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La mort pile ou face

10 septembre 2020
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Cet article traite d’objets particulièrement adaptés à la Vanité des richesses, et dans lesquels apparaît de loin en loin, de manière épisodique, l’idée de faire surgir la Mort sous le précieux :

retourner la médaille fait voir  la Mort en face.

Les trois médailles de Boldù

A la Renaissance, les personnages importants font réaliser une médaille commémorative à leur effigie, avec côté pile une scène ou une allégorie personnalisée.

pisanello 1438 Medaille de Jean VIII Paleologue Staatliche Museen Berlin

Médaille de Jean VIII Paléologue
Pisanello, 1438, Staatliche Museen Berlin

Giovanni Boldù est le premier à oser, expérimentalement et en l’appliquant à lui-même, introduire la Mort à son revers [1].


Première médaille funèbre

1458 Medaille autoportrait Giovanni Boldu National Gallery of Art, Washington

Médaille commémorative de lui-même
Giovanni Boldù, 1458, National Gallery of Art, Washington

Imitant Pisanello, Boldù inscrit en latin, côté pile : « Giovanni Boldù de Venise, peintre » ; et pour pousser encore plus loin l’érudition humaniste, il inscrit côté face, au dessus de son profil en costume contemporain, la même mention en grec alternant avec l’hébreu, non sans quelques erreurs [2] :

ΙΩΑΝΝΗΣ ΜΠΩMΤΟN ΖΩΓΡΑΦΟΣ BENAITIA
yochanan boldu me veneziya zayyar

Au revers il se montre assis nu sur un tertre, en posture mélancolique, châtié par la Repentance (la vieille femme au fouet) et secouru par la Foi (l’Ange avec le calice), entre en haut un soleil rayonnant (Dieu, la Vie, le Jour à son zénith) et en bas, très peu visible suite à l’usure, une tête de mort ailée (l’Enfer, la Mort, la Nuit, l’Eternité).
1458 Medaille autoportrait Giovanni Boldu National Gallery of Art, Washington detail


Deuxième médaille funèbre

1458 Medaille autoportrait Giovanni Boldu A

Médaille commémorative de lui-même
Giovanni Boldù, 1458, National Gallery of Art, Washington

La même année, il réalise une seconde version, non plus chrétienne mais antiquisante :

  • côté face, suppression de l’hébreu et représentation de lui-même torse nu et couronné de lauriers, copiant une monnaie romaine :
    Aureus_a_l'effigie_de_Caracalla 204
    Aureus à l’effigie de Caracalla, 204

1458 Medaille autoportrait Giovanni Boldu B

  • côté pile, remplacement des deux allégories chrétiennes par une païenne (un putto ailé à l’air méchant) et composition horizontale : Boldù se cache le visage parce que le Génie de la Mort , (accoudé au crâne) l’empêche d’accéder à la source de vie (le brasier).



Troisième médaille funèbre

1461 Giovanni_boldu,_medaglia_di_caracalla, A 1461 Giovanni_boldu,_medaglia_di_caracalla, B_con_riflessione_sulla_morte

Médaille de Caracalla (Antoninus Pius ), Giovanni Boldù, 1461

Trois ans plus tard, il explicite la signification du putto ailé en l’appliquant, non plus à lui-même en jeune homme, mais à Caracalla enfant :

Je suis la Fin

IO SON FINE

Le mot IO désigne le jeune homme affligé, et le mot FINE le putto, ici légèrement modifié puisqu’il tient maintenant la flamme dans sa main gauche : métaphore de l’âme qui n’a plus sa demeure dans le crâne.


L’invention d’un motif

Le motif de l’Enfant au crâne va devenir un des standards de la Renaissance et du Baroque, et Horst W. Janson a bien montré par quelles voies il dérive de l’invention de Boldù. Celui-ci a créé un type original, tout en reprenant graphiquement une médaille antérieure :

Ludovico Gonzaga da Mantova Pietro di FanoLudovico Gonzaga da Mantova Pietro de Fano 1452-57Ne me touche pas (Noli me tangere)

Pietro de Fano, 1452-57

Le porc-épic, qui symbolise l’amour marital inexpugnable du Duc de Mantoue, prévient Cupidon (sans ailes) de ne pas s’approcher.


Une transposition de l’antique (SCOOP !)

Comme le note Horst W. Janson, Boldù n’a pas transposé le Génie de la Mort romain (un jeune homme ailé debout et tenant une torche renversée à la main), mais a réellement inventé un emblème nouveau, que la figure de l’Enfant assis par terre rend plus frappante encore.

Si la pose du putto recopie à l’évidence la composition de Pietro de Fano, l’irruption du crâne s’explique difficilement par la seule transformation du porc-épic.


Aureus_a_l'effigie_de_Caracalla 204 BAureus à l’effigie de Caracalla, 204 1461 Giovanni_boldu,_medaglia_di_caracalla, B_con_riflessione_sulla_morte

Si l’on se souvient du côté pile de la monnaie de Caracalla, il est bien possible que la Victoire ait inspiré ce qui manque chez Pietro de Fano :

  • par ses ailes, celles du putto ;
  • par sa couronne de lauriers dans la main droite, le crâne ;
  • par sa palme dans la main gauche, la flamme.



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1462 antonio marescotti medal for Fra paolo albertini A Scher Collection 1462 antonio marescotti medal for Fra paolo albertini B Scher Collection

Médaille de Fra Paolo Albertini
Antonio Marescotti, 1462, Scher Collection

Marescotti prend le contre-pied de Boldù en rechristianisant son jeune homme affligé : habillé en moine et assis confortablement, il contemple sans effroi le crâne renversé à ses pieds.


1467-ca-Sperandio-di-Bartolommeo-de-Savelli-Fra-Cesario-Contughi-di-Ferrara-NGA-A- 1467-ca-fSperandio-di-Bartolommeo-de-Savelli-Fra-Cesario-Contughi-di-Ferrara-NGA-B

Médaille de Fra Cesario di Ferrara, moine servite, NGA, Washington
Sperandio di Bartolommeo de’ Savelli, 1467

De la sérénité chrétienne à l’exploitation de l’angoisse : le moine ici nous désigne la Mort du doigt et nous intime d’y songer.



Une médaille de papier

1517 Godefroy le Batave. François_Demoulins_de_Rochefort La Vie de la belle et clere Magdalene BNF FR 24955 fol 71rFol 71r 1517 Godefroy le Batave. François_Demoulins_de_Rochefort La Vie de la belle et clere Magdalene BNF FR 24955 fol 72rFol 72r

La Vie de la belle et clere Magdalene, de François Demoulins de Rochefort, illustré par Godefroy le Batave, 1517, BNF FR 24955

Ce manuscrit au format très particulier se compose d’une série de médaillons contenant alternativement le texte et les illustrations de cette vie de Marie Madeleine. Les médaillons imagés composent quelquefois une sorte de bande dessinée, décomposant une histoire en plusieurs scènes. Les deux derniers médaillons imagés du livre forment une paire, l’un montrant ‘la Beauté naturelle », l’autre « la Mort, ennemie de la Nature et de la Beauté ».

Le reliquaire géant du chef de Marie-Madeleine, soutenu par quatre anges, est adoré par un roi. Les deux images se présentent en miroir, rappelant le procédé de « travelling circulaire » souvent observé dans les médailles allégoriques : le côté face montrant le portrait physique d’un personnage vu de profil, et le côté pile son portait allégorique, regardant dans l’autre sens de manière à suggérer que le même personnage est comme pris en sandwich à l’intérieur de la médaille (voir ZZZ) .

Ici la continuité est plus complexe, puisque le portrait n’est pas vu de profil, mais de face : le médaillon « pile » ne nous montre pas le reliquaire vu de derrière, mais la page « face » vue de derrière, comme si le parchemin était devenu transparent. En tournant la page, le lecteur effectue donc une double transformation virtuelle : il rend transparent le parchemin, et inverse la Vie en Mort.



Fragiles beautés

1560 Reine Dorothee du Danemark

Reine Dorothée du Danemark, 1560

Dorothée de Saxe-Lauenbourg ne mourra qu’en 1571 : la médaille commémore le décès de son mari le roi Christian II, en 1559.

Pense au jour et à l’heure

BENDENCK DAS ENDT UND DIE STUNDE

 



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Médailles pour la mort de Anna-Cathrina Munk (fille morganiatique de Christian IV du Danemark)

1634 Danemark

1634, Danemark ([3], p 86)

Quand tu pense être au sommet de ta floraison, la Mort est ton hôte certain.

Où que tu te tournes, la Mort est ta fin


1634 Memento mori danois

1634, Danemark ([3], p 87)

 

« Apprends-nous à nous souvenir que nous devons mourir, pour que nous connaissions la sagesse. »

Psaume 89,12

Je suis belle

« Mes jours sont plus rapides qu’un courrier; Ils fuient sans avoir vu le bonheur » 

 Job 9, 25

J’étais belle


1630-ca-Medaille-dElizabeth-Stuart-Reine-de-Boheme-Christian-Maler-Nuremberg-A. 1630-ca-Medaille-dElizabeth-Stuart-Reine-de-Boheme-Christian-Maler-Nuremberg-B

Médaille dite d’Elizabeth Stuart, Reine de Bohème (copiée sur celle d’Anna Katherina Munk)
Vers 1635, Christian Maler, Nuremberg ([3], p 90)

Quelle je suis, plus tard au verso vous le verrez

me voici maintenant, autrefois la plus belle

QUÆ SIM POST TERGA VIDEBIS 

SIC NVNC PVLCHERRIMA QVONDAM.

Cette médaille illustre parfaitement le procédé de « travelling circulaire » évoqué plus haut : le squelette vu de loin, côté pile, révèle la réalité allégorique qui se cache dans le portrait physique vu de près, côté face. Le texte rend explicite cette identité paradoxale.



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1612 Medaille auf die Vergänglichkeit Vorder- und Ruckseite Jan de Vos
Médaille de la Fugacité, Jan de Vos, 1612

« Ne vous vantez pas de demain »

(Proverbes Salomon, 27: 1).

« Souvenez-vous que la mort ne tarde pas »

(Jésus Sirach 14:12).

NE GLORIERIS IN CRASTINUM

MEMOR ESTO QUONIAM MORS NON TARDAT


Médailles à l’occasion d’un décès

1580 medal of Michael Leonhard Maier by Baldwin Drentwett

Médaille pour la mort de Michael Leonhard Maier, bourgmestre d’Augsbourg, par Baldwin Drentwett, 1580



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1621 Wijnkopersgilde van Amsterdam, begrafenispenning van David Dornville, Albert Frijlinck Rikjsmuseum A 1621 Wijnkopersgilde van Amsterdam, begrafenispenning van David Dornville, Albert Frijlinck Rikjsmuseum B
 
Médaille funéraire de David Dorville, membre de la Guilde des Vigneons d’Amsterdam,
par Albert Frijlinck, 1621, Rijksmuseum

Apprends à mourir

DISCE MORI


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Pfennig de Bale

« Pfennig de Bâle », vers 1640, atelier de Friedrich Fechter

 

Aujourd’hui rouge, demain mort.

Heut rodt morn dodt

Ces médailles semblent avoir servi de cadeau lors de funérailles. Il en existe plusieurs modèles. Celles qui ont un crâne au revers portent côté face soit le basilic avec les armes de Bâle, soit une vue de la ville ([3], p 92).



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1640 Charles I Bristish Museum

Médaille de Charles I, 1649, Bristish Museum

Frappée après la décapitation de Charles I

Charles par la Grâce de Dieu Roi de Grande Bretagne, France et Irlande

<J’ai reçu une couronne> bénie et éternelle <J’en ai laissé une > splendide mais lourde.

CAROLVS . D : G : MAG : BR : FR : ET . HI : REX.

BEATAM . ET . ETERNAM . SPLENDIDAM . AT . GRAVEM

Côté pile, le crâne est désigné par les initiales C et R (Carolus Rex) et les mots GLORIA et VANITAS. L’inscription est inspirée des derniers mots du roi : « I go from a corruptible to an uncorruptible crown, where no disturbance can be. »



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1672 Cornelius de Witt and Johann de Witt col; priv

1672, Exécution de Cornelius et Johann de Witt,, Collection privée

1672 Cornelius de Witt and Johann de Witt Frick Collection recto 1672 Cornelius de Witt and Johann de Witt Frick Collection verso

1672, Exécution de Cornelius et Johann de Witt, Frick Collection

Il existe plusieurs modèles : le côté pile représente l’exécution de manière métaphorique (la populace représentée par des lions) ou bien réelle.

Jan_de_Baen-_De_lijken_van_de_gebroeders_de_Witt 1648 Rijksmuseum

Les cadavres des frères de Witt
Jan de Baen, 1648, Rijksmuseum



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1684 Charles II A

1684 Charles II B

 Médaille pour le décès de Charles II d’Angleterre le 6 février 1684

Pile : 

A la froide tombe, tous doivent venir

To the cold tomb all heads must come

James Shirley, The contention of Ajax and Ulysses, 1659

 


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1799 George Washington funeral coinMédaille pour les funérailles de George Washington, 1799



Crânes honorifiques

Certains hommes particuliers méritent comme emblème un crâne ou un squelette.

1682 Medaille maconnique allemande 1682 Medaille maconnique allemande B

Médaille ou jeton maçonnique allemande, 1682

1795 Loge de la Parfaite egalite Rouen A 1795 Loge de la Parfaite egalite Rouen B

Médaille d’appartenance à la Loge de la Parfaite Egalité, Rouen, 1795

Côté pile, les squelettes entre les dex colonnes sont le Roi David (avec sa houlette de berger) et le Roi Salomon (avec son sceptre).


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1620 Surgeons’ guild in Amsterdam, Jeton de presence

Jeton de présence de 1620 de la Guilde des Chirurgiens d’Amsterdam, collection particulière

Entre 1620 environ et la fin du XVIIIe siècle, les chirurgiens travaillant à Amsterdam recevaient après avoir réussi leurs examens, un jeton de présence leur donnant droit de participer aux réunions de la Guilde. [4]



1680 Surgeons’ guild in Amsterdam, Jeton de presence
Jeton de présence de Isaac Hartmann
« devenu maître de septembre 1672 a 75. Encore en 1677, jusqu’à la fin le 5 septembre 1680 ».
 


1684 Surgeons’ guild in Amsterdam, access fee for the hortus medicus of Andreas Bonn, professor of anatomy and surgery 1771 Rijksmuseum A 1684 Surgeons’ guild in Amsterdam, access fee for the hortus medicus of Andreas Bonn, professor of anatomy and surgery 1771 Rijksmuseum B

Jeton de 1684 donnant accès au Jardin Botanique d’Amstardam (hortus medicus)
Gravé au nom d’Andreas Bonn, professeur d’anatomie et chirurgie, 1771, Rijksmuseum

À partir de 1684, ils recevaient également le jeton d’accès à l’Hortus Medicus.


1731 Surgeons’ guild in Amsterdam medaille d'Abraham Titsingh

Médaille honorifique en l’honneur d’Abraham Titsingh, 1731

L’année 1731 est celle de sa nomination comme maître de la guilde, après avoir dénoncé et révoqué le précédent conseil, coupable de manoeuves frauduleuses.



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1774 Moses Mendelssohn (natus 1729)

Médaille en l’honneur de Moïse Mendelssohn (natus 1729), 1774

Le crâne côté pile illustre une des oeuvres les plus célèbres du «Socrate allemand», « Phédon ou entretiens sur l’immortalité de l’âme » (1767). Il ne mourra qu’en 1786.


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Medals of F.J. Gall, by Loos, Berlin, 1805

Médaille en l’honneur de Franz Joseph Gall, par Loos, Berlin, 1805.

Gall est le fondateur de la phrénologie, discipline qui prétendait déceler les facultés et les penchants des hommes par la palpation des reliefs du crâne.


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1829 medal of St. Thomas's Hospital, by William Wyon (The Cheselden Medal)

Médaille de St. Thomas’s Hospital, en l’honneur du chirurgien Cheselden,
par William Wyon, 1829

La devise :

La Mort salut les vivants

MORS VIVIS SALUS

est illustrée par le crâne et la jambe d’un squelette, au dessus d’un cadavre qui vient d’être posé sur une table de dissection.


Les Hobos nickel [5]

Une autre manière de faire apparaître le crâne est, sans retourner la pièce, de le faire surgir du côté face : l’art du détournement de pièces s’est surtout développé en Angeterre et aux Etats-Unis, en plusieurs phases.


1851 Liberty Half cent 1851 Liberty Half cent Hobo nickel

1851 Half cent

1878-Morgan-One-Dollar 1878-Morgan-One-Dollar-Hobo-Nickel

1878 One Dollar Morgan

Une des premières figures couramment détournée est celle de la Liberté : le crâne n’est pas la seule possibilité, mais une des plus courantes.


Victoria crown 1893(un quart de livre, argent) Victoria crown 1893 (un quart de livre, argent) Hobo

Victoria crown 1893 (un quart de livre, argent)

En Angleterre, la dérision macabre s’attaque à la reine Victoria elle-même.


1913-5C-Buffalo_Nickel
1927 hobo_nickel_skull__buffalo_zombie

1913, Buffalo Nickel (Five cents)
1927, Buffalo Nickel hobo

Emis aux USA partir de 1913, le « buffalo nickel » se prêtait particulièrement aux détournements. L’origine du terme « hobo nickel » vient peut être du port d’Hobonek, par lequel ont transité trois millions de soldats durant la Première Guerre Mondiale, qui passaient leur temps comme ils pouvaient. Une autre explication est que ces pièces de peu de valeur étaient retravaillées et échangées par les clochards (hobos) [6]. Même si elle avait commencé auparavant, la popularité des crânes « buffalo » date de l’époque de la Grande Dépression.


1948 Jefferson nickel 5 Cents 1948 1948 Jefferson nickel 5 Cents skull

1948, Jefferson Five Cents

Le Jefferson nickel, qui a remplacé le Buffalo Nickel à partir se 1938, s’est révélé tout aussi propice.


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gibraltar-2010-neanderthal-skull-one-pound-coin
One Pound avec le crâne de l’homme de Néanderthal, Gibraltar, 2010

Détournement officiel (et involontaire) du profil de la reine Elisabeth.



Références :
[1] Pour la chronologie et la signification des trois médailles, j’ai résumé l’article de Horst W. Janson « The Putto with the Death’s Head », The Art Bulletin, Vol. 19, No. 3 (Sep., 1937), p 428 https://www.jstor.org/stable/3045691
[2] Sur le détail des inscriptions, voir G.F. Hill, « Portrait medals of Italian artists of the Renaissance », 1912, p 38 https://books.google.fr/books?id=My8PAwAAQBAJ&pg=PA34
[3] Frederick Parkes Weber, « Aspects of death and their effects on the living : as illustrated by minor works of art, especially medals, engraved gems, jewels, &c « , 1910 https://archive.org/details/aspectsofdeathth00webeiala/mode/2up
[4] Frank F A IJpma, Chris Teulings, Thomas M van Gulik, « Guild medals from the Surgeons’ Guild of Amsterdam », 2015 https://www.ntvg.nl/artikelen/gildepenningen-van-de-amsterdamse-chirurgijns/volledig
[5] https://en.wikipedia.org/wiki/Hobo_nickel
[6] http://www.hobonickels.org/graphics/tri_fold.pdf

La mort en secret

10 septembre 2020
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Bijoux à secret macabre

Le macabre a toujours été une branche florissante de l’orfèvrerie : bagues ornées de têtes de mort ou de squelettes, montres ou flacons en forme de crâne.

Nous nous intéressons ici aux objets, moins fréquents, qui ne laissent voir la Mort qu’aux initiés.

Bagues de deuil

Aux XVIe et XVIIe siècles, la pratique de léguer des bagues appartenant au défunt à ses amis et à sa famille est progressivement remplacée par celle de laisser une somme d’argent pour acheter des bagues commémoratives et de deuil. La plupart portent des motifs funèbres visibles : mais nous nous intéressons ici à celles qui cachent leur jeu.

Anneau avec marque de marchand 16eme British Museum B Anneau avec marque de marchand 16eme British Museum A

Bague avec chaton tournant, 16ème siècle, British Museum

La Mort est agréable aux hommes bons

MORS BONIS GRATA

Cette bague appartenait à un marchand (qui n’avait donc pas droit à des armories) et lui permettait d’apposer sa marque sur ses marchandises.


Anneau avec chaton tournant 1600 Ca V et A Museum A Anneau avec chaton tournant 1600 Ca V et A Museum B

Bague avec chaton tournant, vers 1600, Victoria and Albert Museum, Londres

Cette autre bague de marchand porte sur sa couronne l’inscription « ‘NOSSE TE IPSUM » (Connais-toi toi-même), et permettait donc de faire des affaires tout en méditant sur la Vanité de la richesse.


Charles I gold seal ring B Charles I gold seal ring A

Bague à chaton tournant portant un sceau armorié, vers 1640, collection privée

On trouve donc des bagues avec un crâne caché bien avant l’exécution du Roi Charles I : celld-ci appartenait à un aristocrate, dont les armoiries n’ont pas été identifiées.


Les bagues du roi martyr

Face : portait en intaille de Charles Anneau a chaton pivotant Charles I VandA Museum

Bague à chaton tournant avec le portrait de Charles I, vers 1649, Victoria and Albert Museum, Londres

Pile : Le crâne avec les initiales C R, entre les mots GLORIA et VANITAS, la couronne du martyre et la couronne terrestre

A l’intérieur de la bague : « Emigravit gloria Angl the IA 30/1648″ (La Gloire de l(Angleterre a disparu le 30 janvier 1648)


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Charles I 1650 ca memorial ring closed Charles I 1650 ca memorial ring opened

Bague funéraire de Charles I, vers 1650

Celle-ci date de la période dangereuse juste après l’exécution. L’émail noir est signe de deuil, mais c’est seulement en soulevant le précieux diamant qu’apparaît le portrait du Roi.


Charles I Memento Mori 1650 ca bague royaliste Bristish Museum A Charles I Memento Mori 1650 ca bague royaliste Bristish Museum B

Bague Memento Mori de Charles I, probablement ancienne collection Horace Walpole, Bristish Museum

Cette bague porte à l’intérieur une invitation à mourir pour la Royauté : « Soyez prêt à me suivre (Prepared be to follow me) ».Il s’agirait d’une des sept bagues remises à ses proches lors de son enterrement.


Memento mori Charles I col priv christies A Memento mori Charles I col priv christies B

Bague Memento mori de Charles I, collection privée

L’inscription à l’intérieur est ici « Martye populi (Martyr du peuple). »

Il existe plusieurs bagues de Charles I avec crâne au revers : soit réalisées peu après son exécution, soit après la restauration de la monarchie en 1560, soit bien après [1]. L’exécution a eu lieu le 9 février 1649 en calendrier grégorien, mais la date gravée (30 janvier 1648) est celle du calendrier julien, en usage en Angleterre jusqu’en 1752.


Médaillon Charles I 1700 ca coll privee

Médaillon de Charles I, vers 1700, collection privée

Dans ce médaillon plus récent, l’année a été indiquée dans les deux calendriers.


charles-1-ring-facade National Gallery of Victoria, Melbourne A charles-1-ring-facade National Gallery of Victoria, Melbourne B

Bague Memento mori de Charles I, milieu XVIIème, National Gallery of Victoria, Melbourne

Le portrait a été monté en bague pivotante au XIXème siècle, d’où la date 48 mentionnée sur l’émail, et 30 janvier 1749 gravée sur la monture.


Memento mori Charles I col priv A Memento mori Charles I col priv B

Bague Memento mori de Charles I, collection privée

L’inscription « more than conqueror » fait allusion à sa mort en martyr :

Selon qu’il est écrit:  » A cause de toi, tout le jour nous sommes livrés à la mort, et on nous regarde comme des brebis destinées à la boucherie.  » Mais dans toutes ces épreuves nous sommes plus que vainqueurs, par celui qui nous a aimés.
Epitre aux Romains, 8:36-37


Un crâne scandaleux (SCOOP !)

Cette dernière bague nous fait sentir la raison pour laquelle, dans le milieux royalistes, ces bagues avec crâne caché ont rencontré un tel succès : il ne s’agit pas ici d’un memento mori générique, comme dans les bagues pivotantes avec sceau ou marque, mais bien de la tête décapitée ce jour précis. Et l’idée du régicide et de la fin de la monarchie est si contre-nature qu’elle doit être non seulement dissimulée par pudeur (rappelée seulement par le contact permanent avec la peau), mais retournée de haut en bas, comme il sied dans un monde renversé.


Autres bagues à secret macabres

Anneau Memento Mori Flandres 1525-1575 British Museum A Anneau Memento Mori Flandres 1525-1575 British Museum B

Bague Memento Mori, Flandres, 1525-1575, British Museum

Cette bague ne cache pas son jeu, puisqu’un crâne est posé sur la couverture du Livre, accompagné de deux crapauds et d’un serpent, et entouré de quatre joyaux. Ouvrir le livre, c’est remonter à la naissance et constater que déjà le jeune enfant cohabite avec .la Mort et le sablier.

Dirige ton chemin vers le Seigneur, fais-lui confiance, et lui, il agira (Psaume 36:5)
Soit que nous vivions, soit que nous mourions, nous appartenons au Seigneur. (Romains 14,8)

 Sive vivim(us) sive morimur domini sum(us)

Commenda Domino viam tuam, et spera in eum, et ipse faciet.

 


Anneau Memento Mori Flandres 1525-1575 British Museum C Anneau Memento Mori Flandres 1525-1575 British Museum D

Les parties latérales de ce somptueux bijou en expliquent la cause : la Chute de l’Homme (le serpent est caché dans l’arbre entre Eve et Adam) et l’Expulsion du paradis.



Anneau Memento Mori Flandres 1525-1575 British Museum E
L’arrière de la bague montre deux mains enserrant un coeur.


1650 ca Two hands, one heart, till death us partVers 1650 1800 ca Anneau ouvrant deux mainsVers 1800

Ces deux bagues développent le même symbolisme :

Deux mains, un coeur, jusqu’à ce que la mort nous sépare

Two hands, one heart, till death us part


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Anneau Memento Mori fin XVIIeme Ashmolean MuseumBague Memento Mori, fin 17ème, Ashmolean Museum Anneaux jumeaux debut 17emeBagues jumelles début 17ème, collection privée

Ces deux bagues exploitent le même thème de la coïncidence entre le Début et la Fin : en retournant ou en disjoignant l’anneau, on constate que l’enfant et le squelette ne sont séparés que par une infime épaisseur : notre vie.


Bague gimmel Allemagne 1631 MET, New York A Bague gimmel Allemagne 1631 MET, New York B

Bague « gimmel », Allemagne, 1631, MET, New York

Dans cet exemple, on retrouve sur les deux flancs le symbole des mains tenant un coeur. L’inscription explique l’usage de ce type de bague séparable :

Ce que Dieu a conjoint, l’Homme ne ne séparera pas.

QUOD DEUS CONJUNXIT HOMO NON SEPARABIT

De l’autre côté sont inscrits les noms des deux fiancés : Jacob Sigmund von der Sachsen et Martha Wurmin. Lors des fiançailles, chaque promis gardait une des deux moitiés, qui étaient ensuite réunies comme bague de mariage pour l’épouse [2].



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Georgian, 1721

Bague de deuil, 1721

Le sablier, le squelette et les outils de fossoyeur, se dissimulent en éléments décoratifs étirés le long de la bague, tandis que le crâne du défunt, avec ses initiales, se laisse voir dans sa tombe transparente.


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Mourning ring 1731 GEORGE BUCHANAN British Museum

Bague pour le deuil de Greorge BUCHANAN, 1731, British Museum

Le cristal laisse deviner un crâne et des cheveux du défunt.
Inscription : GEORGE BUCHANAN OBT IUNE 10.1731.


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Skull Diamond Locket Ring Memento Mori 18ct Gold2-500x500 Skull Diamond Locket Ring Memento Mori 18ct Gold6-500x500
1850 ca Orfevrererie georgienne A 1850 ca Orfevrererie georgienne B

Bague à chaton ouvrant, Epoque géorgienne (fin XVIIIème, début XIXème)

Ce modèle assez courant fonctionne sur le principe du « Connais-toi toi-même » : d’abord un miroir déformant, puis le Réel.


Crânes maçonniques

Les bagues maçonniques ne cachent pas le crâne, mais le montrent au contraire ostensiblement. Voici quelques rares objets qui le dissimulent.

Mark Medal made for D.Eames, 1811. Probably New York Scottish Rite Masonic Museum LexingtonD.Eames, 1811, probablement New York Mark Medal made for William L. Peets, 1824. Connecticut Scottish Rite Masonic Museum LexingtonWilliam L. Peets, 1824, Connecticut

Marques de Franc-maçons, Scottish Rite Masonic Museum, Lexington [3]

Ces marques, personnalisées pour chaque propriétaire, présentent des forme et de décorations très variées. Parmi celles qui sont en forme de bouclier, certaines ont des découpes qui évoquent très probablement la forme du crâne.


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Globes à secret

masonic-ball-and-cross-pendant-charm masonic-ball-1890 ca

Ces globes sont apparus vers 1890-1900, à la fin de l’époque victorienne. La forme de gauche est la plus courante : la boule s’ouvre et se déploie en une croix à six pyramides, aux facette ornées de symboles [4]. Le modèle de droite, en pentagramme, est plus rare.


1900 ca Antique-Masonic-Skull-Bones-Ladder-9Ct-Gold-Ball 1900 ca Antique-Masonic-Skull-Bones-Ladder-9Ct-Gold-Ball ouvert

Dans cette autre forme, la boule développe quatre motifs :

  • les deux colonnes (l’entrée du Temple) ;
  • l’équerre et le compas (grade d’Apprenti) ;
  • l’étoile flamboyante (grade de Compagnon) ;
  • le crâne (grade de Maître).



Références :
[1] https://dyingcharlotte.com/2017/09/23/his-good-late-majesty-memorial-jewelry-for-king-charles-i/
[2] https://en.wikipedia.org/wiki/Gimmal_ring
[3] https://nationalheritagemuseum.typepad.com/library_and_archives/mark-medals/

[4] Pour leur explication, voir http://wharfedaleantiques.blogspot.com/2016/11/masonic-orb-pendant.html

La mort biface

28 août 2020
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Les figures macabres double-face (janiformes), sont pour la plupart des grains (patenôtres), intermédiaires ou terminal, provenant de chapelets en ivoire. Je n’ai retenu ici, parmi celles qui ont un squelette sur une de leurs deux, trois quatre faces, celles qui présentent des particularités intéressantes (inscriptions) [0].

On les date du début du XVIème siècle, et on leur attribue une origine française, hollandaise ou allemande. Je les ai regroupées en trois catégories, suivant leur format.


Format portrait

Jeune homme et crâne

AMARA MEMORIA

L’inscription vient de l’Ecclésiaste :

O mort, que ton souvenir est amer
Ecclésiaste, 41,1

O mors, quam amara est memoria tua


O MOR C AMARA EST MEMORIA TUA Museum fur Kunst und Gewerbe Hamburg A O MOR C AMARA EST MEMORIA TUA Museum fur Kunst und Gewerbe Hamburg B

Museum für Kunst und Gewerbe, Hambourg

Un visage de jeune homme est apparié avec le crâne, qui tient la bandelette comme un mors entre ses dents.



Cologne, Museum Schnutgen A Cologne, Museum Schnutgen B

Museum Schnütgen, Cologne

Même couple, mais sans la bandelette.


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Défunt et crâne

AMARA MEMO Ivory_model_of_half_a_human_head,_half_a_skull,_Europe_Wellcome_L0057079 AMARA MEMO Ivory_model_of_half_a_human_head,_half_a_skull,_Europe_Wellcome_L0057081 AMARA MEMO Ivory_model_of_half_a_human_head,_half_a_skull,_Europe_Wellcome_L0057080

Wellcome Collection

D’un côté le visage d’un mort coiffé d’un foulard, de l’autre le crâne.



O MORS AMARA MEMO TUA attributed to Chicart Bailly Detroit Institute of Arts (1990.315),

1500-1530, attribué à Chicart Bailly, Paris, Detroit Institute of Arts (N° 1990.315)


AINSI SERONS NOUS HUI (aujourd’hui) OU DEMAIN

AINSI SERONS NOUS WI OU DEMAIN from a string of prayer beads South Netherlands
Copie quasi identique du précédent, mais avec un texte différent.


AINSI SERONS NOUS WI OU DEMAIN atttribue a Chicart Bailly anc coll St Laurent Berge A AINSI SERONS NOUS WI OU DEMAIN atttribue a Chicart Bailly anc coll St Laurent Berge B

Attribué à Chicart Bailly, Paris, ancienne collection Saint Laurent-Bergé


AINSI SERONS NOUS WI OU DEMAIN Cologne Museum Schnutgen A AINSI SERONS NOUS WI OU DEMAIN Cologne Museum Schnutgen B

Museum Schnütgen, Cologne


AINSI SERONS NOUS WI OU DEMAIN Ivory_model_of_a_skull_and_a_human_head,_France_Wellcome_L0057570 AINSI SERONS NOUS WI OU DEMAIN Ivory_model_of_a_skull_and_a_human_head,_France_Wellcome_L0057571

Wellcome Collection

Le mort est ici un transi, que les vers ont commencé à dévorer.

DURA ET ASPERA

Dure et âpre (est la mort)

Dalton 1909 Catalogue of Ivory Carvings of the Christian Era with Examples of Mohammedan Art and Carvings in Bone in the British Museum 444 AMARIA Dalton 1909 Catalogue of Ivory Carvings of the Christian Era with Examples of Mohammedan Art and Carvings in Bone in the British Museum 444 BINRI

Catalogue of Ivory Carvings of the Christian Era with Examples of Mohammedan Art and Carvings in Bone in the British Museum, Dalton 1909, N° 444


COGITA MORI

Pense à la Mort

COGITA MORI Toronto, The Thomson Collection at the Art Gallery of Ontario A COGITA MORI Toronto, The Thomson Collection at the Art Gallery of Ontario B

The Thomson Collection at the Art Gallery of Ontario, Toronto 


Daz ist ein jung un arm mensch (en e nd) dich her

Voici un jeune et pauve homme, ( plains-le ?)

daz ist ein jung un arm mensch en e nd dich her Cologne Museum Schnutgen B daz ist ein jung un arm mensch en e nd dich her Cologne Museum Schnutgen A

Museum Schnütgen, Cologne


Der not der biteren Tot aller nocht oberst 1522

Les épreuves de la mort amère sont les plus fortes de toutes

der not der biteren Tot aller nocht oberst 1522 Munich, Bayerisches Nationalmuseum A der not der biteren Tot aller nocht oberst 1522 Munich, Bayerisches Nationalmuseum B

Munich, Bayerisches Nationalmuseum


VADO MORI alle hernach.f.k. mane. thetet phates.1504

Je vais mourir tout après, Mané, Thécel, Pharès (compté, pesé, et divisé)

vado mori alle hernach.f.k. mane. thetet phates.1504 Herzog Anton-Ulrich Museum Braunschweig A vado mori alle hernach.f.k. mane. thetet phates.1504 Herzog Anton-Ulrich Museum Braunschweig B

Herzog Anton-Ulrich Museum, Braunschweig


A la saint Navot

Dalton 1909 Catalogue of Ivory Carvings of the Christian Era with Examples of Mohammedan Art and Carvings in Bone in the British Museum 441 A« A la saint Navot » Dalton 1909 Catalogue of Ivory Carvings of the Christian Era with Examples of Mohammedan Art and Carvings in Bone in the British Museum 441 B« Point de devant a la mort »

Catalogue of Ivory Carvings of the Christian Era with Examples of Mohammedan Art and Carvings in Bone in the British Museum, Dalton 1909, N° 441


POUR LA MORT

POUR LA MORT XVIeme coll priv A POUR LA MORTXVIeme coll priv B POUR LA MORT XVIeme coll priv C

Collection privée

L’inscription côté transi est malheureusement illisible.


Sans inscription

ivory bear Bowdoin College Museum of Art

Bowdoin College Museum of Art


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Visage féminin et crâne

ANSI SERON NOV WI OV DEMIN FINIS

AINSI SERONS NOUS WI OV DEMIN FINIS Cologne, Museum Schnutgen A AINSI SERONS NOUS WI OV DEMIN FINIS Cologne, Museum Schnutgen B AINSI SERONS NOUS WI OV DEMIN FINIS Cologne, Museum Schnutgen C A LA MORT

Museum Schnütgen, Cologne

Côté crâne : A LA MORT.


ELLAS NEST(?) IL POINT POSSIBLE TAN ECHAPER

Dalton 1909 Catalogue of Ivory Carvings of the Christian Era with Examples of Mohammedan Art and Carvings in Bone in the British Museum 443 A Dalton 1909 Catalogue of Ivory Carvings of the Christian Era with Examples of Mohammedan Art and Carvings in Bone in the British Museum 443 B

Catalogue of Ivory Carvings of the Christian Era with Examples of Mohammedan Art and Carvings in Bone in the British Museum, Dalton 1909, N° 443


ESPOIR EN DIEU , MEMENTO

ESPOIR EN DIEU loc inconnue A ESPOIR EN DIEU MEMENTO loc inconnue B

Localisation inconnue
Catalogue of Ivory Carvings of the Christian Era with Examples of Mohammedan Art and Carvings in Bone in the British Museum, Dalton 1909, N° 444


NEST TIL POINT POSSIBLE

NEST TIL POINT POSSIBLE Toronto, Royal Ontario Museum B NEST TIL POINT POSSIBLE Toronto, Royal Ontario Museum A NEST TIL POINT POSSIBLE Toronto, Royal Ontario Museum C

Royal Ontario Museum, Toronto


Sans inscriptions

Dalton 1909 Catalogue of Ivory Carvings of the Christian Era with Examples of Mohammedan Art and Carvings in Bone in the British Museum 442

Catalogue of Ivory Carvings of the Christian Era with Examples of Mohammedan Art and Carvings in Bone in the British Museum, Dalton 1909, N° 441

Une balance figure côté crâne. Les inscriptions peintes sur les cartouches ont disparu.



Reine museum of medieval london

Reine, Museum of medieval London

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Christ et Crâne

Ces figurines associent à la figure du Christ couronné d’épines un crâne, que l’on peut présumer être celui d’Adam. Du coup, cette association à portée générale n’est pas accompagnée  d’une maxime, relative à la mort particulière du propriétaire.

Christ Grain de chapelet Tete de Christ et tete de mort Paris LouvreLouvre, Paris Christ 16th Museum fur Kunst und Gewerbe HambourgMuseum für Kunst und Gewerbe, Hambourg



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Tête christique et crâne

ChristTête barbue biface Christ Trois facesTête barbue triface


Christ 1550 ca
Vers 1550

Cette composition exceptionnelle est à la fois biface et bipartie (voir La mort bipartie).


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Visages triples

1530 ca Rosaire France ou PaysBas VA Museum A

Rosaire, France ou Pays-Bas
Vers 1530, Victoria and Albert Museum


1530 ca Rosaire France ou PaysBas VA Museum D 1530 ca Rosaire France ou PaysBas VA Museum C 1530 ca Rosaire France ou PaysBas VA Museum B

Homme, femme et tête de mort



Christ Triple1600 ca Vanity grain or remedy three sides. France or Flanders

Christ, Vierge et tête de mort, Vers 1600



1800-50 Christ Triple VA Museum

Christ, Vierge et tête de mort
1800-50, Victoria and Albert Museum



Christ Triple 17eme Vierge Mort

Christ, Vierge et tête de mort
Bois, 17ème siècle



Rosaire a 5 grains Cologne Museum Schnutgen A

Rosaire à 5 grains, Museum Schnütgen, Cologne

  • Grain 1 (biface) : Christ (Saint Face) et Vierge
  • Grain 2 (biface) : Christ (couronné d’épines) et Mort
  • Grain 3 (quadriface) : Jeune femme, femme, vieille femme, Mort
  • Grain 4 (triface) : Christ (couronné d’épines), Vierge, Crâne
  • Grain 5 (biface) : Roi couronné (Inscription: ‘MEMENTO FINIS’), crâne


Tetes trifaces Petit Palais Paris
Rosaire à 10 grains de taille croissante
Collection Duthuit, Petit Palais, Paris

Chaque grain est triface et comporte une tête de mort,.

Onze grains Tetes trifaces
Rosaire à 11 grains et un crucifix
Collection Duthuit, Petit Palais, Paris

A partir du crucifix on trouve :

  • un grain triface en format mi-corps, avec Saint Jean, La Vierge et la Foi ;

Onze grains Tetes trifaces Petit Palais Paris detail

  • neuf grains trifaces en format portrait avec des têtes variées (hommes, femmes, fou, moine, evêque, cardinal), et une tête de mort ;
  • un gros grain triface à mi-corps, avec les trois ennemis de François I : le pape Adrien VI, l’empereur Charles Quint et le roi d’Angleterre Henri VIII.

Pour voir tous les grains : https://www.parismuseescollections.paris.fr/fr/petit-palais/oeuvres/chapelet#infos-principales


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Visages quadruples

Musee Thomas Dobree Nantes 1 young man (Youth). ARMT'1 Jeune homme, inscription : ARMT Musee Thomas Dobree Nantes 2 Mort2 Crâne
Musee Thomas Dobree Nantes 3 Jeune femme 'RAMT'; 'V' (in the brooch); 'STA MARIA Opro nobi' (below the head)3 Jeune femme inscriptions : RAMT; V (dans la broche); ‘STA MARIA Opro nobi’ (sous la tête) Musee Thomas Dobree Nantes 4 old woman JAM MORTHEM or DAM MORTHEM4 Vieille femme, inscription : JAM (ou DAM) MORTHEM

Musée Thomas Dobrée, Nantes


Stuttgart, Landesmuseum Wurttemberg 1 Reine1 Reine Stuttgart, Landesmuseum Wurttemberg 2 Femme2 Femme
Stuttgart, Landesmuseum Wurttemberg 3 Vieille Femme3 Vieille femme Stuttgart, Landesmuseum Wurttemberg 4 Mort4 Mort

Stuttgart, Landesmuseum Wurttemberg


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Oeuvres plus récentes

Christ 17th allemagne buis17ème siècle, Allemagne, buis. Christ 18eme18ème siècle



Christ bois

Christ et crâne, avec médaillons de la Vierge et de Saint Jean
Flacon à parfum, 18ème siècle, noisetier, collection privée
Marque IHS sur la face inférieure


Christ 19eme A B Christ 19eme A A

Christ 19ème siècle



17th18th century Silver

17ème ou 18ème siècle, argent



cameo ca 1860-1870 France

Camée, France, 1860-70



1950 ca

Vers 1950


Format Mi-Corps

La Femme et la Mort

HELAS ECCE FINEM (Hélas voici la fin)

1475-1500 TroncDoubleB HELAS ECCE FINEM._French_ivory London, The Wernher Collection, Ranger's House

1475-1500, France, The Wernher Collection, Ranger’s House, Londres


HELAS MOURIR NOUS FAULT

1475-1500 HELAS MOURIR NOUS FAULT 08._French

1475-1500 HELAS MOURIR NOUS FAULT Memento mori from France or Belgium B 1475-1500 HELAS MOURIR NOUS FAULT Memento mori from France or Belgium A

1475-1500, France


COGITA MORI

COGITA MORI Fonds F. Boucquillon

Fonds F. Boucquillon


Sans inscription :

Vienna, Kunsthistorisches Museum C Reine

Grain terminal triface : Reine


Vienna, Kunsthistorisches Museum A Moine Vienna, Kunsthistorisches Museum B Mort

Moine, Mort
Kunsthistorisches Museum, Vienne


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Les amants et la Mort

EN MOI VOVS MIRES TES Q IE SUI SERES

Reconnaissez-vous en moi, tel que je suis, vous serez

EN MOI VOVS MIRES TES Q IE SUI SERES Louvre A EN MOI VOVS MIRES TES Q IE SUI SERES Louvre B


Musée du Louvre


Sans inscriptions :

1500-1530 AmantsMort rosary-bead-metropolitan-m-mori attributed to Chicart Bailly Paris A 1500-1530 AmantsMort rosary-bead-metropolitan-m-mori attributed to Chicart Bailly Paris B

1500-1530, attribué à Chicart Bailly MET, New York


1500-50 Amants et Mort Boston Museum of Fine Arts A 1500-50 Amants et Mort Boston Museum of Fine Arts B

1500-50, Museum of Fine Arts, Boston


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Le Jeune Homme et la Mort

1520-30 VADO MORI VetA Museum hautDessus 1520-30 VADO MORI VetA Museum basDessous

Grain quadriface, 1520-30, Victoria and Albert Museum

1520-30 VADO MORI VetA Museum jeune homme
Un jeune homme en costume de l’époque avec bonnet retroussé et bijou et une veste à col fourrure sur une chemise plissée ; banderole «AMOR M (un) DI» (Amour du monde).



1520-30 VADO MORI VetA Museum B
Dans son dos le même mourant, silhouette émaciée, une cage thoracique tenadant la peau et bouche ouverte ; sur son bandeau «VADO MORI» (je vais mourir). De part et d’autre, deux personnages hideux l’entraînent par les bras



1520-30 VADO MORI VetA Museum D
A droite, un diable, ou un lutin aux yeux exorbités et à la langue pendante, l’estomac rempli d’une tête hideuse ; banderole «SEQUERE ME» (Suis-moi).



1520-30 VADO MORI VetA Museum C
A gauche la Mort tenant un sablier, un escargot et des serpents rampant sur le crâne : banderole «EGO SUM» (je suis).


Format Corps entier

Ces cas sont beaucoup plus rares : il ne s’agit plus de grains de chapelets, mais de statuettes à part entière.

Sur la génèse de cette formule, voir La Mort dans le Dos (Frau Welt)

Références :
[0] Pour une base de données plus exhaustive, voir http://www.gothicivories.courtauld.ac.uk/search/results.html?qs=%09Rosary+bead

La mort bipartie

27 août 2020
Comments (1)

Les figures macabres biparties s’étalent de la fin du XVIème siècle à nos jours. Ce sont des objets rares, pour cabinets d’amateur de curiosités.

Ces images parlant d’elles-même, je me suis contenté d’essayer de les classer chronologiquement, bien que la plupart ne soient pas datées précisément.

Je remercie Ilse Dewitte [0a] pour les compléments et traductions qu’elle m’a communiqués.

Sur l’orgine de cette formule, voir Plus que nue.

Images biparties

Vanités

1580 Arcimboldo La Vanita Binningen. Collection DreyfusVanité
Suiveur d’Arcimboldo, vers 1580, Collection Dreyfus, Binningen.
1688 Catarina_Ykens_II_-_Vanitas_bust_of_a_lady_with_a_crown_of_flowers_on_a_ledge coll priveeVanité
Catarina Ykens II, 1688, collection privée


Gravure de Rene Guerineau 1615 - 1664 RijksmuseumGravure de Rene Guérineau, 1615-64, Rijksmuseum, Amsterdam

La beauté est chose fugace ; quel sage se fierait à un bien si fragile ?

Res est forma fugax; quis sapiens bono confidat fragili


Daniel Preisler, vers 1650 coll privDaniel Preisler, vers 1650, collection privée

Cette peinture  paraphrase, en allemand, la même maxime de Sénèque :

La beauté est chose éphémère
Quel homme sage pourrait faire
Confiance en un bien qui bientôt
Se brisera comme le verre.

Die Schönheit ist ein flüchtig ding
Welch weiser Man wolt den setzen sein
Zuversicht auf ein solch Gut das bald
Als wie ein Glas zubricht


Michiel Cnobbaert, 1669, Anvers ‘t Bedrogh van de wereldt (La tromperie du Monde), collection Ilse Dewitte

Quand le masque tombe,

on voit dans la tombe.

Het masquer af,

dan siet ghy ’t graf


Gerhardus Philippus Zalsman 1863 Museum Catharijneconvent, Utrecht schema1

Gerhardus Philippus Zalsman 1863 Museum Catharijneconvent, Utrecht schema2Een Brief aan U en mij (Une lettre à Toi et Moi), 1863, édité par Gerhardus Philippus Zalsman à Kampen, Collection privée et Museum Catharijneconvent, Utrecht

La lettre est pliée en deux verticalement, et en trois horizontalement. Au verso on voit d’abord Adam au Paradis, qui révèle en se dépliant Adam, Eve, le serpent et le Christ en Croix. En dépliant le bas apparaissent enfin le gisant et les demi-squelettes.


1860 Lithographie danoise Collection Sedivy Copenhague

1860, Lithographie danoise, Collection Sedivy, Copenhague



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A l’inverse de ces images de Vanité, d’autres faces biparties expriment l’espérance chrétienne en la résurrection de la Chair


84229120

Provenance et date inconnue

Le Christ vainqueur de la Mort, entouré de huit instruments de la Passion


Les mortuarium franciscains de Bohème

Mortuarium du couvent franciscain de Dacice 1675-1700
La tête est celle d’un frère franciscain, dont l’oeil est reflété par un miroir…


Mortuarium du couvent franciscain de Dacice 1675-1700 ensembleCouvent de Dačice, 1675-1700 Mortuarium du couvent franciscain de HostinneCouvent de Hostinné  

…lui même directement sous l’oeil de Dieu. La rose ou le tournesol à côté de la faux illustre la devise « florens meracui » (Florissant je me suis fané), de même que la partie chair et la partie os de la face.

Ces deux boiseries, provenant de la chambre mortuaire de deux couvents franciscains, sont les rares exemples de cette iconographie typiquement tchèque [0b].


Cabinets de curiosités

18th C. Wax_model_Wellcome_L0035770
Modèle en cire
18ème siècle, Wellcome Collection

18th century AustrianAutriche, 18ème siècle 18th Wellcome Collection18ème siècle, Wellcome Collection

Certains de ces tableaux étaient probablement une alternative bon marché aux onéreux et spectaculaires modèles en cire pour cabinets de curiosité.


18. Jahrhundert Stadtischen Museum Rosenheim Gedenck O Mensch Sich wer Du bist Wie ungleich Dott und Lebendig ist, suddeutsch 46 x 38,2 cm Johann Michael Eder 18. Jahrhundert Stadtischen Museum Rosenheim Mann_halb_lebend,_halb_skelettiert glass painting

 Johann Michael Eder, 18ème siècle, Stadtischen Museum Rosenheim

O Homme, pense à qui tu es, combien inégale est la mort et la vie

Gedenck O Mensch Sich wer Du bist Wie ungleich Dott und Lebendig ist


18. Jahrhundert Stadtischen Museum Rosenheim _Frau_halb_lebend,_halb_skelettiertPeinture sur verre, Allemagne du Sud, 18ème siècle, Stadtischen Museum Rosenheim 1769 Ecole Autrichienne, Vanite,Autriche, 1769


Les gravures de Valentine Green et leurs suites

1769 'An abridgement of Mr. Pope's Essay on man', by Valentine Green

An abridgement of Mr. Pope’s Essay on man
Valentine Green, 1769


1770 Valentine Green Death and Life Contrasted — or, An Essay On Man; An Essay On Woman Wellcome collectionAn Essay On Woman 1770 Valentine Green Death and Life Contrasted — or, An Essay On Man; An Essay On Woman LondonAn Essay On Man

Death and Life Contrasted, Valentine Green, 1770, Londres


1770 after Memento Mori – German coll Richard Harris

Memento Mori
Après 1770, Allemagne

Copie allemande de la gravure de Valentine Green

Johan Martin Will 1753-1800 Augsbourg Image pieuse Heut gefunfd und othAujourd’hui sain et rouge, demain pâle et mort Johan Martin Will 1753-1800 Augsbourg Image pieuse Le miroir de la vie et de la mortLe miroir de la vie et de la mort

Images pieuses Johan Martin Will, 1753-1800, Augsbourg Heut gefunfd und oth


1780-1820 Life_and_death._Oil_painting._ Wellcome Library no. 45063i
1780-1820, Wellcome Library


1820 - 1844 Messenger of mortality, or, Life and death contrasted National Library of Scotland1820-44, Messenger of mortality, or, Life and death contrasted, National Library of Scotland debut 19eme Messenger of Mortality Wellcome library Shrewsbury Waidson, printer.xx


1885 A_half-woman-half_skeleton_representing_free_trade_Wellcome_V0050371

One sided free trade, 1885

L’image coupée en deux est récupérée astucieusement pour critiquer les bénéfices unilatéraux du libre-échange.


Plus récemment

1856 Thomas Mondragon - Allegory of death Musee du Temple de la Profesa Mexico

Voici le miroir qui ne te trompe pas (Este es el epejo que no te engaña)
Thomas Mondragon, 1856, Musée du Temple de la Profesa, Mexico


1952 Ex libris Gerard Bergman
Ex libris par Gerard Bergman, 1952

dans la vie et la beauté se trouvent la paix et la liberté

in lieuwleven en schoonheid liege varevredde en vryheid


1999 Coil Unnatural history1999, pochette de Unnatural history, de Coil 2000 Collage Albane Simon2000, Collage d’Albane Simon

 

Paolo Schmidlin Dead ringer 2011
Dead ringer
Paolo Schmidlin, 2011

 

Ramon Gomez de la Serna David Vela

La mort vivante, tableau ayant appartenu à l’écrivain Ramón Gómez de la Serna,
Réinterpretation par David Vela (2008) [1]


Vicky Xu Skull girlSkull girl, Vicky Xu



Figurines biparties

Art précolombien

La dualité Mort-Vie et une constante des différentes cultures précolombiennes.


Culture olmeque bebe double Museo Nacional de la Muerte Aguascalientes Culture olmeque Figure double Museo Nacional de la Muerte Aguascalientes

Culture olmèque,2500-500 av JC, Museo Nacional de la Muerte, Aguascalientes


Culture tlatilco-mask-1100-600-bc Culture Tlatilco 1250-700 av JC

Culture Tlatilco, 1250-700 av JC


Culture Maya human head effigy pot Ca. 600-850 A.D Boston’s Museum of Fine Art600-850 après JC, Museum of Fine Art, Boston Culture Maya Guatemala 500-900 apres JCGuatemala 500-900 après JC

Culture Maya


Culture veracruz,_testa_con_vita_e_morte,_300-600_dc National Gallery of VictoriaCulture de Veracruz, 300-600 après JC, National Gallery of Victoria Culture Veracruz Masque moderneVeracruz, masque moderne


Culture zapotheque 800-900 ap JC Museo de Antropologia ChapultepecCulture zapotheque, 800-900 ap JC, Museo de Antropologia, Chapultepec Culture azteque Masque des trois ages Museo Nacional de la Muerte AguascalientesMasque des Trois Ages
Culture aztèque, 1200-1500 ap JC, Museo Nacional de la Muerte, Aguascalientes


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Objets de piété occidentaux


TeteDoubleF German rosary, circa 1500-1525 Metropolitan Museum of Art TetedoubleFbis Memento Mori. Carved ivory rosary, early 16th century. Currently in the Metropolitan museum of art, New York.

Grains terminaux d’un chapelet en ivoire
Allemagne, 1500-1525, Metropolitan Museum of Art

Dans cet exceptionnel chapelet à huit grains, seuls les éléments terminaux sont bipartis. L’un montre un homme barbu les yex fermés, l’autre un transi glabre et déjà rongé par les vers.


TetedoubleFbis Memento Mori. Carved ivory rosary, early 16th century. Metropolitan museum of art, New York complet 17.190.306 A TetedoubleFbis Memento Mori. Carved ivory rosary, early 16th century. Metropolitan museum of art, New York complet B

Chapelet complet

Quatre autres grains sont bifaces homme / femme.  Par surprise, le troisième et le sixième grain accouplent l’homme et la femme à un squelette.


Fonds F. Boucquillon

Date et provenance inconnue, Fonds F. Boucquillon

Dans cette composition particulièrement baroque :

  • un oiseau et une serpent mangent l’oeil qui reste côté crâne ;
  • un oiseau mange l’oeil et un vers mange une grenouille côté transi.

Tetedouble-French_-_Pendant_with_a_Monk_and_Death_-_Walters Art MuseumWalters Art Museum Tete bipartie Collection priveeCollection privée
Base SPINA CORONAE CHRISTI DOMINI
Inscrit sur la base : SPINA CORONAE CHRISTI DOMINI.
Grain terminal de chapelet en ivoire sculpte. Probablement XVIIIe siecleProbablement 18ème siècle
TeteDoublec MEMENTO-MORI 2 coll privee TeteDoublec MEMENTO-MORI 1 coll privee
TeteDouble B Tetedouble C Ivory_model_of_a_half_head,_half_skull._Front_view._Black_ba_Wellcome

Les éléments de chapelet en ivoire avec une tête barbue évoquant le Christ, un religieux ou un transi ont été assez répandues, et sont très difficiles  à dater.


Unique-Antique-Georgian-Memento-Mori-Gold-Silver-Ring Very-Rare-Antique-Georgian-Memento-Mori-Silver-Ring

Bagues d’époque géorgienne

Ces deux bagues complémentaires, un transi et un homme barbu mangés par des serpents, semblent copiées sur les pendants de chapelets.


1650-1700 Statue_-_Tiroler_Volkskunstmuseum Innsbruck1650-1700, Tiroler Volkskunstmuseum, Innsbruck 18th Linz, Stadtpfarrkirche - GrabplattePierre tombale
18ème siècle, Stadtpfarrkirche, Linz




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Objets de Curiosité

Eve-et-le-serpent-Date-inconnue-Science-museum-London-A Eve-et-le-serpent-Date-inconnue-Science-museum-London-B

Eve et le serpent
Date inconnue, Science museum, Londres


Ivory-bust-of-General-Wallenstein-Europe-after-1634-Science-museum-London Ivory bust of General Wallenstein, Europe, after 1634 Science museum London detail

Mémorial du Général Albrecht von Wallenstein, après 1634, Science museum, Londres


19eme ecorche et squelette coll partEcorché et squelette, TetedoubleCItalie, XIXème siècle
TetedoubleItaly, Late 1800 Science Museum Londonbuis, Science Museum London Toscane, 18èemeToscane, 18ème siècle
19eme fin Canne a pommeau en ivoire sculptepommeau de canne en ivoire
19ème siècle, collection particulière
1800 caVers 1800
 1810-1850-English-Figure-de-cire-A-Science-museum-London 1810-1850-English-Figure-de-cire-B-Science-museum-London

Figures de cire demi-écorchées, 1810-1830, Science museum, Londres


1850 ca fole de poison victorienne

Fiole de poison victorienne, vers 1850



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Plus récemment


Taiji Taomote B Taiji Taomote A
Taiji Taomote Taiji Taomote C

Taiji Taomote


Damien Hirst The Anatomy of an Angel 2008 Damien Hirst The Anatomy of an Angel 2008 detaildétail

The Anatomy of an Angel
Damien Hirst 2008



Références :
[0a] Sites de Ilse Dewitte : https://www.democritus.be/
https://www.benl.ebay.be/str/octopusbiblio
[0b] Ars Moriendi, Loreto exhibition catalogue, 4th May to 30th November 2012 https://issuu.com/loreto-prague/docs/ars_moriendi_en
[1] http://seronoser.free.fr/ramon/edad

Plus que nu

23 août 2020
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Le comble de la Nudité : le squelette !



Crivelli, 1482, Tryptique de Saint Dominique, Brera, Milan

Triptyque de Saint Dominique
Crivelli, 1482, Brera, Milan

Les oeuvres de Crivelli sont parsemées de détails hyperréalistes agencés selon des symétries qui appellent les interprétations, pour les déjouer aussitôt. L’agencement des fruits et des légumes (concombre, gousse de fève ouverte à côté de la fracture du marbre) entremêle les les symboles du Péché originel (pomme, poire, pêche) avec ceux de la Rédemption (cerises de la Passion, raisins de l’Eucharistie), sans autre logique que le diversité et la fantaisie.

Les frises, ici particulièrement inventives, sont l’occasion d’un jeu de piste sur le thème de la mise à nu.


Crivelli, 1482, Tryptique de Saint Dominique, Brera, Milan detail volet gauche

Frise du volet gauche

A gauche, la tête chevelue, sculptée en bas-relief dans le marbre, est encadrée par deux crânes de fantaisie particulièrement grimaçants (un carnivore et un caprin), qui regardent eux-aussi vers le bas.


Crivelli, 1482, Tryptique de Saint Dominique, Brera, Milan detail volet droit

Frise du volet droit

A droite, une tête chauve, la seule à regarder vers le haut, est encadrée par deux crânes humains et deux crânes animaux identiques (sans doute de chien).


Une logique possible (SCOOP !)

Les deux saints dominicains du tableau (Saint Dominique à gauche, Saint Pierre Martyre à droite) arborent une parfaite tonsure, d’autant mieux mise en valeur par la hache fiché de le crâne du second.



Voyez-vous la logique des deux frises ?

Si l’on part de l’idée que le crâne nu est synonyme de sainteté ou de salut :

  • la tête chevelue en marbre, entourée de bêtes sauvages et regardant vers le bas pourrait représenter l‘homme après la Chute ;
  • la tête glabre et blanche, du côté de l’Enfant Jésus, entre deux animaux domestiques et deux crânes humains, évoque assez bien l’homme après le Christ, auquel est promis la résurrection de la chair.


La Mort déguisée en fille

Au début du XVIème siècle, dans les pays germaniques, l’accoutumance à la formule des Danses macabres permet de nouvelles audaces dans les rapports entre le squelette et la femme.

Carte de voeux publiee a Munich 1500-1510 British Museum

Carte de voeux publiee à Munich
Textes de Hans KVRCZ, 1500-1510, British Museum 

Pour l’analyse de cette image, voir 1 La Coquetterie : diabolique ou mortelle. La formule de la Mort déguisée en femme restera assez courante pendant un siècle et demi :

1650 ca Altzenbach, Gerhard Wellcome collectionGerhard Altzenbach, vers 1650, Wellcome collection 1680 ca Wellcome libraryAnonyme, Vers 1680, Wellcome collection


 Voici la légende de la gravure :

O Hélène à la mode, riche et orgueilleuse comme un paon, pense vite au Jugement dernier pour avoir une bonne fin

« O alamodo Helenna leichtfertig reich stoltz wie ein Phow, Gedenkt an Gottes Gericht behendt, so wirstu han ein gutes Endt »

La critique de la vaine élégance s’exprime, dans le tableau, par le fait que la Mort confectionne elle-même les dentelles qui la travestissent.



La Mort qui danse, 1865
Félicien Rops , musée Félicien Rops, Namur

Deux siècles plus tard, ces frous-frous se retrouvent dans ce dessin, directement inspiré du poème de Baudelaire, La danse macabre, paru dans l’édition de 1861 des Fleurs du Mal [5a] :

Vit-on jamais au bal une taille plus mince ?
Sa robe exagérée, en sa royale ampleur,
S’écroule abondamment sur un pied sec que pince
Un soulier pomponné, joli comme une fleur.

La ruche qui se joue au bord des clavicules,
Comme un ruisseau lascif qui se frotte au rocher,
Défend pudiquement des lazzi ridicules
Les funèbres appas qu’elle tient à cacher.


Felicien Rops - The Human Parody (1878-1881) Musee Rops Namur
Coin de rue, quatre heures du matin, Parodie humaine, 1878-1881
Félicien Rops , musée Félicien Rops, Namur

Cet autre dessin de Rops travestit la Mort en fille de joie longiligne. Au dessus de la porte en forme de caveau, le panneau « Loge à la nuit » ironise sur la nuit éternelle qui attend le client piégé.


La Mort sous la Jupe

Rapidement apparaissent des formules plus libidineuses, des formules plus libidineuses, où la Jeune Fille et la Mort se rencontrent sous la jupe.

Niklaus Manuel, dit Deutsch - Tod und Madchen 1517 musee des BA BaleLa Jeune Fille et la Mort
Niklaus Manuel, dit Deutsch, 1517, Musée des Beaux Arts, Bâle [6]

Deutsch dynamite la formule conventionnelle de la Jeune Fille et la Mort en montrant la seconde subjuguée par la jupe de la première  (voir Les deux faces de la Bethsabée de Bâle)

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Jupes relevables

Au XVIème siècle apparaissent les premières images à volet soulevable.  L’innovation est aussitôt appliquée aux dessous des filles, dans une intention moralisatrice… ou pas.


1520 ca Fileuse Berlin StaatsbibliothekFileuse, Vers 1520, Staatsbibliothek, Berlin

Une des plus anciennes gravures actionables révèle, sous la jupe de la fille, le serpent qui caresse ses parties intimes : prétexte moralisateur à une intention naïvement pornographique.

Sur la page d’en face de l’album, on lit cette inscription manuscrite [0b] :

Explication de l’image

Le monde est joyeux à voir
Cela, tu dois le comprendre d’après mon apparence.
Qu’elle soit belle, noble, jeune ou vieille
Dans peu de temps elle sera
Comme tu me vois sous mon tablier.
Pense souvent à ton Jugement dernier !

Die Auslegung der Figur

Die Welt ist frolich zu sechen an
Das soltu bey mir in der figur verstan.
Er sey schon, edel, jung oder alt.
In ainer kurtz wirt er also gestalt,
Als du mich sichst under dem schurtz mein.
Gedenck offt an das lest urtheyl dein!


1578 Donato Bertelli Le vere imagini et descritioni delle più nobilli citta del mondo p 27 1578 Donato Bertelli Le vere imagini et descritioni delle più nobilli citta del mondo p 28

1578, Donato Bertelli, Le vere imagini et descritioni delle più nobilli citta del mondo, p 27 te 28, photos Laura Moretti [0a]

Le livre du vénitien Bertelli contient plusieurs de ces gravures à volets, tous placés sous des jupes ou des rideaux pour que le lecteur les trouve facilement. Cette double page juxtapose sans vergogne libido et memento mori :

  • l’image de gauche révèle, sous la robe, les célèbres chopines, chaussures à semelles hyper-compensées des courtisanes vénitiennes ;
  • l’image de droite exhibe un squelette dépourvu de tout sex appeal ; la belle femme montre du doigt la légende « ERRIGE OCULOS ET VIDE QUID ERIS », « Lève les « yeux » et vois ce que tu seras ».


1596 Matthias Greuter Frau Welt photo Suzanne Karr SchmidtVanité, Matthias Greuter, 1596, photo Suzanne Karr Schmidt [0b]

La belle femme est escortée par Adam et Eve. Relever sa jupe fait apparaître la conséquence du Péché Originel, le cercueil, sur lequel on peurt lire la traduction française de la sentence latine (une adaptation du Psaume 103:15) :

Toute chair est comme l’herbe et sa gloire est comme la fleur des champs.

Omnis caro foenum et gloria eius sicut flos agri


1600 Goltzius L'Orgueil NGA A

L’Orgueil, Conrad Goltzius (frère d’Hendrick Goltzius), vers 1600, NGA 

Cette imitation constitue une vigoureuse réflexion sur l’Orgueil, amorcée dès l’inscription latine :

Extérieurement, je suis décorative, mais intérieurement je suis maudite.
Magnifiquement faite, je suis une honte proférée par l’Orgueil.

Exterius Picta, Sumque Interius Maledicta,

Magnifice Ficta, Sum Foeda Superbia Dicta.

La traîtresse est flanquée par deux atlantes, homme et femme, et entourée par quatre médaillons montrant la punition de grands orgueilleux :

  • Lucifer chassé du ciel,
  • Adam et Eve chassés du Paradis,
  • Nabuchodonosor vivant dans les bois durant sept ans,
  • Hérode qui finira bouffé par les vers.

1600 Goltzius L'Orgueil NGA B

Relever la robe révèle la vraie nature du Paon, qui n’était autre que le Serpent, et fait apparaître  Adam, assis sur le cercueil et acceptant la pomme d’Eve : le Péché originel est avant tout un péché d’Orgueil, celui de se croire l’égal de Dieu.


1600 Golzius (c) The Trustees of the British Museum

COGNITO PECCATORUM UTILIS
Conrad Goltzius, vers 1600, (c) The Trustees of the British Museum

Le pendant masculin est encadré des vignettes de six péchés capitaux, faisant deviner que la figure centrale illustre le septième, l’Orgueil. Le titre interpelle celui qui a compris l’astuce :

Connaître les péchés est utile, mais ne peut enlever la Punition.

COGNITO PECCATORUM UTILIS / POENAM TAMEN TOLLERE NEQUIT

En relevant le volet, on découvre cette Punition : l‘Expulsion d’Adam et Eve du Paradis.


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Jupes relevées

La solution du pauvre : supprimer le volet.


1585-1615 Gillis van Breen La Vanite (IJdelheid) Rijksmuseum
La Vanité (IJdelheid)
Gillis van Breen, 1585-1615, Rijksmuseum

L’intéressant ici est que les deux plans de l’image traduisent le relèvement du volet :

  • à l’arrière-plan, la situation fausse, telle que la perçoit l’homme à l’esprit embrumé (la fumée équivaut au volet baissé) ;
  • au premier plan, la réalité crue (équivalente au volet relevé).

1597 CAPRONICA Cesare Speculum peregrinationes humanae Speculum peregrinationes humanae
Cesare Capronica, 1597

La suppression du volet aboutit à cette chimère Mort-Fille, image-choc que l’auteur a jugé bon d’accompagner  par de nombreuses sentences tirées des meilleurs spécialistes.

Sur la banderole auprès du cadavre vivant, un distique original :

Que ne te (trompe) pas la femme belle en haut, seuls (demeurent) en dessous les os fétides. Ne te (decipiat) mulier formosa superne, ossa subornata foetida sola (latent)


Sur le tombeau de la morte :

Je serais comme n’ayant pas été, on m’aurait porté du ventre à la tombe. Job 10, 19 Fuissem quasi qui non essem de utero translatus ad tumulum
 
D’abord sperme fétide, j’ai vécu comme une maison pleine d’ordures, préparée pour le repas des vers. Paraphrase de Saint Bernard, Meditationes piissimae de cognitione humanae conditionsis, cap 3 Prius sperma foetidum, Vixi domus stercorum, Paratus esca vermium

1657-63 LAGNIET Jacques - Les femmLes femmes sont inconstante (sic) comme la lune – pl.5 du « Second livre des proverbes »
Jacques Lagniet, 1657-63

L’image illustre plusieurs proverbes. La pinup-squelette, copiée sur l’Orgueil de Golzius, en recopie également la sentence :

« Toute sa fleur est foin et sa gloire comme la fleur au champ »


1620-30 Bloemaert, Abraham Death and the Lovers Dessin Courtauld InstituteLa Mort et les Amoureux
Abraham Bloemaert, 1620-30, Dessin, Courtauld Institute
Anonyme cremonais phototheque ZeriAnonyme crémonais, XVIème siècle, photothèque Zeri

Le memento mori sert de prétexte à ces images troublantes et rares, première forme moralisée du striptease.

De l’esthétique anatomique à la mort bipartie

Parallèlement à ce goût général du XVIème siècle pour le macabre, les artistes ont fait des progrès dans le représentation réaliste du corps humain, faisant ressortit non pas ce qu’il a d’effrayant, mais de complexe et de parfait.

DOMENICO DEL BARBIERE Anatomical Study,1540-50,British Museum,London
Domenico del Babiere, Etude anatomique,1540-50, British Museum,Londres

Les illustrations d’anatomie popularisent la représentation de corps à divers stades de la dissection.


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Les premières images anatomiques à volets

1543 Vesale Epitome A 1543 Vesale Epitome B

Vesale, Epitome, 1543

Dans cet ouvrage, Vesale fournit, au dos de la planche féminine, un texte expliquant comment découper et coller les organes de la planche fournie en annexe, afin d’obtenir une image interactive du corps humain [0d]


1544 Heinrich Vogtherr. Strasbourg edite par Jacob Frohlich A

1544 Heinrich Vogtherr. Strasbourg edite par Jacob Frohlich B2 1544 Heinrich Vogtherr. Strasbourg edite par Jacob Frohlich B1

Heinrich Vogtherr, Strasbourg, edité par Jacob Frohlich en 1544

Mais l’idée avait été mise en oeuvre dès 1538 par le graveur Heinrich Vogtherr, dans ces deux planches qui seront maintes fois rééditées [0e]


1547-68 Anatomie tres-utile edite par Gyles Godet (c) The Trustees of the British Museum A

1547-68 Anatomie tres-utile edite par Gyles Godet (c) The Trustees of the British Museum BAnatomie tres-utile edite par Gyles Godet, 1547-68, (c) The Trustees of the British Museum

Ces images éducatives autant que troublantes vont désormais se multiplier . [0f]


Lucas Killian 1619 Visio catoptri Microcosmici prima edition 1661 Lucas Killian 1619 Visio catoptri Microcosmici secunda edition 1661 Lucas Killian 1619 Visio catoptri Microcosmici tertia edition 1661

Lucas Killian, 1619, Visio catoptri Microcosmici Prima, Secunda, Tertia (édition de 1661) [0g].

L’apothéose est atteinte avec ces trois gravures, dont la complexité multicouche ne sera pas dépassée. Le plus fascinant pour un oeil moderne est la cohabitation de la précision scientifique avec des considérations morales qui truffent les images de manière souvent énigmatique.



Lucas Killian 1619 Visio catoptri Microcosmici prima detail1Visio catoptri Microcosmici Prima (détail)

Ainsi le sexe féminin est encadré par deux figures de la Fugacité (D et E) :

Aujourd’hui roi

Meutre demain

Hodie rex

Nex cras


Il est protégé par un volet montrant la figure de l’Envie (INVIDIA), qui selon Ovide se norrit de serpents. La lettre A (qui désigne l’ombilic (et dans les images sous-jacentes l’uterus) renvoie à un passage de l’introduction :

comme le diable séduisant présentant la pomme à travers le serpent (A)

als durch die (A) Schlang der verführische Teufel den Apfel darzeichend,

L’Envie dont il est ici question est donc celle du Serpent pour la Pomme, d’où découle l’Envie sexuelle et la malédiction de l’Engendrement et de la Mort.

Les autres mots sont passablement sybillins : deux sont grecs , ORGE (Colère) et NEANIAS (Jouvenceau). Neanias est un jeune homme qui, dans la comédie humaniste Paedia, hésite entre deux femmes qui personnifient la Volupté et la Vertu . Comme le mot est tourné vers le haut, par opposition au mot DIABOLE, il incite probablement l’étudiant à choisir le chemin de la vertu.

Les deux citations au-dessous concernent toutes deux l’Envie :

  • « La pâleur règne sur son visage, la maigreur s’est emparée de son corps » Ovide, Métamorphoses, Livre II
  • « Les discours sont pâture pour l’envie. Toujours elle s’attaque aux bons et ne lutte pas avec les mauvais ». Pindare, Odes néméennes, VIIII

Lucas Killian 1619 Visio catoptri Microcosmici prima detail2 Lucas Killian 1619 Visio catoptri Microcosmici prima detail3

Après ces pédantismes, il faut encore écarter un linge bien inutile avant d’arriver au vif du sujet.



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Les premières images anatomiques biparties

1560 ca Giulio Bonasone - Plate 14 from a series of 14 engravings of anatomical studies
Giulio Bonasone, vers 1560, dernière planche d’une série de 14 gravures anatomiques, sans texte

La série de gravures anatomiques réalisée par Giulio Bonasone, qui place des squelettes ou écorchés dans diverses postures plastiques, semble s’adresser moins aux amateurs de science qu’aux artistes ou philosophes [0h]. La dernière planche est à part : c’est la toute première fois que le squelette et le corps intact sont fusionnés en une image comparative purement théorique, qui échappe à toutes les pratiques de la dissection.


Memento Mori espagnol 1650 ca coll privMemento Mori espagnol, vers 1650, collection privée Etching by J. G. Hidalgo, c. 1691 wellcome libraryGravure de J. G. Hidalgo, vers 1691,  Wellcome library

Cette étonnante Marie-Madeleine séduit le spectateur par sa partie haute, et le crâne par sa partie honteuse.

En contradiction avec ce tronçonnage moraliste, le partage vertical marque bien l’évolution du corps pécheur au corps rationnel.


Le miroir de la vie et de la mort gravure XVII Musee Carnavalet, ParisLe miroir de la vie et de la mort, gravure XVIIème, Musée Carnavalet, Paris

Sous l’influence  de ces représentations anatomiques,  la formule qui s’impose définitvement, à partir du milieu du XVIIèeme siècle, est celle de la division verticale. Pour un échantillon assez étoffé de telles images peintes ou sculptées, voir  La mort bipartie.


Chimères Mort-fille : la postérité

01 1875 ca Rops-Naturalia ad majorem diaboli gloriamAd majorem diaboli gloriam, Rops, dessin, vers 1875 Squelette date inconnueDate inconnue

Je n’ai malheureusement pas pu trouver la source de l’image de droite. Sur la série des Naturalia de Rops, voir 2 Les pantins de Rops.



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Solana

gutierrez-solana-el-espejo-de-la-muerte-ca-1929

Le miroir de la Mort
José Gutiérrez Solana, vers 1929

D’après le biographe de Solana, Manuel Sánchez Camargo, le tableau est inspiré par l’histoire macabre d’une homme qui avait acheté un cadre pour un miroir destiné à sa fille. Or le cadre avait servi auparavant, dans une église, à encadrer la liste des morts. Peu de temps après avoir reçu le miroir, la fille mourut subitement.

Du coffre de mariage, en bas, sortent en guise de cadeau surprise un crâne de géant et un squelette d’enfant ; tandis que par devant, l’ex-voto d’une main féminine enserré par une main masculine évoque le mariage qui n’aura pas lieu.

Pour Solana, ce sujet particulièrement riche est aussi l’occasion de décomposer, en trois temps, le dénudement de la fille :

  • en robe et les cheveux tirés ;
  • nue et les cheveux dénoués ;
  • plus que nue et sans cheveux.


Jose Gutierrez Solana 1927 La Baraja de la Muerte
Le pont de la mort (La Baraja de la Muerte)
José Gutiérrez Solana, 1927

Le même cadre rouge orné de crânes et de tibias apparaissait déjà dans cette oeuvre antérieure : le « pont de la mort » est matérialisé ici par la tête double-face, qui perd dans le miroir son turban et sa peau.


AINSI SERONS NOUS WI OU DEMAIN Ivory_model_of_a_skull_and_a_human_head,_France_Wellcome

AINSI SERONS NOUS HUI OU DEMAIN
Tête double face en ivoire, France, date inconnue, Wellcome Collection

Ce type d’objet de curiosité existe effectivement. Pour consulter ma collection, voir La mort biface.


Jose Gutierrez Solana. Cabezas y Caretas, 1943 Musea Reina Sofia, Madrid
Têtes et masques (Cabezas y Caretas)
José Gutiérrez Solana, 1945

Autre manière de montrer que la chair n’est qu’un masque qui cache le squelette et la bête.


date inconnue
Date inconnue

Même idée de striptease poussé à la limite, dans une culture moins catholique.



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Ernest Boiceau Le Reflet coll priv

Le Reflet, Ernest Boiceau, collection privée

Ce tableau du designer suisse Ernest Boiceau fusionne ici le thème de Narcisse avec celui de la Jeune fille et la mort.



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Magritte

Magritte le double secret 1927
Le double secret 
Magritte, 1927, Centre Pompidou, Paris

Nous suivons ici dans ses grandes lignes l’analyse détaillée de Nicole Everaert [1].

En enlevant la peau pour montrer la structure cachée, l’oeuvre fonctionne à la fois selon le principe du dévoilement et celui du dédoublement (puisque le visage enlevé est conservé à côté, comme un masque).

Que voit-on à l’intérieur ? Des grelots invaginés dans une membrane métallique : nous effleurons  ici le thème de l’automate, du mécanisme caché sous la chair.

Pour Nicole Everaert, une clé de lecture possible pourrait être le mot de « marotte », qui signifie à la  fois le sceptre du fou, garni de grelots, et « une tête de femme, en bois, carton, cire …, dont se servent les modistes, les coiffeurs ».

Une seconde clé est fournie par le titre, qu’on peut lire de deux façons  : « Est-ce le secret qui est double  ? Ou le double qui est secret ? Les deux à la fois!  » :

  • lorsque « double » est l’adjectif et « secret » le substantif , nous voici dans le thème du dévoilement et de l’absence de parole : exprimés visuellement par le masque inexpressif et par les « grelots réduits au silence par leur fixation  sur   la   surface   ondulée ».
  • lorsque « double » est le substantif  et « secret » l’adjectif, nous voici dans le thème du dédoublement : la copie dissimulée à l’intérieur de nous-même n’est qu’une collection de grelots (ou de hochets) ; le visage mystérieux ne cache finalement que du rien.




Rene_Magritte_le_cercle_vicieux_1937

Le cercle vicieux
Magritte, 1937, perdu durant le Blitz en 1940

Une femme enlace et embrasse son double anatomique.

Pourquoi ce cercle est-il vicieux ? Parce que si la femme a été coupée en deux comme une carcasse animale, alors les deux moitiés que nous voyons sont en fait la même, vue de devant et de derrière. L’enlacement amoureux n’est qu’un substitut à un recollage impossible : parfaite illustration de l’Androgyne de Platon.



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Delvaux_La Conversation 1944

La conversation
Delvaux, 1944, Collection privée

Au XXème siècle, le thème de la Jeune Fille et la Mort s’enrichit de nouvelles possibilités. On sait que le squelette vu en radiographie n’est autre que  l’ombre du corps. Si la lampe de gauche est à la fois aux rayons X et au pétrole, alors elle projette la femme sur le squelette, et le squelette sur le mur.

Le double rideau vert accentue l’effet gémellaire entre la jeune fille mélancolique et son ombre radioscopique.


Calendar 2010 Medical imaging firm EIZO june
Pinup vue aux rayons X
Calendrier Juin 2010 de la firme EIZO (imagerie médicale)

Non content de mettre le dedans dehors et d’inverser le blanc et le noir, cette technique radicale fait le contraire de l’artiste, en mettant à plat la profondeur.


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LEONOR FINI – L’ANGE DE LA ANATOMIE (1949)

L’ange de l’anatomie
Léonor Fini, 1949, lithographie

Ici le dénudement s’effectue par parallélisme :
LEONOR FINI – L’ANGE DE LA ANATOMIE (1949) schema

  • le V des ailes tombe dans le V du tissu ;
  • le triangle de la perruque tombe dans celui des bras.


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Decalcomanie Magritte 1966

Décalcomanie
Magritte, 1966, Collection privée

Il y a de nombreuses manières de décrire ce tableau.

On pourrait dire qu’il nous restitue, en projection sur un  rideau de cinéma, non pas ce que l’homme en chapeau regarde, mais ce qu’il nous empêche de voir. Ainsi le pendant glisse sémantiquement de « couper la vue » à « découper la vue ».

On pourrait aussi dire que dans le pendant de gauche, l’homme est devant le rideau qui est devant la mer. Et que dans le pendant de droite, le rideau est devant la mer qui est devant  le rideau qui est devant la mer.Autrement dit : supprimer  l’homme, c’est supprimer  la profondeur et créer une régression à l’infini.

Ou bien, d’une manière plus condensée : sous son chapeau et sa redingote, l’homme est un être rempli de nuages.

Ou encore  : plus que nu.



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Clovis trouille 1955 la-grasse-matinee

La grasse matinée
Clovis Trouille, 1955

Clovis Trouille décompose la même idée, en débandelettant sa momie jusqu’à l’absence.



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Madeline von Foerster La promesse 2012 Coll privee

La promesse 
Madeline von Foerster, 2012, Collection privée

Le dialogue entre la vivante et la morte se noue autour de la promesse d’une permanence de l’âme (le papillon qui, ayant abandonné la coquille, habite maintenant dans le chêne). Les motifs en fleurons des pilastres sont dédiés au couple, aux foetus, et au coeur qui les irrigue.



L’Art anatomique

Cette nouvelle forme artistique, très décorative, est devenue la spécialité de certains graphistes ou peintres [2]

Keith Weesner 2006 The visible vixen
The visible vixen
Keith Weesner, 2006

Avec ce kit imaginaire, Keith Weesner révèle avec humour non pas l’intérieur sous la peau, mais le voyeur derrière l’amateur d’anatomie


LucioPalmieri 2013 Collage The legs of John Willie

The legs of John Willie
LucioPalmieri, 2013, Collage

Autre manière efficace de fusionner deux genre d’images sous le manteau.


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FFO (For Fans Of)

Ce graphiste moscovite anonyme et gratuit effectue sous Paintool et Photoshop des détournements à la fois esthétiques et pleins de sens.

FFO A 20132013 FFO B 20142014
FFO C FFO D
FFO E FFO F
FFO G FFO H
FFO I FFO J



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Fernando Vicente [3]

Vanitas-Fernando-Vicente Carne d'amourVanitas-Carne d’amour Vanitas-Fernando-Vicente-19-GravidezVanitas-Grossesse



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Michael Reedy [4]

Michael Reedy Expulsion

Expulsion

Michael Reedy utilise le vocabulaire graphique médical pour confronter une femme nue, entourée de formes biologiques aux couleurs chaudes, et son double rendu transparent et multicolore, entouré de structures moléculaires et cristallines. Seule l‘ombre commune fait contact entre ces deux entités qui s’ignorent.


Michael-Reedy-self-portrait
Autoportrait

Sur les mêmes fonds opposant le minéral et l’organique, chacun ici garde son ombre.


michael reedy

69, POSSIBLY 80                                                                                                  by 35
Michael Reedy

Le pendant féminin/masculin se combine avec les nombreuses oppositions  que génèrent les zones disséquées : caché/voilé, uni/coloré, uniforme/multiforme, esthétique/organique,  synthétique/analytique…


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Marie-Noëlle Pécarrère

Marie-Noelle Pecarrere C Marie-Noelle Pecarrere D
Marie-Noelle Pecarrere A Marie-Noelle Pecarrere B



La mode anatomique

Skeleton dress Study of figures Dali 1938Etudes pour la robe-squelette, Dali, 1938 Skeleton dress Elsa Schiaparelli 1938Robe-squelette, Elsa Schiaparelli, 1938

Cette robe en un seul exemplaire est un des modèles crées lors de la collaboration entre Dali et Schiaparelli [5]


revealing she's baring her heart Annees 50

« Revealing she’s baring her heart », Années 50

A la grande époque de l’effeuillage, un couturier parisien anonyme a mis au point ce modèle, permettant d’aller jusqu’au coeur du sujet.


John Lucas, 1985, costime d'Halloween pour Katy KeeneJohn Lucas, 1985, costume d’Halloween à découper, pour son personnage Katy Keene halloween bat Leha van Kommer 2015 caHalloween, Leha van Kommer, vers 2015

Outre-Atlantique,

Skeleton dress Alexander McQueen 2009
Skeleton dresses, Alexander McQueen, 2009

En 2009, la robe-squelette revient dans la haute couture.


Oscar Olima 2009 Lady GagaCostume de scène de Lady Gaga par Oscar Olima, 2009 Jean Paul Gaultier Costume de scène de Mylene Farmer, tournee No 5, 2009Costume de scène de Mylène Farmer par Jean Paul Gaultier , tournée No 5, 2009

On note une certaine concurrence dans le défi chic à la mort.


Skeleton Dress by Iris Van Herpen 2011Robe pour un concert Joe Hisaishi, pour la chanteuse taiwanaise Mei, vers 2011 2011 ca Taiwanese singer Mei robe concert Joe Hisaishi,Robe squelette par Iris Van Herpen, 2011

Deux exemples parmi d’autres de cette mode anatomique, qui semble avoir aujourd’hui fait son temps.



Références :
[0a] https://www.thinking3d.ac.uk/Bertelli1578/
[0b] Suzanne Karr Schmidt, « memento Mori, the deadly art of interaction », dans « Push Me, Pull You: Imaginative, Emotional, Physical, and Spatial Interaction in Late Medieval and Renaissance Art », vol 2, p 261
[0c] Margherita Palumbo, « A Unique Souvenir from Venice, » 28 August 2019, https://www.prphbooks.com/blog/2019/8/27/a-unique-souvenir-from-venice
[0d] Jacqueline VONS « L’Epitome, un ouvrage méconnu d’André Vésale (1543) »
https://www.biusante.parisdescartes.fr/sfhm/hsm/HSMx2006x040x002/HSMx2006x040x002x0177.pdf
[0e] Rosemary Moore « Paper Cuts: The Early Modern Fugitive Print »
https://discovery.ucl.ac.uk/id/eprint/1472891/1/08%20OBJECT%2017%20-%20ROSEMARY%20MOORE.pdf
[0f] Pour une série d’images d’anatomie frappantes voir https://nyamcenterforhistory.org/tag/morbid-anatomy/
[0g] Toutes les couches ont été digitalisées : https://archive.org/details/ldpd_11497246_000/page/n29/mode/2up
L’article de référence est :
Suzanne Karr Schmidt « Printed Bodies and the Materiality of Early Modern Prints » Art in Print Vol. 1, No. 1 (May – June 2011), pp. 25-32 https://www.jstor.org/stable/43045173
[0h] « als durch die Schlang der verführische Teufel den Apfel darzeichend, welcher durch falsch und lugenhast vorgeben wider das göttilche Verbot von denen ersten Eltern zu ihrer und der Nachkommen Elend und Zammer gefressen worden, welche Schlang mit dem Weibssamen (H) der ihr den Kopf zertritt; ob sie ihn gleich in die Versen slicht, zusehen, dadurch allem Zammer wo allein der Mensch einwilliget, und es im Glauben begehrt, geholssen wird, allein alle sach also gestaltet;dass nun mehr der Anfang (B) an dem End (C) hanget, so gar dass so bald der Mensch in diese Welt geboren, er zu sterben ansahet, ob gleich der Arket (K) lang an ihm flicket, es dannoch heisset, heut König morgen Todt »
[0i] Laura Scalabrella Spada « Giulio Bonasone’s anatomical engravings », 2019 https://www.bta.it/txt/a0/08/en/BTA-Bollettino_Telematico_dell’Arte-Testi-en-bta00865.pdf
[1] http://nicole-everaert-semio.be/PDF/fr/grelots.pdf
[2] Un site spécialisé : http://www.medinart.eu/
[3] Pour un porfolio plus complet, voir https://www.boumbang.com/fernando-vicente/
[4] Pour un porfolio plus complet, voir http://www.michaelreedy.gallery/
[5] https://www.artsy.net/article/artsy-editorial-fashion-designer-made-dalis-art-wearable
[5a] https://fr.wikisource.org/wiki/Les_Fleurs_du_mal/1868/Danse_macabre
[6] Stephen Perkinson « Anatomical Impulses in Sixteenth-Century Memento Mori Ivories  » dans Gothic ivory sculpture : content and context / edited by Catherine Yvard , Courtaud Institute 2017 https://assets.courtauld.ac.uk/wp-content/uploads/2019/05/01170523/Ch6.GothicIvorySculpture.pdf

4.1 Le truc de l'artiste

21 août 2020
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Le thème du pantin  possède une variante asse rare  : celle du Mannequin d’artiste.

Au départ, il s’agit d’un accessoire distinctif, présenté avec fierté, comme une curiosité ou un truc du métier.

Portrait_of_a_Man_with_a_Lay_Figure_-Werner-Jacobsz.-van-den-Valckert-1624-Speed-Art-Museum

Portrait d’un homme avec un mannequin
 Werner Jacobsz van den Valckert, 1624, Speed Art Museum

Voici dans doute la toute première apparition, dans le champ d’un tableau, de cet objet usuel dans les ateliers des peintres. L’homme représenté ici près de son établi surchargé d’outils est sans doute le sculpteur sur bois qui a réalisé ce mannequin particulièrement élaboré.



1630–45 Painter in his Studio Pieter Cornelisz. van Egmondt. (anct Jacob van Spreeuwen) Private collection

Peintre dans son atelier
Attr. à Pieter Cornelisz. van Egmondt (anciennement à .Jacob van Spreeuwen), 1630–45, collection privée

A la suite de Rembrandt et de Dou, les portraits ou autoportraits de peintre deviennent un genre à part entière. Si les ateliers hollandais comportent souvent une ou plusieurs statues – manière de souligner la subordination de la sculpture à la peinture – ils montrent rarement le mannequin qui révèle les ficelles de l’art : surtout comme ici en position dominante, entre l’épée et le planisphère.



1640 ca D. Witting Young artist, drwaing in his studio coll priveeJeune artiste dessinant dans un atelier
D. Witting, vers 1640, collection privée
Wallerant Vaillant - A Young Boy Copying a Painting vers1660 Guildhall Art Gallery, LondonJeune dessinateur copiant une peinture
Wallerant Vaillant, vers 1660 ,Guildhall Art Gallery, Londres

Le mannequin se montre plus volontiers dans les scènes d’apprentissage. Le modèle en toile, plus sommaire, était un accessoire à l’usage des débutants. Mais il servait aussi aux peintres confirmés, pour étudier le tombé des étoffes en économisant le coût d’un modèle vivant.



1663 Gabriel van Ostade Le peintre dans son atelier Gemaldegalerie Alte Meister Dresde

Le peintre dans son atelier, Gabriel van Ostade
1670-75, Rijkmuseum, Amsterdam

Le mannequin est ici situé humoristiquement en bas des marches, comme s’il venait des les dévaler (sur l’autre accessoire pittoresque, le crâne de cheval, voir 2 : en intérieur).



1765-1768 Firsov Ivan Ivanovitch Un jeune peintre Galerie Tretyakov, MoscouUn jeune peintre
Ivan Ivanovitch Firsov, 1765-68, Galerie Tretyakov, Moscou


Mannequin et sa garderobe feminine et masculine ayant appartenu a Ann Whytell, 1769, Los Angeles County Museum

Mannequin et sa garde-robe féminine et masculine, ayant appartenu a Ann Whytell,
1769, Los Angeles County Museum


1831 Marie-Amelie Cogniet Intérieur d’atelier PBA Lille

Intérieur d’atelier
Marie-Amelie Cogniet, 1831, Palais des Beaux-Arts, Lille

Après s’être amusé à cerner de craie ses petits pieds, à côté du grand pied de plâtre, l’artiste en herbe s’applique maladroitement à faire prendre une pose au mannequin, à côté de l’écorché de plâtre.



Heinrich von Rustige vers 1839 Le paysan dans l'atelier Stiftung Sammlung Volmer, Wuppertal
Le paysan dans l’atelier
Heinrich von Rustige, vers 1839, Stiftung Sammlung Volmer, Wuppertal

Soupçons du chien, effroi de l’enfant et déférence du paysan : chacun réagit à sa manière à l’extraordinaire visiteur.



Julius LeBlanc Stewart, In the Artists Studio, 1875

Dans l’atelier de l’artiste
Julius LeBlanc Stewart, 1875 Collection privée

A peine âgé de vingt ans, grâce à la fortune de son père, Julius LeBlanc Stewart avait déjà son atelier à Paris, avec tous les accessoires nécessaires : armure, hallebarde, bric-à-brac oriental, paravent japonais.

Plus le mannequin indispensable à la peinture d’histoire, dont le mode d’emploi nous est ici obligeamment montré, avec un zeste d’ironie.


Luigi Bechi (Italian, 1830-1919) The Artist's Studio

L’atelier de l’artiste
Luigi Bechi, Fin XIXème

La scène de genre est plus fine qu’il n’y paraît : le vieillard n’est pas le peintre, la petite fille n’est pas le modèle. Tous deux portent des habits populaires, mais se sont endimanchés pour rendre visite au maître des lieux.

En son absence, c’est à son substitut humoristique qu’il s’agit de faire la référence : trônant sur le divan, drapé pour la pudeur et chapeauté de travers pour la blague, le mannequin  à la barbe rousse tend  vers la fillette une main accueillante, tout  prêt à montrer à sa jeune visiteuse le contenu du carton à dessin.

Ce que les peintres sont pour les femmes,

les mannequins le sont pour les fillettes :

un objet amusant et quelque peu ridicule.

Image en haute définition : http://www.sothebys.com/en/auctions/ecatalogue/2007/19th-century-european-art-n08355/lot.116.html

4.2 Le Mannequin symbolique

21 août 2020
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Au XIXème siècle, certains artistes investissent leur mannequin d’une dimension polémique, onirique, esthétique, érotique, théorique…

1834_Ferdinand_Tellgmann,_Im_Atelier Museumslandschaft_Hessen_Kassel
L’atelier
Ferdinand Tellgmann, 1834, Museumslandschaft Hessen, Kassel

Tellgmann réfléchit devant un paysage qu’il peint de mémoire ; derrière lui, un autre peintre oeuvre lui-aussi sans modèle, tandis qu’un troisième recopie un dessin. Les plâtres entassés derrière le paravent sous-entendent que l’Art ne se limite pas à une copie de l’antique, mais est avant tout chose mentale.

Le voile a demi détaché semble dire : laissez entrer la Lumière. Le drap qui cache le mannequin met en valeur le geste de sa main : sortez de l’atelier, allez voir le monde.


Johann_Peter_Hasenclever,_Atelierszene_1836 Museum Kunstpalast Dusseldorf

Scène d’atelier
Johann Peter Hasenclever, 1836, Museum Kunstpalast Dusseldorf

Hasenclever s’est représenté au centre, embarquant un mannequin sur son épaule. Derrière lui, une grande toile académique, retournée en guise de paravent, est constellée d’essais de couleurs. A gauche, le plâtre du Gladiateur borghèse a été amputé du bras gauche, celui qui tient le bouclier. Son noble geste a été remplacé par celui  de Carl Engel de Rabenau, juste derrière, brandissant des pinceaux en lutinant la vieille servante qui apporte le café. Au centre, le tout petit Joseph Wilms, armé d’un appuie-main démesuré, lève lui aussi le bras gauche pour tendre une bouteille de vin à un condisciple.



Le sermon du Hussite Carl Friedrich Lessing 1836 Alte Nationalgalerie Berlin

Le sermon du Hussite
Carl Friedrich Lessing, 1836, Alte Nationalgalerie, Berlin

On comprend qu’il s’agit là d’une charge contre la grande peinture académique, en particulier contre ce tableau emphatique réalisé le même année.

L’éviction du mannequin hors de l’atelier prend ici valeur de manifeste : celle de la recherche du naturel, contre l’idéalisme et la bienséance  de l’art académique de l’époque [0].


WILHELM-VON-KAULBACH_DIE-BEKAEMPFUNG-DES-ZOPFES-DURCH-KUENSTLER-UND-GELEHRTE-UNTER-DEM-SCHUTZ-DER-MINERVA
« La défaite du style natte ou perruque, lequel est représenté comme un Cerbère ou un monstre à trois têtes avec des physionomies françaises prononcées, car il a fait rage dans les trois domaines de l’art »
Wilhelm von Kaulbach, 1851, Etude pour la fresque de la Neuen Pinakothek, Neue Pinakothek, Münich [00] 

Deux groupes attaquent le monstre :

  • à gauche les tenants du classicisme – l’architecte Schinkel, avec son équerre, le peintre Carstens avec un glaive, le sculpteur Thorwaldsen avec son marteau, le théoricien Winkelmann avec son encrier – sous la sage protection de Minerve ;
  • à droite les nazaréens – Von Cornelius (le professeur de von Kaulbach) armé d’une épée, le peintre Overbeck brandissant la bannière de l’art sacré, le peintre Veit aidant un barbu armé d’un pistolet (von Kaulbach lui même) à monter lui aussi sur Pégase, le symbole de l’Inspiration.

Le cheval sacré piétine un peintre en perruque enlaçant un mannequin : le très académique Gérard de Lairesse, tenant sous son bras son oeuvre maîtresse, le Grand Livre des Peintres ;tandis qu’au centre les Trois Grâces capturées par le Monstre espèrent leur libération.

Courbet_LAtelier_du_peintre 1855 Orsay detail

L’atelier du peintre (détail)
Courbet, 1855, Musée d’Orsay

Le « mannequin d’artiste » relégué dans l’ombre derrière le chevalet est en général interprété de la même manière, comme le rejet de la peinture académique au bénéfice du naturalisme, incarné par la femme nue qui observe et inspire le peintre.


Vue stereoscopique de l’atelier de Courbet par Eugene Feyen, juin 1864

Vue stéréoscopique de l’atelier de Courbet par Eugene Feyen, juin 1864

Cependant, la mise en scène de la mannequine, dans cette vue stéréoscopique savamment organisée pour conduire le regard jusqu’à elle, assise au pied du miroir où pend la blouse du maître, trahit plus une fascination qu’un rejet.


Courbet_LAtelier_du_peintre 1855 Orsay detail mannequin

Les références religieuses dans la pose du mannequin (Saint Sébastien, Saint Barthélémy, Déposition ?), son association avec un crâne et le Journal des Débats, suggèrent un sens plus profond.

Une interprétation maçonnique y voit la polarité masculine et solaire, opposée à la polarité féminine et lunaire [0a]. Pour Agurxtane Urraca [0b], le mannequin ferait l’éloge du naturalisme de l’art espagnol, et évoquerait les souffrances de l’Espagne.

On sait en tout cas, par la description de Courbet lui-même, que la femme assise par terre est un souvenir personnel, évocateur de la misère en Irlande :

« Ensuite un chasseur, un faucheur, un Hercule, une queue-rouge, un marchand d’habits-galons, une femme d’ouvrier, un ouvrier, un croque- mort, une tête de mort dans un journal, une Irlandaise allaitant un enfant. un mannequin. L’Irlandaise est encore un produit anglais. J’ai rencontré cette femme dans une rue de Londres, elle avait pour tout vêtement un chapeau en paille noire, un voile vert troué, un châle noir effrangé sous lequel elle portait un enfant nu sous le bras. » Courbet, Lettre à Champfleury, 1854


Trois bouts de tissu (SCOOP!)
Courbet_LAtelier_du_peintre 1855 Orsay detail tissu

Le mannequin, la toile et la modèle sont liées par le motif du bout de tissu qui les découvre. L’idée est peut être toute simple :

  • à gauche la mort et la souffrance ;
  • à droite la vie et la volupté ;
  • au centre la toile qui se nourrit des deux, toute neuve comme l’enfant.



1853 William Powell Frith The Sleeping Model, Royal Academy of Arts
Le modèle endormi
William Powell Frith, 1853, Royal Academy of Arts

Dans le dos de la jeune fille, l’armure qui veille sur le mannequin endormi matérialise, pour le spectateur avisé, le rêve romantique de la jeune modèle.




1861 Menzel Adolph Kronprinz Friedrich besucht den Maler Pesne auf dem Malgerust in Rheinsberg. г. Alte Nationalgalerie Berlin

Le Kronprinz Friedrich rend visite au peintre Pesne sur un échafaudage à Rheinsberg
Adolph Menzel, 1861, gouache, Alte Nationalgalerie, Berlin

Très documentée historiquement (elle s’est produite en 1739), la scène mérite une description précise :

« A l’extrême gauche en arrière-plan, le prince héritier, suivi de son architecte Knobelsdorff et de son hôte Bielfeld (ou est-ce son lecteur Jordan?), monte par des marches qui nous sont cachées jusqu’à l’avant-dernière plate-forme d’un échafaudage, au milieu de laquelle un aide se penche pour nettoyer une palette. À l’extrême droite, à côté de lui, le musicien Franz Benda, debout, s’oublie dans sa musique, battant le rythme de la pointe de son pied droit. Le prince héritier et ses compagnons regardent d’en bas le plancher de l’échafaudage supérieur, où Pesne semble montrer une pose à un modèle. La femme recule devant le mouvement impétueux du peintre, s’appuie du bras gauche sur la balustrade en bois et renverse un pot de peinture. Deux pinceaux tombent de ce pot. Le prince héritier et ses compagnons peuvent seulement entendre les bruits provenant de la plate-forme supérieure, ainsi que l’alto de Benda, mais pas les voir, car les vestes de Benda et de l’aide pendent des poutres de l’échafaudage de telle sorte que l’altiste reste invisible au prince héritier. Nous seuls spectateurs sommes témoins du jeu de Bendas et de la danse d’amour du peintre, là-haut. En effet, le pas de danse de Pesne ne peut pas être la mise en place d’une pose pour le modèle, comme cela a toujours été dit depuis Max Jordan. Le peintre commence-t-il à danser sur les notes de l’alto ? N’est-il pas plutôt agenouillé devant une amante ? Souriante, la modèle repousse de la main droite l’approche amoureuse du peintre. Elle a risqué une chute malencontreuse sur le plancher inférieur, où un mannequin de bois… gît sous nos yeux, dans un raccourci extrême, comme brisé. Cet accessoire d’atelier semble être tombé du crochet du support placé plus à gauche. Menzel a arrangé les extrémités de la poupée de telle manière que ses jambes pointent vers la figure montante du prince héritier, tandis que sa main gauche tordue pointe vers une chaise avec un dossier tressé placée entre l’aide et le joueur d’alto. Que fait-elle là ? La poupée en bois inanimée, reposant sur son visage, est clairement une image de mort. En revanche, le modèle, dont la robe découvre l’épaule et la poitrine, semble susciter chez le peintre un entrain des plus érotique. » Matthias Winner [0c]


Un monde à l’envers

La scène pourrait se lire sur le mode plaisant, comme une sorte de monde à l’envers :

  • le grand prince qui monte sur l’échafaudage et ne voit que des planches ;
  • l’aide qui lui fait involontairement une révérence de dos ;
  • l’altiste qui n’écoute que lui-même ;
  • le peintre des déesses pris en flagrant délit de dévergondage.


Une mécanique autonome

Mais la composition semble échapper à l’anecdote pour fonctionner de manière autonome, conduisant l’oeil successivement vers des détails signifiants :

  • le mannequin en raccourci attire le regard vers l’ombre du Frédéric sur le mur brut : s’agit-il d’évoquer la future grandeur du Roi de Prusse (de même que la chaise encore vide évoquerait son futur trône ?) ; voire même de rappeler le mythe de l’invention du dessin, par le tracé autour d’une ombre ?
  • les pinceaux qui tombent mettent en connexion le modèle en chair et en os et le mannequin (Winner pense que Mentzel a repris ici l’idée de Courbet) ;
  • le verre vide sur la chaise renvoie à la carafe pleine, à l’aplomb.


1861 Menzel Adolph Kronprinz Friedrich besucht den Maler Pesne auf dem Malgerust in Rheinsberg. г. Alte Nationalgalerie Berlin schema
Les interprétations d’une composition aussi complexe sont nombreuses. Mais la lecture en deux registres s’impose(flèches jaunes) :

  • le grand roi en pleine lumière ne dessine derrière lui que son ombre, quand le grand peintre en contre-jour s’efface devant les images qu’il a créées ;
  • les pots attendent les pinceaux, le verre vide attend la carafe,
  • la musique de l’altiste fait valser les amours du plafond.

En avant-plan de l’ensemble, le mannequin joue un rôle pivot :

  • en amorçant la lecture verticale, par le couple qu’il forme avec la modèle (flèche rouge) ;
  • en amorçant également une diagonale ascendante, qui passe de la position couchée à la position penchée, puis à la position debout (flèche bleu) :
  • comme si l’Art, peinture ou musique, avait le pouvoir de donner vie aux choses mortes.


Le modèle et le mannequin

(Berthe dans l’Atelier)

Boldini, 1873

1873 boldini the-model-and-the-mannequin

Des étoffes sont éparpillées sur le plancher, sur le fauteuil, sur le canapé. Un tapis froncé conduit jusqu’à des pieds, des mollets et des jambes nues. Ce crâne luisant est-t-il celui d’un chauve sur lequel la fille est vautrée, lui plaquant le visage dans son aisselle ?

Heureusement la présence du chevalet dégonfle la double scandale de la femme habillée et de l’homme nu, de la fumeuse triomphante et du mâle transformé en pantin : puisque celui-ci en est réellement un.  Ouf, la scène érotique n’est qu’une scène de genre.

Et le perroquet sur son perchoir, emblème et compagnon de la femme sensuelle, semble placé là pour affirmer qu’elle et lui sont bien les deux seuls êtres animés de la pièce.

1873 ca boldini_la-toilette

Boldini, La toilette

Berthe était la modèle avec laquelle Boldini vivait à cette époque, en toute impudeur.


L’homme et le pantin,

portrait du peintre  Henri Michel-Lévy
Degas, vers 1878, musée Gulbenkian, Lisbonne

1878  L homme et le pantin  Henri Michel-Levy edgar-degas

 

Les deux tableaux

L’oeuvre du peintre impressionniste Henri Michel-Lévy a presque totalement disparu : on a pu identifier le tableau  de gauche, Les régates, exposé au Salon de 1879. Mais celui du fond n’est pas certain : il pourrait s’agit de la Promenade au parc, exposée au Salon de l’année précédente.

Le pantin

Le pantin en robe rose, seule note de couleur dans cette toile  sinistre, est manifestement celui qui a permis de peindre la femme du tableau de gauche : simulacre d’un simulacre.

On pourrait tout aussi bien dire qu’elle vient de sortir du tableau de gauche,

pour rejoindre le peintre dans sa solitude.


Le peintre

L’attitude de ce dernier est étrange : adossé  à la surface peinte, comme si celle-ci n’avait pas plus de valeur que le mur, il contemple la poupée d’un regard en biais.

On pourrait tout aussi bien dire qu’il vient de sortir du tableau du fond

pour rejoindre la poupée dans l’atelier.


Une tension sexuelle

Une tension sexuelle gênante lie ces deux êtres opposés : l’homme de chair debout en noir et blanc, la femme de son affalée en rose et rouge, sous la boîte à couleurs ouverte…

Degas_Interieur_Philadelphia_Museum_of_Art

L’Intérieur, ou le Viol
Degas, 1868-69,Philadelphia Museum

…auto-citation du mystère charnel qui, dans ce tableau réalisé dix ans plus tôt, met également en scène dans un huis-clos la puissance menaçante de l’Homme, adossé les mains dans les poches,  et le retrait de la Femme qui lui tourne le dos, de part et d’autre d’une boîte à couture.

 

1878  L homme et le pantin  Henri Michel-Levy edgar-degas detail

Sauf que, dans la version lisboète, dénoncé par un bout de liquette, l’Artiste manifestement bande…

 

1878  L homme et le pantin  Henri Michel-Levy edgar-degas detail pinceaux

.. à l’instar des pinceaux près du gant.


En plus d’un portrait de Henri Michel-Lévy, peintre sincère et solitaire hanté par les fastes des Fêtes Galantes et le regret du Rococo, c’est surtout un autoportrait de Degas   qui transparaît, en homme « frustré et amer, dont les besoins profonds sont restés inassouvis ».Théodore Reff[1]. Ce tableau  profondément pessimiste illustre l’état d’esprit d’une lettre de 1884 :
« Si vous étiez célibataire et âgé de 50 ans, vous auriez de ces moments-la, où on se ferme comme une porte, et non pas seulement sur ses amis; on supprime tout autour de soi, et une fois tout seul, on s’annihile, on se tue enfin, par dégoût. » [1].



1880-86 John Ferguson Weir His Favorite Model Yale University Art Gallery

Son modèle préféré (His Favorite Model)
John Ferguson Weir, 1880-86,  Yale University Art Gallery

Dans le tableau dans le tableau, une femme drapée se contemple dans un miroir, sans aucun contact avec son reflet.

Dans le tableau, le peintre tend les bras à son mannequin-femme : si  le reflet figé est intouchable, cette autre forme de reflet en 3D que constitue le mannequin, est quant  à lui souple et manipulable.

Ces bras tendus transgressant la limite du cadre posent brillamment  toute la question du rapport de force entre le peintre et son modèle :

l’artiste réussira-t-il à le faire entrer dans le cadre, ou bien

le modèle résistera-t-il, éloignant le peintre de l’oeuvre qu’il a derrière la tête ?



Dans l’atelier

Wilhelm Trübner

1872 Wilhelm-Trubner-In-the-Studio-Bayerische-StaatsgemaldesammlungenDans l’atelier
Wilhelm Trübner, 1872,
Bayerische Staatsgemäldesammlungen – Neue Pinakothek München
1888 Wilhelm-Trubner Studio-Interior- NurenbergIntérieur d’atelier
Wilhelm Trübner, 1888,
Museen der Stadt Nürnberg, Gemälde und Skulpturensammlung

 

En 1872, le thème reste obscur dans tous les sens du terme. Sans le titre, impossible de comprendre que cet homme en chapeau et manteau noir, au visage dans l’ombre et qui vient de jeter son mégot, est un peintre venu observer de plus près son modèle ; et que sa main gauche posée sur le dossier n’est pas en train d’esquisser une caresse, mais de rectifier une position.

En 1888, l’homme a gardé le même costume et presque la même  pose, sinon que sa main droite ne tient plus son menton, mais un bloc de papier. Ce pourrait être un livre de poèmes lu à une jeune fille, mais la posture figée de celle-ci nous fait comprendre qu’il s’agit d’un modèle, et que le bloc  est un carnet de croquis.


Le tableau dans le tableau

1888 Wilhelm-Trubner Studio-Interior- Nurenberg detail tableau Wilhelm-Trubner 1889 Promethee pleure par les Oceanides coll priveeProméthée pleuré par les Océanides, Wilhelm Trübner, 1889

Trübner réalisera cinq versions du thème de Prométhée [2]. Celle de 1889 suit  le « Prométhée enchaîné » d’Eschyle : on le voit attaché à son rocher, puni pour avoir donné le Feu aux Hommes. Mais Prométhée est aussi celui qui a façonné les humains à partir d’eau et de terre, pour qu’Athéna ensuite leur insuffle la vie. La présence du Pantin amorphe sous le tableau en cours d’élaboration suggère fortement que le thème de la composition n’est rien moins que  celui de la Création, et de la manière de donner vie.

Le paravent

1888 Wilhelm-Trubner Studio-Interior- Nurenberg paravent
Le paravent indique comment lire le reste de la composition  :

  • sur le panneau de gauche, un tissu rouge et or est posé, un échantillon de cuir ou de papier décoratif est collé,  un visage les yeux ouverts est griffonné ;
  • le panneau de  droite porte seulement un tissu vert, qui fait ressortir la chevelure rousse ;
  • le panneau du centre porte un autre tissu rouge et or, orné de grandes palmettes : ce motif tape-à-l’oeil marque l’endroit critique où deux regards convergent : celui du peintre sur le modèle, celui du spectateur sur le tableau.

Si Trübner a choisi de centrer sa composition autour d’un motif aussi voyant, ce n’est pas seulement par intérêt pour les arts décoratifs ou le japonisme : mais parce qu’il souhaitait que nous donnions un sens à cette pyramide inversée composée, de bas en haut, d’une, de deux, puis de trois palmettes.

Le schéma du tissu1888 Wilhelm-Trubner Studio-Interior- Nurenberg schema

Supposons que la palmette du bas, toute proche du carnet de croquis vierge, représente l‘oeuvre en gestation.

Supposons que les deux palmettes du dessus, qui joignent les yeux de l’homme et de la femme, soient les deux pôles de ce processus créatif : le Peintre et le Modèle.

Alors la ligne du haut pourrait schématiser l’Oeuvre achevée : un motif qui incorpore une moitié du Peintre, et une moitié du Modèle,  car l’Art ne peut prétendre faire entrer dans le cadre et dans le plan du tableau la totalité du Réel.


Femme et mannequin

Jacques Villon, 1899,  Moma, New York

1899 Femme et mannequin jacques Villon  moma

La dame survêtue, avec ses gants, son chapeau et son grand noeud papillon qui ne laisse voir de sa peau que le visage, a passé son renard au cou du mannequin et laissé tomber à ses pieds son manchon.

En habillant le mannequin nu de ces accessoires, elle s’amuse à le tirer vers l’humain tout en lui rappelant que, tout comme la fourrure n’est qu’un résidu d’animal, lui aussi n’est qu’un objet dérivé.



1906 Carl Ulof Larsson  The Model on the TableLe modèle sur la table
Carl Larsson, 1906
1906 Carl Larsson Model Writing Postcards Leontine LindstromModèle écrivant des cartes postales
Carl Larsson, 1906

Le modèle est la jeune Leontine Lindström, qui figure dans nombre d’oeuvres de cette époque [6], et faisait partie de la maisonnée.

Les deux images ont manifestement été conçues pour  former des pendants : vue frontale, harmonie rouge et vert, modèle assis posant un pied près du tabouret dans l’un, de la poubelle dans l’autre. Mais la composition va bien au delà d’un simple jeu formel, et raconte une sorte d’histoire.

Dans la première image, la jeune fille est tournée vers l’intérieur de la maison, vers le poêle, et manipule rêveusement  une petite fleur.

Il faut lire l’image de droite à gauche, en trois parties, scandées par les feuilles accrochées au mur.


1906 Carl Ulof Larsson  The Model on the Table 1

Au dessus des deux mannequins « morts« , obscènement empilés l’un sur l’autre, le dessin leur montre ce qu’ils ne feront jamais : l’amour.


1906 Carl Ulof Larsson  The Model on the Table 2

Derrière la jeune modèle, la feuille blanche illustre ce qu’elle n’a pas encore fait (le don de sa petite fleur).


1906 Carl Ulof Larsson  The Model on the Table 3
A gauche, sur la troisième feuille, un homme nu se prosterne devant elle (ou tente de lui prendre sa fleur). Comme Larsson a tenu à signer ce dessin dans le dessin, il n’est pas interdit de penser que cet admirateur, au dessus du poêle aux charbons ardents, exprime son propre sentiment : une attirance impossible à satisfaire.

Pas plus le dessin que le peintre ne peuvent rejoindre le modèle.


1906 Carl Larsson Model Writing Postcards Leontine Lindstrom

Dans la seconde image, la jeune fille est tournée vers le jardin, devant un grand bouquet de fleurs épanouies. Elle laisse derrière elle les mannequins, confinés dans leur ambiance malsaine, et écrit sur une table surchargée de feuilles, comme autant d’amoureuses possibilités.

Larsson 1905 Anna Stina

Anna Stina Alkman (épouse de Edvard Alkman, éditeur et critique d’art)
Larsson, 1905, Collection privée

Au dessus d’elle, en contrepoint face à un même vase de fleur, le portrait de ce qu’elle va bientôt devenir : une femme établie.



1909 George W Lambert The shop

L’atelier (The shop)
George W Lambert, 1909, Art Gallery of New South Wales

Peint dans l’atelier  londonien de Lambert, le tableau montre, de gauche à droite :

  • un modèle debout, ressemblant au roi Edouard VII (dont Lambert venait de faire le portrait)
  • un mannequin assis ,
  • un jeune garçon,
  • Lambert debout, en pendant au premier modèle.


Les moyens de l’Art

Voici comment un confrère décrit la composition :

« Dans  « Shop », l’artiste a disposé les ingrédients de sa  profession : le sujet du portrait – le major general moderne, la  figure couchée (de première importance pour la maîtrise des drapés) ; et, finalement, le peintre lui-même avec sa complexion pâle et ses longs cheveaux d’ambre roux. »  Norman Lindsay, 1919 [7]

Mais cette explication fait l’impasse sur la présence du jeune garçon.


Une fausse famille

Et si ces trois personnages représentaient, assiégeant le peintre  par derrière, les trois sujets qu’on demande sans cesse à un portraitiste célèbre ? L’homme costumé (ce faux roi), la femme déshabillée (ce vieux mannequin) et l’enfant qui rêve : seul ce dernier sauvant par sa candeur cette caricature de famille.

Le verre et la coupe de fleurs au premier plan, transposant l’huile et la palette, rajoutent une touche d’humour à cet autoportrait critique.



1917 alexandre-yevgenievich-yakovlev-self-portrait Tretyakov Gallery

Auto-portrait
Alexandre Iacovleff, 1917, Tretyakov Gallery.

La composition est conçue comme un exercice de style démontrant la virtuosité du peintre :

  • le pinceau entre l’index et le majeur et l’appuie-main entre les autres doigts semblent voler (le pouce étant masqué) ;
  • l’artiste est montré peignant du bras droit : donc il ne peint pas ce qu’il verrait dans un miroir (les photographies de la Croisière Noir en 1924 montrent que Iacovleff était droitier) :
  • pourtant, le tableau dans le tableau, vu de biais, montre l’image inversée :
    • du mur du fond (on devine même le mannequin assis, sous le petit doigt)
    • et du tableau que nous voyons.

Première remarque : l’artiste se regarde bien dans un miroir, mais corrige la position de son bras pour respecter la réalité, ce que seuls font les auto-portraitistes les plus exigeants (voir 1 Le peintre en son miroir : Artifex in speculo) ;

Deuxième remarque : si nous nous asseyons mentalement sur le divan du mannequin et regardons comme lui dans le miroir (dans le dos du peintre), nous verrons le tableau tel que nous le voyons : autrement dit il est équivalent d’être au plus profond du tableau ou d’être devant : la composition mannequinise le spectateur, ou humanise le mannequin, comme on préfère.

Troisième remarque :  situé entre le visage du peintre et le tableau dans le tableau, le mannequin a en quelque sorte le pouvoir d‘inverser l’image, au même titre qu ele miroir que nous devinons, mais qui nous est caché.



Références :
[0] Pour d’autres details sur ce tableau, voir https://de.wikipedia.org/wiki/Atelierszene
[00]  https://www.sammlung.pinakothek.de/en/artwork/XR4Mr9pxQ1
[0a] Hélène Toussaint http://deartibussequanis.fr/xix/courbet_atelier.php
[0b] Agurxtane Urraca, « La souffrance de l’Espagne cachée dans l’Atelier de Courbet », dans Penser l’entre-deux, Université des Antilles et de la Guyane, 2005, p 403 et ss https://books.google.fr/books?id=JvDDqhS3Pj4C&pg=PA404&dq=courbet+atelier+peintre+mannequin
[0c] Matthias Winner, « Der Pinsel als « Allégorie réelle » in Menzels Bild « Kronprinz Friedrich besucht Pesne auf dem Malgerüst in Rheinsberg » Jahrbuch der Berliner Museen 45. Bd. (2003), pp. 91-130 https://www.jstor.org/stable/4423758
[1] The Pictures within Degas’s Pictures, Théodore Reff, The Metropolitan Museum Journal, 1968
http://www.metmuseum.org/art/metpublications/the_pictures_within_degass_pictures_the_metropolitan_museum_journal_v_1_1968
[2] « Trübner: des Meisters Gemälde » https://archive.org/stream/trbnerdesmeist00beriuoft/trbnerdesmeist00beriuoft_djvu.txt
http://www.fitzmuseum.cam.ac.uk/sites/default/files/Silent_Partners_Immunity1.pdf
[6] D’autres apparitions de Leontine : http://kykolnik.dreamwidth.org/2075303.html?thread=20107687

4.3 Le mannequin en Italie

21 août 2020
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Inventé par De Chirico pendant la première Guerre mondiale, le mannequin a fait carrière en Italie plus que partout ailleurs : emblème d’abord de la peinture métaphysique, puis signe de ralliement de ceux qui se réclament d’un retour à la tradition.

De Chirico

chirico-giorgio-1914 la-nostalgie-du-poete-musee-peggy-guggenheim-venise-01La Nostalgie du Poète, Musée Peggy Guggenheim, Venise 1914 de-chirico Le voyage sans fin Hartford, The Wandsworth Atheneum)Le voyage sans fin, The Wandsworth Atheneum, Hartford

Giorgio de Chirico, 1914

Le tout premier mannequin de De Chirico a été peint à Paris en 1914, sous l’influence de Guillaume Apollinaire :

« Quand un homme sans yeux sans nez et sans oreilles
Quittant le Sébasto entra dans la rue Aubry-le-Boucher »
Apollinaire, « Le Musicien de Saint-Merry »

Il apparaît discrètement, peut être vu de dos, en tout cas en affinité d’aveuglement avec la statue à lunettes noires.

Dans Le voyage sans fin, il fait corps avec elle, et la canne d’aveugle est posé en offrande sur l’autel, comme si la statue avait gagné son oeil unique par la magie du mannequin.

Fasciné depuis longtemps par le thème de l’inanimé, Chirico donne à sa statue-fétiche un alter-ego novateur, qui modernise radicalement le vieil accessoire des ateliers d’artistes : il s’agit maintenant d’un objet manufacturé, un objet du XXème siècle, un ustensile de couturier.


1917 de-chirico- ettore-e-andromaca Galleria Nazionale d'Arte Moderna, Roma-Hector et Andromaque
De Chirico, 1917, Galleria Nazionale d’Arte Moderna, Rome
The Painter's Family 1926 by Giorgio de Chirico 1888-1978La famille du Peintre
De Chirico, 1926, Tate gallery

Il développera ensuite le thème de multiples manières, jusqu’à en faire un procédé. [7a]



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1917, Carlo Carra, Madre e figlio Pinacoteca di Brera, MilanMère et fils Carlo Carrà, 1917, Pinacoteca di Brera, Milan Nature morte, Giorgio Morandi, 1918, Pinacoteca di Brera, MilanNature morte, Giorgio Morandi, 1918, Pinacoteca di Brera, Milan

En 1916, Carrà rencontre De Chirico et passe du futurisme à la peinture métaphysique. Imité bientôt par Morandi.



Casorati

casorati felice 1924 mannequins Museo del Novecento Milan photo jean louis mazieresMannequins, Museo del Novecento, Milan, photo jean louis mazieres casorati felice 1924 Madre o Maternita Gemaldegalerie BerlinMadre o Maternità, Gemäldegalerie Berlin

Felice Casorati, 1924,

Dans un de ses très rares autoportraits, Casorati se montre en train de peindre (de la main gauche) dans un miroir, qui renverse l’image du tableau dans le tableau (« Maternità », peint la même année 1924).

A l’opposé des faces aveugles de leurs devanciers, les deux mannequins complètent par leur regard ce qui manque aux personnages tout en inversant leur sexe :

  • le mannequin mâle a les yeux baissés, comme la mère ;
  • le mannequin femelle a des yeux pénétrants, comme le peintre.

casorati felice 1934 manichino-rosa coll privLe mannequin rose, 1934, Casorati CasoratiPhotographie de Casorati par Herbert List, 1949

Sans s’enfermer dans la formule, Casorati fera de loin en loin un clin d’oeil au mannequin.



Adriano Gajoni 1934 mannequin jouant de la musiqueMannequin jouant de la musique, 1934 Adriano Gajoni 1946 manichino al pianoforteMannequin jouant du piano, 1946

Adriano Gajoni nature morte au mannequin
Nature morte au mannequin, date inconnue
Adriano Gajoni

L’effet d’étrangeté et de modernisme que véhicule le mannequin ouvre la porte à une certaine facilité.


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1942 Michele Dixit Autoritratto nello studio.
Autoritratto nello studio di via De Spuches
Michele Dixit, 1942

Une oeuvre isolée du peintre sicilien, réalisée juste avant son départ pour le front yougoslave : les grands tableaux aux murs montrent comment l’art réussit à transfigurer en Vierge ou en ange la présence prosaïque du mannequin.



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ITALO CREMONA 1940 Nudo col cavallo di gessoNu au cheval en plâtre, 1940 Italo Cremona 1944 Ritratto della moglie con manichinoPortrait de femme avec un mannequin, 1944

Italo Cremona

Deux confrontations de la chair avec le bois ou le plâtre.



Les peintres modernes de la Réalité

En 1947-49, cinq expositions et un manifeste signalent la création en Italie d’un nouveau mouvement, en réaction envers les déficiences techniques de l’art dit moderne. Le mannequin, réchappé des peintures métaphysiques et surréalistes, va devenir une sorte de signe de ralliement du groupe, emblème à la fois du retour au techniques traditionnelles et de l’inanité de l’homme contemporain.

Bueno Antonio 1948-49 Still Life,Nature morte, Antonio Bueno, 1948-49 Bueno Xavier 1948 - Manichino collection Sandro Rubelli.Manichino,, Xavier Bueno, 1948, ancienne collection Sandro Rubelli

Ces deux toiles des frères Bueno fonctionnent probablement en pendant :

  • à gauche le mannequin semble avoir perdu la partie : châssis vide, pions sans échiquier, lauriers de la gloire vaincus par l’électricité ;
  • à droite, enveloppé dans le drapeau italien, il amorce une résurrection, griffonnant des notes et un croquis, tandis qu’à l’arrière-plan la statue antique rend hommage à De Chirico.


Bueno Antonio e Xavier 1944 Doppio autoritratto Double Self-portrait

Double autoportrait
Antonio et Xavier Bueno , 1944

Les deux frères sont coutumiers des oeuvres réalisées en commun (voir aussi Compagnes de voyage).



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Gregorio Sciltian

Participant dès le début au mouvement des Peintres modernes de la Réalité, Sciltian n’a abordé que dix ans plus tard le thème du mannequin.


Gregorio Sciltian 1955 La-scuola-dei-ladriL’école des voleurs, 1955 GREGORIO SCILTIAN 1956 la-scuola-dei-modernisti-L’école des Modernes, 1956

Gregorio Sciltian

Dans le premier tableau, le mannequin (de couturier) sert à l’enseignement des pickpockets.

Dans le second, le mannequin (de peintre) est abandonné à droite, sous les lunettes du critique d’art Roberto Longhi, favorable au mouvement, et le regard éberlué de Lionello Venturi, pape de l’art abstrait.


Gregorio Sciltian 1960 Allegra serenataAllegra serenata, 1960 GREGORIO SCILTIAN 1960 ca Il magoLe mage, vers 1960
Gregorio Sciltian 1962 ca Sans titreSans titre, vers 1962 Gregorio Sciltian 1962 LE COIN DE L'ATELIER coll privLe coin de l’atelier, 1962
Gregorio Sciltian 1962 LE COIN DE L'ATELIER coll priv detailLe coin de l’atelier (détail), 1962 Gregorio SciltianDate inconnue

Gregorio Sciltian

Dans toutes ces toiles, le mannequin se comporte comme un alter-ego du peintre, jouant de la musique, faisant la fête, prenant sa place au chevalet et le miniaturisant dans le miroir de sorcière (voir Le peintre en son miroir).



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Pietro Annigoni

Mais celui qui qui revenir au mannequin pour toute la durée de sa carrière est le plus talentueux et le plus célèbre du mouvement, Pietro Annigonni.


annigoni 1946 manichino-nello-studio coll priveeManichino nello studio, 1946 annigoni 1947 Interno dello studio collection Sandro RubelliInterno dello studio, 1947, anciennement collection Sandro Rubelli

Pietro Annigoni

Au départ, il n’est qu’un accessoire d’atelier, à peine plus tangible que les feuilles ou le papier-peint.


pietro-annigoni 1950 allegory-of-man-(mannequin)Allégorie de l’Homme La Soffitta del Torero 1950 Pietro Annigonni Private collectionLe grenier du Torero (La Soffitta del Torero)

Pietro Annigoni, 1950, Collection privée

Trimant sans avancer ou s’affrontant dans une corrida immobile avec un taureau réduit à ses cornes, il devient la figure de l’absurdité humaine.


Annigoni 1953 Direste voi che questo e luomo (La lezione)

Dirais-tu que ceci est un homme, La leçon
Direste voi che questo e l’uomo (La lezione)
Annigoni, 1953

Dans cette toile ambitieuse, Annigoni paraphrase à la fois le Saint Mathieu du Caravage et La leçon d’anatomie de Rembrandt pour placer le mannequin, à la plaie ouverte sur le torse, en situation expérimentale (voir 3 Voir et toucher). L’apprenti montrant un dessin de saint et la modèle nue au dessus du bucrane représentent probablement les traditions chrétienne et antique.


Annigoni 1957 photo Madame Yevonde 2 Annigoni 1957

Annigoni, 1957, photographies Madame Yevonde

Annigoni 1957 photo par Madame Yevonde1957, photographie Madame Yevonde Annigoni photoDate inconnue

Le mannequin participe à la posture du peintre solitaire, mélancolique et rebelle à son temps.


annigoni 1970 Contemplazione del vuotoContemplation du vide (Contemplazione del vuoto), 1970 Annigoni 1971 Forza paralizzataForce paralysée (Forza paralizzata), 1971

Annigoni

D’en haut son regard absent plane sur la ville déserte.


Annigoni 1971 Foto ricordoPhoto-souvenir (Foto ricordo), 1971 AnnigoniDate inconnue

Annigoni

Des couples impossibles se forment…


Annigoni 1971 Ne vinti ne vincitoriNi vaincus ni vainqueurs (Ne vinti ne vincitori), 1971 Annigoni 1973 Solitudine III Cassa di Risparmio di FirenzeSolitudine III, 1973, Cassa di Risparmio di Firenze

… et se défont.


Annigoni 1971 C era une volta PalladioIl était une fois Palladio ( C’era une volta Palladio), Annigoni, 1971 Annigoni 1971 C era une volta Palladio villa Gualdo MontegaldaEscalier de la villa Gualdo, Montegalda.

Les modèles de paille ou de chair ont été pareillement mis au rebut au bas de l’escalier seigneurial, sous le regard d’une chouette à moitié effacée et tandis qu’une silhouette fantomatique remonte les marches vers le passé.

Annigoni a laissé une description assez précise de ses intentions :

« L’architecture qui émerge de la misère, miraculeusement intacte, symbolise un ordre irrécupérable, dont nous nous sommes séparés. Un ordre dont l’homme a été évincé, réduit à un nombre, à un mannequin. Le nu de la jeune femme contraste justement avec les silhouettes inanimées et inertes des deux mannequins. Le contraste est accentué par le choix des matériaux : la dormeuse d’époque et la feuille de caoutchouc mousse déroulée qui pour la raison opposée est tout autant emblématique. A l’arrière-plan, une silhouette, presque un fantôme, s’éloigne le dos tourné. Cette apparition fugitive – fréquente dans mes œuvres – introduit dans le tableau un motif de suspension, une interrogation consternée, qui coïncide avec mes sentiments plutôt qu’avec mes intentions. A un endroit de la scène veille un oiseau nocturne, l’un de ceux qui vivent solitaires dans ces bâtiments abandonnés, et qui pourrait ici prendre le sens de présage obscur que lui accorde la conscience populaire. »



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1958 Antonio Ciccone mannequin, annigonis_studio
 
Un mannequin dans l’atelier d’Annigoni
Antonio Ciccone, 1958

Hommage au maître, de la part d’un élève qui s’applique.


1950 Alfredo Seri Manichino con drappo biancoMannequin au drap blanc 1950 Alfredo Seri MANICHINO CON MELAMannequin à la pomme

Alfredo Seri, 1950

Deux poses assez stériles d’un mannequin cabotin.



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Vito Campanella MetamorphoseMétamorphose Vito Campanella 1984 Les pelerins d'Emmaus
Vito Campanella 1987 DepositionDéposition, 1987 Vito Campanella http:/www.tuttartpitturasculturapoesiamusica.com;sss

Vito Campanella

Le mannequin déchaîné finit par s’approprier tout l’espace de l’Histoire de l’Art…

Références :
[7a] Pour lévolution du sujet chez Chirico, voir https://finestresuartecinemaemusica.blogspot.com/2019/05/la-solitudine-del-manichino-la-figura.html

4.4 Le mannequin partout ailleurs

21 août 2020
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Ailleurs qu’en Italie, le mannequin de peintre n’a pas véritablement donné lieu à une école ou à une tradition nationale : il est adopté sporadiquement par quelques artistes, parfois comme objet symbolique, parfois simplement comme signe de reconnaissance visuel.

En Allemagne et Europe Centrale

George Grosz

Grosz George 1920 Automates républicainsAutomates républicains, 1920 George Grosz, Daum marries her pedantic automaton George in May 1920, John Heartfield is very glad of it, Berlinische Galerie Der Dada No. 3 (April 1920)Daum marries her pedantic automaton George in May 1920, John Heartfield is very glad of it, Berlinische Galerie, paru dans Der Dada No. 3 (Avril 1920)
Grosz George 1921 Der neue Mensch aquarelleSans titre, 1920, Kunstsammlung Nordrhein Westfallen Grosz George 1921 Der neue Mensch aquarelleL’homme nouveau, aquarelle, 1921

George Grosz

Le mannequin de couturier à la Chirico tend maintenant à devenir automate : le thème échappe définitivement à l’esthétique de l’atelier d’artiste, pour devenir le symbole urbain de l’aliénation.


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Oskar-Kokoschka 1922 Mann mit Puppe Nationalgalerie, Staatliche Museen zu BerlinL’homme à la poupée, Nationalgalerie, Staatliche Museen zu Berlin Oskar-Kokoschka 1922 -Self-portrait-at-the-easel-Autoportait au chevalet, collection privée

Oskar Kokoschka, 1922

Après sa rupture avec Alma Mahler, Kokoschka s’était fait confectionner  une poupée grandeur nature à son effigie, qu’il trimbalait dans tout Vienne et a représentée dans plusieurs oeuvres, notamment le tableau de gauche.

Dans celui de droite, le rapport de domination s’inverse : la poupée a changé de coiffure, a rosi, s’est mis du rouge à lèvres et du rimmel, est passée à l’arrrière-plan et regarde le peintre d’un air bête, tout sortilège évanoui.

C’est dans la lignée de cette aventure que Bellmer développera son propre fétichisme de la poupée, qui sort du thème du mannequin d’artiste


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Otto Dix, Stilleben im Atelier (Still Life in the Studio), 1924 Stuttgart, Kunstmuseum Stuttgart

Nature morte dans l’atelier (Stilleben im Atelier)
Otto Dix, 1924, Kunstmuseum, Stuttgart

La main droite levée  en l’air du modèle semble accomplir le mouvement ébauché par la même main du mannequin. Et sa jambe droite, avec son bas qui tirebouchonne, imite la même jambe du mannequin qui, étant de tissu, n’a pas besoin de lingerie.

Géométriquement, les deux montants du chevalet poussent à comparer la poitrine de chair et la poitrine de toile. Le montant de gauche, en barrant le ventre de la femme enceinte, insiste sur son opulence, comparé au ventre plat du mannequin  inutilement voilé par une gaze ridicule. Enfin, le pied du chevalet mène l’oeil du cou en poireau du mannequin, au visage halluciné de la modèle, à son épaisse toison et à son aisselle velue.

Faut-il conclure de ces mimétismes que la Peinture et le Dessin, symbolisés par le chevalet et l’équerre, sont capables de transformer le piteux mannequin en une mère plantureuse ?

Le titre même du tableau nous pousse à  une conclusion plus cynique : en unifiant dans le terme « nature morte » la femme et le mannequin, il chosifie la modèle de chair  tandis que la modèle de tissu gagne en  humanité. Trouée aux mites et comme couverte de bubons, elle apparaît comme la soeur putréfiée que, comme une Pieta, la vivante porte sur son sein, élevant vers le ciel un bras désespéré et un regard exorbité.

Comme une femme découvrant qu’en donnant la vie, elle  enfante sa propre mort.


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Stoecklin Niklaus, Vue de l'atelier avec un mannequin 1930Mannequin dans l’atelier Stoecklin Niklaus, Gliederpuppe (1930)Mannequin au miroir

Niklaus Stoecklin, vers 1930, collection privée

Surréalisme suisse tranquille.


hans-walter-scheller 1929 stillleben-mit-gliederpuppe,-büchern-und-glaskaraffe coll priv
Nature morte au mannequin, aux livres et à la carafe
Hans Walter Scheller, 1929, collextion privée

Surpris par derrière, le mannequin est pris en train de manger les fruits du peintre, boire son café et son vin, et lire ses bouquins. La vue plongeante fait tout l’intérêt de cette toile sans conséquence.


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Wilhelm-Lachnit-1947-ca-Gliederpuppe-Neuen-Nationalgalerie-Berlin.
Mannequin (Gliederpuppe)
Wilhelm Lachnit, 1948, Neuen Nationalgalerie, Berlin

Vingt ans après le tableau post-cubiste de Scheller, exactement les mêmes objets réapparaissent dans cette nature morte post-expressionniste, dans une ambiance moins festive : la bouteille est vide, la pomme et le livre sont uniques, et les gants blancs semblent interdire au mannequin de se saisir de quoi que ce soit. Il semble compter le chiffre 8 sur ces doigts, mais peut être est-il en train d’argumenter stérilement : auquel cas il pourrait incarner le système privé d’âme, assis sans le regarder face au peintre qui lisait son livre. L’objet creux devant son coude gauche reste une énigme à déchiffrer (un morceau de bras désarticulé ?).


Wilhelm Lachnit 1948

Wilhelm Lachnit, 1948

Emprisonné sous Hitler, Lachnit a vu une grande partie de son oeuvre détruite lors du bombardement de Dresde. Nommé professeur à l’Ecole des Beaux-Arts dans la RDA de l’après-guerre, il était en bute dès 1948 a de nombreuses critques, et a dû démissionner en 1954 pour « formalisme » et défaut de réalisme.


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Wojciech Weiss

 

1926 Wojciech Weiss Manekin i modelkaWojciech Weiss, 1926 1934 Wojciech WeissWojciech Weiss,1934

En 1926, la modèle nue regarde avec curiosité son  contraire et néanmoins confrère : un mannequin mâle, habillé jusqu’au cou, et qui la regarde avec une égale curiosité.

En 1934, le duo est devenu un trio. Dans un bric-à-brac d’artiste, la modèle bien en chair  se repose le regard vague en mangeant des cerises.  En face d’elle,  le mannequin bellâtre la contemple,  on comprend bien qu’il ne serait pas de bois s’il n’était pas de bois. Entre les deux, le Cupidon doré brandit sa flèche et ironise sur cet amour platonique.


Krisis 1934

Krisis
Wojciech Weiss, 1934

« Ceci est non seulement une crise, mais une fin. Les ateliers d’artiste accumulent des piles d’images dont la société d’aujourd’hui n’a pas besoin… Je ne pensais pas du tout ici au symbole. Je peins seulement la nature. »  Wojciech Weiss dans la revue « En avant » (Naprzód) le 29 Avril 1934.



En France, rien à signaler

1930 ca Andre Derain - La Femme et le PantinLa Femme et le Pantin
Photographie d’André Derain, vers 1930, Paris
1932 Henri Cartier-Bresson, Leonor Fini, Paris,Portait de Léonor Fini
Photographie d’Henri Cartier-Bresson, 1932, Paris

A ma connaissance, aucun peintre français important ne s’est intéressé au thème au XXème siècle.



En Angleterre, le manequin cosy

Dans l’entre deux guerre, des portraitristes mondains se délassent, de temps en temps avec des mannequins très peu subversifs, qui font tranquillement les gestes de tous les jours.

1929, Alan Beeton Reposing I Beeton-Family-EstateLe repos (Reposing I)
Alan Beeton,1929, Beeton Family Estate
1930, Alan Beeton Reposing II The Fitzwilliam MiseumLe repos (Reposing II)
Alan Beeton,1930, The Fitzwilliam Miseum

Deux  des sept portraits que Beeton fit de son mannequin féminin : en 1929, elle relève sa robe en contemplant des images légères ; en 1930 elle se fait plus discrète, cachée derrière un rideau [8].


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Nude and Mannequin David Jagger

Nu et mannequin
David Jagger, date inconnue, Collection privée

La symétrie de la composition fait ressortir le contraste maximal entre la femme et le mannequin  : vue de dos contre vue de profil, bras levés contre bras baissés, regard clair contre yeux dans l’ombre.

A gauche, la peau blanche s’appuie sur le tissu du fond, à droite le tissu écru se découpe directement sur le mur. Ainsi est mise en évidence l’énigme intrinsèque au mannequin, jamais véritablement  mis à nu : car comment enlever sa peau à  un être de textile ?


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john-bulloch-souter (1890 - 1972), wood-lay-figure-with-a-mirrorMannequin au miroir
John Bulloch Souter, date inconnue
The Lay Figure, 1942 by Victor Hume MoodyLe mannequin (The Lay Figure)
Victor Hume Moody, 1942

Le mannequin comme visiteur dans l’atelier ou comme acheteur de son propre portrait.


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Ward John Stanton 1989-90 Dressing the ModelDressing the Model, 1989-90 ward john-stanton 1995 self-portrait-with-lay-figureSelf portrait with lay figure, 1995

John Stanton Ward



Un peu partout

Paul Cadmus - Manikins, 1951,

Manikins
Paul Cadmus , 1951

Sur un table de bois, les deux mannequins de bois s’abandonnent à une étreinte gidienne sur un oreiller de littérature engagée (Corydon, les sonnets de Shakespeare). Posée à côté des Lettres de Michel-Ange, une main de bois les bénit.


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Matias Quetglas 1985

Matias Quetglas,1985

Le vin est-il la cause de la chute, ou le moyen de la résurrection du mannequin ?



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Charles Pfahl

charles pfahl Other Gates 1 1998 2001Other Gates 1, 1998–2001 charles-pfahl-blutterbunged (abasourdi)Blutterbunged (abasourdi)

Dans une série d’huiles sur toile à la fois hyper et surréalistes, Charles Pfahl associe un mannequin féminin à des poupées et des squelettes de  poisson. Face à la dureté du celluloïd et des dents,  la mollesse et le décrépitude du mannequin le font apparaître comme étrangement humain.


charles pfahl Sleepaway (etude pour Archetype)Sleepaway charles pfahl Archetype 2003 detailArchetype (détail)

C’est la gueule dentée du poisson mort qui donne au mannequin la capacité d’enfanter.


Archetype 100x80 oil, gold leaf, silver leaf on canvas

Archetype,
Charles Pfahl, 2003, huile sur toile

charles pfahl Shadow, 2012Shadow, 2012 charles pfahl The OfferingThe Offering

Ainsi le mannequin caricature le destin de la Femme, d’un plaisir mécanique à l’enfantement d’un squelette.

pfahl_anubis

Anubis, Charles Pfahl


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Robbie Wraith

Robbie Wraith soliloquy 2014Soliloquy Robbie Wraith arriere pensee 2014Arrière-pensée

Robbie Wraith, 2014

A gauche, le mannequin, qui peut prendre toutes les poses, tient sur son coeur trois masques vénitiens : affection d’un corps sans vie pour un visage sans identité.

A droite, la feuille blanche derrière le mannequin  et le miroir vide derrière la marionnette matérialisent les deux  arrières-pensées de l’artiste : trouver un sujet, imiter le réel.

Robbie Wraith alexandra reflectionAlexandra reflection Wraith-R-Portrait-in-Two-WorldsPortrait-in-Two-Worlds

Dans ces deux tableaux où la composition se sert du miroir pour réunir le peintre et son modèle (voir Le peintre en son miroir :  L’Artiste comme compagnon), la présence du mannequin ajoute une solidarité  supplémentaire : assis jambes écartées, voire couvert d’un manteau rouge, il ressemble au modèle ; mais situé en face et de l’autre côté de celui-ci, il fait pendant au peintre dans une sorte d’antiportrait passif : bras ballants et visage absent.


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 Cesar Santos

 

Cesar Santos 2012 1 Hunting season1 Hunting season Cesar Santos 2012 2 The Explorer2 The Explorer
Cesar Santos 2012 3 Crossbreed3 Crossbreed Cesar Santos 2012 4 Naughty Role Models4 Naughty Role Models
Cesar Santos 2012 5 Annunciation5 Annunciation

Cesar Santos 2012

Dans la lignée d’Alan Beeton, Cesar Santos a redécouvert le potentiel onirique et érotique du mannequin d’atelier, auquel il a dédié en 2012 cette remarquable série, que nous laisserons à son mystère.



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Louise C. Fenne - Self Portrait in Studio 2014

Autoportrait à l’atelier
Louise C. Fenne, 2014

Retranchés derrière la cloison, le perroquet a échappé à sa cage et le mannequin à l’artiste, pour mener une vie indépendante. Dit autrement  :  la Couleur et la Forme se planquent, tandis que  l‘Inspiration attend.


Références :
[8] Beeton commença par une série de quatre : Composing et Decomposing, complétée par  Posing et Reposing. Vu le succès, il fit une  seconde série de trois:  Posing , Reposing  (Fitzwilliam Museum) et  Composing.

La barrière flamande

17 août 2020
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Cet article fait le point sur un type très particulier de barrière, assez fréquent dans la peinture flamande, avec une barre oblique qui dépasse, du côté des charnières, la traverse du haut : on la rencontre encore aujourd’hui en Grande Bretagne et dans certaines régions françaises (notamment le Cotentin) :

1912 le journal de la femme de l'Union sociale et politique (UPMS) en Grande-Bretagne1912,  Journal de la femme de l’Union sociale et politique (UPMS), Grande-Bretagne

nez-de-jobourg

Nez de Jobourg

Est-elle juste un élément distinctif des campagnes flamandes de l’époque, ou a-t-elle revêtu, quelquefois, une signification symbolique ?


Une simple barrière

 

1500 ca Book of Hours Belgium, Bruges, Morgan Library MS M.390 fol. 57vLivre d’Heures, Bruges,  vers 1500, Morgan Library MS M.390 fol. 57v
1515 ca Book of Hours Bruges, Morgan Library MS M.399 fol.157v Livre d’Heures, Bruges,  vers 1515, Morgan Library MS M.399 fol.157v

L’Annonce aux bergers

Dans ces deux Livres d’Heures à l’usage de Bruges, la barrière ne vise qu’à donner une couleur locale à l’enclos à bétail.


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Fete des arbaletriers Maitre de francfort Fin XVeme Musee des Beaux arts Anvers detail portillon

Fête des arbalétriers, Maître de Francfort, Fin XVème, Musée des Beaux Arts, Anvers
Cliquer pour voir l’ensemble

Dans ce contexte profane, elle empêche d’entrer ceux qui ne sont pas arbalétriers.


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La fenaison Brueghel ancien 1565 Galerie nationale, Prague

La fenaison, Brueghel l’Ancien, 1565, Galerie nationale, Prague

La Fenaison représentait les mois de Juin et Juillet dans une série de six tableaux illustrant les travaux de la campagne tout au long de l’année,  commandée par le  marchand anversois  Niclaes Jongelink.


La fenaison Brueghel ancien 1565 Galerie nationale, Prague detail 2

En bas à gauche, un paysan redresse sa faux sur une enclume  à l’ombre d’une haie, près d’une barrière abattue. Une autre faux est posée par terre devant lui.


Solitudo rustica 1555 gravure de Jan and Lucas Duetecum after Pieter Bruegel

Solitudo rustica, 1555, gravure de Jan and Lucas Duetecum d’après Pieter Bruegel

Il ne faut probablement pas attribuer un sens symbolique à la faux : un groupe analogue, de deux faucheurs cette fois, sert un rôle analogue de repoussoir pour accentuer l’effet d’immensité du paysage, dans cette autre composition de  Bruegel réalisée dix ans plus tôt.


La fenaison Brueghel ancien 1565 Galerie nationale, Prague detail 1

A l’autre bout du tableau, côté village, un homme est en train d’enjamber une seconde barrière, celle-ci intacte. On pourrait penser que les deux barrières servent à protéger  le pré des animaux, mais ce n’est pas le cas : une route où arrive un troupeau de moutons longe les maisons par devant : la seconde barrière sert donc à empêcher le bétail de s’échapper de la cour de la ferme.

Il est donc possible que le portail abattu, au premier plan, soit un signe d’abondance : dans ce pays de cocagne, le pré est si vaste et i’herbe y pousse si bien qu’il n’est pas besoin de l’enclore.


 La garenne polyvalente

 
1440 Book of Hours Catherine de Cleves Morgan Library MS M.917945 fol 02r detail
Joachim, parmi les lapins (détail). Cliquer pour voir l’ensemble.
Livre d’heures de Catherine de Clèves, 1440, Morgan Library MS M.917945 fol 02r 

 Joachim reçoit de l’Ange l’annonce qu’il va bientôt devenir, malgré son âge avancé et celui de sa femme, le père de Marie. Le portillon sépare le pré vert, où broutent des lapins blancs et bruns, de la garenne pelée : il ne sert pas à empêcher les lapins de passer du lieu où ils habitent au  lieu où ils se nourrissent, mais à protéger leurs terriers du bétail qui viendrait dans le pré. Joachim apparaît ainsi  dans un zone d’abondance, régulée et protégée : il est le garant de la fécondité des lapins, tout comme l’Ange est le garant de la sienne.

Au dessus de l’image, l’homme sauvage à la fourrure blanchie réitère le message :  il est possible à un vieil homme d’attraper à nouveau la lapine, si telle est la volonté de Dieu.

 

1440 Book of Hours Catherine de Cleves Morgan Library MS M.917945 fol 02r

Livre d’heures de Catherine de Clèves, 1440, Morgan Library MS M.917945 fol 01v-02r 

Cette enluminure plutôt directe se trouve en regard du frontispice où Catherine de Clèves présente une supplique à Jésus (voir 2-4 Représenter un dialogue). Elle témoigne du haut degré de liberté dont jouissait l’illustrateur de cette oeuvre princière, commandée à l’occasion du mariage de Catherine en 1430, mais dont la réalisation prit une dizaine d’années : le choix d’une image évoquant la naissance de Marie, en face de l’image de Catherine, entourée des armoiries de ses ancêtres, priant  devant elle et l’Enfant Jésus, vaut souhait de fécondité.


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La garenne pelée et clôturée va évoluer, vers la fin du siècle, en un motif de bordure que les enlumineurs ganto-brugeois vont mettre à toutes les sauces.

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Book of Hours 1500 ca Ms. W.427 Walters Art Museum Baltimore fol. 46r st MarcSaint Marc, fol. 46r Book of Hours 1500 ca Ms. W.427 Walters Art Museum Baltimore fol. 95v MagesAdoration des Rois, fol. 95v

Livre d’Heures, vers 1500, Ms. W.427, Walters Art Museum, Baltimore

Dans ce Livre d’Heures, une pelouse close abritant des lapins blancs borde deux pages très différentes :

  • le frontispice de l’Evangile de Marc, sans autre lien que la vague confrontation entre des antagonistes pacifiés, lion et lapins ;
  • l’Adoration des Mages, sans doute parce que la pelouse prolonge le paysage vu par la fenêtre de la salle.

L’arbre mort se situe aussi bien à l’intérieur de la clôture qu’à l’extérieur, montrant bien qu’il s’agit simplement d’un motif de remplissage sans valeur symbolique.


Book of Hours, Bruges, 1500-26, Massacre des innocents Morgan Library M.363 fol. 89vfol. 89v

Book of Hours, Bruges, 1500-26, M.363 fol. 90r

fol. 90r

 Psaume 110 (Dixit Dominus)
Livre d’Heures,  Bruges, 1500-26, Morgan Library M.363

Ici la même bordure est dupliquée dans un bifolium : le motif du jardin clos se complique d’un autre motif marial, celui de la « fontaine signée », pour reprendre l’expression du Cantique des Cantiques (14,12). Très naturellement la pelouse appelle les lapins, le point d’eau les oiseaux.

Pourtant le texte n’a rien de marial, puisqu’il s’agit du Psaume 110, un texte guerrier sans aucun rapport avec la virginité :

  • le Massacre des Innocents illustre directement « tout est rempli de cadavres; il brise les têtes de la terre entière » ;
  • la fontaine évoque la suite et la fin du psaume : « Il boit au torrent sur le chemin, c’est pourquoi il relève la tête.« 

Les deux pages donnent l’impression de montrer deux points de vues pris à quatre vingt dix degrés, l’un en direction de la ville, l’autre en direction de la forêt : mais la base de la fontaine et la forme de la porte diffèrent, l’artiste ayant préféré le principe de variété à l’exactitude topographique. La corrélation entre les deux bordures est autre : dans l’une les lapins se réfugient à l’intérieur du jardin, dans l’autre ils s’égayent paisiblement à l’extérieur, illustrant l’efficacité pacificatrice du psaume : « Règne en maître au milieu de tes ennemis ! »


1480-1500 Utrecht Museum Catharijneconvent ABM h11 fol 132rLivre d’Heures
1480-1500, Utrecht Museum Catharijneconvent ABM h11 fol 132r

Le motif se retrouve ici légèrement transformé : la fontaine a disparu, remplacée par un autre point d’eau, le moulin, qui justifie la présence des oiseaux. La moitié basse du texte est le passage d’Isaïe prophétisant la virginité de Marie [0] :

« Voici que la Vierge a conçu, et elle enfante un fils... » Isaïe 7,14

Tandis que, dans les Heures de Catherine de Clèves, les lapins de tout poil et la garenne pelée évoquaient la fécondité, c’est maintenant la virginité qu’ils illustrent, par la seule vertu du cadrage : la clôture se transforme en une ceinture fermée, posée devant un mont glabre.


Book of Hours, Bruges, ca. 1500 Morgan Library MS M.390 fol. 176v

Livre d’Heures,  Bruges, 1500-26, Morgan Library, MS M.390 fol. 176v

Le même enclos à lapins, avec oiseaux et moulin, illustre ici l’Office de St Jean l’Evangéliste : il s’agit bien de la même idée, la virginité de Saint Jean, évoquée directement dans le texte :

Celui qui est vierge est choisi par Dieu et distingué parmi les autres. Virgo est electus a domino atque inter ceteros magis dilectus 

Sur la symbolique des lapins, voir Le lapin et les volatiles 1 .


 

Le seuil d’un espace sacré

Le pourtraict de la ville de Iherusalem, qua rapporte d'illecq feu Jehan Godin chevalier du dict Iherusalem, icy dépainct en l'an 1465 coll privee anonyme

 

Le pourtraict de la ville de Iherusalem, qua rapporte d’illecq feu Jehan Godin chevalier du dict Iherusalem, icy dépainct en l’an 1465,
Anonyme, après 1465, collection privée 
 

Dans ce tableau votif, la barrière ouverte a permis à Jean Godin et à sa famille de franchir le seuil de l’espace sacré, où a lieu la Résurrection du Christ.

Derrière Jean Godin, accompagné de son saint patron (Jean-Baptiste?) viennent ses neuf fils, puis son épouse Jeanne de Salembiens avec Jean l’évangéliste (?), suivie des huit  filles. Les membres décédés de la famille sont indiqués par une petite croix dans leurs mains. Diverses considérations laissent penser que le tableau est probablement bien postérieur à 1465 [1].


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Hugo van de goes triptyque portinari 1475 detail

Triptyque Portinari (détail). Cliquer pour voir l’ensemble.
Hugo van dee Goes, 1475, Offices, Florence

Ici encore le portillon sépare la ville, d’où viennent les deux sages-femmes, et l’enclos sacré où se déroules la Nativité, en présence de la famille Portinari.


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Van Orley 1515-19 THE VIRGIN AND CHILD ADORED BY SAINT MARTIN AND OTHER SAINTS INCLUDING SAINT PETER, AGNES, MARY MAGDELENE, AND ANTHONY (), AND BEYOND SAINT MARTIN ORDERING A TREE TOColl part
 
La Vierge et l’enfant adorés par St Martin et d’autres saints ( Pierre, Agnès, Marie-Madeleine et Antoine),
 Van Orley, 1515-19, Collection privée.
 

Van Orley  a réalisé  cette œuvre pour l’abbatiale de Marchiennes, dont le blason apparaît dans le vitrail à gauche de la Vierge. A l’extérieur de la loggia est représenté le miracle dit de l’Abrepinière :

Saint Martin « voulait couper un pin consacré au diable, malgré les paysans et les gentils, quand l’un d’eux dit: « Si tu as confiance en ton Dieu, nous couperons cet arbre, et toi tu le recevras, et si ton Dieu est avec toi, ainsi que tu le dis, tu échapperas au péril. » Martin consentit; l’arbre était coupé et tombait déjà sur le saint qu’on avait lié de ce côté, quand il fit le signe de la croix vers l’arbre qui se renversa. de l’autre côté et faillit écraser les paysans qui s’étaient mis à l’abri. A la vue de ce miracle, ils se convertirent à la foi. (Sulpice Sévère, Vie de saint Martin, V, 2 ).

 Saint Martin apparaît donc de part et d’autre du portillon :

  • en zone profane et même païenne,
  • parmi les Saints qui adorent Marie.
  • Van Orley 1515-19 THE VIRGIN AND CHILD ADORED BY SAINT MARTIN Coll part detail

Deux personnages ont le visage caché : l’ange admis à contempler la scène, et un moine anonyme de l’abbaye,  que sa piété a autorisé à passser la barrière et  à s’avancer dans la zone sacrée, jusqu’à la porte close.


Une métaphore virginale

1485-90 Simon Marmion The_Visitation._Mary_and_Elizabeth_in_the_garden_of_a_country_house_-_Huth_Hours_,_f.66v_-_BL_Add_MS_38126

La visitation,
Simon Marmion, 1485-90,  Huth Hours, BL Add MS 38126 fol 66v

 

En présence de Marie, la barrière joue toujours son rôle de délimitation de l’espace sacré  :  ici elle protège la maison bien tenue de sa vieille cousine Elisabeth ( son mari, Zacharie, est assis au fond devant le portail).

Mais elle acquiert probablement ici une signification supplémentaire,  celle des matérialiser la virginité de Marie.


La fin du chemin

1492-1498 Aert van den Bossche Virgin_and_Child_in_a_Landscape Minneapolis Institute of Arts
Vierge à l’Enfant dans un paysage,
 Aert van den Bossche (anciennement attribué au Maître au Feuillage brodé) 1492-98, Minneapolis Institute of Arts

Ce tableau montre deux exemplaires de la barrière :

  • celle du fond sépare le village et le domaine de Marie,  où se trouve sa maison fortifiée et où les animaux sauvages vivent en paix ;
  • celle de gauche sépare ce domaine et le « jardin clos » proprement dit,  symbole habituel de la virginité.

Cependant le paon juché sur la barrière autorise ici une lecture plus riche. A cause de sa chair réputée imputrescible, cet oiseau représente en général la Résurrection. Le paon  sur la barrière qui ferme le chemin côté Jésus pourrait donc se traduire littéralement : par la Résurrection, Jésus  triomphe de la Mort. La seconde barrière, côté Marie, représenterait  la fin ordinaire de son propre chemin de vie.


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Bosch Le colporteur 1490-1510 Museum Boijmans Van Beuningen Rotterdam detail porte

Le colporteur (détail). Cliquer pour voir l’ensemble.
Bosch, 1490-1510, Museum Boijmans Van Beuningen, Rotterdam

Cette interprétation pourrait sembler arbitraire si on ne retrouvait la barrière fermée dans ce tableau de la même époque, où l’analyse d’ensemble montre qu’elle signifie clairement la fin du voyage pour le colporteur  (voir La cage hollandaise).


Un Au-delà spirituel

le Christ et l'ame dans le jardin de Gethsemani 1521. Utrecht University page 10page 10 le Christ et l'ame dans le jardin de Gethsemani 1521. Utrecht University page1frontispice (répété page 21) le Christ et l'ame dans le jardin de Gethsemani 1521. Utrecht Univeristy page 33page 33

 Le Christ et l’âme dans le jardin de Gethsemani, 1521, édité par Jan.Berntsz, Utrecht University [2]

Ces  trois gravures illustrent une  brochure pieuse imprimée de nombreuses fois entre 1515 et 1546, « Le jardin de fruit spirituel où l’âme pieuse est rassasiée du fruit de la passion du Christ (Die geestelicke boomgaert der vruchten Daer meurent dévouer SIEL haer versadicht vanden vruchten der passien Christi »). L’opuscule se présente comme une discussion entre l’âme du dévot et son Epoux Jésus, au travers de trois jardins spirituels :

  • le jardin fleuri du Mont des Oliviers,
  • la pommeraie du verger  de Pilate ;
  • le bosquet de baumes d’Engedi sur la colline du Calvaire.

La barrière fermée matérialise ici un au-delà spirituel auquel seule l’âme du dévot peut accéder, par sa prière.


La clôture du couvent : les Besloten Hofje 

 

Besloten_hofje,_Anonieme_Meester,_Brabants,1500 ca Koninklijk_Museum_voor_Schone_Kunsten_Antwerpen

Besloten hofje, Brabant, vers 1500, Koninklijk_Museum_voor_Schone_Kunsten, Anvers

On nomme Besloten hofje (jardin clos) un type de reliquaire typiquement  flamand, de grande taille, possédant en général au bas une barrière munie d’une porte. Celui-ci a probablement été installé dans un retable prévu pour autre chose, car les volets latéraux sont peints dans le style allemand, sans rapport avec la partie centrale.

 Elle à pour sujet principal la Vierge au croissant de lune (voir 3-3-1 : les origines).


Besloten_hofje,_Anonieme_Meester,_Brabants,1500 ca Koninklijk_Museum_voor_Schone_Kunsten_Antwerpen detail

Le registre inférieur juxtapose trois scènes :

  • à gauche, Adam et Eve chassés du Paradis par l’Ange ;
  • au centre Sainte Agnès, sans doute la patronne de la commanditaire, avec son agneau qui grimpe contre sa robe ;
  • à  droite Saint Jean chassant le démon de la coupe empoisonnée.


Les deux portes et les deux agneaux (SCOOP !)

Si la porte fortifiée de gauche représente celle par laquelle Adam et Eve vont être chassés du Paradis vers la terre, celle derrière saint Jean dot être la porte  du Ciel. Et le second agneau qui s’en rapproche figure la dévote, quittant la protection de sa patronne  pour rejoindre le lieu qu’elle espère.

Si la dévote se fait représenter comme étant déjà à l’intérieur du jardin clos, c’est que celui-ci n’est pas le Jardin d’Eden, mais un autre paradis. Bien qu’ici aucune source documentaire ne l’atteste, ce type de reliquaire semble avoir été destiné à des religieuses, la barrière du jardin représentant la clôture du couvent.

Dans tous les Besloten hofje munis d’une porte, elle est disposée dans le même sens : charnières à droite et s’ouvrant vers  l’avant, avec en général un verrou ou un loquet sur la gauche : comme pour souligner que c’est la spectatrice elle-même qui a choisi de fermer la barrière, et qu’elle est libre de l’ouvrir à tout moment.


L’inscription du bas corrobore cette lecture, puisqu’elle s’adresse clairement à quelqu’un qui est dans le tableau  :

Le temps est court, la mort est rapide,
tu fais bien de te détourner du péché,
oh quelle joie d’être ici,
là où mille ans sont (comme) un jour.
Die tyt is cort, die doot is snel,
Wacht U van Sonde(n) so doet ghi wel.
Och wat vroegde(n) daer wese(n) mach,
Daer duse(n)t jaer is ene(n) dach.4

Un statut intermédiaire

Besloten_hofje,_Anonieme_Meester,_Brabants,1500 ca Koninklijk_Museum_voor_Schone_Kunsten_Antwerpen detail porte

L’humble porte en bois,  objet d’aujourd’hui, manufacturé et manipulable, s’oppose ici aux deux grandes portes mystiques qui conduisent l’une vers l’exil, l’autre vers le salut. L’insistance sur cet élément de décor, au centre et au premier plan, à portée de main de la dévote agenouillée, en fait un élément mixte, qui appartient à la fois au monde idéal du jardin et au monde réel.

D’autres exemples vont nous permettre  de cerner plus précisément sa, ou ses signification (s), dans le contexte très particulier des  Besloten hofje.


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La série la plus importante de  Besloten hofje (sept exemplaires)  a été réalisée entre 1510 et 1530 pour  l’hôpital Notre-Dame (Onze-Lieve-Vrouwegasthuis) de Malines [3].  Les recherches récentes d’A.Pearson [4] tendent à montrer qu’il ne s’agit pas de  travaux effectuées par les religieuses  – fort occupées à leurs tâches d’infirmière – mais plutôt de commandes coûteuses effectuées pour les religieuses par des artisans et peintres locaux.

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1513–24 Besloten Hofje Elizabeth of Hungary, Ursula Catherine Museum_Hof_van_Busleyden_Mechelen(c) Kirk-IRPA

1513–24, Besloten Hofje, avec Sainte Elisabeth de Hongrie, Sainye Ursule, Sainte Cathérine,
Museum Hof van Busleyde, Mechelen (c) Kirk-IRPA

Grâce aux saints patrons des panneaux latéraux (Saint Jacques le Majeur et Sainte Marguerite) et aux archives de l’hôpital, A.Pearson a pu identifier les donateurs dont la fille aveugle (à l’extrême droite) avait été acceptée parmi les soeurs.


1529 ca Mechelen, Besloten Hofje with Saint Anne, Virgin Mary, and Christ Child Augustine, and Saint Elisabeth, Museum_Hof_van_Busleyden_Mechelen(c) Kirk-IRPA

Vers 1529, Besloten Hofje avec Saint Augustin, Saint Anne sous un médaillon avec la Chasse à la licorne et la Vierge au Croissant, Sainte Elisabeth,
Museum Hof van Busleyde, Mechelen (c) Kirk-IRPA

Qu’ils soient ou non accompagnés de volets et quelque soit le sujet central, quatre de ces reliquaires possèdent en bas au centre une porte fermée. Ici  la partie fixe de la barrière est quasi invisible sous les fleurs.


1510–30 Besloten_Hofje_met_Calvarie__Museum_Hof_van_Busleyden_Mechelen (c) Kirk-IRPA

Besloten  Hofje avec la Crucifixion,
vers 1525–28, Museum Hof van Busleyde, Mechelen (c) Kirk-IRPA

Dans cet exemple dédié cette fois à la Crucifixion, la barrière fixe a même été totalement éliminée  :

  • la porte suffit  à désigner le lieu comme un jardin,
  • l’idée de la clôture est sans doute ici est moins importante que celle de la virginité de la dévote,  déposée en offrande au pied de la croix, et probable allusion au verset d’Ezechiel  :
Cette porte demeurera fermée: elle ne sera pas ouverte  Porta haec clausa erit: non apietur et vir non trasibit per eam 
Ezechiel, 44, 2

1510–30 Besloten_Hofje_met_Calvarie_en_jacht_op_de_eenhoorn_-_Museum_Hof_van_Busleyden_Mechelen (c) Kirk-IRPA

Besloten  Hofje avec la Crucifixion et une chasse à la licorne,
vers 1525–28, Museum Hof van Busleyde, Mechelen (c) Kirk-IRPA

Autour de  Jésus en Croix, l’ensemble est peuplé de motifs mariaux et virginaux :

  • la porte d’Ezechiel, Gédéon et Aaron ;
  • la chasse à la licorne ;
  • Moïse et le buisson ardent,

L’inscription qui se poursuit sur les deux parties de la barrière fixe rappelle le rôle de la licorne :

La licorne, échappée de son puissant domaine du paradis céleste,
apprivoisée à nouveau dans le sein d’une vierge, nous purifiant ainsi du  poison du péché

Reynosceron forti imperio egressus de celi palatio,Virginis mansuescit in gremio nos veneni purgans a vicio

1510–30 Besloten_Hofje_met_Calvarie_en_jacht_op_de_eenhoorn_-_Museum_Hof_van_Busleyden_Mechelen (c) Kirk-IRPA detail

Celle inscrite sur la porte indique explicitement  que le jardin clos représente Marie  :

Tu es le jardin de tous les délices,
jamais touché par les souillures,
débordant de vertus diverses,
engendrant une fleur pleine de grâce.
Tu es ortus cunctis deliciis
affluens multisque divitiis
umquam tactus spurriciis (sic)
gignens florem refertum gratiie.

De ce fait, la « fleur pleine de grâce » ne peut être ici Marie, mais bien la religieuse qui, protégée par la clôture, peut croître à l’exemple de la Vierge.


Crucifixion Hofje ca. 1525–28,Museum_Hof_van_Busleyden_Mechelen (c) Kirk-IRPA

 Besloten  Hofje avec la Crucifixion , vers 1525–28, Museum Hof van Busleyde, Mechelen (c) Kirk-IRPA

Dans ce dernier cas,  dont le sujet unique est la Crucifixion sans aucune symbolique mariale, la barrière fixe est remplacée par un long texte en deux parties :

Le Christ est mort pour nous avec une grande douleur sur le mont Calvaire, de la plus amère mort :
et ses blessures  sont notre grâce et la rédemption de nos méfaits et de nos péchés
XPS is voer ons ghestorvē in grot’ not inden berch van Calvariē die alder bitterst doot.
In Ihs wondē ons ghenade ende verlatenisse van onsen misdaten eñ sonden

Mort d’une dévote (SCOOP !)

Le fait que le mot inscrit  juste à côté du verrou soit le mot mort suggère qu’il ne s’agit  pas uniquement de la mort du Christ, juste au dessus : mais aussi de  celle de la dévote. Le  jardin clos représenterait ainsi non seulement le couvent et la virginité,  mais aussi le paradis particulier de la religieuse, peuplé des saints qui lui servent d’exemple et de soutien, et dont le verrou, fermé au moment de ses voeux,  s’ouvrira à nouveau au moment de sa propre mort.

Dans cette optique, les Besloten Hofje seraient une sorte de variante, en version modeste et intime, des retables dévotionnels où le donateur se fait mettre en scène tel qu’il sera après sa moret, présenter à la Madone  par ses saints patrons.

Les Besloten Hofje de Malines symboliseraient donc à la fois la vie close d’une religieuse et sa récompense finale.


La pucelle de Hollande

1573 Pucelle de Hollande
Jeton de cuivre, 1573, Dordrecht

Ce jeton commémore la défaite espagnole d’octobre 1573, après laquelle le duc d’Albe dut retourner en Espagne.

Le bouc et le berger collaborent pour mettre en fuite le renard, tandis que les nuages s’ouvrent pour ramener le soleil :

Fuyez, suceurs de chèvres

DIFFVGITE CAPRIMVLGI



Sur l’autre face apparaît une image patriotique qui sera reprise fréquemment par la suite : celle de la Pucelle de Hollande, qui démarque ironiquement, en contexte protestant, certains trait mariaux :

« Tout comme le jardin inviolable, ou hortus conclusus, symbolisait la préservation de la virginité de Marie, le Hollandse Tuin (jardin hollandais) en vint à symboliser la défense des territoires et des richesses néerlandais contre les étrangers envieux. » [5], p 72

La barrière barrée, entre l’écu de Hollande et les cuisses bien défendues, parachève cette ceinture de chasteté.

Le chapeau est un ancien symbole de liberté datant de l’époque romaine, indiquant la libération des esclaves.


L’emblème de l’humilité

 

Visscher, Sinnepoppen Petit mais satisfait 1614
Petit, mais satisfait
Visscher, Sinnepoppen, 1614

Enfin, en 1614, la barrière fermée se popularise comme emblème à l’usage de tous,  expliqué par les vers suivants :

Tenez-vous propre, faites-vous petit. Craignez le jour auquel nul n’échappe.

Houdt u reyn Acht u kleyn: Vreest voor den dagh, Die niemandt verby en magh.

Hors de tout contexte religieux, le portail champêtre combine ici sa valeur d’humilité  (quelques planches de bois), et sa symbolique terminale. 


Références :
[0] Pour Jean Wirth (Art et image au Moyen-Age, p 333), les oiseaux pourraient aussi être une allusion à la Virginité, via l’oiseau arista qui résiste au feu. Cependant ici rien n’évoque les flammes. Les oiseaux sont un pur motif de remplissage graphique, vaguement justifié par le point d’eau.
[1]  https://staticweb.hum.uu.nl/memo/jerusalem/pages/45.shtml
[2] http://objects.library.uu.nl/reader/index.php?obj=1874-341925&lan=en#page//15/19/62/151962503513738114888745414571863767447.jpg/mode/thumb
[3] Pour les  images et la description détaillée, voir https://beslotenhofjes.com/rapportering/beslotenhofje1/
[4] Andrea Pearson, « Sensory Piety as Social Intervention in a Mechelen Besloten Hofje », JOURNAL OF HISTORIANS OF NETHERLANDISH ART, vol 9.2  https://jhna.org/articles/sensory-piety-social-intervention-mechelen-besloten-hofje/
[5] Martha Moffitt Peacock « The Maid of Holland and Her Heroic Heiresses » dans Women and Gender in the Early Modern Low Countries, 1500–1750 p 72 https://www.academia.edu/66990566/Women_and_Gender_in_the_Early_Modern_Low_Countries_1500_1750
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