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La mort recto-verso

10 septembre 2020
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Le dispositif le plus efficace pour produire un effet de stupeur est de cacher la figure de la Mort au revers d’un innocent portrait.

La mort en face

La formule en pendant, où le vif se trouve représenté en tête à tête permanent avec son propre squelette, n’a été utilisé que dans un cas exceptionnel.

Anonyme 1487 Double portrait macabre de Hieronymus Tschekkenburlin, Bale, Kunstmuseum A Anonyme 1487 Double portrait macabre de Hieronymus Tschekkenburlin, Bale, Kunstmuseum B
 
 Anonyme, Double portrait macabre de Hieronymus Tschekkenbürlin en jeune homme, 1487, Kunstmuseum, Bâle

« Le portrait de gauche pourrait être la moitié d’un portrait de fiançailles. Le jeune homme regarde son vis-à-vis et, de la main droite, lui présente une fleur. Le second tableau de représente pas la jeune fille attendue, mais le squelette…. » Jean Wirth, la Jeune fille et la Mort p 41

L’inscription autour du cadre explique cette extraordinaire composition :

portrait de Ieronymus Tscheckenbürlin. Licencié impérial en droit. Ordonné chartreux à 26 ans en 1487. Mourut dernier prieur des Chartreux en 1536

BILDNUS IERONIMUS TSCHECKENBURLIN KEISLISCHER RECHTEN LICENCIAT CARTHEUSER ORDENS SEINES ALTERS 26 IOR ANNO 1487
STARB LETSTER . PRIOR DER . CARTHVS . ANNO . 1536

 Ce portrait en habit profane fait allusion aux circonstances de l’entrée au couvent de ce riche fils de famille, un événement qui, à l’époque, ne passa pas inaperçu :

« Après une vie d’étudiant tumultueuse à Paris et à Orléans, en mai 1487, glorieusement vêtu et festivement décoré, conduit par de nombreux amis et accompagné par une foule énorme sur le pont du Rhin, il s’en alla chez les Chartreux pour renoncer à tout jamais, derrière leur porte, au monde et à ses joies «  [1]

Réalisé donc lors de l’entrée dans les ordres du jeune juriste, ce pseudo-diptyque nuptial, dans lequel le jeune homme, à gauche, occupe la place traditionnelle du mari, assimile le renoncement au monde à une sorte de fiançailles avec sa propre mort. Car le squelette ricanant, qui regarde l’époux en joignant les mains dans une parodie de désir, ne représente pas la Mort en général : mais bien le squelette-même de Hiéronimus, lequel se regarde sans frémir dans cette sorte de miroir du futur. Raison pour laquelle l’inscription du cadre a été complétée, côté squelette, avec la date de sa mort.


Anonyme nach 1487, Der Kartausermonch Hieronymus Tschekkenbürlin blickt dem Tod ins Gesicht. Diptychon

Anonyme, Double portrait macabre de Hieronymus Tschekkenbürlin en moine chartreux,
après 1487, Historischesmuseum, Bâle

Dans cette version postérieure, le squelette a été recopié à l’identique, mais Hieronymus est maintenant revêtu de son habit de chartreux.
L’inscription est intéressante par ce qu’elle ajoute et ce qu’elle ne dit plus :

Fut Chartreux à la Pentecôte 1487. Fut le dernier prieur avant la Réforme. Mort en 1536 dans la robe de l’ordre, dans la miséricorde divine à l’âge de 75 ans.

IERONIMUS TSCHECKENBÜRLIN J.V.J . WARD CARTHEÜSER AUFF PFINGSTEN 1487. WARD DER LESTZTE PRIOR VOR DER REFORMATION. STARB IN 1536 IOR IN DER KUTTEN IM ORDEN DEM GOTT GNADE SEINES ALTERS 75

En même temps qu’a disparu sa qualité de « licencié en droit », l’habit profane de Ieronymus a été remplacé par la « robe » dans laquelle il est mort. Ainsi le diptyque provocant et tourné vers le futur du fiancé de la Mort est transformé en une représentation institutionnelle qui glorifie son passé : celui du Dernier Prieur qui contemple pour l’Eternité les épreuves qu’il a surmontées, la mort de son Ordre et la sienne propre.


Anonyme nach 1487, Der Kartausermonch Hieronymus Tschekkenbürlin blickt dem Tod ins Gesicht. Diptychon revers
Au revers du squelette figure un crâne ricanant, avec un serpent s’échappant de sa commissure.



La mort au verso

Cette formule, visuellement moins agressive que la confrontation directe, naît simultanément , à la fin du XVème, en Italie et dans les Pays du Nord. Mais c’est surtout dans ces derniers qu’elle se développera et perdurera pendant une centaine d’années.

V.Stoichita a dégagé les différents enjeux de la formule, que je résume ici en trois points :

  • logiquement, le crâne constitue l’opposé absolu du portait ;
  • graphiquement, la niche (un creux sombre et fermé) est aussi l’opposé du portrait (un espace coloré et ouvert vers l’arrière).
  • fonctionnellement, dans son état fermé, la niche constitue un trompe-l’oeil qui s’inscrit dans la continuité du mur ; ouvert, le portrait devient une fenêtre sur un ailleurs.

« La négativité absolue de l’objet (évidente surtout lorsqu’on le considère comme projection inverse du portrait) se marie avec l’illusionnisme ostentatoire de la représentation. Le crâne est le négatif du portrait comme l’envers est le négatif de l’endroit. L’endroit est l’espace consacré à l’image, son revers la face consacrée à la vérité. Jamais la «nature» n’a été plus «morte» que dans ces incunables du genre, qui révèlent déjà la convergence de trois thèmes majeurs : le trompe-l’oeil, le métapictural, la vanitas ». [2]



En Italie

Andrea Previtali 1502 Museo Poldi Pezzoli Milan recto Andrei Previtali 1502 Museo Poldi Pezzoli Milan verso

Andrea Previtali (dit Cordeliaghi), 1502, Museo Poldi Pezzoli, Milan

 

Voici la beauté, voici la forme qui reste.
Cette loi est la même pour tous.

HIC DECOR HEC FORMA MANET
HEC LEX OMNIBUS UNA

Les deux faces étant peintes tête-bêche, on suppose qu’elles pivotaient autour d’un axe horizontal [3] . Ainsi l’image du jeune homme vigoureux, à la chevelure abondante et au regard intense, pouvait-elle basculer en son exacte antithèse : le crâne chauve aux orbites vides.



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Bellini, Giovanni. Portrait d'un jeune homme, vers 1475-80. Birmingham, Barber Institute of Fine Arts rectoPortrait d’un jeune homme, Giovanni Bellini, vers 1475-80,Barber Institute of Fine Arts, Birmingham (huile) Bellini, Giovanni. Portrait d'un jeune homme, vers 1475-80. Birmingham, Barber Institute of Fine Arts versoRevers présumé, Collection privée, Florence (tempera)

Ce panneau formait le couvercle d’un coffre à héritage, qui contenait le buste en marbre de Angelo Probi, ambassadeur du Roi de Naples à Venise, mort en 1474. On suppose que le portrait représente son fils éploré.

L’inscription dans le marbre, « NON ALITER », Pas autrement, a été interprétée comme l’affirmation de l’habileté de Bellini à inscrire dans le temps une ressemblance fidèle.

On pense avoir retrouvé le revers, séparé, recoupé et cassé, dans une collection florentine. A l’opposé du jeune homme protégé derrière sa plaque de marbre verticale, le crâne est posé sur une plaque horizontale formant tombeau. Si ce revers est bien le bon, l’inscription prend alors le même sens que chez Previtali d’avertissement à la jeunesse : Pas autrement (tu ne finiras).



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Boltraffio 1493-94 Chatsworth House recto Boltraffio 1493-94 Chatsworth House verso

Portrait d’un jeune homme
Boltraffio, 1493-94, Chatsworth House

Ce portrait idéalisé d’un jeune homme efféminé reste très mystérieux : les initiales CB de sa broche (parfois lues comme Casius Bononiensis, Casius Beltraffius ou Costanza Bentivoglio pour ceux qui soutiennent qu’il s’agit d’une femme) ne concordent pas avec l’inscription du revers, qui désigne le poète Girolamo Casio, un ami de Boltraffio, qui l’a représenté dans plusieurs tableaux.

Les mots que profère le crâne sans mâchoire doivent certainement être compris dans un sens ironique :

C’est moi l’emblème de Girolamo Casio

 INSIGNE SUM IYERONYMI CASII

 Ainsi, au revers qui devrait normalement porter les armoiries du jeune homme, un crâne anonyme vient le renier doublement, dans sa beauté et dans son identité.



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Mariotto di Bigio Albertinelli 1500 Museo Poldi Pezzoli Milan triptyque rectoTriptyque
Mariotto Albertinelli, 1500, Museo Poldi Pezzoli, Milan [4]

Dans ce petit triptyque (30 cm x 20cm fermé), la Vierge donne le sein à l’Enfant, entre les deux martyres Sainte Catherine d’Alexandrie à gauche, et Sainte Barbe à droite.


Mariotto di Bigio Albertinelli Annonciation 1500 Museo Poldi Pezzoli Milan triptyque volets Mariotto di Bigio Albertinelli 1500 Museo Poldi Pezzoli Milan triptyque verso

Les volets refermés montrent, comme souvent , une Annonciation en grisaille :

  • d’une part cette scène se prête à une division en deux moitiés ;
  • d’autre part sa date, le 25 mars, tombe le plus souvent pendant le Carême, période où les retables d’Eglise sont fermés en signe de deuil.

Le verso avec sa tête de mort est en revanche tout à fait original, et ne peut se comprendre que dans le contexte d’un objet de dévotion privée


En Europe du Nord

La mode du revers macabre y commence en même temps qu’en Italie : mais c’est surtout après la Réforme que cette forme de dévotion intime, de méditation individuelle et austère, rencontrera son plein succès.



Anonyme 1470 ca, Les Amants bridal couple cleveland museumCouple de mariés (Bridal couple) , Cleveland Museum
Anonyme, vers 1470
Durer DAS LIEBESPAAR, UM 1492-94 Kunsthalle HambourgCouple d’amoureux, Dürer, 1492-94, Kunsthall, Hambourg

Dans les deux couples, l’homme enlace de sa main droite la taille de la femme, tandis que celle-ci maintient sur son ventre les plis de sa longue robe. Mais si les amoureux de Dürer se donnent la main, ceux de Cleveland ne sont pas en contact peau à peau.

A noter leurs vêtements pareillement dissymétriques (les manches gauche sont de couleur marron) et les couleurs qui se répondent : en relevant sa robe dans un geste à la fois pudique et mutin, la belle montre le vert de la doublure et le blanc du jupon, harmonie des couleurs qui fait comprendre celle des sentiments.


Anonyme 1470 ca, Les Amants bridal couple cleveland museum detail tete Anonyme 1470 ca, Les Amants bridal couple cleveland museum detail mains

L’homme, qui a passé dans son serre-tête une fleur bleue qu’il vient de cueillir, en tend une autre à son amie, afin qu’elle en fasse de même.

Malgré l’opinion courante, on peut douter qu’il s’agisse d’un tableau de mariage, car les anneaux ne correspondent pas (main gauche pour l’homme, main droite pour la femme). Sans doute s’agit-il seulement d’illustre le temps des amours.



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Anonyme 1470 ca, Les Amants bridal couple cleveland museumCouple de mariés (Bridal couple) , Cleveland Museum
Anonyme, vers 1470
Anonyme 1470 ca, Les Amants trépassés, Strasbourg, Musée de l’œuvre Notre-DameLes Amants trépassés, Strasbourg, Musée de l’œuvre Notre-Dame

Car le revers du panneau (aujourd’hui séparé) montre derrière chacun l’image de son propre cadavre (ce qui fait que l’homme maintenant se trouve à gauche) : le retournement suppose ici implicitement une réalité tridimensionnelle, comme si la « caméra » avait tourné autour de deux statues, chacune en même temps faisant un demi-tour sur elle-même pour rester face au spectateur : nous appellerons « traveling circulaire » cet effet qui se retrouve dans la plupart des peintures bifaces

Dans le même mouvement, le fond verdoyant et fleuri a laissé place à un désert noir et rocailleux, le cheveux sont devenus rares et gris, les bijoux ont disparu, les vêtements colorés ont laissé place à un suaire, et les amants se sont séparés, chacun en proie aux mouches, aux vers et aux orvets.

Les gestes des morts inversent ceux des vifs : c’est maintenant la femme qui, en posant sa main droite sur l’épaule de l’homme, assure un pauvre contact physique ; au lieu de protéger son ventre, elle le dévoile, révélant l’ignoble crapaud qui s’y est abouché ; quand à l’homme, la main qui tenait la fleur frappe maintenant son torse vide, et celle qui tenait la taille rabat un pan du suaire sur son sexe inutile, en un dernier geste de pudeur.

Ainsi le recto et le verso du panneau ne sont pas les portraits présent et futur de mariés bien précis : ils portent le message plus général que la vie a deux faces, chair et os, qu’il n’est pas de joie qui demeure et que tout couple finit seul.


1310 ca Psalter of Robert de Lisle BL Arundel 83, f.127
Les trois Vifs et les trois Morts
Psautier de Robert de Lisle, vers 1310, BL Arundel 83, fol 127

Ce type de confrontation, appliqué au couple, est un cas particulier de l’iconographie plus courante des Trois Vifs et des Trois Morts.



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Meister des Aachener Marientafeln, vers 1485 College st Alysius, Godesberg recto Meister des Aachener Marientafeln, vers 1485 College st Alysius, Godesberg verso

Meister des Aachener Marientafeln, vers 1485
Panneau double face, Collège st Alysius, Godesberg 

Au verso, dans une composition qui rappelle beaucoup celle des Arnofini de Van Eyck [6], un couple se donne la main droite. La femme, qui détourne pudiquement son regard, tient de la main gauche une petite chienne, symbole de fidélité . L’homme, qui la regarde, semble prêter serment de la main gauche.


Dans le miroir : le futur proche (SCOOP !)

En fait, il lui désigne le miroir circulaire, dans lequel, bizarrement, son propre visage est vu de face. Il ne s’agit bien sûr pas d’une erreur de dessin : mais de nous faire comprendre que le miroir montre le futur immédiat, dans lequel l’homme et la femme se regarderont face à face.


Au revers : le futur lointain

Le revers du tableau nous révèle, quant à lui, le futur lointain. Pour souligner le fait qu’il s’agit bien du même couple, l’effet « traveling circulaire » inverse les positions : le squelette féminin, à gauche, -(identifié par le bout de suaire qui lui sert de robe), brandit deux attributs de la Mort : l’arbalète qui décoche les traits et la pelle du fossoyeur. Le squelette masculin, à droite, a fauché trois têtes, dont une couronnée.

A la différence du panneau de Strasbourg, celui-ci ne s’intéresse pas aux détails réalistes de la décomposition (la dentition, par exemple, est intacte) : devenus auxiliaires de la Mort, les deux amants ont rejoint la représentation conventionnelle de la Danse macabre, dans laquelle les squelettes cherchent à entraîner les vivants.


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Couple de fiances Eglise de Lauenburg am Elb vers 1500 Couple de fiances Eglise de Lauenburg am Elb vers 1500 revers

Couple de fiancés, Eglise de Lauenburg am Elb, vers 1500

Il subsiste un dernier exemple d’un portrait en pieds Vie et Mort ([7], p 63-64) .


Les fiancés

Voici le texte des banderoles de l’avers :

Ma prière pour l’éternité
C’est plaisir de mondaine gaité
Plaisir du monde voulons suivre
Sur terre long désirons vivre

Ainsi la fiancée exprime sa frivolité (« Ma prière »), sur laquelle son compagnon s’aligne et surenchérit. Les plaisirs du monde sont illustrés par ce que chacun tient : une chaîne en or avec une médaille et un faucon . La dague en bonne place suggère le plaisir sexuel.

Le distique du bas constate la punition inévitable, toujours à la première personne du pluriel (mais on peut penser que cette fois ce sont les deux qui parlent) :

Nous avons trop joui du monde et nous avons perdu Dieu. Quand vient la séparation, lui aussi s’acquitte de nous deux .


Les cadavres

Contrairement aux deux cas précédents, les sexes ne sont pas inversés pour le couple du revers : la femme se situe encore à gauche, comme le montre le motif floral qui termine sa banderole, et le linceul qui lui couvre l’entrejambe (à noter, chez l’homme, le serpent qui remplace la dague) . Et son cadavre est noir, puisque c’est elle et son désir de « mondaine gaité » qui prolongent la faute d’Eve, comme elle le reconnait elle-même :

Plaisir du monde avons élu
Vie éternelle avons perdue »

Tandis que son compagnon se lamente :

« O douleur o remords
Nous entrons dans l’éternelle mort.

Le distique terminal laisse la parole à Dieu lui-même, qui justifie la punition par la culpabilité de l’homme :

« Dieu notre Seigneur a dit : de même que cette voie tu as choisie, homme, de même tu meurs durant ta vie. »

L’expression « tu meurs durant ta vie » est intéressante, car elle explique pourquoi l’artiste n’a pas inversé les sexes au revers : plutôt que d’un travelling circulaire (qui correspond au passage du temps), on pourrait parler ici d’un effet « Rayons X » dans lequel le revers nous montre de manière instantanée, derrière les vêtements et la peau, la réalité des cadavres déjà présents dans cette vie de plaisirs.


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Mis à part ces trois représentations exceptionnelles d’un double portrait en pied, on retrouve abondamment, en Europe du Nord, la formule du revers macabre au revers d’un portrait simple.


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Jean Beugier Maître des Portraits princiers, Lactation de Saint Bernard,1490-1510, Cassel, musée de Flandre, dépôt de l'abbaye Sainte-Marie du Mont-des-Cats de Godewaersvelde Jean Beugier Maître des Portraits princiers, Memento mori,1490-1510, Cassel, musée de Flandre, dépôt de l'abbaye Sainte-Marie du Mont-des-Cats de Godewaersvelde

Lactation de Saint Bernard, attribué à Jean Beugier (Maître des Portraits princiers),
1490-1510, Cassel, musée de Flandre, dépôt de l’abbaye Sainte-Marie du Mont-des-Cats de Godewaersvelde

Les deux cordelettes inséparables forment autour du crâne grimaçant un motif dissymétrique comme si la Mort détruisait aussi l’harmonie. Les cordelettes à noeuds évoquent probablement la discipline, cet instrument de  flagellation utilisé par les moines cisterciens.



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Diptych_with_Portrait_of_Margaret_Mettanye_with_her_paton_saint_and_Memento_Mori Lancelot Blondeel 1525 35 Groeningue Museum Bruges
Portrait de Margaret Mettanye avec sa Sainte patronne Marguerite d’Antioche
Ecole de Lancelot Blondeel, 1525-35, Groeningue Museum, Bruges

Le revers montre un crâne surplombé par une banderole portant le texte suivant :

J’étais ce que vous êtes, vous serez ce que je suis

dat.ghy.zyt.hebbe.ic.ghewest.en.dat.ic.ben.dat.zult.ghy.worden 

L’inscription sur le cadre (« bid god dooz my », « priez dieu pour moi ») confirme qu’il s’agit d’un portrait posthume.

Le défunt est sans doute le jeune garçon derrière sa mère : la croix rouge au dessus de ses mains signifierait qu’il était mort lorsque le tableau fut achevé. [8].



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Albrecht BOUTS (atelier de) -1534 Musee Royal des BA recto Albrecht BOUTS (atelier de) -1534 Musee Royal des BA verso disce mori

Atelier de Albrecht Bouts, 1534, Musée Royal des Beaux Arts, Bruxelles

Au revers du Christ couronné d’épines, un crâne posé sur un parchemin surplombe l’exhortation à la bonne mort : « Disce mori », Apprends à mourir.


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Meister IW 1530 Homme de douleurs avec donateur inconnu Diozesangalerie und -museum, LitomericeChrist ressuscité avec un donateur inconnu et la Mort Meister IW 1530 Trinite Diozesangalerie und -museum, LitomericeTrinité

Meister IW, 1530,  Diözesangalerie und -museum, Litomerice [8a]

 Dans cet exceptionnel tableau votif biface, la Mort est à l’avers, tenue en respect par le Christ qui a triomphé d’elle et protège, plus sûrement que l’armure, le chevalier de sa faux . Celui-ci est agenouillé en position de repentance, au pied de la colonne de la Flagellation.

Le revers montre une figuration très inhabituelle de la Trinité, où le Père ne soutient pas les branches de la Croix comme habituellement, mais directement les bras du Fils.

A l‘intercession horizontale et humaine de l’avers (le Christ entre le donateur et la Mort) répond l’intercession verticale et divine du revers (le Père entre le Christ et sa Croix).


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Hans Kemmer Le marchand Hans Sonnenschein 1534 St. Anne's Museum Quarter Lubeck Hans Kemmer Le marchand Hans Sonnenschein 1534 St. Anne's Museum Quarter Lubeck revers

Le marchand Hans Sonnenschein
Hans Kemmer, 1534, St. Annen Museum, Lübeck

Tandis que le marchand, décédé l’année précédente, tient dans sa main droite gantée le symbole de la douceur périssable – une orange, le squelette au revers tient dans sa main droite décharnée le symbole du temps qui passe.

Inscription sur la banderole :

Évite le mal, respecte la loi

Dat bose vermijt, unde acht de rijt





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Cornelis Ketel 1574 Portrait Of Adam Wachendorff Rijksmuseum Amsterdam Cornelis Ketel 1574 A Putto Blowing Bubbles Rijksmuseum Amsterdam

Portrait d’Adam Wachendorff, Cornelis Ketel, 1574, Rijksmuseum Amsterdam

Adam Wachendorff, secrétaire du bureau londonien de la ligue hanséatique, a été identifié par son blason dans le couvercle de la montre, posée sur la table à côté d’un encrier, d’une plume et d’une lettre.

L’inscription du cadre dément l’importance de ces objets de pouvoir :

Les paroles de Dieu sont éternelles ; toutes les autres choses sont périssables.

Sermo dei aeternus : caetera omnia caduca

Au verso, un putto devant un ciel orageux illustre l’inscription en grec :

L’homme est une bulle de savon

 Pompholix o anthropos

Malgré sa grande taille (50.3 cm × d 48.6 cm), A.Dülberg estime qu’il pourrait s’agir du couvercle d’une boîte ( [9], p 248).


Revers en vrac

Avant d’aller plus loin, voici une liste de crânes dépareillés qui ont pu, pour les plus anciens, constituer des revers de portraits, avant de s’autonomiser au cours des siècles pour devenir des Vanités à part entière.



Anonyme Memento Mori 1530 Mauristshuis
Memento Mori
Anonyme, 1530 , Mauristshuis


Espagne, vers 1550

Espagne, vers 1550

Pourquoi ton trop beau visage, pourquoi ta face bien peignée,
Puisque finalement
Tu seras comme de la viande pour les vers

Quid tibi pulchra nimis facies
Quid copta figura denique
Talis eris vermis apta caro.


Florence XVIeme

Florence, XVIème siècle

Mort, plus haut degré de la terreur
Considère la fin

Ultimum terribilium mors (attribué à Aristote)
Respice finem


German School, circa 1600, A skull, a lizard, coins and an hourglass in a painted stone niches

Crâne avec lézard, pièces de monnaies et sablier
Ecole allemande, vers 1600


Espagne XVIIeme

Espagne XVIIeme

Souviens-toi de moi et jamais tu ne pêcheras
Livre de la descendance d’Adam

Memento mihi et numquam pecabis
Liber generationis Adamis


Golzius 1616 MEMORAREM. VISSIM...TU ET IN A TERNV... NONPECT..A...
Golzius, 1616, Collectionn privée

(Dans toutes tes actions) souviens-toi de ta fin, et tu ne pécheras jamais

( In omnibus operibus tuis) memorare novissima tua, et in aeternum non peccabis .

Siracide 7:36,



Postérité du thème

double-sided painting depicting the eternal hellfire double-sided painting depicting the Grim Reaper

Enfer et Mort, XVIIIème siècle, collection privée 



Leonor Fini 1987 metamorphose d'une femme As

Leonor Fini 1987 metamorphose d'une femme BsMétamorphose d’une femme, 1987, Leonor Fini



Références :
[1] Neujahrsblatt / Gesellschaft zur Beförderung des Guten und Gemeinnützigen, Helbing & Lichtenhahn [in Komm.], 1873, p 30 : https://books.google.fr/books?id=IplaAAAAcAAJ&pg=PA30&dq=Zscheckenb%C3%BCrlin+letzt+prior+vor+der+reformation&hl=fr&sa=X&ved=0ahUKEwjY2oTYqufcAhVP3RoKHaDIBx8Q6AEIKDAA#v=onepage&q=Zscheckenb%C3%BCrlin%20letzt%20prior%20vor%20der%20reformation&f=false
[2] L’Instauration du tableau : Métapeinture à l’aube des temps modernes. Victor I. Stoichita, 1999, p 41
[3] Par comparaison avec d’autres tableaux de Prévitali, les abréviations sous le crâne ont été déchiffrées ainsi: « Andreas Cordelle Agi Discipulus Iohannis Bellini Pinxit ».
Le surnom de Prévitali, « Cordeliaghi », provient de « Cordelle et agi » (fils et aiguilles), la phrase par laquelle les colporteurs attiraient les passants, en dialecte vénitien.
Image en haute résolution :
https://artsandculture.google.com/theme/wQJCXvJR03GhJw
[4] Image en haute résolution : https://artsandculture.google.com/asset/triptych/GgFEULPWOyywpQ
[6] Voir Buchner, Das deutsche Bildnis der Spätgotik, p 174 http://digi.ub.uni-heidelberg.de/diglit/buchner1953/0178/image
Buchner fait justement remarquer qu’une influence directe entre les deux est peu probable, compte tenu de l’éloignement géographique et temporel, ainsi que de la différence de qualité. Les similitudes de composition révèlent simplement que le portrait de couple en intérieur devait être un genre relativement courant, dont il ne nous reste que ces deux témoignages : celui-ci ayant été conservé sous une Madone peinte 40 ans plus tard par Barthel Bruyn.
[7] Le portrait de couple en Allemagne à la Renaissance; 2015, Marianne Bournet-Bacot
[8] Lancelot Blondeel Pierre Baulier, Bruxelles : G. Van Oest et Crè, 1910
[8a] https://cs.wikipedia.org/wiki/Votivn%C3%AD_obraz_ze_%C5%A0opky
[9] Angelica Dülberg, Privatporträts : Geschichte und Ikonologie einer Gattung im 15. und 16. Jahrhundert , 1990

La mort recto-verso : diptyques, triptyques

10 septembre 2020
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Un emplacement privilégié pour l’apparition théâtrale de la Mort : le revers d’un volet de diptyque ou de triptyque.

La formule de loin la plus courante est celle du diptyque accroché au mur, dans lequel la figure macabre se trouve au revers du panneau mobile et forme couvercle lorsque le diptyque est fermé.

Diptyques conjugaux

Commençons par les diptyques conjugaux dont un portraitiste célèbre, Barthel Bruyn l’Ancien, s’est fait une spécialité : l’abondance de crânes marque le moment où la formule perd son caractère expérimental et individuel, et devient un supplément courant plutôt qu’une preuve de particulière piété.

Barthel Bruyn l'Ancien 1516 portrait d'hommePortrait d’homme, 1516 Barthel Bruyn l'Ancien 1517 portrait de femmePortrait de femme, 1517

Barthel Bruyn l’Ancien, collection privée

Dans ce tout premier diptyque conjugal de Barthel Bruyn l’Ancien, les deux portraits sont sur fond sombre, l’homme tenant une orange et la femme un oeillet.

Revers du portrait féminin

Barthel Bruyn l'Ancien 1517 revers portrait feminin coll privee

Au revers du portrait féminin, une mouche est posée sur le crâne.


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Barthel Bruyn l Ancien 1524 Portrait-of-Gerhard-von-WesterburgPortrait de Gerhard von Westerburg, collection privée [1] Barthel Bruyn l Ancien 1524 portret-van-gertraude-von-leutz-e-barthel-bruyn-de-oude kroller-muller-museum rectoPortrait de Gertraude von Leutz, Kroller Muller museum, Otterlo

Barthel Bruyn l’Ancien, 1524

Ce diptyque du réformateur anabaptiste et de son épouse a été réalisé une année après leur mariage. Au revers du panneau féminin figure une nature morte très célèbre.


Barthel Bruyn l Ancien 1524 portret-van-gertraude-von-leutz-barthel-bruyn-de-oude kroller-muller-museum verso

Le panonceau porte une devise attribuée à Lucrèce :

Tout se disperse avec la mort, Mort, dernière ligne de tout

OMNIA CADUT MORS ULTIMA LINIA RERUM


ULTIMA LINIA RERUM (SCOOP !)

Le mot ULTIMA est illustré par la dernière dent, la dernière touffe de cheveu, le dernier filet de fumée qui s’échappe de la bougie…

Barthel Bruyn l Ancien 1524 portret-van-gertraude-von-leutz-barthel-bruyn-de-oude kroller-muller-museum verso detail pannonceau
… et la  dernière ligne de calligraphie, interrompue au milieu.


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Mis à part ce diptyque, les autres revers macabres de Bruyn seront très stéréotypés : une tête de mort sans mâchoire inférieure, est posée au-dessus d’un écriteau dont le texte, au choix du client, représente en quelque sorte ce qu’elle ne peut plus dire. Elle occupe complètement une niche en arc de cercle, dont la rotondité épouse la voûte crânienne. Ainsi la niche n’est plus seulement un trompe-l’oeil imitant le mur d’un ossuaire : elle devient une métaphore du crâne, et nous fait comprendre que celui-ci n’est également qu’un récipient de pierre anonyme. Toute ce qui fait l’individu est, comme le papier, périssable.

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Barthel Bruyn l'Ancien Portrait de Gerhard et Anna Pilgrum 1528, Wallraf-Richartz-Museum, Koln

Portrait de Gerhard et Anna Pilgrum
Barthel Bruyn l’Ancien, 1528, Wallraf-Richartz-Museum, Köln [2]

Chaque époux a en main un chapelet portant un pomander ou pomme de senteur (Bisamäpfel) , sphère ouvragée contenant des parfums.


Verso du volet féminin

Barthel Bruyn l'Ancien Portrait de Gerhard et Anna Pilgrum 1528, Wallraf-Richartz-Museum, Koln revers volet droit

L’écho de la pomme

L’écriteau porte un texte de Job, qui relie peut-être la « pomme de senteur » avec celle qui a causé les malheurs de l’humanité :

« L’homme né de la femme vit peu de jours, et il est rassasié de misères. Comme la fleur, il naît, et on le coupe; il fuit comme l’ombre, sans s’arrêter. »

(Job, 14: 1-2)

homo natus de muliere brevi vivens tempore repletus multis miseriis, quasi flos egreditur et conteritur et fugit velut umbra et numquam in eodem statu permanet


Porteuse de mort

Chez Bruyn, c’est toujours le volet de droite qui porte le crâne au revers. C’est aussi le volet mobile, et celui du portrait féminin (à cause de l’ordre héraldique, voir Pendants solo : mari – épouse). Ainsi se crée mécaniquement une association entre la femme et le crâne : c’est elle qui, littéralement, porte la Mort dans le couple.

Alors que dans un panneau individuel, le crâne est celui du portraituré (effet travelling), dans un diptyque de couple il tend à représenter la Mort en général, à la fois dans un Futur immédiat et dans le Passé le plus lointain.

La fermeture et l’ouverture du diptyque, faisant succéder l’os à la chair et la chair à l’os, permettent de s’accoutumer, à domicile, à la Mort et à la Résurrection.


L’ombre qui parle

C’est peut être la phrase « il fuit comme l’ombre, sans s’arrêter » qui explique l’éclairage très élaboré du diptyque : l’homme (diptyque ouvert) et le crâne (diptyque fermé) sont éclairés, dans le sens habituel de la lecture, par la même source en haut à gauche : et la femme par une lumière « gauchère », contradictoire. Ces deux sources de lumière opposées ont pour effet de faire se rapprocher les deux ombres, comme si les deux époux se rejoignaient dans la Mort que la faute d’Eve a causée.

Dans tous les autres diptyques conjugaux de Bruyn les lumières sont parallèles, et viennent presque toujours du haut à gauche. En voici un exemple (sans revers macabre) :

Barthel Bruyn the Elder - Portrait of a man from the Weinsberg family 1538-1539
Portrait d’un couple de la famille Weinsberg
Barthel Bruyn l’Ancien, 1538-1539, Collection Thyssen-Bornemisza



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Barthel Bruyn l'Ancien 1530 revers portrait feminin localisation inconnue

Revers d’un portrait féminin
Barthel Bruyn l’Ancien, 1530, localisation inconnue

Diptyque conjugal avec homme tenant un billet et femme un oeillet.

Revers :

Bientôt nous allons mourir et aussitôt sous terre pourrir

Mox morimur et quali /ante dilabimur in terra


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Barthel Bruyn l'Ancien 1531 revers portrait feminin Schloss Schwarzenraben

Revers d’un portrait féminin
Barthel Bruyn l’Ancien, 1531, Schloss Schwarzenraben

Diptyque conjugal avec homme tenant un gant et femme un pomander

Revers :

Sur le parchemin :

Il n’y a pas de protection contre la mort. Vis jusqu’à ce que tu meures. Voyr den doyt en ys geyn schylt, dar u lebt als yu sterwe wilt

Sur le bandeau du bas :

La vie de l’homme est comme une fleur verdoyante dans un jardin, se levant au lever du soleil et se couchant à son coucher.

Vita quid est hominis viridanus / Flosculus horti, sole oriente / Oriens sole cadente cadens


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Barthel Bruyn l Ancien 1534 ca Portrait Diptych Of A Bourgeois Couple coll part

Portrait d’un couple bourgeois
Barthel Bruyn l’Ancien, 1534, collection particulière

Ce diptyque fait exception car les trois panneaux sont éclairés du haut à droite. Peut-être Bruyn a-t-il tenu compte, lors de la commande, de l’emplacement d’accrochage ?

Ici encore, chaque époux a en main un chapelet portant un pomander, dont c’est sans doute la fonction de protection contre les maladies qu’il faut relever ici.


Verso du volet féminin

Barthel Bruyn l Ancien 1534 ca There is no defence against death

Car l’inscription du verso dément immédiatement ce pouvoir :

Il n’y a pas de protection contre la mort. Vis jusqu’à ce que tu meures.

Voyr den doyt en ys geyn schylt, dar u lebt als yu sterwe wilt


Barthel Bruyn l Ancien Ermitage

Verso d’un portrait perdu
Barthel Bruyn l’Ancien, Ermitage, Saint Petersbourg

Un verso pratiquement identique, mais dont le recto a été perdu, est conservé à l’Ermitage.


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Barthel Bruyn l'Ancien 1544 Johannes et Maria Pastoir revers portrait feminin Rheinisches Landesmuseum Bonn

Johannes et Maria Pastoir, revers du portrait féminin .
Barthel Bruyn l’Ancien, 1544, Rheinisches Landesmuseum Bonn

Diptyque conjugal avec homme tenant un gant et femme un oeillet.

La devise sur le parchemin est ce que dit le crâne au jeune enfant qu s’endort en le prenant pour coussin :

Moi aujourd’hui, Toi demain

Hodie mihi / Cras tibi


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Barthel Bruyn l Ancien 1535-55 coll Richard Harris recto Barthel Bruyn l Ancien 1535-55 coll Richard Harris verso

Barthel Bruyn l’Ancien, 1535-55, collection Richard Harris

Le texte du verso emprunte à deux sources distinctes :

Qu’as tu à coeur, homme mortel, homme orgueilleux,
Quand tous les jours je prends les jeunes, comme les vieux
[3]

Quid tibi mortalis cordi est homo , quidne superbis
Cum capiam juvenes, quotidie atque senes.

 

Souviens-toi que tu seras poussière et (mangée) par les vers
Toi gelée et pourrie quand tu seras en terre.

Alain de Lille, Liber Parabolarum [4]

Esto memor quod pulvis eris,& vermibus.
Tu gelida putris quando jacebis humo.


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Cercle de Barthel Bruyn l'Ancien 1540-50 revers portrait masculin Jagdschloss Grunewald Berlin

Revers d’un portrait masculin
Cercle de Barthel Bruyn l’Ancien, 1540-50, Jagdschloss Grunewald Berlin

Portrait simple d’un homme tête nue, un bonnet à la main

Revers : Une mouche est posée sur le crâne.

Inscription :

L’homme est de la terre et sera détruit

Sa forme aimable ne dure pas longtemps

DER MYNSCH is erd und wyrd verzert. /

Lieflich gestalt nyer lang en wert


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Barthel Bruyn l Ancien Portrait d'homme tenant un œillet et un gant debut XVIe recto Palais des BA Lille Barthel Bruyn l Ancien Portrait d'homme tenant un œillet et un gant verso Palais des BA Lille

Portrait d’homme tenant un œillet et un gant
Barthel Bruyn l’Ancien, première moitié XVIe, Palais des Beaux Arts, Lille.

Ce gentilhomme, dont la blason n’a pas été identifié, tient en main un oeillet rouge : dans les pays germaniques, l’époux recherchait cette fleur, gage de virginité, sous les vêtements de son épouse. Celle-ci devait donc figurer à sa place traditionnelle, dans le volet droit aujourd’hui perdu ce ce diptyque de mariage
Le revers du portrait masculin montre un crâne avec un fémur, dépourvu de toute inscription.


Revers d'un triptyque louvre
Revers d’un triptyque, Louvre

Peut-être s’agissait-il d’un triptyque comme celui-ci, dont l’avers a été perdu.


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Diptyques conjugaux : autres artistes

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Portrait d'homme, vers 1520. Trier, Städlisches Museum Simenostift Portrait d'homme, vers 1520. Trier, Städlisches Museum Simenostift verso

Portrait d’homme,
Attribué à Pieter Gerritsz, vers 1520, Städlisches Museum Simeonstift, Trèves

Il s’agit ici encore d’une moitié de diptyque (ou de triptyque ?) où le crâne se trouve du côté masculin, avec « effet travelling ». L’inscription du revers est une partie de la devise latine ci-dessous :

Vis, pense à la mort, l’heure fuit

Vive, memor lethi, fugit hora

La même devise tripartite apparaît dans un autre portrait de Bruyn, voir La mort dissimulée (1/2) : par derrière



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Anoniem, Portret van Adriaen van den Broucke, genaamd Musch, Heer van Wildert Anoniem, Portret van Catharina Vrancx, echtgenote van Adriaen van den Broucke, genaamd Musch Stedelijk Museum Het Prinsenhof Delft

Portrait de Adriaen van den Broucke, dit Musch, Seigneur de Wildert et de son épouse Catharina Vrancx
Anonyme, 1500-1550, Stedelijk Museum Het Prinsenhof
Delft

Revers du panneau masculin

Anoniem, Anoniem, Portret van Adriaen van den Broucke, revers Stedelijk Museum Het Prinsenhof Delft

Le revers du portrait masculin montre encore un crâne et un fémur, avec une inscription que je n’ai pas pu déchiffrer :

Anoniem, Anoniem, Portret van Adriaen van den Broucke, revers Stedelijk Museum Het Prinsenhof Delft detail



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Portrait de Jacob Schwytzer et son épouse Elsbeth lochmann 1564 Tobias Stimmer , Bale Kunstmuseum

Portrait de Jacob Schwytzer et son épouse Elsbeth Lochmann
Tobias Stimmer, 1564 , Bale Kunstmuseum

Le panneau féminin était fixe et accroché au mur. Au revers du portrait masculin était figurée la mort tenant un sablier (aujourd’hui disparue), avec dans une banderole au dessus un poème en gothique exprimant que tout est poussière et qu’il faut espérer le séjour des Cieux.


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Heinrich Peyer et Barbara Schobinger, Abel et Tobias Stimmer,1566, detruit
Portraits de Heinrich Peyer et Barbara Schobinger, Abel et Tobias Stimmer,1566,
détruit en 1944, anciennement au musée Allerheiligen, Schaffhouse ([5]; p 201)

Heinrich Peyer et Barbara Schobinger, Abel et Tobias Stimmer,1566, detruit revers
Au revers du portrait de Barbara, 36 ans, une femme nue tient de la main gauche une horloge et touche de la main droite un crâne posé de face sur un guéridon. Le vase de fleurs fait écho à la petite fleur que tient Barbara au recto.L’inscription est la suivante :

« Rien n’est moins sûr que l’heure ».

Au revers de celui de Heinrich, 43 ans, un enfant assis par terre s’appuie du bras droit sur un crâne posé de profil, en tenant une pomme de la main gauche. L’inscription complète l’autre :

« Rien n’est plus sûr que la Mort ».

Par rapport aux squelettes culpabilisants du siècle précédent, les allégories du revers ont pratiquement perdu tout lien avec le Péché Originel : les fleurs et le fruit sont avant tout des symboles de fugacité et les scènes se réfèrent à l’activité emblématique de chaque sexe :

  • pour l’épouse embellir la maison (même si la beauté se fane) ;
  • pour l’homme faire des enfants (même si le fruit périt).



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Portrait d homme National Portrait Gallery Portrait d homme National Portrait Gallery reverse

Portrait d homme (autrefois dit de Richard Hooker), Anonyme, vers 1550, National Portrait Gallery

On ne sait pas grand chose sur ce portrait et son étonnant revers, avec son cadavre non pas inerte, mais en train de ressusciter. Il ne s’agit pas d’un panneau remployé (les deux faces ont été peintes en même temps) mais probablement du volet d’un retable privé, qui a de plus perdu une bande sur la droite [6]

De ce fait, au revers, seul le début du texte en hollandais a été conservée :

O HERE (O Dieu
ŇS INI (Notre -)
MET VWĒ (avec toi)


Le texte latin du cartouche,extrait du 112eme psaume, devait se poursuivre sur l’autre panneau :

je ne mourrai pas / mais je vivrai

NON MORIAR / SED VIVAM


Une reconstitution possible (SCOOP !)

La position de l’homme, à gauche, est la position normale du mari dans un diptyque conjugal. De plus, le fait que le buste barbu du recto et le corps barbu du verso regardent dans des directions opposées suggère fortement un dispositif « en médaille », dans laquelle les deux faces illustrent la même personne, dans le réel et dans l’idéal : soit, ici, vivante et ressuscitée.



Portrait d homme National Portrait Gallery reconstitution
Vu l’emplacement du point de fuite, il est fort probable que les revers étaient symétriques et que l’autre représentait l’épouse elle-aussi en train de ressusciter. Son dos un peu trop dénudé aurait pu lui valoir de disparaître, à une époque plus prude.


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Le pendant de couple de Ligozzi

Ce peintre italien connu pour ses dessins très réalistes d’animaux et de flore, puis pour ses allégories, a aussi une veine macabre : ces talents confondus ont produit un pendant tout à fait unique.


Jacopo Ligozzi, recto of male portrait, 1604, panel, private collectionPortrait d’homme Jacopo Ligozzi, recto of female portrait, 1604, panel, private collectionPortrait de femme

Jacopo Ligozzi, 1604, Collection privée

Dans ce double portrait, probablement réalisé pour un mariage, le jeune homme en manteau rouge tient  un bâton avec un phylactère, sur lequel est écrit, de manière énigmatique  « E mi che non ghi penso … la deridon<o> » : « et moi qui ne pense pas à eux… ils se moquent d’elle »

La jeune femme tient un bouquet et une gousse, portant l’inscription « fiori et baccelli » ( « être fleurs et gousses » est une expression signifiant « être en bonne santé »).

Ce que cette saine jeunesse ignore ou moque, c’est sa propre Mort, qui se cache au dos de chacun des panneaux.


Jacopo Ligozzi, Vanitas verso of male portrait, 1604, panel, private collectionVerso du Portrait d’homme Jacopo Ligozzi, Vanitas verso of female portrait, 1604, panel, private collectionVerso du Portrait de femme

Au dos du portait du jeune homme, une tête coupée, en état de décomposition avancée, est présentée sur un velours rouge qui rappelle son manteau Elle est entourée, dans la moitié haute,  par des symboles de la brièveté et de la finitude :  un couteau (la mort violente), un livre de comptes fermé, une libellule qui vole, une lanterne sourde éteinte, un sablier écoulé .La moitié basse montre que cette vie vaine a été dédiée aux plaisirs – fiasque renversée, pièces et bourses, dés,  jeu de cartes. Joy Kenseth [5] a remarqué que les quatre cartes visibles sont les plus basses de chaque « couleur ». Selon un manuel de jeu de tarot imprimé à Venise en 1545, cette suite  a une signification précise  :

« les épées rappellent la mort de ceux que le jeu a rendu fou, les bâtons le châtiment que méritent ceux qui trichent, les deniers l’appétit du jeu, les coupes le vin dans lequel les disputes des joueurs sont noyées ».

Ainsi les cartes sont les échos de certains des objets  environnants : le couteau près du livre (épées), les pièces (deniers), la fiasque (coupe). Manque le bâton, la punition du tricheur, peut-être remplacée ici par le crâne du chien, bien incapable désormais de garder  ou de mordre.

Côté féminin, la tête coupée a gardé sa tresse et sa perle à l’oreille, mais c’est une mouche vivante qui est posée sur son front. En dessous sont abandonnés un diadème doré et un collier de perles très semblables à ceux que la jeune fille portait de son vivant –  richesses qui font écho à la bourse et aux pièces du jeune homme. A la fiasque de vin correspond un flacon de parfum et aux cartes une boîte de fard : aux vices de la boisson et du jeu, pour les hommes, répond pour les femmes celui de la coquetterie. Un crâne de gazelle entouré de cordes (?) fait pendant au crâne de chien.

Mais c’est la moitié haute du pendant féminin qui est la plus extraordinaire : dans le miroir, une momie de chat superpose sa gueule hurlante au profil hurlant de la morte. On comprend que le miroir permet au chat de continuer , par delà la mort, à attaquer le cadavre de souris posé en bas sur le rebord ; mais il sert de la même manière  à la femme, dont l’oeil droit  intact nous reluque et dont la dentition nous décerne un rictus vorace, autrefois séducteur.



Diptyques de dévotion

Dans ce type de diptyque, un donateur est en prière face à une figure sacrée qui occupe en général la place d’honneur, sur le volet gauche (voir 3.1 Le diptyque de Marteen).

Du coup le crâne se retrouve mécaniquement au revers du donateur, comme une évocation de sa propre fin. Quelquefois, elle se décale au revers de l’image sainte, lorsque c’est le blason du donateur qui se trouve sur son revers.

Maitre de la Legende de Sainte Ursule 1480 Mintmuseum Maitre de la Legende de Sainte Ursule 1480 Mintmuseum verso

Maître de la Légende de Sainte Ursule, 1480, Mintmuseum, Charlotte

Ce panneau formait le volet gauche d’un diptyque de dévotion. Le donateur regarde vers la droite (où se trouvait probablement la Madone) tandis qu’au revers, le crâne en grisaille regarde vers la gauche   : il s’agit donc bien de son propre crâne, montré par l’effet « travelling ».

On comprend dès lors cet avertissement bien senti sur la vanité de la gloire :

Pourquoi, homme mortel, hausse-tu la tête, puisque tu mourras et seras chauve comme ce crâne.

Cur homo mortalis caput extruis at morieres en vertex talis sit modo calvus erit

On ignore en revanche pourquoi certaines lettres sont en rouge (CAPETRUSTOEN) : peut être l’anagramme du nom du donateur.



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1517 Mabuse diptyque Carondelet Louvre
Diptyque Carondelet
Jan Gossaert dit Mabuse, 1517, Louvre, Paris

L’iconographie complexe de ce diptyque ne peut être comprise que si on le voit en mouvement, en train de s’ouvrir ou de se fermer.

mabuse_diptyque_carondelet ouvert gauche mabuse_diptyque_carondelet ouvert droite

Voir 2 Le diptyque de Jean et Véronique pour comprendre, notamment, pourquoi le crâne de trouve au revers de l’image sainte.



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Master of the Legend of Mary Magdalene Mary with Child
Vierge à l’enfant allaitante, et portrait du moine chartreux Wilem Van Bibaut
Maître de la Légende de Marie-Madeleine, vers 1523, collection privée

L’analyse des bois (chêne pour la Vierge, noyer pour le portrait) suggère que le diptyque a été recomposé à partie de deux autres (ce qui explique pourquoi seul le revers du portrait est peint, ce qui est anormal pour un diptyque de dévotion portatif).



Master of the Legend of Mary Magdalene Cinq plaies du christ
Ce revers expose les Cinq plaies du Christ (mains, pieds et coeur représentant le coup de lance), une dévotion courante à l’époque et pas spécifiquement monastique. Le calice a pu être ajouté en écho au panneau de la Vierge, pour opposer le sang au lait. De même, l’emplacement du crâne d’Adam en bas à gauche (la direction vers laquelle regarde l’Enfant) suggère que le revers a été conçu en tenant compte de la superposition des panneaux : fermer le diptyque, c’est clore l’histoire, et faire coïncider la Passion avec l’Enfance.


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Barthel Bruyn le Jeune Diptyque de Peter Ulner 1560 Provinzial Museum Bonn

Diptyque de Peter Ulner
Barthel Bruyn le Jeune, 1560, Provinzial Museum Bonn

A la confession inscrite sur le cadre de Peter :

« Pieux je ne suis, ce dont je souffre. j’avoue mon péché, je cherche la Grâce dans le temps.
Au Christ je crois, serviteur inutile. Seul son sang me rend juste. »

répond l’Inscription sur le cadre du Christ :

« Mais toi, tu m’as été à charge par tes péchés, tu m’as fatigué par tes iniquités. C’est moi, c’est moi qui efface tes fautes pour l’amour de moi, et je ne me souviendrai plus de tes péchés ». Isaïe, 43, 23-24.

.

v

Revers du volet du Christ

Le fils de Barthel Bruyn reprend la tradition familiale du revers avec crâne. Celui-ci a été largement repeint et complété au XVIIème siècle pour en faire une véritable nature morte : entre la bougie éteinte et le sablier (deux images du temps écoulé), le crâne avec ses deux orbites vides rivalise avec la coquille et ses deux bulles de savon, globes éphémères incapables de remplacer les yeux absents.



Les revers macabres de Jan Provoost

Jan_provost,_Donor with St Nicholas and his Wife with St Godelina_1515-1521_ca._02 Jan_provost,_Donor with St Nicholas and his Wife with St Godelina_1515-1521_ca._05

Saint Nicolas avec un donateur, Sainte Godelieve avec son épouse
Jan Proovost, vers 1515, Groeninge Museum, Bruges

On a perdu le panneau central de ce triptyque, probablement une Madone comme dans le triptyque postérieur que nous analyserons un peu plus loin. Les paysages à l’arrière-plan montrent des épisodes de la vie des deux patrons :

  • Saint Nicolas convainc les matelots de lui laisser un peu de blé (à leur arrivée à bon port, il leur en restera miraculeusement autant qu’avant) ; le port est celui d’Anvers, avec la cathédrale Notre Dame en construction ;
  • Sainte Godelieve étranglée par les deux serviteurs de son mari.


L’avare et la mort (revers)

Jan_Provoost_-_Death_and_the_Miser Groeninge Museum, Bruges
Le revers montre un memento mori dont le sens précis n’est pas connu (le texte du livre, surchargés de blanc, es- devenu indéchiffrable, celui du billet n’est que partiellement lisible [7])

L’idée générale semble être que le banquier a vendu son âme à la mort. Les trois index tendus ponctuent l’histoire :

  • celui du banquier montre le livre où il a noté la transaction ;
  • celui de la Mort montre la reconnaissance de dettes qu’il lui tend ;
  • celui du troisième homme (un autoportrait du peintre ?) lui intime d’interrompre son geste : la Mort n’a pas encore fini de déposer sur la table les pièces qu’elle cache dans sa main.

Il reste dans le tableau des subtilités qui nous échappent : sac de pièces d’argent s’opposant aux pièces en or, figure en croix que forment les pièces sur la table.


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Jan Provoost 1522 Diptyque christ Sint Janshospitaal Bruges Jan Provoost 1522 Diptyque franciscain Sint Janshospitaal Bruges

Diptyque avec Christ portant sa croix et un frère mineur
Jan Provoost, 1522, SintJanshospitaal, Bruges

Un frère franciscain joint les mains, en contemplation et en imitation du Christ aux outrages, sur la gauche duquel on voit les visages en pleurs de Saint Jean et de la Vierge Marie.

L’inscription du haut contient un rébus et un jeu de mots en latin:

La <corde> de François a tiré à lui

de nombreux <coeurs>.

FRANCISCI <chorda > TRAXIT 

AD SE PLURIMA <corda>


La corde invisible (SCOOP !)

Cette corde franciscaine est également celle qui, liant les mains de Jésus, tire par un lien invisible les mains jointes du frère mineur.


Le crâne et son rébus (SCOOP ! )

Jan Provoost 1522 Diptyque crane Sint Janshospitaal Bruges Jan Provoost 1522 Diptyque porphyre Sint Janshospitaal Bruges

Au revers de son portrait, son crâne (toujours l’effet travelling) contemple la plaque de porphyre rouge et noir qui matérialise les douleurs de Jésus.

Voici une nouvelle interprétation du rébus très énigmatique qui entoure le crâne :

Jan Provoost 1522 Diptyque rebus Sint Janshospitaal Bruges

La clé d’ut suivie d’un bémol, en haut à droite, doit se lire comme une clé de sol. Le crâne fait partie du rébus et remplace le mot Mort (tout comme la corde et les coeurs complétaient la phrase du recto). Ce qui donne :

« Il m’est amer de penser à la mort, il est bon de penser à moi (de se souvenir de moi) ».

On peut imaginer que celui qui parle est Jésus : la première phrase fait parler le panneau de gauche (la Passion), la seconde celui de droite (la Consolation).


Dans un très intéressant article sur les rébus macabres, Guillaume Bunel [7a] a proposé récemment un nouveau décryptage, en considérant que le premier dessin n’est pas un « amer », mais une « lame » (pierre tombale) et en modifiant la lecture des notes, ce qui donne :

« L’âme est la pensée de remords, Bon est de penser à la mort. »



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1525 ca Jan Provoost triptych-virgin-and-child-with-saints-and-donors Royal Collection Trust

Vierge à l’Enfant entre Saint Bernard et saint Benoît , Saint Jean Baptiste avec un donateur, Sainte Marthe avec son épouse
Jan Provoost, vers 1525, Royal Collection Trust

Pour la question des donateurs dans les triptyques flamands, voir 6-7 …dans les Pays du Nord. C’est ici le revers qui nous intéresse.



1525 ca Jan Provoost triptych-virgin-and-child-with-saints-and-donors Royal Collection Trust revers
Dans ce memento mori, un banquier tout à fait semblable à celui du triptyque de 1515 fait avec sa main droite des calculs à l’aide de jetons en cuivre, tout en élevant de la gauche un crâne au niveau de sa tête. Un sac d’or à gauche du crâne donne l’illusion d’une épaule : comme si la Mort en personne s’était assise en face de lui.


Trois optiques différentes (SCOOP !)

Originellement, le banquier portait des lunettes, soulignant sa courte vue [8] ; à l’opposé, le flacon d’eau pure à côté du crâne symbolise la lucidité. Au centre, le disque rouge presque complètement occulté par la cadre est un miroir dans lequel le spectateur est invité à se contempler en vérité.

De part et d’autre, la gravure de saint Hubert et le tableau de change illustrent deux types opposés de conversion : celle de l’âme et celle de l’argent.


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Jan_Provost_Valenciennes_avers_Saint_Jean_et_le_chanoine_donateurSaint Jean Baptiste avec un chanoine donateur (avers) Jan_Provost_Valenciennes_gisant_revers_Saint_Jean_et_le_chanoine_donateurGisant du chanoine (revers)

Jan Provoost, Musée des Beaux Arts de Valenciennes [9]

Ce panneau, retrouvé par hasard dans un confessionnal, formait certainement le volet mobile d’un diptyque. Le vers inscrit sur le phylactère (sélectionné dans un texte plus long qu’on retrouve dans d’autres épitaphes [10]) suggère que le panneau fixe représentait le Christ :

Donne à tous le repos, mon Dieu, à ceux enterrés ici et ailleurs,
pour qu’ils soient en repos grâce à tes cinq blessures.

Da requiem cunctis Deus hic et ubique sepultis,
Ut Sint in requie propter tu vulnera quinque.

Le donateur est un chanoine inconnu, la palme le désigne comme ayant effectué le pèlerinage en Terre Sainte. Sa physionomie est la même que celle du gisant, allongé sur une natte formant oreiller.

Il serait logique que l’ouverture du diptyque fasse apparaître un Christ ressuscité, prié par le chanoine lui aussi ressuscité, par le miracle de la peinture.



Triptyques de dévotion

The_Braque_Triptych_interior

Triptyque Braque, Rogier van der Weyden, vers 1452, Louvre, Paris

Ce triptyque de dévotion privée fut commandé par Catherine de Brabant en mémoire de son époux, Jehan Braque de Tournai, brutalement décédé en 1452.

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van_der_weyden triptyque braque fermé

Le crâne

Le panneau de gauche constitue un des tous premiers exemples de représentation d’un crâne comme sujet d’un revers, et pourrait être, selon Charles Sterling, le précurseur du genre de la Vanité [11] : ce que confirment, en haut et en bas du panneau, les paroles inscrites en caractères comme gravés dans la pierre :

« Regardez-vous ici, orgueilleux et avares. Mon corps fut beau, il est désormais la nourriture des vers. »

« Mires vous ci orgueilleux et avers. Mon corps fu beaux ore est viande a [vers] » 

Dans cette toute première occurrence, le statut du crâne pose problème :

  • s’agit-il de celui du défunt , comme le laissent penser les armoiries de la famille Braque et le fait qu’il soit situé au revers du panneau de son saint patron, Saint Jean Baptiste ?
  • s’agit-il d’un Mort générique, qui interpelle le passant avec les paroles gravées comme sur une tombe ?
  • s’agit-il du crâne d’Adam, qui complète la croix du panneau de droite ?

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La brique

Selon l’interprétation retenue, on verra donc dans la brique brisée :

  • le symbole de la fin de toute dynastie, à l’attention des descendants de Jean Braque ;
  • un avertissement général sur le chute de toute construction humaine ;
  • une allusion au rocher du Golgotha.


Le panneau droit et la croix

La croix porte une inscription latine tirée de l’Ecclésiaste (XLI, 1-2) :

Ô mort, que ton souvenir est amer à l’homme juste et qui vit en paix au sein de ses richesses, à l’homme exempt de soucis et qui prospère en tout, et qui est encore en état de goûter le plaisir de la table.

Ecclesiaste 41

O mors quam amara est memoria tua homin(i)iusto et pacem habente in substanciis suis viro quieto et cuius die directe sunt in omnibus et ad huc valenti accipere cibum. Eccl. xli.

Cette croix remplie de regrets peut être considérée comme représentant Catherine elle-même, d’autant que les armoiries de Brabant, en bas à droite de l’écu, comportent la même croix ancrée.

Van der Weyden aurait donc utilisé la latéralité habituelle des calvaires (où Marie-Madeleine la pécheresse est le plus souvent placée du mauvais côté de Jésus) pour faire du triptyque refermé un des tous premiers exemples de diptyque conjugal posthume avec, sous forme d’emblèmes, le défunt mari à gauche et sa veuve inconsolable à droite.



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Triptyque avec St Jean Baptiste St Jerome et St Antoine ap 1496 Suermondt-Ludwig-Museum, Aachen

Triptyque avec St Jean Baptiste, St Jérôme et St Antoine, après 1496, Suermondt-Ludwig-Museum, Aachen

Le recto associe trois saints connus pour leur vie ascétique dans le désert, chacun accompagné de son animal-fétiche : l’agneau, le lion et le cochon.

A noter plusieurs détails amusants :

  • à gauche le sous-vêtement en fourrure qui dépasse en une sorte de queue ;
  • au centre le tronc étêté servant de portemanteau, et dont la branche en Y fait écho aux bras du Christ ;
  • à droite le petit démon voleur de calice.


Triptyque avec St Jean Baptiste St Jerome et St Antoine ap 1496 Suermondt-Ludwig-Museum, Aachen reverse

Une fois fermé, le revers montre Moïse tenant les tables de la Loi au dessus d’un cadavre enveloppé dans son suaire.

Ouvrir le triptyque, c’est passer du monde de l’Ancien Testament, en grisaille et marqué par la mort,

à celui du Nouveau, coloré par l’espérance.



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KREUZIGUNGSTRIPTYCHON MIT DEN STIFTERN NIKOLAUS HUMBRACHT UND GREDA BRUN, Frankfurt am Main, Stadel Museum avers
Triptyque de la Crucifixion avec les donateurs Nikolaus Humbracht et Greda Brun, Meister von Frankfurt, 1504, Städel Museum, Francfort

Revers

Triptyque 1506 Frankfurt am Main, Stadel Museum revers

Même dispositif avec un gisant sur le revers. Il n’y plus d’allusion à l’Ancien Testament mais une simple exhortation à penser à la mort : COGITA + MORI.

Au-dessus, une longue banderole porte le distique suivant :

Vous qui passez, je demande que vous vous souveniez de nous :
ce que nous sommes vous le serez,
nous fûmes tantôt ce que vous êtes.

VOS + QVI + TRANCITIS + NOSTRE + MEMORES + ROGO + SITIS
QVOD + SVMVS + HOC + ERITIS + FVIMVS +
QVANDOQVE + QVOD + ESTIS +


Masaccio Fresque de la Trinite 1426-28 Santa Maria Novella a Firenze

Fresque de la Trinité
Masaccio, 1426-28, Santa Maria Novella, Florence

La composition s’inspire clairement de la fresque de Masaccio, dont l’histoire est assez mouvementée : cachée en 1568 par un autel de Vasari, elle fut redécouverte et transposée sur toile en deux temps : le haut en 1860 et le gisant en 1950 seulement. A l’origine, un autel en bois à deux colonnes faisait saillie au dessus de celui-ci, accentuant l’effet de crypte.[12]

Au dessus du squelette est inscrite la même maxime en italien :

« Io fui gia quel che voi siete e quel ch’io sono voi ancor sarete ».

Sous diverses formes, cette maxime servait déjà comme épitaphe à l’époque romaine [13]. Il s’agirait d’un chant spartiate compris dans un tout autre sens : la continuité de la patrie. Mais je n’ai pu retrouver la source de cette assertion de Renan, dans sa célèbre conférence, de 1882 « Qu’est ce qu’une nation ».


Références :
[1] Sur l’histoire mouvementée de ce portrait et sur son identification grâce aux armories sur la chevalière, voir https://visionsofthenorthconference.wordpress.com/barthel-bruyn/ et https://www.christies.com/lotfinder/paintings/barthel-bruyn-i-portrait-of-gerhard-von-5155173-details.aspx
[2] Mon interprétation complète et prolonge les explications de R. Krischel sur le site du musée : https://museenkoeln.de/portal/bild-der-woche.aspx?bdw=2009_22
[3] Dialogue dans lequel la Mort répond à César. Varia Sebastian Brant Carmina, Olpe, 1498. Cité dans Zeitschrift für Museologie und Antiquitätenkunde sowie verwandte Wissenschaften, 1882, p 115 http://digital.slub-dresden.de/id407977015-18820000
[4] La citation exacte est « Esto memor quod pulvis eris,& vermibus esca. In gelida putris quando jacebis humo »
https://books.google.fr/books?id=7NfODFURNjkC&pg=PA593&dq=gelida+putris&hl=fr&sa=X&ved=0ahUKEwiH48q0iPXcAhWwzYUKHZE5CW0Q6AEIVTAI#v=snippet&q=gelida&f=false
[5] Marianne Bournet-Bacot, Le portrait de couple en Allemagne à la Renaissance, 2015
[6] https://www.npg.org.uk/research/programmes/making-art-in-tudor-britain/case-studies/hidden-unseen-paintings-beneath-tudor-portraits
[6a] Joy Kenseth, « Two Pendant Portraits by Jacopo Ligozzi » The Burlington Magazine , Vol. 129, No. 1006 (Jan., 1987), pp. 12-16 http://www.jstor.org/stable/882885
[7] Il nomme cependant le banquier comme étant Jan Lanckart (un homme connu pour avoir vendu son âme au diable) et insiste sur le geste des doigts :
« Ic Jan Labnckart kenne ontfaen / hebben van Leunis papp … / van Sarck ronddragen…/ offremits XLB … daat / zoe est ghewyst wel vernoughet / toirc. / van desen / by my lanckart »
[7a] Guillaume Bunel « Crânes, notes de musique et surprises macabres : les rébus-vanités à la Renaissance » dans Réforme, Humanisme, Renaissance 2023/1 (N° 96) p 63-96 https://www.cairn.info/revue-reforme-humanisme-renaissance-2023-1-page-63.htm
[8] https://www.rct.uk/collection/405816/triptych-virgin-and-child-with-saints-and-donors
[9] http://moteur.musenor.com/application/moteur_recherche/consultationOeuvre.aspx?idOeuvre=393857
[10] ] Reinhard Lamp, « Florilegium: Four Sepulchral Brasses to Civilians John Asger (senior), d. 27.2.1436 », Norwich, NorfolkPegasus-Onlinezeitschrift XIV (2014), Heft 1   http://www.pegasus-onlinezeitschrift.de/2014_1/pegasus_2014-1_lamp-en_druck.pdf
[11] https://fr.wikipedia.org/wiki/Triptyque_Braque
[12] https://en.wikipedia.org/wiki/Holy_Trinity_(Masaccio)
[13] « The Epitaph of Alcuin: A Model of Carolingian Epigraphy » Luitpold Wallach, Speculum, Vol. 30, No. 3 (Jul., 1955), pp. 367-373 https://www.jstor.org/stable/2848075

La mort pile ou face

10 septembre 2020
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Cet article traite d’objets particulièrement adaptés à la Vanité des richesses, et dans lesquels apparaît de loin en loin, de manière épisodique, l’idée de faire surgir la Mort sous le précieux :

retourner la médaille fait voir  la Mort en face.

Les trois médailles de Boldù

A la Renaissance, les personnages importants font réaliser une médaille commémorative à leur effigie, avec côté pile une scène ou une allégorie personnalisée.

pisanello 1438 Medaille de Jean VIII Paleologue Staatliche Museen Berlin

Médaille de Jean VIII Paléologue
Pisanello, 1438, Staatliche Museen Berlin

Giovanni Boldù est le premier à oser, expérimentalement et en l’appliquant à lui-même, introduire la Mort à son revers [1].


Première médaille funèbre

1458 Medaille autoportrait Giovanni Boldu National Gallery of Art, Washington

Médaille commémorative de lui-même
Giovanni Boldù, 1458, National Gallery of Art, Washington

Imitant Pisanello, Boldù inscrit en latin, côté pile : « Giovanni Boldù de Venise, peintre » ; et pour pousser encore plus loin l’érudition humaniste, il inscrit côté face, au dessus de son profil en costume contemporain, la même mention en grec alternant avec l’hébreu, non sans quelques erreurs [2] :

ΙΩΑΝΝΗΣ ΜΠΩMΤΟN ΖΩΓΡΑΦΟΣ BENAITIA
yochanan boldu me veneziya zayyar

Au revers il se montre assis nu sur un tertre, en posture mélancolique, châtié par la Repentance (la vieille femme au fouet) et secouru par la Foi (l’Ange avec le calice), entre en haut un soleil rayonnant (Dieu, la Vie, le Jour à son zénith) et en bas, très peu visible suite à l’usure, une tête de mort ailée (l’Enfer, la Mort, la Nuit, l’Eternité).
1458 Medaille autoportrait Giovanni Boldu National Gallery of Art, Washington detail


Deuxième médaille funèbre

1458 Medaille autoportrait Giovanni Boldu A

Médaille commémorative de lui-même
Giovanni Boldù, 1458, National Gallery of Art, Washington

La même année, il réalise une seconde version, non plus chrétienne mais antiquisante :

  • côté face, suppression de l’hébreu et représentation de lui-même torse nu et couronné de lauriers, copiant une monnaie romaine :
    Aureus_a_l'effigie_de_Caracalla 204
    Aureus à l’effigie de Caracalla, 204

1458 Medaille autoportrait Giovanni Boldu B

  • côté pile, remplacement des deux allégories chrétiennes par une païenne (un putto ailé à l’air méchant) et composition horizontale : Boldù se cache le visage parce que le Génie de la Mort , (accoudé au crâne) l’empêche d’accéder à la source de vie (le brasier).



Troisième médaille funèbre

1461 Giovanni_boldu,_medaglia_di_caracalla, A 1461 Giovanni_boldu,_medaglia_di_caracalla, B_con_riflessione_sulla_morte

Médaille de Caracalla (Antoninus Pius ), Giovanni Boldù, 1461

Trois ans plus tard, il explicite la signification du putto ailé en l’appliquant, non plus à lui-même en jeune homme, mais à Caracalla enfant :

Je suis la Fin

IO SON FINE

Le mot IO désigne le jeune homme affligé, et le mot FINE le putto, ici légèrement modifié puisqu’il tient maintenant la flamme dans sa main gauche : métaphore de l’âme qui n’a plus sa demeure dans le crâne.


L’invention d’un motif

Le motif de l’Enfant au crâne va devenir un des standards de la Renaissance et du Baroque, et Horst W. Janson a bien montré par quelles voies il dérive de l’invention de Boldù. Celui-ci a créé un type original, tout en reprenant graphiquement une médaille antérieure :

Ludovico Gonzaga da Mantova Pietro di FanoLudovico Gonzaga da Mantova Pietro de Fano 1452-57Ne me touche pas (Noli me tangere)

Pietro de Fano, 1452-57

Le porc-épic, qui symbolise l’amour marital inexpugnable du Duc de Mantoue, prévient Cupidon (sans ailes) de ne pas s’approcher.


Une transposition de l’antique (SCOOP !)

Comme le note Horst W. Janson, Boldù n’a pas transposé le Génie de la Mort romain (un jeune homme ailé debout et tenant une torche renversée à la main), mais a réellement inventé un emblème nouveau, que la figure de l’Enfant assis par terre rend plus frappante encore.

Si la pose du putto recopie à l’évidence la composition de Pietro de Fano, l’irruption du crâne s’explique difficilement par la seule transformation du porc-épic.


Aureus_a_l'effigie_de_Caracalla 204 BAureus à l’effigie de Caracalla, 204 1461 Giovanni_boldu,_medaglia_di_caracalla, B_con_riflessione_sulla_morte

Si l’on se souvient du côté pile de la monnaie de Caracalla, il est bien possible que la Victoire ait inspiré ce qui manque chez Pietro de Fano :

  • par ses ailes, celles du putto ;
  • par sa couronne de lauriers dans la main droite, le crâne ;
  • par sa palme dans la main gauche, la flamme.



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1462 antonio marescotti medal for Fra paolo albertini A Scher Collection 1462 antonio marescotti medal for Fra paolo albertini B Scher Collection

Médaille de Fra Paolo Albertini
Antonio Marescotti, 1462, Scher Collection

Marescotti prend le contre-pied de Boldù en rechristianisant son jeune homme affligé : habillé en moine et assis confortablement, il contemple sans effroi le crâne renversé à ses pieds.


1467-ca-Sperandio-di-Bartolommeo-de-Savelli-Fra-Cesario-Contughi-di-Ferrara-NGA-A- 1467-ca-fSperandio-di-Bartolommeo-de-Savelli-Fra-Cesario-Contughi-di-Ferrara-NGA-B

Médaille de Fra Cesario di Ferrara, moine servite, NGA, Washington
Sperandio di Bartolommeo de’ Savelli, 1467

De la sérénité chrétienne à l’exploitation de l’angoisse : le moine ici nous désigne la Mort du doigt et nous intime d’y songer.



Une médaille de papier

1517 Godefroy le Batave. François_Demoulins_de_Rochefort La Vie de la belle et clere Magdalene BNF FR 24955 fol 71rFol 71r 1517 Godefroy le Batave. François_Demoulins_de_Rochefort La Vie de la belle et clere Magdalene BNF FR 24955 fol 72rFol 72r

La Vie de la belle et clere Magdalene, de François Demoulins de Rochefort, illustré par Godefroy le Batave, 1517, BNF FR 24955

Ce manuscrit au format très particulier se compose d’une série de médaillons contenant alternativement le texte et les illustrations de cette vie de Marie Madeleine. Les médaillons imagés composent quelquefois une sorte de bande dessinée, décomposant une histoire en plusieurs scènes. Les deux derniers médaillons imagés du livre forment une paire, l’un montrant ‘la Beauté naturelle », l’autre « la Mort, ennemie de la Nature et de la Beauté ».

Le reliquaire géant du chef de Marie-Madeleine, soutenu par quatre anges, est adoré par un roi. Les deux images se présentent en miroir, rappelant le procédé de « travelling circulaire » souvent observé dans les médailles allégoriques : le côté face montrant le portrait physique d’un personnage vu de profil, et le côté pile son portait allégorique, regardant dans l’autre sens de manière à suggérer que le même personnage est comme pris en sandwich à l’intérieur de la médaille (voir ZZZ) .

Ici la continuité est plus complexe, puisque le portrait n’est pas vu de profil, mais de face : le médaillon « pile » ne nous montre pas le reliquaire vu de derrière, mais la page « face » vue de derrière, comme si le parchemin était devenu transparent. En tournant la page, le lecteur effectue donc une double transformation virtuelle : il rend transparent le parchemin, et inverse la Vie en Mort.



Fragiles beautés

1560 Reine Dorothee du Danemark

Reine Dorothée du Danemark, 1560

Dorothée de Saxe-Lauenbourg ne mourra qu’en 1571 : la médaille commémore le décès de son mari le roi Christian II, en 1559.

Pense au jour et à l’heure

BENDENCK DAS ENDT UND DIE STUNDE

 



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Médailles pour la mort de Anna-Cathrina Munk (fille morganiatique de Christian IV du Danemark)

1634 Danemark

1634, Danemark ([3], p 86)

Quand tu pense être au sommet de ta floraison, la Mort est ton hôte certain.

Où que tu te tournes, la Mort est ta fin


1634 Memento mori danois

1634, Danemark ([3], p 87)

 

« Apprends-nous à nous souvenir que nous devons mourir, pour que nous connaissions la sagesse. »

Psaume 89,12

Je suis belle

« Mes jours sont plus rapides qu’un courrier; Ils fuient sans avoir vu le bonheur » 

 Job 9, 25

J’étais belle


1630-ca-Medaille-dElizabeth-Stuart-Reine-de-Boheme-Christian-Maler-Nuremberg-A. 1630-ca-Medaille-dElizabeth-Stuart-Reine-de-Boheme-Christian-Maler-Nuremberg-B

Médaille dite d’Elizabeth Stuart, Reine de Bohème (copiée sur celle d’Anna Katherina Munk)
Vers 1635, Christian Maler, Nuremberg ([3], p 90)

Quelle je suis, plus tard au verso vous le verrez

me voici maintenant, autrefois la plus belle

QUÆ SIM POST TERGA VIDEBIS 

SIC NVNC PVLCHERRIMA QVONDAM.

Cette médaille illustre parfaitement le procédé de « travelling circulaire » évoqué plus haut : le squelette vu de loin, côté pile, révèle la réalité allégorique qui se cache dans le portrait physique vu de près, côté face. Le texte rend explicite cette identité paradoxale.



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1612 Medaille auf die Vergänglichkeit Vorder- und Ruckseite Jan de Vos
Médaille de la Fugacité, Jan de Vos, 1612

« Ne vous vantez pas de demain »

(Proverbes Salomon, 27: 1).

« Souvenez-vous que la mort ne tarde pas »

(Jésus Sirach 14:12).

NE GLORIERIS IN CRASTINUM

MEMOR ESTO QUONIAM MORS NON TARDAT


Médailles à l’occasion d’un décès

1580 medal of Michael Leonhard Maier by Baldwin Drentwett

Médaille pour la mort de Michael Leonhard Maier, bourgmestre d’Augsbourg, par Baldwin Drentwett, 1580



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1621 Wijnkopersgilde van Amsterdam, begrafenispenning van David Dornville, Albert Frijlinck Rikjsmuseum A 1621 Wijnkopersgilde van Amsterdam, begrafenispenning van David Dornville, Albert Frijlinck Rikjsmuseum B
 
Médaille funéraire de David Dorville, membre de la Guilde des Vigneons d’Amsterdam,
par Albert Frijlinck, 1621, Rijksmuseum

Apprends à mourir

DISCE MORI


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Pfennig de Bale

« Pfennig de Bâle », vers 1640, atelier de Friedrich Fechter

 

Aujourd’hui rouge, demain mort.

Heut rodt morn dodt

Ces médailles semblent avoir servi de cadeau lors de funérailles. Il en existe plusieurs modèles. Celles qui ont un crâne au revers portent côté face soit le basilic avec les armes de Bâle, soit une vue de la ville ([3], p 92).



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1640 Charles I Bristish Museum

Médaille de Charles I, 1649, Bristish Museum

Frappée après la décapitation de Charles I

Charles par la Grâce de Dieu Roi de Grande Bretagne, France et Irlande

<J’ai reçu une couronne> bénie et éternelle <J’en ai laissé une > splendide mais lourde.

CAROLVS . D : G : MAG : BR : FR : ET . HI : REX.

BEATAM . ET . ETERNAM . SPLENDIDAM . AT . GRAVEM

Côté pile, le crâne est désigné par les initiales C et R (Carolus Rex) et les mots GLORIA et VANITAS. L’inscription est inspirée des derniers mots du roi : « I go from a corruptible to an uncorruptible crown, where no disturbance can be. »



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1672 Cornelius de Witt and Johann de Witt col; priv

1672, Exécution de Cornelius et Johann de Witt,, Collection privée

1672 Cornelius de Witt and Johann de Witt Frick Collection recto 1672 Cornelius de Witt and Johann de Witt Frick Collection verso

1672, Exécution de Cornelius et Johann de Witt, Frick Collection

Il existe plusieurs modèles : le côté pile représente l’exécution de manière métaphorique (la populace représentée par des lions) ou bien réelle.

Jan_de_Baen-_De_lijken_van_de_gebroeders_de_Witt 1648 Rijksmuseum

Les cadavres des frères de Witt
Jan de Baen, 1648, Rijksmuseum



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1684 Charles II A

1684 Charles II B

 Médaille pour le décès de Charles II d’Angleterre le 6 février 1684

Pile : 

A la froide tombe, tous doivent venir

To the cold tomb all heads must come

James Shirley, The contention of Ajax and Ulysses, 1659

 


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1799 George Washington funeral coinMédaille pour les funérailles de George Washington, 1799



Crânes honorifiques

Certains hommes particuliers méritent comme emblème un crâne ou un squelette.

1682 Medaille maconnique allemande 1682 Medaille maconnique allemande B

Médaille ou jeton maçonnique allemande, 1682

1795 Loge de la Parfaite egalite Rouen A 1795 Loge de la Parfaite egalite Rouen B

Médaille d’appartenance à la Loge de la Parfaite Egalité, Rouen, 1795

Côté pile, les squelettes entre les dex colonnes sont le Roi David (avec sa houlette de berger) et le Roi Salomon (avec son sceptre).


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1620 Surgeons’ guild in Amsterdam, Jeton de presence

Jeton de présence de 1620 de la Guilde des Chirurgiens d’Amsterdam, collection particulière

Entre 1620 environ et la fin du XVIIIe siècle, les chirurgiens travaillant à Amsterdam recevaient après avoir réussi leurs examens, un jeton de présence leur donnant droit de participer aux réunions de la Guilde. [4]



1680 Surgeons’ guild in Amsterdam, Jeton de presence
Jeton de présence de Isaac Hartmann
« devenu maître de septembre 1672 a 75. Encore en 1677, jusqu’à la fin le 5 septembre 1680 ».
 


1684 Surgeons’ guild in Amsterdam, access fee for the hortus medicus of Andreas Bonn, professor of anatomy and surgery 1771 Rijksmuseum A 1684 Surgeons’ guild in Amsterdam, access fee for the hortus medicus of Andreas Bonn, professor of anatomy and surgery 1771 Rijksmuseum B

Jeton de 1684 donnant accès au Jardin Botanique d’Amstardam (hortus medicus)
Gravé au nom d’Andreas Bonn, professeur d’anatomie et chirurgie, 1771, Rijksmuseum

À partir de 1684, ils recevaient également le jeton d’accès à l’Hortus Medicus.


1731 Surgeons’ guild in Amsterdam medaille d'Abraham Titsingh

Médaille honorifique en l’honneur d’Abraham Titsingh, 1731

L’année 1731 est celle de sa nomination comme maître de la guilde, après avoir dénoncé et révoqué le précédent conseil, coupable de manoeuves frauduleuses.



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1774 Moses Mendelssohn (natus 1729)

Médaille en l’honneur de Moïse Mendelssohn (natus 1729), 1774

Le crâne côté pile illustre une des oeuvres les plus célèbres du «Socrate allemand», « Phédon ou entretiens sur l’immortalité de l’âme » (1767). Il ne mourra qu’en 1786.


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Medals of F.J. Gall, by Loos, Berlin, 1805

Médaille en l’honneur de Franz Joseph Gall, par Loos, Berlin, 1805.

Gall est le fondateur de la phrénologie, discipline qui prétendait déceler les facultés et les penchants des hommes par la palpation des reliefs du crâne.


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1829 medal of St. Thomas's Hospital, by William Wyon (The Cheselden Medal)

Médaille de St. Thomas’s Hospital, en l’honneur du chirurgien Cheselden,
par William Wyon, 1829

La devise :

La Mort salut les vivants

MORS VIVIS SALUS

est illustrée par le crâne et la jambe d’un squelette, au dessus d’un cadavre qui vient d’être posé sur une table de dissection.


Les Hobos nickel [5]

Une autre manière de faire apparaître le crâne est, sans retourner la pièce, de le faire surgir du côté face : l’art du détournement de pièces s’est surtout développé en Angeterre et aux Etats-Unis, en plusieurs phases.


1851 Liberty Half cent 1851 Liberty Half cent Hobo nickel

1851 Half cent

1878-Morgan-One-Dollar 1878-Morgan-One-Dollar-Hobo-Nickel

1878 One Dollar Morgan

Une des premières figures couramment détournée est celle de la Liberté : le crâne n’est pas la seule possibilité, mais une des plus courantes.


Victoria crown 1893(un quart de livre, argent) Victoria crown 1893 (un quart de livre, argent) Hobo

Victoria crown 1893 (un quart de livre, argent)

En Angleterre, la dérision macabre s’attaque à la reine Victoria elle-même.


1913-5C-Buffalo_Nickel
1927 hobo_nickel_skull__buffalo_zombie

1913, Buffalo Nickel (Five cents)
1927, Buffalo Nickel hobo

Emis aux USA partir de 1913, le « buffalo nickel » se prêtait particulièrement aux détournements. L’origine du terme « hobo nickel » vient peut être du port d’Hobonek, par lequel ont transité trois millions de soldats durant la Première Guerre Mondiale, qui passaient leur temps comme ils pouvaient. Une autre explication est que ces pièces de peu de valeur étaient retravaillées et échangées par les clochards (hobos) [6]. Même si elle avait commencé auparavant, la popularité des crânes « buffalo » date de l’époque de la Grande Dépression.


1948 Jefferson nickel 5 Cents 1948 1948 Jefferson nickel 5 Cents skull

1948, Jefferson Five Cents

Le Jefferson nickel, qui a remplacé le Buffalo Nickel à partir se 1938, s’est révélé tout aussi propice.


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gibraltar-2010-neanderthal-skull-one-pound-coin
One Pound avec le crâne de l’homme de Néanderthal, Gibraltar, 2010

Détournement officiel (et involontaire) du profil de la reine Elisabeth.



Références :
[1] Pour la chronologie et la signification des trois médailles, j’ai résumé l’article de Horst W. Janson « The Putto with the Death’s Head », The Art Bulletin, Vol. 19, No. 3 (Sep., 1937), p 428 https://www.jstor.org/stable/3045691
[2] Sur le détail des inscriptions, voir G.F. Hill, « Portrait medals of Italian artists of the Renaissance », 1912, p 38 https://books.google.fr/books?id=My8PAwAAQBAJ&pg=PA34
[3] Frederick Parkes Weber, « Aspects of death and their effects on the living : as illustrated by minor works of art, especially medals, engraved gems, jewels, &c « , 1910 https://archive.org/details/aspectsofdeathth00webeiala/mode/2up
[4] Frank F A IJpma, Chris Teulings, Thomas M van Gulik, « Guild medals from the Surgeons’ Guild of Amsterdam », 2015 https://www.ntvg.nl/artikelen/gildepenningen-van-de-amsterdamse-chirurgijns/volledig
[5] https://en.wikipedia.org/wiki/Hobo_nickel
[6] http://www.hobonickels.org/graphics/tri_fold.pdf

La mort en secret

10 septembre 2020
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Bijoux à secret macabre

Le macabre a toujours été une branche florissante de l’orfèvrerie : bagues ornées de têtes de mort ou de squelettes, montres ou flacons en forme de crâne.

Nous nous intéressons ici aux objets, moins fréquents, qui ne laissent voir la Mort qu’aux initiés.

Bagues de deuil

Aux XVIe et XVIIe siècles, la pratique de léguer des bagues appartenant au défunt à ses amis et à sa famille est progressivement remplacée par celle de laisser une somme d’argent pour acheter des bagues commémoratives et de deuil. La plupart portent des motifs funèbres visibles : mais nous nous intéressons ici à celles qui cachent leur jeu.

Anneau avec marque de marchand 16eme British Museum B Anneau avec marque de marchand 16eme British Museum A

Bague avec chaton tournant, 16ème siècle, British Museum

La Mort est agréable aux hommes bons

MORS BONIS GRATA

Cette bague appartenait à un marchand (qui n’avait donc pas droit à des armories) et lui permettait d’apposer sa marque sur ses marchandises.


Anneau avec chaton tournant 1600 Ca V et A Museum A Anneau avec chaton tournant 1600 Ca V et A Museum B

Bague avec chaton tournant, vers 1600, Victoria and Albert Museum, Londres

Cette autre bague de marchand porte sur sa couronne l’inscription « ‘NOSSE TE IPSUM » (Connais-toi toi-même), et permettait donc de faire des affaires tout en méditant sur la Vanité de la richesse.


Charles I gold seal ring B Charles I gold seal ring A

Bague à chaton tournant portant un sceau armorié, vers 1640, collection privée

On trouve donc des bagues avec un crâne caché bien avant l’exécution du Roi Charles I : celld-ci appartenait à un aristocrate, dont les armoiries n’ont pas été identifiées.


Les bagues du roi martyr

Face : portait en intaille de Charles Anneau a chaton pivotant Charles I VandA Museum

Bague à chaton tournant avec le portrait de Charles I, vers 1649, Victoria and Albert Museum, Londres

Pile : Le crâne avec les initiales C R, entre les mots GLORIA et VANITAS, la couronne du martyre et la couronne terrestre

A l’intérieur de la bague : « Emigravit gloria Angl the IA 30/1648″ (La Gloire de l(Angleterre a disparu le 30 janvier 1648)


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Charles I 1650 ca memorial ring closed Charles I 1650 ca memorial ring opened

Bague funéraire de Charles I, vers 1650

Celle-ci date de la période dangereuse juste après l’exécution. L’émail noir est signe de deuil, mais c’est seulement en soulevant le précieux diamant qu’apparaît le portrait du Roi.


Charles I Memento Mori 1650 ca bague royaliste Bristish Museum A Charles I Memento Mori 1650 ca bague royaliste Bristish Museum B

Bague Memento Mori de Charles I, probablement ancienne collection Horace Walpole, Bristish Museum

Cette bague porte à l’intérieur une invitation à mourir pour la Royauté : « Soyez prêt à me suivre (Prepared be to follow me) ».Il s’agirait d’une des sept bagues remises à ses proches lors de son enterrement.


Memento mori Charles I col priv christies A Memento mori Charles I col priv christies B

Bague Memento mori de Charles I, collection privée

L’inscription à l’intérieur est ici « Martye populi (Martyr du peuple). »

Il existe plusieurs bagues de Charles I avec crâne au revers : soit réalisées peu après son exécution, soit après la restauration de la monarchie en 1560, soit bien après [1]. L’exécution a eu lieu le 9 février 1649 en calendrier grégorien, mais la date gravée (30 janvier 1648) est celle du calendrier julien, en usage en Angleterre jusqu’en 1752.


Médaillon Charles I 1700 ca coll privee

Médaillon de Charles I, vers 1700, collection privée

Dans ce médaillon plus récent, l’année a été indiquée dans les deux calendriers.


charles-1-ring-facade National Gallery of Victoria, Melbourne A charles-1-ring-facade National Gallery of Victoria, Melbourne B

Bague Memento mori de Charles I, milieu XVIIème, National Gallery of Victoria, Melbourne

Le portrait a été monté en bague pivotante au XIXème siècle, d’où la date 48 mentionnée sur l’émail, et 30 janvier 1749 gravée sur la monture.


Memento mori Charles I col priv A Memento mori Charles I col priv B

Bague Memento mori de Charles I, collection privée

L’inscription « more than conqueror » fait allusion à sa mort en martyr :

Selon qu’il est écrit:  » A cause de toi, tout le jour nous sommes livrés à la mort, et on nous regarde comme des brebis destinées à la boucherie.  » Mais dans toutes ces épreuves nous sommes plus que vainqueurs, par celui qui nous a aimés.
Epitre aux Romains, 8:36-37


Un crâne scandaleux (SCOOP !)

Cette dernière bague nous fait sentir la raison pour laquelle, dans le milieux royalistes, ces bagues avec crâne caché ont rencontré un tel succès : il ne s’agit pas ici d’un memento mori générique, comme dans les bagues pivotantes avec sceau ou marque, mais bien de la tête décapitée ce jour précis. Et l’idée du régicide et de la fin de la monarchie est si contre-nature qu’elle doit être non seulement dissimulée par pudeur (rappelée seulement par le contact permanent avec la peau), mais retournée de haut en bas, comme il sied dans un monde renversé.


Autres bagues à secret macabres

Anneau Memento Mori Flandres 1525-1575 British Museum A Anneau Memento Mori Flandres 1525-1575 British Museum B

Bague Memento Mori, Flandres, 1525-1575, British Museum

Cette bague ne cache pas son jeu, puisqu’un crâne est posé sur la couverture du Livre, accompagné de deux crapauds et d’un serpent, et entouré de quatre joyaux. Ouvrir le livre, c’est remonter à la naissance et constater que déjà le jeune enfant cohabite avec .la Mort et le sablier.

Dirige ton chemin vers le Seigneur, fais-lui confiance, et lui, il agira (Psaume 36:5)
Soit que nous vivions, soit que nous mourions, nous appartenons au Seigneur. (Romains 14,8)

 Sive vivim(us) sive morimur domini sum(us)

Commenda Domino viam tuam, et spera in eum, et ipse faciet.

 


Anneau Memento Mori Flandres 1525-1575 British Museum C Anneau Memento Mori Flandres 1525-1575 British Museum D

Les parties latérales de ce somptueux bijou en expliquent la cause : la Chute de l’Homme (le serpent est caché dans l’arbre entre Eve et Adam) et l’Expulsion du paradis.



Anneau Memento Mori Flandres 1525-1575 British Museum E
L’arrière de la bague montre deux mains enserrant un coeur.


1650 ca Two hands, one heart, till death us partVers 1650 1800 ca Anneau ouvrant deux mainsVers 1800

Ces deux bagues développent le même symbolisme :

Deux mains, un coeur, jusqu’à ce que la mort nous sépare

Two hands, one heart, till death us part


sb-line

Anneau Memento Mori fin XVIIeme Ashmolean MuseumBague Memento Mori, fin 17ème, Ashmolean Museum Anneaux jumeaux debut 17emeBagues jumelles début 17ème, collection privée

Ces deux bagues exploitent le même thème de la coïncidence entre le Début et la Fin : en retournant ou en disjoignant l’anneau, on constate que l’enfant et le squelette ne sont séparés que par une infime épaisseur : notre vie.


Bague gimmel Allemagne 1631 MET, New York A Bague gimmel Allemagne 1631 MET, New York B

Bague « gimmel », Allemagne, 1631, MET, New York

Dans cet exemple, on retrouve sur les deux flancs le symbole des mains tenant un coeur. L’inscription explique l’usage de ce type de bague séparable :

Ce que Dieu a conjoint, l’Homme ne ne séparera pas.

QUOD DEUS CONJUNXIT HOMO NON SEPARABIT

De l’autre côté sont inscrits les noms des deux fiancés : Jacob Sigmund von der Sachsen et Martha Wurmin. Lors des fiançailles, chaque promis gardait une des deux moitiés, qui étaient ensuite réunies comme bague de mariage pour l’épouse [2].



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Georgian, 1721

Bague de deuil, 1721

Le sablier, le squelette et les outils de fossoyeur, se dissimulent en éléments décoratifs étirés le long de la bague, tandis que le crâne du défunt, avec ses initiales, se laisse voir dans sa tombe transparente.


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Mourning ring 1731 GEORGE BUCHANAN British Museum

Bague pour le deuil de Greorge BUCHANAN, 1731, British Museum

Le cristal laisse deviner un crâne et des cheveux du défunt.
Inscription : GEORGE BUCHANAN OBT IUNE 10.1731.


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Skull Diamond Locket Ring Memento Mori 18ct Gold2-500x500 Skull Diamond Locket Ring Memento Mori 18ct Gold6-500x500
1850 ca Orfevrererie georgienne A 1850 ca Orfevrererie georgienne B

Bague à chaton ouvrant, Epoque géorgienne (fin XVIIIème, début XIXème)

Ce modèle assez courant fonctionne sur le principe du « Connais-toi toi-même » : d’abord un miroir déformant, puis le Réel.


Crânes maçonniques

Les bagues maçonniques ne cachent pas le crâne, mais le montrent au contraire ostensiblement. Voici quelques rares objets qui le dissimulent.

Mark Medal made for D.Eames, 1811. Probably New York Scottish Rite Masonic Museum LexingtonD.Eames, 1811, probablement New York Mark Medal made for William L. Peets, 1824. Connecticut Scottish Rite Masonic Museum LexingtonWilliam L. Peets, 1824, Connecticut

Marques de Franc-maçons, Scottish Rite Masonic Museum, Lexington [3]

Ces marques, personnalisées pour chaque propriétaire, présentent des forme et de décorations très variées. Parmi celles qui sont en forme de bouclier, certaines ont des découpes qui évoquent très probablement la forme du crâne.


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Globes à secret

masonic-ball-and-cross-pendant-charm masonic-ball-1890 ca

Ces globes sont apparus vers 1890-1900, à la fin de l’époque victorienne. La forme de gauche est la plus courante : la boule s’ouvre et se déploie en une croix à six pyramides, aux facette ornées de symboles [4]. Le modèle de droite, en pentagramme, est plus rare.


1900 ca Antique-Masonic-Skull-Bones-Ladder-9Ct-Gold-Ball 1900 ca Antique-Masonic-Skull-Bones-Ladder-9Ct-Gold-Ball ouvert

Dans cette autre forme, la boule développe quatre motifs :

  • les deux colonnes (l’entrée du Temple) ;
  • l’équerre et le compas (grade d’Apprenti) ;
  • l’étoile flamboyante (grade de Compagnon) ;
  • le crâne (grade de Maître).



Références :
[1] https://dyingcharlotte.com/2017/09/23/his-good-late-majesty-memorial-jewelry-for-king-charles-i/
[2] https://en.wikipedia.org/wiki/Gimmal_ring
[3] https://nationalheritagemuseum.typepad.com/library_and_archives/mark-medals/

[4] Pour leur explication, voir http://wharfedaleantiques.blogspot.com/2016/11/masonic-orb-pendant.html

La mort biface

28 août 2020
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Les figures macabres double-face (janiformes), sont pour la plupart des grains (patenôtres), intermédiaires ou terminal, provenant de chapelets en ivoire. Je n’ai retenu ici, parmi celles qui ont un squelette sur une de leurs deux, trois quatre faces, celles qui présentent des particularités intéressantes (inscriptions) [0].

On les date du début du XVIème siècle, et on leur attribue une origine française, hollandaise ou allemande. Je les ai regroupées en trois catégories, suivant leur format.


Format portrait

Jeune homme et crâne

AMARA MEMORIA

L’inscription vient de l’Ecclésiaste :

O mort, que ton souvenir est amer
Ecclésiaste, 41,1

O mors, quam amara est memoria tua


O MOR C AMARA EST MEMORIA TUA Museum fur Kunst und Gewerbe Hamburg A O MOR C AMARA EST MEMORIA TUA Museum fur Kunst und Gewerbe Hamburg B

Museum für Kunst und Gewerbe, Hambourg

Un visage de jeune homme est apparié avec le crâne, qui tient la bandelette comme un mors entre ses dents.



Cologne, Museum Schnutgen A Cologne, Museum Schnutgen B

Museum Schnütgen, Cologne

Même couple, mais sans la bandelette.


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Défunt et crâne

AMARA MEMO Ivory_model_of_half_a_human_head,_half_a_skull,_Europe_Wellcome_L0057079 AMARA MEMO Ivory_model_of_half_a_human_head,_half_a_skull,_Europe_Wellcome_L0057081 AMARA MEMO Ivory_model_of_half_a_human_head,_half_a_skull,_Europe_Wellcome_L0057080

Wellcome Collection

D’un côté le visage d’un mort coiffé d’un foulard, de l’autre le crâne.



O MORS AMARA MEMO TUA attributed to Chicart Bailly Detroit Institute of Arts (1990.315),

1500-1530, attribué à Chicart Bailly, Paris, Detroit Institute of Arts (N° 1990.315)


AINSI SERONS NOUS HUI (aujourd’hui) OU DEMAIN

AINSI SERONS NOUS WI OU DEMAIN from a string of prayer beads South Netherlands
Copie quasi identique du précédent, mais avec un texte différent.


AINSI SERONS NOUS WI OU DEMAIN atttribue a Chicart Bailly anc coll St Laurent Berge A AINSI SERONS NOUS WI OU DEMAIN atttribue a Chicart Bailly anc coll St Laurent Berge B

Attribué à Chicart Bailly, Paris, ancienne collection Saint Laurent-Bergé


AINSI SERONS NOUS WI OU DEMAIN Cologne Museum Schnutgen A AINSI SERONS NOUS WI OU DEMAIN Cologne Museum Schnutgen B

Museum Schnütgen, Cologne


AINSI SERONS NOUS WI OU DEMAIN Ivory_model_of_a_skull_and_a_human_head,_France_Wellcome_L0057570 AINSI SERONS NOUS WI OU DEMAIN Ivory_model_of_a_skull_and_a_human_head,_France_Wellcome_L0057571

Wellcome Collection

Le mort est ici un transi, que les vers ont commencé à dévorer.

DURA ET ASPERA

Dure et âpre (est la mort)

Dalton 1909 Catalogue of Ivory Carvings of the Christian Era with Examples of Mohammedan Art and Carvings in Bone in the British Museum 444 AMARIA Dalton 1909 Catalogue of Ivory Carvings of the Christian Era with Examples of Mohammedan Art and Carvings in Bone in the British Museum 444 BINRI

Catalogue of Ivory Carvings of the Christian Era with Examples of Mohammedan Art and Carvings in Bone in the British Museum, Dalton 1909, N° 444


COGITA MORI

Pense à la Mort

COGITA MORI Toronto, The Thomson Collection at the Art Gallery of Ontario A COGITA MORI Toronto, The Thomson Collection at the Art Gallery of Ontario B

The Thomson Collection at the Art Gallery of Ontario, Toronto 


Daz ist ein jung un arm mensch (en e nd) dich her

Voici un jeune et pauve homme, ( plains-le ?)

daz ist ein jung un arm mensch en e nd dich her Cologne Museum Schnutgen B daz ist ein jung un arm mensch en e nd dich her Cologne Museum Schnutgen A

Museum Schnütgen, Cologne


Der not der biteren Tot aller nocht oberst 1522

Les épreuves de la mort amère sont les plus fortes de toutes

der not der biteren Tot aller nocht oberst 1522 Munich, Bayerisches Nationalmuseum A der not der biteren Tot aller nocht oberst 1522 Munich, Bayerisches Nationalmuseum B

Munich, Bayerisches Nationalmuseum


VADO MORI alle hernach.f.k. mane. thetet phates.1504

Je vais mourir tout après, Mané, Thécel, Pharès (compté, pesé, et divisé)

vado mori alle hernach.f.k. mane. thetet phates.1504 Herzog Anton-Ulrich Museum Braunschweig A vado mori alle hernach.f.k. mane. thetet phates.1504 Herzog Anton-Ulrich Museum Braunschweig B

Herzog Anton-Ulrich Museum, Braunschweig


A la saint Navot

Dalton 1909 Catalogue of Ivory Carvings of the Christian Era with Examples of Mohammedan Art and Carvings in Bone in the British Museum 441 A« A la saint Navot » Dalton 1909 Catalogue of Ivory Carvings of the Christian Era with Examples of Mohammedan Art and Carvings in Bone in the British Museum 441 B« Point de devant a la mort »

Catalogue of Ivory Carvings of the Christian Era with Examples of Mohammedan Art and Carvings in Bone in the British Museum, Dalton 1909, N° 441


POUR LA MORT

POUR LA MORT XVIeme coll priv A POUR LA MORTXVIeme coll priv B POUR LA MORT XVIeme coll priv C

Collection privée

L’inscription côté transi est malheureusement illisible.


Sans inscription

ivory bear Bowdoin College Museum of Art

Bowdoin College Museum of Art


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Visage féminin et crâne

ANSI SERON NOV WI OV DEMIN FINIS

AINSI SERONS NOUS WI OV DEMIN FINIS Cologne, Museum Schnutgen A AINSI SERONS NOUS WI OV DEMIN FINIS Cologne, Museum Schnutgen B AINSI SERONS NOUS WI OV DEMIN FINIS Cologne, Museum Schnutgen C A LA MORT

Museum Schnütgen, Cologne

Côté crâne : A LA MORT.


ELLAS NEST(?) IL POINT POSSIBLE TAN ECHAPER

Dalton 1909 Catalogue of Ivory Carvings of the Christian Era with Examples of Mohammedan Art and Carvings in Bone in the British Museum 443 A Dalton 1909 Catalogue of Ivory Carvings of the Christian Era with Examples of Mohammedan Art and Carvings in Bone in the British Museum 443 B

Catalogue of Ivory Carvings of the Christian Era with Examples of Mohammedan Art and Carvings in Bone in the British Museum, Dalton 1909, N° 443


ESPOIR EN DIEU , MEMENTO

ESPOIR EN DIEU loc inconnue A ESPOIR EN DIEU MEMENTO loc inconnue B

Localisation inconnue
Catalogue of Ivory Carvings of the Christian Era with Examples of Mohammedan Art and Carvings in Bone in the British Museum, Dalton 1909, N° 444


NEST TIL POINT POSSIBLE

NEST TIL POINT POSSIBLE Toronto, Royal Ontario Museum B NEST TIL POINT POSSIBLE Toronto, Royal Ontario Museum A NEST TIL POINT POSSIBLE Toronto, Royal Ontario Museum C

Royal Ontario Museum, Toronto


Sans inscriptions

Dalton 1909 Catalogue of Ivory Carvings of the Christian Era with Examples of Mohammedan Art and Carvings in Bone in the British Museum 442

Catalogue of Ivory Carvings of the Christian Era with Examples of Mohammedan Art and Carvings in Bone in the British Museum, Dalton 1909, N° 441

Une balance figure côté crâne. Les inscriptions peintes sur les cartouches ont disparu.



Reine museum of medieval london

Reine, Museum of medieval London

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Christ et Crâne

Ces figurines associent à la figure du Christ couronné d’épines un crâne, que l’on peut présumer être celui d’Adam. Du coup, cette association à portée générale n’est pas accompagnée  d’une maxime, relative à la mort particulière du propriétaire.

Christ Grain de chapelet Tete de Christ et tete de mort Paris LouvreLouvre, Paris Christ 16th Museum fur Kunst und Gewerbe HambourgMuseum für Kunst und Gewerbe, Hambourg



sb-line

Tête christique et crâne

ChristTête barbue biface Christ Trois facesTête barbue triface


Christ 1550 ca
Vers 1550

Cette composition exceptionnelle est à la fois biface et bipartie (voir La mort bipartie).


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Visages triples

1530 ca Rosaire France ou PaysBas VA Museum A

Rosaire, France ou Pays-Bas
Vers 1530, Victoria and Albert Museum


1530 ca Rosaire France ou PaysBas VA Museum D 1530 ca Rosaire France ou PaysBas VA Museum C 1530 ca Rosaire France ou PaysBas VA Museum B

Homme, femme et tête de mort



Christ Triple1600 ca Vanity grain or remedy three sides. France or Flanders

Christ, Vierge et tête de mort, Vers 1600



1800-50 Christ Triple VA Museum

Christ, Vierge et tête de mort
1800-50, Victoria and Albert Museum



Christ Triple 17eme Vierge Mort

Christ, Vierge et tête de mort
Bois, 17ème siècle



Rosaire a 5 grains Cologne Museum Schnutgen A

Rosaire à 5 grains, Museum Schnütgen, Cologne

  • Grain 1 (biface) : Christ (Saint Face) et Vierge
  • Grain 2 (biface) : Christ (couronné d’épines) et Mort
  • Grain 3 (quadriface) : Jeune femme, femme, vieille femme, Mort
  • Grain 4 (triface) : Christ (couronné d’épines), Vierge, Crâne
  • Grain 5 (biface) : Roi couronné (Inscription: ‘MEMENTO FINIS’), crâne


Tetes trifaces Petit Palais Paris
Rosaire à 10 grains de taille croissante
Collection Duthuit, Petit Palais, Paris

Chaque grain est triface et comporte une tête de mort,.

Onze grains Tetes trifaces
Rosaire à 11 grains et un crucifix
Collection Duthuit, Petit Palais, Paris

A partir du crucifix on trouve :

  • un grain triface en format mi-corps, avec Saint Jean, La Vierge et la Foi ;

Onze grains Tetes trifaces Petit Palais Paris detail

  • neuf grains trifaces en format portrait avec des têtes variées (hommes, femmes, fou, moine, evêque, cardinal), et une tête de mort ;
  • un gros grain triface à mi-corps, avec les trois ennemis de François I : le pape Adrien VI, l’empereur Charles Quint et le roi d’Angleterre Henri VIII.

Pour voir tous les grains : https://www.parismuseescollections.paris.fr/fr/petit-palais/oeuvres/chapelet#infos-principales


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Visages quadruples

Musee Thomas Dobree Nantes 1 young man (Youth). ARMT'1 Jeune homme, inscription : ARMT Musee Thomas Dobree Nantes 2 Mort2 Crâne
Musee Thomas Dobree Nantes 3 Jeune femme 'RAMT'; 'V' (in the brooch); 'STA MARIA Opro nobi' (below the head)3 Jeune femme inscriptions : RAMT; V (dans la broche); ‘STA MARIA Opro nobi’ (sous la tête) Musee Thomas Dobree Nantes 4 old woman JAM MORTHEM or DAM MORTHEM4 Vieille femme, inscription : JAM (ou DAM) MORTHEM

Musée Thomas Dobrée, Nantes


Stuttgart, Landesmuseum Wurttemberg 1 Reine1 Reine Stuttgart, Landesmuseum Wurttemberg 2 Femme2 Femme
Stuttgart, Landesmuseum Wurttemberg 3 Vieille Femme3 Vieille femme Stuttgart, Landesmuseum Wurttemberg 4 Mort4 Mort

Stuttgart, Landesmuseum Wurttemberg


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Oeuvres plus récentes

Christ 17th allemagne buis17ème siècle, Allemagne, buis. Christ 18eme18ème siècle



Christ bois

Christ et crâne, avec médaillons de la Vierge et de Saint Jean
Flacon à parfum, 18ème siècle, noisetier, collection privée
Marque IHS sur la face inférieure


Christ 19eme A B Christ 19eme A A

Christ 19ème siècle



17th18th century Silver

17ème ou 18ème siècle, argent



cameo ca 1860-1870 France

Camée, France, 1860-70



1950 ca

Vers 1950


Format Mi-Corps

La Femme et la Mort

HELAS ECCE FINEM (Hélas voici la fin)

1475-1500 TroncDoubleB HELAS ECCE FINEM._French_ivory London, The Wernher Collection, Ranger's House

1475-1500, France, The Wernher Collection, Ranger’s House, Londres


HELAS MOURIR NOUS FAULT

1475-1500 HELAS MOURIR NOUS FAULT 08._French

1475-1500 HELAS MOURIR NOUS FAULT Memento mori from France or Belgium B 1475-1500 HELAS MOURIR NOUS FAULT Memento mori from France or Belgium A

1475-1500, France


COGITA MORI

COGITA MORI Fonds F. Boucquillon

Fonds F. Boucquillon


Sans inscription :

Vienna, Kunsthistorisches Museum C Reine

Grain terminal triface : Reine


Vienna, Kunsthistorisches Museum A Moine Vienna, Kunsthistorisches Museum B Mort

Moine, Mort
Kunsthistorisches Museum, Vienne


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Les amants et la Mort

EN MOI VOVS MIRES TES Q IE SUI SERES

Reconnaissez-vous en moi, tel que je suis, vous serez

EN MOI VOVS MIRES TES Q IE SUI SERES Louvre A EN MOI VOVS MIRES TES Q IE SUI SERES Louvre B


Musée du Louvre


Sans inscriptions :

1500-1530 AmantsMort rosary-bead-metropolitan-m-mori attributed to Chicart Bailly Paris A 1500-1530 AmantsMort rosary-bead-metropolitan-m-mori attributed to Chicart Bailly Paris B

1500-1530, attribué à Chicart Bailly MET, New York


1500-50 Amants et Mort Boston Museum of Fine Arts A 1500-50 Amants et Mort Boston Museum of Fine Arts B

1500-50, Museum of Fine Arts, Boston


sb-line

Le Jeune Homme et la Mort

1520-30 VADO MORI VetA Museum hautDessus 1520-30 VADO MORI VetA Museum basDessous

Grain quadriface, 1520-30, Victoria and Albert Museum

1520-30 VADO MORI VetA Museum jeune homme
Un jeune homme en costume de l’époque avec bonnet retroussé et bijou et une veste à col fourrure sur une chemise plissée ; banderole «AMOR M (un) DI» (Amour du monde).



1520-30 VADO MORI VetA Museum B
Dans son dos le même mourant, silhouette émaciée, une cage thoracique tenadant la peau et bouche ouverte ; sur son bandeau «VADO MORI» (je vais mourir). De part et d’autre, deux personnages hideux l’entraînent par les bras



1520-30 VADO MORI VetA Museum D
A droite, un diable, ou un lutin aux yeux exorbités et à la langue pendante, l’estomac rempli d’une tête hideuse ; banderole «SEQUERE ME» (Suis-moi).



1520-30 VADO MORI VetA Museum C
A gauche la Mort tenant un sablier, un escargot et des serpents rampant sur le crâne : banderole «EGO SUM» (je suis).


Format Corps entier

Ces cas sont beaucoup plus rares : il ne s’agit plus de grains de chapelets, mais de statuettes à part entière.

Sur la génèse de cette formule, voir La Mort dans le Dos (Frau Welt)

Références :
[0] Pour une base de données plus exhaustive, voir http://www.gothicivories.courtauld.ac.uk/search/results.html?qs=%09Rosary+bead

La mort bipartie

27 août 2020
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Les figures macabres biparties s’étalent de la fin du XVIème siècle à nos jours. Ce sont des objets rares, pour cabinets d’amateur de curiosités.

Ces images parlant d’elles-même, je me suis contenté d’essayer de les classer chronologiquement, bien que la plupart ne soient pas datées précisément.

Je remercie Ilse Dewitte [0a] pour les compléments et traductions qu’elle m’a communiqués.

Sur l’orgine de cette formule, voir Plus que nue.

Images biparties

Vanités

1580 Arcimboldo La Vanita Binningen. Collection DreyfusVanité
Suiveur d’Arcimboldo, vers 1580, Collection Dreyfus, Binningen.
1688 Catarina_Ykens_II_-_Vanitas_bust_of_a_lady_with_a_crown_of_flowers_on_a_ledge coll priveeVanité
Catarina Ykens II, 1688, collection privée


Gravure de Rene Guerineau 1615 - 1664 RijksmuseumGravure de Rene Guérineau, 1615-64, Rijksmuseum, Amsterdam

La beauté est chose fugace ; quel sage se fierait à un bien si fragile ?

Res est forma fugax; quis sapiens bono confidat fragili


Daniel Preisler, vers 1650 coll privDaniel Preisler, vers 1650, collection privée

Cette peinture  paraphrase, en allemand, la même maxime de Sénèque :

La beauté est chose éphémère
Quel homme sage pourrait faire
Confiance en un bien qui bientôt
Se brisera comme le verre.

Die Schönheit ist ein flüchtig ding
Welch weiser Man wolt den setzen sein
Zuversicht auf ein solch Gut das bald
Als wie ein Glas zubricht


Michiel Cnobbaert, 1669, Anvers ‘t Bedrogh van de wereldt (La tromperie du Monde), collection Ilse Dewitte

Quand le masque tombe,

on voit dans la tombe.

Het masquer af,

dan siet ghy ’t graf


Gerhardus Philippus Zalsman 1863 Museum Catharijneconvent, Utrecht schema1

Gerhardus Philippus Zalsman 1863 Museum Catharijneconvent, Utrecht schema2Een Brief aan U en mij (Une lettre à Toi et Moi), 1863, édité par Gerhardus Philippus Zalsman à Kampen, Collection privée et Museum Catharijneconvent, Utrecht

La lettre est pliée en deux verticalement, et en trois horizontalement. Au verso on voit d’abord Adam au Paradis, qui révèle en se dépliant Adam, Eve, le serpent et le Christ en Croix. En dépliant le bas apparaissent enfin le gisant et les demi-squelettes.


1860 Lithographie danoise Collection Sedivy Copenhague

1860, Lithographie danoise, Collection Sedivy, Copenhague



sb-line

A l’inverse de ces images de Vanité, d’autres faces biparties expriment l’espérance chrétienne en la résurrection de la Chair


84229120

Provenance et date inconnue

Le Christ vainqueur de la Mort, entouré de huit instruments de la Passion


Les mortuarium franciscains de Bohème

Mortuarium du couvent franciscain de Dacice 1675-1700
La tête est celle d’un frère franciscain, dont l’oeil est reflété par un miroir…


Mortuarium du couvent franciscain de Dacice 1675-1700 ensembleCouvent de Dačice, 1675-1700 Mortuarium du couvent franciscain de HostinneCouvent de Hostinné  

…lui même directement sous l’oeil de Dieu. La rose ou le tournesol à côté de la faux illustre la devise « florens meracui » (Florissant je me suis fané), de même que la partie chair et la partie os de la face.

Ces deux boiseries, provenant de la chambre mortuaire de deux couvents franciscains, sont les rares exemples de cette iconographie typiquement tchèque [0b].


Cabinets de curiosités

18th C. Wax_model_Wellcome_L0035770
Modèle en cire
18ème siècle, Wellcome Collection

18th century AustrianAutriche, 18ème siècle 18th Wellcome Collection18ème siècle, Wellcome Collection

Certains de ces tableaux étaient probablement une alternative bon marché aux onéreux et spectaculaires modèles en cire pour cabinets de curiosité.


18. Jahrhundert Stadtischen Museum Rosenheim Gedenck O Mensch Sich wer Du bist Wie ungleich Dott und Lebendig ist, suddeutsch 46 x 38,2 cm Johann Michael Eder 18. Jahrhundert Stadtischen Museum Rosenheim Mann_halb_lebend,_halb_skelettiert glass painting

 Johann Michael Eder, 18ème siècle, Stadtischen Museum Rosenheim

O Homme, pense à qui tu es, combien inégale est la mort et la vie

Gedenck O Mensch Sich wer Du bist Wie ungleich Dott und Lebendig ist


18. Jahrhundert Stadtischen Museum Rosenheim _Frau_halb_lebend,_halb_skelettiertPeinture sur verre, Allemagne du Sud, 18ème siècle, Stadtischen Museum Rosenheim 1769 Ecole Autrichienne, Vanite,Autriche, 1769


Les gravures de Valentine Green et leurs suites

1769 'An abridgement of Mr. Pope's Essay on man', by Valentine Green

An abridgement of Mr. Pope’s Essay on man
Valentine Green, 1769


1770 Valentine Green Death and Life Contrasted — or, An Essay On Man; An Essay On Woman Wellcome collectionAn Essay On Woman 1770 Valentine Green Death and Life Contrasted — or, An Essay On Man; An Essay On Woman LondonAn Essay On Man

Death and Life Contrasted, Valentine Green, 1770, Londres


1770 after Memento Mori – German coll Richard Harris

Memento Mori
Après 1770, Allemagne

Copie allemande de la gravure de Valentine Green

Johan Martin Will 1753-1800 Augsbourg Image pieuse Heut gefunfd und othAujourd’hui sain et rouge, demain pâle et mort Johan Martin Will 1753-1800 Augsbourg Image pieuse Le miroir de la vie et de la mortLe miroir de la vie et de la mort

Images pieuses Johan Martin Will, 1753-1800, Augsbourg Heut gefunfd und oth


1780-1820 Life_and_death._Oil_painting._ Wellcome Library no. 45063i
1780-1820, Wellcome Library


1820 - 1844 Messenger of mortality, or, Life and death contrasted National Library of Scotland1820-44, Messenger of mortality, or, Life and death contrasted, National Library of Scotland debut 19eme Messenger of Mortality Wellcome library Shrewsbury Waidson, printer.xx


1885 A_half-woman-half_skeleton_representing_free_trade_Wellcome_V0050371

One sided free trade, 1885

L’image coupée en deux est récupérée astucieusement pour critiquer les bénéfices unilatéraux du libre-échange.


Plus récemment

1856 Thomas Mondragon - Allegory of death Musee du Temple de la Profesa Mexico

Voici le miroir qui ne te trompe pas (Este es el epejo que no te engaña)
Thomas Mondragon, 1856, Musée du Temple de la Profesa, Mexico


1952 Ex libris Gerard Bergman
Ex libris par Gerard Bergman, 1952

dans la vie et la beauté se trouvent la paix et la liberté

in lieuwleven en schoonheid liege varevredde en vryheid


1999 Coil Unnatural history1999, pochette de Unnatural history, de Coil 2000 Collage Albane Simon2000, Collage d’Albane Simon

 

Paolo Schmidlin Dead ringer 2011
Dead ringer
Paolo Schmidlin, 2011

 

Ramon Gomez de la Serna David Vela

La mort vivante, tableau ayant appartenu à l’écrivain Ramón Gómez de la Serna,
Réinterpretation par David Vela (2008) [1]


Vicky Xu Skull girlSkull girl, Vicky Xu



Figurines biparties

Art précolombien

La dualité Mort-Vie et une constante des différentes cultures précolombiennes.


Culture olmeque bebe double Museo Nacional de la Muerte Aguascalientes Culture olmeque Figure double Museo Nacional de la Muerte Aguascalientes

Culture olmèque,2500-500 av JC, Museo Nacional de la Muerte, Aguascalientes


Culture tlatilco-mask-1100-600-bc Culture Tlatilco 1250-700 av JC

Culture Tlatilco, 1250-700 av JC


Culture Maya human head effigy pot Ca. 600-850 A.D Boston’s Museum of Fine Art600-850 après JC, Museum of Fine Art, Boston Culture Maya Guatemala 500-900 apres JCGuatemala 500-900 après JC

Culture Maya


Culture veracruz,_testa_con_vita_e_morte,_300-600_dc National Gallery of VictoriaCulture de Veracruz, 300-600 après JC, National Gallery of Victoria Culture Veracruz Masque moderneVeracruz, masque moderne


Culture zapotheque 800-900 ap JC Museo de Antropologia ChapultepecCulture zapotheque, 800-900 ap JC, Museo de Antropologia, Chapultepec Culture azteque Masque des trois ages Museo Nacional de la Muerte AguascalientesMasque des Trois Ages
Culture aztèque, 1200-1500 ap JC, Museo Nacional de la Muerte, Aguascalientes


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Objets de piété occidentaux


TeteDoubleF German rosary, circa 1500-1525 Metropolitan Museum of Art TetedoubleFbis Memento Mori. Carved ivory rosary, early 16th century. Currently in the Metropolitan museum of art, New York.

Grains terminaux d’un chapelet en ivoire
Allemagne, 1500-1525, Metropolitan Museum of Art

Dans cet exceptionnel chapelet à huit grains, seuls les éléments terminaux sont bipartis. L’un montre un homme barbu les yex fermés, l’autre un transi glabre et déjà rongé par les vers.


TetedoubleFbis Memento Mori. Carved ivory rosary, early 16th century. Metropolitan museum of art, New York complet 17.190.306 A TetedoubleFbis Memento Mori. Carved ivory rosary, early 16th century. Metropolitan museum of art, New York complet B

Chapelet complet

Quatre autres grains sont bifaces homme / femme.  Par surprise, le troisième et le sixième grain accouplent l’homme et la femme à un squelette.


Fonds F. Boucquillon

Date et provenance inconnue, Fonds F. Boucquillon

Dans cette composition particulièrement baroque :

  • un oiseau et une serpent mangent l’oeil qui reste côté crâne ;
  • un oiseau mange l’oeil et un vers mange une grenouille côté transi.

Tetedouble-French_-_Pendant_with_a_Monk_and_Death_-_Walters Art MuseumWalters Art Museum Tete bipartie Collection priveeCollection privée
Base SPINA CORONAE CHRISTI DOMINI
Inscrit sur la base : SPINA CORONAE CHRISTI DOMINI.
Grain terminal de chapelet en ivoire sculpte. Probablement XVIIIe siecleProbablement 18ème siècle
TeteDoublec MEMENTO-MORI 2 coll privee TeteDoublec MEMENTO-MORI 1 coll privee
TeteDouble B Tetedouble C Ivory_model_of_a_half_head,_half_skull._Front_view._Black_ba_Wellcome

Les éléments de chapelet en ivoire avec une tête barbue évoquant le Christ, un religieux ou un transi ont été assez répandues, et sont très difficiles  à dater.


Unique-Antique-Georgian-Memento-Mori-Gold-Silver-Ring Very-Rare-Antique-Georgian-Memento-Mori-Silver-Ring

Bagues d’époque géorgienne

Ces deux bagues complémentaires, un transi et un homme barbu mangés par des serpents, semblent copiées sur les pendants de chapelets.


1650-1700 Statue_-_Tiroler_Volkskunstmuseum Innsbruck1650-1700, Tiroler Volkskunstmuseum, Innsbruck 18th Linz, Stadtpfarrkirche - GrabplattePierre tombale
18ème siècle, Stadtpfarrkirche, Linz




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Objets de Curiosité

Eve-et-le-serpent-Date-inconnue-Science-museum-London-A Eve-et-le-serpent-Date-inconnue-Science-museum-London-B

Eve et le serpent
Date inconnue, Science museum, Londres


Ivory-bust-of-General-Wallenstein-Europe-after-1634-Science-museum-London Ivory bust of General Wallenstein, Europe, after 1634 Science museum London detail

Mémorial du Général Albrecht von Wallenstein, après 1634, Science museum, Londres


19eme ecorche et squelette coll partEcorché et squelette, TetedoubleCItalie, XIXème siècle
TetedoubleItaly, Late 1800 Science Museum Londonbuis, Science Museum London Toscane, 18èemeToscane, 18ème siècle
19eme fin Canne a pommeau en ivoire sculptepommeau de canne en ivoire
19ème siècle, collection particulière
1800 caVers 1800
 1810-1850-English-Figure-de-cire-A-Science-museum-London 1810-1850-English-Figure-de-cire-B-Science-museum-London

Figures de cire demi-écorchées, 1810-1830, Science museum, Londres


1850 ca fole de poison victorienne

Fiole de poison victorienne, vers 1850



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Plus récemment


Taiji Taomote B Taiji Taomote A
Taiji Taomote Taiji Taomote C

Taiji Taomote


Damien Hirst The Anatomy of an Angel 2008 Damien Hirst The Anatomy of an Angel 2008 detaildétail

The Anatomy of an Angel
Damien Hirst 2008



Références :
[0a] Sites de Ilse Dewitte : https://www.democritus.be/
https://www.benl.ebay.be/str/octopusbiblio
[0b] Ars Moriendi, Loreto exhibition catalogue, 4th May to 30th November 2012 https://issuu.com/loreto-prague/docs/ars_moriendi_en
[1] http://seronoser.free.fr/ramon/edad

Plus que nu

23 août 2020
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Le comble de la Nudité : le squelette !



Crivelli, 1482, Tryptique de Saint Dominique, Brera, Milan

Triptyque de Saint Dominique
Crivelli, 1482, Brera, Milan

Les oeuvres de Crivelli sont parsemées de détails hyperréalistes agencés selon des symétries qui appellent les interprétations, pour les déjouer aussitôt. L’agencement des fruits et des légumes (concombre, gousse de fève ouverte à côté de la fracture du marbre) entremêle les les symboles du Péché originel (pomme, poire, pêche) avec ceux de la Rédemption (cerises de la Passion, raisins de l’Eucharistie), sans autre logique que le diversité et la fantaisie.

Les frises, ici particulièrement inventives, sont l’occasion d’un jeu de piste sur le thème de la mise à nu.


Crivelli, 1482, Tryptique de Saint Dominique, Brera, Milan detail volet gauche

Frise du volet gauche

A gauche, la tête chevelue, sculptée en bas-relief dans le marbre, est encadrée par deux crânes de fantaisie particulièrement grimaçants (un carnivore et un caprin), qui regardent eux-aussi vers le bas.


Crivelli, 1482, Tryptique de Saint Dominique, Brera, Milan detail volet droit

Frise du volet droit

A droite, une tête chauve, la seule à regarder vers le haut, est encadrée par deux crânes humains et deux crânes animaux identiques (sans doute de chien).


Une logique possible (SCOOP !)

Les deux saints dominicains du tableau (Saint Dominique à gauche, Saint Pierre Martyre à droite) arborent une parfaite tonsure, d’autant mieux mise en valeur par la hache fiché de le crâne du second.



Voyez-vous la logique des deux frises ?

Si l’on part de l’idée que le crâne nu est synonyme de sainteté ou de salut :

  • la tête chevelue en marbre, entourée de bêtes sauvages et regardant vers le bas pourrait représenter l‘homme après la Chute ;
  • la tête glabre et blanche, du côté de l’Enfant Jésus, entre deux animaux domestiques et deux crânes humains, évoque assez bien l’homme après le Christ, auquel est promis la résurrection de la chair.


La Mort déguisée en fille

Au début du XVIème siècle, dans les pays germaniques, l’accoutumance à la formule des Danses macabres permet de nouvelles audaces dans les rapports entre le squelette et la femme.

Carte de voeux publiee a Munich 1500-1510 British Museum

Carte de voeux publiee à Munich
Textes de Hans KVRCZ, 1500-1510, British Museum 

Pour l’analyse de cette image, voir 1 La Coquetterie : diabolique ou mortelle. La formule de la Mort déguisée en femme restera assez courante pendant un siècle et demi :

1650 ca Altzenbach, Gerhard Wellcome collectionGerhard Altzenbach, vers 1650, Wellcome collection 1680 ca Wellcome libraryAnonyme, Vers 1680, Wellcome collection


 Voici la légende de la gravure :

O Hélène à la mode, riche et orgueilleuse comme un paon, pense vite au Jugement dernier pour avoir une bonne fin

« O alamodo Helenna leichtfertig reich stoltz wie ein Phow, Gedenkt an Gottes Gericht behendt, so wirstu han ein gutes Endt »

La critique de la vaine élégance s’exprime, dans le tableau, par le fait que la Mort confectionne elle-même les dentelles qui la travestissent.



La Mort qui danse, 1865
Félicien Rops , musée Félicien Rops, Namur

Deux siècles plus tard, ces frous-frous se retrouvent dans ce dessin, directement inspiré du poème de Baudelaire, La danse macabre, paru dans l’édition de 1861 des Fleurs du Mal [5a] :

Vit-on jamais au bal une taille plus mince ?
Sa robe exagérée, en sa royale ampleur,
S’écroule abondamment sur un pied sec que pince
Un soulier pomponné, joli comme une fleur.

La ruche qui se joue au bord des clavicules,
Comme un ruisseau lascif qui se frotte au rocher,
Défend pudiquement des lazzi ridicules
Les funèbres appas qu’elle tient à cacher.


Felicien Rops - The Human Parody (1878-1881) Musee Rops Namur
Coin de rue, quatre heures du matin, Parodie humaine, 1878-1881
Félicien Rops , musée Félicien Rops, Namur

Cet autre dessin de Rops travestit la Mort en fille de joie longiligne. Au dessus de la porte en forme de caveau, le panneau « Loge à la nuit » ironise sur la nuit éternelle qui attend le client piégé.


La Mort sous la Jupe

Rapidement apparaissent des formules plus libidineuses, des formules plus libidineuses, où la Jeune Fille et la Mort se rencontrent sous la jupe.

Niklaus Manuel, dit Deutsch - Tod und Madchen 1517 musee des BA BaleLa Jeune Fille et la Mort
Niklaus Manuel, dit Deutsch, 1517, Musée des Beaux Arts, Bâle [6]

Deutsch dynamite la formule conventionnelle de la Jeune Fille et la Mort en montrant la seconde subjuguée par la jupe de la première  (voir Les deux faces de la Bethsabée de Bâle)

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Jupes relevables

Au XVIème siècle apparaissent les premières images à volet soulevable.  L’innovation est aussitôt appliquée aux dessous des filles, dans une intention moralisatrice… ou pas.


1520 ca Fileuse Berlin StaatsbibliothekFileuse, Vers 1520, Staatsbibliothek, Berlin

Une des plus anciennes gravures actionables révèle, sous la jupe de la fille, le serpent qui caresse ses parties intimes : prétexte moralisateur à une intention naïvement pornographique.

Sur la page d’en face de l’album, on lit cette inscription manuscrite [0b] :

Explication de l’image

Le monde est joyeux à voir
Cela, tu dois le comprendre d’après mon apparence.
Qu’elle soit belle, noble, jeune ou vieille
Dans peu de temps elle sera
Comme tu me vois sous mon tablier.
Pense souvent à ton Jugement dernier !

Die Auslegung der Figur

Die Welt ist frolich zu sechen an
Das soltu bey mir in der figur verstan.
Er sey schon, edel, jung oder alt.
In ainer kurtz wirt er also gestalt,
Als du mich sichst under dem schurtz mein.
Gedenck offt an das lest urtheyl dein!


1578 Donato Bertelli Le vere imagini et descritioni delle più nobilli citta del mondo p 27 1578 Donato Bertelli Le vere imagini et descritioni delle più nobilli citta del mondo p 28

1578, Donato Bertelli, Le vere imagini et descritioni delle più nobilli citta del mondo, p 27 te 28, photos Laura Moretti [0a]

Le livre du vénitien Bertelli contient plusieurs de ces gravures à volets, tous placés sous des jupes ou des rideaux pour que le lecteur les trouve facilement. Cette double page juxtapose sans vergogne libido et memento mori :

  • l’image de gauche révèle, sous la robe, les célèbres chopines, chaussures à semelles hyper-compensées des courtisanes vénitiennes ;
  • l’image de droite exhibe un squelette dépourvu de tout sex appeal ; la belle femme montre du doigt la légende « ERRIGE OCULOS ET VIDE QUID ERIS », « Lève les « yeux » et vois ce que tu seras ».


1596 Matthias Greuter Frau Welt photo Suzanne Karr SchmidtVanité, Matthias Greuter, 1596, photo Suzanne Karr Schmidt [0b]

La belle femme est escortée par Adam et Eve. Relever sa jupe fait apparaître la conséquence du Péché Originel, le cercueil, sur lequel on peurt lire la traduction française de la sentence latine (une adaptation du Psaume 103:15) :

Toute chair est comme l’herbe et sa gloire est comme la fleur des champs.

Omnis caro foenum et gloria eius sicut flos agri


1600 Goltzius L'Orgueil NGA A

L’Orgueil, Conrad Goltzius (frère d’Hendrick Goltzius), vers 1600, NGA 

Cette imitation constitue une vigoureuse réflexion sur l’Orgueil, amorcée dès l’inscription latine :

Extérieurement, je suis décorative, mais intérieurement je suis maudite.
Magnifiquement faite, je suis une honte proférée par l’Orgueil.

Exterius Picta, Sumque Interius Maledicta,

Magnifice Ficta, Sum Foeda Superbia Dicta.

La traîtresse est flanquée par deux atlantes, homme et femme, et entourée par quatre médaillons montrant la punition de grands orgueilleux :

  • Lucifer chassé du ciel,
  • Adam et Eve chassés du Paradis,
  • Nabuchodonosor vivant dans les bois durant sept ans,
  • Hérode qui finira bouffé par les vers.

1600 Goltzius L'Orgueil NGA B

Relever la robe révèle la vraie nature du Paon, qui n’était autre que le Serpent, et fait apparaître  Adam, assis sur le cercueil et acceptant la pomme d’Eve : le Péché originel est avant tout un péché d’Orgueil, celui de se croire l’égal de Dieu.


1600 Golzius (c) The Trustees of the British Museum

COGNITO PECCATORUM UTILIS
Conrad Goltzius, vers 1600, (c) The Trustees of the British Museum

Le pendant masculin est encadré des vignettes de six péchés capitaux, faisant deviner que la figure centrale illustre le septième, l’Orgueil. Le titre interpelle celui qui a compris l’astuce :

Connaître les péchés est utile, mais ne peut enlever la Punition.

COGNITO PECCATORUM UTILIS / POENAM TAMEN TOLLERE NEQUIT

En relevant le volet, on découvre cette Punition : l‘Expulsion d’Adam et Eve du Paradis.


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Jupes relevées

La solution du pauvre : supprimer le volet.


1585-1615 Gillis van Breen La Vanite (IJdelheid) Rijksmuseum
La Vanité (IJdelheid)
Gillis van Breen, 1585-1615, Rijksmuseum

L’intéressant ici est que les deux plans de l’image traduisent le relèvement du volet :

  • à l’arrière-plan, la situation fausse, telle que la perçoit l’homme à l’esprit embrumé (la fumée équivaut au volet baissé) ;
  • au premier plan, la réalité crue (équivalente au volet relevé).

1597 CAPRONICA Cesare Speculum peregrinationes humanae Speculum peregrinationes humanae
Cesare Capronica, 1597

La suppression du volet aboutit à cette chimère Mort-Fille, image-choc que l’auteur a jugé bon d’accompagner  par de nombreuses sentences tirées des meilleurs spécialistes.

Sur la banderole auprès du cadavre vivant, un distique original :

Que ne te (trompe) pas la femme belle en haut, seuls (demeurent) en dessous les os fétides. Ne te (decipiat) mulier formosa superne, ossa subornata foetida sola (latent)


Sur le tombeau de la morte :

Je serais comme n’ayant pas été, on m’aurait porté du ventre à la tombe. Job 10, 19 Fuissem quasi qui non essem de utero translatus ad tumulum
 
D’abord sperme fétide, j’ai vécu comme une maison pleine d’ordures, préparée pour le repas des vers. Paraphrase de Saint Bernard, Meditationes piissimae de cognitione humanae conditionsis, cap 3 Prius sperma foetidum, Vixi domus stercorum, Paratus esca vermium

1657-63 LAGNIET Jacques - Les femmLes femmes sont inconstante (sic) comme la lune – pl.5 du « Second livre des proverbes »
Jacques Lagniet, 1657-63

L’image illustre plusieurs proverbes. La pinup-squelette, copiée sur l’Orgueil de Golzius, en recopie également la sentence :

« Toute sa fleur est foin et sa gloire comme la fleur au champ »


1620-30 Bloemaert, Abraham Death and the Lovers Dessin Courtauld InstituteLa Mort et les Amoureux
Abraham Bloemaert, 1620-30, Dessin, Courtauld Institute
Anonyme cremonais phototheque ZeriAnonyme crémonais, XVIème siècle, photothèque Zeri

Le memento mori sert de prétexte à ces images troublantes et rares, première forme moralisée du striptease.

De l’esthétique anatomique à la mort bipartie

Parallèlement à ce goût général du XVIème siècle pour le macabre, les artistes ont fait des progrès dans le représentation réaliste du corps humain, faisant ressortit non pas ce qu’il a d’effrayant, mais de complexe et de parfait.

DOMENICO DEL BARBIERE Anatomical Study,1540-50,British Museum,London
Domenico del Babiere, Etude anatomique,1540-50, British Museum,Londres

Les illustrations d’anatomie popularisent la représentation de corps à divers stades de la dissection.


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Les premières images anatomiques à volets

1543 Vesale Epitome A 1543 Vesale Epitome B

Vesale, Epitome, 1543

Dans cet ouvrage, Vesale fournit, au dos de la planche féminine, un texte expliquant comment découper et coller les organes de la planche fournie en annexe, afin d’obtenir une image interactive du corps humain [0d]


1544 Heinrich Vogtherr. Strasbourg edite par Jacob Frohlich A

1544 Heinrich Vogtherr. Strasbourg edite par Jacob Frohlich B2 1544 Heinrich Vogtherr. Strasbourg edite par Jacob Frohlich B1

Heinrich Vogtherr, Strasbourg, edité par Jacob Frohlich en 1544

Mais l’idée avait été mise en oeuvre dès 1538 par le graveur Heinrich Vogtherr, dans ces deux planches qui seront maintes fois rééditées [0e]


1547-68 Anatomie tres-utile edite par Gyles Godet (c) The Trustees of the British Museum A

1547-68 Anatomie tres-utile edite par Gyles Godet (c) The Trustees of the British Museum BAnatomie tres-utile edite par Gyles Godet, 1547-68, (c) The Trustees of the British Museum

Ces images éducatives autant que troublantes vont désormais se multiplier . [0f]


Lucas Killian 1619 Visio catoptri Microcosmici prima edition 1661 Lucas Killian 1619 Visio catoptri Microcosmici secunda edition 1661 Lucas Killian 1619 Visio catoptri Microcosmici tertia edition 1661

Lucas Killian, 1619, Visio catoptri Microcosmici Prima, Secunda, Tertia (édition de 1661) [0g].

L’apothéose est atteinte avec ces trois gravures, dont la complexité multicouche ne sera pas dépassée. Le plus fascinant pour un oeil moderne est la cohabitation de la précision scientifique avec des considérations morales qui truffent les images de manière souvent énigmatique.



Lucas Killian 1619 Visio catoptri Microcosmici prima detail1Visio catoptri Microcosmici Prima (détail)

Ainsi le sexe féminin est encadré par deux figures de la Fugacité (D et E) :

Aujourd’hui roi

Meutre demain

Hodie rex

Nex cras


Il est protégé par un volet montrant la figure de l’Envie (INVIDIA), qui selon Ovide se norrit de serpents. La lettre A (qui désigne l’ombilic (et dans les images sous-jacentes l’uterus) renvoie à un passage de l’introduction :

comme le diable séduisant présentant la pomme à travers le serpent (A)

als durch die (A) Schlang der verführische Teufel den Apfel darzeichend,

L’Envie dont il est ici question est donc celle du Serpent pour la Pomme, d’où découle l’Envie sexuelle et la malédiction de l’Engendrement et de la Mort.

Les autres mots sont passablement sybillins : deux sont grecs , ORGE (Colère) et NEANIAS (Jouvenceau). Neanias est un jeune homme qui, dans la comédie humaniste Paedia, hésite entre deux femmes qui personnifient la Volupté et la Vertu . Comme le mot est tourné vers le haut, par opposition au mot DIABOLE, il incite probablement l’étudiant à choisir le chemin de la vertu.

Les deux citations au-dessous concernent toutes deux l’Envie :

  • « La pâleur règne sur son visage, la maigreur s’est emparée de son corps » Ovide, Métamorphoses, Livre II
  • « Les discours sont pâture pour l’envie. Toujours elle s’attaque aux bons et ne lutte pas avec les mauvais ». Pindare, Odes néméennes, VIIII

Lucas Killian 1619 Visio catoptri Microcosmici prima detail2 Lucas Killian 1619 Visio catoptri Microcosmici prima detail3

Après ces pédantismes, il faut encore écarter un linge bien inutile avant d’arriver au vif du sujet.



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Les premières images anatomiques biparties

1560 ca Giulio Bonasone - Plate 14 from a series of 14 engravings of anatomical studies
Giulio Bonasone, vers 1560, dernière planche d’une série de 14 gravures anatomiques, sans texte

La série de gravures anatomiques réalisée par Giulio Bonasone, qui place des squelettes ou écorchés dans diverses postures plastiques, semble s’adresser moins aux amateurs de science qu’aux artistes ou philosophes [0h]. La dernière planche est à part : c’est la toute première fois que le squelette et le corps intact sont fusionnés en une image comparative purement théorique, qui échappe à toutes les pratiques de la dissection.


Memento Mori espagnol 1650 ca coll privMemento Mori espagnol, vers 1650, collection privée Etching by J. G. Hidalgo, c. 1691 wellcome libraryGravure de J. G. Hidalgo, vers 1691,  Wellcome library

Cette étonnante Marie-Madeleine séduit le spectateur par sa partie haute, et le crâne par sa partie honteuse.

En contradiction avec ce tronçonnage moraliste, le partage vertical marque bien l’évolution du corps pécheur au corps rationnel.


Le miroir de la vie et de la mort gravure XVII Musee Carnavalet, ParisLe miroir de la vie et de la mort, gravure XVIIème, Musée Carnavalet, Paris

Sous l’influence  de ces représentations anatomiques,  la formule qui s’impose définitvement, à partir du milieu du XVIIèeme siècle, est celle de la division verticale. Pour un échantillon assez étoffé de telles images peintes ou sculptées, voir  La mort bipartie.


Chimères Mort-fille : la postérité

01 1875 ca Rops-Naturalia ad majorem diaboli gloriamAd majorem diaboli gloriam, Rops, dessin, vers 1875 Squelette date inconnueDate inconnue

Je n’ai malheureusement pas pu trouver la source de l’image de droite. Sur la série des Naturalia de Rops, voir 2 Les pantins de Rops.



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Solana

gutierrez-solana-el-espejo-de-la-muerte-ca-1929

Le miroir de la Mort
José Gutiérrez Solana, vers 1929

D’après le biographe de Solana, Manuel Sánchez Camargo, le tableau est inspiré par l’histoire macabre d’une homme qui avait acheté un cadre pour un miroir destiné à sa fille. Or le cadre avait servi auparavant, dans une église, à encadrer la liste des morts. Peu de temps après avoir reçu le miroir, la fille mourut subitement.

Du coffre de mariage, en bas, sortent en guise de cadeau surprise un crâne de géant et un squelette d’enfant ; tandis que par devant, l’ex-voto d’une main féminine enserré par une main masculine évoque le mariage qui n’aura pas lieu.

Pour Solana, ce sujet particulièrement riche est aussi l’occasion de décomposer, en trois temps, le dénudement de la fille :

  • en robe et les cheveux tirés ;
  • nue et les cheveux dénoués ;
  • plus que nue et sans cheveux.


Jose Gutierrez Solana 1927 La Baraja de la Muerte
Le pont de la mort (La Baraja de la Muerte)
José Gutiérrez Solana, 1927

Le même cadre rouge orné de crânes et de tibias apparaissait déjà dans cette oeuvre antérieure : le « pont de la mort » est matérialisé ici par la tête double-face, qui perd dans le miroir son turban et sa peau.


AINSI SERONS NOUS WI OU DEMAIN Ivory_model_of_a_skull_and_a_human_head,_France_Wellcome

AINSI SERONS NOUS HUI OU DEMAIN
Tête double face en ivoire, France, date inconnue, Wellcome Collection

Ce type d’objet de curiosité existe effectivement. Pour consulter ma collection, voir La mort biface.


Jose Gutierrez Solana. Cabezas y Caretas, 1943 Musea Reina Sofia, Madrid
Têtes et masques (Cabezas y Caretas)
José Gutiérrez Solana, 1945

Autre manière de montrer que la chair n’est qu’un masque qui cache le squelette et la bête.


date inconnue
Date inconnue

Même idée de striptease poussé à la limite, dans une culture moins catholique.



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Ernest Boiceau Le Reflet coll priv

Le Reflet, Ernest Boiceau, collection privée

Ce tableau du designer suisse Ernest Boiceau fusionne ici le thème de Narcisse avec celui de la Jeune fille et la mort.



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Magritte

Magritte le double secret 1927
Le double secret 
Magritte, 1927, Centre Pompidou, Paris

Nous suivons ici dans ses grandes lignes l’analyse détaillée de Nicole Everaert [1].

En enlevant la peau pour montrer la structure cachée, l’oeuvre fonctionne à la fois selon le principe du dévoilement et celui du dédoublement (puisque le visage enlevé est conservé à côté, comme un masque).

Que voit-on à l’intérieur ? Des grelots invaginés dans une membrane métallique : nous effleurons  ici le thème de l’automate, du mécanisme caché sous la chair.

Pour Nicole Everaert, une clé de lecture possible pourrait être le mot de « marotte », qui signifie à la  fois le sceptre du fou, garni de grelots, et « une tête de femme, en bois, carton, cire …, dont se servent les modistes, les coiffeurs ».

Une seconde clé est fournie par le titre, qu’on peut lire de deux façons  : « Est-ce le secret qui est double  ? Ou le double qui est secret ? Les deux à la fois!  » :

  • lorsque « double » est l’adjectif et « secret » le substantif , nous voici dans le thème du dévoilement et de l’absence de parole : exprimés visuellement par le masque inexpressif et par les « grelots réduits au silence par leur fixation  sur   la   surface   ondulée ».
  • lorsque « double » est le substantif  et « secret » l’adjectif, nous voici dans le thème du dédoublement : la copie dissimulée à l’intérieur de nous-même n’est qu’une collection de grelots (ou de hochets) ; le visage mystérieux ne cache finalement que du rien.




Rene_Magritte_le_cercle_vicieux_1937

Le cercle vicieux
Magritte, 1937, perdu durant le Blitz en 1940

Une femme enlace et embrasse son double anatomique.

Pourquoi ce cercle est-il vicieux ? Parce que si la femme a été coupée en deux comme une carcasse animale, alors les deux moitiés que nous voyons sont en fait la même, vue de devant et de derrière. L’enlacement amoureux n’est qu’un substitut à un recollage impossible : parfaite illustration de l’Androgyne de Platon.



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Delvaux_La Conversation 1944

La conversation
Delvaux, 1944, Collection privée

Au XXème siècle, le thème de la Jeune Fille et la Mort s’enrichit de nouvelles possibilités. On sait que le squelette vu en radiographie n’est autre que  l’ombre du corps. Si la lampe de gauche est à la fois aux rayons X et au pétrole, alors elle projette la femme sur le squelette, et le squelette sur le mur.

Le double rideau vert accentue l’effet gémellaire entre la jeune fille mélancolique et son ombre radioscopique.


Calendar 2010 Medical imaging firm EIZO june
Pinup vue aux rayons X
Calendrier Juin 2010 de la firme EIZO (imagerie médicale)

Non content de mettre le dedans dehors et d’inverser le blanc et le noir, cette technique radicale fait le contraire de l’artiste, en mettant à plat la profondeur.


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LEONOR FINI – L’ANGE DE LA ANATOMIE (1949)

L’ange de l’anatomie
Léonor Fini, 1949, lithographie

Ici le dénudement s’effectue par parallélisme :
LEONOR FINI – L’ANGE DE LA ANATOMIE (1949) schema

  • le V des ailes tombe dans le V du tissu ;
  • le triangle de la perruque tombe dans celui des bras.


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Decalcomanie Magritte 1966

Décalcomanie
Magritte, 1966, Collection privée

Il y a de nombreuses manières de décrire ce tableau.

On pourrait dire qu’il nous restitue, en projection sur un  rideau de cinéma, non pas ce que l’homme en chapeau regarde, mais ce qu’il nous empêche de voir. Ainsi le pendant glisse sémantiquement de « couper la vue » à « découper la vue ».

On pourrait aussi dire que dans le pendant de gauche, l’homme est devant le rideau qui est devant la mer. Et que dans le pendant de droite, le rideau est devant la mer qui est devant  le rideau qui est devant la mer.Autrement dit : supprimer  l’homme, c’est supprimer  la profondeur et créer une régression à l’infini.

Ou bien, d’une manière plus condensée : sous son chapeau et sa redingote, l’homme est un être rempli de nuages.

Ou encore  : plus que nu.



sb-line

Clovis trouille 1955 la-grasse-matinee

La grasse matinée
Clovis Trouille, 1955

Clovis Trouille décompose la même idée, en débandelettant sa momie jusqu’à l’absence.



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Madeline von Foerster La promesse 2012 Coll privee

La promesse 
Madeline von Foerster, 2012, Collection privée

Le dialogue entre la vivante et la morte se noue autour de la promesse d’une permanence de l’âme (le papillon qui, ayant abandonné la coquille, habite maintenant dans le chêne). Les motifs en fleurons des pilastres sont dédiés au couple, aux foetus, et au coeur qui les irrigue.



L’Art anatomique

Cette nouvelle forme artistique, très décorative, est devenue la spécialité de certains graphistes ou peintres [2]

Keith Weesner 2006 The visible vixen
The visible vixen
Keith Weesner, 2006

Avec ce kit imaginaire, Keith Weesner révèle avec humour non pas l’intérieur sous la peau, mais le voyeur derrière l’amateur d’anatomie


LucioPalmieri 2013 Collage The legs of John Willie

The legs of John Willie
LucioPalmieri, 2013, Collage

Autre manière efficace de fusionner deux genre d’images sous le manteau.


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FFO (For Fans Of)

Ce graphiste moscovite anonyme et gratuit effectue sous Paintool et Photoshop des détournements à la fois esthétiques et pleins de sens.

FFO A 20132013 FFO B 20142014
FFO C FFO D
FFO E FFO F
FFO G FFO H
FFO I FFO J



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Fernando Vicente [3]

Vanitas-Fernando-Vicente Carne d'amourVanitas-Carne d’amour Vanitas-Fernando-Vicente-19-GravidezVanitas-Grossesse



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Michael Reedy [4]

Michael Reedy Expulsion

Expulsion

Michael Reedy utilise le vocabulaire graphique médical pour confronter une femme nue, entourée de formes biologiques aux couleurs chaudes, et son double rendu transparent et multicolore, entouré de structures moléculaires et cristallines. Seule l‘ombre commune fait contact entre ces deux entités qui s’ignorent.


Michael-Reedy-self-portrait
Autoportrait

Sur les mêmes fonds opposant le minéral et l’organique, chacun ici garde son ombre.


michael reedy

69, POSSIBLY 80                                                                                                  by 35
Michael Reedy

Le pendant féminin/masculin se combine avec les nombreuses oppositions  que génèrent les zones disséquées : caché/voilé, uni/coloré, uniforme/multiforme, esthétique/organique,  synthétique/analytique…


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Marie-Noëlle Pécarrère

Marie-Noelle Pecarrere C Marie-Noelle Pecarrere D
Marie-Noelle Pecarrere A Marie-Noelle Pecarrere B



La mode anatomique

Skeleton dress Study of figures Dali 1938Etudes pour la robe-squelette, Dali, 1938 Skeleton dress Elsa Schiaparelli 1938Robe-squelette, Elsa Schiaparelli, 1938

Cette robe en un seul exemplaire est un des modèles crées lors de la collaboration entre Dali et Schiaparelli [5]


revealing she's baring her heart Annees 50

« Revealing she’s baring her heart », Années 50

A la grande époque de l’effeuillage, un couturier parisien anonyme a mis au point ce modèle, permettant d’aller jusqu’au coeur du sujet.


John Lucas, 1985, costime d'Halloween pour Katy KeeneJohn Lucas, 1985, costume d’Halloween à découper, pour son personnage Katy Keene halloween bat Leha van Kommer 2015 caHalloween, Leha van Kommer, vers 2015

Outre-Atlantique,

Skeleton dress Alexander McQueen 2009
Skeleton dresses, Alexander McQueen, 2009

En 2009, la robe-squelette revient dans la haute couture.


Oscar Olima 2009 Lady GagaCostume de scène de Lady Gaga par Oscar Olima, 2009 Jean Paul Gaultier Costume de scène de Mylene Farmer, tournee No 5, 2009Costume de scène de Mylène Farmer par Jean Paul Gaultier , tournée No 5, 2009

On note une certaine concurrence dans le défi chic à la mort.


Skeleton Dress by Iris Van Herpen 2011Robe pour un concert Joe Hisaishi, pour la chanteuse taiwanaise Mei, vers 2011 2011 ca Taiwanese singer Mei robe concert Joe Hisaishi,Robe squelette par Iris Van Herpen, 2011

Deux exemples parmi d’autres de cette mode anatomique, qui semble avoir aujourd’hui fait son temps.



Références :
[0a] https://www.thinking3d.ac.uk/Bertelli1578/
[0b] Suzanne Karr Schmidt, « memento Mori, the deadly art of interaction », dans « Push Me, Pull You: Imaginative, Emotional, Physical, and Spatial Interaction in Late Medieval and Renaissance Art », vol 2, p 261
[0c] Margherita Palumbo, « A Unique Souvenir from Venice, » 28 August 2019, https://www.prphbooks.com/blog/2019/8/27/a-unique-souvenir-from-venice
[0d] Jacqueline VONS « L’Epitome, un ouvrage méconnu d’André Vésale (1543) »
https://www.biusante.parisdescartes.fr/sfhm/hsm/HSMx2006x040x002/HSMx2006x040x002x0177.pdf
[0e] Rosemary Moore « Paper Cuts: The Early Modern Fugitive Print »
https://discovery.ucl.ac.uk/id/eprint/1472891/1/08%20OBJECT%2017%20-%20ROSEMARY%20MOORE.pdf
[0f] Pour une série d’images d’anatomie frappantes voir https://nyamcenterforhistory.org/tag/morbid-anatomy/
[0g] Toutes les couches ont été digitalisées : https://archive.org/details/ldpd_11497246_000/page/n29/mode/2up
L’article de référence est :
Suzanne Karr Schmidt « Printed Bodies and the Materiality of Early Modern Prints » Art in Print Vol. 1, No. 1 (May – June 2011), pp. 25-32 https://www.jstor.org/stable/43045173
[0h] « als durch die Schlang der verführische Teufel den Apfel darzeichend, welcher durch falsch und lugenhast vorgeben wider das göttilche Verbot von denen ersten Eltern zu ihrer und der Nachkommen Elend und Zammer gefressen worden, welche Schlang mit dem Weibssamen (H) der ihr den Kopf zertritt; ob sie ihn gleich in die Versen slicht, zusehen, dadurch allem Zammer wo allein der Mensch einwilliget, und es im Glauben begehrt, geholssen wird, allein alle sach also gestaltet;dass nun mehr der Anfang (B) an dem End (C) hanget, so gar dass so bald der Mensch in diese Welt geboren, er zu sterben ansahet, ob gleich der Arket (K) lang an ihm flicket, es dannoch heisset, heut König morgen Todt »
[0i] Laura Scalabrella Spada « Giulio Bonasone’s anatomical engravings », 2019 https://www.bta.it/txt/a0/08/en/BTA-Bollettino_Telematico_dell’Arte-Testi-en-bta00865.pdf
[1] http://nicole-everaert-semio.be/PDF/fr/grelots.pdf
[2] Un site spécialisé : http://www.medinart.eu/
[3] Pour un porfolio plus complet, voir https://www.boumbang.com/fernando-vicente/
[4] Pour un porfolio plus complet, voir http://www.michaelreedy.gallery/
[5] https://www.artsy.net/article/artsy-editorial-fashion-designer-made-dalis-art-wearable
[5a] https://fr.wikisource.org/wiki/Les_Fleurs_du_mal/1868/Danse_macabre
[6] Stephen Perkinson « Anatomical Impulses in Sixteenth-Century Memento Mori Ivories  » dans Gothic ivory sculpture : content and context / edited by Catherine Yvard , Courtaud Institute 2017 https://assets.courtauld.ac.uk/wp-content/uploads/2019/05/01170523/Ch6.GothicIvorySculpture.pdf

4.1 Le truc de l'artiste

21 août 2020
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Le thème du pantin  possède une variante asse rare  : celle du Mannequin d’artiste.

Au départ, il s’agit d’un accessoire distinctif, présenté avec fierté, comme une curiosité ou un truc du métier.

Portrait_of_a_Man_with_a_Lay_Figure_-Werner-Jacobsz.-van-den-Valckert-1624-Speed-Art-Museum

Portrait d’un homme avec un mannequin
 Werner Jacobsz van den Valckert, 1624, Speed Art Museum

Voici dans doute la toute première apparition, dans le champ d’un tableau, de cet objet usuel dans les ateliers des peintres. L’homme représenté ici près de son établi surchargé d’outils est sans doute le sculpteur sur bois qui a réalisé ce mannequin particulièrement élaboré.



1630–45 Painter in his Studio Pieter Cornelisz. van Egmondt. (anct Jacob van Spreeuwen) Private collection

Peintre dans son atelier
Attr. à Pieter Cornelisz. van Egmondt (anciennement à .Jacob van Spreeuwen), 1630–45, collection privée

A la suite de Rembrandt et de Dou, les portraits ou autoportraits de peintre deviennent un genre à part entière. Si les ateliers hollandais comportent souvent une ou plusieurs statues – manière de souligner la subordination de la sculpture à la peinture – ils montrent rarement le mannequin qui révèle les ficelles de l’art : surtout comme ici en position dominante, entre l’épée et le planisphère.



1640 ca D. Witting Young artist, drwaing in his studio coll priveeJeune artiste dessinant dans un atelier
D. Witting, vers 1640, collection privée
Wallerant Vaillant - A Young Boy Copying a Painting vers1660 Guildhall Art Gallery, LondonJeune dessinateur copiant une peinture
Wallerant Vaillant, vers 1660 ,Guildhall Art Gallery, Londres

Le mannequin se montre plus volontiers dans les scènes d’apprentissage. Le modèle en toile, plus sommaire, était un accessoire à l’usage des débutants. Mais il servait aussi aux peintres confirmés, pour étudier le tombé des étoffes en économisant le coût d’un modèle vivant.



1663 Gabriel van Ostade Le peintre dans son atelier Gemaldegalerie Alte Meister Dresde

Le peintre dans son atelier, Gabriel van Ostade
1670-75, Rijkmuseum, Amsterdam

Le mannequin est ici situé humoristiquement en bas des marches, comme s’il venait des les dévaler (sur l’autre accessoire pittoresque, le crâne de cheval, voir 2 : en intérieur).



1765-1768 Firsov Ivan Ivanovitch Un jeune peintre Galerie Tretyakov, MoscouUn jeune peintre
Ivan Ivanovitch Firsov, 1765-68, Galerie Tretyakov, Moscou


Mannequin et sa garderobe feminine et masculine ayant appartenu a Ann Whytell, 1769, Los Angeles County Museum

Mannequin et sa garde-robe féminine et masculine, ayant appartenu a Ann Whytell,
1769, Los Angeles County Museum


1831 Marie-Amelie Cogniet Intérieur d’atelier PBA Lille

Intérieur d’atelier
Marie-Amelie Cogniet, 1831, Palais des Beaux-Arts, Lille

Après s’être amusé à cerner de craie ses petits pieds, à côté du grand pied de plâtre, l’artiste en herbe s’applique maladroitement à faire prendre une pose au mannequin, à côté de l’écorché de plâtre.



Heinrich von Rustige vers 1839 Le paysan dans l'atelier Stiftung Sammlung Volmer, Wuppertal
Le paysan dans l’atelier
Heinrich von Rustige, vers 1839, Stiftung Sammlung Volmer, Wuppertal

Soupçons du chien, effroi de l’enfant et déférence du paysan : chacun réagit à sa manière à l’extraordinaire visiteur.



Julius LeBlanc Stewart, In the Artists Studio, 1875

Dans l’atelier de l’artiste
Julius LeBlanc Stewart, 1875 Collection privée

A peine âgé de vingt ans, grâce à la fortune de son père, Julius LeBlanc Stewart avait déjà son atelier à Paris, avec tous les accessoires nécessaires : armure, hallebarde, bric-à-brac oriental, paravent japonais.

Plus le mannequin indispensable à la peinture d’histoire, dont le mode d’emploi nous est ici obligeamment montré, avec un zeste d’ironie.


Luigi Bechi (Italian, 1830-1919) The Artist's Studio

L’atelier de l’artiste
Luigi Bechi, Fin XIXème

La scène de genre est plus fine qu’il n’y paraît : le vieillard n’est pas le peintre, la petite fille n’est pas le modèle. Tous deux portent des habits populaires, mais se sont endimanchés pour rendre visite au maître des lieux.

En son absence, c’est à son substitut humoristique qu’il s’agit de faire la référence : trônant sur le divan, drapé pour la pudeur et chapeauté de travers pour la blague, le mannequin  à la barbe rousse tend  vers la fillette une main accueillante, tout  prêt à montrer à sa jeune visiteuse le contenu du carton à dessin.

Ce que les peintres sont pour les femmes,

les mannequins le sont pour les fillettes :

un objet amusant et quelque peu ridicule.

Image en haute définition : http://www.sothebys.com/en/auctions/ecatalogue/2007/19th-century-european-art-n08355/lot.116.html

4.2 Le Mannequin symbolique

21 août 2020
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Au XIXème siècle, certains artistes investissent leur mannequin d’une dimension polémique, onirique, esthétique, érotique, théorique…

1834_Ferdinand_Tellgmann,_Im_Atelier Museumslandschaft_Hessen_Kassel
L’atelier
Ferdinand Tellgmann, 1834, Museumslandschaft Hessen, Kassel

Tellgmann réfléchit devant un paysage qu’il peint de mémoire ; derrière lui, un autre peintre oeuvre lui-aussi sans modèle, tandis qu’un troisième recopie un dessin. Les plâtres entassés derrière le paravent sous-entendent que l’Art ne se limite pas à une copie de l’antique, mais est avant tout chose mentale.

Le voile a demi détaché semble dire : laissez entrer la Lumière. Le drap qui cache le mannequin met en valeur le geste de sa main : sortez de l’atelier, allez voir le monde.


Johann_Peter_Hasenclever,_Atelierszene_1836 Museum Kunstpalast Dusseldorf

Scène d’atelier
Johann Peter Hasenclever, 1836, Museum Kunstpalast Dusseldorf

Hasenclever s’est représenté au centre, embarquant un mannequin sur son épaule. Derrière lui, une grande toile académique, retournée en guise de paravent, est constellée d’essais de couleurs. A gauche, le plâtre du Gladiateur borghèse a été amputé du bras gauche, celui qui tient le bouclier. Son noble geste a été remplacé par celui  de Carl Engel de Rabenau, juste derrière, brandissant des pinceaux en lutinant la vieille servante qui apporte le café. Au centre, le tout petit Joseph Wilms, armé d’un appuie-main démesuré, lève lui aussi le bras gauche pour tendre une bouteille de vin à un condisciple.



Le sermon du Hussite Carl Friedrich Lessing 1836 Alte Nationalgalerie Berlin

Le sermon du Hussite
Carl Friedrich Lessing, 1836, Alte Nationalgalerie, Berlin

On comprend qu’il s’agit là d’une charge contre la grande peinture académique, en particulier contre ce tableau emphatique réalisé le même année.

L’éviction du mannequin hors de l’atelier prend ici valeur de manifeste : celle de la recherche du naturel, contre l’idéalisme et la bienséance  de l’art académique de l’époque [0].


WILHELM-VON-KAULBACH_DIE-BEKAEMPFUNG-DES-ZOPFES-DURCH-KUENSTLER-UND-GELEHRTE-UNTER-DEM-SCHUTZ-DER-MINERVA
« La défaite du style natte ou perruque, lequel est représenté comme un Cerbère ou un monstre à trois têtes avec des physionomies françaises prononcées, car il a fait rage dans les trois domaines de l’art »
Wilhelm von Kaulbach, 1851, Etude pour la fresque de la Neuen Pinakothek, Neue Pinakothek, Münich [00] 

Deux groupes attaquent le monstre :

  • à gauche les tenants du classicisme – l’architecte Schinkel, avec son équerre, le peintre Carstens avec un glaive, le sculpteur Thorwaldsen avec son marteau, le théoricien Winkelmann avec son encrier – sous la sage protection de Minerve ;
  • à droite les nazaréens – Von Cornelius (le professeur de von Kaulbach) armé d’une épée, le peintre Overbeck brandissant la bannière de l’art sacré, le peintre Veit aidant un barbu armé d’un pistolet (von Kaulbach lui même) à monter lui aussi sur Pégase, le symbole de l’Inspiration.

Le cheval sacré piétine un peintre en perruque enlaçant un mannequin : le très académique Gérard de Lairesse, tenant sous son bras son oeuvre maîtresse, le Grand Livre des Peintres ;tandis qu’au centre les Trois Grâces capturées par le Monstre espèrent leur libération.

Courbet_LAtelier_du_peintre 1855 Orsay detail

L’atelier du peintre (détail)
Courbet, 1855, Musée d’Orsay

Le « mannequin d’artiste » relégué dans l’ombre derrière le chevalet est en général interprété de la même manière, comme le rejet de la peinture académique au bénéfice du naturalisme, incarné par la femme nue qui observe et inspire le peintre.


Vue stereoscopique de l’atelier de Courbet par Eugene Feyen, juin 1864

Vue stéréoscopique de l’atelier de Courbet par Eugene Feyen, juin 1864

Cependant, la mise en scène de la mannequine, dans cette vue stéréoscopique savamment organisée pour conduire le regard jusqu’à elle, assise au pied du miroir où pend la blouse du maître, trahit plus une fascination qu’un rejet.


Courbet_LAtelier_du_peintre 1855 Orsay detail mannequin

Les références religieuses dans la pose du mannequin (Saint Sébastien, Saint Barthélémy, Déposition ?), son association avec un crâne et le Journal des Débats, suggèrent un sens plus profond.

Une interprétation maçonnique y voit la polarité masculine et solaire, opposée à la polarité féminine et lunaire [0a]. Pour Agurxtane Urraca [0b], le mannequin ferait l’éloge du naturalisme de l’art espagnol, et évoquerait les souffrances de l’Espagne.

On sait en tout cas, par la description de Courbet lui-même, que la femme assise par terre est un souvenir personnel, évocateur de la misère en Irlande :

« Ensuite un chasseur, un faucheur, un Hercule, une queue-rouge, un marchand d’habits-galons, une femme d’ouvrier, un ouvrier, un croque- mort, une tête de mort dans un journal, une Irlandaise allaitant un enfant. un mannequin. L’Irlandaise est encore un produit anglais. J’ai rencontré cette femme dans une rue de Londres, elle avait pour tout vêtement un chapeau en paille noire, un voile vert troué, un châle noir effrangé sous lequel elle portait un enfant nu sous le bras. » Courbet, Lettre à Champfleury, 1854


Trois bouts de tissu (SCOOP!)
Courbet_LAtelier_du_peintre 1855 Orsay detail tissu

Le mannequin, la toile et la modèle sont liées par le motif du bout de tissu qui les découvre. L’idée est peut être toute simple :

  • à gauche la mort et la souffrance ;
  • à droite la vie et la volupté ;
  • au centre la toile qui se nourrit des deux, toute neuve comme l’enfant.



1853 William Powell Frith The Sleeping Model, Royal Academy of Arts
Le modèle endormi
William Powell Frith, 1853, Royal Academy of Arts

Dans le dos de la jeune fille, l’armure qui veille sur le mannequin endormi matérialise, pour le spectateur avisé, le rêve romantique de la jeune modèle.




1861 Menzel Adolph Kronprinz Friedrich besucht den Maler Pesne auf dem Malgerust in Rheinsberg. г. Alte Nationalgalerie Berlin

Le Kronprinz Friedrich rend visite au peintre Pesne sur un échafaudage à Rheinsberg
Adolph Menzel, 1861, gouache, Alte Nationalgalerie, Berlin

Très documentée historiquement (elle s’est produite en 1739), la scène mérite une description précise :

« A l’extrême gauche en arrière-plan, le prince héritier, suivi de son architecte Knobelsdorff et de son hôte Bielfeld (ou est-ce son lecteur Jordan?), monte par des marches qui nous sont cachées jusqu’à l’avant-dernière plate-forme d’un échafaudage, au milieu de laquelle un aide se penche pour nettoyer une palette. À l’extrême droite, à côté de lui, le musicien Franz Benda, debout, s’oublie dans sa musique, battant le rythme de la pointe de son pied droit. Le prince héritier et ses compagnons regardent d’en bas le plancher de l’échafaudage supérieur, où Pesne semble montrer une pose à un modèle. La femme recule devant le mouvement impétueux du peintre, s’appuie du bras gauche sur la balustrade en bois et renverse un pot de peinture. Deux pinceaux tombent de ce pot. Le prince héritier et ses compagnons peuvent seulement entendre les bruits provenant de la plate-forme supérieure, ainsi que l’alto de Benda, mais pas les voir, car les vestes de Benda et de l’aide pendent des poutres de l’échafaudage de telle sorte que l’altiste reste invisible au prince héritier. Nous seuls spectateurs sommes témoins du jeu de Bendas et de la danse d’amour du peintre, là-haut. En effet, le pas de danse de Pesne ne peut pas être la mise en place d’une pose pour le modèle, comme cela a toujours été dit depuis Max Jordan. Le peintre commence-t-il à danser sur les notes de l’alto ? N’est-il pas plutôt agenouillé devant une amante ? Souriante, la modèle repousse de la main droite l’approche amoureuse du peintre. Elle a risqué une chute malencontreuse sur le plancher inférieur, où un mannequin de bois… gît sous nos yeux, dans un raccourci extrême, comme brisé. Cet accessoire d’atelier semble être tombé du crochet du support placé plus à gauche. Menzel a arrangé les extrémités de la poupée de telle manière que ses jambes pointent vers la figure montante du prince héritier, tandis que sa main gauche tordue pointe vers une chaise avec un dossier tressé placée entre l’aide et le joueur d’alto. Que fait-elle là ? La poupée en bois inanimée, reposant sur son visage, est clairement une image de mort. En revanche, le modèle, dont la robe découvre l’épaule et la poitrine, semble susciter chez le peintre un entrain des plus érotique. » Matthias Winner [0c]


Un monde à l’envers

La scène pourrait se lire sur le mode plaisant, comme une sorte de monde à l’envers :

  • le grand prince qui monte sur l’échafaudage et ne voit que des planches ;
  • l’aide qui lui fait involontairement une révérence de dos ;
  • l’altiste qui n’écoute que lui-même ;
  • le peintre des déesses pris en flagrant délit de dévergondage.


Une mécanique autonome

Mais la composition semble échapper à l’anecdote pour fonctionner de manière autonome, conduisant l’oeil successivement vers des détails signifiants :

  • le mannequin en raccourci attire le regard vers l’ombre du Frédéric sur le mur brut : s’agit-il d’évoquer la future grandeur du Roi de Prusse (de même que la chaise encore vide évoquerait son futur trône ?) ; voire même de rappeler le mythe de l’invention du dessin, par le tracé autour d’une ombre ?
  • les pinceaux qui tombent mettent en connexion le modèle en chair et en os et le mannequin (Winner pense que Mentzel a repris ici l’idée de Courbet) ;
  • le verre vide sur la chaise renvoie à la carafe pleine, à l’aplomb.


1861 Menzel Adolph Kronprinz Friedrich besucht den Maler Pesne auf dem Malgerust in Rheinsberg. г. Alte Nationalgalerie Berlin schema
Les interprétations d’une composition aussi complexe sont nombreuses. Mais la lecture en deux registres s’impose(flèches jaunes) :

  • le grand roi en pleine lumière ne dessine derrière lui que son ombre, quand le grand peintre en contre-jour s’efface devant les images qu’il a créées ;
  • les pots attendent les pinceaux, le verre vide attend la carafe,
  • la musique de l’altiste fait valser les amours du plafond.

En avant-plan de l’ensemble, le mannequin joue un rôle pivot :

  • en amorçant la lecture verticale, par le couple qu’il forme avec la modèle (flèche rouge) ;
  • en amorçant également une diagonale ascendante, qui passe de la position couchée à la position penchée, puis à la position debout (flèche bleu) :
  • comme si l’Art, peinture ou musique, avait le pouvoir de donner vie aux choses mortes.


Le modèle et le mannequin

(Berthe dans l’Atelier)

Boldini, 1873

1873 boldini the-model-and-the-mannequin

Des étoffes sont éparpillées sur le plancher, sur le fauteuil, sur le canapé. Un tapis froncé conduit jusqu’à des pieds, des mollets et des jambes nues. Ce crâne luisant est-t-il celui d’un chauve sur lequel la fille est vautrée, lui plaquant le visage dans son aisselle ?

Heureusement la présence du chevalet dégonfle la double scandale de la femme habillée et de l’homme nu, de la fumeuse triomphante et du mâle transformé en pantin : puisque celui-ci en est réellement un.  Ouf, la scène érotique n’est qu’une scène de genre.

Et le perroquet sur son perchoir, emblème et compagnon de la femme sensuelle, semble placé là pour affirmer qu’elle et lui sont bien les deux seuls êtres animés de la pièce.

1873 ca boldini_la-toilette

Boldini, La toilette

Berthe était la modèle avec laquelle Boldini vivait à cette époque, en toute impudeur.


L’homme et le pantin,

portrait du peintre  Henri Michel-Lévy
Degas, vers 1878, musée Gulbenkian, Lisbonne

1878  L homme et le pantin  Henri Michel-Levy edgar-degas

 

Les deux tableaux

L’oeuvre du peintre impressionniste Henri Michel-Lévy a presque totalement disparu : on a pu identifier le tableau  de gauche, Les régates, exposé au Salon de 1879. Mais celui du fond n’est pas certain : il pourrait s’agit de la Promenade au parc, exposée au Salon de l’année précédente.

Le pantin

Le pantin en robe rose, seule note de couleur dans cette toile  sinistre, est manifestement celui qui a permis de peindre la femme du tableau de gauche : simulacre d’un simulacre.

On pourrait tout aussi bien dire qu’elle vient de sortir du tableau de gauche,

pour rejoindre le peintre dans sa solitude.


Le peintre

L’attitude de ce dernier est étrange : adossé  à la surface peinte, comme si celle-ci n’avait pas plus de valeur que le mur, il contemple la poupée d’un regard en biais.

On pourrait tout aussi bien dire qu’il vient de sortir du tableau du fond

pour rejoindre la poupée dans l’atelier.


Une tension sexuelle

Une tension sexuelle gênante lie ces deux êtres opposés : l’homme de chair debout en noir et blanc, la femme de son affalée en rose et rouge, sous la boîte à couleurs ouverte…

Degas_Interieur_Philadelphia_Museum_of_Art

L’Intérieur, ou le Viol
Degas, 1868-69,Philadelphia Museum

…auto-citation du mystère charnel qui, dans ce tableau réalisé dix ans plus tôt, met également en scène dans un huis-clos la puissance menaçante de l’Homme, adossé les mains dans les poches,  et le retrait de la Femme qui lui tourne le dos, de part et d’autre d’une boîte à couture.

 

1878  L homme et le pantin  Henri Michel-Levy edgar-degas detail

Sauf que, dans la version lisboète, dénoncé par un bout de liquette, l’Artiste manifestement bande…

 

1878  L homme et le pantin  Henri Michel-Levy edgar-degas detail pinceaux

.. à l’instar des pinceaux près du gant.


En plus d’un portrait de Henri Michel-Lévy, peintre sincère et solitaire hanté par les fastes des Fêtes Galantes et le regret du Rococo, c’est surtout un autoportrait de Degas   qui transparaît, en homme « frustré et amer, dont les besoins profonds sont restés inassouvis ».Théodore Reff[1]. Ce tableau  profondément pessimiste illustre l’état d’esprit d’une lettre de 1884 :
« Si vous étiez célibataire et âgé de 50 ans, vous auriez de ces moments-la, où on se ferme comme une porte, et non pas seulement sur ses amis; on supprime tout autour de soi, et une fois tout seul, on s’annihile, on se tue enfin, par dégoût. » [1].



1880-86 John Ferguson Weir His Favorite Model Yale University Art Gallery

Son modèle préféré (His Favorite Model)
John Ferguson Weir, 1880-86,  Yale University Art Gallery

Dans le tableau dans le tableau, une femme drapée se contemple dans un miroir, sans aucun contact avec son reflet.

Dans le tableau, le peintre tend les bras à son mannequin-femme : si  le reflet figé est intouchable, cette autre forme de reflet en 3D que constitue le mannequin, est quant  à lui souple et manipulable.

Ces bras tendus transgressant la limite du cadre posent brillamment  toute la question du rapport de force entre le peintre et son modèle :

l’artiste réussira-t-il à le faire entrer dans le cadre, ou bien

le modèle résistera-t-il, éloignant le peintre de l’oeuvre qu’il a derrière la tête ?



Dans l’atelier

Wilhelm Trübner

1872 Wilhelm-Trubner-In-the-Studio-Bayerische-StaatsgemaldesammlungenDans l’atelier
Wilhelm Trübner, 1872,
Bayerische Staatsgemäldesammlungen – Neue Pinakothek München
1888 Wilhelm-Trubner Studio-Interior- NurenbergIntérieur d’atelier
Wilhelm Trübner, 1888,
Museen der Stadt Nürnberg, Gemälde und Skulpturensammlung

 

En 1872, le thème reste obscur dans tous les sens du terme. Sans le titre, impossible de comprendre que cet homme en chapeau et manteau noir, au visage dans l’ombre et qui vient de jeter son mégot, est un peintre venu observer de plus près son modèle ; et que sa main gauche posée sur le dossier n’est pas en train d’esquisser une caresse, mais de rectifier une position.

En 1888, l’homme a gardé le même costume et presque la même  pose, sinon que sa main droite ne tient plus son menton, mais un bloc de papier. Ce pourrait être un livre de poèmes lu à une jeune fille, mais la posture figée de celle-ci nous fait comprendre qu’il s’agit d’un modèle, et que le bloc  est un carnet de croquis.


Le tableau dans le tableau

1888 Wilhelm-Trubner Studio-Interior- Nurenberg detail tableau Wilhelm-Trubner 1889 Promethee pleure par les Oceanides coll priveeProméthée pleuré par les Océanides, Wilhelm Trübner, 1889

Trübner réalisera cinq versions du thème de Prométhée [2]. Celle de 1889 suit  le « Prométhée enchaîné » d’Eschyle : on le voit attaché à son rocher, puni pour avoir donné le Feu aux Hommes. Mais Prométhée est aussi celui qui a façonné les humains à partir d’eau et de terre, pour qu’Athéna ensuite leur insuffle la vie. La présence du Pantin amorphe sous le tableau en cours d’élaboration suggère fortement que le thème de la composition n’est rien moins que  celui de la Création, et de la manière de donner vie.

Le paravent

1888 Wilhelm-Trubner Studio-Interior- Nurenberg paravent
Le paravent indique comment lire le reste de la composition  :

  • sur le panneau de gauche, un tissu rouge et or est posé, un échantillon de cuir ou de papier décoratif est collé,  un visage les yeux ouverts est griffonné ;
  • le panneau de  droite porte seulement un tissu vert, qui fait ressortir la chevelure rousse ;
  • le panneau du centre porte un autre tissu rouge et or, orné de grandes palmettes : ce motif tape-à-l’oeil marque l’endroit critique où deux regards convergent : celui du peintre sur le modèle, celui du spectateur sur le tableau.

Si Trübner a choisi de centrer sa composition autour d’un motif aussi voyant, ce n’est pas seulement par intérêt pour les arts décoratifs ou le japonisme : mais parce qu’il souhaitait que nous donnions un sens à cette pyramide inversée composée, de bas en haut, d’une, de deux, puis de trois palmettes.

Le schéma du tissu1888 Wilhelm-Trubner Studio-Interior- Nurenberg schema

Supposons que la palmette du bas, toute proche du carnet de croquis vierge, représente l‘oeuvre en gestation.

Supposons que les deux palmettes du dessus, qui joignent les yeux de l’homme et de la femme, soient les deux pôles de ce processus créatif : le Peintre et le Modèle.

Alors la ligne du haut pourrait schématiser l’Oeuvre achevée : un motif qui incorpore une moitié du Peintre, et une moitié du Modèle,  car l’Art ne peut prétendre faire entrer dans le cadre et dans le plan du tableau la totalité du Réel.


Femme et mannequin

Jacques Villon, 1899,  Moma, New York

1899 Femme et mannequin jacques Villon  moma

La dame survêtue, avec ses gants, son chapeau et son grand noeud papillon qui ne laisse voir de sa peau que le visage, a passé son renard au cou du mannequin et laissé tomber à ses pieds son manchon.

En habillant le mannequin nu de ces accessoires, elle s’amuse à le tirer vers l’humain tout en lui rappelant que, tout comme la fourrure n’est qu’un résidu d’animal, lui aussi n’est qu’un objet dérivé.



1906 Carl Ulof Larsson  The Model on the TableLe modèle sur la table
Carl Larsson, 1906
1906 Carl Larsson Model Writing Postcards Leontine LindstromModèle écrivant des cartes postales
Carl Larsson, 1906

Le modèle est la jeune Leontine Lindström, qui figure dans nombre d’oeuvres de cette époque [6], et faisait partie de la maisonnée.

Les deux images ont manifestement été conçues pour  former des pendants : vue frontale, harmonie rouge et vert, modèle assis posant un pied près du tabouret dans l’un, de la poubelle dans l’autre. Mais la composition va bien au delà d’un simple jeu formel, et raconte une sorte d’histoire.

Dans la première image, la jeune fille est tournée vers l’intérieur de la maison, vers le poêle, et manipule rêveusement  une petite fleur.

Il faut lire l’image de droite à gauche, en trois parties, scandées par les feuilles accrochées au mur.


1906 Carl Ulof Larsson  The Model on the Table 1

Au dessus des deux mannequins « morts« , obscènement empilés l’un sur l’autre, le dessin leur montre ce qu’ils ne feront jamais : l’amour.


1906 Carl Ulof Larsson  The Model on the Table 2

Derrière la jeune modèle, la feuille blanche illustre ce qu’elle n’a pas encore fait (le don de sa petite fleur).


1906 Carl Ulof Larsson  The Model on the Table 3
A gauche, sur la troisième feuille, un homme nu se prosterne devant elle (ou tente de lui prendre sa fleur). Comme Larsson a tenu à signer ce dessin dans le dessin, il n’est pas interdit de penser que cet admirateur, au dessus du poêle aux charbons ardents, exprime son propre sentiment : une attirance impossible à satisfaire.

Pas plus le dessin que le peintre ne peuvent rejoindre le modèle.


1906 Carl Larsson Model Writing Postcards Leontine Lindstrom

Dans la seconde image, la jeune fille est tournée vers le jardin, devant un grand bouquet de fleurs épanouies. Elle laisse derrière elle les mannequins, confinés dans leur ambiance malsaine, et écrit sur une table surchargée de feuilles, comme autant d’amoureuses possibilités.

Larsson 1905 Anna Stina

Anna Stina Alkman (épouse de Edvard Alkman, éditeur et critique d’art)
Larsson, 1905, Collection privée

Au dessus d’elle, en contrepoint face à un même vase de fleur, le portrait de ce qu’elle va bientôt devenir : une femme établie.



1909 George W Lambert The shop

L’atelier (The shop)
George W Lambert, 1909, Art Gallery of New South Wales

Peint dans l’atelier  londonien de Lambert, le tableau montre, de gauche à droite :

  • un modèle debout, ressemblant au roi Edouard VII (dont Lambert venait de faire le portrait)
  • un mannequin assis ,
  • un jeune garçon,
  • Lambert debout, en pendant au premier modèle.


Les moyens de l’Art

Voici comment un confrère décrit la composition :

« Dans  « Shop », l’artiste a disposé les ingrédients de sa  profession : le sujet du portrait – le major general moderne, la  figure couchée (de première importance pour la maîtrise des drapés) ; et, finalement, le peintre lui-même avec sa complexion pâle et ses longs cheveaux d’ambre roux. »  Norman Lindsay, 1919 [7]

Mais cette explication fait l’impasse sur la présence du jeune garçon.


Une fausse famille

Et si ces trois personnages représentaient, assiégeant le peintre  par derrière, les trois sujets qu’on demande sans cesse à un portraitiste célèbre ? L’homme costumé (ce faux roi), la femme déshabillée (ce vieux mannequin) et l’enfant qui rêve : seul ce dernier sauvant par sa candeur cette caricature de famille.

Le verre et la coupe de fleurs au premier plan, transposant l’huile et la palette, rajoutent une touche d’humour à cet autoportrait critique.



1917 alexandre-yevgenievich-yakovlev-self-portrait Tretyakov Gallery

Auto-portrait
Alexandre Iacovleff, 1917, Tretyakov Gallery.

La composition est conçue comme un exercice de style démontrant la virtuosité du peintre :

  • le pinceau entre l’index et le majeur et l’appuie-main entre les autres doigts semblent voler (le pouce étant masqué) ;
  • l’artiste est montré peignant du bras droit : donc il ne peint pas ce qu’il verrait dans un miroir (les photographies de la Croisière Noir en 1924 montrent que Iacovleff était droitier) :
  • pourtant, le tableau dans le tableau, vu de biais, montre l’image inversée :
    • du mur du fond (on devine même le mannequin assis, sous le petit doigt)
    • et du tableau que nous voyons.

Première remarque : l’artiste se regarde bien dans un miroir, mais corrige la position de son bras pour respecter la réalité, ce que seuls font les auto-portraitistes les plus exigeants (voir 1 Le peintre en son miroir : Artifex in speculo) ;

Deuxième remarque : si nous nous asseyons mentalement sur le divan du mannequin et regardons comme lui dans le miroir (dans le dos du peintre), nous verrons le tableau tel que nous le voyons : autrement dit il est équivalent d’être au plus profond du tableau ou d’être devant : la composition mannequinise le spectateur, ou humanise le mannequin, comme on préfère.

Troisième remarque :  situé entre le visage du peintre et le tableau dans le tableau, le mannequin a en quelque sorte le pouvoir d‘inverser l’image, au même titre qu ele miroir que nous devinons, mais qui nous est caché.



Références :
[0] Pour d’autres details sur ce tableau, voir https://de.wikipedia.org/wiki/Atelierszene
[00]  https://www.sammlung.pinakothek.de/en/artwork/XR4Mr9pxQ1
[0a] Hélène Toussaint http://deartibussequanis.fr/xix/courbet_atelier.php
[0b] Agurxtane Urraca, « La souffrance de l’Espagne cachée dans l’Atelier de Courbet », dans Penser l’entre-deux, Université des Antilles et de la Guyane, 2005, p 403 et ss https://books.google.fr/books?id=JvDDqhS3Pj4C&pg=PA404&dq=courbet+atelier+peintre+mannequin
[0c] Matthias Winner, « Der Pinsel als « Allégorie réelle » in Menzels Bild « Kronprinz Friedrich besucht Pesne auf dem Malgerüst in Rheinsberg » Jahrbuch der Berliner Museen 45. Bd. (2003), pp. 91-130 https://www.jstor.org/stable/4423758
[1] The Pictures within Degas’s Pictures, Théodore Reff, The Metropolitan Museum Journal, 1968
http://www.metmuseum.org/art/metpublications/the_pictures_within_degass_pictures_the_metropolitan_museum_journal_v_1_1968
[2] « Trübner: des Meisters Gemälde » https://archive.org/stream/trbnerdesmeist00beriuoft/trbnerdesmeist00beriuoft_djvu.txt
http://www.fitzmuseum.cam.ac.uk/sites/default/files/Silent_Partners_Immunity1.pdf
[6] D’autres apparitions de Leontine : http://kykolnik.dreamwidth.org/2075303.html?thread=20107687

4.3 Le mannequin en Italie

21 août 2020
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Inventé par De Chirico pendant la première Guerre mondiale, le mannequin a fait carrière en Italie plus que partout ailleurs : emblème d’abord de la peinture métaphysique, puis signe de ralliement de ceux qui se réclament d’un retour à la tradition.

De Chirico

chirico-giorgio-1914 la-nostalgie-du-poete-musee-peggy-guggenheim-venise-01La Nostalgie du Poète, Musée Peggy Guggenheim, Venise 1914 de-chirico Le voyage sans fin Hartford, The Wandsworth Atheneum)Le voyage sans fin, The Wandsworth Atheneum, Hartford

Giorgio de Chirico, 1914

Le tout premier mannequin de De Chirico a été peint à Paris en 1914, sous l’influence de Guillaume Apollinaire :

« Quand un homme sans yeux sans nez et sans oreilles
Quittant le Sébasto entra dans la rue Aubry-le-Boucher »
Apollinaire, « Le Musicien de Saint-Merry »

Il apparaît discrètement, peut être vu de dos, en tout cas en affinité d’aveuglement avec la statue à lunettes noires.

Dans Le voyage sans fin, il fait corps avec elle, et la canne d’aveugle est posé en offrande sur l’autel, comme si la statue avait gagné son oeil unique par la magie du mannequin.

Fasciné depuis longtemps par le thème de l’inanimé, Chirico donne à sa statue-fétiche un alter-ego novateur, qui modernise radicalement le vieil accessoire des ateliers d’artistes : il s’agit maintenant d’un objet manufacturé, un objet du XXème siècle, un ustensile de couturier.


1917 de-chirico- ettore-e-andromaca Galleria Nazionale d'Arte Moderna, Roma-Hector et Andromaque
De Chirico, 1917, Galleria Nazionale d’Arte Moderna, Rome
The Painter's Family 1926 by Giorgio de Chirico 1888-1978La famille du Peintre
De Chirico, 1926, Tate gallery

Il développera ensuite le thème de multiples manières, jusqu’à en faire un procédé. [7a]



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1917, Carlo Carra, Madre e figlio Pinacoteca di Brera, MilanMère et fils Carlo Carrà, 1917, Pinacoteca di Brera, Milan Nature morte, Giorgio Morandi, 1918, Pinacoteca di Brera, MilanNature morte, Giorgio Morandi, 1918, Pinacoteca di Brera, Milan

En 1916, Carrà rencontre De Chirico et passe du futurisme à la peinture métaphysique. Imité bientôt par Morandi.



Casorati

casorati felice 1924 mannequins Museo del Novecento Milan photo jean louis mazieresMannequins, Museo del Novecento, Milan, photo jean louis mazieres casorati felice 1924 Madre o Maternita Gemaldegalerie BerlinMadre o Maternità, Gemäldegalerie Berlin

Felice Casorati, 1924,

Dans un de ses très rares autoportraits, Casorati se montre en train de peindre (de la main gauche) dans un miroir, qui renverse l’image du tableau dans le tableau (« Maternità », peint la même année 1924).

A l’opposé des faces aveugles de leurs devanciers, les deux mannequins complètent par leur regard ce qui manque aux personnages tout en inversant leur sexe :

  • le mannequin mâle a les yeux baissés, comme la mère ;
  • le mannequin femelle a des yeux pénétrants, comme le peintre.

casorati felice 1934 manichino-rosa coll privLe mannequin rose, 1934, Casorati CasoratiPhotographie de Casorati par Herbert List, 1949

Sans s’enfermer dans la formule, Casorati fera de loin en loin un clin d’oeil au mannequin.



Adriano Gajoni 1934 mannequin jouant de la musiqueMannequin jouant de la musique, 1934 Adriano Gajoni 1946 manichino al pianoforteMannequin jouant du piano, 1946

Adriano Gajoni nature morte au mannequin
Nature morte au mannequin, date inconnue
Adriano Gajoni

L’effet d’étrangeté et de modernisme que véhicule le mannequin ouvre la porte à une certaine facilité.


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1942 Michele Dixit Autoritratto nello studio.
Autoritratto nello studio di via De Spuches
Michele Dixit, 1942

Une oeuvre isolée du peintre sicilien, réalisée juste avant son départ pour le front yougoslave : les grands tableaux aux murs montrent comment l’art réussit à transfigurer en Vierge ou en ange la présence prosaïque du mannequin.



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ITALO CREMONA 1940 Nudo col cavallo di gessoNu au cheval en plâtre, 1940 Italo Cremona 1944 Ritratto della moglie con manichinoPortrait de femme avec un mannequin, 1944

Italo Cremona

Deux confrontations de la chair avec le bois ou le plâtre.



Les peintres modernes de la Réalité

En 1947-49, cinq expositions et un manifeste signalent la création en Italie d’un nouveau mouvement, en réaction envers les déficiences techniques de l’art dit moderne. Le mannequin, réchappé des peintures métaphysiques et surréalistes, va devenir une sorte de signe de ralliement du groupe, emblème à la fois du retour au techniques traditionnelles et de l’inanité de l’homme contemporain.

Bueno Antonio 1948-49 Still Life,Nature morte, Antonio Bueno, 1948-49 Bueno Xavier 1948 - Manichino collection Sandro Rubelli.Manichino,, Xavier Bueno, 1948, ancienne collection Sandro Rubelli

Ces deux toiles des frères Bueno fonctionnent probablement en pendant :

  • à gauche le mannequin semble avoir perdu la partie : châssis vide, pions sans échiquier, lauriers de la gloire vaincus par l’électricité ;
  • à droite, enveloppé dans le drapeau italien, il amorce une résurrection, griffonnant des notes et un croquis, tandis qu’à l’arrière-plan la statue antique rend hommage à De Chirico.


Bueno Antonio e Xavier 1944 Doppio autoritratto Double Self-portrait

Double autoportrait
Antonio et Xavier Bueno , 1944

Les deux frères sont coutumiers des oeuvres réalisées en commun (voir aussi Compagnes de voyage).



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Gregorio Sciltian

Participant dès le début au mouvement des Peintres modernes de la Réalité, Sciltian n’a abordé que dix ans plus tard le thème du mannequin.


Gregorio Sciltian 1955 La-scuola-dei-ladriL’école des voleurs, 1955 GREGORIO SCILTIAN 1956 la-scuola-dei-modernisti-L’école des Modernes, 1956

Gregorio Sciltian

Dans le premier tableau, le mannequin (de couturier) sert à l’enseignement des pickpockets.

Dans le second, le mannequin (de peintre) est abandonné à droite, sous les lunettes du critique d’art Roberto Longhi, favorable au mouvement, et le regard éberlué de Lionello Venturi, pape de l’art abstrait.


Gregorio Sciltian 1960 Allegra serenataAllegra serenata, 1960 GREGORIO SCILTIAN 1960 ca Il magoLe mage, vers 1960
Gregorio Sciltian 1962 ca Sans titreSans titre, vers 1962 Gregorio Sciltian 1962 LE COIN DE L'ATELIER coll privLe coin de l’atelier, 1962
Gregorio Sciltian 1962 LE COIN DE L'ATELIER coll priv detailLe coin de l’atelier (détail), 1962 Gregorio SciltianDate inconnue

Gregorio Sciltian

Dans toutes ces toiles, le mannequin se comporte comme un alter-ego du peintre, jouant de la musique, faisant la fête, prenant sa place au chevalet et le miniaturisant dans le miroir de sorcière (voir Le peintre en son miroir).



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Pietro Annigoni

Mais celui qui qui revenir au mannequin pour toute la durée de sa carrière est le plus talentueux et le plus célèbre du mouvement, Pietro Annigonni.


annigoni 1946 manichino-nello-studio coll priveeManichino nello studio, 1946 annigoni 1947 Interno dello studio collection Sandro RubelliInterno dello studio, 1947, anciennement collection Sandro Rubelli

Pietro Annigoni

Au départ, il n’est qu’un accessoire d’atelier, à peine plus tangible que les feuilles ou le papier-peint.


pietro-annigoni 1950 allegory-of-man-(mannequin)Allégorie de l’Homme La Soffitta del Torero 1950 Pietro Annigonni Private collectionLe grenier du Torero (La Soffitta del Torero)

Pietro Annigoni, 1950, Collection privée

Trimant sans avancer ou s’affrontant dans une corrida immobile avec un taureau réduit à ses cornes, il devient la figure de l’absurdité humaine.


Annigoni 1953 Direste voi che questo e luomo (La lezione)

Dirais-tu que ceci est un homme, La leçon
Direste voi che questo e l’uomo (La lezione)
Annigoni, 1953

Dans cette toile ambitieuse, Annigoni paraphrase à la fois le Saint Mathieu du Caravage et La leçon d’anatomie de Rembrandt pour placer le mannequin, à la plaie ouverte sur le torse, en situation expérimentale (voir 3 Voir et toucher). L’apprenti montrant un dessin de saint et la modèle nue au dessus du bucrane représentent probablement les traditions chrétienne et antique.


Annigoni 1957 photo Madame Yevonde 2 Annigoni 1957

Annigoni, 1957, photographies Madame Yevonde

Annigoni 1957 photo par Madame Yevonde1957, photographie Madame Yevonde Annigoni photoDate inconnue

Le mannequin participe à la posture du peintre solitaire, mélancolique et rebelle à son temps.


annigoni 1970 Contemplazione del vuotoContemplation du vide (Contemplazione del vuoto), 1970 Annigoni 1971 Forza paralizzataForce paralysée (Forza paralizzata), 1971

Annigoni

D’en haut son regard absent plane sur la ville déserte.


Annigoni 1971 Foto ricordoPhoto-souvenir (Foto ricordo), 1971 AnnigoniDate inconnue

Annigoni

Des couples impossibles se forment…


Annigoni 1971 Ne vinti ne vincitoriNi vaincus ni vainqueurs (Ne vinti ne vincitori), 1971 Annigoni 1973 Solitudine III Cassa di Risparmio di FirenzeSolitudine III, 1973, Cassa di Risparmio di Firenze

… et se défont.


Annigoni 1971 C era une volta PalladioIl était une fois Palladio ( C’era une volta Palladio), Annigoni, 1971 Annigoni 1971 C era une volta Palladio villa Gualdo MontegaldaEscalier de la villa Gualdo, Montegalda.

Les modèles de paille ou de chair ont été pareillement mis au rebut au bas de l’escalier seigneurial, sous le regard d’une chouette à moitié effacée et tandis qu’une silhouette fantomatique remonte les marches vers le passé.

Annigoni a laissé une description assez précise de ses intentions :

« L’architecture qui émerge de la misère, miraculeusement intacte, symbolise un ordre irrécupérable, dont nous nous sommes séparés. Un ordre dont l’homme a été évincé, réduit à un nombre, à un mannequin. Le nu de la jeune femme contraste justement avec les silhouettes inanimées et inertes des deux mannequins. Le contraste est accentué par le choix des matériaux : la dormeuse d’époque et la feuille de caoutchouc mousse déroulée qui pour la raison opposée est tout autant emblématique. A l’arrière-plan, une silhouette, presque un fantôme, s’éloigne le dos tourné. Cette apparition fugitive – fréquente dans mes œuvres – introduit dans le tableau un motif de suspension, une interrogation consternée, qui coïncide avec mes sentiments plutôt qu’avec mes intentions. A un endroit de la scène veille un oiseau nocturne, l’un de ceux qui vivent solitaires dans ces bâtiments abandonnés, et qui pourrait ici prendre le sens de présage obscur que lui accorde la conscience populaire. »



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1958 Antonio Ciccone mannequin, annigonis_studio
 
Un mannequin dans l’atelier d’Annigoni
Antonio Ciccone, 1958

Hommage au maître, de la part d’un élève qui s’applique.


1950 Alfredo Seri Manichino con drappo biancoMannequin au drap blanc 1950 Alfredo Seri MANICHINO CON MELAMannequin à la pomme

Alfredo Seri, 1950

Deux poses assez stériles d’un mannequin cabotin.



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Vito Campanella MetamorphoseMétamorphose Vito Campanella 1984 Les pelerins d'Emmaus
Vito Campanella 1987 DepositionDéposition, 1987 Vito Campanella http:/www.tuttartpitturasculturapoesiamusica.com;sss

Vito Campanella

Le mannequin déchaîné finit par s’approprier tout l’espace de l’Histoire de l’Art…

Références :
[7a] Pour lévolution du sujet chez Chirico, voir https://finestresuartecinemaemusica.blogspot.com/2019/05/la-solitudine-del-manichino-la-figura.html
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