. Les initiales entremêlées J et M, ainsi que le petit chien au pied de l’autel, témoignent de son amour pour son mari et de sa fidélité. Tandis que les trois cierges de la clôture sont ostensiblement éteints, le candelabre doré de l’autel porte au dessus de lui une Vierge au Croissant dans une mandorle dorée : comprenons que la Reine, par sa piété, voit la Madone lui apparaître dans la flamme du candélabre.


Un pendant distant (SCOOP !)

Le personnage derrière la reine n’est pas un saint, mais un diacre, sans doute son chapelain ou son directeur de conscience : tout comme Saint Jacques pour le roi, il joue un rôle d‘accompagnateur ; et de même que le couple saint Jacques/Jacques faisait écho au couple peint Saint André/Jésus, de même la couple diacre/Margaret renvoie au couple sculpté Ange/Marie.

La devise du devant d’autel complète celle qui était inscrite dans la miniature du Roi, pour former la devise de l’Ecosse :

« In My Defens God Me Defend » (Pour ma défense, que Dieu me défende)

On comprend alors pourquoi dans la miniature illustrant « Pour ma défense », ce sont des soldats qui montent la garde derrière la grille ; tandis que dans la miniature illustrant « que Dieu me défende », ce sont des enfants de choeur qui chantent pour faciliter l’apparition.

Ces symétries montrent que les deux miniatures ont bien été conçues en pendant, même si elles ne sont pas montées en diptyques : elles encadrent l’essentiel du texte, l’une entamant la devise d’Ecosse et l’autre la terminant :

  • le Roi est représenté en position d’honneur, à la droite du Christ en majesté qu’il a fait peindre ;
  • a Reine est représentée en position d’humilité, à la gauche de la Vierge à l’Enfant que sa piété lui fait voir.



Les panneaux votifs

1459 Pedro García de Benabarre Saint Vincent Ferrer with two Donors museu nacional d'art de Catalunya Barcelone
La Vierge au Croissant de Lune, Saint Vincent Ferrer avec deux donateurs
Pedro García de Benabarre, 1459, Museu nacional d’art de Catalunya, Barcelone

Ce panneau constituait le centre d’un retable dédié à Saint Vincent Ferrer et provient du couvent dominicain de Cervera (Segarra). Si célèbre que soit le Saint, il ne peut que figurer en position d’humilité, à gauche de la Vierge. Il est lui-même absorbé dans sa propre vision intérieure du Christ du Jugement, qui le toise sévèrement. Le texte qu’il montre est un extrait de l’Apocalypse :

Puis je vis un autre ange qui volait par le milieu du ciel, tenant l’Evangile éternel, pour l’annoncer aux habitants de la terre, à toute nation, à toute tribu, à toute langue et à tout peuple. Il disait d’une voix forte:  » Craignez Dieu et donnez-lui gloire, car l’heure de son jugement est venue ».

Apocalypse 14:6-7

« Timete Deum et date illi honorem: quia venit hora judicii ejus »

Saint Vincent Ferrer était célèbre pour ses sermons sur le Jugement dernier : l’image lui rend hommage en l’assimilant implicitement à Saint Jean pendant sa vision, et à l’Ange tenant le Livre.

Les donateurs se placent au pied du saint pour implorer l’Enfant : « Sauve-nous Seigneur Jésus », lequel leur répond « Je vous sauverai ».

Tout se passe comme dans un tableau votif ordinaire, avec les donateurs en position d’humilité présentés par un Saint Patron. Le sous-thème du Jugement a conduit à ajouter à Marie deux attributs apocalyptiques (le vêtement de soleil, le croissant sous les pied) mais l’absence des douze étoiles, la pomme qu’elle tient et sa très longue ceinture montrent qu’elle n’est pas que cela : lévitant sur son croissant, mais à hauteur du Saint et dans la même pièce que lui, elle est à considérer comme une présence réelle : l’apparition surnaturelle est ici celle du Christ du Jugement, dans sa mandorle de nuages.



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1495-1505 Sternberk Schlosskapelle
Vierge au croissant de lune avec un moine en prière
1495-1505, Chapelle du château de Sternberk, République tchèque

Le texte de la banderole implore l’intercession de Marie auprès de son fils (« Domina inquiere quia audit filius tuus. Ut … ab eo… inpetrabis »). L’Enfant répond favorablement en offrant sa pomme au moine.

Nous sommes ici encore devant un classique tableau votif : la Madone est habillée à la mode de l’Apocalypse, mais posée sur le sol, de plain pied avec le donateur.


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1489 Heures a l'Usage de Rome Jean du Pre reproduit dans Claudin tome 1 p 245
Heures à l’usage de Rome, Paris,
Incunable de Jean Du Pre, 1489

Selon A.Claudin qui reproduit cette gravure ([3], p 245), l’homme agenouillé « dans un pré » n’est autre que l’imprimeur Jean Du Pré lui-même, en position d’imploration (« Mater dei memento mei »). Il est clair que l’écu laissé en blanc pouvait être personnalisé par chaque acheteur : l’arbre verdissant auquel il est attaché illustre, en contraste avec l’arbre mort et le chien endormi, l’efficacité de la prière. Le dévot ne regarde pas la Vierge qui au loin veille sur la ville, derrière l’arbre et la banderole : il la contemple dans une vision intérieure, ce qui explique l’« infraction » à la convention du visionnaire.

Cette Vierge n’a d’ailleurs rien d’apocalyptique : c’est seulement une apparition céleste, entourée de rayons et de nuages. Elle figure une seconde fois en haut à gauche, cette fois dans un bateau qui symbolise Paris. Dans les bandes de gauche et d’en bas, huit femmes et deux prophètes accompagnent le donateur dans sa prière :

Glorieuse Vierge Marie
A toy me ren(d)s si te prye,
Que tu me veuilles ayder
En tout ce que iaray mestier (j’aurai besoin).
Doulce dame débonnaire
De tous bienfaicteurs exemplaire.


1489 Heures a l'Usage de Rome Jean du Pre reproduit dans Claudin tome 1 p 247
Litanies de la Vierge ([3], p 246)

La Vierge au croissant apparaît un peu plus loin dans le livre, cette fois comme symbole de l‘Immaculée Conception (comme le précise le texte).



Autres cas

Je n’ai trouvé que ces quelques cas tardifs dans laquelle la Vierge au Croissant apparaît à gauche (ou au dessus) du donateur : l’image a perdu toute notion de vision apocalyptique, et n’est plus qu’une représentation standard de l’Immaculée Conception.

1500-24 Mary with child in a mandorla, SS Hieronymus and Barbara with a founder coll privImmaculée Conception avec Saint Jérôme, Sainte Barbe et une donatrice
1500-24, collection privée

1525,_ Madonna_Immaculata_with_donor,_c._stained_glass_-_Museum_M_-_Leuven,_Belgium_-_DSC05000Immaculée Conception avec une donatrice 1525, vitrail, Museum M.Leuven, Belgique 

1517-50 Pieter Coecke van Aelst Coll priv

Triptyque de l’Immaculée Conception, entre saint Jean-Baptiste et un donateur
Pieter Coecke van Aelst, 1517-50, Collection privée

1500 Priester Hieronymus Winkelhofer. Lachmueller Haus Brixen

Immaculée Conception avec Saint Jérôme et le prêtre Hieronymus Winkelhofer
1500, Lachmueller Haus, Brixen

Dans ce dernier cas, la position du donateur à gauche s’explique par la place d’honneur laissée au Saint patron.



Références :
[0] Diane Booton, The Fifteenth-Century ‘School’ of Rennes Reconsidered, 2005, Gesta https://www.academia.edu/304299/The_Fifteenth_Century_School_of_Rennes_Reconsidered?email_work_card=view-paper
[2] On peut le consulter ici : http://data.onb.ac.at/dtl/3044203
[3] Anatole Claudin, « Histoire de l’imprimerie en France au XVe et au XVIe siècle », 1900, Tome Premier
https://www.enssib.fr/bibliotheque-numerique/documents/48796-histoire-de-l-imprimerie-en-france-au-xve-et-au-xvie-siecle-tome-premier.pdf

3-3-1 La Vierge au croissant : les origines

12 juin 2019

Avant de nous intéresser à la position du donateur devant une « Vierge au croissant », il est utile de rappeler rapidement la genèse de cette iconographie.

Au départ, la Femme de l’Apocalypse


940-945 Spain Beatus Morgan MS 644 fol. 152v (detail)
La Femme de l’Apocalypse
940-945, Espagne, Beatus, Morgan Library MS M.644 fol. 152v (détail)

L’illustration divise en trois le passage de Saint Jean :

« Un grand signe est apparu dans le ciel :

une femme, revêtue du soleil,

ayant sous ses pieds la lune, et,

autour de sa tête, une couronne de douze étoiles »

Apocalypse 12, 1

« Mulier amicta sole 

luna sub pedibus eius 

corona stellarum duodecim »

Les étoiles et le croissant apparaissent au dessus et en dessous des pieds de la Vierge, le soleil est traduit par deux couronnes crantées dont l’une passe devant et l’autre derrière ses vêtements [1].


1159-75 Hortus_deliciarum d'Herrade de Landsberg
1159-75, Hortus deliciarum d’Herrade de Landsberg, original détruit en 1870

D’autres artistes ont au contraire cherché à inclure les trois signes dans la figure même de la Femme : ici les douze étoiles sont des joyaux dans la couronne, le soleil est un cercle doré et la lune, croissant doré dans un cercle bleu, forme une sorte de véhicule céleste.


1265-70 Douce_Apocalypse_-_Bodleian_Ms180_-_p.043_Woman_and_the_dragon

1265-70, « Douce Apocalypse », Bodleian MS 180 fol 43

Moins fréquemment, la Femme est représentée allongée, et la croissant forme alors comme une protection tranchante contre le dragon.

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La Femme des Rothschild Chronicles

1290-1310 Rothschild Chronicles Beinecke MS 404 fol 63vfol 63v 1290-1310 Rothschild Chronicles Beinecke Rare Book and Manuscript Library, Yale University MS 404 fol 64rfol 64v

1290-1310, Rothschild Chronicles, Yale University, Beinecke MS 404

Probablement réalisé dans le Nord de la France ou les Flandres pour un religieuse influencée par les mystiques rhénans, ce manuscrit se compose d’une série de doubles pages : à gauche des citations disparates entourant une miniature représentant un spectateur ; à droite une vision extraordinaire en pleine page [2].


Les textes de gauche

Ici, autour de la miniature représentant Saint Jean, les citations sont :

  • le texte de l’Apocalypse 12:1,
  • l’antienne du Magnificat (Sanctificavit Dominus tabernaculum suum : quia hæc est domus Dei, in qua invocabitur nomen ejus de quo scriptum est)
  • un hymne grégorien (Benedictus es in templo sancto gloriae tuae, quod aedificatum est ad laudem et gloriam nominis tui, Domine.)
  • un extrait de la première Epitre aux Corinthiens 6:17 (« Qui adheret deo unus spiritus erit cum illo »)
  • un extrait de l’Ecclésiaste (« in omnibus requiem quesiui »)

La tonalité générale est donc non seulement d’associer la Femme de l’Apocalypse à Marie (par la prière du Magnificat), mais surtout d’insister sur le fait qu’elle est le Tabernacle, le Temple du Christ, le lieu où trouver le repos.


L’illustration de droite (SCOOP !)

1290-1310 Rothschild Chronicles Beinecke Rare Book and Manuscript Library, Yale University MS 404 fol 64r detail

L’image matérialise cette double identification : celle de la Femme de l’Apocalypse à Marie, et celle de Marie à l’Eglise.

D’une manière très originale, la Femme de l’Apocalypse est représentée en tant que Vierge du signe (la vierge Platytera byzantine) :

  • le soleil à douze rayons (celui en direction du visage est plus petit) représente donc à la fois l’extérieur et l’intérieur, le vêtement solaire  de la Femme de l’Apocalypse et le contenu utérin de la Vierge ;
  • la couronne évoque les douze étoiles de l’une par le nombre de pointes, et la couronne de l’autre par sa forme.

Soleil et lune (SCOOP !)

1290-1310 Rothschild Chronicles Beinecke Rare Book and Manuscript Library, Yale University MS 404 fol 64r detail astres

Les deux astres se différencient par la direction du visage situé à l’intérieur (celui de la Lune regarde vers la droite comme Marie), ainsi que par leur couleur (habituellement le croissant est doré comme le soleil).

Cet étrange croissant noir exclut l’association habituelle entre la Lune et la pureté de Marie (voire son Immaculée Conception [3]) : l’artiste a voulu insister sur le contraste entre un Jésus solaire et une Marie lunaire, celle-ci s’effaçant derrière celui-là (d’où les bras de la Vierge qui s’insèrent entre les rayons).

Nous retrouverons plus loin un autre exemple de cette association Lune/Marie et Soleil/Jésus, qu’induit parfois le texte chez les artistes les plus imaginatifs.


1325-30 Paolo_Veneziano_-_Madonna_and_Child_with_two_donrs accademia

 Madonna del Segno 
Paolo Veneziano, 1325-30, Accademia, Venise.

Un exemple de vierge Platytera un peu postérieur.



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1410-30 Heures de Bedford France BL Add_ms_18850_f207v

Heures de Bedford (France),1410-30, BL Add MS 18850 fol 207v

Dans cette page à vocation héraldique (armes de John, duc de Bedford et de son épouse Anne de Bourgogne), les deux médaillons marginaux montrent l’un la Femme de l’Apocalypse debout sur le croissant de Lune, l’autre une femme également couronnée, mais sans auréole et debout sur le globe terrestre : le Christ lui tend une chasuble blanche décorée d’un Soleil et d’une Lune.

Le texte en bas de l’image en donne la signification :

« La vision merveilleuse d’une Dame vêtue du Soleil et de la Lune et a une couronne de XII étoiles sur le chef »
« Ce signifie Sainte Eglise à laquelle Christ donna une robe avec le soleil + le monde et sous les pieds la Lune et les XII articles de la foy au chef ».

L’image a donc pour but d’expliquer graphiquement que la Femme de l’Apocalypse représente l’Eglise.

Cette interprétation va perdurer longtemps (en concurrence avec l’Immaculée Conception). Ainsi on trouve dans un texte de 1646 [4] la même explication pour les douze étoiles, mais la « lune sous les pieds », après le Concile de Trente, est vue désormais négativement :

« Le soleil qui l’environne, c’est le motif que la Foy doit avoir, qui doist être surnaturel. La Lune et un vray symbole de l’Hérésie qu’elle tient sous ses pieds comme son ennemie. La Couronne de douze Estoiles qui embellit son chef, c’est le Symbole des Apostres divisé en douze articles ».



L’invention de la Vierge de l’Humilité : Avignon

L’invention d’une nouvelle iconographie, celle de la Vierge de l’Humilité, est le préalable à l’apparition de la Vierge au Croissant.


1341 Simone-Martini-Virgen-de-la-Humildad-Ca--Avignon-Notre-Dame-des-Doms-Palacio

Vierge à l’Enfant avec le cardinal Giocomo Stefaneschi et deux anges
Simone Martini, 1336-40, intérieur du porche Nord de Notre Dame des Doms, Avignon

La plus ancienne Vierge de l’Humilité que nous ayons conservée est celle de Simone Martini en 1336-40 à Avignon (voir son analyse dans 5-1 …les origines), mais elle n’est pas la toute première. Il ne nous reste malheureusement aucun exemple du prototype, dont on sait qu’il avait été réalisé pour le lunette de portail d’entrée de la salle des Audiences du Palais des Papes ([5], p 91).


1341 Simone-Martini-Virgen-de-la-Humildad-Ca--Avignon-Notre-Dame-des-Doms-ensemble

De par son origine avignonnaise sous la contrainte d’une composition en tympan, la Vierge assise sur le sol va longtemps conserver sa forme de naissance, en s’inscrivant le plus souvent dans une lunette, ou sous une arcade évoquant une porte : sans doute parce que que cette forme ajoute mécaniquement à l’image une autre symbolique mariale, celle de la « porta coeli », la porte du Ciel.



L’invention de la Vierge de l’Humilité magnifiée : Naples

Le bouillonnement théologique de l’époque (disputes entre les Maculistes et les Immaculistes) a favorisé l’apparition très rapide de cette autre nouveauté iconographique influencée par la doctrine de l’Immaculée Conception : une Madone de l’Humilité enrichie certains attributs de la Femme de l’Apocalypse, l’ancienne iconographie se transfusant en quelque sorte dans la nouvelle [6] .

On ne sait pas par quel grand commanditaire la formule inventée à Avignon s’est transportée à Naples : c’est là en tout cas que ce sont conservés les plus anciens exemples de ces nouvelles Madones,   que Simi Varanelli a baptisées  « Vierges de l’Humilité magnifiées ».

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1345 Monument Giovanna d'Aquino San Domenico Maggiore Naples reconstitution

Monument de Giovanna d’Aquino, 1345, San Domenico Maggiore Naples (reconstitution)

Les médaillons sur le sarcophage montrent le Christ de pitié entre la Vierge et saint Jean (décoration fréquente à l’époque dans les monuments funéraires), séparés par des anges porteurs des armoiries bipartites du couple : la moitié humble de chaque écu affiche celles de la la famille de la défunte  (les d’Aquino) tandis que la moitié honorable  affiche celles  et de son second époux Ruggero Sanseverino.

La symétrie rigoureuse du sarcophage tranche avec la composition de la lunette, dont la moitié droite apparaît singulièrement vide.

 

 Une dissymétrie délibérée (SCOOP !)

1345_ca Roberto_d'oderisio,_madonna_dell'umilta_.,_da_s._domenico_maggiore Capodimonte

Vierge de l’Humilité « magnifiée »
Roberto d’Oderisio, vers 1345 , Capodimonte. Naples (provient de l’église San Domenico Maggiore)

La lunette, maintenant conservée au musée de Capodimonte, reprend les mêmes armoiries, mais cette fois dissociées.

Celles de l’épouse s’incluent entre la Vierge et le vase de lys, matérialisant une proximité recherchée avec la Vierge de l’Humilité. L’inscription du sarcophage décrit d’ailleurs la comtesse comme généreuse et dévote (HIC IACET CORPUS GENROSE ET DEO DEVOTE D(omi)NE IHOANNE DE AQUINO…).

Les armes de l’époux, expulsées à l’extrême gauche, montent que le croissant de lune doit être vu comme un attribut indissociable de la Madone.

 

1345_ca Roberto_d'oderisio,_madonna_dell'umilta_.,_da_s._domenico_maggiore Capodimonte schema

 Une fois exclues les portions latérales, une nouvelle symétrie apparaît, dans laquelle le croissant fait pendant au couple écu-vase, chaque moitié étant surplombée par six anges.


 Un unicum iconographique

Il est tentant d’associer les deux groupes d’anges aux deux mots situés juste en dessous, qui exprimeraient leur louange.

L’inscription « Mater omnium » (Mère de tous). est un unicum iconographique. Dans une étude exhaustive , Nicolas Bock [6a] a montré que dans les textes théologiques l’expression désigne quatre notions différentes (Eve, Jérusalem, la Sagesse, la Terre), dont aucune n’a de rapport direct avec l’image. Le plus probable est l’association d’idée avec Eve, du fait que la Vierge est représentée allaitante.

Graphiquement, le mot « Mater » s’inscrit dans une constellation sémantique cohérente,  du côté de la Lune, du Lait et de l’Enfant.

 

1345_ca Roberto_d'oderisio,_madonna_dell'umilta_.,_da_s._domenico_maggiore Capodimonte detail vase

Réciproquement le mot « Omnium » gouverne la moitié « vide », occupée par la représentation idéale de la défunte et par le vase dont la tige fleurie émergeant sur le ciel d’or et les deux griffons imbriqués dans le sol prennent ici, au delà du symbolisme habituel de l’Annonciation, une valeur d’emblème :  celle des âmes pures qui se sont isolées du mal. 

 

Une « magnification » partielle

Cette image est la toute première Madone de l’Humilité magnifiée conservée à Naples : les rayons de lumière sont bien présents, striant la totalité du fond d’or. C’est aussi la seule qui présente un croissant de lune. Mais il lui manque les douze étoiles : les douze anges en seraient-ils un substitut ?


1345_ca Museo diocesano monreale
Vierge de l’Humilité « magnifiée »
Ecole de Roberto d’Oderisio, Museo diocesano, Monreale, Sicile

Cette autre Madone permet d’exclure l’idée : les deux groupes d’anges y apparaissent en même temps que les douze étoiles.

Si Roberto d’Oderisio a omis les douze étoiles, c’est sans doute justement pour éviter la confusion avec la Femme de l’Apocalypse : les rayons sont à peine visibles sur le fond d’or, et l’ajout de la Lune est fortement lié, comme nous l’avons vue, avec le texte « Mater omnium » et la nécessité graphique d’équilibrer l’écu et le vase.

Les signes apocalyptiques apparaissent donc bien  comme des symboles  additionnels de pureté, permettant d’enrichir de manière modulaire la Vierge de l’Humilité.

Les autres Madones napolitaines vont suivre  un choix différent : les rayons et les douze étoiles, mais sans la Lune.



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1346 Bartolomeo_da_Camogli,_Madonna_dell'Umilta Galleria_Regionale_della_Sicilia,_Palermo,

Vierge de l’Humilité « magnifiée »
Bartolomeo da Camogli, 1346, Galleria Regionale della Sicilia, Palerme

Dans une ambiance nocturne, la Vierge daigne s’asseoir non seulement ici-bas, mais ici-noir, apportant à la Terre sa clarté. A noter le caractère radical et abstrait de la Vierge de l’Humilité  à ses débuts : bientôt on rajoutera un coussin et une pelouse fleurie.

Les trois registres affichent de haut en bas les trois moments-clés de l’humilité et de la maternité de Marie :

  • la conception de Jésus, au moment de l’Annonciation, où elle se déclare la servante du Seigneur ;
  • l‘allaitement de l’Enfant, comme toute mère sur terre (l’image du lait blanc, intact de la souillure du péché originel, fait de la Madonna lactans une icône des Immaculistes) ;
  • la Passion de Jésus lors de laquelle elle souffre à nouveau comme une mère, évoquée par les instruments de la Passion autour desquels se recueillent dévots, devotes et pénitents – les membres de la Confraternité des Disciplinati di San Niccolo Reale, parmi lesquels on reconnaît deux reines à leur couronne ([6], p 99).

Le succès de la Vierge de l’Humilité « magnifiée », qui mixte la pose la plus humble (assise par terre) et les signes de la Royauté, tient probablement au goût médiéval pour les oxymores

D’autant plus sublime qu’elle est humbleRichard de Saint Victor ([7], p 153) quanto humilior, tanto sublimior



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1350-55 Maestro_delle_Tempere_francescane_ Madonna_dell'Umilta_con_san_Domenico_e_donatore,_Capodimonte

Vierge de l’Humilité « magnifiée » avec un dominicain présenté par Saint Dominique
Maestro delle Tempere francescane, 1350-55, Capodimonte, Naples (provient de l’église San Domenico Maggiore)

Dans cette copie très proche, le couple de religieux est monté dans le panneau trilobé : la supériorité hiérarchique de Saint Dominique se traduit par une différence de taille avec celle du moine qu’il présente à Marie. Pour Emma Simi Varanelli, ce dernier pourrait être Giovanni Regina da Napoli, ([5], p 119), un prédicateur dominicain qui aurait ramené à Naples, de ses études à Paris et de ses séjours à Avignon, une certaine adhésion au thème initialement franciscain de l’Immaculée Conception, ou tout du moins à son iconographie.

La position à gauche des deux religieux fait écho avec celle de l’Ange par rapport à la Vierge de l’Annonciation, dans les écoinçons.


L’Immaculée Conception (SCOOP !)

1350-55 Maestro_delle_Tempere_francescane_ Madonna_dell'Umilta_con_san_Domenico_e_donatore,_Capodimonte detail
Dans cette scène de l’Annonciation, la Vierge en miniature est clairement distinguée de la Femme de l’Apocalypse : dix huit étoiles sur l’auréole, manteau et voile blanc cachant son manteau bleu. L’idéologie de la blancheur marque aussi le livre, les lys et la colombe : au moment précis de la Conception, la Vierge est bien immaculée.


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1350-55 ecole de Roberto_d'oderisio Sab Domenico Maggiore Napoli
Vierge de l’Humilité « magnifiée »
1350-55, école de Roberto d’Oderisio, San Domenico Maggiore, Naples

Dans la même église, une fresque montre la Madone avec les douze étoiles, cette fois incrustées sur sa robe.


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1350-55 Madonna del Soccorso ou de Lepanto San Pietro a Majella Napoli 1350-55 San Pietro in Majella Napol detail

Madonna del Soccorso ou de Lépante
1350-55, église San Pietro a Majella, Naples

Cette Madone considérée comme miraculeuse a seulement des rayons,mais présente un détail iconographique très particulier, les deux anneaux, sur lequel je reviendrai plus loin.



La Vierge au Croissant complète : la Madone de Modène

1349-50 Serafini Paolo da Modena Galleria Estense, Modena

Vierge de l’Humilité avec un donateur dominicain
Fra Paolo Serafini da Modena, 1373, Galleria Estense, Modène

Ce panneau renouvelle celui de San Domenico Maggiore (1350-55) : un dominicain à genoux devant une Vierge cette fois totalement magnifiée, avec son croissant de lune. Cette adjonction est l’occasion de revisiter une iconographie maintenant totalement installée, en lui donnant une profondeur nouvelle. Conçu par un peintre dominicain pour un autre dominicain (inconnu), ce panneau manifeste dans ses détails une grande acuité graphique et théologique, qui en fait une sorte de summum de l’iconographie de la Vierge au croissant de lune.

Je m’appuie ci-après sur l’interprétation, totalement oubliée aujourd’hui, de l’avocat Pietro Bortolotti en 1874 (une époque où la rareté des oeuvres faisait qu’on avait le temps de les regarder en détail).


La Femme de l’Apocalyse

Les trois attributs apocalyptiques sont bien présents dans le tableau :

  • la lune sous les pieds ;
  • le halo solaire (ici représenté par un arc en ciel) ;
  • les douze étoiles, bien cachées dans l’auréole de la Vierge (et non dans le firmament étoilé qui englobe le moine et l’apparition).

Le dominicain devant la Vierge se place donc implicitement dans la position de Saint Jean devant la Femme de l’Apocalypse, et affirme que cette Femme et la Vierge sont bien la même personne.

Sa position à gauche, convention du visionnaire, est ici renforcée par celle de l’Ange dans l’Annonciation des écoinçons.


Une Vierge de l’Humilité

1349-50 Serafini Paolo da Modena Galleria Estense, Modena detail
A ses attributs de Femme de l’Apocalypse, la Madone ajoute ceux de la Vierge de l’Humilité : assise sur le sol, et allaitante. Pour bien signaler au spectateur la combinaison toute récente des deux iconographies, l’artiste a jugé bon cette fois de préciser la seconde dans l’inscription :

LA NOSTRA DONNA D UMILITA – MCCCLXXIIII
F(rater) PAVLVS DE MVTINA FECIT ORD(inis) P(rae)DIC(atorum) – I(n) DIE NAT(ivitatis)


La lune naissante

La lune dorée et noire, qui empiète avec insistance sur le cadre, a nécessairement ici une signification lourde. Sa forme est celle du premier croissant (les pointes dirigées vers la droite). Cette lune naissante symbolise-t-elle l’Enfant ? Ou bien a-t-elle à voir avec la date du tableau mentionnée dans l’inscription -Le jour de la Nativité ? Je pense que Bortolotti a mis le doigt sur la bonne explication, en remarquant que cette figure rend le croissant lumineux ou obscur selon qu’il est vu du ciel ou de la terre  :

« (cette) signification particulière et cachée se comprend facilement, s’agissant d’une Vierge de l’Humilité : laquelle cache jalousement à la Terre et ne dévoile qu’au Ciel la splendeur de sa vertu. Ce que la nouvelle lune a de particulier, c’est qu’en s’interposant dans sa conjonction héliaque entre la Terre et le Soleil, elle présente à celui-ci sa face lumineuse et à celle-là sa face obscure ». ([8], p 407 )


Le disque noir

1349-50 Serafini Paolo da Modena Galleria Estense, Modena lunesoleil
Bortolotti a encore raison de noter que le croissant de lune ne s’inscrit pas à l’intérieur, mais bien à côté d’un disque noir, en lequel il propose de voir le Soleil occulté par la Lune lors d’une éclipse. Véritable symbole « lunisolaire », ce graphisme évoque donc à la fois la Vierge d’Humilité, dans sa partie lumineuse, et la Vierge-mère, dans sa partie noire, celle qui cache encore le Christ, Soleil de Justice prêt à naître. Nous sommes là très proches de vers d’un exact contemporain du tableau :

Vierge belle, vêtue de lumière,
couronnée d’étoiles, au Soleil le plus haut
si plaisante qu’il a caché en toi sa lumière,
Amour m’inspire de chanter tes louanges

Pétrarque, Canzoniere, Canzone XXIX (1358-1374)

Vergine bella, che di sol vestita,
coronata di stelle, al sommo Sole
piacesti sí, che ’n te Sua luce ascose,
amor mi spinge a dir di te parole.


Les deux anneaux nuptiaux

1349-50 Serafini Paolo da Modena Galleria Estense, Modena double anneau
Bortolotti fait remarquer que les deux bagues sont une rareté iconographique, d’autant plus pour une Madone de l’Humilité. Dans l’immense majorité des cas, la Vierge n’en porte aucune, eu égard justement à sa virginité.

Selon Bortolotti, l’anneau de la main gauche représente ici

« …le très chaste mariage avec son époux terrestre Joseph ; qu’ensuite celui de l’annulaire droit soit le signe d’un mariage céleste est bien connu, et accepté depuis l’Antiquité. Ainsi le portaient les vierges sacrées, en signe de la spiritualité de leurs noces… ainsi le figurèrent pour la même raison les peintres dans le mariage mystique de Sainte Catherine <d’Alexandrie>: c’est à l’annulaire droit que le saint Enfant passe l’anneau céleste« . ([8], p 422 et ss)


Une Vierge dominicaine (SCOOP!)

Cette interprétation anneau gauche/terrestre, anneau droit/céleste est confortée, selon moi, par le contexte dominicain du tableau. Cet ordre, grand promoteur du motif de la Vierge de l’Humilité, comptait alors dans ses rangs la plus célèbre mystique d’Italie, Catherine de Sienne. Or c’est en 1365, huit ans avant le tableau, que celle-ci, s’identifiant avec Sainte Catherine d’Alexandrie, a vécu la vision que raconte ainsi son biographe :

« La Vierge, Mère de Dieu, prit avec sa main très sainte la main de notre vierge, en étendit les doigts vers son Fils et lui demanda qu’il daignât épouser Catherine dans la foi. Le Fils unique de Dieu, faisant un signe tout gracieux d’assentiment, présenta un anneau d’or, dont le cercle était orné de quatre perles, et dont le chaton renfermait un diamant d’incomparable beauté. Avec sa main droite, il mit cet anneau à l’annulaire de la main droite de notre vierge et lui dit : « Voici que moi, ton Créateur et ton Sauveur, je t’épouse dans une foi que tu conserveras sans aucune atteinte  » jusqu’au jour où tu célébreras, dans les cieux avec moi, des noces éternelles. » « La vie de Sainte Catherine de Sienne », Raymond de Capoue, 1385-95


1460 Giovanni di Paolo le mariage mystique de Catherine de Sienne MET

La vision de Catherine de Sienne
Giovanni di Paolo, 1460, MET, New York

A la date du tableau, cette vision était déjà connue dans les milieux dominicains par les lettres de Catherine de Sienne :

1460 Giovanni di Paolo le mariage mystique de Catherine de Sienne MET detail

l’extraordinaire détail des deux anneaux prend très certainement sa source dans cette actualité brûlante.

 

Vie céleste et vie terrestre (SCOOP !)

Bortolotti fait remarquer que Marie tient l’Enfant de la main droite (celle de l’anneau céleste) tandis que sa main « terrestre » reste inerte, comme frappée d’une sorte d »hémiplégie » : il y voit le symbole assez obscur de la double nature de Marie, à la fois Mère (côté céleste) et Vierge (côté terrestre).

 

1349-50 Serafini Paolo da Modena Galleria Estense, Modena vide
Si on ajoute le fait que l’enfant tient de la main droite le sein droit de Marie, et que la moitié à droite de Marie accumule, au détriment de l’équilibre de l’ensemble, les lourdes présences du donateur, du nom du peintre et du symbole lunaire, il devient évident que l’ensemble de la composition est conçu selon un principe de dextralité qui dépasse largement la dialectique Mère/Vierge.

Le grand espace à gauche de Marie ne contient que les pieds de l’Enfant et la date du tableau (le jour de la Nativité) : autrement dit la scène humaine, encore vide mais déjà baignée par la lumière divine, sur laquelle va se dérouler la vie terrestre du Christ.

Tandis que le donateur s’est déjà placé dans la moitié opposée, à la limite de la mandorle divine mais la tête dans les étoiles, « au dessus » de la lune : du côté de la vie céleste.

 

Les pilastres orientaux

Les deux pilastres latéraux sont décorés d’orfroi, longues bandes de broderie très à la mode à l’époque, prisées à la fois pour leur caractère luxueux et pour leur touche exotique.

 

1349-50 Serafini Paolo da Modena Galleria Estense, Modena galons

Bortolotti a tenté de le faire déchiffrer par des arabisants, qui ont cru reconnaître des inscriptions coraniques, mais sans certitude. Ce qui est certain en revanche, c’est que les deux pilastres affichent exactement le même texte, mais inversé : comme si Fra Paolo avait soigneusement recopié, sans le comprendre, un galon oriental qu’il avait sous les yeux. ([8], p 438 et ss)

 

1285 Duccio Madone Rucellai Offices detailjpg
Madone Rucellai
Duccio, 1285, Offices, Florence

Ce type de décoration exotique se retrouve déjà dans des Madones antérieures : par exemple le galons en pseudo-couffique du drap d’honneur, du coussin et de la robe de la Madone Rucellai de Duccio

Je pense quant à moi que leur position « hors l’image », sur la face externe de l’arcature et sous les chapiteaux corinthiens, prend elle-aussi une signification particulière dans le contexte des dominicains, grands propagateurs de la Foi : glorifier la Madone en repoussant dans le décor les fastes des adversaires qu’elle éclipse : le païen et le musulman.


L’évolution de l’iconographie : dans les Marches

Cette région a conservé une exceptionnelle série qui permet de suivre précisément, sur un demi-siècle, l’évolution de la Vierge de l’Humilité magnifiée.

1359 Francescuccio Ghissi Pinacoteca FabrianoFrancescuccio Ghissi, 1359 (provenant de l’église San Domenico), Pinacothèque de Fabriano 1366 Allegretto Nuzi, madonna dell'umilta Pinacoteca Civica San Severino Marche.Allegretto Nuzi, 1366, (provenant de l’église San Domenico), Pinacothèque de San Severino Marche

Vierge de l’Humilité magnifiée

La Madonna lactans de Ghissi signée et datée (FRANCISCUTIUS CICCHI FECIT HOC OPUS), est la toute première conservée dans les Marches. Elle recopie certainement un modèle antérieur, aujourd’hui disparu, de son maître Allegretto Nuzi. Les douze étoiles sont absentes, mais elles apparaissaient probablement sur le fond d’or, repeint plus tard avec un ciel bleu et un mur en faux marbre. Le brocard rouge comporte le motif d’un oiseau posé sur un cep de vigne, évocation originale du Christ en Croix et de l’Eucharistie.

A la Madone de Nuzzi en revanche, il manque les rayons solaires. La lune est posée sur la tranche ou figurent la signature et la date (ALEGRITTUS NUTII DE FABRIANO ME PINXIT ANO D LX- VI), Un motif de grappes décore le manteau bleu.


1374 Francescuccio Ghissi Chiesa di Sant'Andrea Montegiorgio

Vierge de l’Humilité magnifiée
Francescuccio Ghissi, 1374 , Eglise de Sant’Andrea, Montegiorgio (photo Riccardo Garzarelli)

En ajoutant l’Ange à genoux devant la Vierge assise, Ghissi joue ostensiblement avec l’iconographie de l’Annonciation : sous les figurines à mi-corps des médaillons, les figures à taille réelle développent l’idée que la Lactation est la conséquence de la Conception, et que la Vierge de l’Humilité est la figure exaltée de la Vierge servante. Le lien logique entre les deux scènes est triplement affirmé :

  • par l’auréole de la Vierge, sur laquelle est inscrite la salutation angélique ;
  • par le diadème de roses de l’Ange, qui développe la palme de l’ange de l’Annonciation ;
  • par l’Enfant, qui réalise le livre.

Les signes de la Femme de l’Apocalypse sont maintenant tous trois présents : les rayons de lumière et les douze étoiles gravés dans le fond d’or, le croissant de lune posé sur l’arrête entre le sol rose et le bandeau noir, où figure la signature du peintre et la date :

« Hoc opus fecit et depinsit Franciscutius Ghissi de Fabriano sub anno MCCCLXXIV

Une inscription sur le côté ne laisse aucun doute sur le caractère marial de la Lune :

Elle est belle comme la Lune Pulchra est ut luna

De même que la Vierge est descendu s’asseoir sur Terre, de même le croissant (« falce di luna », faucille de la lune) est venu percuter comme une lame la frontière entre le monde idéal et le monde sublunaire



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1372 Andrea_da_bologna,_madonna_dell'umilta Pinacoteca parrocchiale (Corridonia)
Vierge de l’Humilité magnifiée
Andrea da Bologna, 1372, Pinacoteca parrocchiale, Corridonia

Après la période d’assimilation de la nouvelle formule, devenue maintenant mécanique et décorative, ce panneau sonne comme un rappel de l’intention originale : représenter Marie en Femme de l’Apocalypse, ainsi que le précise au spectateur la citation d’Apocalypse 12, 1 inscrite sur la première marche. Les douze étoiles sont ici intégrées à la couronne.



1372 Andrea_da_bologna,_madonna_dell'umilta Pinacoteca parrocchiale (Corridonia) detail
Pour le vêtement de soleil, l’artiste a préféré aux rayons une illustration plus littérale : il a décoré le tissu de la robe de petits motifs solaires, plus un grand médaillon à l’encolure.


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Dans les deux dernières oeuvres de la série des Marches que nous allons voir maintenant, les signes proprement apocalyptiques sont minimisés ou supprimés, tandis que de nouveaux signes prennent de l’importance : la couronne de la Reine des cieux remplace la couronne aux douze étoiles de la Femme de l’Apocalypse, et l’évocation de la Passion devient systématique.


1375-1400 Carlo da Camerino Chicago Art Institute
Vierge de l’Humilité magnifiée
1375-1400, Carlo da Camerino, Chicago Art Institute [9]

En traçant avec précision vingt et une pointes à la couronne, l’artiste a pris grand soin d’évacuer la référence à la Femme de l’Apocalypse : cette couronne est celle de la Reine des Cieux, qui règne sur la trentaine d’angelots qui l’escortent, tandis que l’environnent, gravés dans le fond d’or, des extraits de l’Ave Maria et du Salve Regina. Des motifs de pélican (évoquant le sacrifice du Christ) constellent la robe bleue. Enfin, Le grand médaillon solaire tend à former couple avec le croissant lunaire, évoquant les rôles de Jésus et de Marie (l’un qui rayonne, l’autre qui réfléchit la lumière). Cependant, cette métaphore ne se développera pleinement qu’à Venise et dans un tout autre contexte : celui du Couronnment de la Vierge (voir ZZZ).

Tout se passe en somme comme si la représentation de la Madone évoluait en agglomérant les apports successifs de différentes iconographies, en éliminant les redondances (les douze étoiles, redondantes avec la couronne) et en infléchissant les significations (la lune, vue de plus en plus comme la complémentaire du soleil).


La force propre des trois signes (SCOOP !)

1400 ca Olivuccio_di_Ciccarello_da_Camerino_-_The_Madonna_of_Humility_with_the_Temptation_of_Eve Cleveland Museum of Arts

Vierge de l’Humilité magnifiée avec la tentation d’Eve
Olivuccio di Ciccarello da Camerino, vers 1400, Cleveland Museum of Arts

La charge symbolique des trois signes est si forte que certains artistes leur donnent parfois une signification originale.



1400 ca Olivuccio_di_Ciccarello_da_Camerino_-_The_Madonna_of_Humility_with_the_Temptation_of_Eve Cleveland Museum of Arts schema

  • Les douze étoiles sont ici associés aux douze apôtres (ce qui fait de la Vierge une métaphore de l’Eglise) ;
  • Le soleil, détaché de son rôle de vêtement, trône au dessus de l’archange Gabriel (qui évoque ici l’Annonciation) : on peut s’étonner de cette disposition étrange jusqu’à ce qu’on s’avise qu’elle fait écho à l’écu situé sur le coin opposé : une étoile au dessus d’une aile (armes de la famille Rogeroli) ;
  • de même, le croissant « éteint », écrasé contre le cadre et en opposition avec les deux saints guerriers Michel et Georges, prend nettement ici sa signification négative : inconstance, obscurité, froideur : associé à la figure d’Eve juste en dessous, il représente clairement le péché foulé aux pieds par Marie.

L’acception négative de la lune dans cette iconographie est attesté par certains théologiens : ainsi Saint Bonaventure explique la femme vêtue de soleil comme « décorée par la divine clarté (ornata divinitatis claritate) » et la lune comme « l’inconstance des choses temporaires (lunam, temporalium mutabilitatem) » ([7], p 154).


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1410-20 Olivuccio di Ciccarello da Camerino Walters Arts Gallery Baltimore

Vierge de l’Humilité magnifiée entre saint Pierre, saint Paul, Saint Jean-Baptiste et Saint François
Olivuccio di Ciccarello da Camerino, 1410-20, Walters Arts Gallery Baltimore [10]

Dans ce dernier exemple de la région des Marches, seul le croissant de lune et de discrets rayons rappellent encore la Femme de l’Apocalypse. Le texte de l’auréole fait allusion à la Marie de l’Annonciation et la couronne à sa qualité de reine des cieux, adorée par les quatre évangélistes des médaillons. La Passion est annoncée par deux détails : le classique chardonneret, et le pied de l’Enfant que la Madone protège de sa main, comme pour lui éviter le clou.



La Vierge de l’Humilité magnifiée : à Venise


1366-70, Lorenzo Veneziano National Gallery Londres

Vierge de l’Humilité magnifiée entre Saint Marc et Saint Jean Baptiste
Lorenzo Veneziano, 1366-70, National Gallery, Londres

La présence de Saint Marc affirme le caractère vénitien de ce petit retable. Le panneau de Saint Jean Baptiste porte l’inscription habituelle (« ecce agnus dei qui tollis peccata mundi » suivie du mot « Miserere », Prends Pitié de nous, qui renvoie à un objet de dévotion privée.

Les attributs apocalyptiques sont présents, mais excessivement discrets : le croissant de lune pourrait passer pour un galon du manteau ; les douze étoiles, réparties irrégulièrement, se dissimulent le long de la corniche ; et les rayons sont peu marqués dans le fond d’or.


1366-70, Lorenzo Veneziano National Gallery Londres detail enfant

L’Enfant cache complètement dans sa main le sein de Marie : seul les initiés peuvent reconnaître une « virgo lactans ». Le médaillon pendu au cou, preque effacé, affichait un emblème solaire. A remarquer le détail rare de l‘anneau nuptial porté seulement à la main droite, qui confirme ce que nous avions déjà noté à propos de Giovanni de Modène : il souligne la nature purement céleste du mariage marial.



1366-70, Lorenzo Veneziano National Gallery Londres detail

S(AN)C(T)A / MARIA D’UHS/ MILITADE

La Vierge est assise sur un talus herbeux, les deux saints étant debout sur la plaine.

Le titre, coupé sur les deux pentes du talus , associe graphiquement le mot Sancta à la lune, faisant de celle-ci un emblème de pureté (comme une seconde auréole déposée sur le sol).

Le peintre a produit avant tout une Vierge de l’Humilité, auxquels les attributs apocalyptiques s’adjoignent secondairement,à titre presque uniquement décoratif.


1375 ca Atelier Lorenzo Veneziano H. Blasius H. Helena Bonnefantenmuseum, Maastricht

Vierge de l’Humilité « magnifiée entre Saint Blaise et Sainte Hélène
Atelier de Lorenzo Veneziano, 1365-75, Bonnefantenmuseum, Maastricht

On retrouve les mêmes tendances dans cette oeuvre d’atelier, qui montre que la formule a dû faire l’objet d’une production en série, adaptée à chaque commanditaire : le saint et la sainte ont été choisis en écho au couple de donateurs. Ici la lactation est révélée par le geste de l’Enfant, lâchant le sein pour le bouquet.


Une lune couchée (SCOOP !)

1375 ca Atelier Lorenzo Veneziano H. Blasius H. Helena Bonnefantenmuseum, Maastricht detail

Dans ce panneau pas de rayons, pas de médaillon solaire, ni d’étoiles : la présence du seul croissant de lune, couché par terre sous les pieds du donateur et entre les souliers rouges bien visibles de Marie, suggère que dans le contexte vénitien le croissant a pu être interprété par les laïcs d’une manière inversée : non comme un emblème positif de l’Immaculée Conception, mais comme l’emblème négatif des Turcs vaincus par la Chrétienté.


1400 ca Anonyme venitien ou dalmate, Retable de la Vierge National Gallery, Londres, NG 4250 Vierge

Retable de la Vierge Marie
Maître d’Helsinus (vénitien ou dalmate), vers 1400, National Gallery, Londres, NG 4250
Cliquer pour voir l’ensemble

Ce retable plus tardif est intéressant, car il confirme rétrospectivement plusieurs points :

  • l’image de la « Vierge de l’Humilité magnifiée » est bien comprise désormais comme une image explicite de l’Immaculée Conception (même si Marie n’allaite pas) : les panneaux de droite du retable relatent en effet deux histoires que le Légende Doré relie explicitement a l’Immaculée Conception [11]
  • la tradition vénitienne préfère illustrer le signe « vêtue de soleil » par un médaillon pendu au cou plutôt que par des rayons ;



1400 ca Anonyme venitien ou dalmate, Retable de la Vierge National Gallery, Londres, NG 4250 Vierge detail medaillon
Ce médaillon rayonnant est ici lunisolaire, tandis que le croissant minuscule et obscur, aplati sous le soulier droit de Marie, revêt un caractère résolument négatif.


La Vierge de l’Humilité magnifiée : en Espagne


1359-62 Jaime Serra Virgen de Tobed con Enrique II de Castilla y la reina Juana Manuel, Prado Madrid

Vierge de Tobed avec Enrique II de Castille, son fils le futur Juan Ier de Castille, la reina Juana Manuel et une fille (Juana ou Leonor)
Jaume Serra, 1359-62, Prado, Madrid

Dans ce retable de grand luxe, les membres de la famille royale, tous quatre couronnés, entourent une Madone de l’Humilité allaitante, nouveauté tout juste importée d’Italie. Les deux hommes sont en armure, leur casque posé sur le sol devant eux ; les deux femmes font montre du même mimétisme : même chevelure blonde, mêmes bijoux, même robe fourrée d’hermine. Ainsi la Madone se porte garante de la continuité de la dynastie.

L’amusant est qu’à la date de la commande du retable, Henri de Trastámara était seulement le bâtard du roi Alphonse XI de Castille : il se sera proclamé roi qu’en 1366, et ne le deviendra effectivement qu’en 1369, après avoir tué son demi-frère Pedro I de Castille dans un duel au couteau , grâce à un coup de pied opportun de Duguesclin (« Je ne fais ni ne défais de roi, j’aide mon seigneur » ). [12]



1359-62 Jaime Serra Virgen de Tobed con Enrique II de Castilla y la reina Juana Manuel, Prado Madrid detail
Les dix ou onze motifs floraux de l’auréole de la Vierge, analogues à ceux des anges, peuvent difficilement passer pour des étoiles : tout se passe au début comme si les Espagnols appréciaient surtout la part émotionnelle de la nouvelle iconographie (la Vierge allaitante) en rechignant à adopter sa part apocalyptique.


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1365 ca Workshop_of_Llorenc_Saragossa_-Saint_Clare_and_Saint_Anthony_the_Abbott_Museu Nacional d'Art de Catalunya

Vierge à l’Enfant avec Sainte Claire, Saint Marthe, Sainte Lucie et Saint Antoine
Atelier de Llorenc Saragossa, vers 1365, Museu Nacional d’Art de Catalunya, Barcelone, provenant de l’église de Torroella di Montgri

Cette Vierge au lait, la première en Espagne a montrer clairement les douze étoiles et le croissant de lune, trahit néanmoins les hésitations de l’artiste à adopter pleinement la formule italienne : il prend le coussin de la Vierge de l’Humilité, mais la cale quand même dans un trône !



1365 ca Workshop_of_Llorenc_Saragossa_-Saint_Clare_and_Saint_Anthony_the_Abbott_Museu Nacional d'Art de Catalunya detail
Comme dans le panneau de Capodimonte, la Vierge miniature de l’Annonciation se distingue par l’absence des attributs apocalyptiques. La colombe est en train de traverser l’auréole, sur le point d’opérer la conception par l’oreille.


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1351-62 attr Ramon Destorrens Prado MadridVierge de l’Humilité avec un moine donateur
Ramon Destorrens (attribution), 1351-62, Prado, Madrid
      1370 ca Pedro Serra Eglise de Palau de CerdagneJaume Serra, vers 1370, Eglise de Palau de Cerdagne

Voici deux Vierges de l’Humilité, sans les rayons et avec dans l’auréole un nombre fluctuant de motifs qui ne sont pas réellement des étoiles. Le croissant de lune aux pieds de celle de Serra confirme l’adoption très progressive en Espagne de l’iconographie italienne.



La Vierge de l’Humilité magnifiée : dans le Nord

1350-1400 Yale University Library MS 657 fol 20vFol 20v 1350-1400 Yale University Library MS 657 fol 21rFol 21r

Livre D’Heures à l’usage de Metz, 1350 ca, Yale University Library MS 657

Ce bifolium ouvre les heures de la Vierge avec une superbe Vierge de l’Humilité magnifiée. Sur la seconde page, la donatrice ne peut assister à l’Annonciation que depuis la droite (marge large), ce qui crée mécaniquement une sorte de concurrence avec la Vierge (voir 7-3 …à droite: la spécialité des Lippi). L’enlumineur l’a évitée en plaçant la donatrice dans l’épaisse bordure.


Livre D'Heures Metz, 1375-1400 Boston Public Library, MS q Med. 105 f. 49
Livre D’Heures à l’usage de Metz, 1375-1400; Boston Public Library, MS q Med. 105 f. 49

Dans cette oeuvre du même atelier, les deux scènes sont regroupées dans une seule page. La donatrice obéit à la même solution graphique, en haut de la page et sur la bordure, ce qui la positionne maintenant en prières auprès de la Madone.

On voit dans cet exemple que le position de la donatrice n’est pas déterminée par une préférence théologique (prier la Madone ou assister à l’Annonciation) mais résulte des habitudes graphiques de l’atelier et probablement qu’une question de prix : deux pages ou une seule.


Synthèse :De la « Vierge habillée de Soleil » à l’Immaculée Conception


Personne ne sait dans quelle mesure la Vierge de l’Ara Coeli (parfois agrémentée d’un croissant) s’est confondue avec la Femme de l’Apocalypse, ni à quel point la Vierge de l’Humilité magnifiée était considérée, au XIVème et au XVème siècle, comme une image de l’Immaculée Conception. L’évolution des idées n’allait pas partout à la même vitesse et les schémas visuels véhiculés par les artistes n’étaient pas compris partout de manière univoque. Voici en synthèse les grandes étapes de cette évolution.


La fête de la Conception de la Vierge

1400 ca Anonyme venitien ou dalmate, Retable de la Vierge National Gallery, Londres, NG 4250

Retable de la Vierge Marie
Maître d’Helsinus (vénitien ou dalmate), vers 1400, National Gallery, Londres, NG 4250

Déjà vers 1400 le Maître d’Helsinus fait l’apologie de la Fête de la Conception de la Vierge. Mais c’est seulement le Concile de Bâle, en 1439, qui donnera raison aux Franciscains (Immaculistes) contre les Dominicains (Maculistes), et rendra la cette fête obligatoire dans toute l’Église.


La prière de Sixte IV

1500 ca Le pape Sixte IV priant la Madonne in sole Add MS 35313 fol 237 r
Le pape Sixte IV priant la Madone in sole
Vers 1500, British Library Add MS 35313 fol 237 r

Pendant son pontificat (1471-84), le pape Sixte IV, en bon franciscain, a beaucoup oeuvré en faveur de l’Immaculée Conception : il avait fait décorer par Pérugin l’abside la Chapelle de l’Immaculée Conception (capella del Coro) du vieux Saint Pierre de Rome, et la tradition lui attribue la prière « Ave santissima virgo Maria » ainsi qu’une indulgence de onze mille ans pour qui la réciterait devant une image de la Vierge « in sole ».


1500 ca Le pape Sixte IV priant la Madonne in sole Add MS 35313 fol 237 r detail
C’est ce que rappelle la miniature qui illustre cette prière en représentant le pape en personne se livrant à cette oraison [13].

Ainsi devenue très rentable, la Vierge « in sole » – au milieu de rayons – prend en Italie une place prépondérante au détriment de la Vierge de l’Apocalypse, dont les étoiles et le croissant de lune sont considérés superflus pour obtenir l’indulgence.

Dans les Pays Germaniques en revanche, c’est la Vierge de l’Apocalypse qui est préférée pour illustrer cette prière.


1476-1500 Israhel van Meckenem Albertina Vienne
Vierge au croissant avec la prière de Sixte IV
1476-1500, Israhel van Meckenem Albertina Vienne

Afin de satisfaire tous types de clientèles, certains textes proposent, comme ici, la version Immaculiste de la prière de Sixte IV :

toi conçue sans péché Tu sine peccato concepta


D’autres, avec la même mage de la Vierge au Croissant, proposent la version Maculiste (celle d’une « Sanctification » in utero de la Vierge, voir 4.6 L’énigme de la bougie qui fume):

 toi qui a conçu Jésus, le fils du Dieu vivant sans péché. Tu concepisti Ihesum filium Dei vivi sine peccato


Le concile de Trente

Le concile de Trente va faire le ménage parmi les iconographies « folkloriques » : vierges de la Miséricorde, vierges enceintes italiennes, vierges aux épis de blés germaniques vont être éliminées.

1588 Francesco Vanni, Immaculee Conception, Montalcino, San SalvatoreFrancesco Vanni, 1588, Montalcino, San Salvatore    1628-29 L'Immaculee_Conception_-_P.P._Rubens_PradoP.P.Rubens, 1628-29, Prado, Madrid

L’Immaculée Conception

En revanche la Vierge de l’Apocalypse, y compris son dragon, va être recyclée comme image officielle de l’Immaculée Conception (le dragon et le serpent symbolisant le péché en général et le protestantisme en particulier).

Il faudra néanmoins attendre 1854 pour que cette notion, partout affichée mais théologiquement épineuse, soit proclamée comme dogme de l’église catholique. Mais ceci est une autre histoire…



Références :
[1] Pour l’explication des autres détails de l’image, voir http://ica.themorgan.org/manuscript/page/51/110807
[2] On peut consulter le « Rothschild Chronicles » sur ce site :
https://brbl-dl.library.yale.edu/vufind/Record/3432521
[3] Contrairement à ce que suggère Mirella Levi D’Ancona, ces textes ne comportent aucune référence au Cantique des Cantique, et par là à l’Immaculée Conception
« The Iconography of the Immaculate Conception in the Middle Ages and Early Renaissance », Mirella Levi D’Ancona, College Art Association of America in conjunction wth the Art bulletin, 1957, p 24
[4] « La Science Du Chrestien: Qui Apprend I. Ce qu’il doit croire. II. Ce qu’il doit faire. III. Et de qu’il doit fuyr » Volume 1 , Amable Bonnefons – 1646, p 145
[5] « Maria l’Immacolata: la rappresentazione nel Medioevo : et macula non est in te », Emma Simi Varanelli, 2008
[6] L’idée que la Vierge au croissant est une figure précoce de l’Immaculée conception, et à même servi ce support visuel aux prédicateurs immaculistes, est au centre de l’ouvrage d’Emma Simi Varanelli. Cette idée était auparavant contestée, notamment par M.Meiss, qui fait remarquer que l’image est statistiquement bien plus fréquente dans le contexte dominicain (notoirement Maculiste) que dans le contexte franciscain (Immaculiste) ([7], p 154). Emma Simi Varanelli montre que certains dominicains ont été très tôt perméables aux thèses immaculistes ([5], p 119).
[6a] « Una Madonna dell’umiltà di Roberto d’Oderisio : titulus, tema e tradizione letteraria »
Bock Nicolas, 2005. pp. 145-171 dans Bock Nicolas, Romano Serena (eds.) Le chiese di San Lorenzo e San Domenico : li ordini mendicanti a Napoli, Electa Napoli.
[6a] « Una Madonna dell’umiltà di Roberto d’Oderisio : titulus, tema e tradizione letteraria »
Bock Nicolas, 2005. pp. 145-171 dans Bock Nicolas, Romano Serena (eds.) Le chiese di San Lorenzo e San Domenico : li ordini mendicanti a Napoli, Electa Napoli.
[7] « Painting in Florence and Siena After the Black Death » Millard Meiss, 1951
[8] « Atti e memorie delle RR. Deputazioni di storia patria per le provincie modenesi e parmensi », Carlo Vincenzi, 1874 https://books.google.fr/books?id=Bl1WBvqFuIQC&pg=PA384
[11] Il s’agit miracle de l’abbé Helsinus, que Marie sauva d’un naufrage en échange de la célébration de la fête de la Conception (« le sixième jour des ides du mois de décembre ») ; et de celui d’un chanoine parisien noyé par des démons pour avoir forniqué, qui fut ramené à la vie par Marie.
Jacques de Voragine, Légende Dorée, Légende de la Conception de la Bienheureuse Vierge Marie
https://books.google.fr/books?id=KJsbK3n0_HgC&pg=PA313
[13] Sur les différentes images de la Vierge procurant des indulgences, voir « Maria in Sole and the Virgin of the Rosary », S. Ringbom, Journal of the Warburg and Courtauld Institutes, Vol. 25, No. 3/4 (Jul. – Dec., 1962),pp. 326-330 https://www.jstor.org/stable/750814

3-3-2 La Vierge au croissant : l'apparition à droite

12 juin 2019

La grande majorité des donateurs, devant une Vierge au Croissant, respectent la convention du visionnaire : ils se plaçent à gauche du tableau, et la Vierge apparaît sur la droite.

Le donateur-souris

1373, Giusto di Menabuoi Tomb of Federico Lavellongo, Basilica di San't Antonio, Padova

Tombeau de Federico Lavellongo
Giusto di Menabuoi, 1373, Basilique de San’t Antonio, Padoue (galerie vers le cloître des Magnolias)

Trois saints à gauche ( Saint François, Saint Jacques et Saint Antoine). présentent de concert le chevalier agenouillé. Trois saints à droite (Saint Pierre, un saint évêque inconnu, Saint Paul) présentent son heaume .

Loin des complexités théologiques des Vierges bénédictines (voir 3-3-1 : les origines), on retrouve la lune croissante (mais sans son soleil noir adjoint) dans ce monument funéraire : sans doute comprise ici simplement comme un symbole de Résurrection. En position centrale entre les deux groupes, le croissant de lune incliné vers le donateur attire l’attention sur lui , tout en accompagnant visuellement l’envol de la Madone dans son double halo, rayonnant comme deux soleils fusionnés.


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1355-60 Nardo_di_cione,_madonna_del_parto_e_donatore Museo Bandini Fiesole
Vierge enceinte (Madonna del parto) avec un donateur inconnu
Nardo di Cione, 1355-60, Museo Bandini, Fiesole

Voici un autre exemple de fusion de deux iconographies : une ancienne, celle de la Femme de l’Apocalypse (évoquée seulement par le croissant de lune et les étoiles) et une toute récente, celle de la Vierge enceinte (ceinture haute, livre tenu en main en substitut de l’enfant à venir) qui se développait alors, en réaction à diverses hérésies [1].

L’ hybridation d’une vision céleste et d’une Madone en pied est facilitée par le caractère abstrait du fond d’or (remplaçant les rayons) et du sol étoilé (évoquant le firmament nocturne) : la position indéfinie du donateur, sur une bande rouge intermédiaire, montre bien qu’il ne s’agit ni d’un vrai ciel, ni d’un vrai sol.

La fusion des deux motifs est pleinement justifiée par la suite du texte de Saint Jean :

« Elle était enceinte et elle criait, car elle était en travail, dans les douleurs de l’accouchement. » Apocalypse 12,2

Le texte de l’encadrement est un mélange de mauvais latin et d’italien :

« Vierge de vierge, salut Reine, Pitié pour moi mère de piété qui (suis) le misérable serviteur » « Virgho virginis ave regina misericordia di me madre di piata che (son) misero servo. »

L’amusant est que le donateur en prières remplace, dans le texte, le mot « suis » caché par la robe.



1355-60 Nardo_di_cione,_madonna_del_parto_e_donatore Museo Bandini Fiesole detail
La couronne et le texte de l’auréole (Regina celi) amorcent une troisième iconographie : celle de la Reine des Cieux.


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1391 ca Giovanni Del Biondo, la Vierge de l'Apocalypse avec Saints et Anges Pinacoteca vaticana
Vierge de l’Apocalypse avec des Saints, des nages et un gisant
Giovanni Del Biondo, vers 1391, Pinacoteca vaticana, Rome

A première vue, la composition se présente comme tout à fait classique : le couple de l’Annonciation, en haut, amorce une répartition rigoureuse des Saints :

  • au dessous du couple mythique de Saint François et de Sainte Claire, les trois autres couples comprennent chacun un(e) martyr(e) et un(e) religieux (euse) :
  • Saint Laurent et son grill avec Sainte Catherine de Sienne (tenant en main son coeur brûlant),
  • saint Antoine ermite avec Sainte Catherine et sa roue,
  • Saint Etienne et ses cailloux avec Sainte Marie Madeleine (en femme sauvage).

Saint Etienne, doublement en position d’honneur (à gauche et en avant du trône) devait être le Saint Patron du donateur, un membre du Tiers ordre des Franciscains, dont les armes figurent sur les deux écus devant le trône (famille Boni de San Giovanni). Le panneau a été commandé pour sa chapelle funéraire.

L’oeuvre a été très étudiée à cause de sa représentation extraordinaire du donateur en deux endroits.



1391 ca Giovanni Del Biondo, la Vierge de l'Apocalypse avec Saints et Anges Pinacoteca vaticana gisant

  • en bas sous forme de transi, encadré à gauche par un homme avec un chien, qui se détourne du corps avec un geste de dégoût, et à droite par un ermite qui le montre du doigt ;



1391 ca Giovanni Del Biondo, la Vierge de l'Apocalypse avec Saints et Anges Pinacoteca vaticana Isaie

  • en haut, sur un nuage au dessus des douze étoiles, agenouillé devant une Vierge ailée qui lui touche les lèvres avec une braise portée au bout d’une tige.

Ce détail fait référence à un passage d’Isaïe :

« Mais l’un des Séraphins vola vers moi, tenant à la main un charbon ardent, qu’il avait pris sur l’autel avec des pincettes. Il en toucha ma bouche et dit: « Vois, ceci a touché tes lèvres; ton iniquité est enlevée et ton péché expié. » Isaïe 6:6-7

Dans le contexte franciscain du tableau, le détail est peut-être à mettre en rapport, comme le propose M.Meiss, avec une expérience du même type relatée dans les Fioretti de Saint François d’Assise :

« un autre des leurs, à savoir frère Philippe le Long, fut touché aux lèvres par l’ange avec un charbon ardent, comme le fut Isaïe le prophète ».



940-945 Spain Beatus Morgan MS 644 fol. 152v (detail bas)

La Femme de l’Apocalypse
940-945, Espagne, Beatus, Morgan Library MS M.644 fol. 152v (détail)

Enfin il est possible que l’unicum iconographique d’une Marie ailée ait été facilité par son association avec la Femme de l’Apocalypse à laquelle, comme le rappelle M. Levi d’Ancona ([2], p 26) le texte indique que furent données « les deux ailes d’un grand aigle », afin qu’elle puisse échapper au Dragon. Giovanni del Biondo n’aurait ainsi fait que « marialiser » l’iconographie des anciens Beatus.


Une image composite (SCOOP !)

1391 ca Giovanni Del Biondo, la Vierge de l'Apocalypse avec Saints et Anges Pinacoteca vaticana detail

En cette période propice à la fusion des iconographies, la grande audace de l’artiste est d’avoir inventé cette figure « angélomariale », la fusion graphique (flèches blanches) du chérubin d’Isaïe, de l’Ange de l’Annonciation et de Marie auréolée, : Vierge ailée qui peut passer inaperçue par sa taille minuscule, si peu orthodoxe qu’elle ne sera jamais reprise par la suite.

Echappant à la symétrie homme/femme, le couple au dessus du nuage fait inévitablement écho aux deux visages du dessous (flèches jaunes), comme si le donateur pardonné pouvait revendiquer pour mère céleste une instance répliquée de Marie, tout comme lui même réplique dans le ciel le gisant pourrissant.


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1443 Workshop of the Berdford Master, Heures de l'amiral Prigent de Coetivy Chester Beatty Library CBL W 082 f222v

Vierge au croissant de lune avec l’amiral Prigent de Coëtivy
Atelier du maître de Bedford, 1443, Heures de l’amiral Prigent de Coëtivy , Chester Beatty Library (CBL W 082 f222v)

La Vierge au croissant est souvent accompagnée par des angelots, qui s’ajoutent à la lune lune et aux rayons pour affirmer le caractère aérien de l’apparition. Le plus souvent, le croissant est dirigé pointes en haut, évoquant une sorte de nacelle céleste.


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La Vierge au croissant de lune est particulièrement populaire dans les pays germaniques (Mondsichelmadonna, Strahlenkranzmadonna, Madonna im Strahlenkranz), peut être par contagion avec une autre iconographie d’origine allemande, celle de la Vierge aux épis de blés (voir 2-6 La Vierge aux épis de blés).

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1410-20 Duc Ernst d'Autriche, Aurhaym Heinrich Predication de St Augustin Osterreichische Nationalbibliothek cod. s. n. 89 fol. 1vVierge au croissant de lune avec le Duc Ernst d’AutricheHeinrich Aurhaym, 1410-20, miniature des Prédications de St Augustin, Osterreichische Nationalbibliothek cod. s. n. 89 fol. 1v 1459-69 Gebetbuch fur Kaiserin Eleonore Osterreichische Nationalbibliothek cod. 1942 fol. 82vVierge au croissant de lune avec l’impératrice Eléonore
1459-69, Gebetbuch für Kaiserin Eleonore, Osterreichische Nationalbibliothek, cod. 1942 ; fol. 82v

Ici les croissants sont en position « arche » : bien plus rare que la forme « nacelle », cette lune plantée sur le sol fait implicitement pendant à l’image solaire du Christ du Jugement dernier, les pieds posés sur l’arc-en-ciel.



   
1490-1500 Stifter Hochbrand von Santicell Hl.Christophe Martin Tiroler Landesmuseum Innsbruck Vierge au croissant de lune entre Saint Christophe et Saint Norbert, avec le donateur Hochbrand von Santicell
1490-1500, TirolerLandesmuseum, Innsbruck
1490-1500 Votivbild des Mathias Hierssegker, Presbytere de Hirschegg, AutricheVierge au croissant de lune avec Mathias Hierssegker et Saint Wolfgang
1490-1500, Presbytere de Hirschegg, Autriche

Ces deux tableaux votifs, reprennent, avec la Vierge au croissant de lune, l’iconographie habituelle du donateur présenté à la Madone par son Saint Patron, afin qu’elle intercède auprès de l’Enfant pour son entrée au Paradis.

Le plus souvent, lorsque le donateur-souris est comme ici en position d’honneur, l’Enfant l’encourage en le bénissant (voir 4-1 …seul, à gauche). Or ici il joue avec un chapelet de corail sans s’occuper du suppliant. La convention de la vision céleste (donateur à gauche) prime ici sur la convention héraldique (le donateur non-béni se présente habituellement en position d’humilité).


1517 Abbe benedictin Valentin Pierer Meister der Brucker Martinstafel Stiftsgalerie St. Lambrecht1517, Meister der Brucker Martinstafel 1524 Abbe benedictin Valentin Pierer Stiftsgalerie St. Lambrecht Osterreich1524

Vierge au croissant de lune avec l’Abbé bénédictin Valentin Pierer
Stiftsgalerie St. Lambrecht, Autriche

Cet abbé s’est fait représenter dans deux tableaux votifs, plongé dans son bréviaire aux pieds de la Mondsichelmadonna. L’apparition qui se développe au dessus est donc dans les deux versions une vision purement intérieure.

La première version tire nettement sur le côté « Jugement dernier » :

  • les deux anges présentent les attributs du Christ de Justice (un lys pour les Elus, une épée pour les autres),
  • le croissant est de type « arc en ciel »,
  • l’Enfant tient un globe,
  • les rayons dardent comme des langues de feu,
  • les extrémités serpentiformes de la banderole évoquent clairement le dragon de l’Apocalypse.

Le texte du pourtour est un hymne médiéval de Walthers von der Vogelweide [3] :

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Vierge, ornement du Monde,
Voguant comme le Soleil
Belle comme l’éclat de la Lune
Reconnais tous ceux
Qui te servent.
Entends nous, toi que ton Fils honore en ne te refusant rien,
Sauve-Nous Jésus, nous pour qui La Vierge ta Mère te prie.
VIRGO DECUS MUNDI
PRÄELECTA UT SOL
PULCHRA LUNARIS UT FULGOR
AGNOSCE OMNES
TE DILIGENTES.
AUDI NOS NAM TE FILIUS NIHIL NEGANS HONORAT.
SALVA NOS IESU PRO QUIBUS VIRGO MATER TE ORAT.

La seconde version, en 1524, est muette et plus apaisée. La Vierge tend à son fils une poire (le fruit du péché originel). De part et d’autre de la colombe du Saint Esprit, deux anges portant la croix et la lance, instruments de la Rédemption.



Le donateur à taille humaine

1452-70 Rogier van der Weyden atelier - dyptique jeanne de france Chantilly, Musee Conde

Diptyque de Jeanne de France
Atelier de Rogier van der Weyden, 1452-70 , Musée Condé, Chantilly

Les armoiries identifient la donatrice comme étant Jeanne de France, l’épouse du duc Jean II de Bourbon : la présence de Saint Jean-Baptiste comme patron se justifie donc doublement. Celui-ci porte son annonce habituelle : « Voici l’agneau de Dieu qui enlève les péchés du monde » (Jean, 1:29), tandis qu’au dessus le phylactère de Dieu le Père dit : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé, en qui j’ai mis mes complaisances » (Matthieu, 3:17)



1452-70 Rogier van der Weyden atelier - dyptique jeanne de france Chantilly, Musee Conde bladelin
Graphiquement, Jeanne se trouve dans la même situation que la Sibylle du retable Bladelin : c’est-à-dire qu’objectivement, elle voit la Vierge. Mais la présence du prie-Dieu ramène l’apparition au statut de pure pensée : la duchesse n’est pas une visionnaire, seulement une femme pieuse.



1452-70 Rogier van der Weyden atelier - dyptique jeanne de france Chantilly, Musee Conde schema
Au delà de la Madone, c’est aussi le second volet qu’elle regarde : face tragique où Jean Baptiste est remplacé par Jean l’Evangéliste, où l’Enfant voguant dans un halo de lumière entre Dieu et la lune devient le Christ cloué dans les ténèbres entre le soleil et la lune, où la duchesse en adoration devant l’un est remplacée par Marie en larmes devant l’autre.

La présence de la Trinité (Dieu le père et la colombe) tire ici l’image de la Vierge au croissant de lune vers le culte de l’Immaculée Conception dont la duchesse, à l’opposé de Louis XI, était une fervente propagandiste : selon Mathieu Deldique, le diptyque aurait donc des accents d’indépendance par rapport l’autorité royale [4].


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Heures a l’usage de Paris Maitre de la Chronique scandaleuse 1485-90 Palais des beaux-arts. Lille, Inv. A 203.fol 22 23

Heures à l’usage de Paris, enlumineur tourangeau, 1485-90, Palais des Beaux-Arts. Lille, Inv. A 203, fol 22 23

Il s’agit d’un tableau peint au dessus de l’autel. Le cimier du casque posé dessus, en forme de sirène, se superpose à la Lune et crée, face à la donatrice suivie de ses filles, une communauté de morphologie avec la Vierge au croissant : deux femmes merveilleuses sans partie basse.


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Dans les Pays germaniques et avant toute en Autriche, la Vierge au croissant de lune va s’enkyster comme un marqueur de réaction à la Réforme, ainsi que nous le montrent les deux exemple suivants.


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1460 ca Maitre_de_Rheinfelden Sainte_Barbe_presentant_le_donateur_à_la_Vierge Musee des beaux-arts de Mulhouse Vierge au croissant de lune avec Sainte Barbe présentant Johann Lösel,  chevalier de Malte
Maître de Rheinfelden, vers 1450, Musée des Beaux Arts de Mulhouse.
1515 ca Lucas_Cranach_d_Ae_-_Friedrich_der_Weise_in_Verehrung Kunshalle KarlsruheVierge au croissant de lune avec Saint Bartholomé présentant Friedrich le Sage
Lucas Cranach l’Ancien, 1515, Kunshalle, Karlsruhe

Ces deux tableaux votifs montrent un donateur présenté par son saint patron, avec la Vierge au Croissant de lune remplaçant la classique Vierge à l’Enfant. Le fait qu’il s’agisse d’une apparition modifie théoriquement le statut de l’image : le donateur n’est plus au paradis, introduit par son sont patron ; c’est son saint patron qui est descendu sur terre pour susciter en lui, tel la sibylle, la vision de la Vierge. Ce statut de vision intérieure (plus acceptable que le transport miraculeux au Paradis) est affirmé par les signes de la prière : chapelet ou prie-Dieu.

Avec le second tableau, nous sommes au tout début de la Réforme : la Vierge au Croissant de Lune, perçue désormais comme un emblème militant de l’Immaculée Conception, est protégée, en tant que Reine des Cieux, par un rempart de vingt cinq angelots. Elle devient une icône de l’ancienne foi à laquelle l’électeur de Saxe Friedrich le Sage, bien que partisan de la Réforme, restera toujours attaché . Il était très fier de posséder une relique de la peau de Saint Barthélémy, d’où le choix de ce saint patron [5].


1523 avant Lucas Cranach der Altere Madonna auf der Mondsichel verehrt von dem Stifter Hieronymus Rudelauf Staedel Museum FrankfurtVierge au croissant de lune avec Hieronymus Rudelauf
Lucas Cranach l’Ancien, avant 1523, Städel Museum; Francfort
1529 Master of the Mass of St Gregory Cardinal Albrecht of Brandenburg Evangelische Marktkirchengemeinde HalleVierge au croissant de lune avec le cardinal Albrecht de Brandenburg
Maître de la Messe de Saint Grégoire, 1529, Evangelische Marktkirchengemeinde, Halle [6]

Dans la version pour Hieronymus Rudelauf, le donateur, chancelier de la cour de Saxe, a une taille réduite, pas de prie-Dieu ni de saint patron ostensible (ses armoiries sont néanmoins fichées sur une des pointes du croissant). En compensation, Cranach a soigné les attitudes des six anges, variant leurs postures, leurs couleurs et leurs vêtements : prêtres, diacres et sous-diacres [7].

Dans le cas du cardinal Albrecht de Brandenburg, la Vierge au croissant de Lune, dont le visage sévère surveille l’Allemagne, prend un caractère d’affirmation catholique qui deviendra encore plus marqué après la Contre-Réforme.


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1501-02 Wolter_von_Plettenberg,_Madonna Schloss Hovestadt bei Soest

Tableau votif de Wolter von Plettenberg, commémorant sa victoire en 1501 contre le Grand Duc de Moscou Ivan III.
Copie du XVIIIème d’après un original réalisé en Livonie, Château de Hovestadt bei Soest, Westphalie

Le slave vaincu, offrant son sceptre au général de l’ordre Teutonique, fait écho au dragon de l’Apocalypse, pendu comiquement sous le croissant.
Bien que fidèle au catholicisme, Plettenberg autorisa la célébration de messes luthériennes dans les églises de Livonie,


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1508 St Pierre Erzbischof Hermann von Hessen elisabeth Dreikonigenfenster Dom Koln

 L’archevêque Hermann von Hessen présenté par Saint Pierre, Elisabeth de Hongrie, Saint Christophe
Dreikönigenfenstern, 1508, Cathédrale de Cologne

Plusieurs détails sont intéressants dans ce vitrail :

  • le rubis en forme de stigmate (Saint Pierre ayant été crucifié) qui orne le gant des deux ecclésiastiques ;
  • la mendiante aux pieds de Sainte Elisabeth, sous sa bourse ;
  • l’ermite qui sort de terre avec sa lanterne sous les pieds de Saint Christophe.


La Vierge au Croissant avec un couple de donateurs

1370 Lorenzo Venaziano San Domenico e San Pietro martire Cangrande II della Scala ed Elisabetta di Baviera ouTaddea di Carrara Santa Anastasia Verone

Vierge de l’Humilité entre Saint Dominique et Saint Pierre
Lorenzo Veneziano, 1340-60, église de Sant’Anastasia, Vérone

Cette oeuvre n’est pas une fresque, mais une des plus anciennes tempera sur toile. Le Saint en position d’honneur est le patron de l’Ordre, Saint Dominique avec son lys ; celui de droite est le patron de l’église, Saint Pierre le martyr avec sa palme. L’inscription qui court le long du cadre est un montage intéressant de quatre injonctions mariales :

 

1 Marie, mère de Grâce,mère de Miséricorde, protège-nous de nos ennemis et soutiens-nous devant la mort.

2 O Marie, en ton sein céleste se traite une alliance pleine de charmes, qui octroie aux pécheurs le remède du salut.

3 Toi qui passeras devant cette figure de la Vierge intacte, veille à ne pas passer sous silence un Ave.

4 Et n’aie pas en horreur les pécheurs, sans qui tu n’aurais pas été digne de ton fils (Saint Anselme)

1 Maria mater gracie Mater misericordie, tu nos ab hospe protege et in pra mortis suscipe.

2 O Maria, dulce commercium Intrat tuum celasti gremium , Quo salutis reis remedium lndulget.

3 Virginis intacte cum veneris ante figuram praetereundo cave ne sileatur Ave.

4 Nec abores peccatores sine quibus numquam fores tanti digna filio.

La troisième, qui invite le spectateur à la prière, confirme bien le caractère de dévotion publique du tableau. Le quatrième est une allusion à la doctrine AVE/EVA, dans laquelle l’obéissance de Marie est vue comme le contrepoids de la désobéissance d’Eve.

Les donateurs ont été identifiés par Siméoni comme étant très probablement Cangrande II della Scala et son épouse Elisabetta di Baviera, seigneur de Vérone entre 1351 et 1359, d’après les armes aux pieds du donateur,  juste à côté du croissant de lune.



1370 Lorenzo Venaziano San Domenico e San Pietro martire Cangrande II della Scala ed Elisabetta di Baviera ouTaddea di Carrara Santa Anastasia Verone detail
L’échelle à cinq barreaux et le heaume à tête de chien sont réservés aux seigneurs de  la branche aînée des della Scala ; et les initiales C et G sont celles de Can Grande [8].


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Mis à part ce cas exceptionnel d’une Vierge au croissant avec un couple, les rares autres exemples sont tardifs (après 1450) et ne se rencontrent que dans les Pays du Nord. Dans tous les cas, la convention héraldique – le mari à gauche et l’épouse à droite – prime sur la convention visionnaire – les deux à gauche.

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1450 Maitre de 1456 Cologne _Madonna_on_a_Crescent_Moon_in_Hortus_Conclusus gemaldegalerie

La Vierge au Croissant avec une famille dans le jardin clos
Maître de 1456 (Cologne), 1450, Gemäldegalerie, Berlin

Ce panneau dévotionnel ajoute discrètement, à cette Vierge au jardin clos, les attributs de la Femme de l’Apocalypse : le croissant sous le coussin, les flammèches sur le pourtour du manteau, les douze fleurons de la couronne.

L’oeillet rouge tenu par l’Enfant symbolise habituellement les clous de la Passion, mais il forme ici couple avec l’oeillet blanc que tient Marie. Or dans le contexte germanique, les oeillets sont un symbole d’engagement et de mariage.



1450 Maitre de 1456 Cologne _Madonna_on_a_Crescent_Moon_in_Hortus_Conclusus gemaldegalerie schema
Il est très possible que les deux oeillets du centre renvoient au père et à la mère, tandis que ceux du pourtour feraient écho à leurs enfants, rangés par ordre croissant, tels une jardinière humaine.


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1500-01 jean-hey-triptyque-de-moulins-ouvert

Triptyque de Moulins
Jean Hey, 1500-01, Cathédrale de Moulins

La banderole tenue en bas par deux anges déclare officiellement qu’il s’agit d’une Vierge de l’Apocalypse, et explique, dans une paraphrase du texte de Saint Jean, ce qu’il faut regarder dans le tableau :

« Voici celle dont les Écritures saintes chantent l’éloge : enveloppée du soleil, ayant la lune sous les pieds, elle a méritée d’être couronnée de douze étoiles » « HEC EST ILLA DEQVA SACRA CANVNT EVLOGIA : SOLE AMICTA LVMAN HABENS SVB PEDIBVS STELIS MERVIT CORONARI DVODENIS »

Les donateurs sont le duc Pierre II de Bourbon présenté par Saint Pierre, à gauche ; et à droite son épouse Anne de Beaujeu et leur fille Suzanne, présentées par Sainte Anne.


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1500 ca Triptyque avec donateurs Musee correr

Triptyque de la Vierge de l’Apocalypse avec un couple de donateurs
Autriche, vers 1500, Musée Correr, Venise

Cet autre triptyque illustre une iconographie bien plus rare : celle des trois Maries ([2], p 62) Selon cette légende, issue de l’Evangile du pseudo-Mathieu et assez populaire en Autriche, sainte Anne avait eu de trois maris différentes trois filles, toutes prénommées Marie : une était la mère de Jésus ; une autre la mère de Saint Jean Baptiste et Saint Jacques le Majeur ; la troisième celle de Joseph le Juste, Simon, Judas et Jacques le Mineur.

Le volet de gauche montre, au dessus du donateur, Sainte Anne avec Marie et Jésus sur ses genoux, et derrière elle ses trois maris. Celui de droite montre, au dessus de la donatrice, les deux autres Maries avec leurs enfants.

Au centre, la Vierge de l’Apocalypse foule au pied une lune dont le caractère négatif est ici pleinement assumé, puisqu’elle montre, comme dans une boule de cristal, le meurtre d’Abel par Caïn. A noter la longue chevelure de Marie, qui renvoie au type germanique de la Vierge aux épis de blés.


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1525 ca Stedelijk Museum De Lakenhal, Leiden

Triptyque de la Vierge de l’Apocalypse avec la famille Van Honthorst (?)
Vers 1525, Stedelijk Museum De Lakenhal, Leyde

Le père et les dix fils sont présentés par Saint Pierre, la mère et le bébé emmailloté par Sainte Marie Madeleine; La prédelle est postérieure, de sorte que l’on n’est pas certain de l’identité des donateurs. Le retable fermé montre une Annonciation en grisaille.


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1536 Meister_von_Messkirch-Wildensteiner_Altar-Staatsgalerie Stuttgart

Wildensteiner Altar
Meister von Meßkirch, 1536, Staatsgalerie, Stuttgart [9]

Ls donateurs sont le comte Gottfried Werner von Zimmern et la comtesse Apollonia von Henneberg. Le comte, armé d’une épée courte et d’une flamberge, tient dans ses mains une pomme de senteur (pomander) ; son épouse tient un chapelet.

Ce retable apparaît comme un éclatant manifeste catholique, avec ses quatorze saints entourant la Vierge de l’Apocalypse, qui apparaît au milieu d’une gloire de nuages et d’angelots.


1508 Durer Virgin_on_a_Crescent_with_a_Starry_Crown

Vierge de l’Apocalypse
Dürer, 1508

Elle est copiée sur la gravure de Dürer, mais le croissant à face humaine a été retourné vers le bas, avec une bonne raison…


Un croissant en balance (SCOOP !)

1536 Meister_von_Messkirch-Wildensteiner_Altar-Staatsgalerie Stuttgart detail

Ainsi la pointe gauche du croissant penche du côté positif, où Saint Martin, portant sur sa chasuble une Vierge au croissant en miniature, fait l’aumône à un mendiant.

Tandis que la pointe droite indique le côté négatif, où Saint Erasme, portant sur sa chasuble un Christ en croix, voit son intestin enroulé sur une manivelle, tandis qu’un peu plus loin un ange soigne la plaie à la cuisse de Saint Roch.


Références :
[1] Sur l’iconographie de la Madonna del Parto, voir http://www.chiesadisanvito.it/page.php?44
[2] « The Iconography of the Immaculate Conception in the Middle Ages and Early Renaissance », Mirella Levi D’Ancona, College Art Association of America in conjunction wth the Art bulletin, 1957
[3] Neue Wege zur dichterischen und musikalischen Technik Walthers von der Vogelweide: Mit einem Exkurs über die symmetrische Zahlenkomposition im Mittelalter, Volume 1, Johannes Alphonsus Huisman,Kemink en Zoon, 1950
[4] Mathieu Deldique, « Un tableau flamand pour une princesse française : le diptyque de Jeanne de France » https://www.academia.edu/13727802/Un_tableau_flamand_pour_une_princesse_fran%C3%A7aise_le_diptyque_de_Jeanne_de_France
[8] « Lorenzo Veneziano », Cristina Guarnieri, 2006, p 185
[9] https://de.wikipedia.org/wiki/Wildensteiner_Altar

3-2-3 L'apparition à Auguste : la vision de l'Ara Coeli entre lui et la Sibylle

11 juin 2019

A la différence des deux cas précédents, la Sibylle et Auguste ne regardent pas dans la même direction, mais se font face. La plupart du temps ils se répartissent de part et d’autre de la Madone, ce qui introduit dans la scène la question de l’ordre héraldique.


1200-30 Sceau provenant du couvent de l'Ara Coeli Musee deu Palazzo de Venezia Rome
Sceau provenant du couvent de l’Ara Coeli
1200-30, Musée du Palazzo de Venezia, Rome [1]

Cette toute première composition centrée est intéressante par sa provenance, puisqu’elle vient de l’endroit même où la fresque perdu de Cavallini (très probablement une vision sur la droite) exerçait une influence massive : l’église de l’Ara Coeli.

L’iconographie est très originale, puisque c’est le seul cas où laVierge apparaît debout sur l’autel, illustrant littéralement le texte de la vision.

Pour des raisons d’économie de place, le cercle lumineux est remplacé par la forme même du sceau, qui tel une mandorle englobe la Sibylle debout et l’Empereur assis sous un baldaquin gothique, tandis qu’en bas, à l’intérieur de l’église, un pèlerin est en prière.



1200-30 Sceau provenant du couvent de l'Ara Coeli Musee deu Palazzo de Venezia Rome schema
Sous sa symétrie apparente, la composition établit un parcours ascensionnel d’une part entre les deux hommes abrités sous un triangle (flèche bleue), d’autre part entre les deux femmes debout (flèche verte). La situation dominante de la Sibylle, debout et en position d’honneur par rapport à Auguste, rajoute un troisième lien de subordination (flèche violette) .

En partant du pèlerin au plus bas de la hiérarchie et à l’intérieur de l’église, la composition nous montre, en trois étapes, comment faire apparaître l’Enfant à celui qui ne peut pas le voir.


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1324 ca Speculum dans Codex CremifanensisSpeculum humanae salvationis, Codex Cremifanensis 243, vers 1324, Monastère de Krems 1324 Sybille_de_Tibur_BnF_Arsenal_593_fol._10v1324, Arsenal 593 fol.10v

Dès le début apparaît une version centrée du « Speculum humanae salvationis », concurrente de la version à droite que nous avons vue précédemment (par exemple Arsenal 593). L’ajout du baldaquin oblige à placer le soleil du côté droit, ce qui en modifie radicalement le sens : au lieu d’être l’allié d’Auguste, il en devient en quelque sorte l’adversaire, en se rangeant du côté de la Sibylle, couronne céleste contre couronne terrestre (l’enlumineur a souligné cet antagonisme par l’ombre sous le baldaquin). Evocation de Dieu le Père ou allusion à l’Etoile de la Nativité, l’illustrateur ne tranche pas : mais le soleil apparaît clairement comme un auxiliaire, et non comme un concurrent, du halo.

Les deux index droit dirigés vers la Madone traduisent l’accord entre Auguste et la Sibylle, plutôt que la contestation.



1350-1450 Speculum humanae salvationis BNF Latin 511 folio 9r
Speculum humanae salvationis, 1350-1450, BNF Manuscrit Latin 511 folio 9r

Dans cette version très semblable, le copiste a accentué la symétrie en asseyant les deux sur un trône à baldaquin, et en opposant les index, qui revêtent ici un sens différent : la Sibylle montre la Vierge, Auguste argumente de la sénestre sans lâcher son sceptre de la dextre.



1350 ca Speculum humanae salvationis - Karlsruhe 3378 fol 24

Speculum humanae salvationis, vers 1350, Karlsruhe 3378 fol 24

Ici le halo c’est décentré vers la gauche, tel un ballon que l’éloquence de la sibylle s’emploie à faire entrer dans la caboche d’Auguste.


1470-1480 Speculum humanae salvationis Marseille, BM, 0089, f. 009

Speculum humanae salvationis
1470-1480, Marseille, BM, 0089, f. 009

A la limite, le halo, tout en restant relié à la Sibylle par le phylactère, se décale au-dessus de la tête d’Auguste, pour nous faire comprendre que celui-ci a intégré la vision (ne pas confondre ce cas-limite de la composition centrée avec la composition sur la gauche, dans laquelle les deux spectateurs regardent dans la même direction).


1420 ca New York, Public Library, Spencer 15, fol. 9v1420 ca New York, Public Library, Spencer 15, fol. 9v 1450 Speculum humanae salvationis Augustus and the Tiburtine sybil 11450

Mais dans la plupart des cas, le halo reste au centre et la composition exploite la symétrie de la formule, encouragée par le voisinage avec l’image tout aussi symétrique de la Verge d’Aaron. La formule la plus courante respecte l’ordre héraldique et place les deux protagonistes à égalité de posture (debout ou assis). On note néanmoins une certaine difficulté à caser le soleil.


1420-30 Heidelberg, Universitatsbibliothek Pal. germ. 432, fol. 12v
1420-30, Heidelberg, Universitatsbibliothek Pal. germ. 432, fol. 12v.JPG

Une première solution est de rajouter la Lune pour faire pendant au Soleil : mais cet artiste est le seul à avoir eu cette idée.



1350-1400 Munich,Bayerische Staatsbibliothek Clm 3003, fol. 7v

1350-1400, Munich,Bayerische Staatsbibliothek Clm 3003, fol. 7v

Une autre solution est de supprimer le Soleil, en considérant qu’il est inclus dans le pourtour du halo (à noter ici le détail amusant de la patte palmée, qui dénonce la sibylle comme une magicienne).


1410-25 Master of the Brno Speculum (Pays Bas), Nova Rise, Kanonie sv. Petra a Pavla, MS 80, fol. 8r1410-25, Master of the Brno Speculum (Pays Bas), Nova Rise, Kanonie sv. Petra a Pavla, MS 80, fol. 8 Master ES 15eme s Auguste et la sybille METMaître ES, 15eme s, MET

Dernier cas de jonglage avec les astres : l’ajout du croissant de lune sous la Madone, dont voici deux des tous premiers exemples.


1482 Mirouer de la redempcion de l'umain lignage BM Lyon Res Inc 1043, f. 3491482, BM Lyon Res Inc 1043, f. 349 1482 Mirouer de la redempcion de l'umain lignage Reserve des livres rares, Res. A 1243 Gallicaversion non coloriée : Réserve des livres rares, Res. A 1243 Gallica

Mirouer de la redempcion de l’umain lignage, 1482, traduit par Julien Macho

Cette édition imprimée place les deux de profil, face à face, tout en décalant la vision céleste vers la droite. Noter encore les pieds palmés de la Sibylle, sa bourse bien remplie et sa robe aguicheuse. L’inversion de l’ordre héraldique accompagne cette connotation « femme fatale » : on sent une certaine réticence vis à vis des danseuses orientales, et une plume ironique semble avoir rajouté dans sa main gauche un balai, ou un martinet. [2]


1482 Mirouer de la redempcion de l'umain lignage BM Lyon Res Inc 1043, f. 349 detail inverse 1493 Nuremberg_Chronicle_-_Tiburtine_Sibyl_ planche XCIII

Chroniques de Nuremberg, 1493, planche XCIII

Cette gravure (inversée) est la source probable de la gravure des Chroniques de Nuremberg, elle-aussi en extérieur et de profil : le retour à l’ordre héraldique et à des vêtements moins contrastés s’accompagne d’un renforcement des aspects binaires du thème : les hommes et les femmes, l’enfant solaire supplantant le vieux roi découronné.



Dans la composition face à face, le couple se conforme pratiquement toujours à l’ordre héraldique, sauf lorsqu’il s’agit d’insister – thème quelque peu dangereux – sur la supériorité de la sibylle. Voici quelques rares cas d’inversion, qui manifestent la grande inventivité de ces artistes « féministes ».

1400-10 New Haven, CT, Beinecke Rare Book and Manuscript Library, Yale University MS 27, fol. 22v
1400-10, Beinecke Rare Book and Manuscript Library, Yale University MS 27, fol. 22v

Cette illustration suit le modèle du Couronnement de la Vierge, dans laquelle celle-ci s’assoit en position d’honneur à la droite du Christ. La couronne tout à fait exceptionnelle de la sibylle confirme que l’illustrateur la considère ici comme la représentante sur terre de la Reine des Cieux, ce qui lui fait prendre le pas sur l’Empereur.



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1420 Speculum humanae salvationis Praha, Knihovna Narodniho muzea, III.B.10 fol 010v
1420 Prague, Knihovna Národního muzea, III.B.10 fol 010v

Même situation de supériorité de la Sibylle couronnée. Le disque céleste que le Sibylle désigne de la main droite supplante le globe terrestre l’empereur tient de la main gauche.



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1440-66 Munich, Bayerische Staatsbibliothek, Cgm 3974, fol. 12r

1440-66, Münich, Bayerische Staatsbibliothek, Cgm 3974, fol. 12r.

Autre cas de sibylle couronnée. Ici, de manière très originale, l’artiste joue d’une nouvelle manière avec l’image voisine pour créer une analogie d’une part entre les deux Rois, Aaron et Auguste ;d’autre part entre les deux insignes de pouvoir : la verge fleurie et le sceptre d’Auguste que la sibylle lui a chipé !



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1450 Speculum humanae salvationis Museum Meermanno Westreenianum Den Haag, MMW, 10 B 34

1450, Museum Meermanno Westreenianum Den Haag, MMW, 10 B 34

Ici la sibylle n’est pas couronnée, mais sa supériorité est marquée par sa position debout. L’artiste a lui aussi voulu créer un certain parallélisme entre Auguste et Aaron, tous deux coiffés d’une sorte de tiare, l’un tenant l’encensoir du prêtre et l’autre le sceptre du prince.

On peut se demander incidemment si ce n’est pas dans ce type de représentation d’Aaron que Van Der Weyden a trouvé l’idée de l’encensoir d’Auguste (voir 3-2-1 … sur la droite).



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1460-1500 Polyptyque de La vie de la Vierge eglise Notre-Dame de Montlucon
Polyptyque de La vie de la Vierge
Jean Roulx et son fils Jacquelin dits de Montluçon, 1460-1500, église Notre-Dame de Montluçon

La scène de l’Ara Coeli est ici doublement intéressante : d’une part elle a permis d’identifier les deux auteurs, d’après les initiales J entrelacées sur la bande inférieure de la robe de la Sibylle.



1460-1500 Polyptyque de La vie de la Vierge eglise Notre-Dame de Montlucon ensemble
D’autre part, elle sert de pivot à l’ensemble de la composition :

  • à gauche trois scènes avant la naissance de Jésus (La rencontre d’Anne et Joachim à la porte d’or, la naissance de Marie, l’Annonciation ;
  • à droite trois scènes après : la Présentation de Jésus au Temple, l’Assomption, et le donateur Michel de Laage en prières, présenté par son patron Saint Michel.

Les panneaux comprennent de nombreux détails amusants (pour une description à l’ancienne, où l’auteur situe non sans vraisemblance toutes les scènes dans la région de Montluçon, voir [3]).


Une scène charnière (SCOOP !)

Mais ce qui nous intéresse ici, c’est l’insertion exceptionnelle de la scène de l’Ara Coeli, dans ce format très étroit et qui déborde étrangement sur le cadre, comme pour nous faire comprendre qu’elle est à lire « en dehors » des autres scènes.



1460-1500 Polyptyque de La vie de la Vierge eglise Notre-Dame de Montlucon schema
Graphiquement, elle assure une continuité entre la Vierge de l’Annonciation et les deux hommes (Saint Joseph et le grand prêtre) de la Présentation au temple, ce qui explique l’inversion de la Sibylle et d’Auguste. Les deux scènes latérales ont d’ailleurs été choisies pour leur symétrie : le mouvement de la colombe, devant les colonnes du portique, fait pendant à celui de l’Enfant, devant les colonnes du Temple. A noter l’alternance systématique entre scènes d’intérieur et scènes d’extérieur, hormis la scène de l’Ara Coeli, qui est ailleurs.

Théologiquement, cet espace interstitiel, qui échappe à la chronologie de la Vie de la Vierge et à la géographie montluçonnaise, a probablement la valeur d’une ellipse narrative : dans le halo ombilical de l’Ara Coeli, la sibylle montre, non seulement à Auguste mais aussi, au spectateur, par une sorte d‘échographie mystique, le moment et le lieu fusionnels où Marie et l’Enfant sont réunis.



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 1500 ca Tour de Beurre cathedrale de rouen
La Sybille et Auguste
Vers 1500, Tour de Beurre, Cathédrale de Rouen

La version anti-héraldique de l’Aracoeli est sculptée sur la face Est de la Tour de Beurre : à la droite du Christ bénissant, deux femmes encadrent la première fenêtre, la sibylle tiburtine et Auguste la seconde (la grande ouverture est postérieure, percée pour le passage d’une cloche).


1500 ca Tour de Beurre cathedrale de rouen deux officiers (fauconnier connetable)
Deux officiers d’Auguste (fauconnier, connétable)

A la droite d’Auguste, deux officiers complètent la face large du pilastre, faisant pendant aux deux suivantes qui escortent la Sibylle.


En France dans le cercle de Jean du Berry


Un tableau reconstitué (SCOOP !)

Tableau de Rome vers 1406, Chapelle de la Sainte Chapelle , Bourges verso

« Tableau de Rome » (verso)
vers 1406, Chapelle de la Sainte Chapelle , Bourges

Ce grand tableau carré (deux pieds sur deux), disparu depuis 1412, nous est connu par une description assez précise dans l’inventaire après décès des biens du Duc de Berry. J’ai tenté une reconstitution hypothétique de ses deux faces, en regroupant tous les éléments de cette description [4].


Tableau de Rome vers 1406, Chapelle de la Sainte Chapelle , Bourges recto

« Tableau de Rome » (recto)

La symétrie des textes et la structure du revers fait penser à une composition centrée qui aurait joué sur une superposition de thèmes : la Madone de l’Ara Coeli, dans son cercle, aurait complété la Colombe et Dieu le Père situés au dessus pour former la figure de la Trinité. Du même coup, l’Annonciation latérale aurait été complétée par l’image de Dieu le Père et de la Colombe (triangle jaune).


1405-09 Belles Heures of Jean de Berry- Fol2181405-09, Belles Heures de Jean de Berry, MET, Fol 218 1400-15 Priere Ave stella matutina Paris, Bibl. de l'Institut de France, 0547 f. 0571400-15,Livre d’Heures, Enluminure de la prière « Ave stella matutina », Paris, Bibl. de l’Institut de France, 0547 f. 057

Voici les deux enluminures qui m’ont servi de base pour cette reconstitution. La seconde est très proche de la description :

« un empereur nommé Octavian et une femme nommée Sebille, tous deux à genoulx, laquelle Sebille fait joindre les mains audit empereur et lui montre ladite Trinité en levant les yeux vers le ciel. »

Il faut noter le caractère profondément subversif de ce geste, qui ne sera jamais repris ailleurs : la couronne et l’ordre héraldique manifestent la supériorité de l’Empereur et de l’homme : pourtant une femme transgresse cette barrière pour l’obliger à prier ; et mieux, elle le fait en parallèle au geste de la Vierge tenant son Enfant, devenant ainsi, pour Auguste, une sorte de mère spirituelle.


1411-16 Très Riches Heures du duc de Berry Folio_22r_-_The_Virgin,_the_Sibyl_and_the_Emperor_Augustus
Très Riches Heures du duc de Berry, 1411-16, Folio 22r

Pour P.Verdier [5], cette miniature des frères de Limbourg – qui avaient fait le voyage de Rome – est très certainement inspirée par le tableau perdu de la Sainte Chapelle. De manière originale, elle se substitue à la miniature de la Vierge à l’Enfant ou de l’Annonciation, qui accompagne habituellement la prière « O intemerata ».

L’image comporte d’autres originalités. Le croissant de lune sous la Madone est une référence apocalyptique qui, selon P.Verdier, « dans certains textes du XIIIème siècle s’insère déjà dans la vision de l’Ara Coeli ».


1415 ca, Apocalypse ms 133 fol .019v Morgan Library
Illustration de Apocalypse 8:3-5, vers 1415, ms 133 fol .019v, Morgan Library

L’encensoir d’Auguste (qu’Emile Male attribue chez van der Weyden à l’influence des Mystères, voir 3-2-1 … sur la droite) , a peut être lui aussi une origine apocalyptique. Dans la miniature ci-dessus, d’après le texte relevé par P.Verdier, l’Ange symbolise Jésus Christ incarné et l’autel doré l’Eglise.

Mais l’originalité la plus grande, si vraiment la miniature est à comparer avec le « Tableau de Rome », est l’inversion héraldique et la position debout de la Sibylle, qui vont toutes deux dans le sens de l’affirmation de la supériorité de celle-ci : on pourrait facilement déceler une forme d’humour « à la Christine de Pisan », dans sa moue sévère et dans son geste impérieux, face à un Auguste bien peu majestueux : en chapeau pointu et sans couronne, bedonnant, et encombré d’un cimeterre oriental.



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1415 Livre d'Heures de Marie de Gueldre Staatsbibliothek Berlin MS GERM QUARTO 42 fol 50v
Livre d’Heures de Marie de Gueldre, 1415, Staatsbibliothek Berlin, MS GERM QUARTO 42 fol 50v-51r [6]

Aux Pays Bas à la même époque, la scène ouvre les Heures de la Vierge, dans un esprit plus conventionnel : le miniaturiste place à gauche Auguste couronné, ainsi que ses compagnons, selon l’ordre héraldique. Il s’intéresse aux détails du rituel païen : comment la Sibylle effectue sa danse, et comment la Madone apparaît dans les fumées du bol posé au centre.



En France : un cas particulier


1405-12 Marechal de Boucicaut et Antoinette de Turenne Musee Jacquemart-Andre Paris MJAP-Ms 1311 f26v
La Vierge au Croissant avec le Maréchal de Boucicaut et son épouse Antoinette de Turenne
Maître de Boucicaut, 1405-08, Musée Jacquemart-Andre, MJAP-Ms 1311 f26v, Paris

Dans cette formule unique,une Vierge à mi-corps, dans un croissant de lune, apparaît au dessus du couple de donateurs. La classique présentation d’un couple à la Vierge (le Maréchal est présenté par Saint Georges en personne, transformé en écuyer portant son oriflamme et son heaume) est combinée avec la formule centrée de l’Ara Coeli, sans qu’il soit possible de dire à quel point l’assimilation potentielle du Maréchal à Auguste est délibérée.

La Vierge n’est en tout cas une Vierge de l’Apocalypse (il lui manque les douze étoiles, voir 3-3-1 : les origines), mais elle ressemble beaucoup à la Vierge de l’Ara Coeli qui apparaît un peu plus tard dans les Riches Heures de Jean de Berry.

A noter que la devise inscrite sur les écus (« sans nombre ») est celle d’un propriétaire ultérieur du manuscrit (Aymar de Poitiers), qui a fait remplacer par la sienne la devise du Maréchal (« ce que vous voudrez »).



En France dans le cercle d’Anne de Bretagne


Une iconographie originale se développe à la fin du XVème en France, qui place la scène en extérieur, dans la cour du palais d’Auguste.


1495 Heures a L'usage de Rome Fol. 58r Nicolas Higman pour Simon Vostre,coll priveeHeures à l’usage de Rome, 1495, Imprimé par Nicolas Higman pour Simon Vostre , Fol. 58r collection privée [7] 1512 Augustus and Tiburtine Sibyl - c 1512 Produced by Nicolas Higman for Simon Vostre in Paris, Use of Rome, coll privHeures a L’usage de Rome, vers 1512, Imprimé par Nicolas Higman pour Simon Vostre, collection privée

La formule apparaît semble-t-il en premier en 1495, dans ce Livre d’Heures à l’usage de Rome, édité par le libraire Simon Vostre. L’enluminure semble peinte sur une gravure sous-jacente : on devine sous la peinture grise les deux hommes derrière le serviteur, et la femme à droite de la servante, qui apparaissent dans la gravure de l’édition de 1512.


1512 Augustus and Tiburtine Sibyl - c 1512 Produced by Nicolas Higman for Simon Vostre in Paris, Use of Rome, coll priv inverseeHeures a L’usage de Rome, vers 1512, gravure inversée 1500-05 Maitre des Triomphes de Petrarque Petites Heures d'Anne de Bretagne Gallica BNF NAL 3027 fol 19vMaître des Triomphes de Pétrarque, 1500-05, Petites Heures d’Anne de Bretagne (à l’usage de Rouen) BNF NAL 3027 fol 19v (Gallica)

Or cette gravure (inversee) semble copiée sur la composition du Maître des Triomphes de Pétrarque : mêmes éléments principaux (pose identique de la Sibylle, même situation dans la cour du Palais, même chapeau posé au sol, mêmes trois ministres derrière Auguste) tout en l’enrichissant (ajout de la servante, de la ville) et en améliorant son réalisme (Auguste tourné vers l’arrière peut voir la Vierge apparaissant derrière le portique, ce qui n’est pas le cas dans la version des Petites heures). Or comme celle-ci lui est postérieure, il faudrait croire que le Maître des Triomphes de Pétrarque a, dans un livre destiné aux plus hauts personnages, recopié une illustration courante en inversant l’ordre héraldique, en supprimant des détails et en dégradant le réalisme…

Une hypothèse plus satisfaisante est qu’il a dû exister un ancêtre commun aux deux illustrations, aujourd’hui disparu, et que celui-ci s’inspirait à son tour de la composition anti-hélaldique des frères de Limbourg, soixante dix ans plus tôt.


1411-16 Très Riches Heures du duc de Berry Folio_22r_-_The_Virgin,_the_Sibyl_and_the_Emperor_Augustus 1500-05 Maitre des Triomphes de Petrarque Petites Heures d'Anne de Bretagne Gallica BNF NAL 3027 fol 19v

Même opposition entre la robe pourpre de la Sibylle debout et le manteau bleu de l’Empereur agenouillé, même détail rare de l’auréole sanctifiant la devineresse, même chapeau pointu pour l’Empereur, maintenant posé à terre ; même barbe et chevelure blanche. En revanche les allusions apocalyptiques (l’encensoir, le croissant de lune) ont été supprimées.


1500-05 Maitre des Triomphes de Petrarque Petites Heures d'Anne de Bretagne Gallica BNF NAL 3027 fol 19v detail 2 1500-05 Maitre des Triomphes de Petrarque Petites Heures d'Anne de Bretagne Gallica BNF NAL 3027 fol 19v detail

Le passage d’une composition à plat, purement décorative, à une scène en profondeur a clairement posé problèmes : Auguste est à la fois en avant de la Sibylle (à en juger par sa manche) et en arrière (à en juger par son chapeau) ; et il ne peut pas voir l’apparition que ses compagnons désignent, puisqu’elle se situe au dessus de la cour (entre le toit et la paroi décorée de sculptures).


1500-05 Maitre des Triomphes de Petrarque Petites Heures d'Anne de Bretagne Gallica BNF NAL 3027 fol 26rAnnonce aux bergers,fol 26r. 1500-05 Maitre des Triomphes de Petrarque Petites Heures d'Anne de Bretagne Gallica BNF NAL 3027 fol 32r Adoration des Mages, fol 32r

Petites Heures d’Anne de Bretagne, BNF NAL 3027 (Gallica)

D’autres enluminures du livre sont conçues selon le même schéma centré : une apparition (étoile ou ange) entre un homme et une femme, contrastant par leur posture (à genoux et assis) dans une harmonie rose et bleu.


1500-05 Maitre des Triomphes de Petrarque Petites Heures d'Anne de Bretagne Gallica BNF NAL 3027 fol 25vMoïse et le buisson ardent, fol 25v 1500-05 Maitre des Triomphes de Petrarque Petites Heures d'Anne de Bretagne Gallica BNF NAL 3027 fol 29rGédeon et la Toison d’or, fol29r

Petites Heures d’Anne de Bretagne

Les deux autres miniatures montrant une apparition de grande taille sont des avatars d’Auguste et de sa toque : Moïse et son soulier, Gédéon et son casque. Un principe de variation semble régir le lieu de l’apparition : après la Vierge au centre, Dieu le Père apparaît tantôt à droite, tantôt à gauche.

Trois de ces miniatures sont unies par le même bandeau (sans rapport avec la scène illustrée) :

Ô Dieu, hâte-toi de me délivrer ! Éternel, hâte-toi de me secourir !
Psaume 70 (dit de David)
Deus in adjutorium meum intende, Domine ad adjuvandum me festina



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1500 ca Book of Hours France, Rouen, MS H.1 fol. 25v Morgan LibraryLivre d’Heures à l’usage de Rouen, vers 1500, MS H.1 fol. 25v Morgan Library 1500-20 Breviaire à l’usage du prieure Saint-Lo de Rouen Bibliotheque Sainte-Genevieve, manuscrit 1266, fol 122Bréviaire à l’usage du prieure Saint-Lo de Rouen, 1520-22, Bibliothèque Sainte-Geneviève, manuscrit 1266, fol 122

Après les Petites Heures d’Anne de Bretagne, la tradition anti-héraldique de l’apparition devant le Palais ne se rencontre plus que rarement, la formule dominante étant la version héraldique popularisée par les Livres d’Heures édités par Simon Vostre.


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Tapisserie Anvers 1500-25 Musee de Cluny
Tapisserie d’Anvers, 1500-25, Musée de Cluny, Paris

On la retrouve une dernière fois dans cette charmante tapisserie, où le motif religieux, devenu marginal, sert d’alibi à la représentation d’une rencontre courtoise au jardin.



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Une série de vitraux champenois du XVIème siècle présentent une composition centrée.

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1522 Guillemette, veuve de Nicolas Vinot eglise Saint Parres aux-Tertres Denis Krieger www.mesvitrauxfavoris.fr

 
1522, donatrice Guillemette, veuve de Nicolas Vinot
Eglise Saint Parres aux-Tertres,  Photo Denis Krieger http://www.mesvitrauxfavoris.fr
 

Ce vitrail s’inspire de la version centrée du Speculus  :  la forme du vitrail a obligé à décaler l’apparition en arrière, surplombant à la fois la scène de l’Ara Coeli et celle de la Rencontre à la Porte Dorée : l’idée commune étant dans les deux cas qu’il s’agit de l’annonce d’une naissance (un Ange était apparu à Joachim et Anne pour leur annoncer celle de Marie).


1500-25 Vision d'Auguste eglise Saint-Pierre-es-Liens, Ervy le Chatel Denis Krieger www.mesvitrauxfavoris.fr

1500-25, église Saint-Pierre-es-Liens, Ervy le Chatel
Photo Denis Krieger http://www.mesvitrauxfavoris.fr

Celui-ci est très proche de l’illustration  de Simon Vostre. La coupure de l’image en deux a obligé l’artiste à rajouter des suivantes derrière la Sibylle, par raison de symétrie.


  
 
 
 
 
  
 
 
1535 eglise Saint-Alpin Chalons photo n.doduc vitrail.ndoduc.com
1535, église Saint Alpin, Chalons
photo N.Doduc
http://vitrail.ndoduc.com
1550 ca Cathedrale Saint Etienne de Sens Photo Denis Krieger www.mesvitrauxfavoris.frVers 1550, Cathédrale Saint Etienne de Sens
Photo Denis Krieger http://www.mesvitrauxfavoris.fr

Dans ces deux vitraux, la structure ternaire conduit à fusionner Auguste et la Sibylle dans le compartiment central.

Dans le vitrail de Saint Alpin, la donatrice s’installe à la place des suivantes, derrière la Sibylle : elle évite ainsi la concurrence visuelle avec  l’Empereur à genoux, et équilibre à elle-seule la troupe qui se masse derrière lui.

Le vitrail de Sens est très semblable, sans donatrice et en version anti-héraldique (les femmes à gauche).



Dans les pays germaniques

1435 konrad Witz retable du Miroir du Salut Musee des BA Dijon
Auguste et la sibylle (Panneau du retable du Miroir du Salut)
Konrad Witz, 1435, Musee des Beaux Arts, Dijon

Ce polyptyque démembré, dont les panneaux subsistants sont essentiellement conservés à Bâle, proposait une iconographie unique : les scènes sont toutes tirées du Speculum humanae salvationis et respectent le parti-pris de représenter systématiquement les personnages par couples (pour les panneaux des faces internes des volets). Une intéressante reconstruction de cette face interne, du point de vue des symétries d’ensemble, est celle d’Albert Châtelet [8].


Reconstruction d’Albert Châtelet

1435 konrad Witz retable du Miroir du Salut Musee des BA Dijon Reconstruction A.Chatelet

Cet auteur postule que la scène d’Auguste et la sibylle se poursuivait à gauche avec un panneau montrant les deux ministres, de la même manière que les panneaux de droite forment une suite continue, avec la scène des chevaliers Abisaï, Sabothaï et Benaja apportant de l’eau au Roi David. Ceci expliquerait la position de la Sibylle sur le bord droit de la progression, en pendant de David sur le bord gauche. L’ordre héraldique n’est pas en cause ici puisque sur le registre intermédiaire, le masculin et le féminin s’inversent d’un panneau à l’autre.


Reconstruction de Michaël Schauder [9].

1435 konrad Witz retable du Miroir du Salut Musee des BA Dijon Reconstruction Michael Schauder
Michaël Schauder a proposé une reconstruction plus ramassée, en conservant la même structure pour le registre inférieur. Dans la partie du Speculum d’où proviennent ces scènes , elles sont regroupées par quatre : trois scènes de l’Ancien Testament (les types) et une scène du Nouveau (l’Antitype) [10]. M.Schauder est parti du principe que les panneaux sculptés du centre étaient les antitypes des panneaux latéraux (flèches vertes) : ainsi, les deux panneaux de l’Ara Coeli, en bas à gauche, ont pour antitype la scène de la Nativité.

Il n’est pas possible ici de rentrer dans le détail de l’explication, mais les flèches en pointillés signalent les exceptions à cette règle de construction (la difficulté étant que les deux scènes du haut doivent se projeter dans un seul antitype).

Cette reconstruction, qui fait l’unanimité du moins en ce qui concerne les panneaux peints, a le grand avantage de présenter un registre supérieur très symétrique quant aux attitudes, au décor de l’arrière-plan (rideau accroché à une tringle) et à la répartition des sexes.


La Madone manquante

On notera que ces deux reconstitutions supposent que Witz a volontairement omis l’apparition de la Vierge dans  la scène de l’Ara Coeli. De plus Auguste et la Sibylle se font face, alors que tous les autres panneaux invitent à un mouvement horizontal, vers la gauche ou vers la droite.

1435 konrad Witz retable du Miroir du Salut Musee des BA Dijon Reconstruction Philippe Bousquet

Tentative de reconstruction personelle

A titre expérimental, j’ai essayé d’imaginer un retable intégrant la Vierge à l’Enfant qui manque à la scène de l’Ara Coeli (et qui aurait pu facilement être revendue lors du démembrement du retable). La bonne nouvelle est que cela permet de conserver l’essentiel de la reconstitution de M.Schauder, tout en la rendant plus rigoureuse quant aux types et antitypes.

Par rapport à celle-ci, j’ai :

  • supprimé la scène « bouche-trou » des deux ministres, remplacée par « Esther choisie comme épouse par Assuérus » (noter que le banc, recouvert d’un tissu vert et de coussins rouges, est identique à celui d’Auguste et la Sybille juste à côté) ;
  • interverti les panneaux du haut à droite ;
  • remplacé le panneau hypothétique du Couronnement de la Vierge par la Cène, antitype de « Melchisedek et Abraham »

On obtient alors une composition très symétrique, dans laquelle les huit panneaux latéraux, lus par couple verticaux, se projettent rigoureusement dans leur antitype (rectangles verts et flèches vertes).


1435 konrad Witz retable du Miroir du Salut Musee des BA Dijon Reconstruction Michael Schauder revers

Retable fermé (Reconstruction de Michaël Schauder)

Cette reconstruction est malheureusement impossible du fait de la taille des panneaux, qui sont de taille inégale mais obéissent à la logique illustrée ci-dessus. En outre, elle conduit à une composition très hétéroclite du panneau central, certes rigoureuse du point de vue du Speculum Humane Salvationis mais incohérente avec la chronologie du Nouveau Testament.

Ces difficultés font qu’on met de plus en plus en doute l’idée que le panneau central ait été composé d’antitypes : la dernière hypothèse (exposition de 2011 à Bâleest que le centre du retable n’était pas une série de bas-reliefs inspirés du Speculum, mais une statue monumentale de la Vierge. De plus, la taille inégale des panneaux a conduit  à une hypothèse très séduisante, selon laquelle le retable se refermait autour de la statue à la manière d’un tabernacle.


1435 konrad Witz retable du Miroir du Salut Musee des BA Dijon Reconstruction Catalogue expo Bale

Catalogue de l’exposition Konrad Witz, Bâle 2011, éditions Hatje Kantz, p 96

Cette hypothèse, qui explique certaines anomalies du revers,  résoud aussi de manière radicale la question de l’absence de la Vierge dans le panneau d’Auguste et de la Sybille : elle constituait tout simplement le sujet central du retable.


Van des Weyden 1445-50 Seven_Sacraments Altarpiece Royal Museum of Fine Arts Antwerp detail retable

Détail du panneau central du retable des Sept Sacrements
Van des Weyden, 1445-50, Royal Museum of Fine Arts, Anvers

Un exemple un peu différent nous est fourni par Van des Weyden : au centre de la cathédrale gothique de son triptyque des Sept Sacrements, trône une Vierge à l’Enfant sur socle hexagonal, entourée de quatre volets assurant la fermeture latérale. Malgré la taille minuscule, on peut reconnaître huit scènes de la vie de Marie : Annonciation, Visitation, Nativité, Présentation au Temple, Rois Mages (les trois dernières sont indistinctes).


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France. Tabernacle with scenes from the infancy of Christ, 1340–50 MET France. Tabernacle with scenes from the infancy of Christ, 1340–50 MET closed

Tabernacle avec des scènes de l’enfance du Christ, France. 1340–50, MET

On retrouve le même système de fermeture sur ce petit tabernacle portatif en  ivoire.



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1460-67 Maitre ES La Vierge et l'Enfant apparaissant à Auguste et à la Sibylle Tiburtine dessin Louvre INV 18842, inverseDessin, Louvre INV 18842, Paris (inversé de gauche à droite) 1460-67 Meister E.S. Die Sibylle von Tibur und Kaiser Augustus Kupferstichkabinett DresdenGravure, Kupferstichkabinett, Dresden

La Vierge et l’Enfant apparaissant à Auguste et à la Sibylle Tiburtine, Maître ES, 1460-67

Nous avons déjà vu la gravure du Maître ES très inspirée de Van der Weyden (3-2-1 … sur la droite). On lui doit sur le même thème cette composition plus personnelle, dont le dessin du Louvre (ici inversé de gauche à droite) est très probablement l’esquisse.

Le dessin présente quelques détails supplémentaires :

  • le bateau qui avance de droite à gauche (donc dans le sens de la lecture si ce détail avait été conservé dans la gravure) ;
  • le mur qui place le couple dans une sorte de fortification dominant le Tibre ;
  • l‘île tibérine au centre ;
  • le pic derrière Auguste, qui doit évoquer le Capitole et son célèbre rocher.

Ce rocher, qui symbolise la chute des puissants, la couronne et le sceptre attribués à la Sibylle, avaient probablement la même intention satirique : insister sur la défaite d’Auguste.

Dans la version finalement gravée, l’artiste a renoncé à ces complications :

  • suppression du rocher pour améliorer la lisibilité d’Auguste ;
  • remplacement de la couronne de la Sibylle par un extraordinaire turban, dont un pan tombe jusqu’à ses pieds ;
  • remplacement du bateau, à l’aplomb de l’apparition, par un pont en Y qui traduit la même idée d’union des deux rives (la païenne au premier plan et la chrétienne au second, avec les nombreuses églises).



A Florence


1482-85 Ghirlandaio sibilla Cappella Sassetti di Santa Trinita Florence
Ghirlandaio, 1482-85 Chapelle Sassetti, église de la Santa Trinita, Florence

La composition centrée convient particulièrement pour la décoration de ce mur en ogive. Auguste en toge et couronné de lauriers contemple noblement le monogramme IHS que lui désigne la Sibylle (la petite histoire dit qu’elle serait le portrait d’une des filles Sassetti, qui se prénommait Sibilla).

Sous les rayons du disque, les Romains, hommes et les femmes, surplombent un panorama de la ville, selon une symétrie qui n’est pas sans rappeler, en positif, les figures de la Vierge de la Miséricorde protégeant la cité contre les traits de la colère divine (voir 2-2 La Vierge de Miséricorde).


1493 apres Stanze della festa di Ottaviano Imperatore , Firenze, Miscomini, dopo 22 luglio1493 (C) British Library
Illustration des « Stanze della festa di Ottaviano Imperatore », Miscomini, Florence, après 1493 (C) British Library

La composition centrée et les vêtements à l’antique montrent que l’illustrateur avait vu la fresque de Ghirlandaio : mais il a supprimé la compagnie féminine de la Sibylle et suggéré une idée nouvelle : celle de la concurrence entre l’Empereur et la devineresse :

  • couronne de laurier contre pétase mercuriel,
  • sceptre contre baguette magique.



Synthèse chronologique (XIIeme – XVIéme)


A l’issue de ce parcours au travers des trois formules de la scène de l’Ara coeli, nous pouvons tenter une synthèse chronologique.



Ara Coeli Schema chrono
(les plages blanches correspondent à une série d’oeuvres (en jaune le Speculum), les autres mentions sont des oeuvres isolées)


La composition à droite

En Italie, c’est à Rome qu’elle apparaît au XIIème siècle, dans l’églse de l’Ara Coeli. Elle reste ensuite prédominante, renforcée par la normalisation effectuée par Barbieri.

En France, elle connaît un développement particulier dès le début du XVème dans les oeuvres de Christine de Pisan, elle-même d’origine italienne.

Le « Speculum humanae salvationis » la popularise dans le reste de l’Europe, et inspire le retable Bladelin de Van der Weyden.


La composition à gauche

Très minoritaire, elle apparaît sporadiquement. L’oeuvre majeure est la miniature des frères de Limbourg pour le Duc de Berry, où elle prend clairement un sens dévotionnel (peut être par opposition à la formule « profane » portée au même moment par Christine de Pisan).

Il faut attendre 1468 pour a voir apparaître dans le Speculum humanae salvationis.


La composition centrée

En Italie, elle fait son entrée très tôt, dans un style byzantinisant qui n’aura pas de lendemain. Elle ressurgit à Florence à la fin du XVIème, propulsée par Ghirlandaio.

Dans le Speculum, elle apparaît vers 1400, sans doute par contamination avec l’image jumelle, celle de la verge d’Aaron.

En France, on la trouve dès 1406, lors de la mode de la Sibylle dans l’entourage du Duc de Berry. Il est probable que la formule inspire un siècle plus tard le Maître du Triomphe de Pétrarque, dans l’entourage d‘Anne de Bretagne.

Notons enfin en Allemagne les expériences de Maître ES, qui resteront isolées.


Références :
[1] Arianna Pascucci “L’iconografia medievale della Sibilla Tiburtina”,
https://www.academia.edu/9789364/Liconografia_medievale_della_Sibilla_Tiburtina_di_Arianna_Pascucci_Tivoli_2011
[2] Cette composition apparaît des 1476 , Compilatio historiarum, Giovanni, da Udine
Switzerland, Basel, 1476 Morgan Library MS M.158 fol. 28r http://ica.themorgan.org/manuscript/page/46/77241
[3] FOURNIER-SARLOVEZE. Quelques primitifs du centre de la France, Revue de l’art ancien et moderne, 1909, Volume 25, p 120 et ss
https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k56292860/f149.item
[4] Mémoires de la Commission Historique du Cher, Volume 1, p 43
https://books.google.fr/books?id=wq-6dSmiFBoC&pg=PA43
[5] « La naissance à Rome de la Vision de l’Ara Coeli. Un aspect de l’utopie de la Paix perpétuelle à travers un thème iconographique « , Philippe Verdier, Mélanges de l’école française de Rome Année 1982 94-1 pp. 85-119
https://www.persee.fr/doc/mefr_0223-5110_1982_num_94_1_2642
[8] Albert Châtelet, « Le retable du miroir du salut : quelques remarques sur sa composition », Revue suisse d’art et d’archéologie, Schweizerisches Nationalmuseum, vol. 44, no 2,‎ 1987, p. 105-116 https://www.e-periodica.ch/digbib/view?pid=zak-003:1987:44::117#122
Pour la reconstitution classique, voir https://fr.wikipedia.org/wiki/Retable_du_Miroir_du_Salut
[9] Michael Schauder: « Der Basler Heilsspiegelaltar des Konrad Witz – Überlegungen zu seiner ursprünglichen Gestalt », dans « Flügelaltäre des späten Mittelalters : [die Beiträge des Internationalen Colloquiums « Forschung zum Flügelaltar des späten Mittelalters », veranstaltet vom 1. bis 3. Oktober 1990 in Münnerstadt in Unterfranken] » Krohm, Hartmut, Oellermann, Eike, 1992 p 103-122
[10] Pour le sommaire du Speculum en types et antitypes, voir
https://iconographic.warburg.sas.ac.uk/vpc/VPC_search/Speculum_summary.html#CH1