5-2 Le donateur-enfant : le développement

20 juin 2019

Nous avons vu dans les exemples romains de la fin du XIIIème siècle que la position du donateur-enfant obéit à des logiques liées à la fonction et à l’emplacement de l’oeuvre (voir 5-1 …les origines). Pour les exemples postérieurs, ces informations manquent.

Faute de mieux, j’ai conservé le même système de classement que pour les donateurs-souris, selon la position du donateur et le geste de l’Enfant, bénissant ou pas.



Donateur à droite, enfant non bénissant

Tandis que pour le donateur-souris, la position d’humilité constitue une des deux formes majoritaires, on ne la rencontre que rarement dans le cas du donateur-enfant. Ceci semble logique, dans la mesure où la taille accrue du donateur rend moins crédible l’absence d’interaction.

1300 - 1399 Anonimo orvietano , san Francesco d'Assisi e un donatore Chiesa di S. Francesco, StronconeVierge à l’enfant avec Saint François d’Assise et un donateur
Anonyme d’Orvieto, XIVeme siècle, Eglise de San Francesco, Stroncone
1350-99 Anonimo fiorentino sec. XIV, santa Caterina d'Alessandria e donatore Cappella Della Pura Chiesa di S. Maria Novella, FirenzeVierge à l’enfant avec Sainte Catherine et une donatrice
Anonyme florentin, XIVeme siècle, Chapelle de la Pureté (Della Pura), Eglise S. Maria Novella, Florence

Le motif de la Vierge allaitante se rencontre dans les Vierges en Majesté, mais se développera surtout après 1350 dans les Vierges de l’Humilité.

Dans la première fresque, un franciscain se prosterne devant une Vierge en Majesté, sous la main stigmatisée de Saint François. L’Enfant tient l’inscription « Ego sum lux mundi » (Je suis la lumière du monde). Dans la seconde fresque, une donatrice laïque se prosterne devant une Vierge d’Humilité, sous la palme de Sainte Catherine.

On peut noter que ces deux exemples, les plus anciens que j’ai trouvés en Italie, concernent tous deux une Vierge allaitante : il se peut que cette activité, qui rend naturelle l’absence d’interaction, ait favorisé l’accroissement de taille du donateur. On note également, dans ces deux cas, que le passage à la taille enfant s’accompagne prudemment de la présence d’un


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1410 ca Follower of the Egerton Master Paris Getty Museum Ms. Ludwig IX 5, fol. 19 Atelier du maître d’Egerton, vers 1410 , Getty Museum Ms. Ludwig IX 5,fol. 19

1415-20 Atelier du Maitre des Heures de Boucicault Getty Museum MS22 fol 137Atelier du Maître des Heures de Boucicault, 1415-20, Getty Museum MS22 fol 137

Dans l’imagerie des Livres d’heures, le caractère de dévotion privée rend inutile le saint intercesseur, mais rend également difficile de maintenir l’indifférence envers le donateur.

Dans la première enluminure, la noble dame dans tous ses atours prie Marie en majesté : celle-ci tourne la tête vers elle, tandis que l’Enfant la regarde en biais : il s’agit ici d’illustrer la prière officielle à Marie, en latin : « Obsecro te, Domina Sancta Maria, Mater Dei, pietate plenissima, summi regis filia… ».

Dans la seconde enluminure, la donatrice en habit d’intérieur est poussée aux pieds de la Vierge à l’Enfant par son Ange gardien, et son prénom est évoqué seulement, pense-t-on, par les marguerites dans les marges. L’image illustre non pas une vision mystique, mais la propulsion merveilleuse, par la sincérité de sa prière, de la dévote et de son prie-Dieu au sein de la chambre mariale. Elle s’accompagne d’une prière plus intime, en français : « Douce dame de miséricorde, mère de pitié… ». L’enfant tend de sa main gauche un objet non identifiable (fleur, oiseau…) en direction de la donatrice : sans être formellement un geste de bénédiction, il s’agit pour le moins d’une interaction avec elle, qui renforce l’impression d’intimité, de dévotion personnalisée.


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Les deux exemples les plus tardifs de cette formule concernent tous deux des ecclésiastiques, à droite d’une Vierge en majesté.

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1459 Vierge au papillon Epitaphe du chanoine Pierre de Molendino.St-Paul's Cathedral, Liege

Vierge au papillon (Mémorial du chanoine Pierre de Molendino )
Attribuée à Antoine le Pondeur, 1459, Trésor de la Cathédrale St-Paul, Liège

L’épitaphe d’un chanoine

L’inscription en bas du tableau nous donne toutes les informations sur le donateur et la date de sa mort :

« Hic est sepultus egregius Dominus Petrus de Molendino, legum doctor,decanus et canonicus ecclesiarum Sancti Pauli Leodiensis et Sancti SalvatorisTraiectensis, qui obiit anno Domini millesimo CCCCLIX mensis maii die XXIII,cujus anima requiescat in pace »

Le chanoine Pierre de Molendino apparaît donc, son aumusse au bras, aux pieds de Saint Paul (le saint patron de son église de rattachement) et face à Saint Pierre (le Saint Patron de son prénom). Nous avons rencontré la même situation dans le Triptyque du chanoine Gerhard ter Steegen de Monte (voir1-1 Les donateurs : vue générale). On peut donc penser que la position du donateur, à droite, est imposée par l’ordre hiérarchique entre Saint Pierre (le premier pape) et Saint Paul. Elle permet aussi de laisser la place d’honneur à un troisième personnage sacré, dont la sihouette agenouillée vient fait pendant à celle du suppliant.


Une iconographie unique : Marie-Madeleine

1459 Vierge au papillon Epitaphe du chanoine Pierre de Molendino.St-Paul's Cathedral, Liege schema
Dans cette composition très symétrique, la silhouette de Marie-Madeleine la pécheresse vient s’inscrire en miroir face à celle du défunt, pour compléter le triangle central autour de la Vierge à l’Enfant (en bleu). De même que les auréoles des deux saints renvoient à celle de Marie (cercles jaunes), leurs pieds droit et gauche nus renvoient à ceux de l’Enfant (cercles blancs).



1459 Vierge au papillon Epitaphe du chanoine Pierre de Molendino.St-Paul's Cathedral, Liege Marie Madeleine
Marie-Madeleine les embrasse, préfigurant la scène du lavement des pieds où elle essuiera de ses cheveux ceux du Christ devenu adulte (sur ce thème, voir 3 Toucher le pied du Christ : Marie-Madeleine).


Une iconographie unique : l’intercession pour une âme

Au dessus de la tête du chanoine, la banderole comporte le texte traditionnel par lequel les défunts demandent à Marie d’intercéder auprès de Jésus pour le salut de leur âme :

« O Mater Dei, memento mei »



1459 Vierge au papillon Epitaphe du chanoine Pierre de Molendino. Pierre tombale St-Paul's Cathedral, Liege

Pierre tombale de Molendino, Cathédrale St-Paul de Liège
Extrait de l’article de Douglas Brine [1]

Le panneau constitue pratiquement le seul exemple conservé d’une épitaphe peinte et de la pierre tombale au dessus de laquelle elle était accrochée.


1459 Vierge au papillon Epitaphe du chanoine Pierre de Molendino.St-Paul's Cathedral, Liege detail boite

La boîte à onguents de Marie-Madeleine, qui lui a servi à oindre le cadavre du Christ, est posée à ras de l’inscription : comme si elle venait de servir, tout autant, au chanoine sous sa pierre.



1459 Vierge au papillon Epitaphe du chanoine Pierre de Molendino.St-Paul's Cathedral, Liege detail papillon
Tout aussi unique est le papillon que la Vierge présente à Jésus, au centre du panneau. Ses couleurs blanc et noir reprennent celles de la robe blanche et de l’aumusse : Paul Bruyère a bien montré qu’il représente, selon une iconographie traditionnelle (voir Le crâne et le papillon), mais ici individualisée de manière exceptionnelle, l’âme-même du défunt chanoine.

« Ainsi, si le papillon symbolise l’âme, comment comprendre l’attitude de l’enfant qui agite le bras droit comme pour se prémunir de l’insecte que sa mère tient délicatement entre le pouce et l’index, et lui place sous les yeux ? Le papillon représente l’âme du défunt. Une âme qui n’est pas immaculée,mais dont les ailes blanches sont bordées de noir… L’âme attend la manifestation du jugement dernier, la dernière parousie, « le jour du Jugement » qu’annoncent les textes sacrés, au terme duquel le Christ triomphant aura séparé les justes des maudits. La scène fige cet instant où la Vierge, sur son instance, intercède en faveur du doyen Molendinus «  [2]


L’âme transfigurée (SCOOP !)

Pierre Somville a remarqué une autre originalité du panneau [3] : les ailes de papillon mordorées, que l’on pourrait prendre à première vue pour celles des angelots.



1459 Vierge au papillon Epitaphe du chanoine Pierre de Molendino.St-Paul's Cathedral, Liege detail papillons
Il suffit de rapprocher les deux motifs, de part de d’autre du livre ouvert qui en constitue une troisième occurrence, pour comprendre que, depuis la pierre tombale au dessous du tableau jusqu’au papillon bicolore puis au papillon mordoré au dessus du livre, cet ensemble funéraire montre les transformations que le chanoine espère, depuis son cadavre-chrysalide jusqu’à son âme pécheresse, puis, après le Jugement, à son Ame transfigurée.


 

1459 Vierge au papillon Epitaphe du chanoine Pierre de Molendino.St-Paul's Cathedral, Liege schematriangles

Par leur forme triangulaire, les deux ailes du papillon constituent, au centre du panneau, un écho au livre et aux ailes des anges et, au delà, une synthèse de la composition d’ensemble, où la Madeleine et le chanoine forment comme les deux ailes du trône de la Madone (sur ce type de composition autour d’un objet organisateur, voir 4 Symbolisme moléculaire).



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1450-80 Domenico di Michelino, san Giovanni Battista, san Pietro, san Francesco d'Assisi, san Leonardo e donatore Musee des BA Dijon

Vierge à l’Enfant avec Saint Jean Baptiste, Saint Pierre, Saint François d’Assise, Saint Léonard et un donateur
Domenico di Michelino, 1450-80, Musée des Beaux Arts, Dijon

Pour ce second exemple, en revanche, on ne dispose d’aucune documentation.

L’indifférence de l’Enfant, qui joue avec un oiseau, semble cohérente avec le parti-pris d’humilité qui marque la composition : la moitié droite est dominée par deux saints en robe de bure, le petit frère des pauvres et l’ermite patron des prisonniers, sous lesquels le donateur ajoute son austère tenue : sa tonsure montre qu’il s’agit d’un ecclésiastique, mais on ne sait rien d’autre sur lui.


Une possible épitaphe (SCOOP !)

1450-80 Domenico di Michelino, san Giovanni Battista, san Pietro, san Francesco d'Assisi, san Leonardo e donatore Musee des BA Dijon detail

A la lumière de l’exemple de Pierre de Molendino, on peut soupçonner qu’il s’agit ici encore d’un mémorial, et que l’oiseau dans les mains de l’Enfant à quelque chose à voir, par sa robe sombre, avec l’âme de l’humble donateur.



Donateur à droite, enfant bénissant

Cette formule, auparavant minoritaire avec le donateur souris, devient la plus courante lorsque celui-ci augmente en taille. Au début, entre 1274 et 1430, on la trouve le plus souvent dans les épitaphes de défunts.

1320-60 Anonimo senese santo vescovo e donatore Allen Memorial Art Museum, OberlinVierge à l’Enfant, Saint évêque et un donateur
Anonyme siennois, 1320-60, Allen Memorial Art Museum, Oberlin
 
   1230 ca Berlinghiero_Berlinghieri_Hodegetria METVierge Hodegetria
Berlinghiero Berlinghieri, vers 1230, MET, New York

Il est frappant de voir comment le type de la Vierge Hodegetria domine encore la peinture sur panneau : l’innovation du donateur à taille enfant oblige l’artiste à modifier timidement le modèle : tout en restant tourné vers sa mère, il bénit au centre et ne tourne que légèrement la tête.


1375-98 Giovanni_di_bartolomeo_cristiani,_madonna_in_trono,_santi_e_un_donatore Chiesa di Sant'Ambrogio a FirenzeVierge à l’Enfant, Saint Antoine, Saint Jacques avec un donateur laïc
Giovanni di Bartolomeo Cristiani, 1375-98, Eglise Sant’Ambrogio, Florence
 
  
1400-50 Sacristie eglise de San Lorenzo Vicence
Vierge à l’Enfant, un Saint Evêque et un apôtre avec un donateur clerc
1400-50, sacristie de l’église San Lorenzo, Vicence

On voit ensuite l’Enfant, tout en restant porté à droite, se tourner progressivement vers le donateur pour bénir de manière plus naturelle.


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1411 -24 Madonna_and_Child_with_Saint_Catherine_of_Siena_and_a_Carthusian_Monk MET

Vierge à l’Enfant avec Sainte Catherine de Sienne et un moine chartreux (Stefano Maconi)
Ecole lombarde, 1411-24, MET, New York

Catherine de Sienne est représenté ici avec l’auréole d’une bienheureuse et non d’une sainte, ce qui situe l’oeuvre avant sa canonisation (1461). La datation plus précise repose sur l’hypothèse que le moine chartreux serait un compagnon de la future sainte, prieur du monastère de Pavie dans cette période. [4]


Une probable épitaphe (SCOOP !)

Le moine apparaît comme emprisonné dans une clôture de briques (sol et muret) tandis que les figures sacrées dépassent dans le ciel doré. Le fait très inhabituel que Jésus, non seulement le bénisse de la main droite, mais le touche de la main gauche, suggère fortement qu’il s’agit d’une âme immatérielle : non pas montée au ciel, mais encore emprisonnée dans la terre (la brique) et que Jésus vient délivrer. Il s’agirait donc là encore d’une épitaphe.


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Epitafium Boreschowa - Prezbiterium

Epitaphe du chanoine Bartholomée Boreschow, 1426, Cathédrale de Frauenberg (Frombork)

La Vierge de l’Humilité est assise sur un tapis lui-même posé sur un coussin, adossée à une jardinière surélevée et abritée sous une treille.

L’inscription autour du tondo commémore la mort, en 1426, du chanoine Bartholomée Boreschow. Ce panneau était accroché au dessus de sa tombe dans la cathédrale de Frauenberg (Frombork), du temps où la ville était sous le contrôle des Chevaliers teutoniques.

Le chanoine est représenté en habit sacerdotal : son aumusse sur les épaules et son bonnet rouge entre les mains, il est surplombé par Marie-Madeleine. La boîte à parfums, ainsi mise en évidence, pourrait être une allusion à son emploi de médecin auprès du Grand Maître de l’Ordre.


Offrir son âme (SCOOP !)

1426 epitaph of the canon Bartholomew Boreschow detail
Tout en bénissant de la main droite, l’Enfant Jésus tend la main gauche, soutenue par sa mère, vers une grappe de raisins que l’Ange a cueillie sur la treille (et qui préfigure le sang de la Passion).

L’originalité est ici la similitude entre la posture de l’Ange – tenant de la gauche son panier et de la droite son cadeau – et celle de Marie Madeleine – tenant de la gauche sa boîte et de la droite le chanoine. L’image va plus loin ici que la  simple bénédiction : elle montre le défunt chanoine s’offrant en personne à l’Enfant.


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Virgin and Child, St John the Baptist, St George or St Ansanus, by Filippo Lippi

Triptyque avec La Vierge de l’Humilité, des anges et un donateur
Filippo Lippi, 1430, Fitzwilliam Museum, University of Cambridge

Ce triptyque maladroit, qui date des débuts de la carrière de Lippi, est en grande partie énigmatique. Les saints des volets latéraux sont à gauche saint Jean-Baptiste, le patron de Florence, et à droite Saint Ansanus, le patron de Sienne.

Dans le panneau central, quatre anges soutiennent un coussin vert dans le dos de la Vierge de l’Humilité, suggérant qu’elle est assise sur in autre coussin caché par la robe. A l’arrière-plan le portique à trois colonnes conserve un reste de solennité. L’Enfant Jésus lève sa main droite pour bénir le donateur en même temps qu’il impose sa main gauche sur son béret rouge, en un contact physique très exceptionnel.



1430-39 Lippi Trittico della Madonna dell'Umilta con i santi, angeli e donatore . Fitzwilliam Museum - University of Cambridge detail
Malgré l’écusson du fronton et l’emblème en bas à droite (un quadrupède mal défini portant dans sa gueule la devise en français « Penses biem (bien) », il n’a pas été possible d’identifier le donateur [5]. Par ses proportions à la Toulouse-Lautrec (grosse tête et torse rabougri), il constitue une sorte de chaînon manquant entre le donateur-souris et le donateur à taille humaine.

Avec sa Vierge géante, ses Saints de taille intermédiaire, son gros Jésus et son donateur-nain, cette oeuvre de jeunesse témoigne en tout cas de l’évolution en cours entre deux esthétiques : la perspective signifiante et la perspective géométrique qui bientôt va gagner le partie.



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1438 Domenico di Bartolo, Madonna con Bambino in trono e donatrice Pinacoteca Nazionale, Perugia detail

Polyptique de Santa Giuliana
Domenico di Bartolo, 1438, Pinacoteca Nazionale, Perugia
Cliquer pour voir l’ensemble

La banderole aux pieds de la Madone donne le nom du peintre :

DOMINICUS BARTOLI DE SENIS ME PINXIT

Et l’inscription juste en dessous, sur le cadre, donne celui d’Antonia Buccoli, l’abbesse qui a commandé le retable pour le couvent de Santa Giuliana à Pérouse :

‘Hoc opus fecit fieri Domina Antonia filia Fra(n)cisci de Domo buccholis abbatissa istius Monasterii in anno domini M CCCC XXXVII de mensis mai »

La position de la donatrice s’explique par la proximité voulue avec le démon que Santa  Giuliana,tient de sa main gauche au bout d’une chaîne : ainsi protégée du Mal  par  la  sainte patronne du monastère, l’abbesse récompensée se fait  flatter par la main gauche de Marie.

C’est une des toutes premières fois, pour une Vierge en Majesté, que l’Enfant se trouve porté sur le bras droit  (ceci ne se rencontre jusqu’alors que dans les Vierges de l’Humilité). Le résultat est de dégager au centre une large place pour la bénédiction de l’Enfant.

Car l’objectif principal de ce retable n’est pas de pure piété : tout en bénissant la donatrice, l’Enfant tient dans sa main gauche une banderole avec les mots « LUX MUNDI EGO » et un minuscule globe, qui fait comme un médaillon à sa mère. Et celui-ci porte en grisaille le château de San Egidio di Colle, dont la possession faisait à l’époque l’objet d’une contestation par le monastère rival de S. Francesco al Prato et par la commune de Pérouse.

Ainsi le divin Enfant est-il enrôlé au service des revendications territoriales de l’abbaye.



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1440-1451, Goncal Peris Sarria y taller, Virgen con el Nino y el cardenal Alfonso de Borja futur papa Callixte III, Museum of Fine Arts, Boston
Vierge à l’Enfant avec le cardinal Alfonso de Borja (futur pape Callixte III)
Gonçal Peris Sarrià et atelier, 1440-1451, Museum of Fine Arts, Boston

L’enfant Jésus porte une amulette en corail autour du cou, comme bien des bébés de l’époque dans le bassin méditerranéen. Selon la tradition romaine, les brindilles pointues pénétraient dans le mauvais oeil lancé par envie, tandis que pour les chrétiens sa couleur rouge préfigurait la Passion. Le collier de corail a donc ici pour double effet d’humaniser l’enfant, tout en rappelant son destin tragique.

Le bébé tient son mollet de la main gauche tout en bénissant de la droite le cardinal en contrebas, pose contorsionnée due au format en hauteur.

Tandis que le lys de Marie se déploie librement dans la moitié gauche, le cardinal se place à droite sous la protection de l’Enfant, lui-même protégé par le corail..

Une étude récente [6] conclut que le retable dont ce panneau constituait la partie centrale, avait probablement été commandé pour orner la chapelle funéraire du cardinal à Santa María de Xàtiva, près de Valence, avant que celui-ci ne soit nommé pape et ne finisse ses jours à Rome.


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1469 St Christophe et donateur commandé par Taddeo Manfredi suite e une peste Museo di San Domenico ImolaSt Christophe et un donateur  

 

 

 

 

 

1470 ca Donateur et demon Museo di San Domenico ImolaVierge à l’Enfant avec un donateur

Vers 1469, fresques provenant de ka Porta Spuviglia, Museo di San Domenico, Imola

Une inscription en haut de la fresque de Saint Christophe indique qu’elle a été faite par Tommaso Cardello pour Taddeo Manfredi en 1469, une année après une terrible épidémie de peste.

Elle fonctionne probablement en pendant avec l’autre figure protectrice, la Madone pourfendant un dragon avec une lance qui fait écho au bâton du Saint. La geste de sa main gauche joue un double rôle : à la fois tenant la lance et accueillant le donateur.

Régler la taille des deux donateurs n’a pas dû être simple : les faire trop grand aurait minimisé à gauche la taille du géant, les faire trop petits aurait rendu celui de droite ridicule par rapport au dragon. La taille enfant résulte donc ici d’un délicat compromis.


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1488 Andrea Bellunello Madonna con Bambino e donatore e i santi Pietro e Paolo, , duomo di San Vito al Tagliamento

Vierge à l’Enfant avec un donateur, entre Saint Pierre er Saint Paul.
Andrea Bellunello, 1488, duomo di San Vito al Tagliamento

Ce triptyque recherche la réplication (et non la symétrie, comme c’est le cas en général) : chacune des grandes figures incline la tête vers la gauche, tient dans sa main gauche un livre et dans sa main droite son attribut : clé, Enfant ou glaive. Il est logique que le donateur se place du côté vide (sous le livre), pour équilibrer, par une plage noire, la plage blanche de l’Enfant bénissant.


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1504 ca Peruzzi Baldassarre, Giovanni Battista, santo, Caterina Onofrio e donatore Chiesa di S. Onofrio al Gianicolo, Roma absideVierge à l’Enfant avec Saint Jean Baptiste, Saint Jérôme, Sainte Catherine, saint Onufre et un donateur
Baldassarre Peruzzi, vers 1504, abside de l’église S. Onofrio al Gianicolo, Rome
1531 Longhi Luca, Francesco d'Assisi, san Giorgio e il donatore Antonello Zampeschi Pinacoteca Civica, Santarcangelo di RomagnaVierge à l’Enfant avec Saint François d’Assise, saint Georges et le donateur Antonello Zampeschi Luca Longhi , 1531, Pinacoteca Civica, Santarcangelo di Romagna

Au XVIème siècle, la formule perd toute connotation funéraire. Dans la fresque de Baldassarre Peruzzi, la Madone se trouve au centre de l’abside, au dessus du maître-autel. Le donateur agenouillé aux pieds du Saint patron de l’église est probablement un des prêtres. Dans le retable de Longhi, le seigneur en armure aux pieds de Saint Georges fait étalage de sa puissance : il vient d’obtenir en 1529 la seigneurie de Forlimpopoli, et ne mourra qu’an 1551.



Donateur à Gauche, enfant bénissant

Le geste de bénédiction autorise le donateur à s’approcher : néanmoins l’artiste utilise un artifice graphique, en général le montant du trône, pour le garder à distance respectueuse.



1254 ca Santa_Maria_in_Aracoeli_Cappella_Santa_Rosa senatore Colonna

Vierge à l’Enfant, Saint François avec un sénateur (Giovanni Colonna ?), Saint Jean Baptiste
Mosaïque, vers 1254, Chapelle Santa Rosa, Santa Maria in Aracoeli, Rome

Voici le plus ancien exemple de ce type de composition : le donateur est de taille enfant par rapport à son saint patron, lui même de taille enfant par rapport à la Vierge assise (ce qui fait que le donateur est de taille souris par rapport à la Vierge).

Cette mosaïque possède une jumelle, qui permet d’identifier le donateur.


Mosaique provenant de Santa Maria in Aracoeli, chapelle du Palazzo Colonna

Vierge à l’Enfant, Saint François et Saint Jean Baptiste avec Giovanni Colonna,
Mosaïque provenant de Santa Maria in Aracoeli, chapelle du Palazzo Colonna, Rome

En effet elle porte à gauche les armoiries parlantes de la famille Colonna, et le prénom du sénateur, Iohannes (Domini genitricis servus, serviteur de la mère de Dieu). Au lieu d’entourer la Vierge, les deux saints entourent le sénateur : Saint François était un important patron des Colonna, et Saint Jean Baptiste le patron personnel de Giovanni [7].

Le cadrage à mi-corps rend les deux saints de la même taille que la Vierge, ce qui rétrograde le donateur à la taille souris par rapport à tous.


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1349 Abbaye de Viboldona donatore abbe Villa photographie Ilaria Gloria Furia

Vierge à l’Enfant, saint Georges avec le prieur Guglielmo Villa, Saint Jean Baptiste , saint Bernard et Saint Ambroise
Maestro di Viboldone, 1349, Abbaye de Viboldona, photographie Ilaria Gloria Furia

Précédé par Saint Jean Baptiste et poussé par Saint Georges avec son dragon, le prieur reste à bonne distance du trône (selon certains, il s’agirait plutôt d’Andrea Viconti [8]).


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1343-68 Giovannetti Matteo Coll privee 1343-68 Giovannetti Matteo Coll privee detail

Vierge à l’Enfant avec un donateur
Matteo Giovannetti , 1343-68, Collection privée

C’est sans doute sa qualité d’t qui vaut au donateur de se présenter en position de bénédiction, sans accompagnateur : ce rôle est en partie tenu par l’ange et les saints minuscules brodés sur le galon de la chape.

La barrière infranchissable est ici marquée par la main verticale de Marie.


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1350-99 Memmo di Filipuccio san Giacomo Maggiore, san Pietro e donatrice Chiesa dei SS. Jacopo e Filippo Certaldo

Vierge à l’Enfant, Saint Jacques avec une donatrice, Saint Pierre
Memmo di Filipuccio, 1350-99 Eglise des SS. Jacopo e Filippo, Certaldo

La forme en fronton crée cette situation intermédiaire où la donatrice est de taille enfant par rapport au saint patron de l’église, mais reste de taille souris par rapport à la Madone. A une période où la formule de l’enfant bénissant le donateur est largement répandue, cette fresque apparaît comme très conservatrice, avec cette bénédiction centrée qui évite toute interaction, de la part de la mère comme de celle de l’Enfant.

La frontière est clairement marquée par le large montant du trône.


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1395 Gentile_da_Fabriano_-_Mary_Enthroned_with_the_Child,_Saints_and_a_Donor_-_Gemaldegalerie Berlin

Vierge à l’Enfant avec Saint Nicolas, Saint Catherine et un donateur
Gentile da Fabriano, 1395 , Gemädegalerie, Berlin

Le donateur serait le marchand Ambrogio di Bonaventura [9]. Il est représenté de la taille d’un garçonnet, sous la main de saint Nicolas qui relaie la bénédiction de Jésus.


Des inventions graphiques (SCOOP !)

1395 Gentile_da_Fabriano_-_Mary_Enthroned_with_the_Child,_Saints_and_a_Donor_-_Gemaldegalerie Berlin detail
L’agrandissement du donateur s’accompagne du rapetissement des attributs : la crosse et les trois boules de Saint Nicolas, le logo du marchand, la palme et la roue de Sainte Catherine, qui deviennent des sortes de devinettes visuelles,


1395 Gentile_da_Fabriano_-_Mary_Enthroned_with_the_Child,_Saints_and_a_Donor_-_Gemaldegalerie Berlin arbres
C’est ainsi qu’il faut se rapprocher beaucoup pour voir que les fruits rouges dans les arbres sont en fait deux septuors d’anges, répartis selon le logo du donateur : à gauche les cordes autour de l’orgue, à droite les trompettes et les cymbales autour d’une roue à clochettes qui venge la roue brisée de Saint Catherine.


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1400-1415 La vierge aux eglantines Boheme Louvre.

La vierge aux églantines
Bohëme, 1400-1415, Louvre, Paris

Traversant la barrière du trône, le donateur se rapproche latéralement, mais s’éloigne verticalement, maintenant la distance de respect.

On rencontre ici une situation de relais : le Fils désigne le donateur à la mère, laquelle pointe à son tour l’index vers lui. Comme elle tient en même temps dans sa main un petit bouquet d’églantines (un symbole de la Passion), il n’est pas impossible que son geste soit un cas rarissime de « don inversé », où ces fleurs tombant du ciel gratifieraient le donateur.

Ce dernier, identifié par ses armoiries, est le comte Otto von Hohenstein, évêque de Merseburg (près de Halle, Saxe) de 1400 à 1406.


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1417 Luca da Perugia Cappella Pepoli basilica san petronio Bologne

Vierge à l’Enfant avec saint Ambroise, saint Antoine, saint Pétrone de Bologne, saint Bartholomé, saint Cosme, saint Gottard, saint Damien et le donateur Bartolomeo da Milano
Luca da Perugia, 1417, Chapelle Pepoli, basilique San Petronio, Bologne.

Le nom du donateur, un riche mercier, est indiqué sous la corniche du bas :

« hoc opus fecit fieri magister Bartholomeus de Mediolano pro anima sua MCCCCXVII de me(n)se iulii »

La dissymétrie apparente de cette sainte galerie disparaît si l’on raisonne par trois :

  • à gauche deux saints évêques (celui de droite étant le patron de la basilique) entourent un saint moine ;
  • à droite deux saints savants entourent un saint évêque ;
  • au centre, le saint patron Bartholomé présente le donateur à la Madone.

Cette fresque se trouve sur le mur droit de la chapelle : le donateur se trouve donc en sens inverse du spectateur qui y pénètre, contrairement à ce que l’observe à Vérone cinquante ans plus tôt, mais dans le cas de donateurs à taille humaine (voir 6-1 …les origines). Nous avons donc ici un indice indirect du fait que le donateur à taille enfant a un  degré moindre de réalité, et est encore vu comme une convention graphique plutôt que comme une présence incarnée.


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1400-99 Giovanni Badile attr Pala della Levata Madonna con Bambino tra san Nicola di Bari, sant'Andrea e la committente Museo di Castelve
Vierge à l’enfant, saint Nicolas et une donatrice, Saint André (Pala della Levata)
Attribuée à Giovanni Badile, 1400-50, Museo di Castelvecchio, Vérone (provient du couvent San Bartolomeo della Levata)

Entre les noms des saints en lettres gothiques, l’Enfant et la Vierge sont identifiés, de manière étrange et qui semble totalement archaïque, par leurs monogrammes byzantins : IC XC (Jésus Christ) et MP-OY (Mère de Dieu).

Tout le charme de ce panneau provient de son ambiguïté : s’agit-il d’un véritable enfant, comme pourrait le suggérer la figure de Saint Nicolas ? Ou bien d’une jeune fille, sans doute une novice, mais représentée en taille enfant ?



1400-99 Giovanni Badile attr Pala della Levata Madonna con Bambino tra san Nicola di Bari, sant'Andrea e la committente par trois
Si on lit la composition comme un triptyque , la fillette sous la crosse apparaît presque comme un attribut secondaire de Saint Nicolas, au même titre que le livre par rapport à la croix de Saint André.



1400-99 Giovanni Badile attr Pala della Levata Madonna con Bambino tra san Nicola di Bari, sant'Andrea e la committente par quatre
Si en revanche, en se laissant guider par les inscriptions, on la lit plutôt comme un quadriptyque, on y verra la croix tragique se profiler dans un secteur vide marqué seulement par le monogramme de Dieu ; et une crosse florissante dans un secteur marqué par les monogrammes combinés « Mère » et « Jésus », où la jeune novice épouse l’Enfant.



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1465-70 Antonello da messina MADONNA COL BAMBINO E UN DONATORE FRANCESCANO Museo Regionale MessinaVierge à l’Enfant avec un moine franciscain (avers) 1465-70 Antonello da messina MADONNA COL BAMBINO E UN DONATORE FRANCESCANO Museo Regionale Messina reverse ecce homoEcce homo (revers)

Antonello de Messine, 1465-70, Museo Regionale, Messine

Dans ce petit panneau biface, destiné aux dévotions privées du moine, la taille enfant est essentielle pour faire fonctionner un dispositif ingénieux d’identification à Jésus, en deux temps :

  • dans un premier temps, sur l’avers heureux, le donateur se contemple, passé grâce à sa prière de l’autre côté du parapet, second enfant accueilli par son frère (toute notion de cloison est abolie) ;
  • dans un second temps, sur le revers triste, la prière s’approfondit et le cadrage se resserre : le parapet s’est refermé en une auréole de pierre, à l’intérieur de laquelle le donateur et le Christ souffrant ne font plus qu’un.



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1468 ca PELOSIO, Francesco di Bartolomeo Convento dell'Osservanza, cappella della Madonna delle Grazie, Imola
Vierge à l’Enfant avec douze anges et un donateur
Francesco di Bartolomeo Pelosio, vers 1468, Couvent dell’Osservanza, chapelle de la Madonna delle Grazie, Imola

On pense que le donateur est Taddeo Manfredi, le seigneur d’Imola, qui avait fait venir les franciscains dans ce couvent en 1466 [10]. Formellement, il est de taille souris par rapport à la Madone ; mais son insertion originale au sein d’un des groupes d’anges lui confère la taille enfant, et nous fait comprendre, comme le confirme la hauteur du socle par rapport aux champs et aux forêts, que c’est la Madone qui est géante. Nouvel exemple d’une distance de respect maintenue par l’éloignement vertical.


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1485 Anonimo fiorentino angeli e donatore Chiesa di S. Maria delle Grazie, Santa Stia
Vierge à l’Enfant avec le donateur Antonio di Francesco da Basciano
Anonimo fiorentino, 1485, Eglise de S. Maria delle Grazie, Santa Stia

Cette fresque est intéressante par les précisions qu’elle donne sur le donateur :

« Questa figura a fato fare antonio di franciescho da bascano, contado d’arezo, per l’anima sua, desua pasati comesoneio ispedale di santa maria nuova AD vintiquatro di novembre 1485 »

On le retrouve effectivement en 1478, parmi les donateurs de l’hôpital Santa Maria Nuova de Florence. A la fin de sa vie, il fit don de cette fresque votive à une église récemment construite sur les lieux d’une apparition miraculeuse de la Vierge à Stia, village à égale distance de Florence et de sa ville natale d’Arezzo.


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1489 Foppa donateur Manfredo Fornari Pinacoteca Savona

Vierge à l’Enfant avec le donateur Manfredo Fornari (Pala Fornari)
Foppa, 1489, Pinacoteca, Savone (autrefois à l’église de la Madonna di Loreto)

Lors de deux passages à Savone, Foppa a peint deux polyptyques pour deux donateurs différents. Dans le premier, le fond d’or crée un espace abstrait qui facilite le passage paradoxal de Manfredo Fornari entre le compartiment de Saint Jean Baptiste, où il est de taille géant, à celui de la Madone, où il est de taille enfant : cette disposition extraordinaire s’explique probablement ([11], p 161) par le fait que le donateur n’était au départ pas prévu.


1490 Foppa donateur cardinal Giuliano della Rovere(Jules II) santa maria castello savona detail,
Vierge à l’Enfant avec le cardinal Giuliano della Rovere (futur pape Jules II)
Foppa, 1490 , autel majeur de Santa Maria Castello, Savone
Cliquer pour agrandir

L’année suivante, un second polyptyque beaucoup plus ambitieux (le plus grand que Foppa ait jamais réalisé) lui est commandé par Giuliano della Rovere, évêque et bienfaiteur de la cité. Le donateur figure cette fois, présenté par un ange, dans le compartiment central. Le trône de la Vierge sature tout l’espace : seul un peu de ciel bleu assure une continuité fictive avec les volets latéraux, où les deux Saints Jean se découpent sur un fond paysager.


Giovanni Mazone Triptyque della Rovere Musee du Petit Palais Avignon

Triptyque della Rovere
Giovanni Mazone, avant 1484, Musée du Petit Palais, Avignon

On ne sait pas si le cardinal était à Savonne au moment où Foppa a exécuté son portrait, et ci celui-ci a été réalisé sur le vif : la ressemblance est en tout cas étroite avec le triptyque réalisé cinq ans plus tôt par Mazone pour la chapelle familiale à San Francesco de Savone, où l’ambitieux cardinal s’était fait représenter, mais cette fois en position d’humilité, face à son oncle le pape Sixte IV. Il deviendra lui-même pape en 1503.


Donateur à gauche, enfant non bénissant

Cette position d’intrusion est la plus problématique lorsque la taille du donateur s’accroît. Voyons comment s’en sont tiré les rares artistes qui s’y sont essayé.



1386 Giovanni del Biondo pala d'altare della Pieve di Romena donatore piovano Jacopo di Mandrioli per remedio, oggi nella Propositura di Pratovecchio,
Vierge à l’Enfant, Saint Pierre avec le donateur Jacopo di Mandrioli, saint Paul
Giovanni del Biondo, 1386 Propositura di Pratovecchio, provient de la piève Saint Pierre de Romena

Ignorant le donateur, la Vierge tend à l’Enfant un chardonneret qui s’est posé sur sa main droite. Le choix de représenter le couple Saint Pierre et Saint Paul imposait de positionner le donateur du côté gauche, aux pieds de Saint Pierre, le saint patron du lieu. Cette position intrusive a été ici facilitée par la station debout de la Vierge, dont la haut stature « protège » l’Enfant (les deux formes en croix ne sont pas les pilastres d’un trône, mais les ailes croisées vers le haut des chérubins).



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1410-20 Giovanni Badile San Sigismondo Sant'Antonio due cavalieri Madonna lactansi Museo Bassano del Grappa salle capitulaire eglise sanFrancesco

Madonna lactans, Saint Sigismond, Saint Antoine avec deux chevaliers
Attribué à Giovanni Badile, 1410-20, Museo Bassano del Grappa, provient de la Salle capitulaire de l’église san Francesco [12]

Le choix des saints se comprend : Saint Antoine était le patron de la salle capitulaire ,Saint Sigismond et Saint Denis (qui lui fait face à droite) sont deux saints liés à la chevalerie.

Mais à une période où il est courant depuis longtemps de trouver des chevaliers de taille humaine à gauche de la Madone et de l’Enfant bénissant (voir 6-1 …les origines), on peut se demander pourquoi le peintre leur a donné cette taille minime (dans une fresque où la place ne manquait pas), et pourquoi il a choisi l’iconographie rare de la Vierge en trône allaitant (la plupart des Madonna Lactans sont des Vierges de l’Humilité, assises sur le sol).

En remarquant que le bâton de Saint Antoine barre en quelque sorte la route aux chevaliers, on peut imaginer que ces deux choix iconographiques sont corrélés : les chevaliers ne sont pas ici des acteurs dans une présentation officielle, mais les spectateurs d’une scène d’intimité, à laquelle ils assistent de loin.


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1420-30 Giovanni Badile polittico dell’Aquila Museo di Castelvecchio VERONA bis,

Vierge à l’Enfant avec Saint Antoine, Saint Georges, Saint Jacques, un donateur, Saint Pierre Martyre, Saint Zénon et Saint Damase (polittico dell’Aquila)
Giovanni Badile, 1420-30, Museo di Castelvecchio, Vérone

Le même notion d’intimité se trouve dans cette autre oeuvre de Badile. Dans ce polyptyque, la taille de la Madone, supérieure à celle des saints, est réglée par celle du compartiment central, deux fois plus large et avec une arcade deux fois plus haute. En reculant le trône vers l’arrière, l’artiste a ménagé en avant une place pour le jeune donateur qui a traversé la cloison,comme aspiré par cet espace aéré. Il pourrait s’agir d’un membre de la famille Boldieri (peut être Jacopo, vu son voisinage avec Saint Jacques).



1420-30 Giovanni Badile polittico dell’Aquila Museo di Castelvecchio VERONA detail,
Si le donateur a ici la taille enfant, c’est parce qu’il s’agit d’un garçonnet ; et c’est sans doute son jeune âge qui autorise cette intrusion. Abstraction faite des saints solennels coincés dans les volets latéraux, le panneau central nous montre une intimité quasiment familiale, où la mère assied pour la première fois, en le maintenant du bout des doigts, un bébé très humain, avec son collier de corail et son sexe à l’air, sous le regard plein d’amour de son « grand-frère ».

L’inscription « Johes Baili » (la seule signature connue de Badile, qu’on a longtemps pris comme un ajout postérieur) prouve le caractère exceptionnel de cet espace d’intimité partagée entre le divin et l’humain.



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1434 Giovanni dal Ponte, san Michele Cecilia, Domitilla, Girolamo, Nereo, Achilleo e donatrice Chiesa di S. Salvatore al Monte Fl

Vierge à l’Enfant avec Saint Michel, Sainte Cécile avec la donatrice Mona Cecilia de Boscoli, Sainte Domitille avec les Saints Nerée et Achillée, Saint Jérôme
Giovanni dal Ponte, 1434, Eglise S. Salvatore al Monte, Florence, anciennement dans l’église San Michele Visdomini

Pour sa dernière oeuvre signée, Giovanni dal Ponte abandonne le format gothique des polyptyques pour une scène unitaire, sous un fronton à l’antique. En positionnant les deux saints au premier plan et les deux martyres de part et d’autre du trône, il réussit à suivre harmonieusement les contours du cadre.

Devant Saint Michel (le patron de l’église) et aux pieds de Sainte Cécile (sa propre patronne) , la donatrice fait pendant aux saints Nérée et Achillée aux pieds de Sainte Domitille, représentés eux-aussi de taille enfant. Selon une légende, ces deux martyrs étaient les eunuques de la noble romaine, Domitille, ce qui peut expliquer leur taille inférieure. Mais cette taille induit aussi une comparaison implicite entre ces deux serviteurs, vierges et martyrisés pour avoir protégé la virginité de leur maîtresse, et la religieuse, priant aux pieds de Sainte Cécile, autre noble dame, autre vierge et martyre.



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1450 ca Virgin and Child with a Donor Presented by Saint Jerome, Master of the Munich Bavarian pannels MET

Vierge à l’Enfant avec un donateur présenté par Saint Jérôme
Master of the Munich Bavarian pannels, vers 1450, MET, New York

Ce panneau, qui révèle un mélange complexe d’influences, a probablement été réalisé en Italie, mais par un peintre allemand. C’est également en Italie qu’on l’a surélevé, quelques années plus tard, par un trilobe doré avec Dieu le Père bénissant (ou le Christ pantocrator). Les lettres de l’auréole de Marie n’ont pas été déchiffrées : VFQT . . . R[ou P]AOWB


Des arbres prémonitoires (SCOOP !)

Trois arbres distincts, clairement identifiables, sont plantés dans la jardinière : un olivier, un pommier et un figuier. Comme ils n’ont pas de lien avec les quatre protagonistes, ils doivent raconter à eux seuls une petite histoire. Selon la fiche du MET [13], ils renverraient au thème marial de l’hortus conclusus  et au Paradis Perdu.

Je penche quant à moi pour une explication plus précise : si le pommier central, au dessus de l’Enfant Jésus , fait bien allusion au passé lointain et au péché originel qu’il est venu racheter, les deux arbres latéraux sont les prémonitions du péché futur qui lui sera fatal : celui de Judas au Jardin des Oliviers, expié en se pendant à un figuier.

A la frontière entre la terre verte et le ciel doré, entre le présent et l’avenir, entre Jésus Enfant et Jésus en gloire dans le ciel, les trois arbres sont la barrière symbolique que l’Enfant devra traverser pour parvenir à la Divinité. D’où le rehaussement postérieur par le trilobe qui, en épousant la forme des arbres, favorise cette lecture ternaire.


Le donateur-enfant (SCOOP !)

Saint Jérôme en habit de cardinal, avec son galéro dont les cordons rouge pendent jusqu’au sol, abrite sous son manteau rouge le donateur. Marie, dont le long collier de corail rouge pend sur le genou, abrite dans son manteau rouge l’Enfant Jésus.

Ce parallèle confirme l’idée que nous avons déjà pressentie dans deux oeuvres italiennes de la même époque : celle que le donateur à taille d’enfant est perçu, justement, comme le second Enfant du tableau, frère humain de l’Enfant divin.



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1472 francesco-cossa-madonna-del-baraccano chiesa del baraccano Bologne
Madone de la barbacane (Madonna del baraccano)
Francesco Cossa, 1472, sanctuaire del Baraccano, Bologne

Une histoire merveilleuse

Les visages de la Madone et de l’Enfant sont les restes d’une Madone miraleuse peinte par Lippo di Dalmasio, entre 1350 et 1400.

En 1402, durant un siège de la ville, une femme âgée fut suspectée de passer des nouvelles à l’ennemi à travers une fente du mur, en faisant semblant de prier devant cette Madone. Elle fut arrêtée et le chef de la cité, Giovanni I Bentivoglio, fit construire un mur par devant. Mais le mur s’effondra peu après, Bentivoglio interpréta cela comme un miracle et fit relâcher la vieille femme.

En 1438, un oratoire fut construit pour protéger l’image miraculeuse et, en 1472, Giovanni Bentivoglio II (l’arrière-petit fils de Giovanni I) confia à Cossa le soin de la restaurer en conservant les visages, comme enchassés dans sa fresque.

En 1512, un nouveau miracle eut lieu lors d’un autre siège (comme le raconte un texte sur les murs de l’entrée) : une mine posée sous la chapelle fit sauter le mur, mais celui-ci se recomposa aussitôt, laissant l’image intacte.

Jusqu’à récemment, elle était protégée par un volet qui ne s’ouvrait que lors des grandes fêtes.


Des effets spéciaux spectaculaires

1472 francesco-cossa-madonna-del-baraccano chiesa del baraccano Bologne detail fond
Le mauvais état de la fresque empêche de percevoir son effet spectaculaire de contre-plongée et de relief : Cossa a creusé l’image vers l’arrière, en l’ouvrant sur une ville imaginaire au delà du rempart ; et l’a développée vers l’avant, en faisant surgir la Madone hors de la niche (devant les colonnes), précédée par deux anges porte-cierges, eux même précédés par le donateur agenouillé devant un candélabre très étrange



1472 francesco-cossa-madonna-del-baraccano chiesa del baraccano Bologne detail ostensoir
Il semble porter à son sommet une hostie, coupée net par le cadre ; mais le très mauvais état de conservation rend la lecture difficile.



1472 francesco-cossa-madonna-del-baraccano chiesa del baraccano Bologne detail
Il s’agirait soit du commanditaire, Giovanni Bentivoglio II, soit de son ancêtre Giovanni I.

1472 francesco-cossa-madonna-del-baraccano chiesa del baraccano Bologne detail femme

Car la femme âgée dont on distingue encore le profil en pendant, en bas à droite, n’est autre que Maria Vinziguerra, la vieille dame du miracle [14]. Représentée de taille souris, elle contraste fortement avec le donateur : pour les historiens d’art du XIXème, celui-ci aurait été rajouté par dessus la fresque de Cossa, au dessus d’un profil masculin symétrique de celui de la vieile femme [15]. Cette hypothèse est aujourd’hui abandonnée.


Un triple miracle

La présence massive du candélabre (ou ostensoir) central associé au donateur montre que les deux font bien partie de la conception originale :

  • au second plan, les anges portant deux candélabres célestes (dorés et ornée de bougies éclairées) font cortège à l’irruption merveilleuse de la Vierge ;
  • au premier plan, le donateur agenouillé devant l’ostensoir terrestre (en argent et portant l’hostie) habite le monde réel.

Sa position à gauche se rattache donc à la convention habituelle pour les témoins d’un miracle (voir 3-1 L’apparition à un dévôt), en l’occurrence triple :

  • la reconstitution miraculeuse de l’image, du temps de Giovanni I ;
  • sa restauration merveilleuse par Cossa, du temps de Giovanni II ;
  • le surgissement de la Vierge sortant du mur, de tout temps, par le miracle de la perspective.



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1470 Fra Diamante san Lorenzo, sant'Antonio Abate e Canon Carlo di Giovanni Casini Museo di Belle Arti Budapest
Vierge à l’Enfant, saint Laurent avec le chanoine Carlo di Giovanni Casini , Saint Antoine
Fra Diamante, 1470, Musée des Beaux Arts, Budapest

Le tableau provient du petit oratoire de San Lorenzo, bâti à Prato par ce chanoine : d’où sa position à gauche aux pieds de Saint Laurent, patron de l’édifice.

Collaborateur et continuateur de Fra Filippo Lippi, et moine comme lui, Fra Diamante tente d’avancer vers la modernité des donateurs en taille réelle, tout en conservant un sens médiéval de la hiérarchie. Ainsi, en avançant Saint Antoine vers le premier plan, il met à niveau son auréole par rapport à celle de Marie, compensant en partie la position assise. A gauche en revanche, pour caser le donateur, il doit mettre Saint Laurent en retrait, tout en alignant son auréole. On voit ici combien l’accroissement de la taille du donateur oblige à des ajustements laborieux, du moins tant que l’on veut conserver une structure compartimentée.


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1505 Zaganelli Francesco, Madonna con Bambino in trono tra san Francesco d'Assisi, san Nicola di Bari e il committente Pietro Marinazzo Brera
Vierge à l’Enfant, Saint François d’Assise avec le donateur Pietro Marinazzo, saint Nicolas
Francesco Zaganelli , 1505, Brera,Milan

Il est intéressant de voir que, trente ans plus tard, à un moment où la formule du donateur-enfant est totalement dépassée, Zaganelli résoudra le même problème de manière radicalement différente : les deux saints et la Madone sont de taille égale, et le donateur est rejeté en arrière, rapetissé à la taille du piédestal (voir d’autres exemples dans 2-7 Le donateur en retrait).


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1476 Antoniazzo Romano, Madonna col Bambino e i Ss. Pietro e Paolo , chiesa di San Pietro Apostolo, Mausoleo Cajetani FondiVierge à l’Enfant avec Saint Pierre, Saint Paul et le comte Onorato II Caetani

Antoniazzo Romano, 1476, Chapelle Caetani, Eglise de San Pietro Apostolo, Fondi [16]

1480 ca Antoniazzo RomanoVirgin and Child with Donor Museum of Fine Arts, Houston, Texas, USAVierge à l’Enfant avec un donateur
Antoniazzo Romano, 1476-80, Museum of Fine Arts, Houston, Texas,

On ne connaît ni la date précise de la version à mi-corps, ni son lien avec le retable Caetani (à gauche) : s’agit-il d’une version portative réalisée pour le même donateur ? Ou d’une réduction de format à but commercial ? On connait en toute cas une dizaine de variantes de la version à mi-corps, toutes sans la figure du donateur. [17]

Le fond d’or archaïsant, qui évoque délibérément les icônes des églises romaines, est typique d’Antoniazzo ; de même que le geste délicat de Marie soulevant le lange de sa main droite.


Un voile démonstratif

Selon Steinberg, ce voile qui, tout en les masquant, attire inévitablement l’oeil sur les parties génitales, correspond à des sermons prêchés à Rome à la même époque, à l’encontre de ceux qui niaient la nature humaine du Christ.


Un voile prémonitoire

La version réduite est la seule où ce « lange » est clairement identique au voile transparent qui coiffe Marie. Il s’agit de l’illustration littérale d’un texte de Saint Augustin (Meditationes Vitae Christi) qui raconte que Marie, à la naissance de Jésus, l’enveloppa dans son voile ; et qu’elle drapa le même voile autour de ses reins lors de la Crucifixion.

Ainsi la version à mi-corps, en ajoutant au voile prémonitoire le chardonneret, autre symbole de la Passion, est clairement plus complexe théologiquement, plus tragique et plus intimiste que la version d’église, où l’enfant est représenté triomphant, campé sur ses deux pieds et brandissant le globe terrestre.


Du public au privé

1476 Antoniazzo Romano, Madonna col Bambino e i Ss. Pietro e Paolo schema

Dans la version publique, ce globe vient compléter la série décroissante des auréoles. Bien détaché sur le fond d’or, il oppose sa compacité au cercle virtuel que les doigts de la Vierge délimitent autour du voile transparent.

Dans la version destinée à la dévotion privée, tout se resserre : le donateur remonte, l’Enfant avance d’un pas vers lui, touche la joue de Marie, enlace son cou, et sa main droite avoisine celle de sa mère, tous près des mains jointes du donateur.


Synthèse quantitative

Ma base de données comporte 60 exemples de donateurs-enfants en Italie, et seulement 5 dans les Pays du Nord. La synthèse quantitative n’a donc de sens que pour l’Italie.



GrapheEnfantHistoDroiteItalie
Pour les donateurs à droite, le type naturel (non bénissant) est majoritaire avant 1350, se démode vers 1400, puis revient ensuite, avec un total de 10 cas contre 17 pour le cas « paradoxal ».


GrapheEnfantHistoGaucheItalie
Pour les donateurs à gauche, les deux formules sont équivalentes : 19 pour le type naturel (bénissant), 16 pour les autres attitudes.
Ainsi, contrairement à l’intuition, l’accroissement de taille du donateur ne se traduit pas pat un renforcement des règles héraldiques : bien au contraire, il traduit chez ceux qui l’adoptent un état d’esprit plus moderne, et une indifférence envers ces vieilles normes.


Disposition relative du donateur et de l’Enfant

<donateur g d)<posiyion g droit)

GrapheEnfantProportionDonateurPosition donateur GrapheEnfantProportionPosEnfantPosition Enfant

Le premier schéma ne montre aucune préférence significative pour la position du donateur. Le second montre une prédominance  qui se maintient  pour le type le plus ancien, celui de l’Enfant porté à droite (34 cas sur 60).  La mode de l’Enfant portée au centre reste très limitée (4 cas) et ne se rencontre qu’autour de 1450.


Bénédiction ou indifférence

GrapheEnfantCorrelationBenissantEnfant bénissant GrapheEnfantCorrelationNonBenissantEnfant non-bénissant

Lorsque l’Enfant bénit le donateur, on trouve une préférence significative pour le placer du même côté que celui-ci ; lorsqu’il l’ignore, il est très majoritairement placé à droite (18 cas contre 4).



GrapheEnfantProportionGeste
Le cas où l’enfant bénit est globalement majoritaire (36 cas contre 24) : l’accroissement de taille du donateur correspond donc bien, du moins avant 1350, à une recherche d’interaction avec l’Enfant. Ensuite, la formule de l’enfant non-bénissant se développe, sans jamais dépasser 40% des cas. Mais il est intéressant de séparer les cas du donateur à droite et du donateur à gauche.

<soursis><znfant>


Donateurs à droite

 

GrapheSourisProportionGesteDroiteDonateur souris GrapheEnfantProportionGesteDroiteDonateur enfant

 

 

A l’inverse du donateur-souris, pour laquelle la formule réputée compliquée de la bénédiction par la droite n’a jamais pris, celle ci ne pose aucun problème pour les artistes qui pratiquent la taille enfant, et devient même largement dominante : une interprétation possible serait que ces artistes sont globalement plus habiles ; une meilleure interprétation est que les donateurs qui préfèrent être représentés en grand préfèrent aussi être bénis : demande d’individualisation qui a forcé les artistes à à se diversifier.


Donateurs à gauche

 

GrapheSourisProportionGesteGaucheDonateur souris GrapheEnfantProportionGesteGaucheDonateur enfant

Pour les donateurs à gauche, en revanche, la comparaison confirme et même amplifie ce que nous avions vu pour le donateur-souris : pour les donateurs-enfant, la présentation par la gauche n’est autorisée au départ que par le geste de bénédiction ; puis le côté intrusif s’oublie et la préférence s’inverse, traduisant le fait que, béni ou non-béni, la présentation par la gauche est portée par le sens de la lecture.


Conclusion

On peut retenir deux conclusions de cette analyse concernant l’accroissement de taille du donateur :

  • une contre-intuitive : il s’accompagne d’une indifférence croissante par rapport aux règles héraldiques ;
  • une parfaitement logique : il traduit une volonté d’interaction avec l’Enfant.

Cette interaction étant plus forte que dans le cas du donateur-souris, il y a une corrélation significative entre les positions relatives :

  • dans la formule la la plus ancienne et la plus conventionnelle, celle où l’Enfant bénit, les artistes prennent aussi la position la plus simple pour le donateur : du même côté que lui ;
  • dans la formule plus moderne et plus variée où il ne bénit pas, les artistes n’en rajoutent pas dans l’originalité, et conservent la position la plus classique pour l’Enfant : sur la droite.



GrapheSourisEnfantProportion
Enfin, en observant le choix entre les deux tailles, on constate que la formule « souris » reste au total prédominante (116 cas contre 60), et que la taille « enfant », rare avant 1300, se stabilise ensuite à environ un tiers des cas.


Références :
[1] Evidence for the Forms and Usage of Early Netherlandish Memorial Paintings, Douglas Brine, Journal of the Warburg and Courtauld Institutes Vol. 71 (2008), https://www.jstor.org/stable/20462780
[2] Pour une analyse théologique : Paul Bruyère, La « Vierge au papillon » du trésor de la cathédrale de Liège (ca. 1459), fruit d’une réflexion théologique originale http://www.academia.edu/1164011/La_Vierge_au_papillon_du_tr%C3%A9sor_de_la_cath%C3%A9drale_de_Li%C3%A8ge_ca._1459_fruit_d_une_r%C3%A9flexion_th%C3%A9ologique_originale
[3] Pour une analyse esthétique : Pierre Somville, « Encore la Vierge au papillon », Calaméo – Bloc-Notes 032 https://fr.calameo.com/read/001942648fe07dbbe5033
[6] Un retrato inédito del cardenal Alfonso de Borja en una tabla mariana de Gonçal Peris Sarrià, Matilde Miquel Juan, Archivo Espanol de Arte 85(340):374-382 · December 2012
https://www.researchgate.net/figure/Goncal-Peris-Sarria-y-taller-Tabla-de-la-Virgen-con-el-Nino-y-el-cardenal-Alfonso-de_fig3_276221188
[7] L’inscription à droite a été rajoutée en 1652, au moment du transport de l’église au Palais.
A Wider Trecento: Studies in 13th- and 14th-Century European Art Presented to Julian Gardner, p 28
https://books.google.fr/books?id=HQEyAQAAQBAJ&pg=PA28
[11] Constance Jocelun FFoulques, Vincenzo Foppa of Brescia: Founder of the Lombard School, His Life and Work, 1909
https://archive.org/details/vincenzofoppaofb00ffou_0/page/n297
[15] A history of painting in North Italy, Volume 1, De Joseph Archer Crowe, Giovanni Battista Cavalcaselle, 1871 , p 524 https://books.google.fr/books?id=Zwdmede2gkAC&pg=PA525
[16] La datation a été très discutée, jusqu’à la reconstitution récente de l’inscription qui court au bas du triptyque http://db.histantartsi.eu/web/rest/Opera%20di%20Arte/5
[17] Italian paintings XIV-XVI centuries in the Museum of Fine Arts, Houston , Wilson, Carolyn 1996, p 244-46

5-1 Le donateur-enfant : Les origines

19 juin 2019

Entre le donateur-souris et le donateur à taille humaine, on peut distinguer une situation intermédiaire, où sa taille est comparable ou supérieure à celle de l’Enfant. Un autre critère est que son corps peut être touché par le saint accompagnateur (lequel, debout, est en général de taille inférieure à celle de Marie assise).

 

1350 - 1399 Maestro della pala di San Niccolo, Madonna con Bambino, santo monaco e donatore coll privVierge à l’Enfant avec un saint moine et un donateur
Maestro della pala di San Niccolò, 1350 – 1399, collection privée
 

 

 

  

 

 

 

 1391 Maestro di Ponte a Mensola Vierge avec Sta julien st Amerigo et donateur Amerigo Zati, eglise de S. Martino a Mensola, Firenze Vierge à l’Enfant avec Saint Julien, Saint  Amerigo et le donateur Amerigo Zati, Maestro di Ponte a Mensola, 1391 église de S. Martino aMensola, Firenze

Dans ces deux  exemples, la position debout de la Vierge fait que le donateur se trouve de taille souris par rapport à elle, mais de taille « enfant » par rapport au saint présentateur, lui-même de taille « enfant » par rapport à la Madonne.

A noter que, dans le polyptyque, les saints des volets latéraux sont eux-mêmes plus grands que ceux du panneau central : c’est donc la place disponible dans chaque compartiment, et non une logique d’ensemble, qui règle la taille des personnages.



Les premiers siècles

La formule du donateur Enfant est en fait la plus archaïque. Totalement remplacée au Moyen Age par le donateur-souris, elle réapparaît ensuite comme une forme transitoire, avant que le donateur à taille humaine ne soit totalement accepté parmi les personnages sacrés.

528 Saint Adauctus et Felix veuve Turtura Catacombe de Commodille Rome
Vierge à l’Enfant, Saint Adauctus avec la veuve Turtura, et Saint Felix
528, Catacombe de Commodille, Rome

Dans ce plus ancien exemple connu, une veuve, debout, est présentée à la Vierge par une des deux « stars » de la catacombe de Commodille, Saint Adauctus, qui pose la main sur son épaule.  L’épitaphe en vers, très émouvante, mérite d’être citée (traduction personnelle) :

Saint Adautus, Saint FelixReçois maintenant les larmes, mère, que ton enfant survivant va verser pour tes louanges.Après la mort de Père tu a conservé ta foi pour ton mari, pendant trente six ans, dans un chaste veuvage.

Tu as porté pour ton fils la charge de père et de mère.
Dans le visage de ton fils vivait Obas, ton mari.

Tu avais pour nom Turtura et tourterelle, tu le fus vraiment, toi pour qui, ton mari mort, il n’y a pas eu d’autre amour.

L’unique matière en laquelle la femme mérite les louanges, c’est celle que tu nous enseignes, évidente, par ton mariage.

Ici repose en paix, Turtura,
Qui a vécu plus ou moins soixante ans.

s(an)c(tu)s Adautus / s(an)c(tu)s FelixSuscipe nunc lacrimas, mater, natique superstisquas fundet gemitus laudibus ecce tuis.Pos(t) mortem patris servasti casta mariti
sex triginta annis sic viduata fidem.Officium nato patris matrisque gerebas ;
in subolis faciem vir tibi vixit Obas.

Turtura nomen abis set turtur vera fuisti,
cui coniunx moriens, non fuit alter amor.

Unica materia est quo sumit femina laudem quod te coniugio exibuisse doces.

hic requiexcit in pace Turtura
Que bisit pl(us) m(inus) annus LX


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817-24 Pascal I santa maria in domnica roma

Le pape Pascal I aux pieds de Marie
817-24, Santa Maria in Domnica, Rome

Le pape, qui avait fait faire les mosaïques de l’abside, porte le nimbe carré caractérisique des hauts personnages. Sa position s’explique par le baisement du pied droit de Marie, qu’il va ou vient de pratiquer.


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1151 George_of_Antioch_and_Holy_Virgin Martorana Palermo proskynese

L’amiral Georges d’Antioche aux pieds de Marie
1151, Basilique de la Martorana, Palerme

Il s’agit ici d’une vue de profil, où le donateur se prosterne au ras du sol devant Marie. Ce geste de la proskynese  est issu du rituel impérial byzantin. La Vierge le désigne de la main droite tout en tendant en direction de son Fils un texte d’intercession :

« O Enfant, Verbe Saint, garde de tous les maux Georges, le premier des Archontes, qui a érigé ma maison depuis les fondations jusqu’ici, assure-lui la rémission des ses péchés, car toi, le Dieu unique, tu en as le pouvoir. » [1]



La réapparition à la fin du XIIIème siècle

1274 Orlandi Deodato, san Francesco d'Assisi e donatore Chiesa di S. Francesco, Lucca tomba di Bonagiunta Tignosini

Vierge à l’Enfant avec Saint François d’Assise et le donateur Bonagiunta Tignosini
Orlandi Deodato, 1274 , église S. Francesco, Lucca

Cette toute première réapparition dans l’art occidental d’un donateur de taille enfant pourrait paraître assez paradoxale, puisqu’elle se fait d’emblée avec la formule la moins usitée pour les donateurs-souris : la bénédiction par la droite. Elle est très probablement liée d’une part à la fonction, d’autre part à la forme très particulière de cette fresque :

  • La fonction d’un tel monument funéraire était d’attirer les prières des vivants pour réduire le temps de Purgatoire du défunt : on comprend que l’accroissement de taille  était un atout pour « accrocher » l’oeil des passants, et que la présentation de l’âme du défunt à l’Enfant impliquait le geste de bénédiction.
  • La forme en lunette a joué sans le même sens : en effet, une fois la position d’honneur occupée par le patron de l’église, la plage de droite était libre, et sa taille relativement exiguë se prêtait à un accroissement raisonnable de la taille du donateur.

La tombe est celle de Bonagiunta Tignosini, un riche marchand de Lucques : la taille accrue  a certainement aussi une valeur ostentatoire. L’épitaphe, en quatre vers latins alambiqués, écrits en cercle sur les quatre côtés, a pour particularité que le nom du défunt se retrouve en bas, écrit à l’envers : comme pour signifier qu’il est destiné a être lu non par le passant, mais par la Madonne elle-même :

Ci git pour être loué, et pour que son roi pieusement lui fasse pitié,Un homme généreux, et de même apportant le réconfort par son oeuvre,Prêt à servir plus volontiers ses nombreux frères

Que la mort frappé a, Tignosini Bonaiunta

hoc jacet overe, pie rex hujus miserere,vir dispensator, in opum simul et relevator,fratribus at gratius multis servire paratus,

morte quidem sunt a, Tignosini Bonaiunta


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Cette relation entre donateur à taille enfant et monument funéraire est confirmée, au tournant du siècle, par les tombes de ces considérables personnages que sont les papes et les cardinaux romains.

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1296 avant Ciborium boniface VIII facade ancienne église Saint Pierre Rome mosaique Torriti
Ciborium de Boniface VIII, avant 1296, revers de la facade de l’ancienne église Saint Pierre, Rome (image tirée de [2], fig 107)

Ce monument réalisé par Arnolfo di Cambio avant la mort du pape a aujourd’hui disparu (seul le gisant a été conservé dans les Grottes vaticanes). La mosaïque de Torriti montrait (à la différence du dessin), l’apparition céleste de la Madonne à deux papes agenouillés, Boniface IV présenté par Saint Pierre et Boniface VIII présenté par Saint Paul ([3], p 431)

Le défunt est apparaît donc sous deux formes -en sculpture dans le gisant qui conserve sa mémoire ici bas, et en deux dimensions dans le panneau votif qui le montre monté au Paradis : comme si l’abstraction inhérente à la forme peinte en faisait le medium privilégié pour la représentation du sacré.

Selon la chronologie établie par Julian Gardner, cette oeuvre innovante a servi de modèle pour une série de tombes de cardinaux romains [3].



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1296-97 Chapelle Caetani Duomo Anagni

Chapelle Caetani
1296-97, Duomo, Anagni.

La fresque montre à gauche un saint (peut être Saint Thomas Becket) présentant le cardinal Benedetto II Caetani, à droite Saint Etienne présentant son frère Roffredo II Caetani, comte de Caserte (la fresque a été repeinte au cours du temps, de sorte que les habits du cardinal ont été remplacés par ceux d’un frère franciscain) [4].



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1296 Giovanni di Cosma, Monument Cardinal Guillaume Durand Santa Maria sopra MinervaMonument de l’évêque Guillaume Durand (Saint Privat de Mende avec l’évêque, Saint Dominique)
1296, Santa Maria sopra Minerva, Rome
1299 Giovanni di Cosma, St Mathieu et Cardinal Gonsalvo Garcia Gudiel, St Jerome Ste Marie MajeureMonument du cardinal Gonsalvo Garcia Gudiel (Saint Mathieu avec le Cardinal , St Jerôme)
1299, Basilique de Sainte Marie Majeure, Rome (dernière chapelle du bas côté gauche)

Giovanni di Cosma
Cliquer pour voir l’ensemble

Dans le monument Gudiel, les inscriptions indiquent l’emplacement des tombeaux des deux saints : St Mathieu est enterré près de l’autel majeur de la basilique,(« Me tenet ara prior ») tandis que Saint Jérôme « repose dans une grotte près de la crèche » (Recubo praesepis ad antrum).

Dans les deux cas, la lunette surplombe un gisant en taille réelle du prélat, qui rend ainsi plus tolérable l’accroissement de taille de son image en deux dimensions. Il est remarquable que cette dernière ne soit pas systématiquement au dessus de la tête du gisant, comme pour représenter son « surgissement » hors du tombeau (elle est à l’opposé dans le monument Gudiel). Il est probable que les deux représentations, peinte et sculptée, obéissent à des logiques positionnelles différentes :

  • l’emplacement du donateur dans la fresque est à gauche à cause de la haute position du défunt dans la hiérarchie ecclésiastique, qui lui confère un accès privilégié à la Madonne ;
  • la tête du gisant est en direction du choeur (en tout cas dans pour le tombeau Gudiel, la position originale du tombeau Durand étant inconnue). Ceci est conforme à la tradition médiévale d’enterrer les prêtres la tête vers l’Est.



1302 ca Pietro Cavallini Matthieu Francois Cardinal Matteo-di-Aquasparta Minister General of tFranciscans. Santa Maria in Aracoeli

Vierge à l’Enfant, Saint Matthieu, Saint Francois avec le cardinal Matteo di Aquasparta
Pietro Cavallini, vers 1302, Santa Maria in Aracoeli, Rome
Cliquer pour voir l’ensemble

Le quatrième tombeau de la série se trouve à sa position originale, sur le mur du fond du transept nord de Santa Maria in Aracoeli [5] : le gisant a donc ici encore la tête dirigée vers le choeur.

Pour la fresque, la position à droite du cardinal se comprend par la logique du double patronage : à la fois par saint Matthieu (à cause de son prénom) et par Saint François (à cause de sa fonction de ministre général de l’Ordre des Franciscains). La préséance de l’apôtre sur le saint imposait la position de saint Matthieu à gauche ; mais les fonctions terrestres du cardinal, les plus importantes pour sa mémoire, imposaient de le faire présenter à la Vierge par Saint François : d’où sa position à droite, qui n’a pas été cependant jusqu’au retournement de l’Enfant et à la bénédiction sur la droite.


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Maitre de 1302 Madonna col Bambino in trono tra un angelo e il Battista et eveque Bianchi Baptistere de Parme photo Hans A. RosbachVierge à l’Enfant, un ange, Saint Jean Baptiste avec l’évêque Bianchi Maitre de 1302 Madonna col Bambino pape Gregoire le grand eveque saint Augustin Baptistere de Parme photo Hans A. RosbachVierge à l’Enfant entre le pape Grégoire le grand et l’évêque saint Augustin

Maitre de 1302 (Maestro di Gerardo Bianchi), Baptistère de Parme, photos Hans A. Rosbach.

Le même artiste a réalisé ces deux Madonnes : l’une avec le trône vu de trois quarts, dans la fresque funéraire de l’évêque Bianchi [6] ; l’autre en position centrée.

Dans la première, la rotation du trône modifie la valeur héraldique de la composition : la moitié gauche, à laquelle la Vierge tourne le dos, devient moins privilégiée, et l’artiste y a posté un ange ; de l’autre côté, le donateur fait son entrée au paradis par une porte latérale, avec une splendide bénédiction par la droite.

Dans la seconde Madonne, la place d’honneur est très logiquement occupée par le pape (supérieur hiérarchique de l’évêque)/




Panoramica_dei_catini_del_battistero_di_parma est

Niches de l’Est du baptistère

L’explication de la version « de trois quart » résulte de son emplacement, dans la niche qui se trouve elle-même en position d’honneur, juste à gauche de l’autel du baptistère. L’autre Madonne, centrée, se trouve plus à droite, après une chapelle comportant elle-même deux scènes centrées (Crucifixion et Vierge de la Misércorde).

Dans ce cas très particulier, la position du donateur, béni par la droite, résulte donc mécaniquement d’un autre choix, très novateur pour l’époque : celui de montrer la Madonne de trois quarts, assistant depuis sa niche à la cérémonie du baptême.


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1341 Simone-Martini-Virgen-de-la-Humildad-Ca--Avignon-Notre-Dame-des-Doms-Palacio

Vierge à l’Enfant avec le cardinal Giocomo Stefaneschi et deux anges
Simone Martini, 1336-40, intérieur du porche Nord de Notre Dame des Doms, Avignon

Cette fresque est très connue, car la plupart des historiens d’art y voient l’invention d’une iconographie nouvelle : celle de la Vierge de l’Humilité assise sur le sol (voir 3-3-1 : les origines) . Cette fresque surplombait le portail de sortie : il s’agit donc d’une oeuvre de grand format, tout à fait officielle, pas du tout d’une oeuvre de dévotion privée comme on le dit souvent des Vierges de l’Humilité.

L’ensemble du porche constituait un hommage appuyé à Marie : à l’extérieur du tympan,sur les retombées de l’arc, un ange à gauche lui tendait sa couronne, et un à droite une tige de lys, tandis que le texte du « Salve regina » courait autour de l’arcade. On pense que ce renouveau humilitaire de l’iconographie mariale visait, pour l’Eglise officielle, sous l’influence des ordres mendiants, à tenter une « réconciliation avec les courants minoritaires : joachimistes et paupéristes » [7].

Le très mauvais état de conservation de la fresque empêche de reconnaître son caractère novateur, voire provocateur : le cardinal, en camail blanc recouvrant une robe rouge, ose se présenter en taille presque adulte, sans saint accompagnateur, seulement encouragé par un ange, derrière la Vierge et l’Enfant qui ne le regardent ni ne le bénissent (Jésus porte un parchemin avec l’inscription habituelle : « Ego sum lux mundi »).


1330 ca Giotto_di_Bondone_-_The_Stefaneschi_Triptych Saint Pierre detail

Retable Stefaneschi, Face « Saint Pierre », détail du panneau central
Giotto di Bondone, vers 1330 , Musée du Vatican, Rome

Pour percevoir la modernité et la familiarité de la formule, il suffit de comparer la fresque avec le triptyque que le cardinal avait commandé à Giotto vingt ans plus tôt, où il comparaît en taille souris devant un Christ trônant en majesté (voir 2-3 Représenter un don).



Une transposition audacieuse (SCOOP !)

1341 Simone-Martini-Virgen-de-la-Humildad-Ca--Avignon-Notre-Dame-des-Doms-ensemble
L’audace de Stefaneschi est d’avoir transposé l’iconographie des tombeaux de cardinaux romains à une endroit totalement inattendu, non plus l’arcade fermée du monument mais le tympan d’un porche : annexant en quelque sorte l‘ensemble de l’édifice comme un tombeau virtuel et faisant édifier, entre deux colonnes corinthiennes, une sorte d’arc de triomphe à sa mémoire : il mourra à Avignon après l’achèvement de la fresque, et sera enterré, selon son voeu, à Saint Pierre de Rome.

Dans une conception toute relative de l’humilité, les fidèles passaient donc en sortant sous les pieds du cardinal, lui-même déjà au paradis, placé en pendant de l’Enfant et sous la bénédiction supérieure du Christ en Gloire du fronton.


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1378 apres Clement_VII_en_oraison Archives iconographiques du palais du Roure d'Avignon

Clément VII en oraison devant la Vierge à l’Enfant
Après 1378, Archives iconographiques du palais du Roure d’Avignon

Comparé à l’Ange qui le présente, le pape a taille humaine ; comparé au trône surdimensionné, il a une taille enfant. Cela ne l’empêche en rien de participer à cette composition redoutablement cohérente, dans laquelle les quatre anges du cadre font écho aux quatre personnages de l’image :

  • à droite, l’ange au violon et l’ange à la harpe s’étagent comme Marie au dessus de Jésus ;
  • à gauche, l’ange à la tiare pénètre dans l’image à la suite du saint patron pour couronner le pape, tandis que l’ange portant les clés de Saint Pierre reste à l’extérieur.

Ce jeu « théologique » entre le cadre et le hors cadre coïncide avec un jeu formel sur la profondeur : ainsi, comme pour équilibrer l’ange qui s’enfonce dans l’image par la gauche l’artiste en a fait sortir, par la droite, l’accoudoir du trône, ce qui crée un relief impossible

On voit par là que le cadre n’est pas encore celui de la fenêtre albertienne, qui suture le plan de l’image avec l’espace représenté ; mais qu’il n’est déjà plus une frontière stricte entre le profane et le sacré.


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1350 ca mello_da_gubbio, madonne avec Giovanni Gabrielli,Palazza dei_consoli Gubbio

Vierge à l’Enfant avec quatre saints et un donateur
Mello da Gubbio, vers 1350, chapelle palatine, Palazzo dei consoli, Gubbio

On trouve cependant quelques rares cas de donateurs enfant dans un contexte civil, où la taille enfant semble réservée à de hauts personnages : on pense qu’il s’agit ici de Giovanni Gabrielli, seigneur de Gubbio. L’identité des quatre saints est discutée (Donato, Ciriaco, Largo and Smaragdo ?).



[1] Traduction Jahrhunderts Dirk Kocks, « Die Stifterdarstellung in der italienischen Malerei des 13/15 » 1971, p 345
[2] « The Tomb and the Tiara: Curial Tomb Sculpture in Rome and Avignon in the Later Middle Ages », Julian Gardner, Clarendon, 1992
[3] « Arnolfo di Cambio and Roman Tomb Design », Julian Gardner, The Burlington Magazine, Vol. 115, No. 844 (Jul., 1973), pp. 420+422-439, https://www.jstor.org/stable/877354
[4] http://www.cattedraledianagni.it/museo/percorso/cappella-caetani
[5] Haude Morvan. Le tombeau du cardinal d’Acquasparta à Santa Maria in Aracoeli à Rome. Arte medievale, 2008, 7 (1), pp.95-104 https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-01292931/document
[6] L’inscription du bas, très lacunaire, récapitule le cursus honorum du cardinal.
[7] « Maria l’Immacolata: la rappresentazione nel Medioevo : et macula non est in te », Emma Simi Varanelli, 2008 , p 81

4-5 Le donateur-souris : en groupe

18 juin 2019

Aux pieds de la Madone vient parfois se prosterner un groupe de personnes : au début, on trouve surtout des religieux ; puis, de plus en plus souvent, des laïcs, et en particulier des familles.

La Madone avec des religieux

Je n’ai trouvé cette formule qu’en Italie

1280-85 Duccio_franciscan-madonna
Madone des Franciscains
Duccio di Buoninsegna, vers 1300, Pinacoteca Nazionale, Siena

Dans cette représentation très originale, trois frères mineurs franciscains s’inclinent vers la Vierge, comme illustrant trois étapes de la prosternation byzantine (proskinesis) : le plus humble embrasse même son soulier. Leur entrée en position d’invitation se justifie doublement : par le geste de bénédiction de l’Enfant, mais aussi par le geste très particulier de Marie, qui le accueille en relevant de son bras droit le pan de son manteau .


1280 Ca Madonne avec des moines carmelites Byzantine museum,Nicosie
Madone avec des moines carmélites, vers 1280, copyright Byzantine museum, Nicosie

Duccio s’inspire ici de modèles byzantins pour introduire dans sa Madone en majesté les prémisses d’une iconographie qui ne se développera en Occident que quelques années plus tard et sous l’influence cistercienne, celle de la Vierge de Miséricorde (voir 2-2 La Vierge de Miséricorde).


1280-85 Duccio_franciscan-madonna inversee
Madone des Franciscains (inversée)

L’image inversée montre a contrario la puissance ascensionnelle de cette composition très innovante.


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1307 Giuliano da Rimini Madonna con Bambino in trono, angeli e donatori, Isabella Stewart Gardner Museum, Boston
 

Madone des Clarisses
Giuliano da Rimini,1307, Isabella Stewart Gardner Museum, Boston

Cet autel a été commandé pour l’église San Giovanni Decollato d’Urbania, pour l’ordre des Clarisses. En position d’honneur dans le registre supérieur, Saint François d’Assise (patron de l’ordre) et Saint Jean-Baptiste (patron de l’église) forment couple avec Sainte Claire et Sainte Catherine dans le registre inférieur.

Le côté humble est construit symétriquement au côté honorable : en haut Saint Jean l’Evangéliste fait pendant au Baptiste, et l’apparition de l’ange à Marie-Madeleine au désert fait pendant à l’apparition de la croix à Saint François. En bas Agnès et Lucie complètent la galerie de saintes : à noter leurs quatre gestes différentiés pour tenir les pans de leur manteau.

Au centre huit nonnes, certaines très riches à en juger par leurs bijoux, élèvent les hras vers Jésus. L’inscription au dessous, un hymne grégorien, commente directement la scène :

Voici la véritable fraternité qui vainc les iniquités du monde ;
Elles suivent le Christ, tenant dans leurs mains les célèbres royaumes célestes.
Haec est vera fraternitas quae vicit mundi crimina;
Christum secuta est inclyta tenens regna caelestia

Nous sommes donc ici très proches du thème de la Vierge de Miséricorde, mais sans l’image du manteau protecteur de Marie, et avec une tonalité plus offensive offensive que défensive. Pour vaincre (et non pas éviter) les iniquités du monde, nos huit Clarisses se recommandent, non de la protection verticale de la Madone, mais de leur propre fraternité, élargie aux quatre saintes exemplaires.



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1335 MAESTRO DEL TRITTICO WALLRAF, NEWARK, COLLECTION ALANA

Triptyque de dévotion
Maître du Triptyque Wallraf, 1335, Collection Alana, Newark

Une jeune clarisse est présentée par Saint François, tandis qu’en face Sainte Claire intercède pour elle auprès de Marie. N’aurait-il pas été plus logique d’intervertir Claire et François, de manière à ce que les deux femmes se trouvent à droite, et le saint principal à gauche, en position d’honneur ?

Pour comprendre cette intrigante disposition, il faut lire la composition dans son ensemble .



1335 MAESTRO DEL TRITTICO WALLRAF, NEWARK, COLLECTION ALANA schema
En haut, comme souvent, on trouve dans les écoinçons une Annonciation sous sa forme canonique, avec Marie à droite en position d’humilité, en tant que servante du Seigneur (voir ZZZ).

Au centre, l’inversion méditée de la madone Hodegetria met l’Enfant en position de bénir sur la droite, et établit un parallèle visuel entre Marie mère de Dieu et Marie servante du Seigneur : l’absence de trône et la vue à mi-corps en font une sorte de Madone de l’Humilité avant la lettre.

En bas, la jeune impétrante et le plus humble des Saints se positionnent à l’imitation de Marie, côté Humilité, tandis que Saint Claire, en tant qu’intercetrice, se positionne côté Ange pour s’adresser à Marie.


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1335-40_ca Bernardo_daddi,_trittico_con_crocifissione,_annunciazione_e_santi,_. Kunstmuseum Bern

Triptyque avec des saints, la Crucifixion et une Vierge à l’Enfant avec six donateurs
Bernardo Daddi, 1335-40, Kunstmuseum Bern

Dans le volet droit, la répartition des spectateurs rassemblés devant le berceau à bascule de l’Enfant fait exception à la disposition traditionnelle, puisqu’on distingue deux femmes à gauche, deux  moines au centre et deux hommes à droite.

Cette répartition est délibérée : elle a pour but de mettre en parallèle l’Adoration de l’Enfant et la scène tragique de la Crucifixion, qui quant à elle suit l’ordre habituel : les saintes femmes, un moine agenouillé au pied de la croix, deux hommes. Le parallèle va jusqu’aux couleurs des robes (rouge-jaune-vert-rouge).


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1335 Bernardo_daddi,_madonna_tra_s._caterina_e_s._zanobi_coi_donatori Museo dell'Opera del Duomo Florence

Vierge avec Sainte Catherine, Saint Zénobie et trois donateurs
Ecole de Bernardo Daddi, 1335, Museo dell’Opera del Duomo Florence

Deux personnages sont en prière devant la Vierge à l’Enfant : à gauche, une noble dame en riche robe (la donatrice, peut être prénommée Catherine ?), à droite une femme en robe noire (la dirigeante d’une confrérie ?), suivie par un jeune porte-cierge. [1]

Cette image pose d’intéressants problèmes d’interprétation. On peut en distinguer au moins trois, qui se complètent sans s’exclure.


1) La représentation d’un miracle

Il existait à Bagnolo une icône miraculeuse, aujourd’hui perdue, mais dont on connait plusieurs copies (on sait qu’il s’agissait d’une Madonna del Parto, même si la grossesse ne saute pas aux yeux) . Ce panneau serait une copie commandée pour la même église de Bagnolo à l’usage de la Confraternité de Santa Maria Vergine e di san Zenobio [2]. Les confraternités médiévales étaient des associations cultuelles ayant pour but d’obtenir, grâce à la mutualisation de leurs prières. l’intercession de leur saint patron.

Seule copie de la Vierge de Bagnolo incluant des donateurs, ce panneau montre donc une « image à l’intérieur de l’image »[3], et plus précisément le miracle de l’icône prenant vie, la Vierge tendant sa main en dehors du cadre (le cierge de l’acolyte a manifestement pour fonction de souligner cette irruption).


2) Une « visio divina »

Je vais tenter de résumer en un schéma la très intéressante étude que Lars R. Jones a consacré à ce panneau, en le resituant dans le contexte théologique de l’époque [4]. Pour Lars R. Jones, nous sommes en face de ce qu’il baptise une « visio divina », à savoir un dispositif graphique délibérément ambigu, destiné à créer pour le spectateur une expérience tangible de présence du divin (un peu comme des lunettes 3D font sortir dans la salle les personnages de l’écran).



1335 Bernardo_daddi,_madonna_tra_s._caterina_e_s._zanobi_coi_donatori Museo dell'Opera del Duomo Florence schema
Un autre panneau de la même époque, la Madone des Flagellants de Vitale da Bologna, montre lui-aussi un tableau appartenant à une confrérie. Les flagellants sur le bord peuvent être vus comme « hors du cadre » (contour bleu clair), contemplant le tableau qui leur appartient (contour bleu foncé) ; mais ils peuvent aussi être vus comme « dans le cadre », donc dans le même plan que l’Enfant qui les regarde. Par une sorte d’effet de proportionnalité, le tableau induirait l’idée que, de même que l’Enfant regarde les Flagellants qui regardent le « tableau dans le tableau », de même la Vierge regarde le spectateur qui regarde le tableau, lui décochant un regard immédiat qui traverse tous les niveaux de représentation (flèche violette).


3) Une intercession d’intercession (SCOOP !)

1334 Bernardo_daddi,_madonna_tra_s._caterina_e_s._zanobi_coi_donatori Museo dell'Opera del Duomo Florence detail
Le livre affiche, en italien, une prière à la première personne :

Douce Vierge Marie de Bagnolo, je te prie d’implorer sa charité et sa puissance afin qu’il me fasse grâce de ce qui me fait besoin Dolcissima Vergine Maria da Bangnuolo priegoui che preghiate lui per la sua charita et per la sua potenzia mi faccia grazia di ciò che mi fa mestiere

Selon moi, ce livre n’est autre que les prières cumulées des consoeurs, transmises par leur représentante (comme le suggère le fait qu’il est écrit à l’endroit) . Car le cadre est perméable dans les deux sens : la main gauche de la Vierge a été chercher le livre, et sa main droite ressort comme pour en accuser réception. Ce dialogue très exceptionnel entre le divin et l’humain est conforté par un détail tout aussi exceptionnel :

1335 Bernardo_daddi,_madonna_tra_s._caterina_e_s._zanobi_coi_donatori Museo dell'Opera del Duomo Florence detail

le carrelage en perspective inversée suggère que la plateforme continue, sur laquelle se trouvent les donatrices et les deux saints, est à voir non du point de vue du spectateur, mais du point de vue de l’icône !


1335 Bernardo_daddi,_madonna_tra_s._caterina_e_s._zanobi_coi_donatori Museo dell'Opera del Duomo Florence schema intercession

Nous sommes donc ici face à une cascade d’intercessions : les consoeurs, à l’extérieur du panneau, demandent à leurs représentants (trois humains et deux patrons) d’intercéder auprès de la Vierge pour qu’elle intercède elle-même auprès du Christ, figuré bénissant dans le fronton.


1330 ca Bernardo_Daddi Madonna,_Saint_Thomas_Aquinas,_and_Saint_Paul_Getty Museum

Vierge avec Saint Thomas d’Aquin et Saint Paul
Bernardo Daddi, vers 1330, Getty Museum, Malibu

Cette autre copie de la Vierge de Bagnolo, par Daddi, est également une « image dans l’image » (comme le montre le parapet) mais sans interaction bidirectionnelle. Le livre porte le début du Magnificat – la prière que Marie adresse à Dieu lorsqu’elle apprend qu’elle est enceinte (Luc 1:39-56)


1330 ca Bernardo_Daddi Madonna,_Saint_Thomas_Aquinas,_and_Saint_Paul_Getty Museum detail

Le texte  dévotion privé, le niveau intermédiaire d’intercession, celui de la confrérie, n’a pas sa place.



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1350-Vitale-da-Bologna-Virgin-of-the-Flagellants-Vatican-PinacotecaMadone des Flagellants (Madonna dei Battuti)
Vitale da Bologna, 1350, Pinacothèque du Vatican
  

1418-22 Pietro di Domenico di Montepulciano Vierge de misericorde Musee du Petit palais AvignonVierge de miséricorde
Pietro di Domenico di Montepulciano, 1418-22, Musée du Petit palais Avignon

Ce panneau a été commandé par la confrérie de Flagellants blancs de la Compagnia di Santa Maria Novella à Ferrare. Le peintre s’est contenté d »appliquer la formule de la bénédiction sur la gauche au groupe de confrères, qui se présentent comme un seul homme sous l’index de l’Enfant.

L’iconographie de la Vierge de la Miséricorde, qui se développera un peu plus tard, favorisera au contraire une répartition bipartite, sous le manteau unificateur.



La Madone avec une famille


Commençons par deux deux cas particuliers, dans lesquels la Madone abaisse une main vers les donateurs (peut être sur le modèle de celle de Bagnolo).


1325 - 1349 Maestro di San Martino alla Palma Chiese di San Martino alla Palma (Scandicci)Vierge à l’Enfant avec des Saints et quatorze donateurs
Maestro di San Martino alla Palma, 1325-49, Chiese di San Martino alla Palma (Scandicci)
1350-99 Maestro di Sant'Elsino, Madonna con Bambino in trono, angeli e donatori coll privVierge à l’Enfant avec des Saints et dix donateurs
Maestro di Sant’Elsino, 1350-99, collection privée

Le panneau de gauche, malheureusement tronqué en bas, comporte deux groupes de donateurs, sept hommes à gauche est sept femmes à droite, chaque groupe ayant donné un vase de fleurs.

Le panneau de droite montre une famille idéale (un père et ses deux fils, une mère et ses deux filles), mais sans don d’un objet. Cette composition fait exception à la « règle » que nous avons dégagée dans l’Art italien pour les Madones avec couple (4-4 …en couple) : l’Enfant est pratiquement toujours du côté féminin.


1350-99 Maestro di Sant'Elsino, Madonna con Bambino in trono, angeli e donatori coll priv schema 1400-10 Giovanni di Pietro da Napoli, Madonna con Bambino in trono e donatori Pinacoteca Nazionale, Siena Giovanni di Pietro da Napoli, 1400-10, Pinacoteca Nazionale, Siena

C’est sans doute la présence des filles en escalier devant la mère, dans une composition marquée par les diagonales ascendantes, qui a donné l’idée de positionner l’Enfant « devant » sa mère.

Cette effet d’imitation entre la mère terrestre et la mère céleste  est clairement marquée dans la Madone de droite, où les deux mères tiennent de la même manière leur enfant dans les bras.



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Mais au XIVème siècle, la formule de loin la plus courante est celle où la Vierge en majesté est indifférente à la présence des donateurs-souris.

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1298-1326 Segna di Bonaventura, Madonna in Maestà Collegiata di S. Giuliano, Castiglion Fiorentino
Vierge à l’Enfant avec Saint Grégoire, Saint Jean Baptiste et deux couples de donateurs
Segna di Bonaventura, 1298-1326, Collegiata di S. Giuliano, Castiglioni Fiorentino

On connaît ici les noms des deux couples de donateurs : Mona Vanna derrière son mari Goro di Fino, Mona Miglia derrière Fino di Bonajuncta. Aucun n’a de prénom en rapport avec les deux saints. On peut imaginer que la position de l’Enfant et du Saint le plus prestigieux, Saint Jean Baptiste contribue, en valorisant la moitié droite, à résoudre le problème diplomatique que posait la représentation des deux couples de donateurs.Il est clair que la séparation habituelle selon les sexes aurait été bien plus problématique, l’un des hommes devant nécessairement précéder l’autre dans sa proximité avec la Vierge.


1298-1326 Segna di Bonaventura, Madonna in Maestà Collegiata di S. Giuliano, Castiglion Fiorentino gauche 1298-1326 Segna di Bonaventura, Madonna in Maestà Collegiata di S. Giuliano, Castiglion Fiorentino droite

La solution retenue préserve à la fois l’égalité entre les couples et le préséance du mari sur son épouse.


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1338-76,Francesco di Neri da Volterra Madonna and Child With Three Donors Galleria e Museo Estense, Modena
Vierge à l’Enfant avec des anges, deux prophètes et trois donateurs inconnus
Francesco di Neri da Volterra, 1338-76, Galleria e Museo Estense, Modène

Sous une apparence rangée, cette Madone cumule les petites originalités :

  • en haut les deux prophètes inversent la position de leur bras droit et celle de leur banderole ;
  • plus bas, les anges ne tiennent pas le drap d’honneur, mais l’ont déposé sur la chaise ;
  • au centre, l’enfant Jésus ne touche pas l‘oiseau,
  • en bas, les trois donateurs négligeables occupent deux avancées qui les mettent en valeur.

On ne sait rien sur eux, sinon qu’il s’agit apparemment d’un homme, d’une femme et d’une petite fille.



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1365 Nuzi Allegretto, Madonna con Bambino in trono e donatori, San Michele Arcangelo, Sant'Orsola famiglia di Nofrio Santi, Pinacoteca vaticana
Vierge à l’Enfant avec la famille de Nofrio Santi, entre Saint Michel Archange et Sainte Ursule.
AllegrettoNuzi , 1365, Pinacoteca vaticana

Ce triptyque est intéressant à deux points. D’une part, il étend aux panneaux latéraux la bipartition masculin/féminin du panneau central. D’autre part, le cantique grégorien inscrit sur le socle exprime parfaitement la psychologie servile du donateur-souris :

Vers toi, j’ai levé les yeux, qui habites dans les cieux. Voici, comme les yeux des serviteurs sur les mains de leurs maîtres. Et comme les yeux de la servante sur les mains de sa maîtresse. Ainsi nos yeux vers le Seigneur notre Dieu, jusqu’à ce qu’il ait pitié de nous. Ayez pitié de nous, Seigneur, ayez pitié de nous. « At te levavi oculos meos qui habitas in coelis. Ecce sicut oculi servorum in manibus dominorum suorum. Et sicut oculi ancillae in manibus dominae sue, ita oculi nostri ad dominum deum nostrum donec misereatur nostri. Miserere nostri domine Miserere nostri. »



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1387 Giovanni del Biondo, Madonna con Bambino e devoti della famiglia Compagni chiesa di San Felice a Ema Florence
Vierge à l’Enfant avec la famille de Bonacchorso Compagni
Giovanni del Biondo, 1387, presbytère de l’église San Felice a Ema Florence

Cette Madone est tout ce qui reste d’un polyptyque à cinq panneaux volé en 1921 [5] . Il montre Bonacchorso Compagni à gauche avec ses huit fils, son épouse à droite avec ses six filles. Les inscriptions du bas sont intéressantes par leur différence de statut.

L’inscription du haut s’adresse à la Vierge en latin :

« ave dulcis virgo maria succhure nobis mater pia »

Celle du dessous, autrefois accompagnée sur la prédelle par les armoiries du couple, s’adresse au passant en italien :

Questa tavola a fatto fare bonacchorio chompagni per rimedio del anima sua e de suoi
Anni domini MCCCLXXXVII Adi XXV del mese Dottobre

Ce panneau a le mérite d’illustrer une évidence que nous n’avons pas mentionnée jusqu’ici : toutes les figures sacrées sont vues de face (y compris l’ange avec la couronne du fronton et l’Ecce Homo au centre de l’inscription), tandis que celles des donateurs sont vues de profil : cette position, logique puisqu’ils lèvent les yeux vers la Madone, a aussi deux autres vertus :

  • fournir une second procédé graphique (outre la taille souris) pour distinguer le divin et l’humain ;
  • faciliter pour le peintre l’obtention d’une ressemblance avec les modèles, au moins pour le père et la mère.



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1460-70 Benozzo Gozzoli, Madonna con Bambino, sant'Anna e donatori, Museo Nazionale di S. Matteo, Pisa c www.museobenozzogozzoli.it

Sainte Anne trinitaire avec trois donatrices
Benozzo Gozzoli, 1460-70, Museo Nazionale di S. Matteo, Pisa, photographie www.museobenozzogozzoli.it.

Logiquement, la donatrice aurait dû se trouver à gauche, en position d’honneur au bénéfice de l’âge. En la plaçant sous le genou de Sainte Anne, et les deux jeunes femmes sous celui de Marie, l’artiste nous fait comprendre qu’il y a entre elles le même rapport mère-filles qu’entre les deux saintes figures.


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1457 ca Baro-virgen_de_la_lecheAdemuz, Iglesia de San Pedro y San PabloVierge du lait avec un donateur
Vers 1457, Iglesia de San Pedro y San Pablo, Ademuz
1470 Baro Virgin and Child Angels and Family of Donors inconnus Musee des Beaux-Arts de BilbaoVierge à l’enfant avec des donateurs
1470, Musée des Beaux-Arts de Bilbao

Bartomeu Baró

On ne sait pas grand chose sur Baro, et rien sur les donateurs représentés dans ces deux tableaux.

Dans le premier, l’Enfant désigne du doigt le donateur qui le regarde ; il tient des cerises dans la main gauche, tandis que sa mère s’apprête à lui donner le sein.

Dans le second, l’Enfant agrippe l’index de Marie en tenant un chardonneret dans sa main droite , indifférent à la famille qui ose à peine lever les yeux vers lui : seuls les deux anges sont admis à le regarder. Il se peut que, à cet étage sacré, les fleurs de lys à gauche et le vase de roses à droite représentent les échos idéaux, en pureté et en beauté, des garçons et des filles assignés au rez-de-chaussée. Mis à part la séparation des sexes, la famille fait montre d’une joyeuse anarchie : tous ont la même taille et on distingue à peine le père de ses quatre fils (il porte une cape et un turban), la mère de ses quatre filles (elle est la seule à tenir un livre).

Outre la différence de style (encore gothique pour le premier, marqué par les influences italiennes pour le second [6]), les deux panneaux caractérisent bien les deux formules, avec et sans interaction avec l’Enfant.


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1470-80 Anonimo di Borgomanero , santi e donatori della famiglia Tornielli Pinacoteca Civica del Broletto, Novara Chiesa di San Clemente in Barengo

Vierge à l’Enfant avec des Saints et la famille Tornielli (détail)
Anonimo di Borgomanero , 1470-80 , Pinacoteca Civica del Broletto, Novare, provient de la paroi Sud de l’église San Clemente de Barengo.
Cliquer pour voir l’ensemble

La famille se range devant la Madone dans l’ordre suivant :

  • au plus près de l’Enfant Jésus, le fils cadet, présenté par Saint Clément, le patron de l’église ;
  • ses cinq frères par ordre d’âge croissant,présentés par Saint Jean Baptiste, Sain Fabien (?), Saint Sébastien, Saint Jean l’Evangéliste (?), Sainte Marguerite
  • le père Giovanni Tornielli, seigneur de Barengo, présenté probablement par Sainte Marie Madeleine,
  • les deux soeurs, présentées par un saint cavalier et saint Jules
  • la mère, présentée par un saint moine (Saint Benoît ou saint Bernard).

En face de cette procession d’humains et de saints agenouillés vers la gauche, donc en direction du choeur, la paroi Nord de l’église présentait une fresque centrée : le Christ au milieu des douze apôtres. [7]


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Master of Castelsardo, active c.1475-c.1525; The Virgin and Child with Angels and Donors
Vierge à l’Enfant avec des anges et une famille de donateurs
Master of Castelsardo, 1475-1500, Birmingham Museums Trust

Ce maître sarde manifeste un sens encore très médiéval de la hiérarchie, matérialisé par une architecture à trois étages :

  • au rez de chaussée, les humains : une famille dont on ignore tout (un fils unique, son père et sa mère) mais qui constitue clairement des portaits d’après nature ;
  • au premier étage, les divins bambins : l’enfant Jésus bénissant, entre deux putti délégués à tenir des oiseaux ;
  • au deuxième , la Mère en gloire, deux ange soulevant sa couronne et deux autres son drap d’honneur ;
  • au troisième, dans la coquille du trône, trois angelots musiciens évoquant la voix de Dieu le Père.



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1484 retable de Pierre Artaud attribué à Simon Masclet Eglise Saint Denis Ventabren
Retable de Pierre Artaud
Simon Masclet, 1488, Eglise Saint Denis, Ventabren

De manière exceptionnelle, l’abbé Requin a d’abord retrouvé dans les archives le contrat établi pour un tableau entre Pierre Artaud, éleveur à Ventabren, et Simon Masclet, peintre. Selon ce contrat, le tableau devrait montrer Pierre Artaud et ses deux fils avec Saint Pierre, son épouse avec Saint Jean Baptiste ; la prédelle figurerait Jésus entre les 12 Apôtres ; au revers, on montrerait Dieu le Père peint sur un fond d’azur semé d’étoiles dorées.

Puis en 1952 Jean Boyer a retrouvé le tableau correspondant au contrat.

On remarquera que, à l’inverse de la tradition des pays du Nord, où les fils respectent la hiérarchie en se plaçant derrière leur père, les enfants sont ici poussés en avant vers l’Enfant Jésus.



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 1480-85 Maestro di San Miniato, san Sebastiano, san Giovanni Battista, un santo vescovo, san Rocco cappella degli Armaleoni Chiesa di S. DomenicoVierge à l’Enfant avec Saint Sébatien, Saint Jean Baptiste, un saint évêque, Saint Roch
Maestro di San Miniato, 1480-85, chapelle des Armaleoni, église S. Domenico, San Miniato

1494-1518 Fasolo Lorenzo, Madonna con Bambino in trono, angeli e donatori coll privVierge à l’Enfant
Lorenzo Fasolo , 1494-1518, collection privée

On ne sait rien sur les familles représentées dans ces deux panneaux, qui ont l’intérêt de montrer que la taille des donateurs est conçue à la fin du XVème siècle plus comme une commodité graphique que comme un trait de modernité :

  • le panneau de gauche, de style Renaissance, a conservé la taille souris tout en accordant une place centrale aux donateurs, dans une encoche qui leur est réservée, au plus près de la Madone et de l’inscription « AVE REGINA CELORUM » ;
  • le panneau de droite, nettement « old school », leur donne la taille enfant tout en les reléguant dans les marges.




La Madone avec des laïcs

1452-53 Filippo_Lippi_Madonna_del_Ceppo Museo civico, Prato
Madonna del Ceppo
Filippo Lippi, 1452-53, Museo Civico, Prato

On trouve une juxtaposition de taille « souris » et taille « enfant » dans ce panneau, sur lequel on sait beaucoup de choses [8] : le « Ceppo » était une organisation d’assistance fondée à Prato grâce au legs énorme du marchand Francesco Datini, mort sans enfants. Le panneau a été commandé par les quatre administrateurs, les « Buonomini del Ceppo » (Andrea di Giovanni Bertelli, Filippo Manassei, Pietro Pugliesi et Jacopo degli Obizzi) représentés en taille souris face au saint patron de Florence, Saint Jean-Baptiste, et sous le saint patron de Prato, Saint Etienne (celui-ci porte sur le crâne les cailloux de sa lapidation et tient en main le gonfalon du Peuple de Florence).

L’homme en rouge qui les présente, de taille enfant, est bien sûr le fondateur, Francesco Datini (le panneau est d’ailleurs resté accroché en plein air dans une cour de son palais jusque vers 1850, bon éloge de la résistance de la tempera). Datini étant mort en 1410, Lippi a pu reconstituer son visage d’après différents portraits subsistant à Prato.


Prato,_tabernacolo_della_madonna_del_berti_

Madonna del Berti, avec Francesco Datini et sa femme Margherita Bandini
Fresque de l’Oratoire de la Romita, Prato

Dans une étrange inversion, Datini apparaît ici du côté droit, toujours aux pieds de Saint Etienne (côté Prato) tandis que son épouse Margherita Bandini figure du côté gauche aux pieds de Saint Jean Baptiste (côté Florence). Les défunts sont représentés dans une jeunesse idéale ( Margherita était morte en 1423 à quatre vingt six ans) et une fausse proximité, Francesco étant enterré à Padoue et Margherita à Florence, où elle s’était retirée à la mort de son mari.

On en sait beaucoup sur ces deux-là grâce à la découverte exceptionnelle, dans un escalier muré, de leurs archives personnelles et commerciales : notamment l’efficacité avec laquelle Margherita gérait les affaires de son mari, éloigné de Prato la plupart du temps. C’est peut être cette réputation de femme de tête qui lui a valu, dans la ville où elle gérait ses affaires, cette place exceptionnelle à la droite de la Madone, mais sous l’égide de Florence, ville de sa naissance et de sa mort.


1400-10 Niccolo_di_Pietro_Gerini__La Trinite avec con Francesco Datini e sa femme Margherita Musee du capitole Rome
La Trinité avec Francesco Datini, sa femme Margherita Bandini et sa fille adoptive Ginevra
Niccolò di Pietro Gerini, 1400-10 Musées du Capitole, Rome.

Pour comparaison, nous connaissons un autre panneau plus officiel, réalisé cette fois du vivant des deux époux, et où chacun occupe sa position traditionnelle. On connait l’identité de la jeune fille qui précède Margherita : il s’agit de Ginevra, une fille naturelle de Francesco dont elle s’occupa jusqu’à sa mort [9].


margherita-bandini-e-la-figlia-ginevra fresque de Bartolomeo Bocchi a San Niccolo
Repas de Saint Dominique avec des Saints
Fresque attribuée à Bartolomeo Bochi, vers 1450, Conservatoire San Niccolò, Prato
Cliquer pour voir l’ensemble

C’est selon la même image figée que les deux femmes ont été représentées bien plus tard, priant humblement à la gauche de Saint Dominique, tandis que deux anges et deux moines empressés assurent le service.



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1472 Crivelli, premier triptych of the Valle Castellamo Pinacoteca, Ascoli Piceno,
Premier triptyque de Valle Castellamo
Crivelli, 1472, Pinacoteca, Ascoli Piceno

Dans ce triptyque très détérioré [10] , le panneau central montre la Vierge à l’Enfant entre deux personnalités connues pour leur combat contre les hérétiques, représentées en taille intermédiaire entre les grands personnages et les donateurs-souris : en position d’honneur un Saint, le dominicain Pierre de Vérone , et en position d’humilité une personnalité locale encore vivante (il mourra en 1476), le franciscain Jacques de la Marche. Dans le panneau de gauche, on comprend que le grand Saint Pierre vienne épauler son homonyme, tandis que dans le panneau de droite Saint Sébastien n’a pas de rapport évident avec le bienheureux franciscain.


Une vierge de la Misericorde (SCOOP !)

Aux pieds de Marie prient un groupe d’homme en manteau noir et un groupe de femmes en capuche, dont les vêtements font écho à ceux des deux prieurs qui les dominent. Leur position devant le manteau de Marie évoque l’iconographie de la Vierge de la Miséricorde, où la famille humaine vient sous le manteau de sa Mère se protéger des différents maux qui l’accablent : ce qui pourrait justifier la présence de Saint Sébastien dont les flèches symbolisent ces fléaux, en particulier la peste.


1472 Crivelli,second triptych of the Valle Castellamo Pinacoteca, Ascoli Piceno,

Second triptyque de Valle Castellamo
Crivelli, 1472, Pinacoteca, Ascoli Piceno

Ce triptyque un peu plus petit et à peine moins détérioré a été réalisé la même année pour la même église San Vito de Valle Castellana [10]. On y retrouve Saint Sébastien dans le panneau droit, mais cette fois en tenue de ville, la coiffure impeccable et adossé non plus à un arbre, mais à un élégant papier peint. En face, Saint Antoine remplace Saint Pierre : son cochon figure sans toute dans la partie manquante au bas du bâton (on en devine l’oreille) et sa clochette d’ermite est tenue à l’envers, selon l’habitude de Crivelli.


1470 ca Crivelli_Saints_Anthony_and_Lucia Muzeum Narodowe Cracovia

Saint Antoine et Sainte Lucie (fragment de retable)
Crivelli, vers 1470, Muzeum Narodowe, Cracovie

Le peintre joue ici sur le contraste visuel entre le vieil ermite sourcilleux et la jeune fille sérieuse, le point commun étant évidemment leurs démêlées avec le sexe (Saint Antoine repoussant ses tentations, Sainte Lucie échappant au lupanar).



1472 Crivelli, second triptych of the Valle Castellamo Pinacoteca, Ascoli Piceno sainte Lucie
Dans le panneau central, le groupe des femmes voilées, priant sous l’égide de Sainte Lucie, n’a pour pendant que la pomme.



1472 Crivelli, second triptych of the Valle Castellamo Pinacoteca, Ascoli Piceno schema
Comparée à celle de l’autre triptyque, la composition frappe par sa dissymétrie, accrue encore par la position couchée de l’Enfant qui décentre l’ensemble vers sa moitié « féminine« .

Les regards (flèches bleues) y créent une circulation subtile, dans laquelle chacun contemple en quelque sorte son « fruit » : Marie et les dévotes l’Enfant, et Jésus la pomme – à la fois le péché d’Eve et sa rédemption.

On constate également un rapport d’imitation (flèches jaunes) entre Saint Sébastien exhibant avec préciosité sa flèche et sa palme de martyr, et Sainte Lucie faisant de même avec sa coupelle et sa palme ; puis entre la sainte et les dévotes, dont la première porte des vêtements aux mêmes couleurs.



1472 Crivelli, second triptych of the Valle Castellamo Pinacoteca, Ascoli Piceno donatrices
Il est peu probable que cette « donatrice » soit une femme réelle prénommée Lucie : on ressent plutôt ce groupe comme représentant les Femmes en général, de même que dans l’autre triptyque les donateurs et donatrices représentaient l’humanité en général.

Il est donc clair que ce triptyque est dédié aux femmes (probablement les membres d’une Fraternité féminine) : en les plaçant malicieusement au plus loin de l’Ermite qui les craint, et aux pieds du Saint le plus sexy du calendrier, Crivelli leur donne pour modèle de féminité la chaste Lucie (qui s’arracha dit-on les yeux pour dégoûter d’elle son fiancé) et pour modèle de maternité Marie.


Les familles de donateurs dans les pays du Nord

Pour les hautes époques, il ne reste que quelques rares exemples de Vierges à l’Enfant comportant une famille de donateurs. Elles sont plus fréquentes au XVIème siècle, mais le plus souvent associées à d’autres scènes que la Vierge à l’Enfant (voir des exemples dans 1-1 Les donateurs : vue générale).

1420 ca Anonyme Memorial de Yolande Belle Virgin with child, St. George, Ste. Catherine, the donors and their children Museum Godshuis Belle Ypres 1420 ca Anonyme Memorial de Yolande Belle Virgin with child, St. George, Ste. Catherine, the donors and their children Museum Godshuis Belle Ypres c

Epitaphe de Yolande Belle
Anonyme, vers 1420, Museum Godshuis Belle, Ypres

Ce panneau est le plus ancien exemple des rares « mémorials » (ou épitaphes) peints dans les Pays du Nord (la grande majorité des survivants sont des panneaux sculptés) [11].

Saint Georges et Sainte Catherine présentent à la Vierge et à l’Enfant les membres masculins et féminins de la famille. Tandis que Marie salue de la tête les femmes en leur montrant une pomme – à la fois l’origine et la récompense de leurs douleurs, l’Enfant Jésus fait aux garçons le signe du silence, en se prenant comiquement le pied de l’autre main.

L’inscription en dessous donne l’identité de la famille :

« Ci-git madame Yolande Belle, Fille de sire Jean Belle, chevalier, Seigneur de Boesinghe, qui était Femme de Josse Brid et mourut le 1er février 1420. » « HIER VOOREN LIGHT BEGRAVEN VRAWE YOLENTE BELLE DOCHTERE MER IAN BELLES RUDDERE HEERE VAN BOESINGHE IOOS BRIDS WYF WAS DIE STARF DEN EERSTEN DACH VAN SPORKEL 1420 »

A Saint Josse et Sainte Yolande ont donc été préférés deux Patrons mieux introduits. A noter les étoiles des Brid et les clochettes des Belle, qui alternent sur le fond d’or, et décorent également le drap d’honneur derrière la Vierge.



1420 ca Anonyme Memorial de Yolande Belle Virgin with child, St. George, Ste. Catherine, the donors and their children Museum Godshuis Belle Ypres schema
L’importance de chaque membre de la famille est proportionnelle à sa taille : ainsi Josse en armure, le seul à s’agenouiller, a la même taille que Saint Georges en armure. Les quatre fils, la mère et les trois filles sont classés par taille décroissante par rapport au centre.



Références :
[1] Selon Emma Simi Varanelli , la Madone de Ganolo serait enceinte et la jeune femme qui vient l’implorer aussi. Mais cette interprétation, peu étayée, n’est pas corroborée par le texte de l’inscription. De plus, toutes les « Madonna del Parto » ont pour signe distinctif une ceinture en position haute, ou une main posée enhaut du ventre. Voir  » Maria l’Immacolata: la rappresentazione nel Medioevo : et macula non est in te », Emma Simi Varanelli, 2008 , p 209
[2] Richard Offner, A Critical and Historical Corpus of Florentine Painting: Fourteenth century. v. 2. Elder contemporaries of Bernardo Daddi. v. 3. The works of Bernardo Daddi. v. 4. Bernardo Daddi, his shop and following. v. 5. Bernardo Daddi and his circle. v. 9. The painters of the miniaturist tendency, p 192 https://books.google.fr/books?id=hu9OAAAAYAAJ&pg=PA192
[3] « Images-within-Images in Italian Painting (1250-1350): Reality and Reflexivity », Peter Bokody, p 96 https://books.google.fr/books?id=VTQrDwAAQBAJ&pg=PA96&lpg=PA96
[4] Visio Divina? Donor Figures and Representations of Imagistic Devotion: The Copy of the « Virgin of Bagnolo » in the Museo dell’Opera del Duomo, Florence, Lars R. Jones, Studies in the History of Art, Vol. 61, Symposium Papers XXXVIII: Italian Panel Painting of the Duecento and Trecento (2002) https://www.jstor.org/stable/42622625
[5] « The Fourteenth Century: Giovanni del Biondo », Institute of Fine Arts, New York University, 1967, p 123 https://books.google.fr/books?id=qDo4AQAAIAAJ&pg=RA2-PA123
[7] « Affreschi novaresi del Trecento e del Quattrocento : arte, devozione e società » par Fabio Bisogni, Chiara Calciolari, Lavinia Lazzarini, p 254
[11] Evidence for the Forms and Usage of Early Netherlandish Memorial Paintings, Douglas Brine, Journal of the Warburg and Courtauld Institutes, Vol. 71 (2008), https://www.jstor.org/stable/20462780

4-4 Le donateur-souris : en couple

17 juin 2019

J’ai rassemblé ici tous les cas où les donateurs-souris se présentent en couple devant la Madonne : situation dans laqulle un des deux doit assumer le côté défavorable… à moins que les deux ne se placent du même côté.



Couple homme-femme

Mis à part de rares exceptions (voir 1-3 Couples irréguliers, le mari est en gauche, en position d’honneur, et l’épouse à droite.

1270 ca Cuerden psalter England, Oxford, Morgan Library MS M.756 fol. 10v
Psaultier de Cuerden
Oxford, vers 1270, Morgan Library MS M.756 fol. 10v

Les deux époux portent le même habit, excepté le couvre-chef : cale pour l’homme, barbette pour la femme. Comme nous le verrons, il n’est pas systématique que l’Enfant Jésus se trouve côté épouse, mais la circonstance particulière de l’allaitement rend cette position logique.


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1200-99 Madonna con Bambino in trono e donatori Curia Vescovile, Rieti
Vierge à l’Enfant avec un couple de donateurs
1200-99, Curia Vescovile, Rieti

La solution est ici tout à fait équilibrée : l’Enfant Jésus se trouve côté épouse, mais il bénit en direction du mari.


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1310 Maitre_de_1310-Vierge avec six anges et epoux Paci-Musee du Petit Palais Avignon

Vierge avec six anges et les époux Paci
Maître de 1310, 1310, Musée du Petit Palais, Avignon

L’inscription précise le nom des époux : Filippo Paci et de son épouse Jacobé.

« In nomine Domini an(no) MCCCX de(cimo) m(en)s(is) februarii p(ro) a(n)i(m)a Filippi Pacis (et) d(omi)ne lachobe uxoris sue ; a(n)i(m)e quorum, mi(serico)r(di)a Dei, requiscant i(n) pace ».

Ce type de panneau, où le couple se trouve au paradis aux pieds d’une Vierge entourée d’anges, est donc clairement une épitaphe : « que leur âme repose en paix ».


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1315-1320 ca The Pabenham-Clifford Hours Fitzwilliam Museum, MS 242 fol 2vAnnonciation fol 2v 1315-30 Goodhart Master Madonna and Child Enthroned with Two Donors MET schemaVierge à l’enfant avec le couple de donateurs fol 3r

The Pabenham-Clifford Hours [1]
vers 1315-1320, Fitzwilliam Museum, MS 242 

Ce manuscrit a été fait pour John de Pabenham (mort en 1331) et sa seconde épouse , Joan Clifford, qu’il épousa vers 1315.

Le couple apparaît dans plusieurs pages du manuscrit. Ils figurent dans la page de gauche, en dessous de l’Annonciation : comme dans pratiquement toutes les Annonciations avec donateurs, les époux respectent l’ordre héraldique, qui coïncide avec l’ordre traditionnel de l’Ange et de Marie (voir 7 Les donateurs dans l’Annonciation)

 On les trouve dans la page de droite, priant tous deux la Madonne, l’époux en armure dans la marge et l’épouse en bas dans le texte.


1315-1320 ca The Pabenham-Clifford Hours Fitzwilliam Museum, MS 242 fol 28vTrinité, f 28v 1315-1320 ca The Pabenham-Clifford Hours Fitzwilliam Museum, MS 242 fol 55vCrucifixion, f 55v

En revanche, dans les deux Christ en croix du manuscrit, l’ordre héraldique est inversé, ce qui est exceptionnel : l’épouse prend la place d’honneur à la droite du Christ et le mari la place mineure. Plutôt qu’une « courtoisie » médiévale, il faut sans doute invoquer ici un simple souci de variété dans la composition :

  • dans la première occurrence, la croix est englobée dans une représentation trinitaire, ce qui lui fait perdre la forte polarisation qu’elle présente dans les scènes de Calvaire ;
  • dans la seconde, les deux époux se trouvent à l’extérieur de la lettrine, hors de portée de la polarité de la croix : c’est l’occasion pour l’artiste d’inverser la composition par rapport au folio 3r.



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1333 Bernardo_daddi,_altarolo_portatile maesta_angeli_e_donatori Loggia del Bigallo FlorenceBernardo Daddi, 1333, Loggia del Bigallo, Florence 1334 Taddeo_daddi,_altarolo_portatile maesta_angeli_e_donatori Berlin GemaldegalerieTaddeo Gaddi,1334, Gemäldegalerie, Berlin

Le second triptyque est une reprise du premier, mais plus expressif dans le traitement du contraste entre les deux scènes des frontons :

  • dans  le fronton de gauche, saint Nicolas apparaît chez le roi païen qui retient le jeune Adeodatus comme esclave, dans un décor et des habits somptueux, derrière une table garnie de viande ;
  • dans  le fronton de droite, Saint Nicolas rend Adeodatus à ses parent, attablés dans un décor pauvre pour un repas de poisson.


1334 Taddeo_daddi,_altarolo_portatile maesta_angeli_e_donatori Berlin Gemaldegalerie revers
Revers du triptyque de Berlin

Au revers les scènes des deux triptyques sont pratiquement identiques (sauf pour un saint) :

  • à gauche, Sainte Marguerite surplombe Jésus recommandant Saint Jean à Marie (Berlin), ou Saint Martin (Florence) ;
  • à droite, sainte Catherine d’Alexandrie surplombe saint Christophe.

Comme le remarque Andrew Ladis [2], quatre scènes dans le triptyque de Berlin sont liées à un enfant en danger ou perdu (Saint Nicolas, Saint Christophe, « Mère, voici ton fils »). On peut ajouter à ce thème de l’enfant en péril Sainte Marguerite, qu’on invoquait pour le naissances.


1333 Bernardo_daddi,_altarolo_portatile maesta_angeli_e_donatori Loggia del Bigallo Florence detail 1334 Taddeo_daddi,_altarolo_portatile maesta_angeli_e_donatori Berlin Gemaldegalerie detail

Le couple qui regarde intensément la Vierge embrassant l’Enfant serait donc des parents ayant perdu leur enfant.


Une ouverture déchirante (SCOOP !)

Les deux scènes de l’avers parlent également d’enfance : joyeusement avec la Nativité, et tristement avec la Croix, en haut de laquelle un pélican se déchire les entrailles pour nourrir ses enfants.

1334 Taddeo_daddi,_altarolo_portatile maesta_angeli_e_donatori Berlin Gemaldegalerie schema

Ouvrir le retable, c’est séparer en bas les deux images de Jésus, naissant et mourant ; et en haut séparer en deux l’Enfant Déotatus : son image triste dans une prison dorée, et son image joyeuse lors du retour chez ses parents.

A l’inverse, fermer le retable, c’est accéder à une forme de consolation : un nouveau fils et une nouvelle naissance (sur Saint Christophe portant l’Enfant comme métaphore de la grossesse, voir 4.2 L’Annonciation de Bruxelles).



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1390-1410 Madonna del parto e due devoti, Maestro della Madonna del Parto Accademia Venise
Vierge enceinte (Madonna del Parto) avec un couple de donateurs
Maestro della Madonna del Parto, 1390-1410, Accademia, Venise

Ce couple a choisi une iconographie très particulière, celle de la Madonna del Parto , dans laquelle le livre symbolise l‘Enfant à naître, et le lys la Virginité.



1390-1410 Madonna del parto e due devoti, Maestro della Madonna del Parto Accademia Venise detail
S’agissant d’un tableau de dévotion, le livre est aussi utilisé pour apporter à Marie la prière du couple ; ainsi que pour expliquer au spectateur, sur deux pages, le paradoxe de cette mère future, et pourtant vierge :

Salut Mère du Christ
Très sainte Vierge Marie enceinte
Ave Mater Christi Sanc
Tissima Virgo Maria Parta


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1430-nurnberger-meister-donatore-famille-Erlbeck-Karlsruhe.-Staatliche-Kunsthall-photo-jean-louis-mazieres
Vierge à l’enfant avec des anges et un couple de donateurs de la famille Erlbeck
Ecole de Nüremberg, 1430, Staatliche Kunsthall, Karlsruhe, photo Jean Louis Mazières

Dans ce tableau très symétrique, les prières sont différentiées : chacun des membres du couple profane s’adresse à la personne sacrée qui est la plus proche de lui :

  • le mari dit à l’Enfant : « Prends pitié de moi mon Dieu » ;
  • l’épouse dit à la Mère : « Prend pitié de nous Marie ».

Il est révélateur que le mari parle à Jésus en son nom (mihi), tandis que l’épouse s’adresse à Marie au nom du couple (nobis) : dans la moitié honorable du panneau, une sorte de solidarité entre mâles autorise la communication directe, tandis que dans la moitié humble l’épouse n’accède à l’autorité suprême qu’au travers de deux médiations : le lien marital et le lien filial.

Cet exemple est typique d’une composition rare, qu’on ne trouve que dans les Pays du Nord (mis à part deux exceptions italiennes que nous verrons plus loin) : l’Enfant du côté du mari, alors qu’il pratiquement toujours, dans les Madonnes avec couple, situé du dessus de la femme.



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1444-45 Retable_Requin_by_Enguerrand_Quarton Avignon

Retable Requin
Enguerrand Quarton, 1444-45, Musée du Petit-Palais, Avignon

Voici un autre exemple de ce dispositif avec l’enfant au dessus du mari. La présence de Saint Jacques à gauche, a fait penser qu’il s’agirait d’un tableau votif en commémoration ou en préparation du voyage du donateur en Palestine. Le Saint évêque de droite est Saint Siffrein ou Saint Agricol. On ne sait rien sur le couple.



1444-45 Retable_Requin_by_Enguerrand_Quarton Avignon schema
Lues verticalement, les fuyantes du trône (qui ne se rencontrent pas) divisent le panneau en trois zones :

  • en bas le triangle des humains ;
  • au centre une zone unissant les saints et l’Enfant Jésus ;
  • en haut le triangle de Marie.

Tout en créant une forte sensation de profondeur, cette configuration a pour effet de comprimer vers le sol les donateurs vêtus de noir, et de pousser vers le haut le visage de Marie, rehaussé de rouge et d’or.

Lue horizontalement, la composition est scandée par des verticales puissantes, auxquelles fait exception la crosse inclinée du Saint Evêque : d’où un effet d’aspiration du regard vers le haut au niveau de la main qui bénit.

Par ces moyens purement graphiques, le grand artiste qu’est Enguerrand Quarton réussit à insuffler dynamisme et originalité dans un sujet très réglé et conventionnel.


1500 ca Anonyme avignonnais Vierge a l'enfant avec St Hugues, St Ambroise, un chartreux et un laic Musee du Petit Palais Avignon
Vierge à l’enfant entre  Saint Hugues d’Avalon avec  un chartreux , et Saint Ambroise (?) avec  un laïc
Anonyme avignonnais, vers 1500, Musée du Petit Palais Avignon

La comparaison est intéressante avec cet autre panneau avignonnais traitant cinquante ans plus tard. la même composition, avec deux donateurs et deux saints patrons.  L’artiste a dû lui aussi disposer une crosse  dans la main gauche des saints patrons : ce qui l’a conduit, afin d’espacer équitablement les verticales, à la même solution : représenter  de profil le Saint de gauche et de trois quarts celui de gauche.

Cependant, l’esthétique désormais totalement renaissante lui impose des contraintes supplémentaires :

  • la perspective géométrique oblige à placer la Vierge assise en contrebas des deux Saints ;
  • les donateurs désormais à taille humaine et sur lesquels les saints patrons posent leur main, font désormais corps avec eux (en particulier pour les deux chartreux et le cygne, réunis par la couleur blanche).



1500 ca Anonyme avignonnais Vierge a l'enfant avec St Hugues, St Ambroise, un chartreux et un laic Musee du Petit Palais Avignon schema
Il en résulte une composition statique et sans profondeur, qui permet de mesurer combien, en gagnant en réalisme, la peinture a perdu en expressivité.


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1470 Allievo_di_benozzo_gozzoli,_madonna_col_bambino_e_santi_dall'università_dei_cappellani_del_duomo_di_pisa

Vierge a l’Enfant avec Saint Laurent, Lazare, Antoine, Bernardin de Sienne et un couple de donateurs
Atelier de Benozzo Gozzoli, 1470, Musée national San Matteo, Pise (provient de l’église San Lazzaro fuori le mure)

Les deux donateurs sont désignés par leur prénom et leur ville d’origine : Gianpiero, de Portovenere, et Dona Michele, de La Spezia [3].


Un ex voto ? (SCOOP !)

Ce ne sont donc pas des époux (d’où la présence de l’Enfant côté masculin), mais peut-être des malades de l’hôpital situé à côté de l’église, qui auraient fait don de ce retable en remerciement pour leur guérison.

Les saints n’ont pas été choisis en relation avec leur prénom, mais pour des raisons assez transparentes : Saint Lazare est le patron de l’église (et des malades). Le chien qui lèche ses plaies (suite à une confusion courante avec le pauvre Lazare de l’Evangile) fait écho au cochon de Saint Antoine, lui aussi autre saint guérisseur. Enfin, le gril de Saint Laurent et le monogramme enflammé de Saint Bernardin ont pu être choisis pour évoquer les douleurs des malades.

L’hypothèse d’un ex-voto est renforcée par un retable postérieur de Gozzoli, sur lequel nous avons cette fois toutes les informations utiles.

 

1481 Benozzo Gozzoli Saints Nicholas of Tolentino, Roch, Sebastian, and Bernardino of Siena, with Kneeling Donors MET
Saints Nicolas deTolentino, Roch, Sebastien, et Bernardin de Sienne, avec un couple de donateurs
Benozzo Gozzoli, 1481, MET, New York

Ces quatre saints protecteurs

contre la peste, les a fait faire

Pietro di Battista d’Arrigo di Minore,

citoyen de Pise, en 1481

QVESTI IIII·SANTI D IFENSORI /

DELLA PESTILENTIA A FATTFARE /

PIETRO DIBATISTA DA RIGO DIM INOE /

CITADINO PISANO·M· CCCC·LXX XI

Tandis que huit anges, exécuteurs de la colère divine, décochent leurs traits sur la ville (trois ont déjà tiré), le couple s’est réfugié à l’écart, sur une terrasse en hauteur, à l’abri derrière le rempart des quatre saints traditionnellement reconnus comme efficaces contre le fléau [4].


Une protection équitable (SCOOP !)

Alors que Saint Sébastien et Saint Nicolas de Tolentino sont plutôt invoqués pour écarter les épidémies, saint Roch et saint Bernardin sont connus pour avoir soigné des pesteux.

Ainsi le mari et le femme se répartissent équitablement leurs services :

  • derrière chacun un couple de saints, un civil et un religieux ;
  • et derrière chacun un spécialiste de la prévention (à gauche) dialogue avec un spécialiste de la guérison (à droite).

Cette bipartition entre l’Avant et l’Après se retrouve dans les deux pages du livre que tient Saint Bernardin :

  • à gauche une profession de foi : « Père, j’ai manifesté ton nom aux hommes » (Jean 17:6 ) ;
  • à droite le résultat attendu: « Montre-nous ta miséricorde, Dieu clément ».



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1475 Neri di Bicci, san Biagio, san Michele Arcangelo e donatori, Montreal Museum of Fine Arts

Vierge a l’enfant avec St Blaise, St Michel Archange et un couple de donateurs
Neri di Bicci, 1475, Musée des Beaux Arts,Montreal [5]


Une architecture structurée

Dans cet ensemble très original, le retable et la prédelle sont unifiés de trois manières :

  • par l’éclairage unique, qui crée des ombres longues vers la droite ;
  • par les balustres, qui situent la scène tragique de la déploration dans un sorte de galerie inférieure ouvrant sur un paysage terrestre, sous la salle du trône ouverte sur le fond d’or du Paradis ;
  • par la présence structurante des donateurs :
    • en bas leurs blasons (non identifiés à ce jour) ferment au deux bouts la galerie des éplorés ;
    • en haut leur silhouette ponctue précisément l’inscription, encadrant la partie sacrée « IESUS CHRISTUS FILIUS DEI VIVI ».



1475 Neri di Bicci, san Biagio, san Michele Arcangelo e donatori, Montreal Museum of Fine Arts schema
Tandis que souvent les donateurs-souris sont plaqués dans la marge, ils jouent ici un caractère structurant : positionnés sous les montants du trône et au dessus de deux balustres, ils servent de relais entre la salle haute et la salle basse, et nous font voir comment le trône se projette dans le tombeau [6].


Des astuces visuelles

1475 Neri di Bicci, san Biagio, san Michele Arcangelo e donatori, Montreal Museum of Fine Arts detail
Les ombres portées donnent un léger avantage à l’époux, puisque la sienne touche le montant du trône ; réciproquement la queue du diable, qui dépasse devant l’inscription, fait planer une légère menace sur l’épouse.

Heureusement, chacun des époux est en quelque sorte gratifié par le Saint qui le surplombe : le mari est placé sous la crosse de Saint Blaise,et non sous le peigne à carder de son martyre ; quant à l’épouse, elle est du bon côté de la balance de Saint Michel.


Des exceptions qui confirment la règle

Cette oeuvre est une des très rares Madonnes avec couple qui échappe à la règle italienne intangible : l’Enfant est toujours situé  au dessus de l’épouse.


1457 Cristoforo di Giovanni da Sanseverino ou Angelo da Camerino
Vierge à l’Enfant avec des anges et un couple de donateurs
Cristoforo di Giovanni da Sanseverino et Angelo da Camerino, 1457, Pinacoteca communale, Camerino

Le seul autre exemple que je connaisse est cette Madonne d’une peintre mystérieux, dont elle est la seule oeuvre connue. Le cartouche fournit le nom du donateur, partiellement effacé (Giovanni <nom inconnu> di San Genesio), ainsi que celui des deux peintres [7].


     
Basilica di San Zeno Fresque anonyme, 1200-99,San Zeno, Vérone
1362 Turone Madonna delle grazie santa maria della scala verona-Madonna delle grazie, Turone, 1362,Santa Maria della Scala, Vérone

Madonne avec un couple de donateurs

Une autre exception semble frapper les Madonnes des églises de Vérone. Mais en prenant un peu de recul, on constate que ces fresques sont placées sur le mur droit de la nef.


Verona_Basilica_di_San_Zeno_Maggior 1200-99 verona san zeno nef droite ensemble

Fresques du mur droit de la nef, San Zeno, Vérone

Fort logiquement, les huit Madonnes de ce mur (sauf une) portent toutes l’Enfant en direction du choeur.



Couple en position de bénédiction

Dans de rares cas, les deux membres du couple se regroupent sur la gauche, se ramenant ainsi au cas du donateur unique.

1290-1320 Saint Cecilia Master Madonna and Child Enthroned with Four Saints, Two Angels and Two Donors Musee des BA Budapest
Vierge à l’Enfant avec quatre Saints, deux anges et un couple de donateurs
Saint Cecilia Master, 1290-1320, Musée des Beaux Arts, Budapest

Malgré la grande symétrie du panneau (deux saints non identifiables et un ange de chaque côté), les deux donateurs sont latéralisés à gauche.

Malgré le mauvais état du panneau, on voit encore que l’homme est placé en avant, mais surtout à droite de la femme : ce qui est conforme à l’ordre héraldique pour un couple marié. Les couleurs rouge (pour la splendeur) et noire (pour la dignité) viennent à l’appui de la différence de sexe.


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1325-30 Paolo_Veneziano_-_Madonna_and_Child_with_two_donrs accademia

Vierge à l’Enfant avec un couple de donateurs
Paolo Veneziano ,1325-30, Accademia, Venise

Ici encore le mari habillé de noir précède doublement l’épouse habillée de rouge. La composition, très exceptionnelle, superpose deux types byzantins :

  • celui de la Vierge relevant de la main droite un pan de son manteau (qui justifie la position des donateurs) ;
  • celui de de la Vierge Platytera, montrant l’Enfant encore dans son sein


1280 Ca Madonne avec des moines carmelites Byzantine museum,NicosieMadonne avec des moines carmélites, vers 1280, copyright Byzantine museum, Nicosie        
1200-99 Maestro Francesco Madonna Platytera fra tre santi, Venezia, Scuola di S. Giovanni EvangelistaVierge Platytera avec trois saints
Maestro Francesco,XIIIeme siècle, Scuola di S. Giovanni Evangelista, Venise

 

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1375-80 Master of the Infancy of Christ (avant jacopo-di-cione)-madonna-con-bambino-e-due-donatori-annunciazione-e-santi Accademia Firenze
Vierge de l’Humilité avec un couple de donateurs
Master of the Infancy of Christ (attribué auparavant à Jacopo di Cione), 1375-80, Accademia, Florence

Ici les deux ont revêtu le même vêtement rouge : le mari, dont le capuchon révèle le bonnet noir, se trouve visuellement derrière l’épouse, mais spatialement plus proche de la Vierge, assise sur son coussin (cet effet de proximité n’est pas perceptible lorsque la Vierge est en majesté sur son trône)


1357-1368 Francesco d'Oberto san Domenico, san Giovanni Evangelista Museo dell'Accademia Ligustica di Belle Arti, Genova
Vierge à l’Enfant avec un groupe de dominicains, Saint Dominique et Saint Jean l’Evangéliste
Francesco d’Oberto, 1357-1368, Museo dell’Accademia Ligustica di Belle Arti, Gênes

Cette composition affiche une disproportion hiérarchique écrasante entre Saint Dominique et les moines minuscules qui s’abritent derrière : l’Enfant bénit en priorité le fondateur de l’ordre, avec effet collatéral sur ses subordonnés .


Couple en position d’humilité


1449 Girolamo di Giovanni Nicola da Tolentino, sant'Antonio Pinacoteca e Museo Civico, Camerino
7Vierge à l’Enfant avec Saint Nicolas de Tolentino, saint Antoine et deux donateurs masculins
Girolamo di Giovanni,1449, Pinacoteca e Museo Civico, Camerino (provient de la chapelle Sant’Agostino)

Voici l’inscription sous la fresque :

Cette chapelle a fait faire et peindre Donna Catarina, qui fut l’épouse de Venanzo, le boucher, année du seigneur 1449. Cette image ont fait faire Salvo et Arcangilu. » « Questa cappella a fatta fare et pengere Catarina donna che fo de Venanzo, beccaio, anno domini XIVXXXXVIII. Questa figura fe fare Salvo e Arcangilu. »

Ainsi les deux hommes qui ont profité de la réalisation de la fresque pour se faire portraiturer (en position d’humilité néanmoins) sont Salvo et Arcangilu, exécuteurs testamentaires de la veuve du boucher de Camerino (et sans doute ses fils)

L’artiste évite les complications de la bénédiction sur la droite en montrant l’Enfant à l’instant où il se détourne des donateurs, l’attention attirée par la fleur que lui tend saint Nicolas.


1473-75 Giovanni Angelo di Antonio, Pinacoteca Camerino
Vierge à l’Enfant avec les saints Jérôme, Jean Baptiste, Augustin avec le donateur Melchiorre Baldini, Saint Vénantius
1473-75, Giovanni Angelo di Antonio, Pinacoteca Camerino (provient de la chapelle Sant’Agostino)

Pour comparaison, cette fresque réalisée vingt cinq ans plus tard pour la même église montre, toujours en position d’humilité, un donateur maintenant à taille humaine : or à Camerino à cette époque, Crivelli ne peint que des donateurs-souris : la taille humaine de a donc clairement ici une valeur ostentatoire, signifiant des moyens financiers importants et un statut social supérieur.



1473-75 Giovanni Angelo di Antonio, Pinacoteca Camerino detail
Chevalier de Malte, Baldini s’est fait représenter en habit de choeur noir, tout en affublant la Madonne de l’habit rouge à croix blanche de son Ordre. Le choix de de Saint Augustin comme accompagnateur s’explique doublement : en tant que patron de l’église et en tant que fondateur de l’ordre des Augustiniens, auxquels appartient le donateur : son aube noire, typique de cet ordre , est aussi portée par le saint evêque sous sa chape. A noter qu’il Il y avait deux autres saints aux deux extrémités, Saint Bernardin de Sienne et Saint Nicolas de Tolentino.


Madonne avec deux donateurs

Eveques Guillaume et Raoul de Beaumont

Vierge à l’Enfant avec les évêques Guillaume et Raoul de Beaumont
1230-35, Cathédrale d’Angers
 

Les deux évêques levant leur crosse dorée, prosternés aux pieds de la Madone, sont les pendants terrestres des deux anges  laissant pendre  leur encensoir doré, en vol au dessus de sa couronne.


1230-35 Eveques guillaume ou Raoul de Beaumont Cathedrale Angers detail

La frontières ntre les domaines terrestre et céleste, au centre du vitrail ,est marquée de manière subtile :

  • les cercles blancs sont pleins dans la moitié basse  et perlés dans la moitié haute, comme formés de joyaux (à l’image du nimbe de Marie) ;
  • les évêques y sont confinés alors que le  habitants du ciel entrent et sortent par ces trous (leurs ailes et leurs pieds passent devant le cadre).


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1310-15 MARCO DI MARTINO DA VENEZIA Vierge glykophilousa and Child Enthroned with Donors Pushkin Museum

Vierge à l’Enfant avec deux donateurs masculins
Marco di Martino da Venezia , 1310-15, Pushkin Museum, Moscou

Ce panneau est encore très proche du type byzantin de la Vierge de tendresse (glykophilousa). On ne sait rien sur les deux donateurs, deux hommes en costume civil (d’autant que le panneau a été recoupé en bas). Comme dans le vitrail d’Angers, ils font pendant à deux  personnages célestes, ici les archanges Michel et Gabriel.


La Croix dans le globe (SCOOP !)

1200 ca Vierge entre les archanges Michel et Gabriel Abside de la cathedrale de Monreale

 
Vierge entre les archanges Michel et Gabriel
Vers 1200, Abside de la cathédrale de Monreale

Ils sont ici représentés selon une iconographie typiquement byzantine, tenant des emblèmes de pouvoir : un bâton fleuri et un globe marqué d’une croix à l’intérieur. A remarquer le détail, identique avec Montreale, du drap d’honneur inséré dans le dossier du trône.


1310-15 MARCO DI MARTINO DA VENEZIA Vierge glykophilousa and Child Enthroned with Donors Pushkin Museum detail

Ces globes contenant la croix comme dans un écrin de cristal (et non surplombés par elle comme dans les globes crucifères habituels) symbolisent non pas le monde christianisé, mais la double nature divine (la sphère) et humaine (la croix) du Christ. Elles  sont donc à relier avec un détail unique à ma connaissance, celui de la pomme que Marie glisse à l’Enfant qui la dissimule de sa main :

toute comme le cristal absorbe la croix, la Chair divine absorbe  le résidu du Péché originel. 



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1338-43 Eveque Silvestro di Ottana et donateur Mariano d'Arborea Duomo Ottana Sardaigne fronton

Retable de Saint François et Saint Nicolas
Maestro delle tempere francescane, 1338-43, église San Nicola (ancienne cathédrale), Ottana, Sardaigne.
Cliquer pour voir l’ensemble

Le fronton de ce retable montre, agenouillés aux pieds de la Madonne, l’évêque franciscain Silvestro et le donateur Mariano, futur gouverneur du Judicat d’Arborea.

De même que Saint François (patron de l’Ordre) est en position d’honneur par rapport à Saint Nicolas (patron de l’église), de même l’autorité religieuse prend le pas sur l’autorité civile.


 

  

1370 Lorenzo Veneziano Madonna and Child Enthroned with Two Donors MET
Lorenzo Veneziano, 1370, MET

1386-Cecco_di_Pietro-Madonna_and_Child_with_Donors-Portland_Art_Museum.jpgCecco di Pietro, 1386, Portland Art Museum

Vierge à l’Enfant avec deux donateurs masculins

Ces deux panneaux montrent que la formule médiévale des donateurs-souris est restée de loin la plus courante jusqu’à la fin du XIVeme siècle. Dans les deux cas, l’Enfant Jésus fait le geste de la bénédiction en attrapant de l’autre main un oiseau (dans le tableau de Cecco di Pietro, sa robe est également décorée d’oiseaux) : le chardonneret, qui se cache parmi les épines, est un symbole de la Passion.

Les donateurs, non identifiés, sont :

  • un homme en robe rouge face à un frère augustinien ;
  • un chevalier de Malte en habit de choeur (noir) face à un homme en rouge, peut être ici un autre chevalier en habit militaire. La place d’honneur serait ainsi accordée à celui qui représente le versant religieux de l’Ordre.



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1330–35 Ecole de Bernardo Daddi MET

Vierge à L’Enfant entouré de saints avec avec deux donateurs masculins
Ecole de Bernardo Daddi, 1330–35 , MET, New York

Le donateur de gauche, un moine franciscain, renvoie manifestement aux personnages du volet gauche : à Saint François puis, au dessus, à l‘ange de l’Annonciation.

Le volet de droite, contraint par l’iconographie de la Crucifixion et de l’Annonciation, est à dominante féminine, et tendrait à faire prendre le donateur de droite pour une dévote. Mais il s’agit bien d’un homme, comme le montre son saint patron Bartholomé et son bonnet posé sur le sol.


1315 ca Master_Of_The_Codex_Of_Saint_George_-_Diptych_- Coll privee

Maître du Codex de Saint Georges, vers 1315, Collection privée

Il est amusant de comparer avec la solution adoptée dans ce diptyque, où le moine est agenouillé côté Madonne tandis qu’une dévote, déplacée côté Crucifixion, remplace la silhouette familière de Marie-Madeleine ([8], p 136) .


1380 ca Francesco di Vannuccio Crucifixion Gemaldegalerie BerlinCrucifixion avec Saint Augustin et un moine augustinien (avers) 1380 ca Francesco di Vannuccio 1 Madonne Gemaldegalerie BerlinVierge à l’Enfant entre deux saints et un moine augustinien (revers)

Francesco di Vannuccio, vers 1380, Gemäldegalerie, Berlin

On pense que le moine qui apparaît sur les deux faces est une seule et même personne, le possesseur de ce petit panneau biface.

Côté Crucifixion, il laisse la place d’honneur au fondateur de son ordre et, les mains jointes, exprime sa foi :

« Yahweh, en toi j’ai placé mon refuge : que jamais je ne sois confondu ! » Psaume 31:2

Saint Augustin, quant à lui, répond directement au jet de sang qui s’échappe de la plaie :

« Tu m’as nourri Seigneur de ta charité (Nutricasti domine serveum caritate tua)« 

Côté Madonne, le moine est passé en position de bénédiction et, les mains croisées sur sa poitrine, demande miséricorde à l’Enfant qui le bénit :

« Aie pitié de moi et entends ma prière » Psaume 4:2

Selon Victor M. Schmidt ([8] p 129), cet exemple illustre bien deux nuances  dans la gestuelle des donateurs :

  • le geste standard (mains jointes) exprime une prière de méditation ;
  • le geste des mains croisées une prière de supplication : ce dernier geste serait plus fréquent chez les clercs, en relation avec le geste liturgique du prêtre durant la prière du « Rogamus te supplica », pendant la messe.



Madonne avec deux donatrices

1330 avant Thronende Madonna mit Kind und Heiligen, Engeln und Stiftern, Jacopo del Casentino Staedel

Vierge à l’Enfant avec des saints et deux donateurs
Jacopo del Casentino, avant 1330, Staedel Museum, Francfort

Ce type de composition très symétrique, où des saints s’étagent de part et d’autre du trône, a été plusieurs fois utilisé par Jacopo del Casentino :

  • au premier rang, Saint Jean Baptiste à gauche, porte de la main droite son bâton crucifère et de l’autre l’inscription « EGO VOX CLAMANTIS IN DESERTO » ; Saint André à droite porte de la main gauche son bâton crucifère et de l’autre un livre ;
  • Au second rang, on reconnaît par les clés et l’épée le couple prestigieux des apôtres Saint Pierre et Saint Paul, premiers chefs de l’Eglise ;
  • Au troisième rang, celle-ci est représentée par un couple constitué de  saint Etienne en habit ecclésiastique et un Saint Evêque, chacun accompagné d’un ange ,
  • au delà, des anges s’étagent dans une grande symétrie, sinon qu’il en manque un en haut à droite. On peut supposer que ce trou sert à rétablir l’équilibre, en terme de luminosité des auréoles, rompu par l’Enfant Jésus qui se penche de ce côté pour bénir le second donateur. Et que cette bénédiction a elle-même pour but de compenser le caractère négatif attaché au côté droit.



1330 avant Thronende Madonna mit Kind und Heiligen, Engeln und Stiftern, Jacopo del Casentino Staedel detail
Les donateurs n’ont pas été identifiés : il s’agit probablement de deux femmes, ou bien d’une femme et d’un ecclésiastique : mais leur position exclut qu’il s’agisse d’un couple constitué. Ils n’ont probablement pas de rapport direct avec les deux saints du premier plan, qui semblent avoir été plutôt choisis pour des raisons de prestige et de symétrie.


1340-Jacopo del Casentino-Denver Museum of Art

Triptyque de dévotion (detail)
Jacopo del Casentino, vers 1340, Denver Museum of Art

Dans cette autre composition symétrique dont Jacopo del Casentino s’était fait une spécialité, c’est Saint Jean-Baptiste avec sa croix qui cette fois forme couple avec Saint Pierre avec ses clés.

1340-Jacopo del Casentino-Denver Museum of Art detail

Noter qu’ici l’Enfant Jésus ne bénit pas, mais reste inclus dans le trône : et le nombre d’auréoles de part et d’autre est rigoureusement égal.


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1410-20 Lippo_d'andrea_madonna_col_bambino,_donatori_e_santi Museo San Pietro (Colle di Val d'Elsa)

Vierge à l’Enfant avec des saints et deux donatrices
Lippo d’Andrea, 1410-20, Museo San Pietro, Colle di Val d’Elsa

Aucune informations sur ces donatrices strictement identiques, qui s’inscrivent dans la symétrie rigoureuse de la composition. La position quasi-centrale de l’Enfant et son absence d’interaction évitent tout favoritisme.


1410-20 Lippo_d'andrea_madonna_col_bambino,_donatori_e_santi Museo San Pietro (Colle di Val d'Elsa) gauche 1410-20 Lippo_d'andrea_madonna_col_bambino,_donatori_e_santi Museo San Pietro (Colle di Val d'Elsa) droit

La ressemblance suggère qu’ pourrait s’agir de deux soeurs, mais on peut tout aussi bien penser à deux membres d’une confrérie de dévotion, portant le même uniforme.


1410-20_ca Rossello_di_jacopo_franchi,_madonna_del_parto,_angeli_e_donatori Museo della Casa fiorentina Antica - Palazzo Davanzati

Vierge enceinte (Madonna del parto) avec deux donatrices
Rossello di Jacopo Franchi, 1410-20, Museo della Casa fiorentina Antica, Palazzo Davanzati, Florence

On n’a aucune certitude sur les rapports entre ces deux élégantes donatrices, sinon qu’elles se différencient cette fois par leur costume : celle de gauche est vêtue d’une riche robe bordée d’hermine et porte une toque, tandis que celle de droite est vêtue plus simplement, avec un bonnet noir et une longue tunique blanche ceinturée très haut. L’analogie avec le vêtement de la Vierge enceinte suggère qu’il s’agit d’une jeune fille, l’autre femme étant peut-être sa mère.



Madonne avec un parent et un enfant

1315-30 Goodhart Master Madonna and Child Enthroned with Two Donors MET schema

Vierge à l’enfant avec deux donateurs
Goodhart Master, 1315-30, MET, New York

Dans une représentation officielle, on s’attendrait à ce que le père occupe plutôt la place d’honneur, à droite de la Vierge (voir ci-après dans la Vierge au lait de Barnaba da Modena). Mais la bénédiction de l’Enfant transforme la signification de la scène.



1315-30 Goodhart Master Madonna and Child Enthroned with Two Donors MET schema
On suppose qu’il s’agit ici d’un père priant pour l’âme de son fils mort ([8], p 111) Le croisement des regards, parallèles aux accotoirs du trône, traduit bien le dialogue muet : le père humain implore la mère divine d’intercéder auprès de l’enfant divin pour qu’il accueille l’enfant humain.



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1344-76 Lippo Vanni, Donors and Saints Dominic and Elizabeth of Hungary,Collection of the Lowe Art Museum, University of Miami

Triptyque de la Vierge à l’Enfant avec Saint Dominique, Sainte Elisabeth de Hongrie et deux donateurs
Lippo Vanni, 1344-76, Lowe Art Museum, University of Miami

Les deux donateurs sont habituellement identifiés comme étant la reine Elisabeth de Pologne (d’où sa saint patronne dans le volet droit), accompagnée de son fils André [9] . Les deux sont en habit de cour : la reine porte sa couronne et le jeune homme un bouclier à son bras gauche. La supériorité sociale et la supériorité familiale se combinent pour placer la reine-mère à la droite de son fils. Mais nous allons voir un autre exemple où elles se contrarient, avec une autre reine accompagnée cette fois de son père.

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Couples royaux : Barnaba da Modena à Murcie

 

1370 ca Barnaba da Modena Vierge au lait Musee de la Cathedrale Murcie

Vierge au lait
Barnaba da Modena, vers 1370, Musée de la Cathédrale, Murcie.

La donatrice de droite, présentée par Sainte Claire, serait Juana Manuel (1335 – 1381), reine de Castille à partir de 1369. Le donateur de gauche, introduit par Sainte Lucie, serait soit son père décédé, l’écrivain Don Juan Manuel (1282-1348), soit son premier ministre le comte de Carion (mort en 1384). Le retable ayant été réalisé à Gênes, la question de la ressemblance avec les donateurs reste ouverte.

La scène du Jugement dernier incite à retenir l’hypothèse paternelle : le panneau aurait été destiné à orner la chapelle funéraire dédiée à Juan Manuel par sa fille , dans le cloître de la cathédrale de Murcie [10].

Ainsi trois supériorités, de défunt, de mâle et de père, se conjuguent ici pour primer sur la hiérarchie sociale.


1374 Barnaba da Modena 'The Madonna Enthroned and Two Donors in Adoration

Vierge à l’enfant avec deux donateurs
Barnaba da Modena, 1374, National Gallery

On retrouve probablement les deux même donateurs dans ce panneau commandé également pour Murcie. Le père défunt est présenté à la Madonne par l’archange Raphaël. La reine Juana se trouve placée à la fois à la suite de son père et à sa droite, ce qui confirme bien qu’il ne peut s’agir d’un couple marié.



1374 Barnaba da Modena Scene della Vergine; La Trinità; la Crocifissione. National Gallery
Le panneau fait partie d’un retable à quatre scènes, sans doute un diptyque à l’origine. La Vierge à l’Enfant fait clairement pendant à l’autre scène céleste, celle du Couronnement de Marie, tandis que la Trinité et la Crucifixion sont ancrées sur Terre.


1380 ca Barnaba da Modena Retable de Sainte Lucie Musee de la Cathedrale Murcie detail
Retable de Sainte Lucie (detail)
Barnaba da Modena, vers 1380, Musée de la Cathédrale, Murcie

Il existe un autre polyptyque commandé pour Murcie à Barnaba da Modena, avec la même nouveauté, pour l’Espagne de l’époque, d’un couple de donateurs. Bien qu’habillés également en rouge, l’homme est plus jeune et la femme ne porte pas de couronne : il s’agirait ici de Fernando Oller et de son épouse Juana Perez, possesseurs de la chapelle de Saint Lucie, et qui auraient imité le retable de la chapelle voisine [10].



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1390 Andrea Di Bartolo - Assunzione della Vergine con San Tommaso e due donatori - - Virginia Museum of Fine Arts, Richmond
Ascension de la Vierge avec Saint Thomas et deux donateurs, Ser Palamedes et son fils Matthier
Andrea Di Bartolo, 1390, Virginia Museum of Fine Arts, Richmond

D’après un Evangile apocryphe, la Vierge aurait laissé tomber sa ceinture afin de prouver à Saint Thomas,paradigme du sceptique (voir 2 Thomas dans le texte) que son Ascension était bien réelle, et non un pure vision. Il existe dans le monde byzantin et en Occident plusieurs reliques de la Saine Ceinture : en Italie, la Santa Cintola est vénérée à Prato.



1390 Andrea Di Bartolo - Assunzione della Vergine con San Tommaso e due donatori - - Virginia Museum of Fine Arts, Richmond detail
En avant du tombeau dont la Vierge vient se sortir, deux donateurs assistent également à la scène, et attestent de sa réalité auprès du spectateur moderne : la situation ajoute donc au rôle habituellement contemplatif des donateurs un rôle très particulier de témoins.

Ce pourquoi la magnifique inscription donne tous les détails sur leur identité : la peinture a été faite par Domenica, « honnête épouse », pour les âmes de son mari Ser Palamedes d’Urbino et de leur fils Matthieu.

«Andreas Bartoli de Magistri Fredi de Senis pinxit — Hoc opus fecit fieri dormina Honesta uxor quondam ser Palamides de Urbino pro animabus diti viri sui Mathei filii eorum»



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1404 Mariotto di Nardo Madonna con Bambino in trono e donatori Museo del Tesoro della Basilica di S. Francesco Assise
Vierge à l’Enfant avec Mastro Jacopo et Maestro Giovanne
Mariotto di Nardo, 1404, Museo del Tesoro della Basilica di S. Francesco, Assise

L’inscription au bas du panneau identifie les deux donateurs :

«fecit fieri m[agister] giovanne m[agistr]i jacobi p[ro] a[n]i[m]e su[a]e s[uorum] MCCCCIIII»

Un document explique que Maître Giovanne a fait réaliser, en 1404, un retable d’autel pour la chapelle dominicaine San Jacopo de San Miniato (aujourd’hui San Domenico), en exécution du testament de son père Jacopo (fait en 1384) [11].



1404 Mariotto di Nardo Madonna con Bambino in trono e donatori Museo del Tesoro della Basilica di S. Francesco Assise detail
Les deux donateurs, dont l’artiste a volontairement accentué la ressemblance et minoré la différence d’âge,sont donc très probablement un père et son fils, l’un mort et l’autre vivant, poursuivant aux pieds de la Madonne une prière éternelle.



Références :
[2] « Taddeo Gaddi : critical reappraisal and catalogue raisonné » Andrew Ladis, NY, 1982, p 43
[3] « Gianpiero Da Porta Venere e Mona Michaela Dalla Spetie Feciono Fare Questa Tavola MCCCCLXX »
[6] Selon un faisceau d’indice, le panneau aurait pu être commandé pour l’église paroissiale Saint Blaise de Passignano, pour une confraternité laïque, la « Compagnia degli infirmi », ce qui expliquerait la présence du Christ de Douleur au centre du registre inférieur. Voir :
« Painting for a Confraternity? Heraldic Details and Familial Connections: Neri di Bicci’s Montreal altarpiece of the Virgin and Child with St Blaise and Michael » Anabel Tomas, dans « Coming About– a Festschrift for John Shearman », p 105
[7] U. Gnoli, Una tavola sconosciuta di Cristoforo da Sanseverino e Angelo da Camerino, in Rassegna bibliografica dell’arte italiana, 1909, Nos. 10-11, pp. 150 et ss https://archive.org/details/rassegnabibliogr12unse/page/150
Sur les doutes concernant le donateur :
https://www.academia.edu/9422652/Intorno_a_Bartolomeo_di_Tommaso._Ricerche_sulla_scuola_di_Ancona p 122
[8] « Painted Piety: Panel Paintings for Personal Devotion in Tuscany, 1250-1400″, Victor M. Schmidt , 2005
[9] « Holy Rulers and Blessed Princesses: Dynastic Cults in Medieval Central Europe », Gábor Klaniczay, p 337 https://books.google.fr/books?id=tz12J0Eb9eUC&pg=PA337
[10]. España y Génova: obras, artistas y coleccionistas, José Luis Colomer, p 36 https://books.google.fr/books?id=ViXPcFlhtfoC&pg=PA36
[11] Arte cristiana, Volume 96,Parties 844 à 849, page 83. Selon toute probabilité, ce panneau est la partie centrale d’un polyptyque où étaient figurées les trois patrons de la chapelle : Saint Jean Baptiste, Saint Jacques et Sainte Lucie.

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4-3 Le donateur-souris : seul, au centre – Synthèse quantitative

16 juin 2019

Avant de proposer une synthèse quantitative sur l’ensemble des formules, ce denier article sur les donateurs-souris rassemble les exemples d’une formule très rare, dans lequel le donateur se situe au centre.

Pour autant que le faible nombre et le manque de documentation permette de dégager une idée générale, les plus anciens de ces cas de semblent relever d’une « intercession de substitution », où le donateur prie un Saint Patron, qui étrangement ne relaye pas cette prière vers la Madonne.



1350 - 1399 Anonimo fiorentino sec. XIV, Madonna con Bambino, santi e donatrice Narodní galerie Praga
Vierge à l’Enfant, avec des saints et une donatrice
Anonyme florentin, 1350 – 1399 sec. XIV, Národní galerie, Prague

Ce tout premier  exemple résulte peut-être une simple maladresse de l’artiste, due à l’étroitesse du format.


1380 - 1422 Taddeo di Bartolo, Madonna con Bambino, santa martire, san Domenico e donatore Collezione P. Bottenwieser, BerlinoVierge à l’Enfant, avec une sainte martyre, Saint Dominique et un donateur
Taddeo di Bartolo, 1380 – 1422 , Collection P. Bottenwieser, Berlin
1385 paolo-di-giovanni-fei-la-virgen-con-el-nino-y-los-santos-lindenau-altenburgVierge à l’Enfant, avec Saint André, Saint Jean Baptiste et un donateur
Paolo di Giovanni Fei, 1385, Musée de Lindenau, Altenburg

Ces deux exemples en revanche relèvent clairement d’une composition délibérée : le donateur (ou la donatrice) tourne clairement le dos à la Madonne et au second Saint. ll n’est pas question bien sûr d’impolitesse mais d’éviter de déranger Marie en train de s’occuper de Jésus. Il semble que le donateur (la donatrice) aux pieds de sa sainte patronne (son saint patron) veuille manifester le même sentiment d’amour que Jésus pour sa mère.



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1420-60 Ventura di Moro, Madonna con Bambino in trono, san Girolamo, san Giovanni Battista, angeli e donatore coll priv
Vierge à l’Enfant, avec Saint Jérôme, Saint Jean Baptiste, des anges et un donateur
Ventura di Moro, 1420-60 , collection privée

Ce dernier exemple entretient le même contraste entre un saint lettré (ici Saint Jérôme) et le fruste Saint Jean Baptiste. Lisant son livre entre les deux, le donateur a visiblement plus d’affinité pour celui qui est revenu du désert que pour celui qui est resté.



Variations avec Saint François

Cet autre cas, plus récent et bien documenté, relève de tout autre chose que de cette « intercession de substitution ».


1452 Benozzo_Gozzoli_Saint François prechant aux oiseaux devant Montefalco, eglise San Francesco, Montefalco

Saint François prêchant aux oiseaux devant Montefalco
Benozzo Gozzoli, 1452, Eglise San Francesco, Montefalco

Le théologien et prédicateur Fra Jacopo da Montefalco, de l’ordre de Frères Mineurs, avait commandé à Gozzoli un cycle de fresques pour l’église San Francesco de Montefalco. Il s’est d’ailleurs fait représenter dans une des fresques, agenouillé aux pieds de Saint François (en troisième position).


1450 Benozzo Gozzoli Madonna and Child between St Francis and St Bernardine of Siena San Fortunato, MontefalcoVierge à l’Enfant entre Saint François d’Assise et Saint Bernardin de Sienne
Benozzo Gozzoli, 1450, San Fortunato, Montefalco
1452 Benozzo_Gozzoli_-_Madonna_and_Child_with_Sts_Francis_and_Bernardine,_and_Fra_Jacopo_-Kunshistorisches Museum WienVierge à l’Enfant, avec Saint François d’Assise, Saint Bernardin de Sienne et le donateur Fra Jacopo da Montefalco, Kunshistorisches Museum Wien
Benozzo Gozzoli, 1452

Commandée la même année 1452, la  Madonne assise (à droite) reprend la composition de la Madonne debout réalisée en 1450  (à gauche) pour l’église toute neuve du couvent de San Fortunato (lui aussi appartenant aux Frères mineurs). Le panneau rend un hommage quelque peu ostentatoire au commanditaire : la très grande symétrie le met en valeur et attire l’attention, en pendant, sur son monogramme FG OM qui parsème le coussin de la Vierge (Fra Giacomo, Ordinis Minorum). Malgré le luxe des damas et du drap d’honneur en hermine, il s’agit bien d’une Vierge de l’Humilité, assise près du sol et en extérieur.

Le donateur est de taille « enfant », dans la situation assez rare où il se présente en position d’honneur sans être encouragé par Jésus : c’est ici la patronage de Saint François qui justifie cette audace.


1452 Benozzo_Gozzoli_-_Madonna_and_Child_with_Sts_Francis_and_Bernardine,_and_Fra_Jacopo_-Kunshistorisches Museum Wien detail

Noter les rayons lumineux qui s’échappent de la plaie du flanc et de celles des mains, la droite posée sur l’épaule du donateur, la gauche tournée vers Marie pour plaider sa cause.



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1458 Nicolo Alunno Madonna dei Consoli Francesco d'Assisi, san Bernardino da Siena Pinacoteca comunale, Deruta
Vierge à l’Enfant, avec Saint François d’Assise, Saint Bernardin de Sienne et le donateur Jacobus Rubei de Deruta (Madonna dei Consoli)
Nicolo Alunno(Nicolo da Foligno), 1458, Pinacoteca comunale, Deruta

Réalisé pour l’église San Francesco de Deruta, ce panneau constituait le centre d’un triptyque dont les volets ont été perdus [1]. Six ans plus tard, Alunno recopie en format vertical la composition de Gozzoli (jusqu’au détail des rayons de lumière de Saint François), mais modifie radicalement le donateur : le resserrement du format le pousse vers le centre et oblige à diminuer sa taille.



1458 Nicolo Alunno Madonna dei Consoli Pinacoteca comunale, Deruta Jacobus Rubei de Deruta
Il se trouve du coup dans une situation privilégiée (à cheval sur le nom du peintre, gravé dans le marbre) mais dans une fausse position, puisque son regard et la banderole portant son nom s’adressent maintenant à Saint Bernardin, et non plus à l’enfant.

On voit dans cet exemple qu’il ne faut pas surestimer les contraintes théologiques, par rapport au désir d’obtenir la copie d’un tableau bien connu dans la région (Deruta est à 40 km de Montefalco).


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1475-80 Bartolomeo Caporali, san Francesco d'Assisi, san Bernardino da Siena, donatore e angeli, San Giovanni Battista, San Bartolomeo National Gallery

Saint Jean Baptiste ; Vierge à l’Enfant avec Saint François d’Assise, Saint Bernardin de Sienne, des anges et un donateur ; Saint Bartholomé
Attribué à Bartolomeo Caporali, 1475-80, National Gallery, Londres

Quelques années plus tard, un jeune peintre de Pérouse trouve enfin la bonne formule : le donateur retrouve la taille « enfant » et tourne maintenant son regard vers saint François, lequel intercède auprès de la Vierge.


1475 Bartolomeo Caporali e Sante d'Apollonio del Celandro trittico della justizia Galerie Nationale Perouse

Triptyque de la Confrérie de Sant’ Andrea della Giustizia
Bartolomeo Caporali e Sante d’Apollonio del Celandro, 1475, Galerie Nationale, Pérouse

Pour comparaison, ce triptyque de la même époque montre deux membres masculins de la Conférie aux pieds de la Madonne (de taille enfant), et deux membres féminins autour du Christ sortant du tombeau (de taille humaine). Cette différence entre le retable et la prédelle témoigne encore d’une certaine réticence, même dans une cité importante comme Pérouse, envers la formule « moderne » du donateur à taille humaine.

Le triptyque a été réalisé pour l’église de Santa Mustiola, la sainte du panneau de gauche, qui porte ostensiblement un anneau au bout d’un fil. L’amusant est que cette relique de la Vierge avait été volée en 1472 à l’église Santa Mustiola de Chiusi, et ramenée triomphalement à Pérouse.

Un cas isolé : Pier-Francesco Fiorentino

 

1477 Pier Francesco Fiorentino,Santi Giusto e Tommaso avec le dominicain Tommaso Cortesi, Museo Civico San Gimignano provenant de San Giusto

Vierge à l’Enfant entre San Giusto et san Tommaso avec le dominicain Tommaso Cortesi,
1477, Pier Francesco Fiorentino, Museo Civico, San Gimignano, provenant de l’église San Giusto

Dans une conception résolument conservatrice, le donateur-souris est posé sur le piédestal du trône, ignoré par l’Enfant qui joue avec un oiseau aussi grand que lui. Cette taille minuscule le place presque à équidistance entre son saint éponyme, derrière lui, e et le saint patron de l’église, en face de lui.

A la différence des exemples précédents, nous ne sommes pas ici dans une situation d’intercession, mais simplement de signature visuelle.


1490 ca Pier-Francesco-Fiorentino-Saint Laurent, saint Pierre Martyr, saint Jean Saint Blaise eveque dominicain Petit Palais Avignon

Vierge à l’Enfant avec Saint Laurent, saint Pierre Martyr, saint Jean, Saint Blaise et un evêque dominicain
Pier-Francesco Fiorentino, vers 1490, Musée du Petit Palais, Avignon (photo J.L. Mazières)

Saint Laurent s’appuie du pied sur son gril, à côté de l’évêque-souris qui a déposé sur le sol, par respect envers Marie, sa mitre et sa crosse. Au dessus, son confrère gigantesque, saint Pierre Martyr, arbore tranquillement son épée plantée dans le dos. Dans le dos de l’Enfant qui joue avec son collier de corail sans remarquer le donateur, Saint Jean présente son livre fermé, et Saint Blaise manipule le peigne à carder de son martyre. Réalisé par un prêtre et fruit de conventions parfaitement orthodoxes, cette composition autistique atteint de nos jours un haut degré de surréalité.


1494 PIER FRANCESCO FIORENTINO donateur FR LAVRENTI BARTHOLI chiesa di S. Agostino San Gimignano

Vierge à l’Enfant avec des saints et le frère Lorenzo Bartholi
Pier Francesco Fiorentino, 1494, autel de San Bartolo, église de S. Agostino, San Gimignano

La comparaison est amusante avec ce retable où le nombre de saints a doublé : Saint Laurent avec son gril est passé à l’extrême droite, remplacé par Saint Etienne avec son caillou dans le crâne. Saint Pierre Martyr est resté à la même place, mais sans son épée. Saint Bartholomé (avec le tranchoir qui l’a écorché vif) et Saint André (avec le poisson qu’il a péché) se sont insérés derrière la Madonne, qui du coup a perdu son trône. En pendant de Saint Pierre Martyr a été rajouté saint Vincent Ferrer ; et au premier plan Saint Martin et saint Augustin agenouillés.

L’organisation des huit saints dénote un grand sens hiérarchique : du premier à l’arrière-plan se succèdent deux évêques, deux diacres, deux frères dominicains et deux apôtres. Ce souci de symétrie se lit aussi dans la position de l’Enfant -passé du genou gauche au centre – et du donateur – passé au centre et regardant en direction de Saint Martin, lequel montre l’Enfant du doigt. Son saint éponyme et le saint patron de l’église se trouvent ici derrière lui.

L’inscription du dessous est  intéressante  :

« Au divin Dominique, Frère Laurenzo Bartholi a dédié, Pier Francesco Prêtre florentin a peint 1494″ DIVO DNICO FR Bartholi DICAVIT Lavrenti PETRUS FRANCISC PREBYTER FLORENTIN Pinxit 1494



1494 PIER FRANCESCO FIORENTINO donateur FR LAVRENTI BARTHOLI chiesa di S. Agostino San Gimignano schema
Ainsi Saint Dominique, à qui le retable est dédié, est figuré implicitement dans le tableau par le « triangle dominicain » que forment les trois frères, avec Lorenzo Bartholi à la pointe.


Synthèse quantitative

Le donateur-souris à droite

Ma base de données comporte 47 exemples.
GrapheSourisHistoDroiteItalie

En Italie (43 cas), la formule largement dominante est la formule la plus naturelle d’un point de vue héraldique  : position d’humilité, sans bénédiction (34 cas sur 43).

GrapheSourisHistoDroiteNord

 

Dans les Pays du Nord (4 cas), il semble qu’on préfère d’abord la formule secondaire, remplacée vers 1450 par la formule primaire.


Le donateur-souris à gauche

Ma base de données comporte 72 exemples de donateurs-souris placés à gauche.

GrapheSourisHistoGaucheItalie
En Italie (66 cas), on voit apparaître en premier la formule la plus logique, avec bénédiction (position d’invitation) , supplantée vers 1450 par la formule sans bénédiction (position d’intrusion), avant que le donateur-souris ne disparaisse totalement après 1522.


GrapheSourisHistoGaucheNord
Dans les Pays du Nord (6 cas), on ne rencontre que la formule intrusion, et le donateur-souris disparaît également en 1520.

En Italie

GrapheSourisHistoToutItalie
Si l’on regarde les quatre formules simultanément, l’Italie, initiatrice de toutes ces innovations, présente une évolution assez logique (sur 109 cas) : la position d’invitation (vert sombre) apparaît en premier, suivi par la position d’humilité (bleu sombre). Vers 1300, ces deux formes, conformes aux règles héraldiques, sont largement majoritaires. Ensuite, on assiste à l’essor continu de la formule « intrusion » (vert clair) qui, les règles héraldiques s’oubliant peu à peu, s’impose par sa puissance graphique. A l’inverse, la formule de la bénédiction par la droite, plus difficile d’un point de vue graphique, ne se développe pas.


Dans les pays du Nord

GrapheSourisHistoToutNord
Dans les pays du Nord (pour autant que mes 10 cas soient significatifs), la formule « intrusion » est largement préférée, le donateur-souris à droite n’apparaît que tardivement.


Disposition relative du donateur et de l’Enfant

Mais oublions le geste de l’Enfant, souvent discret, pour nous s’intéresser uniquement à la position des deux éléments « mobiles » par rapport à la Vierge.

GrapheSourisProportionDonateurPosition donateur GrapheSourisProportionPosEnfantPosition Enfant

Le premier schéma montre que la position du donateur à gauche, plus robuste d’un point de vue graphique, apparaît en premier, fait ensuite jeu égal avec la position à droite, pour subsister en dernier.

Le second schéma montre une prédominance très nette, au départ, de l’enfant porté à droite (influence du type byzantin Hodigitria), qui s’inverse de manière régulière, la position de l’enfant au centre restant marginale.


Bénédiction ou indifférence (avant 1350)

GrapheSourisCorrelationNonBenissantAvant1350Enfant non-bénissant GrapheSourisCorrelationBenissantAvant1350Enfant bénissant

Avant 1350 (22 cas), on ne trouve que des enfants à droite ou au centre (premier axe), et la situation correspond exactement à nos deux cas théoriques :

  • lorsque l’enfant ne bénit pas, on place le donateur à droite (position d’humilité) ;
  • lorsque l’enfant bénit, on place le donateur à gauche (position d’invitation)

La situation que nous avions interprétée comme une sorte de bénédiction implicite (l’enfant non bénissant serait situé à droite, au dessus du donateur à droite) n’est en fait que le résultat de la prégnance, aux hautes époques, du type  Hodigitria, dans laquelle l’enfant est toujours à droite.


GrapheSourisProportionGesteDroiteDonateur à droite GrapheSourisProportionGesteGaucheDonateur à gauche

Comme nous l’avions remarqué, la formule compliquée de la bénédiction par la droite est toujours restée très minoritaire.

Le second  diagramme est en revanche une vraie surprise : si, au départ, la présentation par la gauche est bien déclenchée par le geste de bénédiction, cette idée s’inverse totalement par la suite : on oublie donc assez vite le côté intrusif de la formule, au profit de sa facilité de lecture et de son dynamisme ascensionnel.



Références :

4-2 Le donateur-souris : seul, à gauche

15 juin 2019

Voyons maintenant les deux cas où le donateurs se situe à gauche du panneau.

Donateur à gauche, enfant bénissant

Commençons par l’autre formule « naturelle » : celle de la position d’invitation, où le donateur entre par la gauche pour se présenter à main droite de l’Enfant qui le bénit.

Au tout début, la bénédiction de l’Enfant est un geste général, qui s’adresse  au spectateur. C’est progressivement que les artistes auront l’audace d’en faire un geste d’accueil destiné spécifiquement au donateur.

1175 - 1224 San Michele Arcangelo e donatori, Madonna e donatore Museo Nazionale d'Abruzzo, L'Aquila  

 

   
1175 - 1224 San Michele Arcangelo e donatori, Madonna e donatore Museo Nazionale d'Abruzzo, L'Aquila detail
Détail de l’Enfant

 

Saint Michel archange et des donateurs, Vierge à l’enfant avec une donatrice
1175 – 1224, Museo Nazionale d’Abruzzo, L’Aquila

Pour cette toute première apparition à gauche, l’Enfant Jésus fait envers la donatrice le geste byzantin de la bénédiction ( l’index tendu, le majeur légèrement courbé, le pouce croisé sur l’annulaire et le petit doigt courbé), mais sans regarder la donatrice. Le fait que la Vierge lui donne le sein suggère néanmoins une forme de solidarité féminine, tandis que les donateurs masculins sont placés aux pieds de Saint Michel, dans l’autre panneau.


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Enthroned Madonna with Christ Child, 2nd half of 13th century, MMaestro di Sivignano, vers 1250, Museo Nazionale d’Abruzzo, L’Aquila    

 

1275-85-Acre-Anonimo-veneziano-Madonna-con-Bambino-in-trono-angeli-e-donatore-The-Art-Institute-of-Chicago-ChicagoDiptyque de dévotion pour pèlerin peint à Acre
1275-85, The Art Institute of Chicago, Chicago

(Cliquer pour voir l’ensemble)

Dans ces deux exemples plus récents, l’Enfant fait maintenant le geste occidental de la bénédiction (deux doigts tendus) du côté du donateur, mais toujours sans interaction avec lui : ce dernier reste en dehors de la scène, soit posé sur le cadre soit suspendu dans le ciel.

Au bas de la Madonne du Maestro di Sivignano sont inscrits les deux hexamètres suivants, qui sont à lire plutôt comme le titre du tableau que comme les paroles du donateur :

Dans le sein de la Mere brille la Sagesse du Pere In Gremio Matris Fulget Sapientia Patris

Ces vers sont asses fréquents (avec des variantes [1] ) et font allusion une épître de Saint Paul qui nomme Jésus « la Sagesse de Dieu ».


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1275-80 Maestro della Maddalena, tra sant'Andrea, san Giacomo e donatore, Arts decoratifs, ParigiVierge à l’Enfant entre Saint André et Saint Jacques, avec un donateur
Maestro della Maddalena, 1275-80, Musée des Arts Décoratifs, Paris

Le donateur, un laïc, semble porter un bouclier (vu par l’intérieur, du côté de ses attaches). Ce détail, joint au fait que Saint André est placé en position d’honneur à droite de la Vierge, a fait supposer que le retable se trouvait dans l’église disparue Sant Andrea de Florence, dans le quartier des artisans du cuir. [2]



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1308 Master of Cesi Donatrice Donna Elena chiesa-di-santa-maria-assunta-cesi

Vierge à l’Enfant avec la Donatrice Donna Elena
Master of Cesi, 1308, Eglise de Santa Maria Assunta, Cesi [3]

Tout en conservant une symétrie systématique, l’artiste a légèrement décalé la Vierge sur la droite, pour laisser en bas du montant gauche du trône la place de la donatrice. La seconde dissymétrie est la main bénissante de l’Enfant, du côté de la donatrice. Bien que celui-ci ne la regarde pas, il y a là une discrète explication de sa position : bénéficier en premier de cette bénédiction.

La discrétion de la donatrice est confirmée par l’inscription où son prénom, ELENA, apparaît sur la droite, sans rapport avec sa position :

Au nom de Dieu, Amen. An de grâce 1308 (temps du Seigneur) Sous le pape Clément V, Indiction 6. Dame Elena a fait faire cette oeuvre. IN NOMINE DOMINI. AMEN. ANNO DOMINI MILLESIMO CCCVIII (TEMPORE DOMINI) CLEMENTIS PAPE V, INDICTIONE VI. DOMINA ELENA FECIT FIERI HOC OPUS

L’indiction est la manière liturgique de numéroter les années, à l’intérieur d’un cycle de 15 ans.


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1300-24 Orlandi Deodato Madonna con Bambino in trono Pise, Musee national d'artPise, Musée national d’art 1300-24 Orlandi Deodato Madonna con Bambino in trono e santo vescovo che presenta il donatore, loc inconnueLocalisation inconnue

Deodato Orlandi, 1300-24

Le panneau de droite est le premier où le donateur apparaît non plus seul, mais présenté par son saint patron. Le couple patron/donateur  est encore conçu comme un élément optionnel, que sa taille miniature permet de rajouter sans modifications dans une composition existante. L’absence de tout signe de reconnaissance de la part des personnages sacrés s’explique par le caractère générique de l’icône, et par les facilités de la production en série.



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1325 Lello da Orvieto with donor presbitero Rainaldo Cathedral of Anagni
Vierge à l’Enfant avec le donateur Raynaldus
Lello da Orvieto, 1325, Cathédrale d’Anagni

Ici encore le donateur se surimpose à la composition, sans interaction avec les personnages sacrés. Pour une fois nous disposons ici d’un texte détaillé :

Cette oeuvre a été commandée par Raynaldus, prêtre et clerc de cette église, en Mai de l’année du Seigneur 1325. Ici sont les reliques des Saints Thomas, Archevêque de Cantorbery, Thomas d’Aquin et Pierre, evêque d’Anagni Hoc op(us) fieri fecit do(mi)n(us) Raynald(us) pre(s)biter et cl(er)icus isti(us) eccl(es)ie sub an(n)o d(omi)ni MCCCXXV mense madii ibi sunt d(e) reliq(u)is S(an)c(t)o(rum) Thom(ae) Archiepi(scopi) Cant(uarensis), Thom(ae) d(e) AQ(ui)no et Pet(ri) Epi(scopii) Anagnini »


Une indication visuelle (SCOOP !)

Il est probable que ce panneau de grande taille surplombait l’autel contenant les dites reliques [4]. Le situation très familière du donateur, en haut des trois degrés du socle et décalant le texte, n’est donc pas dûe à un quelconque privilège ecclésiastique : c’est le moyen d’indiquer au spectateur où se trouvent précisément (« ibi sunt« ) ces reliques.


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En aparté : le type de la Hodigitria

1230 ca Berlinghiero_Berlinghieri_Hodegetria MET
Vierge Hodegetria
Berlinghiero Berlinghieri, vers 1230, MET, New York

Ce type d’icône de la Vierge à l’Enfant est un des plus répandus de l’art byzantin. Debout, vue à mi-corps et portant l’Enfant sur son bras gauche, la Vierge est, étymologiquement, celle qui « montre le chemin ». L’Enfant tient un général un livre-rouleau dans la main gauche est bénit de la main droite (ici, avec le geste occidental).


 
1320 Pietro Lorenzetti Philadelphia Museum of ArtVierge à l’Enfant avec un donateur inconnu

Pietro Lorenzetti, 1320, Philadelphia Museum of Art 
1325-30-Lippo-Memmi-Madonna-and-Child-with-Donor-NGAVierge à l’Enfant avec un donateur inconnu
Lippo Memmi , 1325-30, NGA, Washington [5]

Ces deux exemples sont les premiers où l’Enfant se montre conscient de la présence du donateur. Grâce au type Hodigitria, sa position sur le bras ou le genou gauche de Marie laisse au peintre l’espace nécessaire au déploiement naturel de son bras droit.


Bénédiction  retenue chez Lorenzetti (la main bénissante s’avance à peine) et détournée chez Lippo Memmi (la main s’arrête au voile, prémonition du linceul) : comme si l’idée d’interaction entre l’enfant divin et le donateur était encore très audacieuse.



1320 Pietro Lorenzetti Philadelphia Museum of Art detail moine
Toujours aussi minuscule, ce dernier s’est individualisé : les deux artistes réussissent, en miniature, deux véridiques portraits de moine.


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Théologie de la douleur

1380 ca Antonio_Veneziano _Museum_of_Fine_Arts,_Boston
Vierge à l’Enfant avec une nonne
Antonio Veneziano, vers 1380, Museum of Fine Arts, Boston (www.mfa.org)

Le cadrage à mi-corps rapproche mécaniquement la nonne de l’objet de son adoration, sur un fond d’or abstrait sans aucune indication spatiale. Si gracieuse que soit cette composition, elle n’est pas la représentation merveilleuse d’une rencontre, mais l’exposé d’une théologie très précise.



1380 ca Antonio_Veneziano _Museum_of_Fine_Arts,_Boston detail main
La main droite du bébé esquive (ou esquisse ?) le geste de la bénédiction : l’Enfant, en âge si tendre, est-il déjà capable de bénir ? Telle est la question que le peintre se pose (et nous pose).


Douceur et douleur (SCOOP !)

1380 ca Antonio_Veneziano _Museum_of_Fine_Arts,_Boston langue oiseau
Le geste extraordinaire de Marie n’a pas été commenté. On pourrait croire qu’elle donne son index à sucer en guise de tétine, mais ce geste serait trop trivial. La « cassure » étrange de l’auréole de l’Enfant, ainsi que ses petites dents bien visibles, nous donnent l’explication : Marie donne à mâcher le bord retourné de son manteau à l’enfant qui fait ses dents !

Mais à cet instant précis où la douceur maternelle est encore capable de soulager ses douleurs, le chardonneret lui pique le pouce en deux endroits, préfiguration extraordinaire de la Passion


1380 ca Antonio_Veneziano _Museum_of_Fine_Arts,_Boston schema
Dernière trouvaille géniale : par l’analogie des formes, l’artiste nous fait comprendre que Jésus, tout comme le chardonneret qui tente vainement de s’échapper, est déjà prisonnier de sa crucifixion. Et par l’emplacement de la nonne , il répond lui-même à la question :

oui, parce qu’il est capable de souffrir, l’Enfant sevré est dès maintenant en capacité de sauver.



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1368-polyptyque-guariento donatore Francesco il Vecchio de Carrare Gemaldegalerie BerlinVierge à l’Enfant avec le donateur Francesco il Vecchio de Carrare
Guariento, 1368, Gemäldegalerie, Berlin.
1394 ca Nicolo di Pietro Donateur Vulciano Belgarzone di Zara, Gallerie dell'Accademia, VeniceVierge à l’Enfant avec le donateur Vulciano Belgarzone de Zara
Nicolo di Pietro, vers 1394, Gallerie dell’Accademia, Venise

En avançant dans le XIVeme siècle, la bénédiction de Jésus devient plus franche, et s’accompagne du geste d’accueil de Marie, au dessus du donateur : comme si la main de la mère relayait le geste du fils, et compensait sa petitesse.



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1375 Agnolo_gaddi,_madonna_in_trono_e_santi,_,_da_s.m._novella_qa_firenze Galleria nazionale (Parma)

Vierge à l’Enfant avec des saints et une donatrice inconnue
Agnolo Gaddi, 1375, Galleria nazionale (Parma)

Destiné à une église dominicaine (Santa Maria Novella de Florence), le panneau fait figurer Saint Dominique en position d’honneur, juste derrière Saint Jean Baptiste, tandis que Saint Paul et Saint Laurent se contentent de la partie droite.

Le panneau est composé comme un triptyque [6] mais, de manière très originale, deux saints dominicains plus récents apparaissent en remplacement des colonnes : Saint Pierre Martyre et Saint Thomas d’Aquin. Autre originalité : la hiérarchie très précise dans les présentations à l’Enfant : de manière symétrique, chacun des deux saints majeurs présente un saint dominicain agenouillé.



1375 Agnolo_gaddi,_madonna_in_trono_e_santi,_,_da_s.m._novella_qa_firenze Galleria nazionale (Parma) detail
Mals la minuscule nonne rompt la symétrie : elle est présentée par Saint Pierre Martyre et, via celui-ci, par Saint Jean-Baptiste et par  la Vierge. Au plus bas de cette cascade, elle accumule trois intercessions prestigieuses qui légitiment le geste de bénédiction de Jésus.



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1380-90 Niccolo di Pietro, Madonna con Bambino con san Francesco d'Assisi e donatore coll priv
Vierge de l’Humilité avec saint François d’Assise et un donateur
Niccolò di Pietro,1380-90, collection privée

Ici encore le donateur accumule sur sa tête les présentations par son Saint Patron et par la Vierge.


1380-90 Niccolo di Pietro, Madonna con Bambino con san Francesco d'Assisi e donatore coll priv schema

L’artiste a ajouté une idée très originale : tandis que la main droite des trois personnages sacrés illustre le passage de l’intercession (cercles verts)  à la bénédiction (cercle jaune),  leur main gauche,   de la pomme d’Eve à la chair de Jésus, puis au stigmate de Saint François, trace un résumé en trois points de l’histoire de l’Incarnation (cercles rouges).

(Nous avons déjà  rencontré ce détail de la main tenant le  pied, en  anticipation de la Passion, chez Olivuccio di Ciccarello da Camerino, voir 3-3-1 : les origines).


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1380 ca Catarino Veneziano Humilite Walters Arts Gallery Baltimore

Vierge de l’Humilité avec des saints et un donateur (Polyptyque)
Catarino Veneziano, vers 1380, Walters Arts Gallery, Baltimore

Le donateur partage avec la Vierge le même paradoxe : à la fois humble (à même la terre) et somptueux (même bleu très onéreux de la robe).



1380 ca Catarino Veneziano Humilite Walters Arts Gallery Baltimore signature
Par sa position centrale, il partage également sa gloire avec l’artiste dont la signature, juste au-dessous, encadre son blason aujourd’hui effacé.


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1391-92 Enrique de Estencop donateur párroco de Longares don Francisco de Aguilon, Musee National d'Art Catalan, Barcelone
Vierge à l’Enfant avec le curé de la paroisse de Longares don Francisco de Aguilón,
Enrique de Estencop, 1391-92, Musée National d’Art Catalan, Barcelone

De la main gauche, Marie tient un lys et l’Enfant tient un oiseau ; de la main droite, Marie soutient l’Enfant qui bénit : le curé se trouve donc, très logiquement du côté du sujet, non de l’objet.


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1438-39 Blasco_de_Granen_-_Virgin_of_Mosen_Esperandeu_de_Santa_Fe_Museo Lazaro Galdiano

Vierge à l’Enfant avec le donateur Mosen Esperandeu de Santa Fe
Blasco de Granen, 1438-39, Museo Lazaro Galdiano, Madrid

Il s’agit du panneau central du retable qui décorait la chapelle funéraire de Mosen Esperandeu, dans l’église du couvent de San Francisco de Tarazona (Saragosse), dédiée à Notre Dame des Anges. Mais à la différence des exemples précédents, ni Jésus bénissant, ni Marie dont la main droite est occupée à tenir un lys, n’interagissent avec le donateur.

Nous rencontrons donc ici un contre-exemple de la tendance, dans un contexte funéraire, à placer le donateur sur la droite. L’inversion est peut-être liée à la présence de l’ange en position symétrique, qui tire le panneau vers la composition à deux donateurs (voir 4-4 …en couple) : dans le couple hybride formé par le chevalier (avec ses éperons) et l’ange qui porte son blason, ce dernier joue le rôle de l’écuyer, ce qui explique sa position subordonnée selon l’ordre héraldique.

Ainsi la présence du donateur à gauche, mais sans interaction avec les personnages sacrés, résulterait ici d’un compromis entre la formule funéraire habituelle (donateur à droite) et la composition à deux donateurs (supérieur hiérarchique à gauche).



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1400-49 Ventura di Moro attr Cristo crocifisso con santa Maria Maddalena, Madonna con Bambino e donatore Capodimonte, Napoli

Crucifixion, Vierge à l’Enfant avec un donateur
Ventura di Moro (attr), 1400-49, Musée de Capodimonte, Naples

Les deux volets de ce petit diptyque de dévotion mettent en parallèle deux réponses du divin à l’humain : le sang qui baigne Marie Madeleine en prières au pied de la Croix préfigure la bénédiction qui récompense le donateur en prières aux pieds de la Vierge.



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1440-Jacopo-Bellini-Vierge-dhumilite-adoree-par-un-prince-de-la-maison-dEste-Louvre
Vierge d’humilité adorée par un prince de la maison d’Este (Leonello, Ugo ou Melialuse) [7]
Jacopo Bellini, 1440, Louvre

Ce panneau est une exemple de « perspective signifiante », où la taille des différents éléments correspond à leur importance narrative, et non à leur éloignement. C’est ainsi que le cerf couché, en bas à droite, est de taille minuscule par rapport à la fraise des bois sous la robe de Marie. On pourrait le considérer comme un emblème, mais il forme une paire avec le second cerf qui broute à l’arrière-plan, (il ne s’agit pas d’une biche, vu ses cornes). A gauche, le donateur est immense par rapport au cerf, mais minuscule par rapport à l’Enfant :

rapports de taille qui traduisent la hiérarchie animal/humain/divin.



1440 Jacopo Bellini Vierge d'humilite adoree par un prince de la maison d'Este Louvre details
Une haie continue sépare la pelouse de la Vierge et la campagne, qui se développe derrière de manière symétrique : des cavaliers sortent des deux villes fortifiés ; un appentis adossé au rocher, à gauche, fait pendant à un édicule à côté d’une maisonnette, à droite. La scène de gauche est difficile a interpréter (des cavaliers passant devant un ermite ?), mais celle de droite montre une ruche sous abri ; une lance posée sur le puits semble désigner l’homme à l’arrière, la tête renversée vers le ciel, comme un soldat attaqué par les abeilles.


Deux mondes séparés (SCOOP !)

L’idée du panneau semble être de comparer deux espaces séparés : à l’arrière le monde humain d’après la Chute, où les hommes tout comme les abeilles, doivent se fortifier les uns contre les autres ; à l’avant, une clairière paisible, variante du Hortus conclusus marial, où les cerfs se reposent et broutent sans s’affronter.


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1465 Vivarini The Madonna of Humility (member of the Dominican Order), the Annunciation, the Nativity, and the Pieta MET

Triptyque de la Vierge de l’Humilité, avec une donatrice dominicaine
Vivarini, 1465, MET, New-York

Dans les Vierges de l’Humilité avec donateur, la proximité du couple divin est en général compensée soit par l’écartement de l’Enfant (situé à l’opposé du donateur) soit par la non-interaction. Cet exemple est le seul (sur 8 dans ma base de données) où la donatrice se trouve à la fois à proximité de l’Enfant, et bénie par lui : familiarité avec le divin qu’autorisent à la fois son statut de nonne, et le caractère privé de ce petit triptyque de dévotion [8].


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1472 Nicola di Maestro Antonio di Ancona, san Leonardo,Girolamo,Giovanni Battista, Francesco d'Assisi e donatrice Carnegie Museum of Art

Saint Léonard, Saint Jérôme, Saint Jean Baptiste, Saint François d’Assise et une donatrice
Nicola di Maestro Antonio di Ancona, 1472 ,Carnegie Museum of Art

Dans cette oeuvre d’une grande préciosité, trois saints portent ostensiblement un livre et pointent tout aussi ostensiblement leur index, tandis que le quatrième, Saint François échappe à leur docte conversation, les mains jointes sur son livre fermé.


1472 Nicola di Maestro Antonio di Ancona, san Leonardo,Girolamo,Giovanni Battista, Francesco d'Assisi e donatrice Carnegie Museum of 1472 Nicola di Maestro Antonio di Ancona, san Leonardo,Girolamo,Giovanni Battista, Francesco d'Assisi e donatrice Carnegie lion

Les détails entretiennent entre eux des rapports tout aussi emphatiques, et passablement gratuits : la donatrice-souris montre son indifférence au lion blessé, que Saint Jérôme tient en respect de son index de géant.


1472 Nicola di Maestro Antonio di Ancona, san Leonardo,Girolamo,Giovanni Battista, Francesco d'Assisi e donatrice Carnegie enfant 1472 Nicola di Maestro Antonio di Ancona, san Leonardo,Girolamo,Giovanni Battista, Francesco d'Assisi Carnegie Museum detail

Car elle est sous la protection de la minuscule bénédiction de Jésus. L’artiste conclut sa démonstration d’habileté par le détail de la mouche à côté de la pomme, et passe du marbre au parchemin pour compléter sa signature.


 Donateur à gauche,

enfant non bénissant

Terminons par la formule la plus paradoxale, celle de l’intrusion, où le donateur se présente en position d’honneur sans avoir la justification d’y être invité par l’Enfant.




La formule apparaît très tôt, dans des images sans aucune interaction (l’Enfant tête ou s’intéresse à une fleur).

<1250 ca Amasbury psalter Ms. 6 All Sou
Vierge à l’enfant allaitant avec une donatrice inconnue
Psaultier Amasbury, vers 1250 Ms. 6 All Souls College, Oxford


Du côté du lion

Ici l’Enfant serre dans sa main droite la main de Marie qui presse son sein, et de sa main gauche la pomme du Péché : l’opposition lait/pomme se retrouve en bas, dans les deux animaux symboliques : le lion qui comme un chiot mordille le pied droit de Marie, et le basilic qu’elle écrase de son pied gauche. Le lion évoque le Christ (le « Lion de Juda« ) tandis que le basilic fait écho au serpent et à la pomme.

Dans cette forte polarité gauche/droite il est logique que la donatrice, une nonne, soit placée du côté positif. En outre, c’est aussi le côté privilégié pour présenter une supplique (voir 2-4 Représenter un dialogue) : or elle tient dans ses mains une banderole qu’elle tend à Marie, et qui porte le début de la salutation angélique : « Ave Maria gratia plena dominus tecum be <nedicta tua in mulieribus> »

Tandis qu’en général le suppliant présente une demande de salut pour lui-même, la nonne redit ici les paroles de l’Ange de l’Annonciation : et la fin qui manque dans la banderole : « Bénite entre toutes les femmes » se lit directement dans l’image de l‘allaitement.


Allaiter du sein gauche

Il est à noter que, bien que la droite soit fortement valorisée dans cette image, le fait que Marie donne son sein gauche n’a visiblement pas de connotation négative (sans doute parce qu’à la différence des mains, les seins sont identiques et interchangeables).


En aparté : la Vierge  Galaktotrophousa

XIIeme XIIIeme Vergine Galaktotrophusa Monastere S.Maria di Maniace SicileVierge Galaktotrophousa, XII-XIIIeme siècle, Monastère S.Mariadi Maniace, Sicile XIIIeme madonna_galaktotrophousa Eglise san_francesco aversaVierge Galaktotrophousa, XIIIème siècle, Eglise San Francesco, Aversa

L’iconographie de la Vierge au Lait s’est introduite en Italie via la Sicile à partir de l’art byzantin, avec des seins minuscules conformes au puritanisme de cet art [9]. L’allaitement par le sein gauche est une simple modification de la formule de la Vierge Hodigitria (vue à mi corps et portant l’Enfant du bras gauche), mais on rencontre dès le départ l’autre possibilité, l’allaitement par le sein droit.



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Virgin and Child with a Donor (oil on panel)1200-1300, Museo Horne, Florence 1325-30 Memmi Lippo di Filippuccio Madonna con Bambino in trono e donatore Museo d'Arte Sacra, Asciano Lippo Memmi, 1325-30,Museo d’Arte Sacra, Asciano.

Vierge à l’Enfant avec un donateur inconnu

Dans ces deux cas, le format très haut (sans doute la disproportion maximale entre la vierge et le donateur) évite l’effet d’intrusion dû à l’infraction de la règle héraldique.


1260-1264 Gradual, Sequentiary, Sacramentary Austria, perhaps Salzburg, Morgan Library MS M.855 fol. 110v

Graduel et Sacramentaire autrichien,
1260-1264, Morgan Library MS M.855 fol. 110v

Une fois cet effet éliminé (ici par la miniaturisation et la situation « hors cadre » du donateur), la formule du donateur à gauche offre tout son potentiel ascensionnel, dans le sens naturel de la lecture.


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1336 Andrea_orcagna ou Maso di Bianco _ss_Mattia,_Giorgio_e_un_donatore San Giorgio a Ruballa
Vierge à l’enfant, Saint Matthieu avec un donateur et Saint Georges
Andrea Orcagna ou Maso di Bianco, 1336, église San Giorgio a Ruballa

On ne connaît ici ni l’origine du panneau, ni l’identité du donateur, un ecclésiastique. La présence des saints complique la problématique : le donateur est probablement lié à Saint Matthieu, mais ce dernier ne fait ici aucun geste de présentation. Il est logique qu’il occupe la place d’honneur, en tant qu’Evangéliste, et que Georges se poste à la gauche de Marie pour monter la garde (c’est l’emplacement privilégié pour les saints militaires).

Dès lors, en admettant que la position du donateur soit liée à celle de l’Evangéliste, ce peut être soit parce que son prénom est Matthieu, soit parce que Mathieu est le saint patron de son église (peut être san Matteo di Gavignano). Il y a ici trop d’incertitudes pour pouvoir trancher.


Le bord ambigu

1336 Andrea_orcagna ou Maso di Bianco _ss_Mattia,_Giorgio_e_un_donatore San Giorgio a Ruballa detail
Le coin inférieur droit révèle une intéressante expérimentation graphique sur la notion de bord : tandis que la laisse entre Saint Georges et le dragon nous conduit en hors-champ, sa lance nous mène en avant-plan, laissant entendre d’une part que le donateur se trouve placé sur une étroite corniche devant le panneau, d’autre part que la lance sort de ce « tableau dans le tableau ». Il ne faut sans doute pas voir une grande profondeur théologique dans ce détail, mais plutôt un effet purement graphique, un « truc » de virtuosité qui anticipe les nombreux objets que les artistes de la Renaissance peindront en trompe-l’oeil, , mi-dedans mi dehors, au bas de leurs retables (pour un exemple d’objet-limite chez Crivellli, voir ).


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Bénédiction déguisée et donateur-oiseau (SCOOP !)

1356-72 Lorenzo Veneziano, Madonna con Bambino in trono e donatore The Fine Arts Museums of San Francisco

Vierge à l’enfant avec un donateur
Lorenzo Veneziano, 1356-72, The Fine Arts Museums of San Francisco

Vu de loin, l’Enfant semble esquisser une bénédiction, mais en fait il touche de la main droite l’encolure de sa mère. De l’autre main, il tient une grappe qu’un perroquet vient picorer, tandis que le donateur vient derrière. Ces idées de « bénédiction déguisée » et  de « donateur-oiseau »  attiré par l’Enfant pourraient être pure coïncidence, si elles n’étaient corroborée par d’autres exemples du même type

1390 Vanni Andrea, Madonna con Bambino in trono e donatore Chiesa di S. Spirito, SienaVierge à l’enfant avec un donateur
Andrea Vanni, 1390 , Museo diocesano, Siena (anciennement à l’église di S. Spirito)
 

 

 

   

 1440-60 Francesco d'Antonio da Viterbo, Madonna del cardellino Museo Civico, Viterbo église Santa Maria in GradiVierge au chardonneret (Madonna del cardellino)
Francesco d’Antonio da Viterbo, 1440-60 , Museo Civico, Viterbo (autrefois au dessus de la porte de la sacristie de l’église Santa Maria in Gradi)

 Ici, à la place du raisin pour attirer l’oiseau vers la droite, l’enfant utilise cette fois un fil pour le retenir tandis qu’il s’envole vers la gauche. Du coup la situation du donateur du côté du jouet prend une valeur moins précise que dans la métaphore du donateur-oiseau : la bénédiction déguisée vaut seulement comme un signe d’humilité, comme s’il n’était pas digne d’interrompre le jeu de l’enfant.



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1425-74 Cristoforo di Giovanni da Sanseverino, Andrea, Michele , GianBattista, Saba, Museo Piersanti, Matelica cardinale Brancaccio

Vierge à l’enfant avec le cardinal Rinaldo Brancaccio, et les Saints André, Michel, Jean Baptiste, et Saba
Cristoforo di Giovanni da Sanseverino, vers 1427 , Museo Piersanti, Matelica

Ce panneau a été probablement commandé par le cardinal Brancaccio (dont les armes apparaissent en bas) pour l’église romaine de Sant Andrea e Saba (d’où les deux saints) [10]. C’est à ma connaissance le premier exemple d’un polyptyque où un donateur à gauche quitte le compartiment latéral, et donc  la protection de son Saint patron (voir 1-4-1 Tryptiques italiens). Cette familiarité a sans doute à voir avec le haut rang du commanditaire.



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1440 Meister der Darmstadter PassionVierge_à_l'Enfant Berlin Gemaldegalerie 1440 Meister der Darmstadter Passion Trinite Berlin Gemaldegalerie

Retable de Bad Orb (revers des volets)
Meister der Darmstadter Passion, 1440, Gemäldegalerie, Berlin

Ce retable décorait le maître-autel de l’église Saint Martin de Bad Orb. Il comportait au centre une Crucifixion (détruite en 1983 dans l’incendie de l’église) encadrée par l’ Adoration des Mages et l’Exaltation de la Sainte Croix [11].

Les volets latéraux, détachés à l’époque baroque, ont été conservés à Berlin. Au revers, ils montrent, en miroir le début et la fin de l’histoire : la mère avec Jésus enfant, le Père Eternel avec le Christ mort. Un parallèle ingénieux associe le lys blanc, que la mère donne à l’Enfant, et la colombe blanche qui complète la Trinité : ainsi le Saint Esprit est présent dans les deux panneaux, en tant que troisième terme.


Une question d’éclairage (SCOOP !)

L’artiste a tenu compte du positionnement du retable pour faire coïncider son éclairage avec celui de l’édifice : la lumière vient de droite, donc du Sud, comme le montre le fort contraste entre les rideaux latéraux : bleu clair pour la face éclairée, bleu sombre pour la face à l’ombre.

Cette question d’éclairage est probablement la raison principale du positionnement du donateur (un chanoine inconnu), afin qu’il fasse face à la lumière, tout comme l’Enfant Jésus et le Christ. De plus, cette position à gauche est tout indiquée pour un revers de retable : placé en avant des deux trônes, le donateur embrasse du regard l’ensemble de l’oeuvre qu’il a offerte, tout en indiquant au spectateur le point de départ de sa contemplation.



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Dans les Vierges de l’Humilité, moins formelles et moins sensible théologiquement que les Vierges en majesté, les artistes sont plus libres dans leurs choix de composition : ainsi, dans les deux exemples qui suivent, l’Enfant est tantôt au dessus du donateur, et tantôt à l’opposé. Et  dans les deux cas,  cette formule favorise une forme de fraternité entre l’Enfant et le donateur.

Le donateur : un petit frère (SCOOP !)

1400-50 Zanino_Di_Pietro_-_Madonna_of_Humility_with_a_Donor_and_Angels_-coll priv

Vierge de l’Humilite avec des anges et un donateur
Zanino di Pietro, 1400-50 , collection privée

En plaçant son donateur en contrebas de l’Enfant, yeux et mains levées dans une posture similaire et portant le même tissu rose, Zanino di Pietro a soigné un effet de parallélisme visuel entre les deux silhouettes, comme si le donateur était une sorte de projection minuscule du divin Enfant : son petit frère sur la Terre .

Le donateur : un second fils  (SCOOP !)

1445 ca Giovanni di Paolo Vierge de l'Humilite avec deux anges et un donateur inconnu METVierge de l’Humilité avec deux anges et un donateur inconnu
Giovanni di Paolo, vers 1445, MET, New-York

Ici, le donateur, en « touchant » visuellement le manteau, fait écho à l’ange de gauche, qui le touche quant à lui physiquement. L’intéressant est que l’autre ange, en embouchant et tenant à deux mains sa trompette, mime quant à lui ce que fait Jésus avec le sein de Marie.

C’est donc ici un parallélisme logique entre les deux « fils » et les deux anges du tableau qui a dicté la position du donateur.



Madone de l'abbe Wolfhard Strauss 1440-1450-Church-of St Emmeran,RegensburgMadone de l’abbe Wolfhard Strauss, 1440-1450, Eglise de Saint Emmeran,Regensburg Van-Eyck 1435 The Lucca Madonna Staedel Museum FrancfortMadone de Lucques, Van Eyck, 1435 Staedel Museum, Francfort

En contraste, cette Madone allemande exactement contemporaine reste fidèle à l‘ancienne iconographie de la Vierge allaitante, assiste en Majesté sur son trône : le donateur en prières et les deux anges qui la couronnent restent à distance respectueuse. La madone de Regensburg est inpirée de la Madone de Lucques, de Van Eyck.


1435 Eyck_madonna_rolinLa Vierge du Chancelier Rolin, 1435, Louvre, Paris

On ne peut que constater l’abîme conceptuel entre le minuscule abbé de Regesnburg et le richissime chancelier Rolin qui, à la même époque, prie de plain-pied et à taille égale avec la Vierge (voir 1-2-3 La Vierge du Chancelier Rolin (1435)).



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Crivelli

A une période où le donateur-enfant devenait courant, Crivelli n’a utilisé que la formule archaïsante du donateur-souris, dont la taille est souvent minorée par un objet-repoussoir.

1470 ca Crivelli_Madonna_and_Child_Enthroned_with_a_DonorNGA
Polyptique de Porto San Giorgio, Panneau central (Madonna Cook), 
Carlo Crivelli, vers 1470, NGA, Washington

 (Cliquer pour la reconstitution de l’ensemble) [12]



1470 ca Crivelli Polittico_di_Porto_San_Giorgio donateur
Ici l’écclésiastique albanais Prenta di Giorgio se trouve pris en sandwich entre la pomme d’Eve et la couronne de Marie, ce qui est en somme le sort de tout humain.


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1482 Crivelli,_Madonna_col_Bambino_e_piccolo_frate_francescano_orante Pinacoteca Vaticano
Vierge à l’Enfant avec un donateur franciscain
Crivelli, 1482 , Pinacoteca Vaticano, Rome

Ce panneau est la partie centrale d’un triptyque aujourd’hui perdu, réalisé pour le couvent de San Francesco in Force, et le frère franciscain n’a pas été identifié avec certitude.



1482 Crivelli,_Madonna_col_Bambino_e_piccolo_frate_francescano_orante Pinacoteca Vaticano detail perles
Suspendus à un collier de perles, le rubis proprement céleste de la Reine des Cieux fait écho à la branche de corail, accessoire protecteur d’un bébé bien terrestre.



1482 Crivelli,_Madonna_col_Bambino_e_piccolo_frate_francescano_orante Pinacoteca Vaticano detail franciscain
La position du franciscain attire l’oeil sur la fracture dans le marbre, matérialisation de la présence du Mal et de l’Imperfection sur cette Terre (Crivelli est bien connu pour ses mouches, qui remplissent le même rôle, voir 4-3 Préhistoire des mouches feintes : dans les tableaux sacrés). La fracture, colmatée par le pied droit de la Vierge, rappelle de manière subtile que la pureté de Marie contrecarre la pomme d’Eve, tenue à distance par la main gauche de l’Enfant.


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1490 ca Crivelli,Virgin and Child with Saints and Donor, Walters Art Museum, Baltimore

Vierge à l’Enfant avec des saints et le donateur Fra Bernardino Ferretti
Carlo Crivelli, vers 1490, Walters Art Museum, Baltimore.

Dans cette compositions moins solennelle, sans trône et à mi-corps, une copie très proche de notre frère franciscain se trouve sur la même margelle que l’Enfant, tel un jouet sur une étagère : cette position à la fois extérieure et inférieure minore l’infraction à l’ordre héraldique.


Une Madonne franciscaine

Le panneau de Crivelli a été réalisé pour Fra Bernardino Ferretti (Fra Bernardino da Ancona, d’où les initiales F.B.D.A), probablement pour sa chapelle privée dans l’église de San Francesco ad Alto à Ancône. De part et d’autre de la Madonne couronnée, deux Frères éminents relaient auprès de la madonne la prière du minuscule franciscain :

  • en position d’honneur le fondateur de l’ordre, Saint François en adoration, les mains croisées sur sa poitrine (mais sans stigmates) ;
  • en pendant un autre franciscain célèbre, saint Bernardin de Sienne, tenant devant sa poitrine son signe distinctif (une plaque avec le monogramme du Christ entouré de flammes).

Le donateur a choisi un placement hiérarchique, sous le fondateur de son ordre plutôt que sous son saint homonyme. Position qui lui permet de se placer, à la limite du tapis, sous la protection du manteau de Marie.


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1491 Crivelli Saints Francis and Sebastian avec donatrice Oradea Becchetti, National Gallery

Vierge à l’Enfant avec Saint François, saint Sébastian et la donatrice Oradea Becchetti
Carlo Crivellli, 1491, National Gallery, Londres

Ce panneau a été commandé par Oradea Becchetti, veuve du marchand Giovanni Becchetti, afin de respecter le dernier voeu de son mari : fonder une chapelle dédiée à Sainte Marie de la Consolation dans l’église San Francesco de Fabriano. D’où la présence de Saint François en position d’honneur, présentant  la veuve en prières.


Une oeuvre d’utilité publique

Dans l’inscription gravée en bas du panneau dans le rebord de marbre, Oradea se révèle très fière de sa générosité envers les siens, aussi bien morts que vivants :

« A Marie pleine de bonté, mère des consolations, en compassion pour ses ascendants et ses descendants , avec une somme non modique de son propre argent, Oradea di Giovanni a dédié ceci. »

Il faut dire que Crivelli était alors un peintre célèbre et qui avait été fait chevalier, comme l’indique fièrement le mot MILES dans sa signature.

Mais au delà de la famille, le retable bénéficiait aussi aux visiteurs. Un panonceau autrefois posé devant le retable, mentionnant « l’Honorable Oradea di Giovanni Becchetti », promettait 140 jours d’indulgence à ceux qui prieraient certains jours, notamment pour la Saint Jean-Baptiste (le patron de son mari), la Saint François et la Saint Sébastien ([13], p 148).


1491 Crivelli Saints Francis and Sebastian avec donatrice Oradea Becchetti, National Gallery donatricel

Oradea, dont le prénom signifie littéralement « Je prie Dieu » servait donc d’exemple avec son chapelet, de complément visuel au panonceau.

Ces jours là, la veuve relayait à l’intérieur du tableau la prière du visiteur, qui se multipliait avec celle des Saints, dans une sorte d’amplificateur de piété.

Ainsi la position de la donatrice, certes humble (par sa taille) mais très honorable (entre la Vierge, dont elle frôle le manteau, et Saint François, dont elle frôle la bure) traduit la reconnaissance de sa situation sociale, bienfaitrice de sa famille et de sa ville.


Soigner les plaies (SCOOP !)

1491 Crivelli Saints Francis and Sebasti
L’escargot du premier plan a, comme souvent été interprété comme une métaphore de la Virginité de Marie. Mais dans le contexte particulier de ce tableau, entre les stigmates clairement cicatrisés de Saint François, et les plaies peu saignantes de Saint Sébastien, il semble plutôt posséder une valeur prophylactique. En pendant à la flèche brisée tombée sur le sol (qui complète celle qui traverse le genou gauche du martyr), sa coquille donne l’image d’une cuirasse, d’une protection moins fragile qu’il n’y paraît : on sait qu’un escargot peut reconstituer sa coquille brisée si on le nourrit avec des fragments de coquille. D’où la croyance antique de son efficacité, justement dans le traitement des blessures :

« Les flèches, les traits qu’il s’agit d’extraire du corps, sont attirés extérieurement par l’application d’un rat, d’un lézard coupés en deux. Les limaçons qui s’attachent par groupe aux feuilles des arbres sont pilés, chair et coquille, et appliqués sur la peau dans le même but. L’escargot qui paraît sur nos tables est bon aussi mais il faut mettre la coquille de côté. » Pline, Histoine Naturelle, XXX, XLII



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1522 Sabatini Andrea, Madonna con Bambino in trono tra santi e donatore coll priv
Vierge à l’enfant avec des saints et un donateur
Andrea Sabatini , 1522, collection privée.

Ce panneau retardataire n’a d’autre intérêt que d’être le tout dernier exemple d’un donateur-souris en Italie : il s’agit de Blaise Melanese, général de l’ordre bénédictin de Vallombreuse.


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1515 Simon Gotz, abbot of the monastery at Obermarchtal santa-ana-virgen-nino-donanteThyssen Exterior left wing
Triple Saint Anne avec le donateur Simon Götz, abbé du monastère de Obermarchtal
1515, Musée Thyssen Bornemisza, Madrid
Cliquer pour voir l’ensemble

La formule du donateur-souris disparaît à la même époque dans les pays germaniques : celui-ci de trouve au revers d’un triptyque dont le panneau central a disparu [14]. A noter que la problématique de l’ordre héraldique n’a guère de sens ici, puisque la figure d’autorité est Sainte Anne debout, flanquée de Jésus bébé et de Marie enfant (iconographie de la Triple Sainte Anne).

Références :
[1] Etudes d’epigraphie medievale, Volume 1, Robert Favreau, p 89 https://books.google.fr/books?id=HxZr7pcpURQC&pg=PA89&lpg=PA89
[2] L’arte a Firenze nell’età di Dante (1250-1300), Angelo Tartuferi, Mario Scalini, 2004, p 98
https://books.google.fr/books?id=ucXz26HOwPgC&pg=PA98
[3] http://www.iluoghidelsilenzio.it/chiesa-di-santa-maria-assunta-cesi-tr/
aa voir INHA https://books.google.fr/books?id=I8AFWHCEMU0C&pg=PA141&dq=MUCCIA+CIANTARI&hl=fr&sa=X&ved=0ahUKEwiX-Mrcv9nfAhUxyIUKHdPFBQoQ6AEIKTAA#v=onepage&q=MUCCIA%20CIANTARI&f=false7
[4] « Thomas Aquinas’s relics as focus for conflict and cult in the Late Middle Ages: the Restless Corpse » Marika Räsänen, 2007, p 177
[9] Studies in the Iconography of the Virgin, Victor Lasareff, The Art Bulletin Vol. 20, No. 1 (Mar., 1938), p 35 https://www.jstor.org/stable/3046561
[10] Matelica Segni Di Vita E Di Luce, A. Trecciola, 2005, p 89 https://books.google.fr/books?id=et4NDhAOs7MC&pg=PA89
[12] Sur l’histoire du polyptique et de ses vissicitudes : https://it.wikipedia.org/wiki/Polittico_di_Porto_San_Giorgio
Sur la Madonne Cook : https://www.nga.gov/collection/art-object-page.41616.html
[13] Renaissance women patrons : wives and widows in Italy c. 1300-c. 1550 Catherine E.King, 1998

4-1 Le donateur-souris : seul, à droite

15 juin 2019

Lorsque le donateur se trouve seul en présence de la Madonne, les positions théoriquement privilégiées devraient être :

  • lorsque l’enfant ne bénit pas, à droite du panneau (position d’humilité) ;
  • lorsque l’enfant bénit, à gauche du panneau (position d’invitation).

Mais la convention du donateur-souris autorise une sorte d’exterritorialité : par son insignifiance, la silhouette minuscule échappe en partie à l’ordre héraldique, ce qui donne aux artistes une certaine liberté dans les variations. C’est ainsi qu’on trouvera, très tôt, les formules inverses : des donateurs à droite qui se font bénir , ou des donateurs arrivant par la gauche et non bénis.

En parcourant différents exemples de ces quatre formules, nous verrons que, malgré tout, quelques tendances se dégagent en fonction des époques et des lieux.

Commençons par les deux cas (non bénissant et bénissant) où le donateur se trouve à droite du panneau.



Le Donateur à droite, non béni

(position d’humilité)

1280 ca Ugolino di Nerio The-Madonna-and-Child-with-a-Donor-Chiesa della Misericordia - San Casciano in Val di PesaVierge à l’Enfant avec un donateur inconnu
Ugolino di Nerio, vers 1280, Chiesa della Misericordia, San Casciano in Val di Pesa
1310-30 Segna di Bonaventura, Madonna con Bambino in trono con san Bartolomeo, sant'Ansano e donatrice coll privVierge à l’Enfant , entre Saint Bartholomé et Saint Ansanus, avec une donatrice inconnue
Segna di Bonaventura, 1310-30, collection privée

Le panneau d’Ugolino di Nerio, le plus ancien que j’ai trouvé, est un représentant du type majoritaire : le donateur est dans la position la plus humble, à la fois à droite en au bas d’un trône démesuré, et l’Enfant est inconscient de sa présence (ici il lui tourne le dos et joue avec le voile de sa Mère).

Dans le panneau très similaire de Segna di Bonaventura, l’Enfant, qui joue avec le voile et un oiseau, amorce un mouvement vers le donateur, mais toujours sans le regarder ni lui donner de signe de reconnaissance.

Dans cette absence d’interaction, la situation de l’enfant, du même côté que le donateur, pourrait sembler une sorte de compensation, de « bénédiction » implicite par le corps plutôt que par la main. Nous verrons à la fin de ce chapitre, par l’approche quantitative, que cette situation n’a rien à voir avec une idée de compensation.



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1325-Martini-Simone-The-Madonna-and-Child-with-Saints-and-a-Donor-Isabella-Stewart-Gardner-Museum-BostonVierge à l’Enfant avec des saints et une donatrice dominicaine inconnue
Simone Martini, 1325, Isabella Stewart Gardner Museum, Boston [1]
1330-70 Paolo Veneziano, Madonna con Bambino e donatore Museo Diocesano, ImolaVierge à l’Enfant avec le donateur Pietro Zizi (« D(OMI)N(U)S PETRUS D(E) CICIS »)
Cercle de Paolo Veneziano, 1330-70, Museo Diocesano, Imola

La composition a mi-corps, sans trône, comporte très rarement un donateur : sans doute à cause du caractère ostentatoire de ce type de figuration, qui cadre mal avec un objectif de dévotion privée.

Chez Simone Martini, la moniale qui a commandé ce petit panneau (28 X 20 cm) apparaît marginalement, dans une sorte de « prédelle » souterraine où elle se retrouve encore diminuée en taille<>

par la présence des saints à mi-corps.

Pour comparaison, la Madonne d’Imola, de format plus imposant (75 x 60 cm), montre un donateur en riches vêtements fourrés, qui ne cherche pas l’incognito : monté sur le « parapet » que constitue le bord du cadre, il se fait bénir les yeux dans les yeux avec l’Enfant.


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1300-5~1

Vierge à l’Enfant avec un dominicain, Saint Jacques, Saint Thomas d’Aquin, saint Léonard, et un donateur
Maestro dell’Incoronazione di Urbino, 1300-50, église San Domenico, Fano

Cette lunette peinte orne une niche funéraire, au dessus du sarcophage du Podeste de Rimini Ugolino de’ Pili, mais ne lui est pas contemporaine : le minuscule donateur en robe rouge, agenouillé à droite en avant du cadre cosmatesque, n’est donc pas identifié.

Il ne faut pas nécessairement chercher une différence « théologique » dans les deux personnages latéraux sur fond noir (les trois autres sont devant un drap d’honneur) et dont les auréoles sortent devant le cadre : c’est le format en lunette qui a obligé l’artiste à ce débordement (l’auréole de Saint Thomas d’Aquin sort aussi).


Un objet de transition

Les fers de Saint Léonard, constituent une « transgression visuelle » plus significative : on rencontre quelquefois de tels objets dans les compositions « en parapet », où le donateur se place sur un promenoir en avant de la scène sacrée (voir l’exemple de la lance de Saint Georges chez Orcagna en 1336, ci après). Remarquons qu’ici l’artiste s’est abstenu de faire « sortir » de la même manière le bâton de Saint Jacques, comme si cette structure en relief était destinée au donateur, sorte d’échelle, ou mieux, de « perchoir ». Dans une fresque funéraire, il n’est pas exclu que ces « fers », symboles de la libération des corps, aient ici une valeur symbolique particulière : celle d’amener à l’intérieur de la scène sacrée la petite âme du donateur, à l’image du chardonneret entre les mains de l’Enfant.


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1325-35 Ugolino di Nerio with Saints Peter, Paul, John the Baptist, Dominic and a donor, The Art Institute of ChicagoVierge à l’Enfant avec les Saints Pierre, Paul, Jean Baptiste, Dominique et un moine dominicain inconnu
Ugolino di Nerio, 1325-35, Art Institute of Chicago
   1333 Meo da Siena Madonna con Bambino in trono tra angeli e un donatore Stadel Francfort detail Vierge à l’enfant avec l’abbé bénédiction Ugolino
Meo da Siena, 1333, Städel Museum, Francfort
Cliquerpour voir l’ensemble

Dans le premier panneau, quatre saints viennent encadrer le trône : les deux fondateurs de l’Eglise, Saint Pierre et Saint Paul, au niveau de l’Enfant ; le plus ancien et le plus récent de ses serviteurs, Saint Jean Baptiste et Saint Dominique, debout sur l’estrade. La présence de ce dernier crée une continuité avec le moine donateur, que bénit son supérieur immédiat, par délégation de l’autorité supérieure.

Dans le retable de Meo da Siena, l’abbé s’introduit au centre du polyptyque, dans une familiarité avec la Vierge que rend plus évidente l’ange qui caresse sa tonsure, et la galerie de six saints derrière lui. Le polyptyque comporte sur l’autre face le Christ entouré des douze apôtres : il est logique que le donateur se soit fait représenter du côté le la Vierge et des Saints, intercesseurs par rapport à l’Autorité suprême.


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Museo Thyssen- Bornemisza

Vierge à l’Enfant avec un donateur inconnu
Master of the Memento Mori, vers 1360, Copyright Museo Thyssen-Bornemisza, Madrid [2]

Voici un des tous premier exemples d’une iconographie très différente : non plus une Vierge en majesté – assise sur son trône, mais une Vierge dite de l’Humilité – assise sur le sol et allaitant. La taille microscopique du sein et le terme « Sancta Maria Humilitate«  inscrit sur le fond d’or montrent que cette représentation n’allait pas encore de soi. Cette innovation, qui accentue l’humanité de Marie, apparaît vers 1320 à Avignon (voir 3-3-1 : les origines) et se développe après la peste noire de 1348 : elle s’accompagne très souvent d’une inversion de la position de l’Enfant, porté désormais à gauche.

D’où ici un double effet d’humilité de la part du donateur : non seulement l’Enfant tête sans s’occuper de lui, mais de plus il se trouve à l’opposé.


Un Memento Mori (SCOOP !)

Mais le caractère unique de cette oeuvre tient à la présence du squelette derrière le donateur, et à la banderole tenue par l’Ange :

Tu es pris, tu ne peux t’échapper ; sois toujours prêt à devoir mourir I’ ti so’ p(re)so, no(n) potrai fucire  sta sempre presto p(er) dov(er) morire

La Mort qui pousse le donateur dans le dos illustre le premier vers ; le geste de l’Ange désignant l’Enfant illustre le second.


1398 Nicolo di Pietro Pushkin museum
Vierge à l’Enfant avec un donateur inconnu
Nicolo di Pietro, 1398, Pushkin museum

Pour comparaison, dans ce panneau très similaire, où des anges volettent de la même manière autour d’une Vierge d’Humilité – l’inversion de la position du donateur traduit une inversion du message, d’une vision tragique à une vision positive : plutôt que d’être amené à rebours, tiré par un Ange et poussé aux fesses par la Mort, le donateur se présente non plus dans la peur de la mort, mais dans l’Espérance de la Résurrection (illustrée au fronton par le Christ entre la Vierge et Saint Jean) ; et tout en continuant de téter, l’Enfant le récompense en le désignant à sa mère.



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1380-90 Andrea di Bartolo - Madonna dell'Umilta (davanti) National Gallery of Art, Washington revers crucifixon don inconnu
Vierge de l’Humilité avec une donatrice inconnue
Andrea di Bartolo, 1380-90, National Gallery of Art, Washington

Il serait hardi de déduire de ce seul exemple que la position du donateur sur la droite traduirait un « memento mori » implicite. Ce panneau biface porte sur une face la scène la plus négative, la Crucifixion ; et sur l’autre la scène positive de la Vierge de l’Humilité . Cependant au sein de cette scène positive, la robe blanche de la donatrice, faisant écho au linge qui protège Jésus, constitue tout comme ce linge une image ambivalente : à la fois symbole de pureté et prémonition du suaire.


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1473-Giovanni-Antonio-da-Pesaro-coll-privee

Vierge à l’Enfant avec Saint Onuphre, Saint Jean Baptiste, Saint Jérôme, un Saint Evêque, Saint Aiuto et un donateur agenouillés (retable de San’t Aiuto )
Giovanni Antonio da Pesaro, 1473, collection privée

Ce panneau pose deux énigmes iconographiques :

  • le rare Saint Onufre, à gauche (avec les deux lions qui selon la légende creusèrent sa sépulture dans le désert), est mis en balance avec un saint évêque portant un livre, sans autre attribut permettant de l’identifier ;
  • le rarissime saint franciscain Aiuto (il n’est connu que par son nom inscrit juste en dessous) est agenouillé en taille souris face au donateur, lui-même en taille super-souris !

Construit symétriquement, le panneau possède des éléments en pendant :

  • la croix de Saint Onuphre et la crosse de l’évêque ;
  • les deux lions de Saint Onuphre  derrière Saint Aiuto et le lion de St Jérôme derrière le donateur (qui semblent eux aussi prier à leur manière) ;
  • la banderole de Saint Jean Baptiste et le livre de St Jérôme ;
  • deux moines à gauche, deux docteurs de l’Eglise à droite.

Le saint évêque de droite est très probablement Saint Flaviano di Ricina, un Saint très populaire dans les Marches,


En aparté : Saint Onuphre et Saint Flaviano

1506-1508 Lorenzo_Lotto_Saint Thomas d'Aquin et Saint Fabiano Detail du polyptique de Recanati, Museo civico, RecanatiSaint Thomas d’Aquin et Saint Fabiano (Détail du polyptique de Recanati),
Lorenzo Lotto, 1506-1508, Museo civico, Recanati
    

  

 

 

 

 

 

 

 

 

  


1508 Lorenzo_Lotto_Saint Fabiano et Saint Onuphre Gallerie Borghese RomeSaint Fabiano et Saint Onuphre

Lorenzo Lotto, 1508, Gallerie Borghese, Rome

Lotto l’a représenté avec la même absence d’attributs pour l’église de Recanati (sans palme), et en pendant avec Saint Onuphre dans sa très célèbre Madonne Borghèse. Saint Fabiano était connu pour s’être retiré dans une grotte, à côté de son tombeau.

Outre les lions qui lient directement Saint Onuphre et Saint Jérôme, le point commun sous-jacent entre les quatre grands saints du retable de San’t Aiuto est très certainement le passage au désert.



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1490–1520 Ecole danubienne l. Maria mit Kind; Hl. Barbara; Hl. Antonius; unkown donor Galerie nationale slovaque

Vierge à l’Enfant avec Sainte Barbe, Saint Antoine et un donateur inconnu
Ecole danubienne, 1490–1520, Galerie nationale slovaque, Bratislava

Voici l’exemple le plus tardif de la position d’humilité, dans ce qui est sans doute une autre épitaphe pour un ecclésiastique. A noter le collier de corail de l’enfant, protection courante pour les bébés de l’époque.


Une composition surprenante

On a reconnu avec raison la Sainte comme étant Sainte Barbe : elle porte ici non pas sa tour, mais son second attribut, un calice. C’est sa position à gauche qui est doublement étrange :

  • d’une part elle occupe la place d’honneur par rapport au Saint masculin ;
  • d’autre part sa place traditionnelle, lorsqu’elle forme un couple avec une autre sainte, est toujours la plus modeste, à droite.

En aparté : la position standard de Sainte Barbe

1465-1470 master-of-the-pottendorf-votive-panel-the-virgin-and-child-enthroned-with-angels,-with-saints-dorothea-and-barbaraLa Vierge à l’Enfant avec Sainte Dorothée et Sainte Barbe
Master of the Pottendorf votive panel, Autriche, 1465-70, collection privée
  Master of Hoogstraten 1520-30 The Virgin and Child with Saints Catherine and Barbara Royal Collection TrustLa Vierge à l’Enfant avec Sainte Catherine et Sainte Barbe
Master of Hoogstraten, 1520-30, Royal Collection Trust

Dans l’exemple de gauche, c’est Sainte Catherine qui offre un fruit à l’Enfant (une poire en l’occurrence). Dans l’exemple de droite, Sainte Dorothée offre une rose à l’enfant, dont le rouge est assorti avec son collier de corail.


Offrir une grenade (SCOOP !)

Si notre artiste danubien a fait prendre cette place inhabituelle à Sainte Barbe, c’est clairement pour la mettre en position de donation. Et ce qui est très original, c’est la nature du fruit qu’elle offre : ni pomme ni poire, mais une grenade.

A cause des nombreux grains qu’elle contient, la grenade est le symbole de l’Eglise en tant que communauté de croyants. Mais elle est aussi « le symbole de la prêtrise parce qu’elle porte des fruits riches dans sa peau dure (métaphore de l’élévation spirituelle dans l’ascèse) » [3]. Associée au calice, c’est sans doute ici la valeur particulière qu’elle prend : représenter une seconde fois le donateur, mais de manière symbolique : en tant que prêtre s’offrant à Jésus.

Il ressort de ces quelques exemples que le donateur-souris, en position d’humilité , lorsque l’Enfant ne le bénit pas , représente très souvent un défunt .

Voyons maintenant si l’on trouve les mêmes connotations funéraires dans le cas de l’Enfant bénissant.



La rétro-invitation : l’enfant accueille

ou bénit sur la droite


1311-1313 Ecole de Duccio Tabernacle35 Pinacoteca Siena
Tabernacle 35
Ecole de Duccio, 1311-1313, Pinacoteca, Siena

Les spécialistes ont remarqué depuis longtemps le caractère exceptionnel de cette composition, et ont surtout discuté de l’identification du roi (voir [4], p 242 et ss). Mais non moins importante est la raison de cette toute première bénédiction par la droite, clairement intentionnelle, puisque Marie double le geste de l’Enfant en tendant de la main droite une fleur blanche vers le roi.


Un « couronnement » terrestre (SCOOP !)

Notons que la position de l’Enfant Jésus, à droite pour nous par rapport à Marie, est cohérente dans toutes les scènes du triptyque : comme si l’artiste avait voulu propager dans l’ensemble de la composition l’idée explicité dans la scène-clé du Couronnement, où Marie siège en position d’honneur à la droite de son Fils.


1311-1313 Ecole de Duccio Tabernacle35 Pinacoteca Siena schema
Il est clair que l’artiste a voulu opposer cette scène du Couronnement céleste, qui se déroule de droite à gauche, avec la scène terrestre de la « bénédiction de la couronne », qui se lit dans l’autre sens. D’ailleurs, en plaçant de manière inhabituelle Saint Paul sur la gauche, et en le croisant avec Saint Jean l’Evangéliste, l’autre saint porteur de livre (cercles blancs), l’artiste nous indique, dans chaque registre, où doit commencer la lecture.

Ainsi la position d’humilité du roi se trouve mise en parallèle, non pas avec la scène où Marie est la Reine des Cieux, mais avec celle de l’Annonciation, encore plus haut, où elle est la Servante du Seigneur.


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1320 Niccolo e Francesco di Segna, Madonna à trono con bambino e donatrice MUCCIA Ciantari wife of Guerino Ciantari , Lucignano, Museo
Vierge à l’Enfant avec la donatrice Muccia Ciantari
Niccolo e Francesco di Segna, 1320, Lucignano, Museo

Peu de temps après apparaît cette donatrice, identifiée par l’inscription :

Dame Muccia, qui fut la femme de Guerino Ciantari. «MONA MUCCIA MOGLIE CHE FU DI. GUERINO CIANTARI ».

Le passé simple, tout autant que l’habit de deuil, suggèrent qu’il s’agit d’une épitaphe. Le fait que la silhouette se superpose, dans l’inscription, non pas à son propre prénom, mais au nom de son mari, suggère que Dame Muccia est vivante, et que l’épitaphe est destinée à commémorer son époux.



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1377 Spinello Aretino - Madonna con Bambino in trono, Santi e donatore - - affresco staccato - Museo Diocesano, Arezzo
Vierge à l’Enfant avec Saint Jacques et Saint Antoine Abbé avec Clemente Pucci di Montecatino
Spinello Aretino, 1377, Museo Diocesano, Arezzo (provient du cloître de l’église Saint Augustin)

L’inscription du bas indique que Clemens Pucci de Monte Catino a fait faire cette oeuvre et a été enterré à cet endroit du cloître en 1377 [5]. La présence de saints complique la logique du positionnement, qui n’est plus régie uniquement par l’interaction entre l’Enfant et le donateur. La position d’honneur de Saint Jacques s’impose par son ancienneté et son prestige d’apôtre, souligné par le livre. Le choix de Saint Antoine comme présentateur est énigmatique, puisqu’il ne correspond ni au prénom du donateur, ni à sa qualité de militaire ni au patron de l’église.

La composition se rattache aux épitaphes de chevaliers, présentés par Saint Georges ou Sainte Catherine, dont il existe à la même époque de nombreux exemples à Vérone ou à Milan, mais toujours à taille humaine (voir Vierge à l’Enfant ). Les particularités sont ici le choix de saints moins héroïques, et la taille-souris.


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1378 Simone di Filippo Madonna col Bambino, angeli e il donatore Giovanni da Piacenza Pinacoteca Bologna
Vierge à l’enfant avec le donateur Giovanni da Piacenza
Simone di Filippo , vers 1378, Pinacoteca Nazionale, Bologna

Plutôt que d’affronter la difficulté de la bénédiction sur la droite, l’artiste en reste ici à une interaction plus simple : l’Enfant désigne le donateur de la main gauche tout en s’accrochant de la droite au manteau de sa mère.

Le nom du donateur est connu par un document notarié.


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1485-90 Maestro del Cespo di Garofani Santa Maria Consolatrice Caterina d'Alessandria castelvecchio-verona
Vierge à l’Enfant avec un donateur, entre Sainte Marie Consolatrice et Sainte Catherine d’Alexandrie
Maestro del Cespo di Garofani, 1485-90 , Musée de Castelvecchio, Vérone (ancien maître-autel de l’église Santa Maria Consolatrice).

Sainte Marie Consolatrice est une sainte locale dont les deux attributs sont le lys de la pureté et une balance dont le plateau le plus haut porte deux minuscules momies : il s’agit des corps des saints martyrs Fermo et Rustico, que les Véronais avaient décidé de racheter à poids d’or aux habitants de Capo d’Istria : au moment de la pesée, la Sainte allégea miraculeusement les deux corps, économisant d’autant sur la somme convenue [6].

En tant que patronne de l’église, elle se trouve à droite de la Madonne ; en tant que bonne comptable, elle regarde venir avec sympathie le donateur. On peut penser que l’élévation du plateau préfigure le coup de pouce qu’elle est disposé à lui donner pour faciliter son ascension post-mortem.


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1450 avant Stefan_Lochner_-_Madonna_mit_dem_Veilchen Musee diocesain Kolumba Cologne

Madonne à la violette (Madonna mit dem Veilchen)
Stefan Lochner, avant 1450, Musée diocésain Kolumba, Cologne

Dans cet autre panneau destiné à servir d’épitaphe, l’abbesse Elsa von Reichenstein est agenouillée sur le sol, violette parmi les violettes, prête à se faire cueillir comme l’humble fleur que Marie tient déjà dans sa main pour la faire bénir par Jésus. Elle implore :

Douce vierge, demande pour moi la miséricorde de ton enfant.Lève-toi pour que je puisse te contempler et trouver avec toi la paix éternelle dulcis de nato veniam mihi virgo rogato ;insta ut te videam tecum sine fine quiescam


1450 avant Stefan_Lochner_-_Madonna_mit_dem_Veilchen Musee diocesain Kolumba Cologne detail
A l’image de la croix, la fleur coupée symbolise un sacrifice : sans doute pour l’abbesse celui de sa vie de femme, puisque, parmi toutes les nobles dames du couvent de Sainte Cécile de Cologne, elle fut en 1443 la seule à faire ses voeux perpétuels [7].

Les phylactères mettent dans la bouche des personnages sacrés des louanges qui, derrière Marie, s’adressent tout autant à l’abbesse.

Dieu le Père :

Je t’ai choisie dans un amour éternel, Jerémie 31:3 In caritate perpetua dilexi te


Le Saint Esprit :

Elle est mon repos dans les siècles des siècles, Psaumes 132:14 Haec requies mea in saeculum saeculi


Les anges :

Elle dont la couche ne connut pas la souillure, Sagesse 3:13 hec est q[u]e nescivit thorum in delicto


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1481 Crivelli possibly Ludovico Vinci, a noble of the town of Fermo MET
Vierge à l’Enfant avec un donateur
Crivelli, 1481, MET, New York

De manière , Crivelli conserve et même renforce, la miniaturisation du donateur. Dans ce panneau central d’un triptyque disparu, ni la Vierge au regard vague, ni l’Enfant Jésus en position centrale ne s’intéressent au donateur (peut être Ludovico Vinci, noble de la ville de Fermo). Faisant à peine partie du décor, avec un degré de réalité moindre que le vase et le chardonneret qui l’encadrent, sa figurine se réduit à une sorte de signature en image, au positionnement indifférent.



Références :
[4] « Painted Piety: Panel Paintings for Personal Devotion in Tuscany, 1250-1400 », Victor M. Schmidt , 2005
[5] Come un prato fiorito: studi sull’arte tardogotica, Luciano Bellosi, 2000, p 37
https://books.google.fr/books?id=3jA9YnJaDGcC&pg=PA37&lpg=PA37
[6] « Dell’Identita De Sagri Corpi De’ Santi Fermo, Rustico, E Procolo, Che Si Venerano Nella Chiesa Cattedrale Di Bergamo », Antonio Tommaso Volpi, 1761, p 260 https://books.google.fr/books?id=wwZfAAAAcAAJ&pg=PA260

3-4-3 La vision de Patmos : son développement

14 juin 2019

Presque au terme de cette étude sur les apparitions de la Vierge devant témoin, récapitulons ce que nous avons observé.

La vision de l’Ara Coeli (voir 3-2-1 … sur la droite)

1450-1475 Christine de Pisan, Epitre Othea, La sibylle de Tibur Auguste La Haye, Bibliothèque Meermanno KB74G27
Dans le cas particulier où le témoin est Auguste, la question hiérarchique prend tout son sens, puisqu’il s’agit de montrer que l’Empereur sur Terre reconnaît la supériorité de la Reine des Cieux.

La rareté du thème permet de suivre sa propagation, depuis l’Italie jusqu’à l’Europe du Nord. Dans les oeuvres les plus anciennes c’est la convention du visionnaire qui prime (Auguste à gauche), puis à partir du XVème siècle on rencontre de plus en plus souvent des inversions, qui accentuent sa situation d’infériorité.


La Vierge au Croissant avec un donateur (voir 3-3-1 : les origines)

1515 ca Lucas_Cranach_d_Ae_-_Friedrich_der_Weise_in_Verehrung Kunshalle Karlsruhe
Lorsque le témoin est un dévot, la question de l’ordre héraldique, entre un être de chair et un être de lumière, ne joue aucun rôle : dans pratiquement tous les cas, c’est la convention du visionnaire qui s’applique.


La Vierge de l’Apocalypse et Saint Jean (voir 3-4-1 : les origines)

1300-25 Royal MS 19 B XV f 20v

Lorsque le témoin est Saint Jean, la situation est plus complexe : la convention du visionnaire devrait jouer à plein, et c’est bien ce qu’on constate majoritairement dans les manuscrits de l’Apocalypse. Mais à la différence du dévot (qui commande un seul selfie avec la Vierge au Croissant), Saint Jean est un héros récurrent qui figure dans presque toutes les images : d’où les diverses expérimentations graphiques que nous avons vues (inversion ou sortie du cadre) visant à créer un effet de variété ou à attirer l’attention.

Il nous reste maintenant à voir ce qui se passe lorsque la vision de Saint Jean n’est pas un épisode d’une série, mais un sujet traité de manière indépendante. Le sujet de Saint Jean à Patmos est très courant, notamment dans les Livres d’Heures, mais le cas particulier qui nous intéresse, celui où il voit la Vierge, n’apparaît qu’assez tard, vers 1460, et tout d’abord dans l’art germanique.

L’approche chronologique est ici sans espoir, car il est si facile de rajouter la Vierge dans une image de Saint Jean à Patmos que tout artiste a pu y parvenir sans s’inspirer nécessairement d’une oeuvre antérieure. De même, distinguer les apparitions par la gauche ou par la droite ne mène à rien : les manuscrits des Apocalypses avaient rendu les inversions familières, et nous verrons que des artistes n’hésitent pas à copier un devancier en inversant le motif.

J’ai donc préféré regrouper les oeuvres en cinq catégories obéissant à des enjeux graphiques bien distincts : ce qui va nous permettre de découvrir quelques influences inattendues.



Un tête à tête avec la Vierge

1460 ca Maitre ES St_John_the_Evangelist_in_Patmos
Saint Jean à Patmos
Maitre ES, vers 1460

La première oeuvre indépendante sur le sujet est cette gravure du Maître ES : l’île rocheuse, reliée à la ville par un pont, est à la fois exotique (les perroquets) et paisible (les biches). Saint Jean, au centre de l’image, est en train de tremper la plume dans son encrier lorsque la Vierge apparaît à l’horizon, portée par la Lune qui se lève. L’aigle au premier plan, roi du ciel posé sur la Terre, signale le prodige inverse de la Femme en vol.


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1475-80 Martin_Schongauer_-_Johannes_auf_PatmosMartin Schongauer, 1475-80 Johannes Gleismüller, 1490, Germanisches 1490_Gleismüller_Johannes_auf_Patmos_anagoria Germanisches Museum NurembergMuseum, Nuremberg

Saint Jean à Patmos

Schongauer inverse le sujet et le recentre sur la Vierge et Saint Jean, aux extrémités de la diagonale descendante. L’horizon est libre, accentuant le caractère insulaire. Trois formes se découpent devant lui (l’Aigle, l’Arbre et la Montagne), illustrant l’idée d’élévation : mais tandis que l’Aigle, sous la Vierge, est le seul qui peut physiquement se détacher de la Terre, Saint Jean en revanche peut s’élever par la pensée.

Gleismüller recopie la gravure en l’inversant (voir les plis identiques du manteau) et remplace l’arbre – qui cachait la vue – par une forêt dépourvue de toute signification symbolique.


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1525-30 Noel Bellemare Louvre 1525-30 Noel Bellemare Louvre schema

Noël Bellemare, 1525-30, miniature isolée, Louvre

L’idée d’exploiter les diagonales est venue à d’autres artistes : dans cette composition très pensée, Bellemare a supprimé l’aigle et remplacé la Madonne par un halo vide, devant lequel Saint Jean lâche sa plume de surprise. Les branches de l’arbre, se découpant sur le ciel, répètent la main du Saint qui se tend vers l’apparition, dans un contraste très efficace entre le triangle terrestre, saturé, et le triangle céleste, épuré de toute présence.



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1520-30 Joos_ van_Cleve_and_Lucas_Gassel_-_St._John_the_Evangelist_on_Patmos University of Michigan Museum of Art 1520-30 Joos_ van_Cleve_and_Lucas_Gassel_-_St._John_the_Evangelist_on_Patmos University of Michigan Museum of Art schema

Joos van Cleve et Lucas Gassel, 1520-30, University of Michigan Museum of Art.

A l’opposé, Joos van Cleve a cédé aux tentations de la vue panoramique : les habituels éléments ascensionnels (l’aigle, la montagne, l’arbre) tentent de s’organiser selon les diagonales, pour conduire le regard du spectateur vers le centre du tableau, à côté des yeux de Saint Jean. Mais le thème de la vision céleste se dilue néanmoins dans l’ensemble.


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1613 Pieter_Lastman_Boijmans Van Beuningen
Pieter Lastman, 1613, Musée Boijmans Van Beuningen, Rotterdam

Un siècle après Bellemare, Pieter Lastman retrouve l’efficacité des deux zones fortement contrastées : le triangle céleste est sombre, englobant les formes en V de l’aigle et des troncs ; le triangle humain est en pleine lumière, seulement dédié à l’acte d’écrire et au bonheur des tissus chatoyants.


La Vierge au centre

1486 Johannes auf Patmos, illuminierte Seite aus dem Waldburg-Gebetbuch, WLB Stuttgart, Cod. brev. 12, fol. 34vWaldburg-Gebetbuch, 1486, WLB Stuttgart, Cod. brev. 12, fol. 34v 1512 livre-dheures-coll part-f7rLivre-d’Heures, 1512, fol f7r, Collection particulière

Les compositions avec la Vierge au centre sont assez rares, puisque graphiquement déséquilibrées : ici c’est l’Aigle qui remplit la moitié vide.


1539-1540 Heures_de_François_Ier_-_Saint_Jean_à_Patmos_(f5) MET

Heures de François Ier, 1539-1540, fol 5, MET

Ici l’artiste a bouché le trou avec un paysage anecdotique : clocher, paysan, barque.


1530 ca Antonio Vazquez San Juan en Patmos Iglesia de San Pablo, ValladolidAntonio Vazquez, vers 1530, Eglise San Pablo, Valladolid 1600-30-Sanchez-Cotan-vision_john_evangelist_patmos_Musee-Santa-Cruz-ToledeSanchez Cotan, 1600-30, Musée Santa Cruz, Tolède.

Saint Jean à Patmos

Autres solution, adoptée par des peintres espagnols : convoquer carrément sur Terre le spectaculaire Dragon à sept têtes.


1585 El_Greco_-_The_Virgin_of_the_Immaculate_Conception_and_St_John_Musee Santa Cruz de Tolede
L’Immaculatée Conception et Saint Jean
Greco, 1585, Musée Santa Cruz, Tolède

Dans la première de ses toiles consacrées à l’Immaculée Conception, Greco fait allusion à la vision de Patmos en plaçant, en regard de Saint Jean, un croissant de lune au dessus d’un paysage symbolique.



1585 El_Greco_-_The_Virgin_of_the_Immaculate_Conception_and_St_John_Musee Santa Cruz de Tolede detail
Tour, palmier, jardin clos, serpent, bouquet de roses, fontaine (à l’extrême droite) sont autant d’attributs mariaux.


Après le triptyque de Memling

1474-79 Memling,_polittico_di_san_giovanni Oud Sint-Janshospitaal Bruges

Triptyque de Saint Jean
Memling, 1474-79, Oud Sint Janshospitaal, Bruges.

Ce triptyque est une oeuvre totale, qui met en regard la Décapitation de Saint Jean Baptiste (volet gauche) et la Vision de Saint Jean l’Evangéliste (volet droit), mais présente également la vie des deux Saints Jean dans les innombrables détails du panneau central [1].



1474-79 Memling,_polittico_di_san_giovanni Oud Sint-Janshospitaal Bruges hautjpg
L’oeil est attiré par deux halos de lumière : à gauche le ciel s’ouvre sur Dieu le Père envoyant la colombe du Saint Esprit au dessus du baptême de Jésus ; à droite, la Femme de l’Apocalypse tend à un Ange son enfant pour le sauver du Dragon à sept têtes. Deux détails minuscules (la colombe qui descend, l’Enfant qui monte) sont donc mis visuellement en balance.



1474-79 Memling,_polittico_di_san_giovanni Oud Sint-Janshospitaal Bruges volet droit
Le panneau de droite expose, au dessus de Saint Jean, les principaux épisodes de l’Apocalypse : véritable gageure iconographique qui a eu un effet décisif sur les représentations ultérieures.



1474-79 Memling,_polittico_di_san_giovanni Oud Sint-Janshospitaal Bruges volet droit detail
Notons en particulier comment les quatre cavaliers sont individualisés, illustrant tous les détails du texte ; et en même temps intégrés de manière chronologique dans la suite des épisodes (après Saint Jean s’agenouillant devant l’autel) et de manière réaliste dans le panorama imaginaire (noter leurs reflets dans l’eau).


1520-40 Joos Van Cleve Saint Jean a Patmos Valenciennes, musée des BA photo JL Mazieres

Saint Jean à Patmos
Joos Van Cleve, 1520-40 Valenciennes, musée des BA photo JL Mazieres

Un demi-siècle plus tard, Joos Van Cleve simplifiera et inversera la composition de Memling, en déplaçant sur terre la scène de Saint Jean devant l’autel, et en conservant l‘idée du reflet, mais pour le halo. Remarquons que l’Aigle est absent, tout comme il est absent du triptyque.


1497 Isabella breviary BL Ms. 18851 f. 309r,Bréviaire d’Isabelle, 1497, BL Ms. 18851 f. 309r 1510-20 Breviaire Grimani Bibliotheque Marciana VeniseBréviaire Grimani,1510-20, Bibliothèque Marciana, Venise

Saint Jean à Patmos

L’effet touche aussi les miniaturistes : influence directe sur celui du Bréviaire d’Isabelle (même détail des reflets), influence plus indirecte sur celui du Bréviaire Grimani. Il est clair que la position de Saint Jean à droite de l’apparition devient extrêmement fréquente après le triptyque de Memling.


En aparté : Le démon sur l’île

1500 ca Livre d’Heures de Jeanne I de Castille. Saint Jean à Patmos BL Add. Ms. 35313 f 10v
Livre d’Heures de Jeanne I de Castille, vers 1500, BL Add. Ms. 35313 f 10v

Toujours dans la même veine, cette miniature est intéressante par un détail amusant.



1500 ca Livre d’Heures de Jeanne I de Castille. Saint Jean à Patmos Add. Ms. 35313 f 10v detail
Un petit diable essaye, avec un harpon, d’intercepter l’encrier du saint, pour l’empêcher d’écrire ce qu’il voit.


1380 ca Bible Historiale de Jean du Berry Baltimore Walters W126 fol 195vBible Historiale de Jean du Berry, vers 1380, Baltimore Walters W126 fol 195v

Selon Anna Eörsi, ce motif est né dans l’entourage du duc de Berry, et serait une variante lettrée du thème populaire du diable qui tente d’empêcher l’Incarnation (voir 5.1 Mise en scène d’un Mystère sacré ) :

« Quand il ne laisse pas Jean écrire le début de son Evangile, lui aussi, il croit pouvoir se servir de la force magique du Verbe, c’est-à-dire de l’écriture. Il pense que si saint Jean n’écrit pas le Verbe, celui-ci n’existera pas; et ce qui n’est pas ne peut prendre corps. Il espère prévenir l’Incarnation en empêchant que les mots «caro factum est» soient couchés par écrit. » ([1a], p 61)

Ce démon est positionné comme l’antagoniste de l’aigle qui, en tant que vainqueur du serpent, représente souvent la victoire du Bien conte le Mal.


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Apocalipsis in dietsche, 1400-50, BNF Neer 3 fol 2r

On le retrouve, opposé cette fois à l’Ange, dans une des très riches illustrations de la première Apocalypse en néerlandais : ici, il ne cherche pas la bagarre et utilise sa gaffe pour partir en barque précipitamment, tandis que l’Ange arrive sur l’île de l’autre côté : suprématie écrasante de l’aviation sur la marine.


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Maître de Rohan, vers 1431, Heures d’Isabella Stuart, Fitzwilliam Museum,Ms. 62 fol 13r

Ce motif fait ici une apparition amusante non plus sur l’île, mais dans l’étude du Saint, sous son siège même.


1443 Utrecht Lectionnary Den Haag KB 69.B10 patmos

Lectionnaire d’Utrecht, 1443, Den Haag KB 69.B10

L’idée d’un démon plus agressif , mais qui échoue comiquement, se développe dans quelques Livres d’heures. Elle implique d’inverser les positions,  afin que le bon élément se trouve à la droite du Saint tandis que le mauvais sujet sévit à sa gauche.


1440-50 Horae secundum usum romanum BNF NAL 3229 fol 13rHorae secundum usum romanum, 1440-50, BNF NAL 3229 fol 13r Libro de horas de Leonor de la Vega 1468 Biblioteca Nacional de Espana, Madrid fol 91Livre d’Heures de Leonor de la Vega, Willem Vrelant, 1468, Biblioteca Nacional de España, Madrid fol 91

Ici le bon élément est l’Aigle, qui aide la Saint à dérouler son parchemin, ou l’avertit que dans son dos le démon est en train de vider son encrier dans l’eau .


 


1490-95 Bosch Saint_John_Baptist Madrid Museo Lazaro GaldianoSaint Jean Baptiste au désert, Museo Lazaro Galdiano, Madrid

1490-95 Bosch Saint_John_on_Patmos_Berlin,_Staatlichen_Museen_zu_Berlin,_Gemaldegalerie_HRSaint Jean l’Evangéliste à Patmos, Gemäldegalerie, Berlin

Bosch, 1490-95

Ceci nous amène à cette oeuvre très célèbre de Bosch, sans doute les volets d’un triptyque perdu, composé selon le modèle de Memling.



1490-95 Bosch Saint_John_on_Patmos_Berlin,_Staatlichen_Museen_zu_Berlin,_Gemaldegalerie_HR schema
On retrouve ici tous les ingrédients d’une vigoureuse composition en diagonale : la Vierge et l’Ange constituent les éléments célestes, alignés sous le regard de Saint Jean. A l’opposé, l’Aigle dégradé en une sorte de gros oiseau balourd et l’arbre étique semblent ancrés côté terre, plombés par le démon qui est une sorte de résumé caricatural de l’ensemble.


Un démon de synthèse (SCOOP !)

1490-95 Bosch Saint_John_on_Patmos_Berlin,_Staatlichen_Museen_zu_Berlin,_Gemaldegalerie_HR detail arbre

  • Par ses ailes, il imite l’Aigle, mais ses pattes d’insecte trahissent sa nature rampante.
  • Par son harpon posé contre le talus, il imite l’arbre, mais n’attrape aucun oiseau.
  • Par ses lunettes et son brasero en guise de chapeau, il imite le Saint : mais c’est un visionnaire myope et à la tête qui fume


Saint Jean se détourne


1496-98 Durer apocalypse_frontispiece
Frontispice de l’Apocalypse
Dürer, 1496-98

 Dürer invente une formule très percutante dans laquelle Saint Jean se retourne vers le spectateur, et à la Femme l’accompagne dans cette rotation, quittant les lointains pour venir léviter au premier-plan, à portée de sa main gauche.

L’aigle, le scripteur et l’apparition convoquée par le geste de la main partagent la même couronne de nuages, manière d’évoquer  la nature quasiment céleste de l’Artiste, nouveau Saint Jean.


1496-98 Durer apocalypse Femme et Dragon detail

La Femme et le dragon (détail inversé)
Cliquer pour voir l’ensemble

On ne peut s’empêcher de penser que le frontispice compense, en l’inversant, la gravure correspondante à l’intérieur du recueil :

  • la femme ailée séparée de son enfant laisse place à la Vierge à l’Enfant,
  • le dragon ailé, crachant du feu et scindé en sept gueules qui s’affrontent devient un aigle, un encrier et un apôtre.


1515 Durer Vision David Livre de prieres de l'Empereur Maximilien I, Munich, Bayerische Staatsbibliothek, 2 L.impr.membr. 64, fol. 16vVision de David (fol. 18v) 1515 Durer Vision Jean Livre de prieres de l'Empereur Maximilien I, Munich, Bayerische Staatsbibliothek, 2 L.impr.membr. 64, fol. 17vVision de Jean (fol. 17v)

Dürer, 1515, Livre de prières de l’Empereur Maximilien I, Munich, Bayerische Staatsbibliothek, 2 L.impr.membr. 64

Il existe de Dürer une autre Vision de Patmos plus confidentielle :  dans ce dessin marginal du Livre de prières de l’Empereur, l’artiste utilise habilement les deux marges gauche et basse pour caser les trois protaganistes, alors que  dans l’illustration précédente, la marge gauche suffisait pour caser Dieu le Père et David.

La vision sur la gauche est imposée par la structure du manuscrit : les dessins marginaux accompagnent les débuts de chapitre (signalés par une majuscule ornementée) : or dans les deux cas ces débuts de chapitre tombent sur des pages verso, où la marge large est à gauche.


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1508 Hans_burgkmair-st_john_the_evangelist_in_patmos alte pinakoyhek Munich
Retable de Saint Jean (Johannesaltar)
Hans Burgkmair, 1508, Alte Pinakothek, Munich

Burgkmair a repris la même idée de Saint Jean se retournant, mais a laissé la Femme dans le lointain, indistincte dans son halo. La vision de Patmos a perdu tout caractère apocalyptique, transposée en accueil de la lumière au sein d’une nature paradisiaque.


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1517 Battista Dossi Pinacoteca Nazionale, Ferrara
Battista Dossi,1517, Pinacoteca Nazionale, Ferrara

Le frère de Dosso Dossi développe la même posture dans un sens totalement opposé : il s’agit ici pour Saint Jean de se détourner de la vision terrifiante.


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1640 ca Alonso Cano Patmos Musee des Beaux-Arts Budapest
Alonso Cano, vers 1640, Musée des Beaux-Arts, Budapest

Ici la vision de matérialise sous forme de signes à peine discernables sur les nuages, que le visionnaire se hâte de transcrire.


Saint Jean voit, sans regarder

A l’issue de ce retournement, on aboutit à une idée plus radicale : montrer une pure vision intérieure.


1511 ca _Baldung_Mass of St Gregory triptych reconstruction

Triptyque de la Messe de Saint Gregoire
Hans Baldung Grien, vers 1511 (reconstruction)

Ce triptyque reprend l’idée de Memling de représenter les deux Saints Jean dans les volets latéraux. Saint Jean Baptiste, son agneau et Sainte Anne trinitaire font donc pendant à Saint Jean l’Evangéliste, son aigle et la Madonne au croissant de Lune.


1511 ca _Baldung_Der_Heilige_Johannes_auf_Patmos_anagoria MET
Saint Jean à Patmos
Hans Baldung Grien, vers 1511, MET, New York

Le nouveauté du panneau est que saint Jean, ostensiblement, ne regarde pas vers l’arrière : les volutes nuageuses autour du halo lumineux signalent qu’il s’agit bien d’une pensée, d’une image purement mentale.


1514 et 1515 Baldung atelier schnewlin kapelle Freiburg im Breisgau

Atelier de Baldung Grien, 1514-15, Schnewlin Kapelle, Freiburg im Breisgau

Le panneau est copié presque à l’identique dans ce retable où le volet gauche est cette fois dédié au Baptême du Christ par Saint Jean.


1515 Erhard Altdorfer St. John on Patmos Nelson-Atkins Museum of Art
Saint Jean à Patmos
Erhard Altdorfer, 1515, Nelson-Atkins Museum of Art

Le frère d’Albrecht Altdorfer reprend la même composition en l’inversant et en la modifiant quelque peu : l’objet que Saint Jean tient dans sa main gauche est son taille-plume, preuve de la rapidité de son écriture.


1520-25 Ortolano Fondation Cini Venise
Saint Jean à Patmos
Ortolano, 1520-25, Fondation Cini, Venise

Le même part-pris de regarder ailleurs se propage en Italie (où les représentations de Saint Jean avec la Femme de l’Apocalypse sont quasi inexistantes avant celle-ci).


1533 ca franais-heures-de-saulx-tavannes-saint-jean-patmos-heures-de-saulx-tavannes-saint-jean-arsenal-ms640-f2
Saint Jean à Patmos
Heures de Saulx-Tavannes, français, 1533, Arsenal MS 640 fol 2

On le retrouve en France dans cette miniature où toute la construction en profondeur est conçue pour prouver que le Saint ne peut pas voir l’Apparition, située physiquement entre les deux arbres derrière lui.



1533 ca franais-heures-de-saulx-tavannes-saint-jean-patmos-heures-de-saulx-tavannes-saint-jean-arsenal-ms640-f2 detail
Il ne s’agit pas à proprement parler d’une vision intérieure, car l’image suggère fortement que c’est l’Aigle (dont l’oeil est latéral et notoirement bon) qui raconte à son maître ce qu’il voit.



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1540 Master of the Female Half-Lengths National Gallery
Saint Jean à Patmos
Master of the Female Half-Lengths, 1540, National Gallery

Pas de vision directe non plus dans cette composition très méditée, où réapparaît en bas à droite notre vieux démon au harpon.



1540 Master of the Female Half-Lengths National Gallery schema
Il sert ici à clôturer le parcours qui mène l’oeil du spectateur depuis la vision céleste la plus lointaine et la plus divine à la vision terrestre la plus proche et la plus diabolique, en passant par l’arbre qui fait communiquer haut et bas. Au passage le Dragon est comparé à l’Aigle (qui tient ici gentiment l’encrier dans son bec) et la montagne au saint lui-même, fermement planté sur son île.


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1598 Tobias_Verhaecht Ermitage

Saint Jean à Patmos
Tobias Verhaecht, 1598, Ermitage.

Les deux rochers (dont l’un épouse la forme de l’aigle) cachent à ce saint Jean halluciné la vue directe sur le champ de bataille.



1598 Tobias_Verhaecht Ermitage schema
En bas à gauche le Dragon s’attaque à un Ange, en haut il est vaincu par Saint Michel, déclenchant une pluie d’anges déchus au dessus d’un oiseau blanc. A droite le croissant de la Femme se reflète dans deux autres véhicules : la barque des pêcheurs qui tirent évangéliquement leurs filets, et celle de l’apôtre, de l’autre côté du crucifix.


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1620 ca Pedro de Orrente Patmos Prado Madrid

Saint Jean à Patmos
Pedro de Orrente, vers 1620, Prado, Madrid

Cette autre toile maritime entretient l’ambiguïté : le rocher gêne la vision, mais sans l’empêcher complètement. Ce qui intéresse le peintre, c’est l’analogie visuelle entre le vieil homme entouré de rochers et la jeune femme environnée de nuages, qui empruntent aux pierres la même tonalité rougeoyante (telle une île dans le ciel).


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1618 Georg_Gaertner coll part
Saint Jean écrivant
Georg Gaertner le Jeune,1618, collection particulière

Cet artiste de Nuremberg s’est spécialisé dans des tableaux à la mode de Dürer. Un siècle après lui, Il reproduit ici fidèlement sa célèbre gravure de la Femme de l’Apocalypse, accrochée derrière un Saint Jean à son étude, qui transpose quant à lui les nombreux Saint Jérôme du maître.

Une coupe avec le serpent et une tête d’aigle complètent la panoplie.


Des livres qui parlent (SCOOP !)

L’inscription sur le livre de l’étagère  « Sanguinius N°4 » montre que ce tableau représentait le tempérament Sanguin, dans une série consacrée aux quatre Evangélistes et aux quatre Tempéraments [2].


1618 Georg_Gaertner coll part detail

La phrase inscrite en haut de la page droite du livre est apparemment de l’artiste, et explique pourquoi le symbole de Saint Jean est l’aigle :

Transmettant fidèlement le mystère de la divinité du Christ, on le représente sous la forme d’un aigle christi divinitatis misterium fideliter tradens aquilae specie pingitur


Le passage en dessous est celui des Noces de Cana, tiré de l’Evangile de Jean (Jean2:1-4). Il faut probablement le relier d’une part avec le flacon d’eau pure posé sous la gravure, d’autre part avec la coupe au serpent : tout comme Jésus a transformé l’eau en vin, Saint Jean a transformé le breuvage empoisonné en eau pure.

Ainsi une chaîne symbolique s’établit entre la Femme vêtue de soleil et le serpent, lointain cousin du dragon à sept têtes.


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Terminons par un chef d’oeuvre absolu : le diptyque de Vélasquez .

1618 Velasquez Immaculee conception National_Gallery, Londres 1618 Velasquez Saint Jean National_Gallery, Londres


Diptyque de l’Immaculée Conception et de la vision de Patmos.

Vélasquez, 1618, National Gallery, Londres

Cette oeuvre de jeunesse, qui provient d’un couvent de Carmélites de Séville, avait été probablement commandée pour soutenir le dogme de l’Immaculée Conception.


L’Immaculée Conception

Comme chez Greco, la figure surplombe un paysage symbolique, réduit ici à deux éléments : un temple rond qui évoque à la fois la tour mariale et la Grèce antique de Patmos, et une fontaine d’eau pure.

L’auréole avec les douze étoiles et la demi-lune, transformée en croissant par sa luminescence intérieure, allient la précision géométrique et l’inventivité graphique. Le troisième attribut, le manteau de soleil, est au contraire très discret : un pourtour doré à la limite du manteau nous fait comprendre que la Femme masque la lumière qui éclaire les nuages.


Saint Jean

1618 Velasquez Saint Jean National_Gallery, Londres detail 1614 Vestigatio arcani sensus in apocalypsi Ludovicus ab Alcazar, Anvers,grav Don Juan de JaureguiGravure de Don Juan de Jauregui dans « Vestigatio arcani sensus in apocalypsi « , Ludovicus ab Alcazar, Anvers, 1614

La Femme de l’Apocalypse, esquissée d’après une gravure contemporaine, nous est montrée sans son enfant, comme la Vierge dans le volet de l’Immaculée Conception. Mais la lumière qui manquait à l’une est devenue ici le signe dominant, puisque c’est elle qui éclaire le visage du Saint, et son livre.



1618 Velasquez Saint Jean National_Gallery, Londres detail livre
La main est en suspens au dessus de la page de gauche : Vélasquez n’a pas oublié que Jean est un Juif qui écrit de droite à gauche [3] .

Mais les deux pages sont aussi une auto-référence  au diptyque : la page blanche à l’Immaculée Conception, la page qui commence à être écrite à la Vision de Patmos.


Un accrochage inversé (SCOOP !)

1618 Velasquez Saint Jean National_Gallery, Londres 1618 Velasquez Immaculee conception National_Gallery, Londres

D’où l’idée de présenter les deux panneaux en sens inverse de celui qui semblerait naturel : on évite ainsi la duplication gênante de la femme, et on retrouve le véritable objectif du diptyque :

montrer visuellement que la Femme de l’Apocalypse et l’Immaculée Conception ne font qu’une.



1618 Velasquez Immaculee conception National_Gallery, Londres schema

Dans le panneau de gauche, Saint Jean transcrit sa vision, entre l’Aigle, oiseau de Jupiter, et les deux livres fermés (sans doute l’Ancien Testament, en dessous et marqué d’un signet ; et l’Evangile qu’il a lui même écrit, usagé).

Dans le panneau de droite, l’Immaculée Conception regarde le Saint par derrière : c’est elle qui réellement l’inspire, trait d’union entre deux moments de l’Humanité : la Sagesse grecque et la Pureté chrétienne.



Références :
[1]Pour une agréable présentation de ces détails et des textes correspondants, voir https://francois-vidit.com/docs/fr/bruges/hopital-saint-jean/saint-jean
[1a] Anna Eörsi « Fuit enim Maria liber. Remarques sur l’iconographie de l’Enfant écrivant et du Diable versant l’encre » 1997, Bulletin du Musées Hongrois des Beaux-Arts
https://www.academia.edu/44744442/Fuit_enim_Maria_liber_Remarques_sur_l_iconographie_de_l_Enfant_%C3%A9crivant_et_du_Diable_versant_l_encre
[2] Dans son tableau des Quatre apôtres en 1528, le tempérament sangun est associé à Jean
https://fr.wikipedia.org/wiki/Les_Quatre_Ap%C3%B4tres
[3] « Patmos in the Reception History of the Apocalypse » Ian Boxall, p 205 https://books.google.fr/books?id=GlMQCvBhjOIC&pg=PA205

3-4-2 La vision de Patmos dans les Apocalypses anglo-normandes

13 juin 2019

 

Filiation des Apocalypses anglo-normandes

Apocalyses anglo-normandes schemas
Selon Peter Klein [1], toutes ces Apocalypses dérivent d’un prototype perdu, réalisé dans les années 1240, qui aurait ensuite donné naissance à trois groupes. Cette généalogie, très hypothétique puisque aucun manuscrit n’est daté, n’est pas partagée par tous les spécialistes.

Parmi la cinquantaine de manuscrits concernés[2], nous allons en feuilleter une douzaine, du point de vue qui nous intéresse ici : la figuration de Saint Jean.


A Le groupe Morgan

A1 L’Apocalypse Morgan [3]

1255-60 Apocalypse Morgan, Londres, MS M.524 fol. 2vfol 2v 1255-60 Apocalypse Morgan, Londres, MS M.524 fol. 6vfol 6v

Apocalypse Morgan, Londres, 1255-60, MS M.524

Ce manuscrit est entièrement historié, avec deux images par page. Saint Jean n’apparaît pas partout, mais la convention graphique est très simple : il est toujours à gauche de l’image, sauf pour ponctuer la fin d’un épisode.

Dans le premier exemple, la position à droite conclut l’épisode des quatre cavaliers ; dans le deuxième, elle introduit un nouvel épisode, celui des deux témoins.


1255-60 Apocalypse Morgan, Londres, MS M.524 fol. 10rfol 10r 1255-60 Apocalypse Morgan, Londres, MS M.524 fol. 16rfol 16r

Dans le troisième exemple, Saint Jean réapparaît à sa position normale pour séparer deux épisodes faciles à confondre : celui du Dragon et celui de la Bête de la mer. Dans le quatrième au contraire, il s’insère à l’intérieur de l’image pour créer un lien entre les deux moitiés : le renversement de la sixième coupe, et le résultat.


1255-60 Apocalypse Morgan, Londres, MS M.524 fol. 8v

La Femme et le Dragon (fol 8v).

A noter que Saint Jean ne figure pas dans la miniature de la Femme au dragon, ni dans celle du combat de Saint Michel avec le Dragon.

Dans ce manuscrit qui ne comporte aucune page de texte, la figurine de Saint Jean est en somme utilisée comme un signe de ponctuation graphique : tantôt tiret, tantôt trait d’union.



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1250 ca Bodleian MS Auct D4.17 fol 4vLe troisième et le quatrième cavalier (fol 4v)

Un autre manuscrit du même format (Bodleian MS Auct D4.17 [4]) suit exactement les mêmes conventions de « ponctuation ».


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A2 BNF MS Français 403 [5]

 

1250, BNF MS Francais 403 fol 9rLe quatrième cavalier (fol 9r) 1250, BNF MS Francais 403 fol 32vLa sixième coupe (fol 32v)

Salisbury, vers 1250, BNF MS Français 403

Cet autre manuscrit, très proche mais avec du texte intercalaire et une seule image par page, utilise Saint Jean de manière encore plus carrée : il est toujours à gauche, sauf dans l’image du dernier cavalier. Et il réapparaît (après quelques images où il est absent) pour marquer la spécificité de l’image de la sixième coupe.


1250, BNF MS Francais 403 fol 19vLa Femme et le Dragon (fol 19v).

Comme d’habitude dans le groupe Morgan, il ne figure pas en compagnie de la Femme au dragon.

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 Synthèse sur le  groupe Morgan

Du point de vue du positionnement de Saint Jean, le groupe Morgan se caractérise par une convention simple : il est toujours à l’intérieur de l’image, et est utilisé comme une sorte de signe de ponctuation graphique.

B Le groupe Metz

Ce groupe tire son nom d’un manuscrit de la Bibliothèque de Metz, disparu durant la seconde Guerre Mondiale.

B1 L’Apocalypse de Cambrai [6]

1260 ca BM Cambrai MS 422 fol 73rJPG 1260 ca BM Cambrai MS 422 fol 74v

La sixième coupe (fol 73r-74v)
Belgique (Louvain ?), vers 1260, BM Cambrai MS 422

Dans ce manuscrit, Saint Jean figure toujours à gauche, à l’intérieur des images : ici son apparition sert à relier les deux moitiés de l’épisode.


1260 ca BM Cambrai MS 422 fol 22rQuatrième cavalier (fol 22r)

Dans quatre images seulement, il se trouve en position externe, sur la marge large : ici cette irrégularité sert, comme d’habitude, à clôturer l’épisode des cavaliers.



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B2 L’Apocalypse d’Abingdon [7]

Ce manuscrit a une structure très particulière : l’Apocalypse est illustrée sur les pages de gauche (au dessus du texte en latin), tandis que celles de droite montrent des images complémentaires illustrant son commentaire par Berengaudus (en français).

Le personnage de Saint Jean apparaît soit en position intérieure gauche, soit plus rarement en position extérieure, du côté de la marge large. Les trois exceptions à cette règle sont intéressantes.


1250-75 BL Add MS 42555 fol 5vSaint Jean devant les sept cierges, Saint Jean devant les sept église (fol. 5v)
Apocalypse d’Abingdon,
Anglo-normand, 1250-75, BL MS Add 42555

L’illustrateur a aggloméré en une seule image deux scènes qui sont habituellement séparées . Il a donc dû représenter Saint Jean deux fois : à l‘intérieur (agenouillé avec les pieds dépassant du cadre) et à l’extérieur, debout et inspiré par l’Ange.


1250-75 BL Add MS 42555 fol 14vLe quatrième cavalier (fol. 14v)

La deuxième exception est classique : elle sert à clôturer l‘épisode des cavaliers.


1250-75 BL Add MS 42555 fol 64vUn Ange montre Babylone détruite (fol 64v) 1250-75 BL Add MS 42555 fol 65rUn Evêque réconforte les habitants d’une ville ruinée (fol 65r)

Saint Jean apparaît deux fois sur la page de gauche, à l’intérieur de l’image et dans la marge droite, le regard dirigé vers la page de droite.

Le texte de celle-ci développe une comparaison entre l’Ange de la première image et l’Eglise, personnifiée par l’évêque : la figurine marginale fonctionne comme un trait d’union, attirant l’oeil sur le parallélisme entre les deux images.



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B3 L’Apocalypse BNF Lat 14410 [8]

Saint Jean figure partout en position interne gauche, sauf dans cinq miniatures où il se trouve dans la marge large.


1275-1300 BNF Lat 14410 fol 10Premier cavalier (fol 10) 1275-1300 BNF Lat 14410 fol 11Quatrième cavalier (fol 11)

Apocalypse BNF Lat 14410
Anglo-normand, 1275-1300, BNF Lat 14410

Ici on comprend qu’il encadre les deux images consacrées aux cavaliers.


1275-1300 BNF Lat 14410 fol 21La quatrième trompette (fol 21)

De manière assez subtile, il intervient dans une seule des six miniatures consécutives de la série des trompettes, pour tenir compagnie à son oiseau favori, l’aigle, qui ici dit trois fois « Malheur ».


1275-1300 BNF Lat 14410 fol 15La multitude des Elus (fol 15) 1275-1300 BNF Lat 14410 fol 16L’ouverture du septième sceau (fol 16)

Les deux autres apparitions de la figurine marginale semblent destinées à lier deux images recto-verso qui se passent en fait dans des lieux contigus (l’autel est à côté du trône), comme le montre la Mandorle avec le Christ.



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B4 L’Apocalypse des Cloisters [9]

1330 Apocalypse des Cloisters fol 10v Le controle des quatre ventsLe contrôle des quatre vents (fol 10v ) 1330 Apocalypse des Cloisters fol 11r La benediction des ElusLa bénédiction des Elus (Apocalypse 7) (fol 11r)

L’Apocalypse des Cloisters
Normand, vers 1330, MET, New York

Dans ce manuscrit très régulier, Saint Jean est toujours à gauche lorsqu’il est en position intérieure. Dans neuf miniatures, il apparaît en position extérieure, toujours sur la marge large :

  • dans trois couples : 5v-6r, 6v-7r, 8v-9r (troisième et quatrième cavalier) ;
  • sur l’image isolée de la Multitudes des Elus (5r) ;
  • entre la quatrième et la cinquième trompette (14r, 14v).



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Synthèse sur le  groupe Metz

Du point de vue du positionnement de Saint Jean, le groupe Metz voit apparaître une innovation par rapport au groupe Morgan : la figurine sort à l’extérieur de quelques images, toujours les mêmes, et toujours sur la marge large (sauf dans le format très particulier de l’Apocalypse d’Abingdon )


1260 ca BM Cambrai MS 422 fol 22r detailCambrai MS 422 fol 22r (détail)

Le cadre de l’image prend une épaisseur matérielle : auparavant simple délimitation graphique, il est vu maintenant comme une cloison dans laquelle l’illustrateur prend soin de ménager une sorte de judas, afin que la Saint puisse voir et entendre. Ce dispositif ambigu déclare à la fois que Jean est en dehors de l’image (comme le Lecteur est en dehors du Livre), et qu’il en fait partie (puisqu’il peut manipuler le judas). On remarquera que cette perméabilité concerne également le cheval, qui vient marcher en avant du cadre.

Ces jeux avec la limite des conventions graphiques prouve une certaine maturité du regard, une prise de distance par rapport à l’immersion brutale dans le surnaturel que devaient apprécier les lecteurs des générations précédentes.



C Le groupe Westminster

Ce groupe rassemble des manuscrits de très haute qualité, destinés à la Cour.


C1 L’Apocalyse de la reine Eleanor [10]

La convention graphique de ce manuscrit est très simple : Saint Jean apparaît dans presque toutes les miniatures, à l’intérieur de l’image et à gauche, debout et tenant un livre.

1250 R.16.2_013_R.16.2_005rFol 5r
Anglo-normand, vers 1250, Trinity College R.16.2

Cette page comporte deux positions différentes de Saint Jean :

  • en haut intégré dans l’image : il s’agit ici d’une scène double ( Saint Jean écoute l’Ange puis le Vieillard, Apocalypse 5:1-5)
  • en bas dans une case séparée (solution abandonnée après ce feuillet)

Pour briser l’uniformité, l’artiste alterne les fonds bleu et rouge ; de même il inverse régulièrement les couleurs de la robe et du manteau : c’est le livre et la position à gauche qui permettent d’identifier Saint Jean.


1250 R.16.2_020_R.16.2_008vFol 8v 1250 R.16.2_021_R.16.2_009r.jpgFol 9r

Trinity College, Cambridge

Une transition plus radicale se produit au tournant d’une page : le jeune homme imberbe devient pour toute la suite un barbu grisonnant.


1250 R.16.2_029_R.16.2_013rFol 13r Trinity College, Cambridge

Dans la page dédiée à la Femme de l’Apocalypse, Saint Jean n’apparaît pas.


1250 R.16.2_054_R.16.2_025vFol 25v Trinity College, Cambridge

Toute l’efficacité de la convention se révèle dans cette Vision de la Jérusalem Céleste : un enchaînement de relais fait monter le lecteur, via Saint Jean puis l’Ange devant les murailles, puis le même Ange à l’intérieur de la ville en train de la mesurer, jusqu’à la source du « fleuve d’eau de la vie » (Apocalypse 21:10-27).


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C2 L’Apocalypse de Toulouse [11]

1300-20 Apocalypse de Toulouse BM Toulouse ms 815 fol 24v 25rfol 24v-25r
Apocalypse de Toulouse, 1300-20, BM MS 815

Dans ce manuscrit, qui dérive visiblement de celui de la Reine Eleanor, Saint Jean apparaît dans pratiquement toutes les images, y compris celle de la Femme et du Dragon, et toujours à gauche.


1300-20 Apocalypse de Toulouse BM Toulouse ms 815 fol 39v 40rfol 39v-40r

La seule exception est dans cette double page où, exceptionnellement, la Grande Prostituée figure deux fois : assise « sur les grandes eaux » et assise « sur une bête écarlate ». La figure de Jean sert de trait d’union entre les deux


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C3 L’Apocalypse Add MS 35166 [12]

1250-1300 BL Add MS 35166 fol 16v Femme vetue de soleilLa Femme vêtue de soleil (fol 16v)
L’Apocalypse Add MS 35166, Anglais, 1250-99, British Library Add MS 35166

Beaucoup moins complexe que le précédent mais réalisée selon les mêmes schémas de composition (une miniature en haut de chaque page, encadrée en vert et or, au dessus du texte et du commentaire), ce manuscrit présente Saint Jean en position interne gauche, dans toutes les images où il figure.


1250-1300 BL Add MS 35166 fol 18r Le dessechement de l'EuphrateLe dessèchement de l’Euphrate (début de la sixième coupe) (fol 18r ) 1250-1300 BL Add MS 35166 fol 18v Le resultatLe résultat (fin de la sixième coupe) (fol 18r )

Le seule exception est intéressante, car elle apparaît au même endroit que que dans l’Apocalypse de Cambrai, pour attirer l’attention du lecteur sur le fait que la scène de la sixième coupe se prolonge sur deux miniatures.

Quant à la position externe, elle se présente seulement cinq fois : à gauche en marge large (fol 10v 21v, 25v), à gauche en marge étroite (fol 11r), et à droite en marge large (fol 24r).


1250-1300 BL Add MS 35166 fol 24r

fol 24r

Ici, c’est sans doute parce que l’image illustre deux phrases successives (le Christ dans le pressoir et la Vision des armées célestes, Apocalypse 8 :13-14). Ce qui confirme le rôle de la figurine marginale comme auxiliaire de lecture.


1250-1300 BL Add MS 35166 fol 10v L'Adoration de l'Agneau et du SeigneurL’Adoration de l’Agneau et du Seigneur (fol 10v) 1250-1300 BL Add MS 35166 fol 11r Le septième sceauLe septième sceau (fol 11r)

Dans ces deux feuillets côte à côte, l’illustrateur s’est donné la peine, à droite, de choisir la marge étroite, afin d’accentuer le parallélisme entre les deux compositions. La preuve qu’il ne s’agit pas d’une erreur est qu’on retrouve exactement la même disposition des figurines marginales, aux mêmes folios 10v et 11r, dans un autre manuscrit anglais plus ancien et qui en est certainement le prototype [13].


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C4 L’Apocalypse Getty [14]

L’Apocalypse Getty (anciennement Dyson Perrins), manuscrit anglais des années 1255-60 est une oeuvre très innovante, puisque ses quatre-vingt deux illustrations incluent la figure de Saint Jean : après trois pages introductives, touts les autres illustrent verset par verset le texte de l’Apocalypse.

Tous les folios ont la même structure : le texte de l’Apocalyse en noir, un commentaire en rouge, et au dessus la miniature dans un encadrement vert et or.


Normalisation et exception (SCOOP !)

1255-60 Anglais getty museum Ms. Ludwig III 1 (83.MC.72) fol 2v sept eglises d'Orientfol. 2v, Apocalypse Getty
Anglais, 1255-60, Getty museum Ms. Ludwig III 1 (83.MC.72)

« J’entendis derrière moi une voix forte, comme le son d’une trompette, et qui disait : « Ce que tu vois, écris-le dans un livre, et envoie-le aux sept Eglises »

La figure du narrateur indique que le récit à la première personne commence ici, et il est placé à droite, pour bien montrer que le voix se situe « derrière lui« .

On remarquera que cette position est malcommode, puisqu’elle oblige à caser le Saint dans la marge la plus étroite, côté reliure. L’artiste commence ici par une exception délibérée à ses propres conventions graphiques, qui sont au nombre de trois.


Les trois formules (SCOOP !)

Pour les déceler, il faut considérer les pages par couples, un verso à gauche et un recto à droite, telles qu’on les voit quand le livre est grand ouvert. On ne rencontre que les trois formules  ci-dessous  :

  • « interne » : Saint Jean est à l’intérieur du cadre et à gauche (22 cas « IG-IG ») ;
  • « externe » : Saint Jean est à l’extérieur du cadre, sur la marge large (9 cas « EG-ED ») ;
  • « mixte » : Saint Jean est au verso à l’extérieur gauche, au recto à l’intérieur droit (11 cas « EG-IG »).

On comprend que la formule interne s’impose lorsque le Saint a une interaction avec un autre personnage, mais elle est aussi employée dans des cas où il se trouve en position purement contemplative.


1255-60 Anglais getty museum Ms. Ludwig III 1 (83.MC.72) liste 1 1255-60 Anglais getty museum Ms. Ludwig III 1 (83.MC.72) liste 2

Dans cette liste, la formule interne est en jaune, la formule externe en bleu, la formule mixte en vert. L’alternance entre les trois formules ne semble pas avoir d’autre raison qu’un souci de variété. Mais Les rares exceptions (en rouge) méritent d’être étudiées, car l’illustrateur s’en sert pour créer un effet de surprise, porteur d’une signification particulière.


Des exceptions significatives

1255-60 Anglais getty museum Ms. Ludwig III 1 (83.MC.72) fol 4v The Vision of GodLa vision de Dieu sur son trône (fol 4v) 1255-60 Anglais getty museum Ms. Ludwig III 1 (83.MC.72) fol 5 The Vision of the LambLa vision de l’Agneau (fol 5r)

(Getty museum)

En comparant les deux images côte à côte, le spectateur voit immédiatement que le personnage barbu, vêtu en gris et qui passe ridiculement la tête par le trou du cadre (comme dans un noeud coulant) n’est pas Saint Jean…

1255-60 Anglais getty museum Ms. Ludwig III 1 (83.MC.72) fol 4v 5r detail

…mais Judas, contemplant sa victime (l’Agneau sacrifié).


1255-60 Anglais getty museum Ms. Ludwig III 1 (83.MC.72) fol 7v The Fourth Horseman

Le quatrième cavalier (fol 7v)
(Getty museum)

Selon la formule interne, ce verso devrait montrer le Saint en Intérieur gauche, tout comme pour les trois miniatures précédentes qui illustrent les autres cavaliers. En le plaçant à l’extérieur droit, l’illustrateur clôture la séquence tout en créant un effet visuel amusant, avec l’Aigle qui tente de s’enfuir à travers le trou pour rejoindre son maître.


1255-60 Anglais getty museum Ms. Ludwig III 1 (83.MC.72) fol 19v Femme vetue de soleil OKLa Femme vêtue de soleil (fol 19v) 1255-60 Anglais getty museum Ms. Ludwig III 1 (83.MC.72) fol 20r The Woman Clothed in the SunLa Femme vêtue de soleil donne son enfant à l’Ange (fol 20r)

(Getty museum)

Selon la formule interne, le folio de droite devrait montrer Saint Jean à l’intérieur du cadre : en le plaçant sur la marge droite, dans quelle la nuée déborde, l’illustrateur attire notre attention sur le détail qu’il faut voir : la Femme qui disparaît après avoir sauvé son enfant.


1255-60 Anglais getty museum Ms. Ludwig III 1 (83.MC.72) fol 20v The Battle between the Angel and the DragonLe combat entre l’ange et le Dragon au dessus de la Mer (fol 20v) 1255-60 Anglais getty museum Ms. Ludwig III 1 (83.MC.72) fol 21 Le Demon de la TerreLe Démon de la Terre (fol 21)

(Getty museum)

L’illustrateur conserve la même position anormale à l’image suivante, pour créer un effet dramatique en plaçant le Saint du côté des dragons, les contemplant par une fente étroite. Avant de revenir, à l’image suivante, à la classique formule interne.



1255-60 Anglais getty museum Ms. Ludwig III 1 (83.MC.72), fol 23v The Dragon Giving the Sceptor of Power to the BeasLe Dragon donne le sceptre du Pouvoir à la Bête (fol 23v)
(Getty museum)

Selon la formule externe, le Saint devrait être placé dans la marge gauche : en l’inversant, il semble que l’illustrateur a peut être voulu créer une correspondance avec l’autre scène maritime que nous venons de voir (fol 20v), les feuillets intermédiaires montrant des scènes terrestres.



1255-60 Anglais getty museum Ms. Ludwig III 1 (83.MC.72), fol 34v Le dessechement de l'Euphrate (debut de la sixieme coupe)jpgLe dessèchement de l’Euphrate (début de la sixieme coupe) ( fol 34v)
(Getty museum)

Selon la formule interne, Saint Jean devrait être en intérieur gauche, ce qui est le cas pour les illustrations des six autres sceaux. L’exception, que nous avons déjà rencontrée, signale qu’il s’agit d’une situation intermédiaire, avant l’image montrant le résultat de l’action du Sixième sceau (celui-ci étant le seul auquel sont consacrées deux images).


Un illustrateur inventif

Ce manuscrit exceptionnel révèle donc un dessinateur particulièrement inventif, explorant les possibilités formelles qu’offre le jeu avec le cadre. Mais son innovation la plus spectaculaire reste cette figuration systématique du Saint qui, par un puissant effet de relais, aspire le spectateur à l’intérieur de sa vision horrifique.


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C5 BNF Lat 10464 [15]

Cet autre manuscrit anglais de la même époque a de nombreuses affinités avec l’Apocalypse Getty

1275-1300 BNF Lat 10464 fol 11rBNF Lat 10464 fol 11r 1255-60 Anglais getty museum Ms. Ludwig III 1 (83.MC.72) fol 9v L'adoration de l'Agneau et du SeigneurGetty fol 9v (Getty museum)

L’adoration de l’Agneau et du Seigneur (Apocalypse 7:9-17)

Par exemple, ces deux illustrations du même passage montrent tous deux Saint Jean en position externe, écoutant l’un des viellards :

« Alors un des vieillards, prenant la parole me dit:  » Ceux que tu vois revêtus de ces robes blanches qui sont-ils, et d’où sont-ils venus?  » « 

L’interversion de la position de Saint Jean correspond-elle au fait que les illustrations sont décalées, l’une au recto et l’autre au verso ?


1275-1300 BNF Lat 10464 fol 21rBNF Lat 10464 fol 21r 1255-60 Anglais getty museum Ms. Ludwig III 1 (83.MC.72) fol 19v Femme vetue de soleil OKGetty fol 19v (Getty museum)

Pour la Femme de l’Apocalypse, le décalage n’a en revanche pas d’effet sur la position du Saint, qui reste en interne gauche.

1275-1300 BNF Lat 10464 fol 21VBNF Lat 10464 fol 21v 1255-60 Anglais getty museum Ms. Ludwig III 1 (83.MC.72) fol 20r The Woman Clothed in the SunGetty fol 20r (Getty museum)

Pour la Femme et le Dragon, même chose : le décalage n’a pas d’effet sur la composition.

On constate dans certaines parties une volonté de constitution de couples symétriques : par exemple dans la série des Sept Eglises, les positions du saint sont symétriques entre le verso et le recto. Mais ce principe ne se maintient pas dans l’ensemble du manuscrit.



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C6 Apocalypse de Douce [16]

L’Apocalypse de Douce (Anglais, 1250 -75, British Library, Bodleian Ms180) est très proche des deux précédentes.


1250–75 Douce_Apocalypse_-_Bodleian_Ms180_-_fol 22vDouce fol 22v (British Library) 1255-60 Anglais getty museum Ms. Ludwig III 1 (83.MC.72) fol 9v L'adoration de l'Agneau et du SeigneurGetty fol 9v (Getty museum)

L’adoration de l’Agneau et du Seigneur (Apocalypse 7:9-1)

Ces deux images, toutes deux au verso, ont la même composition.


1250–75 Douce_Apocalypse_-_Bodleian_Ms180_-_fol 33v_Woman_Clothed_in_the_SunDouce fol 33v (British Library) 1255-60 Anglais getty museum Ms. Ludwig III 1 (83.MC.72) fol 19v Femme vetue de soleil OKGetty fol 19v (Getty museum)

La Femme de l’Apocalypse est très semblable dans les deux manuscrits.


1250–75 Douce_Apocalypse_-_Bodleian_Ms180_-_fol 34r_Woman_Clothed_in_the_SunDouce fol 34r (British Library) 1255-60 Anglais getty museum Ms. Ludwig III 1 (83.MC.72) fol 20r The Woman Clothed in the SunGetty fol 20r (Getty museum)

La Femme au Dragon en revanche, est différente : la figure de Jean est absente, et la position de la Femme est inversée, alors que les deux images sont au recto.

Malgré quelques affinités, l’Apocalypse de Douce ne partage pas du tout les mêmes contraintes formelles que l’Apocalypse Getty :

  • Saint Jean n’est pas présent dans toutes les images (seulement dans 67 sur 97) ;
  • Sa position dominante est la position interne : 39 à Gauche, 13 à Droite, 3 au Centre, et 5 où il se trouve deux fois, à gauche et à droite.
  • La position externe est rare : 4 cas à Gauche, 3 à droite.
1250–75 Douce_Apocalypse_-_Bodleian_Ms180_liste 1 1250–75 Douce_Apocalypse_-_Bodleian_Ms180_liste 2

De plus, on ne constate pas du tout une volonté de regrouper les compositions par couples symétriques. Les positions du Saint alternent arbitrairement, même à l’intérieur d’une même série.



Un bon exemple est la comparaison de la série des Sept Eglises avec le BNF Lat 10464 (le Getty ne comporte pas cette série). Alors que le premier manuscrit montre une volonté de constituer des couples symétriques, le second ne révèle aucune régularité.

Si l’illustrateur du Getty montre clairement une volonté de mettre en place des régularités, afin d’attirer l’attention du lecteur sur les ruptures de rythme, les autres copistes ne montrent pas un tel esprit de système : même si l’utilisation de calques aurait pu permettre, dans un même atelier, d’inverser facilement des images selon qu’elles se trouvaient au recto ou au verso, on constate d’une part que certaines ne sont jamais inversées (Saint Jean devant la Femme) alors que d’autres le sont parfois, mais sans règle systématique (La Femme et le Dragon).



Synthèse sur le  groupe Westminster

Du point de vue du positionnement de Saint Jean, le groupe Westminster se caractérise par une présence accrue du saint (sans doute synonyme de richesse) et l’utilisation de toutes les possibilités graphiques :

  • position interne à gauche ou à droite ;
  • position externe sur la marge large ou sur la marge étroite.

Ces manuscrits hautement sophistiqués s’adressaient à un public capable de remarquer les ruptures de régularité, et de chercher à leur donner un sens. Cependant, seul l’illustrateur de l’Apocalypse Getty a développé un système formel assez strict pour donner aux rares écarts une valeur expressive indubitable. Les manuscrits postérieurs sont plus sujets à l’arbitraire, comme si les lecteurs, désormais accoutumés à l’omniprésence de Saint Jean, appréciaient plus la variété (par rapport aux autres commanditaires) que la mise au point de conventions graphiques rigoureuses.



Références :
[1] « Apocalypses anglaises du XIIIe siècle », Yves Christe, Journal des Savants Année 1984 1-2 pp. 79-91
[10] L’Apocalyse du Trinity College http://sites.trin.cam.ac.uk/james/show.php?index=1199
[13] Cambridge, Trinity College, MS B.10.2 : http://trin-sites-pub.trin.cam.ac.uk/james/viewpage.php?index=58

3-4-1 La vision de Patmos : ses origines

13 juin 2019

Les spécialistes ont patiemment exploré le vaste et complexe corpus des manuscrits médiévaux de l’Apocalypse, et distingué différentes familles. Nous allons parcourir quelques exemples selon les filiations présumées, mais en nous intéressant uniquement à deux questions particulières :

  • quelles conventions graphiques régissent les représentations de Saint Jean ?
  • comment en particulier est-il représenté (ou pas) face à la Femme de l’Apocalypse [1] ?



La figuration de Saint Jean (haut moyen àge)

Je suis ici la classification en quatre familles de Peter Klein [2].


1) Le groupe carolingien : Trêves/Cambrai

 

880-900 Apocalypse de Cambrai, BM Cambrai, Ms. 386 fol 6v LaodiceeL’Eglise de Laodicée (fol 6v) 880-900 Apocalypse de Cambrai, BM Cambrai, Ms. 386 fol. 27rLa Femme et le Dragon (fol. 27r)

Apocalypse de Cambrai, 880-900 , BM Cambrai, Ms. 386

Le manuscrit le plus ancien de ce groupe est l’Apocalypse de Trêves (Trier Stadtbibl. codex 31), 800-25, copié à Cambrai à la fin du siècle. La convention graphique est simple : lorsque la miniature est sur la page gauche, Saint Jean est en bas à gauche ; et réciproquement. La figurine fonctionne en somme comme un auxiliaire de lecture, indiquant où il faut poser son doigt.

A noter que l’artiste a traduit « vêtue de soleil » en rajoutant l’astre sous le pied droit de la Femme, la Lune étant sous le gauche.


cambrai-apocalypse

La vision de la Jérusalem céleste, fol 42r

Notons que cette convention d’alternance est enfreinte lorsqu’elle contredit la convention du visionnaire,  selon laquelle celui qui voit est à gauche. C’es le cas dans cette scène où l’Ange montre à Saint Jean la Jérusalem Céleste.


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2) Le groupe Valenciennes/Paris/Bamberg

 

800-25 Valenciennes, BM MS 99 fol 15rLa multitude des Elus (fol 15r) 800-25 Valenciennes, BM MS 99 fol 23rLa Femme et le Dragon (fol 23r)

Valenciennes, 800-25, BM MS 99 [3]

Dans le manuscrit de Valenciennes, la convention est très simple : dans les miniatures où il est présent, Saint Jean se place toujours à gauche (que ce soit une page verso ou recto), à une exception près :

800-25 Valenciennes, BM MS 99 fol 31r
La Grande Prostituée de Babylone (fol 31r)

La vision scandaleuse doit forcément apparaître au plus bas de la page. Et comme le texte dit explicitement :« Viens, je te montrerai le logement de la grande prostituée qui est assise sur les grandes eaux… (Apocalypse 17:1) », l’Ange prend à gauche la place de celui qui montre, remplaçant provisoirement Saint Jean dans le rôle d’admoniteur.



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BNF n.a Lat 1132 fol 10v La multitude des elusLa multitude des Elus (fol 10v) BNF n.a Lat 1132 fol 17r La femme et le dragonLa Femme et le Dragon (fol 17r)

Paris, 900-25, BNF n.a Lat 1132 [4]

Un siècle plus tard, le copiste de Paris suit les mêmes principes (et la même exception pour la Prostituée).


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1000-20 Apocalypse de Bamberg Msc. Bibl. 140 fol 21r La troisieme trompetteLa troisième trompette (fol 21r)

1000-20 Apocalypse de Bamberg Msc. Bibl. 140 fol 29V La Femme et le DragonLa Femme et le Dragon (fol 29v)

Apocalypse de Bamberg, 1000-20, Msc. Bibl. 140 [5]

Enfin, encore un siècle après, dans le manuscrit othonien de Bamberg, Saint Jean apparaît à gauche ou à droite, sans règle particulière. Souvent il ne joue pas de rôle narratif particulier, mais permet d’enrichir les images trop vides, comme celles des trompettes. En tout cas on n’a pas toujours pas besoin de lui dans l’image-choc de la Femme avec le Dragon.


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3) Le groupe mixte

1100-50 Bodleian Library MS. Bodl. 352 fol 008v
Apocalypse de Haimo [6]
1100-50, Allemagne du Sud, Bodleian Library MS. Bodl. 352 fol 008v

Ce groupe, peu homogène, présente des iconographies vraiment bizarres. L’Apocalypse de Haimo, par exemple, se compose de quatorze feuillets extrêmement compacts, sortes de tableaux synoptiques dans lesquels le personnage de Jean n’apparaît pratiquement pas. Voici celui qui concerne la Femme et le Dragon (dans le registre inférieur).


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4) Les Beatus

Il s’agit d’une série de manuscrits espagnols, qui suivent une tradition textuelle et iconographique spécifique.


980-999 Beatus-san-millan Livre 980-999 Beatus-san-millan

Beatus de San Millan, 980-1000

La figure de Saint Jean est pratiquement absente des illustrations, sauf de celles où il joue explicitement un rôle : lorsque l’Ange lui donne un livre, ou le bénit, ou lui désigne les sept églises, ou lui montre la Jérusalem céleste.


 

 

 

 

  


Beatus de LiebanaBeatus de Lebiana (Codex de Fernando I et Dona Sancha), 1047, Bibliothèque Nationale d’Espagne, Codex Vitr/14/2 [7]

1086 Beatus de Lebiana Burgo de Osma, Archives de la Cathedrale, Ms 7 f 117vBeatus de Lebiana, 1086, Burgo de Osma, Archives de la Cathedrale, Ms 7 f 117v.

Il ne figure en revanche jamais dans l’illustration dédiée à la Femme et au Dragon, qui suit une iconographie très stéréotypée. La Femme se trouve en haut à gauche de l’image. Dans les illustrations les plus riches, elle est représentée deux fois : en haut avec ses attributs, en bas avec les ailes que l’ange lui a données pour échapper au dragon : elle symboliserait ainsi l’Eglise céleste (avec les ailes) et l’Eglise terrestre. L’image ne prétend pas reconstituer ce que Saint Jean a eu sous les yeux, mais vise plutôt à proposer un panorama conceptuel de ce qu’il a écrit :

« Les figures sont à lire selon l’ordre de la pensée et non selon l’ordre d’une réalité sensible incluse dans un lieu, un temps, un espace uniques et synthétisés » Mireille Mentré [8]



La figuration de Saint Jean (Moyen âge)


Le Liber Floridus

Cette encyclopédie médiévale a été recopiée de nombreuses fois. Certaine de ces versions comportent une représentation synthétique de l’Apocalypse, inspirée par celle des Beatus : mais l’introduction de Saint Jean en haut à gauche décale vers le bas la Femme de l’Apocalypse.


1150-99 Liber Floridus de Wolferbuttel fol 34

Liber Floridus de Wolfenbüttel
1150-99, Herzog Augustbibliothek, Gudeanus lat. 1 fol 34 [9]

Saint Jean n’est pas ici figuré en tant que visionnaire, mais plutôt en tant qu’admoniteur qui, face au spectateur, introduit la scène au lecteur.

 

 

 

 

 1260 ca Liber-Floridus-BNF Latin 8865 fol 39Liber-Floridus, vers 1260, BNF Latin 8865 fol 39

1450-75 Jean Mansel Liber Floridus Chantilly, musee Conde MS 724 folio14vJean Mansel, 1450-75, musée Condé, Chantilly, MS 724 fol 4v

De copie en copie, l’iconographie du Liber Floridus reste remarquablement stable durant trois siècles.


 

Les Apocalypses anglo-normandes

Entre 1240 et 1300, l’Angleterre a connu une exceptionnelle floraison de manuscrits de l’Apocalypse, d’abord destinés à des religieux, puis ensuite à la cour. La richesse et la complexité de ces oeuvres impose de les examiner à part (voir 3-4-2 : les Apocalypses anglo-normandes).



 

Les Apocalypses tardives (XIVème siècle)

Après la phase d’exploration de toutes les possibilités graphiques et sémantiques qu’offre l’introduction de Saint Jean comme héros récurrent, les illustrateurs s’assagissent et se limitent à des formules très simples.

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L’Apocalypse Corpus Christi [10]

1330-39 Apocalypse Corpus Christi MS 020 fol 27rLe Dragon à sept têtes (fol 27r) 1330-39 Apocalypse Corpus Christi MS 020 fol 43vLa Grande Prostituée (fol 43v)

Apocalypse Corpus Christi (Visio Sancti Pauli)
1330-39, Parker Library MS 020

Dans ce manuscrit extrêmement homogène, Saint Jean figure dans toutes les miniatures, dans un compartiment adjacent à gauche de l’image. Et même lorsqu’il interagit avec l’Ange, il l‘attire dans son compartiment, plutôt que de pénétrer dans l’image.



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Apocalypse Queen Mary [11]

1300-25 Royal MS 19 B XV f 20v

La Femme de l’Apocalypse (f 20v)
Apocalypse Queen Mary
Anglo-normand, 1300-25, Royal MS 19 B XV

Ce manuscrit très imaginatif rompt avec les illustrations littérales : l’artiste fait l’impasse sur le vêtement de soleil, inventant une apparition élégante et blafarde qui se découpe sur le firmament étoilée, arquée comme son croissant de lune et entourée de six figures tonitruantes.


1300-25 Royal MS 19 B XV f

Le combat contre le dragon (f 22v)

La même réapparaît deux feuillets plus loin, ailée et confirmant son affinité avec l’arc de cercle.


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Apocalypse de 1333 [12]

Français, 1333, BNF Français 13096

Ce manuscrit est très systématique, puisque saint Jean figure dans tous les couples de pages, selon deux formules seulement.


1333 Apocalypse_de_S_Jean_BNF Français 13096 fol 28rfol 33v 1333 Apocalypse_de_S_Jean_BNF Français 13096 fol 34rfol 34r

Soit, dans le cas le plus fréquent, la page de gauche laisse suffisamment de place sous le texte pour y placer l’image de Saint Jean écrivant, auquel cas il ne figure pas dans la grande miniature de droite.


1333 Apocalypse_de_S_Jean_BNF Français 13096 fol 27vfol 27v 1333 Apocalypse_de_S_Jean_BNF Français 13096 fol 28rfol 28r

Soit la page de gauche est entièrement textuelle, et la figure de Saint Jean écrivant se déporte à gauche de la miniature principale.

Cette convention très efficace pose donc Saint Jean à la fois en visionnaire (il regarde vers la droite) et en relais du spectateur à l’intérieur de l’histoire (il écrit ce que je lis).



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La tenture d’Angers

Dans le format très différent de la tapisserie, cette autre série est intéressante à étudier du même point de vue des conventions graphiques (malgré ses quelques manques).


La femme revêtue du soleil
La Femme vêtue de soleil (troisième pièce)
Hennequin de Bruges, 1373-77, Château d’Angers [13].

La Femme vêtue de soleil obéit à la convention graphique la plus fréquente : le Saint est à gauche, isolé dans un baldaquin en situation de spectateur. Une autre convention respectée dans toutes les pièces est l’alternance du fond rouge (comme ici) et du fond bleu.


La grande prostitué sur les eauxLa grande prostituée sur les eaux (5ème pièce) La prostitué sur la bêteLa prostitué sur la bête (5ème pièce)

Dans quatre cas, Saint Jean quitte son édicule pour effectuer une interaction avec un autre personnage.


Le Christ au glaive

Christ au glaive (1ère pièce)

Les âmes des martyrsAmes des martyrs (1ère pièce)

Dans un certain nombre de cas, il n’y a pas d’édicule : en général c’est pour permettre une interaction (exemple de gauche) mais pas toujours (exemple de droite).

Enfin, dans les pièces 2 à 4, six scènes sont inversées par rapport à la convention dominante : le Saint figure à droite (5 dans son édicule, 1 sans édicule).


Les deux témoinsLes deux témoins La mort des deux témoinsMort des deux témoins
Joie des hommes devant les témoinsDevant les témoins morts Les témoins ressuscitentLes témoins ressucités

Cet exemple isolé d’inversion (le seule dans la pièce 4) a une certaine valeur expressive : en rompant la continuité narrative, il attire l’attention sur l’irruption de la violence, et met en parallèle les témoins morts et les témoins ressuscités.



1373-77 Hennequin de Bruges Tenture d'Angers schema 1
Un panorama de l’ensemble montre bien l’écrasante supériorité de la formule dominante : à gauche dans un édicule. La pièce 2 concentre les inversions, comme si on avait envisagé d’alterner globalement la position du saint d’une pièce à l’autre, avant d’y renoncer.



1373-77 Hennequin de Bruges Tenture d'Angers schema 2
Dans les trois dernières pièces en tout cas, les inversions sont absentes.


Les Apocalypses du XVème siècle

Dans ces manuscrits somptueux, les artistes donnent libre cours à leur imagination et à leur virtuosité : les anciennes conventions sont remplacées par des part-pris spécifiques à chaque maître, voire à chaque manuscrit.

Nous n’allons présenter qu’un seul exemple, qui renouvelle complètement l’iconographie habituelle de la Femme de l’Apocalypse


L’Apocalypse de Jean de Berry [14]

1415 ca Morgan MS M.133 fol. 36v Femme et DragonLa Femme et le Dragon (fol. 36v) 1415 ca Morgan MS M.133 fol. 65v La Grande ProstitueeLa Grande Prostituée (fol. 65v)

Maître de L’Apocalypse de Jean de Berry ,France, vers 1415, Morgan MS M.133

L’artiste très original qui a réalisé ce manuscrit a comme parti-pris de représenter Saint Jean le moins souvent possible, et de faire l’impasse sur les détails habituels. Je résume ci-dessous l’explication lumineuse que donne Richard K. Emmerson de ces deux énigmatiques miniatures [15].

La Femme sans soleil

Dans celle de la Femme avec le Dragon, le maître a omis le soleil et les douze étoiles, mais mis en évidence son ventre de femme enceinte. Il a rajouté au centre trois mentions manuscrites : « notre dame » et « leglise » sous le ventre de la Belle, « dragon » sur le ventre de la Bête. Ces inscriptions confirment l’interprétation de la Femme de l’Apocalypse comme représentant à la fois Marie et l‘Eglise, menacées par le Diable. La couronne renforce l’interprétation mariale, tandis que la palme de martyre dans la main droite, le livre dans la main gauche, appuient l’ interprétation ecclésiale.

Pour Richard K. Emmerson, l’absence de soleil est relative au contexte politique du Grand Schisme, qui justement est en train de se terminer à l’époque du manuscrit : le dernier pape d’Avignon, Benoît XIII, est sur le point d’être déposé définitivement par le pape de Rome, Urbain VI. Or pendant son exil, Benoît XIII, autrement dit Pedro della Luna, s’était réfugié chez Louis II d’Anjou, l’oncle de Jean de Berry. Pour traduire sommairement cette image très politique : « l’Eglise aujourd’hui n’a plus de chef, mais un dragon qui attaque Pedro« 


La Femme sans étoiles (SCOOP !)

A l’appui de cette interprétation, ajoutons que les étoiles, que le dragon fait tomber du ciel avec sa queue, sont ici au nombre de douze : celles qu’il a volées à l’Eglise.


La Prostituée astrale

Trente feuillets plus loin, le maître insère une nouvelle iconographie pour la Grande Prostituée, juste avant l’image où elle chevauche la Bête écarlate. Ici, elle est assise sur une chaise curule, les pieds sur la Lune et un petit soleil coincé entre ses cornes démoniaques. Emmerson a montré que l’artiste prend à contre-pied le texte (le commentaire de l’Apocalypse par Berengaudus), qui compare pour les opposer la Prostituée à la Femme vêtue de Soleil : ici, l’image dit en somme que la Prostituée (l’Eglise de Rome) a volé les attributs de l’Eglise.

Cette interprétation politique est corroborée par le fait qu’une autre Apocalypse de la même époque (Maître des Médaillons, Ms 28 fol 100v, Musée Condé, Chantilly) reprend la même idée d’affubler la Grande Prostituée des attributs de la Femme de l’Apocalypse.



Les exemples que nous venons de voir montrent bien le dilemme des illustrateurs médiévaux de l’Apocalypse : la position naturelle de Saint Jean est à gauche, à la fois en tant qu’admoniteur et en tant que visionnaire. Mais le besoin de rompre la monotonie oblige à introduire minoritairement des inversions, parfois justifiées, souvent arbitraires.

Pour ceux qui s’intéressant à des conventions graphiques particulièrement sophistiquées, voir mon article détaillé sur la position de Saint Jeean dans les Apocalypses anglo-normandes, 3-4-2 : les Apocalypses anglo-normandes.



Références :
 [1] Pour un panorama général des attitudes de Saint Jean dans les Apocalypses de différentes époques, voir Richard K. Emmerson, « Visualizing the Visionary: John in his Apocalypse.” dans « Visions, Dreams and Insights in Medieval Art and Thought ». Ed. Colum P. Hourihane. Index of Christian Art series. Pennsylvania State University Press, 2010. pp. 148-76.
[2] « Les cycles apocalyptiques du Haut Moyen Âge, à propos de trois ouvrages récents » Yves Christe, Journal des Savants, Année 1977, 4, pp. 225-245 https://www.persee.fr/doc/jds_0021-8103_1977_num_4_1_1359
Pour une vue générale et plus récente des différentes familles de manuscrits, voir l’article de Richard K. Emmerson, « Medieval Illustrated Apocalypse Manuscripts » dans « A COMPANION TO THE PREMODERN APOCALYPSE. Ed. Michael A. Ryan.Leiden Brill 2016. Pp 21-66.
https://www.academia.edu/26039488/_Medieval_Illustrated_Apocalypse_Manuscripts._In_A_COMPANION_TO_THE_PREMODERN_APOCALYPSE._Ed._Michael_A._Ryan._Leiden_Brill_2016._Pp._21-66
[5] Apocalypse de Bamberg Msc. Bibl. 140 : http://nbn-resolving.de/urn:nbn:de:bvb:22-dtl-0000087130
[7] Codex de Fernando I et Dona Sancha https://www.wdl.org/en/item/10639/view/1/370/
[8] Mireille Mentré, Mireille Mentré, Création et Apocalypse, histoire d’un regard humain sur le divin, Paris 1984, p. 154.
[14] Apocalypse de Jean de Berry http://ica.themorgan.org/manuscript/thumbs/77026
[15] Richard K. Emmerson “On the Threshold of the Last Days: Negotiating Image and Word in the Apocalypse of Jean de Berry.” dans « Exploring the Threshold of Medieval Visual Culture ». Ed. Elina Gertsman and Jill Stevenson. Boydell and Brewer, 2012. Pp. 11-43.
https://www.academia.edu/12207835/_On_the_Threshold_of_the_Last_Days_Negotiating_Image_and_Word_in_the_Apocalypse_of_Jean_de_Berry._Exploring_the_Threshold_of_Medieval_Visual_Culture._Ed._Elina_Gertsman_and_Jill_Stevenson._Boydell_and_Brewer_2012._Pp._11-43