7-1 Les donateurs dans l’Annonciation : au centre ou sur les bords

16 juillet 2019

La présence de donateurs dans une Annonciation est rare, ce qui se comprend aisément : elle vient perturber la délicate balance des sexes et complexifier la lecture. Néanmoins, les artistes ont trouvé différentes solutions pour satisfaire la piété (et l’orgueil) de leur commanditaire tout en restant théologiquement irréprochables.



Le donateur au centre

Une première solution consiste à représenter le donateur en miniature, au plus bas de l’image, à la limite du hors champ.


1161-71 Page de dedicace avec abbe Walther Breviaire de Michelsbeuern BSB Clm 8271 Munchen, Bayerische StaatsbibliothekPage de dédicace avec l’abbé Walther 1161-71 Annonciation avec le donateur abbe Walther Breviaire de Michelsbeuern BSB Clm 8271 Munchen, Bayerische StaatsbibliothekAnnonciation avec l’abbé Walther

Bréviaire de l’abbaye bénédictine de Michelsbeuern, 1161-71 , BSB Clm 8271 Munchen, Bayerische Staatsbibliothek

L’abbé Walther apparaît en bas au centre de la page de dédicace, tenant le livre sous les pieds du Christ, entre Marie et Saint Michel (le patron de l’abbaye).

La même symétrie régit la page de l’Annonciation : l’abbé, à la verticale de la colombe, implore Marie qui ne lui répond pas, absorbée dans son dialogue avec l’Ange (les doigts levés indiquent celui qui parle, la paume ouverte celle qui écoute). Dans le carré bleu central, le vase et l’inscription (« missus est ab angelo a deo in civitatem ») sont des ajouts du 16ème siècle. [1]

Sur ce bifolium, voir aussi 5 Débordements récurrents



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1340-50 Lippo Memmi Gemaldegalerie Berlin
Lippo Memmi, vers 1340-50, Gemäldegalerie, Berlin

Tout en mimant la prière de l’Ange, un bénédictin, réduit à la taille du vase, est caché aux yeux de Marie par le livre qu’elle tient sur ses genoux. Ces artifices graphiques, par lesquels se manifeste l‘incognito du donateur, vont être renouvelés par l’arrivée de la perspective.


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1350 ca anonyme florentin Santissima_AnnunziataAnonyme florentin, vers 1350, fresque de la Santissima Annunziata. 1369 Maestro_di_barberino,_annunciazione_col_committente_pietro_mazza Ognissanti FirenzeAnnonciation avec le donateur Pietro Mazza
Maestro di Barberino, 1369 , église des Ognissanti, Florenze

Le fresque miraculeuse de la Santissima Annunziata, à gauche, a servi de prototype à un grand nombre d’Annonciations dans la région de Florence (voir 7-4 Le cas des Annonciations inversées).

Dans la version de l’église des Ognissanti, le donateur s’est rajouté sur un parapet à l’extérieur de la chambre (comme le montre, en haut, le baldaquin à festons). Sans perturber le dialogue sacré, il se situe néanmoins à un emplacement stratégique, à l’aplomb de la colombe qui rentre dans la pièce sur le rayon de lumière.


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1395 Gentile_da_Fabriano_-_Mary_Enthroned_with_the_Child,_Saints_and_a_Donor_-_Gemaldegalerie Berlin COPIEBénédiction de l’Enfant
Gentile da Fabriano, 1395, Gemäldegalerie, Berlin
1375-80 Jacopo_di_Cione_-_Anunciacion_con_mecenas Museo de Arte de PonceAnnonciation avec un donateur
Jacopo di Cione, 1375-80, Museo de Arte, Ponce

Pour s’introduire à l’intérieur de l’Annonciation, le donateur parasite parfois l’iconographie de la Présentation à la Madonne par le saint patron (exemple à gauche). Ici c’est en somme l’Ange Gabriel qui fait office de patron.



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1466 benvenuto di giovanni annunciazione Museo d'arte sacra Volterra
Benvenuto di Giovanni, 1466, Museo d’Arte sacra, Volterra

Dans cette composition, le bénéfice est qu’en inclinant la tête, la Vierge acquiesce à la fois à la question de l’Ange et à la prière du donateur (un laïc non identifié qui joint les mains sous un voile).


1495 Botticelli atelier Landesmuseum_Hannover

Atelier de Botticelli, 1495, Landesmuseum, Hanovre

Même principe dans cette Annonciation, où l’agenouillement du donateur se calque en petit sur celui de l’Ange.
Cependant cette formule « deux en un  » reste rare :

« En dépit de l’importance théologique de l’invocation « Sancta Maria, ora pro nobis », les artistes du XVeme siècle l’ont rarement incluse, car combiner les deux thèmes oblige à ajouter à l’adlocutio active de l’Annonciation l’image passive de la supplique. De plus, cette double action fait que la Vierge doit répondre en même temps à deux salutations séparées. » ([2], p 65)



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1529 Anonyme Chateau de Kornik Pologne Donateur Lukasz II Gorka

Annonciation avec le donateur Lukasz II Gorka
Anonyme, 1529, Chateau de Kornik, Pologne

On retrouvera encore trente ans plus tard la même formule devenue archaïque, avec ce châtelain miniaturisé presque à la taille de son blason pour glisser, sous la salutation angélique « AVE GRATIA PLENA » sa propre supplication : « MATER DEI MISERERE MEI » [3]



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1475 Anunciacion_Pedro de cordoba Catedra Cordoba

Retable de l’Annonciation
Pedro de Cordoba, 1475, Cathédrale de Cordoue

Dans une extraordinaire vue plongeante, L’Annonciation se joue sur une sorte de podium trilobé, contrepartie du baldaquin gothique en bois doré qui forme le haut du retable.



1475 Anunciacion_Pedro de cordoba Catedra Cordoba detail
En contrebas de ce podium, de part et d’autre de la signature du peintre, sont agenouillés les deux donateurs :

  • à gauche, Diego Sanchez, présenté par son patron Saint Jacques, suivi de Saint Yves et Sainte Barbe ;
  • à droite, Juan Muñoz, présenté par son patron Saint Jean Baptiste, suivi par Saint Laurent et Saint Pie Premier.



1475 Anunciacion_Pedro de cordoba Catedra Cordoba ensemble
Dans un effet gigogne, L’artiste, les deux donateurs et les Saints constituent un premier cercle de spectateurs autour de la scène peinte, eux même englobés dans le second cercle des spectateurs massées autour de l’autel, dont la décoration fait écho aux carrelages du podium.


1475 Anunciacion_Pedro de cordoba Catedra Cordoba detail vase

On imagine facilement le vase peint sortant via la signature pour venir se poser sur l’autel, ou vice versa.


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1466 Niccole di Liberatore Galerie nationale de l’Ombrie Perouse,

Annonciation avec un groupe de donateurs
Niccole di Liberatore, 1466, Galerie nationale de l’Ombrie, Pérouse

Cette iconographie rare s’explique par le rôle particulier du panneau : il servait de bannière pour la procession annuelle, chaque 25 mars, de la Confrérie de l’Annonciation de Pérouse. Encadrés par les bienheureux Filippo Benizzi et Giuliana Falconieri, les confrères se prosternent en bon ordre : à gauche des pénitents blancs, au centre les juristes, à droite les dévotes ([2], p 175).

Ainsi, l’ordre héraldique se propage entre les niveaux hiérarchiques : du couple sacré au groupe des confrères, en passant par le couple des bienheureux.


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1499 Antoniazzo Romano S. Maria sopra Minerva Rome_

Le cardinal Torquemada assistant à l’Annonciation
Antoniazzo Romano, 1499, fresque de Santa Maria sopra Minerva, Rome

Autre circonstance particulière : commandée par une autre Confrérie de l’Annonciation, cette fresque intègre au centre de l’action l’évocation d’une cérémonie qui se tenait chaque année dans l’église. On dotait des jeunes filles perdues, dont le salut était la raison sociale de la confrérie, afin qu’elles puissent se marier.


1499 Antoniazzo Romano S. Maria sopra Minerva Rome detail

Poussées par le cardinal Torquemada, les trois filles vont recevoir les bourses que Marie leur tend, tandis que Dieu le Père, Gabriel et la colombe, font tapisserie. Il vaut la peine de citer le témoignage savoureux que Montaigne nous a laissé de cette cérémonie.

« Le Dimanche de Quasimodo, je vis la serimonie de l’aumône des pucelles… Les pucelles étoint en nombre çant & sept ; elles sont chacune accompaignée d’une vieille parante. Après la Messe, elles sortirent de l’Eglise & firent une longue procession. Au retour de là, l’une après l’autre passant au Cueur de l’Eglise de la Minerve, où se faict cete serimonie, baisoint les pieds au Pape ; & lui leur aïant doné la benediction, done à chacune, de sa mein, une bourse de damas blanc, dans laquelle il y a une cedule. Il s’entant qu’aïant trouvé mari, elles vont querir leur aumosne, qui est trante-cinq escus pour tête, outre une robe blanche qu’elles ont chacune ce jour là, qui vaut cinq escus. Elles ont le visage couvert d’un linge, & n’ont d’ouvert que l’endret de la veue. » Montaigne, Journal de Voyage en Italie, partie III.
Ainsi, dans ce défilé de donzelles en burqa, c’est le Pape qui tenait le rôle que Romano dans sa fresque fait tenir à Marie en personne. »



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1519 Titien Duomo_(Treviso)_-_Interior_-_Annunciation

Titien, 1519, chapelle Malchiostro, Duomo, Trévise

Titien fera une tentative originale en plaçant le donateur Broccardo Malchiostro non pas sur les bords, mais dans le fond, miniaturisé de manière naturelle par la perspective (voir 3 Annonciations en diagonale : Altdorfer et postérité) . Les armoiries et les initiales BM sont projetées en revanche au plus près de la Vierge. Cette formule du « donateur in profundis », assez critiquée à l’époque ([4], p 361 note 19) , n’aura pas de lendemain.

Les donateurs en encadrement

Cette formule convient aux couples et aux familles nombreuses


1320-25 Pietro e giuliano da rimini Annonciation Basilica_di_San_Nicola_Cappellone Tolentino_

Annonciation
Pietro et Giuliano da Rimini, 1320-25, Cappellone di San Nicola, Tolentino

Toutes les fresques de cette chapelle comportent de nombreux petits donateurs priant en marge des scènes représentées. Cette Annonciation vaut d’être mentionnée non pour la présence des donateurs, mais pour des détails iconographiques très originaux :

  • l’enfant Jésus caché dans un petit nuage, sous le grand nuage qui porte Dieu le Père ;
  • les gestes simultanés de celui-ci : tout en confiant à l’Ange le lys à donner à Marie, il « télégraphie » directement dans sa tête le texte de la salutation angélique ;
  • les deux serrures du banc sur lequel Marie s’assoit pour étudier les textes, l’une ouverte et l’autre fermée : elles font probablement allusion au mystère de l’Incarnation, à moitié annoncé par les prophètes, et qui va être complètement révélé par l’Ange.



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1350 ca Puccio_di_simone,_annunciazione_tra_i_ss._giuliano_e_g._battista,_con_committenti_Basilica of San Lorenzo

Annunciation avec Sainte Lucie, Saint Jean Baptiste et un couple de donateurs
Puccio di Simone, vers 1350 , Basilique de San Lorenzo, Florence

Malgré le mauvais état des volets , la restauration a permis de déterminer que celui de gauche porte Sainte Lucie (et non Saint Julien l’Hospitalier comme on le croyait) avec un donateur, celui de droite Saint Jean Baptiste avec une donatrice [5].

Ainsi tandis que le couple humain observe l’ordre héraldique, le couple de Saints l’inverse ; la position de ces derniers s’explique sans doute par la logique des prénoms (purement hypothétique) : Giovanna aurait pour patron Saint Jean Baptiste et Luciano aurait choisi Sainte Lucie, plus facilement identifiable que le peu connu Saint Lucien.


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Francesco di Vannuccio 1380 ca Annunciation and Assumption of the Virgin Cambridge, Girton College

Diptyque de L’Annonciation et de l’Assomption de la Vierge
Francesco di Vannuccio, vers 1380, Cambridge, Girton College

Les deux panneaux ont une composition verticale propice à la méditation comparée :

  • à gauche, les donateurs, tout en s’identifiant par leurs gestes au couple sacré, sont par leur position devant le socle des témoins extérieurs à la scène ;
  • à droite, Saint Thomas derrière le tombeau est quant à lui un acteur interne à la scène : ses mains levées pour attraper la ceinture (preuve de la réalité physique de l’Assomption) s’opposent au mains jointes de Marie qui s’élève.

Dans les deux cas, un dispositif de mise à distance (un « parapet ») joue un rôle-clé au service du réalisme et de la délimitation de l’image : à gauche scène de théâtre, à droite barrière du pas de tir.


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1427 Annonciation avec la familledu chanoine Ravacaldi cappella-ravacaldi Duomo Parme

Annonciation avec la familledu chanoine Ravacaldi
Chapelle Ravacaldi, 1427 Duomo, Parme

Cette composition comporte plusieurs aspects pittoresques : le linge qui sèche sous le portique, la servante sur la terrasse qui épie l’arrivée de l’Ange et celle qui, côté jardin clos, jette un oeil par la fenêtre dans le dos de Marie.

La position des donateurs pose question, puisque la famille, à gauche, assiste à la scène dans le sillage de l’ange tandis que , à droite, derrière les deux murs de pierre et de brique, le chanoine ne peut objectivement rien voir. Cette fresque montre bien qu’on ne peut pas répondre de manière univoque à la question du statut de la scène sacrée par rapport aux donateurs : représentation théâtrale pour la famille laïque, vision purement intérieure pour l’ecclésiastique.


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1405-25-Beaufort_Beauchamp_Hours-Royal-2-A.-XVIII-f.-23v-Miniature-of-the-Annunciation-with-two-donors-praying-MEILLURAnnonciation avec deux donateurs en prière
1405-25 Heures de Beaufort/ Beauchamp, Royal 2 A. xviii, f. 23v

Cet exemple précoce illustre le problème qui a limité le développement de la formule pour les couples (sauf dans les triptyques) : en redoublant la position traditionnelle de l’Ange et de Marie par la position héraldique des époux , elle crée un effet de forte symétrie. Mais aussi une impression gênante de concurrence, que l’artiste s’est efforcé de limiter en positionnant les donateurs à l’extérieur de l’édicule sacré. (sur cette formule, voir 11 Débordements pré-eckiens).



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1480 ca Ecole COLONAISE L'Annonciation avec saint Barthelemy, sainte Dorothee et donateurs coll privee
L’Annonciation avec saint Barthélémy, sainte Dorothée et donateurs
Ecole colonaise, vers 1480, collection privée

Dans cette Annonciation par la droite, la famille humaine, déconnectée par sa miniaturisation, continue à observer strictement l’ordre héraldique : le père à gauche avec les trois fils, la mère à droite avec les deux filles (le garçonnet portant un panier avec des roses et des fruits est l’emblème de saint Dorothée [6], pas un membre de la famille).

En revanche les saints personnages, en tant qu’habitants du Paradis, collent à la logique de l’Annonciation : Barthélémy derrière l’Ange, Dorothée derrière Marie, ce qui crée entre les époux et leurs patrons un croisement incongru à première vue, mais en fait parfaitement logique.


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1490 ca Altar aus Wolfskehlen, Landesmuseum Darmstadt revers
 
Retable de Wolfskehlen
Vers 1490, Landesmuseum, Darmstadt
Cliquer pour voir l’ensemble

Ici, c’est la miniaturisation qui permet de résoudre le problème. L’ouverture centrale a compliqué le positionnement du vase de lys qui se trouve relégué dans le coin droit, derrière la donatrice

Les armoiries ont permis d’identifier le couple : il s’agit de Philipp von Wolfskehlen et de Barbara Marschall von Waldeck zu Iben [7].


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1510-30 mariae_verkuendigung_Hans duerer

Annonciation avec Saint André et Saint Jacques
Hans Dürer, 1510-20, collection privée

En revanche je n’ai rien trouvé dans la littérature sur cette intéressante Annonciation par le frère d’Albrecht Dürer. Il s’agit visiblement d’un tableau de dévotion commandé par une veuve, affublée de six garçons et de quatre filles, représentés en miniature et à l’extérieur de la scène.


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1522 Jacob van Utrecht St.-Annen-Museum Lubeck

Retable de Gavno
Jacob van Utrecht, 1520-22, St.-Annen-Museum, Lübeck

Les donateurs sont Hermann Plönnies, maire de Lübeck, et de sa première épouse Ida Greverade, morte en 1522 peu après la réalisation du triptyque. Ils sont accompagnés de leurs patrons Saint Matthieu et Sainte Catherine.

La ville représentée dans le panneau central n’est pas Lübeck, mais un port imaginaire, à l’italienne. A l’arrière-plan des deux volets, la tour et le moulin sont probablement des constructions symboliques, exprimant les qualités du couple (Force et Prospérité ?).

On pense que le choix rare de l’Annonciation comme sujet central du triptyque répond au souhait d’une descendance, symbolisée par l’arbre dans le panneau féminin.


1522 Jacob van Utrecht St.-Annen-Museum Lubeck revers
Revers

La présence de Saint Christophe et de Saint Antoine abbé, pour le revers, confirme cette hypothèse : Saint Antoine se substitue ici à l’ermite qui, dans l’histoire de la traversée douloureuse (l’enfant devenant de plus en plus lourd), marque la rive à atteindre.


Lucas_Cranach_d.A._(Werkst.)_-_Der_heilige_Christophorus_tragt_das_Jesuskind coll priv
Atelier de Lucas Cranach l’Ancien, collection privée

En tant que passeur d’Enfant du volet gauche (masculin) au volet droit (féminin), Saint Christophe confirme le caractère propitiatoire du triptyque. Un autre exemple de récupération de l’iconographie de Saint Christophe pour exprimer la grossesse figure dans l‘Annonciation de Bruxelles de Robert Campin (voir 4.2 L’Annonciation de Bruxelles).



Références :
[1] Elisabeth Klemm « Die romanischen Handschriften der Bayerischen Staatsbibliothek: Teil 1. Die Bistümer Regensburg, Passau und Salzburg ». Textband. – Wiesbaden: Reichert, 1980 http://bilder.manuscripta-mediaevalia.de//hs/katalogseiten/HSK0468a_a165_jpg.htm
[2] Pour un historique des donateurs dans les Annonciations, voir « Filippino Lippi’s Carafa « Annunciation »: Theology, Artistic Conventions, and Patronage » Gail L. Geiger, The Art Bulletin, Vol. 63, No. 1 (Mar., 1981), pp. 62-75 https://www.jstor.org/stable/3050086
[3] Pour une vue en haute définition : https://www.barberinicorsini.org/en/opera/annunciation/
[4] Arasse, L’annonciation italienne, une histoire de prespective, 1999
[6] « Comme on la menait à la mort, un païen, nommé Théophile, la pria, par raillerie, de lui envoyer « des fruits ou des roses du jardin de son Époux ». Elle le lui promit. Avant de recevoir le coup mortel, elle se mit à genoux et pria. Aussitôt parut un enfant portant trois beaux fruits et des roses fraîches, bien qu’on fût en février, et il les porta, de la part de Dorothée, à Théophile, qui confessa Jésus-Christ et subit le martyre ce jour même en rendant grâces à Jésus-Christ. » Abbé L. Jaud, Vie des Saints pour tous les jours de l’année, Tours, Mame, 1950

6-9 Le donateur-humain: en groupe

9 juillet 2019

Les groupes de donateurs autour de la Madone sont le plus souvent des familles, mais on trouve aussi quelques exemples de collègues ou de membres d’une confrérie. En voici une sélection, en Italie, en France et dans les Pays du Nord.

En Italie

L’Oratoire de San Giorgio de Padoue

1377-79 Altichiero,_oratorio_di_san_giorgio,_parete_sinistra Raimondo Lupi, preceduto dai nipoti, dai fratelli e dai genitori, Padova

La Vierge avec la famille de Raimondino Lupi et des Saints
Altichiero, 1377-79, Oratoire de San Giorgio (paroi gauche), Padoue

Cette chapelle funéraire a été commandée par le condottiere Raimondino Lupi, mort en 1379. Nous sommes ici sur le mur gauche de la chapelle, décoré par des scènes de  la vie de Saint Georges. Altichiero respecte la même logique qu’à Vérone dans la  chapelle Cavalli (voir 6-1 …les origines) : comme l’Enfant est tourné vers l’entrée de la chapelle, le chevalier et sa famille se trouvent  à gauche du trône, dans le sens de la progression vers le choeur.



1377-79 Altichiero,_oratorio_di_san_giorgio,_parete_sinistra Raimondo Lupi, preceduto dai nipoti, dai fratelli e dai genitori, detail
A noter que tous le chevaliers de la famille Lupi portent, tout comme ceux de la famille Cavalli, leur casque d’apparat accroché dans le dos. Cette fresque votive est en général interprétée comme représentant le donateur et sa femme suivi de ses enfants.



1377-79 Altichiero,_oratorio_di_san_giorgio,_parete_sinistra Raimondo Lupi, preceduto dai nipoti, dai fratelli e dai genitori schemaJPG

En fait , elle montre, de droite à gauche en partant de la Madone, et en respectant au sein des personnages sacrés une assez remarquable parité :

  • son père Rolandino de’ Lupi présenté par Saint Goerges,
  • sa mère Matilde présentée par Sainte Catherine,
  • ses quatre frères et trois neveux, présentés par une alternance de saints et de saintes,
  • et lui-même en dernier, présenté à nouveau par Saint Georges.


Saint Georges en double (SCOOP !)

Cet étrange dédoublement s’explique par la structure d’ensemble : la fresque occupe en effet deux compartiments dans le cycle de la vie de Saint Georges, se logeant dans une interruption à la fois géographique et temporelle entre deux épisodes [0] :


1377-79 Altichiero,_oratorio_di_san_giorgio, Saint Georges baptise Servio le roi de SileneSaint Georges baptise le roi de Silène

 


1377-79 Altichiero,_oratorio_di_san_giorgio, Saint Georges boit le veninSaint Georges triomphe du préfet de Dioscoris, qui voulait l’empoisonner.

Ainsi les Lupi, fils et père, s’insèrent-ils au même rang que le roi et le préfet légendaires, en tant que protagonistes modernes dans l’hagiographie de Saint Georges.



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1489 Giovanni Santi Palla Buffi The Madonna and Child Enthroned with Saints Palazzo Ducale, Urbino

Vierge à l’Enfant avec des Saints François, Jérôme, Jean-Baptiste et Sébastien et les donateurs (Palla Buffi)
Giovanni Santi, 1489, Palazzo Ducale, Urbino

Ce retable du père de Raphaël nécessite pour sa compréhension d’être regardé « en plan ».


Un regard d’en haut (SCOOP !)

Sur une des diagonales du trône, Saint François et Saint Sébastien sont présents l’un en tant que patron de l’église d’Urbino, et l’autre de la chapelle où ce trouvait le tableau [1] : c’est donc logiquement aux pieds de ce dernier que s’agenouille la famille Buffi, « montée » depuis le sol de sa chapelle dans la scène sacrée de son tableau (à noter que le point de fuite se situe au niveau de leurs yeux) . Pour clore cette diagonale, les mains ouvertes du père de famille renvoient aux paumes ouvertes de saint François montrant ses stigmates.

Sur l’autre diagonale du trône, Saint Jean Baptiste désigne l’Enfant de son doigt et de sa banderole (ECCE AGNUS DEI), enfant qui à son tour désigne Saint Jérôme, lequel clôt la diagonale avec son livre fermé et sa plume :

celui qui explique le Christ fait pendant à celui qui l‘annonce.



1489 Giovanni Santi Palla Buffi The Madonna and Child Enthroned with Saints Palazzo Ducale, Urbino schema
Ainsi, sous le regard « d’en haut » de Dieu le Père (flèche verte), les deux diagonales du trône croisent du passé au présent l‘histoire générale du Christianisme (flèche bleue) avec la dévotion particulière de la famille Buffi.


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1493 ca Anonimo lombardo, Madonna con il Bambino, Sant’Ambrogio, Santa Lucia,Ambrogio Raverti, Lucia Marliani e famiglia,, Milano, Santa Maria delle Grazie

Vierge à l’enfant, Saint Ambroise avec Ambrogio Raverti, Sainte Lucie avec Lucia Marliani e famiglia
Anonyme lombard, vers 1493, fresque de l’église Santa Maria delle Grazie, Milan

Ce troisième exemple, où les donateurs ont pratiquement taille humaine, est intéressant par sa dimension historique. En 1471, Lucia Marliani avait épousé , à 17 ans, Ambrogio Raverti, 24 ans. En 1474, elle devint la maîtresse officielle du duc de Milan, Galeazzo Maria Sforza, dont elle eut deux fils. Après la mort du duc, en 1476 , elle revint vivre avec son mari dont elle eut trois fils (dont deux figurent sur le tableau) et trois filles (dont une seule est représentée).

L’amusant est que cette fresque se trouvait au dessus de la tombe d’un célèbre religieux milanais, Fra Giacomo da Sesto, mort en 1493 et connu pour son intransigeance : il avait refusé l’absolution à Lucia Marliani au moment où elle était la maîtresse du duc. Mais leur chemin se croisèrent une seconde fois de manière plus positive lorsque, revenue auprès de son mari, elle accoucha difficilement, pour la première fois, d’un enfant légitime : jugeant la situation désespérée, les médecins envisageaient un avortement pour sauver la mère mais Fra Giacomo s’y opposa catégoriquement : il assura que non seulement elle vivrait, mais qu’elle accoucherait d’un garçon : il lui fit donner un oeuf cuit – alors qu’elle ne mangeait plus depuis des jours – et aussitôt elle mit l’enfant au monde, sans souffrir aucunement. Ce miracle valut à Fra Giacomo sa béatification et à Lucia Marliani sa réhabilitation : quant au fils aîné miraculé, Gerolamo, il est placé dans la fresque juste sous l’Enfant Jésus, résultat tout comme lui d’un accouchement sans douleur. [2].



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1475-99 Anonyme affresco St Bernardin de Sienne St Antoine et couple Museo della Scienza Milan sacristie de l'eglise Sta Maria Rossa a Garbagnate

Vierge à l’Enfant entre Saint Bernardin de Sienne, Saint Antoine et un couple de donateurs avec leur enfant
Anonyme lombard, 1475-99, Museo  della Scienza Milan, fresque provenant de la   sacristie de l’église Santa Maria Rossa a Garbagnate
 

On ne sait rien de certain sur les donateurs ni sur les circonstances de la commande de cette fresque : la rencontre au jardin, la Vierge assise a égalité de taille avec les  quatre  personnages agenouillés, l’affinité entre le  bébé humain et l’Enfant Jésus créent une ambiance de familiarité et de sérénité qui exclut  toute notion funéraire : Saint Bernardin et Saint Antoine étant deux saints « médicaux », on imagine plutôt une fresque commandée en remerciement pour la naissance ou la guérison de l’enfant.



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1490-95 Maestro della pala Sforzesca,Giacomo Maggiore, Stefano, Bernardino da Siena, Giovanni Evangelista e douze donateurs inconnus National Gallery

Vierge à l’enfant avec Saint Jacques, Saint Etienne, six donateurs, saint Bernardin de Siennne, Saint Jean l’Evangeliste, six donatrices
Maestro della pala Sforzesca, 1490-95, National Gallery, Londres

On ne sait malheureusement rien sur les donateurs : il s’agit probablement d’un tableau de mariage, les jeunes époux étant accompagnés l’un par son père, l’autre par sa mère. Mais il pourrait tout aussi bien s’agit d’un retable destiné à une confrérie, comme dans l’exemple suivant.


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1490 Giambattista_Cima_da_Conegliano_-Pala Oderzo_Sacra_Conversazione Brera

Vierge à l’Enfant avec Saint Sébastien, Saint Jean Baptiste, Sainte Marie-Madeleine, Saint Roch et des membres de la Confraternité de Saint Jean l’Evangeliste.
Cima da Conegliano, 1487-88, Brera, Milan

Ce grand tableau d’autel a été peint pour l’autel de Saint Jean Baptiste dans la cathédrale d’Oderzo, dont le patron était également Saint Jean Baptiste. D’où la présence de ce saint pour présenter les hommes, tandis que les femmes se placent sous le patronage de Marie-Madeleine.


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Ce panneau harmonieux, parfaitement équilibré, trahit des réalités moins éthérées : on voit au fond à gauche des flagellants, dont les processions sanglantes étaient censées détourner la colère divine ; et les deux Saints postés à l’avant des deux côtés de l’arcade, comme pour protéger les dévots du monde extérieur, sont invoqués l’un en prévention des épidémies de peste, et l’autre pour la guérison des pesteux [3].


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1514 Gerolamo_giovenone Pala_buronzo, Galerie Sabauda Turin

Pala Buronzo
Gerolamo Giovenone, 1514 , Galerie Sabauda, Turin [4]

Cet autre exemple, un peu différent, est quant à lui expliqué par les sources : Ludovica, veuve de Domenico Buronzo, a pris la place de son mari défunt, à la droite de la Madone. Elle est présentée par Sant’Abbondio, le patron de la chapelle familiale dans l’église de San Paolo à Vercelli. Ses deux enfants Pietro, l’aîné et Gerolamo le petit, sont quant à eux présentés par Saint Dominique : ainsi, pour compléter l’échange, le saint patron du père vient se substituer à la mère.


1475 - 1550 Anonimo lombardo Madonna con Bambino in trono tra santi e donatori loc inconnue
Anonyme lombard, 1475-1550, localisation inconnue

C’est certainement une situation familiale similaire qui explique cette composition, dont on ignore tout.


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  1510 Giovanni_Bellini_-_Madonna_and_Child_with_Saints_Peter_and_Mark_and_Three_Venetian_Procurators_-_Walters_37446Vierge à l’Enfant avec Saint Pierre, Saint Marc et trois procurateurs
Giovanni Bellini, 1510, Walters Art Museum, Baltimore
1553 Jacopo Tintoretto The Virgin and Child with four senators Accademia VeniseVierge à l’Enfant avec quatre sénateurs
Jacopo Tintoretto, 1553, Accademia, Venise

Toujours à Venise, la dévotion à la Madone prend parfois un tour officiel, et sert d’occasion à des portraits de groupe, entre collègues.

Tandis que la composition de Tintoret répartit équitablement les quatre sénateurs dans la moitié humble, celle de Bellini pose question, en privilégiant nettement un des procurateurs. Répartition d’autant plus significative que ce tableau votif était destiné à leur bâtiment officiel, la Procuratia di Ultra. Saint Pierre à gauche et Saint Marc à droite, présents en tant que chef de l’Eglise et Saint patron de la Cité, n’ont aucun rapport avec les prénoms des donateurs.


1602 Manfredi degnita procuratoria di San Marco di Venetia
Manfredi, 1602, « Degnita procuratoria di San Marco di Venetia »

D’après Manfredi , il s’agit de Tomaso Mocenigo, Luca Zeno, and Domenico Trevisano. Tommaso Mocenigo (1460 – 1517), à gauche, avait cinquante ans à la date du tableau ; mais le troisième, Domenico Triuisano, mort en 1535 à plus de 80 ans [5] , était né vers 1450 : les trois ne sont donc pas rangés par âge décroissant.


1581 Jacomo Sansovino, Venetia ... descritta in 14 libri (et cronico particolare delle cose fatte da i Veneti, dal principio della citta fino all'anno 1581
Jacomo Sansovino, 1581 « Venetia … descritta in 14 libri (et cronico particolare delle cose fatte da i Veneti, dal principio della citta fino all’anno 1581) »

Ils furent nommés procurateurs respectivement le 5 mai 1504, le 5 Septembre 1503 et le 3 Août 1503  : ils sont donc classés par ordre décroissant d’ancienneté dans le poste, celui nommé en 1504 se trouvant en position d’honneur.

En outre, Tommaso Mocenigo doit aussi sa position d’honneur  à sa carrière brillante : sénateur, membre du Conseil des X, podestat de Trevise et de Padoue, gouverneur de la banque dei Garzoni, il était considéré comme un possible doge. Cette position éminente reste néanmoins difficile à apprécier, compte tenu de l’incertitude sur la date du tableau (il semble avoir été réalise en deux temps, en 1504 et en 1510 [6] )


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1519-1526 Titien Madona_di_Ca'Pesaro Frari_(Venice)_nave_left_-

Pala Pesaro
Titien, 1519-1526, Basilique des Frari, bas côté gauche, Venise

Un chef d’oeuvre novateur

Inauguré en 1526, cet immense tableau d’autel avait été commandé en 1519 par Jacopo Pesaro, en remerciement de sa victoire contre les Turcs en 1502 (bataille de Santa Maura). [7]

Très novatrice, la composition est conçue pour casser tous les repères habituels des Conversations Sacrées :

  • si on regarde la moitié gauche, on a l’impression d’une composition de profil (voir 2-1 En vue de profil), dans laquelle Jacopo Pesaro se présente au bas d’un escalier montant vers Saint Pierre et encadré par deux colonnes ;
  • si on se concentre sur la moitié droite, on voit que la Madone est en fait vue de face, assise sur un autel adossé à la seconde colonne, surplombant la famille du donateur vue de profil.


De subtiles symétries (SCOOP !)

1519-1526 Titien Madona_di_Ca'Pesaro Frari_(Venice)_nave_left_schema
Cette déstructuration délibérée masque de très subtiles symétries :

  • les deux Turcs vers lequel Saint Georges se retourne font écho aux deux franciscains (Saint François et Saint Antoine de Padoue) vers lesquel l’Enfant se penche (cercles verts) : ainsi les deux païens sont mis en balance avec les deux Saints,  le guerrier en armure avec l’Enfant désarmé, et le gonfanon de la victoire avec le voile de Marie que celui-ci brandit ;
  • du coup, Saint Pierre tenant le livre se trouve visuellement assimilé à Marie tenant l’Enfant ;
  • quant à Jacopo Pesaro, sa silhouette agenouillée se diffracte dans ses quatre frères, et dans l’espoir de la famille, son jeune neveu Leonardo.


Les deux colonnes (SCOOP !)

Les colonnes ont reçu des interprétations variées. Helen S. Ettlinger [8] a établi un lien convaincant avec un passage du Livre de Sirac décrivant la Sagesse Divine :

« Je suis sortie de la bouche du Très-Haut, et, comme une nuée, je couvris la terre. J’habitais dans les hauteurs, et mon trône était sur une colonne de nuée.«  Sirac 24:3-4

En poussant un peu plus loin l’interprétation, ce texte pourrait effectivement fournir une interprétation littérale des deux colonnes et du nuage portant la croix :

  • celle de gauche, entièrement « couverte » par l’ombre de la sagesse divine, représenterait le monde combattant de l’Ancien Testament, se prolongeant encore aujourd’hui dans la lutte de la Chrétienté (Saint Pierre) contre les Turcs ;
  • celle de droite, au dessus de Marie et de l’Enfant représenterait le monde pacifié du Nouveau Testament : lumineux sauf l’ombre en forme de croix.



1519-1526 Titien Madona_di_Ca'Pesaro Frari_(Venice) schema

La différence de « point de vue » entre les deux moitiés du retable (vue de profil et vue de face) ne ferait que renforcer la différence de climat lumineux entre les deux Eres.



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1529 Giacomo Santoro (attr.), Madonna Greca, Alcamo, chiesa di Santa Maria di Gesu

Vierge et l’Enfant entre les saints François d’Assise et de Benoît de Norcia et des donateurs (Madonna Greca)
Giacomo Santoro (attr.), 1505-29, église Santa Maria di Gesù, Alcamo, Sicile

Cette toile a fait l’objet de controverses quant à la datation et à l’identification des donateurs.

Pour Di Marzo et Di Cuccia [9] , le couple âgé serait Anna de Cabrera, comtesse de Modica et Federico Enriquez, frère du roi de Castille, qui se marièrent en 1488. Le couple n’ayant pas eu d’enfant, la jeune fille à droite serait la nièce et héritière d’Anna, tandis que le jeune homme à gauche est Luigi Henrique, le neveu de Federico. Ainsi le tableau, en montrant le nouveau couple encadrant l’ancien, sous la bénédiction de l’Enfant, manifesterait la continuité de la lignée à la tête du comté.

Pour Claudio Gulli [10], cette identification ne tient pas, pour des raisons de date et à cause de la simplicité des vêtements : Federico Enriquez étant membre de l’ordre de la Toison d’Or, il est inconcevable que cette prestigieuse décoration ne figure pas sur le tableau, dans le cas de cette très puissante famille. Un acte récemment retrouvé indique qu’il s’agit plutôt de membres d’une famille gênoise implantée à Alcamo, les Morfino, qui ont donné ce tableau à l’église en 1507.


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1552 Lanino, Bernardino Madonna and Child Enthroned with Saints and Donors, North Carolina Museum of Art, Raleigh, USA

Madone du Rosaire avec six Saints et huit donateurs (pala Cook)
Bernardino Lanino, 1552, North Carolina Museum of Art, Raleigh, USA

Image haute définition :
https://artsandculture.google.com/asset/madonna-and-child-enthroned-with-saints-and-donors/bQF4rMERbQKwzA


Les six saints

Ce panneau, dont on ne sait rien, est un véritable exercice d’iconographie en même temps qu’un défilé de mode ecclésiastique. On y rencontre successivement, de gauche à droite :

  • Saint Dominique (avec l’étoile au front), en habit de dominicain ;
  • Saint Laurent (donnant aux pauvres), en diacre ;
  • Saint Thomas d’Aquin (avec sa broche dorée en forme d’étoile et son livre), dominicain ; à ne pas confondre avec Saint Nicolas de Tolentino, qui a aussi un lys, un livre et une étoile dorée, non pas au cou mais sur la poitrine) ;
  • Saint Vincent Ferrer (avec la boule de feu de son éloquence), dominicain ;
  • Saint Pierre de Vérone (avec sa hâchette plantée dans le crâne, son épée dans l’épaule, et sa palme bien méritée de martyr), dominicain ;
  • Sainte Catherine de Sienne (avec la couronne d’épines), dominicaine.

Il est donc clair que le tableau a été commandé par les dominicains : les lys décorent leurs trois saints les plus fameux : Dominique, Thomas d’Aquin et Catherine de Sienne. Et la sélection des six personnages obéit à une logique par couple : deux piliers de l’Ordre (Dominique et Catherine), deux martyrs (Laurent et Pierre de Vérone), un théologien et un prédicateur (Thomas d’Aquin et Vincent Ferrer).

A noter une anomalie : l’absence de la palme du martyr pour Saint Laurent. Peut être est-ce par cohérence avec la rare iconographie qui a été choisie, celle de patron des pauvres : les pièces d’or et d’argent qui tombent de sa bourse, côté masculin, font écho aux roses blanches et rouges tombées du ciel, que l’enfant Jésus et les trois jeunes filles ont attrapées.


Les quatre dévotes

Côté féminin, il est clair qu’il faut isoler la femme âgé du fond, vêtue en pénitente dominicaine (guimpe blanche et voile blanc, ces soeurs prononçait des voeux simples et non solennels), et les trois jeunes filles en robe somptueuse, parées de bagues et de colliers.



1552 Lanino, Bernardino Madonna and Child Enthroned with Saints and Donors, North Carolina Museum of Art, Raleigh, USA detail bourse
L’objet noir posé au sol devant elles semble être une bourse à manche de bois.


Les quatre dévots

Côté masculin, la lecture est inversée : parmi les quatre vieillards barbus, on est tenté d‘isoler celui du premier plan, en manteau rouge et ayant posé son béret noir à terre, de ses trois confrères, qui eux le tiennent à la main.


Des donateurs anonymes

Six saints pour huit dévots : il est clair qu’ils n’ont pas été choisis en tant que patrons (pour illustrer leurs prénoms) mais pour des raisons de propagande dominicaine.

Les dévots sont sans doute des portraits de personnages réels que les Dominicains ont voulu honorer (peut être pour leurs dons, comme le suggèrent les deux bourses) : le béret noir du quatuor de vieillards suggère un groupe constitué, peur être une Confraternité du Rosaire ou bien un groupe de musiciens à relier aux quatre instruments (le vieillard en manteau rouge pourrait être le violoniste, qui mène l’ensemble) ; les riches vêtements des trois jeunes filles conduites par la soeur pénitente font penser à une classe de filles de bonne famille. Mais faute de sources, il est bien difficile d’aller plus loin dans l’explication de ce tableau foisonnant.


1579 Lanino Madonna del Rosario con sainti e devoti Basilica di San Lorenzo Mortara

Madone du Rosaire avec Saints et dévôts
Lanino, 1579, Basilica di San Lorenzo, Mortara

A la fin de sa longue carrière, Lanino a produit une autre Madone du rosaire, commandée par la Confraternité du Rosaire pour l’Autel du Rosaire de la Basilique San Lorenzo de Mortara. La composition est assez similaire, mais dans un esprit résolument baroque : autour de l’image-choc du crâne transpercé de Pierre de Vérone on reconnaît Saint Dominique à gauche – au dessus d’un alignement de saints barbus, et Saint Laurent (le patron de l’église) à droite – au dessus de cinq filles riches chaperonnées par une religieuse. En haut, huit angelots brandissent des rosaires autour de l’Enfant Jésus, qui tend à sa mère un coeur enflammé.

Bien que Lanino ait récupéré bien des éléments de sa composition de 1552, le sujet est ici bien différent : car entre-temps, en 1571, la Madone du Rosaire était apparue miraculeusement durant la bataille de Lépante. D’après la tradition locale, les « saints barbus » de gauche représenteraient les protagonistes de cette victoire : le pape saint Pie V, Juan d’Autriche, le cardinal Marcantonio Colonna, le doge Sebastiano Venier, Doria, Barbarigo et Spinola [11] .



En France

1400-1405 La famille Trousseau Bourges_-_cathedrale

La Vierge à l’Enfant avec la famille Trousseau
1400-1405, Cathédrale de Bourges

Apparaissent de gauche à droite, par ordre de rapprochement croissant avec la Vierge :

  • deux chevaliers à genoux (aux manteaux ornés de trousseaux d’or, armes parlantes de la famille), encadrant une femme à genoux et présentés par une sainte martyre (les frères et la soeur  du donateur) ;
  • le chanoine Pierre Trousseau offrant le modèle en relief et sa chapelle et présenté par un diacre nimbé, sans doute saint Etienne ;
  • ses parents, présentés par Saint Jacques
  • la Madone, entre Saint Sébastien et sans doute Saint Ursin.


1532 La famille Tuilier Bourges_-_cathedrale

La Vierge à l’Enfant avec la famille Tullier
1532, Cathédrale de Bourges

Cent vingt ans plus tard, une autre chanoine se fait également représenter avec sa famille en procession vers la Vierge, dans le même ordre mais cette fois de droite à gauche. On voit ainsi dans les quatre lancettes :

  • quatre chanoines présentés par saint Jacques ;
  • Jehan, François et Pierre (les frères Tullier et le donateur), présentés par saint Jean l’Evangéliste ;
  • les parents présentés par saint Pierre ;
  • La Vierge, l’Enfant et le petit Jean-Baptiste.



plan-cathedrale-bourges
La situation inversée s’explique non par les époques différentes ni par un besoin de variété, amis par la situation opposée des deux vitraux, à gauche et à droite de la nef : la Madone est toujours située côté choeur, dans le sens de progression des fidèles.



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1500-ca-Carton-de-Jean-Hey-Charles-Popillon-argentier-du-duc-de-Bourbon-Marie-Brinon-Nicolas-Cathedrale-Moulins.jpg
 
 
Vitrail de la famille Popillon
Carton de Jean Hey, veres 1500,  Cathédrale de Moulins.

La Vierge est ici en dehors du vitrail : tous les membres de la famille prient la statue de la Vierge noire qui se trouve dans la chapelle. Ce sont, de gauche à droite :

  • Charles Popillon, chancelier de la duchesse Anne , présenté par son patron saint Charles de Villare ;
  • Marie Brinon, son épouse, présentée par une sainte martyre ;
  • le donateur du vitrail, leur fils Nicolas, gouverneur des finances du duc de Bourbon, avec ses deux fils Nicolas II et Charles, présentés par Saint Nicolas ;
  • son épouse   Ysabeau de VIERSAT et leurs deux filles, présentées par saint Antoine.


1450-75 Chapelle Saint Michel Eglise de Caudebec

 
Sainte Catherine, Saint Michel, Sainte Marie-Madeleine, Saint Jean
1450-75, Chapelle Saint Michel; Eglise de Caudebec

Pour comparaison, ce vitrail antérieur, avec encore des donateurs-souris, montre une famille priant non pas explicitement la Madone, mais tournée en direction du choeur. L’ordre hiérarchique est le même (père, mère, fils et filles) mais ici les patrons et patronnes respectent l’alternance des sexes. Celle-ci est soulignée aussi par les deux types de dais : à trois pans pour les hommes, à deux pans pour les femmes.

Les donateurs sont probablement Jehan Legros et sa femme Isabelle, dont une inscription sur le mur indique qu’ils sont inhumés dans la chapelle : ainsi le père est présenté par son patron éponyme, et les fils par le patron de la chapelle.

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1502 Les Triomphes de Petrarque, eglise Saint-Pierre-Es-Liens, Ervy-le-Chatel

Verrière des Triomphes de Pétrarque,
1502, église Saint-Pierre-Es-Liens, Ervy-le-Châtel
 

Commandé par Jeanne Le Clerc, veuve de Pierre Girardin, « en son vivant écuyer et lieutenant du bailli de a dicte ville d’Ervy », ce vitrail propose une iconographie unique sur laquelle je ne m’étendrai pas ici.

1502 Les Triomphes de Petrarque, eglise Saint-Pierre-Es-Liens, Ervy-le-Chatel donateur Pierre Girardin 1502 Les Triomphes de Petrarque, eglise Saint-Pierre-Es-Liens, Ervy-le-Chatel vierge 1502 Les Triomphes de Petrarque, eglise Saint-Pierre-Es-Liens, Ervy-le-Chatel donatrice Jehanne Le Clerc

Le registre inférieur est en revanche sans surprise, autour de l’Immaculée Conception dont le croissant de lune massacre le démon : le défunt et ses deux fils sont présentés par Saint Pierre, le veuve et une fille sont présentées par Saint Jean-Baptiste.

 
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1523 Jacques Malon et Anne Robert, seigneur et dame de Bercy Eglise ste Marie madeleine Vendome

 
Vierge à l’Enfant entre Saint Jacques et le  donateur Jacques Malon et  Sainte Anne avec son épouse Anne Robert, seigneur et dame de Bercy
1523 ,Eglise Sainte Marie-Madeleine, Vendôme
 

Les parents sont ici encore présentés par leur saint éponyme. suivis par les fils et les filles. Ils sont de taille proportionnée à la Vierge, assise sur un trône en avant : l’originalité est la taille géant des deux saints.


Pays du Nord

1246 apres Psalter-Hours of Guiluys de Boisleux France, Arras, Morgan Library MS M.730 fol. 17v
Psautier-Heures de Guiluys de Boisleux, Arras
Après 1246, ,Morgan Library MS M.730 fol. 17v

Dans cette composition très systématique, la polarité sexuelle régit tout, depuis le plus récent (la famille de donateurs), jusqu’à la Vierge à l’Enfant, et au delà jusqu’à l’Annonciation.



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1400 ca Memorial des seigneurs de Montfoort

Mémorial des seigneurs de Montfoort
Vers 1400, Rikjsmuseum, Amsterdam

Quatre chevaliers flamands de la famille des De Rover de Montfoort (d’après les armoiries) s’agenouillent à la queue leu leu devant la Vierge et l’Enfant, celui-ci absorbé dans la lecture d’un document comme n’importe quel supérieur hiérarchique. Saint Georges, qui pousse le dernier par l’épaule, ferme cette présentation très militaire.

Le panneau a été réalisé en mémoire des quatre chevaliers dont le premier avait été tué en 1345 à la bataille de Warns contre les Frisons, et le quatrième grièvement blessé.


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1430 ca Ecole de Cologne Vierge dans l'hortus conclusus Gemaldegalerie Berlin

Vierge à l’Enfant dans un Jardin de Roses
Ecole de Cologne, vers 1430, Gemäldegalerie, Berlin

Très tôt, certains artistes ont abandonné la facilité des donateurs-souris pour tenter leur insertion au sein de la scène sacrée : ici encore en taille-enfant. De la même taille que la Madone, Sainte Catherine, Sainte Marie-Madeleine et Sainte Barbe ferment par leur présence vivante l’hexagone du Jardin Clos. A l’extérieur, la famille des donateurs est figurée selon l’ordre héraldique, hommes à gauche et femmes à droite..

Il semble bien qu’il s’agisse d’un mémorial au père défunt : l’épouse (au cou couvert par une guimpe) et la fille aîné (décolletée) portent le deuil et disent le chapelet, la seconde fille est en âge de porter un voile tandis que les soeurs plus jeunes sont en cheveux.

Comme pour plaider en sa faveur, Sainte Marie-Madeleine désigne le défunt à une Sainte Catherine distante tandis que Sainte Barbe, qui offre deux oeillets à l’Enfant, lui sourit déjà.



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1476- 1500 Triptych_with_Madonna_and_Saints_Catherine_and_John_with_donors_Jan_Pardo_and_Catharina_van_Vlamynckpoorte Museo Arte Ponce

Triptyque avec la Madone et un couple de donateurs
Maître d’Anna, 1476- 1500, Museo Arte, Ponce

Par comparaison avec le panneau précédent, cet exemple montre tout l’intérêt du format triptyque (voir 1-4-2 Tryptiques flamands) pour mettre en bonne place les donateurs sans avoir à affronter les délicats problèmes d’interaction avec les personnages sacrés :

  • le volet gauche est dédié à l’époux Jan Pardo , à son saint patron Jean-Baptiste et à ses quatre fils ;
  • le volet droit est dédié à l’épouse Catharina van Vlamynckpoorte , à sa sainte patron Catherine et à ses deux filles ;
  • le panneau central montre la Vierge à l’Enfant dans son jardin, entourée par le couple Sainte Catherine/Sainte Barbe : ces deux saintes sont classiquement appariées car on les invoquait ensemble pour intercéder pour la bonne mort ; symboliquement elles évoquent également la vue spirituelle et la vie matérielle.

A noter que, tandis que Catherine apparaît dans le volet de droite en tenue « de sainte », elle est représentée dans le panneau central en tenue « de cour », en tant que dame de compagnie de Marie (sans sa roue, mais portant sa couronne et assise sur son épée). Quant à Saint Barbe, elle est désignée par sa palme et la tour derrière elle.

On voit ici comment les deux cloisons internes du triptyque sont utilisées, au sein d’un paysage continu, pour escamoter la question de l’étanchéité du jardin clos.



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1500 ca anonyme Epitaphe de Jacob Jan van Assendelft et de son epouse Haesgen van Outshoorn Rikjsmuseum, Amsterdam

Epitaphe de Jacob Jan van Assendelft et de son épouse Haesgen van Outshoorn
Anonyme hollandais, vers 1500, Rikjsmuseum, Amsterdam

Cet exemple montre tout l’écart entre les commande de luxe et les épitaphes produites en série, accrochées en masse dans les églises , parfois restaurées par les descendants pour conserver le souvenir des défunts, voire falsifiées pour des raisons d’amélioration de la généalogie [12].

Dans cet exemple, on retrouve le duo Sainte Barbe/Sainte Catherine, associé à un autre couple plus rare, celui des saints Côme et Damien qui flanquent la Vierge à l’Enfant. Ce sont les patrons des apothicaires, mais on ne sait rien de la profession du mari. D’après la dendrochronologie, le panneau a été réalisé bien après les décès de Jan et de Haegen, survenus en 1478 et 1471 selon l’inscription.

Même peint ultérieurement, il est donc sensé représenter la famille en 1478, à la mort du père. L’habileté du peintre ne lui permettant pas de vieillir les visages, Jan, pourtant âgé de 82 ans à sa mort, est représenté du même âge que ses fils. L’habit de nonne portée par la mère semble être une convention pour une laïque défunte (elle était morte sept ans avant lui). La croix portée par les trois filles, associée à leur vêtement noir, signifient qu’elles étaient mortes à la date théorique de l’épitaphe, ce qui n’a rien d’étonnant vu l’âge avancé du défunt. Parmi les sept fils, certains portent l’habit noir, mais pas de croix, ce qui laisse supposer qu’ils étaient encore vivants à la mort de leur père, mais avec des professions différentes.


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1490-1500 Virgin and Child with Saint Anne and Saints Francis and Lidwina, with Donors , Master of the Saint John Panels
Saint Anne trinitaire, avec Saint François et Sainte Ludwina, et une famille de donateurs
1490-1500, Master of the Saint John Panels, Rikjsmuseum, Amsterdam

On ne sait rien sur cette famille, groupée non plus autour de la Vierge à l’enfant, mais autour de la représentation très populaire de Jésus avec sa mère et sa grand-mère.

Le mari est présenté par Saint François ; la femme défunte, habillée conventionnellement en nonne mais distinguée par son livre, est présentée par Sainte Ludwina. Dans cette très catholique famille, trois des cinq fils portent des habits religieux, ainsi qu’une fille sur les trois (les deux autres ont simplement coiffé un voile et passé un manteau noir par dessus leurs robes grise et rouge.


Les enfants en rouge (SCOOP) !

Les historiens d’art se sont interrogé sur les six enfants en rouge, quatre garçons et deux filles, qui s’agenouillent autour du piédestal. Il pourrait s’agir des âmes d’enfants morts en bas-âge, mais cette représentation ferait exception par rapport à l’habitude (une petite croix tenue entre les mains ou sur le front) [13] : l’idée pourrait être que ces âmes ont le droit de monter sur la première marche du trône, mais pas sur le tapis, espace sacré. Malheureusement, la présence d’un grand enfant dans l’angle, vêtu en robe rouge mais agenouillé sur le sol, ruine cette hypothèse.

Le plus simple est de supposer, s’agissant d’une représentation tri-générationnelle de la Sainte Famille, que la famille humaine montre aussi trois générations :

  • les enfants en rouge sont les six petits enfants du couple ;
  • le plus grand, à mi chemin entre adultes et d’enfants, étant sans doute l’aîné du fils aîné.


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1525-26 and 1528 Darmstadt_Madonna,_by_Hans_Holbein_the_Youngercoll priv

Madone de Darmstadt
Hans Holbein le Jeune, 1525-26 et 1528, collection privée

Ce tableau, très célèbre en Allemagne, s’accompagne de plusieurs anecdotes : querelle sur l’original et la copie (la version de Darmstadt ou celle de Dresde ?), acquisition ratée par la Städel Museum à 40 millions d’euros, épisodes des « Enfants de la Madone » (voir tous les détails sur Wikipedia allemand [14])

Nous allons nous limiter ici à évoquer la controverse sur sa destination, qui va nous permettre de conclure en beauté ce chapitre.


Un instantané familial

Le maire de Bâle, Jakob Meyer von Hasen, est représenté face à sa fille Anna et à ses deux épouses : Dorothea Kannengiesser, la mère d’Anna au premier plan ; et la défunte Magdalena Bär, au second.

On sait désormais que le tableau de Darmstadt (celui-ci) est l’authentique, car il a été actualisé par Holbein à son retour d’Angleterre, en 1528 : Dorothea a perdu sa mentonnière, passée de mode entre temps ; et Anna a coiffé la Jungfernschapel des jeunes filles nubiles.

Ce souci d’une représentation ressemblante et actuelle, autrement dit vivante, se voit également dans les artifices que Holbein a utilisés pour supprimer le caractère compassé et conventionnel de ce type de portrait familial :

  • les trois hommes s’étagent en oblique, les trois femmes selon la verticale ;
  • le pli du tapis casse les fuyantes et empêche de localiser précisément le point de fuite (plus bas en tout cas que les yeux des adultes) ;
  • la conque en écaille de tortue, les ellipses de la niche vue de dessous et les volutes des modillons confèrent un caractère organique à ce « ciel » de la composition.


Une profession de foi catholique

Il ne fait aucun doute que cette Madone familiale comporte une dimension militante, à une période où le maire était en butte aux attaques des calvinistes, devenus dominants à Bâle.

  • La couronne de la Vierge, imitée de la couronne impériale, lui accorde implicitement la légitimité à régner sur l’Allemagne.
  • Sa ceinture, bien mise en évidence, est un chiffon rouge à l’encontre des protestants. Elle fait référence à l’épisode de Thomas doutant de l’Assomption de Marie : celle-ci lui donna sa propre ceinture, preuve qu’elle était physiquement montée au ciel.
  • Enfin, la coquille derrière la tête de la Vierge a pour centre une perle unique (invisible sur les reproductions) qui ferme son corsage transparent : or la perle, qui naît à l’intérieur de la coquille intacte, est une métaphore de la virginité de Marie.


Un condensé iconographique (SCOOP !)

Consciemment ou pas, Holbein a concentré dans cette oeuvre toute une tradition iconographique que la Réforme, puis la Contre-Réforme, allaient définitivement enterrer.

  • Le figuier derrière le mur gris résume l' »hortus conclusus ».
  • Le tapis et la coquille délimitent de manière minimaliste l’espace sacré (que Memling figurait par un dais, voir 1-4-2 Tryptiques flamands)
  • Les deux gros modillons en pierre qui la soutiennent sont un rappel du triptyque à la mode hollandaise : mais en imposant l’agenouillement de la famille sous leur masse, ils évoquent aussi le manteau protecteur de la Vierge de Miséricorde.

Nichés tout contre la Madone, en taille réelle et en ressemblance photographique, les donateurs de Holbein ont acquis un statut d’intimité impossible à dépasser désormais.


Un tableau votif

Au XIXème siècle, l’aspect souffreteux de l’Enfant Jésus a fait croire que le tableau était un voeu pour la guérison d’un enfant malade : cette hypothèses est abandonnée aujourd’hui.


Un tableau de dévotion privée

On sent que d’intenses relations d’affection et de compassion lient les membres de la famille Mayer, au même titre que le regard de la Vierge se porte, relayé par Jésus, sur l’ensemble de la famille humaine.



1525-26 and 1528 Darmstadt_Madonna,_by_Hans_Holbein_the_Younger coll priv schema

 

  • La Vierge regarde son fils qui regarde le spectateur (flèches vertes).
  • Le père prie en levant les yeux vers la Madone, tandis que le garçonnet baisse les siens vers le bébé, lequel regarde à son tour vers le bas en dehors du tableau (flèches bleues).
  • Enfin les trois femmes disent leur chapelet en regardant la première l’époux, la seconde le garçonnet, la troisième le bébé (flèches blanches).

Ces regards corroborent l’interprétation habituelle selon laquelle le garçonnet et le bébé seraient deux fils décédés avant la réalisation du tableau. Ainsi la mère morte regarde son époux vivant, tandis que la mère et la soeur vivantes regardent leur fils et leur frère défunt.


Une épitaphe

L’analyse des regards conforte la proposition de Kemperdick selon laquelle le tableau était l‘épitaphe de la famille Meyer, accrochée dans une église de Bâle (probablement la Martinkirche et rendue à son propriétaire au moment de l’iconoclasme.


1525-26 and 1528 Darmstadt_Madonna,_by_Hans_Holbein_the_Youngercoll priv detail

Ainsi s’expliqueraient les regards croisés entre morts et vivants, ainsi que la main du bébé mort pointant vers le bas, vers l’emplacement de sa tombe… en dessous du pli du tapis.



Références :
[0] « Parallelism in the Frescoes in the Oratory of St. George in Padua (1379-84) » Mary D. Edwards, Zeitschrift für Kunstgeschichte, 71. Bd., H. 1 (2008), pp. 53-72 https://www.jstor.org/stable/40379324
[2] https://it.wikipedia.org/wiki/Lucia_Marliani
Edoardo Rossetti, « Il volto di Lucia : un ritratto ritovato », 2010 http://www.academia.edu/2063684/Il_volto_di_Lucia._Un_ritratto_ritrovato
[3] « Venezia e la peste: 1348-1797″, Marsilio Editori, 1979, p 215
[5] Relazioni degli ambasciatori Veneti al Senato, raccolte, annotate, e pubblicate da Eugenio Albèri, 1846, p 28
[6] « Italian paintings in the Walters Art Gallery », Zeri, 1976, volume 1, p 248. Cette notice comporte une erreur sur la date de nomination des procurateurs.
[8] « The Iconography of the Columns in Titian’s Pesaro Altarpiece » Helen S. Ettlinger, The Art Bulletin, Vol. 61, No. 1 (Mar., 1979), pp. 59-67 https://fr.scribd.com/document/82225916/Ettlinger-Iconography-of-the-Columns-in-Titians-Pesaro-Altarpiece
[9] La “Madonna Greca” di Alcamo. Un dipinto per Jacopo Siculo, Antonio Cuccia http://www1.unipa.it/tecla/rivista/12_rivista_cuccia.php
[10] La «Madonna greca» di Pier Francesco Sacchi ad Alcamo: contesto lombardo e via ligure. Claudio Gulli, Concorso, Arti e lettere, IX, 2015
https://riviste.unimi.it/index.php/concorso/article/view/7683

6-8 Le donateur-humain: en couple

4 juillet 2019

Tout comme nous l’avions fait pour les donateurs-souris (voir 4-4 …en couple), cet article s’intéresse aux différents types de couples de donateurs à taille humaine en présence de la Madone : frères, parent et enfant, mari et femme, en Italie puis dans les Pays du Nord.

Dans quelques cas particuliers intéressants, le couple se présente en bloc du même côté de la Madone : mais dans l’immense majorité des cas, il se divise de part et d’autre de la Madone, en respectant l’ordre héraldique.

Italie

Deux frères

1382 Maestro di San Nicolo ai Celestini - Madonna con Bambino in trono con Santi e devoti -Accademia Carrara Bergame
Vierge à l’enfant avec Saint François, sainte Catherine et un couple de chevaliers
Maestro di San Nicolò ai Celestini, 1382, Accademia Carrara, Bergame

Cette fresque provient de la salle capitulaire du couvent de Saint François de Bergame. Les deux donateurs ont été identifiés comme Giovanni et Giacomo, comtes Suardi, portant l’aigle rouge des Gibelins [1]. Ils portent à gauche l’épée, à droite un petit poignard (« sfondagiaco ») qui sert à achever l’adversaire abattu, en pénétrant entre les mailles de la cotte. Le long du manteau de la Vierge on peut lire un graffiti en lettres gothiques donnant des identités différentes :
« HIC IACET NOBILES ET EGREGII VIRI [MAGNIFICI BARTHOLOMEUS ET FRANCISCHVS FRES ET FILII QVA DNI RUDOLPHI DE CAZANIS] « 

Si Saint François est présent en tant que patron du couvent, la présence de sainte Catherine est inexpliquée.


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1380 ca Maestro di San Francesco St Bartholomee, Agathe Accademia Carrara Bergamo (convento di San Francesco)
Vierge à l’enfant avec St Bartholomé, Sainte Agathe, un chevalier et son écuyer (ou son fils)
Maestro di San Francesco, vers 1380, Accademia Carrara, Bergame

Dans cette autre fresque provenant du même couvent, le petit personnage est souvent interprété comme le fils du chevalier, dont l’identité est inconnue. Il s’agit plus probablement de son écuyer, portant l’étendard de son maître, son casque est ses gantelets qu’il a enlevés pour se présenter à Marie : sa petite taille symbolise sa condition subordonnée.



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1382 Sant'Antonio_(Padua)_-_Cappella_del_beato_Luca_Belludi famille Conti St Jacques St Philippe_-_Giusto_de'_Menabuoi

Giusto de’ Menabuoi, 1382, Chapelle du bienheureux Luca Belludi, basilique Saint Antoine de Padoue

La chapelle a été construite pour le compte des frères Naimerio et Manfredino Conti, patriciens padouans : ils sont figurés de part et d’autre de la Madone, entouré de quatre célébrités franciscaines : Naimerio est présenté par Saint François et Saint Louis de Toulouse, Manfredino est présenté par saint Antoine et le bienheureux Luca Belludi (portant déjà par anticipation son auréole de Saint [2] ).

Les deux saints patrons de la chapelle figurent sur les pans latéraux : à gauche Saint Jacques présente l’épouse de Naimerio, Margherita Capodivacca précédée par ses enfants ; à droite Saint Philippe présente les deux fils de Manfredino, Prosdocimo et Artusio.

La raison de ces dissymétries est que Naimerio, l’aîné, était mort en 1379 et enterré dans la chapelle, alors que son frère ne mourra qu’en 1395. La préséance a donc été donné à la famille du défunt, induisant une présence féminine à gauche. Menabuoi en a tenu compte, dans l’Annonciation au dessus, en inversant de manière très inhabituelle la position de l’Ange et de Marie (voir ZZZ).


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1490 - 1524 Giovanni Agostino da Lodi Madonna con Bambino e devoti, Museo nazionale di Capodimonte

Vierge à l’Enfant avec deux jeunes donateurs
Giovanni Agostino da Lodi, 1490, Museo nazionale di Capodimonte, Naples

On n’a pas de certitude qu’il s’agisse de deux frères, mais la ressemblance des visages et le caractère ostensiblement en miroir de la composition rend cette hypothèse possible. Par son geste qui fait allusion à l’iconographie de la Vierge de la Miséricorde (voir 2-2 La Vierge de Miséricorde), Marie prend sous sa protection équitable les deux jeunes gens, tout en symbolisant leur solidarité.

La composition recèle cependant des écarts subtils à la symétrie :

  • le garçon de gauche lève les yeux vers la Vierge, qui le regarde en retour ; il « touche » du bout des doigts une coupe vide, ce qui élimine l’idée qu’il pourrait s’agit de son offrande à la Madone (voir dans 2-3 Représenter un don le panneau de Basaiti où un jeune homme situé à gauche offre une coupe remplie de cerises ) ; de manière imperceptible, l’Enfant esquisse vers lui une bénédiction ;
  • le garçon de droite, quant à lui, fixe l’Enfant, qui tient au dessus de ses mains jointes une tulipe, comme s’il allait la lui donner.

Cette circulation subtile des gestes et des regards laisse présumer une intention bien précise, devenue malheureusement indéchiffrable : le laurier qui surplombe Marie et se prolonge en « couronne » derrière les têtes de deux jeunes gens ne serait-il pas l’indication qu’il s’agit de deux « lauréats », dont le premier a remporté la coupe et l’autre seulement la fleur ?


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1560 Michele di Ridolfo Madonna incornata dagli angeli tra le sante Agnese e Cecilia e i novizi domenicani, Firenze, Santa Maria Novella
 
Vierge couronnée par deux anges entre Sainte Agnès et  Sainte Cécile avec deux novices dominicains
Michele di Ridolfo, 1560, Chapelle du Noviciat, couvent de Santa Maria Novella, Florence

Les deux jeunes frères viennent de recevoir la robe blanche et la tonsure, première étape dans leur noviciat.  Ils sont présentés à la Madone, dans une composition pyramidale qui, des fleurs jonchant le sol à la couronne culminante, illustre aussi le chemin qui leur reste à parcourir jusqu’à leur propre couronnement.

La circulation des gestes crée une dynamique en triangle :

  • ascendante à droite, de sainte Cécile montrant la Vierge  à Marie qui rend un regard souriant au frère aux mains croisées  ;
  • descendante à gauche, de l’Enfant bénissant  à Sainte Agnès qui désigne le frère aux mains jointes.

Ces postures de prière différentiées portent  une nuance de de supplication (mains croisées) et d’exaucement (mains jointes) : ainsi ces deux frères si semblables symbolisent probablement  le début du noviciat, en position d’humilité,  et son succès final,  en position d’honneur.

L’inscription sur les marches, entre l’agneau et l’orgue, place pieusement le peintre au centre de ce circuit d’oraisons :

Le jour d la Nativité de la Sainte Vierge MariePriez pour le peintre

d(ie) nat(ivitatis)b(eatae)
v(ir)g (i)n(is) m(ariae
orate pro pictore


Parent et enfant

1370 ca Charles IV kneeling before Madonna-Votive picture of archbishop Jan Ocko Holmstad From St. Agnes of Bohemia monestary National Gallery Prague
Panneau votif de l’archevêque Jan Ocko of Vlašim
Ecole de Maître Theoderich de Prague, vers 1370, National Gallery, Prague (réalisé pour la chapelle du château des archevêques de Prague )

A l’étage inférieur, l’archevêque de Prague Jan Ocko of Vlašim s’agenouille devant son prédécesseur, Saint Adalbert, présenté par Saint Vitus.

A l’étage supérieur, c’est directement devant la Madone que s’agenouillent l’Empereur Charles IV et son fils le Roi Wenceslaus IV, présentés par respectivement par Saint Sigismond de Bourgogne et Saint Wenceslas de Bohême [3].

Dans ce panneau très hiérarchisé et compartimenté, les saints patrons sont choisis parmi les pairs ou les supérieurs de chaque ordre : deux rois pour la famille royale, un martyr pour l’ ecclésiastique.



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1500 Pala Casio Giovanni Antonio Boltraffio Saints John The Baptist and Sebastian Between Two Donors Girolamo et Giacomo Casio Louvre Paris

Pala Casio
Giovanni Antonio Boltraffio, 1500, Louvre, Paris

Les deux donateurs sont, à gauche, Giacomo Marchione de Pandolfi da Casio et, à droite, son fils Girolamo Casio, marchand de gemmes et poète bolonais, d’où sa couronne de lauriers.

Saint Jean-Baptiste et Saint Sébastien, représentés en pied et dominant la Madone de leur haute silhouette, sont plus là pour satisfaire à une esthétique léonardesque que pour des raisons de dévotion.


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1508, Boltraffio, Madonne de Lodi avec le donateur Bassiano Da Ponte Musee des Beaux Arts, Budapest
 

Madone de Lodi avec le donateur Bassiano Da Ponte
Boltraffio, 1508, Musée des Beaux Arts, Budapest

On les retrouve d’ailleurs dans cette autre Madone de Boltraffio, restée inachevée, toujours sans aucun lien avec le prénom du donateur.


Giovenone, Gerolamo, 1486/1487-1555; The Virgin and Child with Saints and Donors

Saint Bonaventure avec un donateur, Saint Francois d’Assise avec un donateur
Gerolamo Giovenone, vers 1520, National Gallery, Londres

On ne connaît pas l’identité des donateurs, chacun présenté par un saint franciscain. Malgré la rigidité inhérente à la formule, Giovenone a ménagé des écarts par rapport à la très forte symétrie : vêtements des donateurs (noir ou à manche colorées), position du couvre-chef (tenu en main ou posé par terre), instrument de musique des anges (flûte ou violon), forme du crucifix tenu par les Saints. Celui de Saint Bonaventure est en forme d’arbre ébranché, référence habituelle à son traité de « l’Arbre de vie ».


Un crucifix révélateur (SCOOP !)

Le fait que ce crucifix porte au sommet un pélican nourrissant ses enfants pousse à l’interpréter aussi comme un « attribut » du donateur de gauche, tandis que celui de droite se distingue par son épée (la jeunesse s’opposant à la vieillesse). La différence d’âge (symbolisée par la longueur différente de leurs « arbres de vie » ) jointe à la ressemblance des profils, suggère fortement qu’il s’agit d’un couple père-fils.


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Macrino-d’Alba 1501 Palazzo Communale Alba

Vierge à l’enfant, Saint François, Saint Thomas d’Aquin et deux donatrices
Macrino d’Alba, 1501, Palazzo Communale Alba

Les deux donatrices sont probablement une mère et une fille de la famille Paleologo (sa cousine la marquise de Monerrrato et sa fille [4]). Selon la tradition, le retable provient de l’église San Francesco d’Alba, d’où la présence de ce saint en position d’honneur. La maquette que porte Saint Thomas ne réfère pas nécessairement à un édifice particulier, mais à son rôle de Docteur de l’Eglise.



Deux hommes

1486, Benedetto_diana san_Girolamo,_san_Francesco_d'Assisi_e_i_donatori Girolamo Pesaro Giovanni Francesco Trevisan ,__Ca' d'Oro

Vierge à l’Enfant entre Saint Jérôme, saint François d’Assise et les donateurs Girolamo Pesaro et Giovanni Francesco Trevisan
Benedetto Diana, 1486, Ca’ d’Oro, Venise

Ce tableau officiel, destiné à une pièce du Palazzo della Zecca, montre deux fonctionnaires des finances, qu’on on a pu identifier grâce à leurs armoiries familiales, et au saint patron qui donne leur prénom. On voit par là l’efficacité, par delà les siècles, de ce système purement visuel de double identification.


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1470 - 1513 Pinturicchio, Madonna con Bambino e donatore Pinacoteca Ambrosiana, Milano

Vierge à l’Enfant avec un donateur
Pinturicchio, 1500-10, Pinacoteca Ambrosiana, Milan

La sensation de vide que donne la partie droite du panneau s’explique par le fait qu’il s’y trouvait à l’origine un second donateur, supprimé pour cause de mauvais état.



1470 - 1513 Pinturicchio, Madonna con Bambino e donatore Pinacoteca Ambrosiana, Milano detail
La scène dans l’arche rocheuse, sous la main de l’Enfant bénissant (deux chevaliers chrétiens attaqués par un cavalier turc) laisse supposer qu’il s’agissait d’un tableau votif, en remerciement d’avoir repoussé une attaque [5].


Mari et femme : Maesta

Tous comme pour les donateurs seuls (voir 6-2 …en Italie, dans une Maesta), les plus anciens exemples de couples de donateurs se rencontrent avec la Vierge en Majesté.


1339 Paolo Veneziano doge-francesco-dandolo-and-his-wife St Francis and St Elisabeth of Hungary-Santa Maria Gloriosa dei Frari, Venice

Le doge Francesco Dandolo et sa femme Elisabetta Contarini. Saint François et Sainte Elisabeth de Hongrie
Paolo Veneziano, 1339, Santa Maria Gloriosa dei Frari, Venise

Le Doge revêtu des insignes de sa puissance (on voit les éperons qui dépassent de sa robe) et sa veuve en habit de deuil sont recommandés à la Madone par leurs saints patrons respectifs (Saint François étant aussi celui de l’église des Frari). On mesure le bouleversement conceptuel qui a conduit à faire « monter au ciel » non seulement le doge défunt mais aussi son épouse vivante, en préfiguration de leurs retrouvailles au Paradis. En inclinant l’Enfant vers le mari, mais la tête de la Vierge vers l’épouse, la composition trahit un souci très moderne d’équilibre dans le couple.


1339 Paolo Veneziano doge-francesco-dandolo-and-his-wife Jan revembroch, Monumenta Veneta (1754), II, f. 52 (BMCV, MS Gradenigo-Dolfin 208
Jan revembroch, Monumenta Veneta (1754), II, f. 52 (BMCV, MS Gradenigo-Dolfin 208 [6]

Réalisée avant le déplacement puis le remontage de la lunette, cette illustration restitue la symétrie (la lunette a été lègèrement tronquée sur la gauche), mais aussi l’unité de conception profonde de cet unicum iconographique.

Sur le sarcophage contenant le cadavre du doge est figurée la Dormition de Marie, entourée par les douze apôtres. Au centre, le Christ est descendu prendre dans ses bras la petite âme de sa mère, inversant spectaculairement le geste de la Vierge à l’Enfant, juste au dessus.


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1359 Vierge Saint Christophe Bernard san Giovanni ai Campi piobesi torinese

Vierge à l’Enfant avec Saint Jean Baptiste, Saint Christophe, saint Bernard, des anges et un couple de donateurs
1359, église San Giovanni ai Campi, Piobesi torinese

Bien éloignée des fastes vénitiens, la façade de cette humble église montagnarde a été décorée par un couple de voyageurs, comme l’explique l’inscription en deux parties :

Cartouche de gauche :

Cette oeuvre a fait faire
Le frère Jean Pivart
de Chamusset en Savoie et sa femme

(une main pointe la suite du texte, à droite)

Hoc opus (f)ecit fieri
frater) Ioh(ann)es Pivart de Cam
useto d(e) Sab(a)ud(i)a et usor..

 Cartouche de droite :

Guillaumette, en l’honneur
de Dieu, de la Vierge Marie et de Saint Jean
de Piovese le 3 octobre 1359

…sue Willermina ad honore(m)
Dei et Virgine(m) Marie e s(ancti) Iho(ann)es
d(e) Piobes MCCCLVIIII die III hoctub(ris)

 Le terme « frater » laisse penser que le couple appartenait à une confrérie, et sa besace qu’il s’agissait de pèlerins. Jean Baptiste, patron de l’église et aussi du mari, a donc une double raison de figurer à la place d’honneur. Saint Christophe est présent en tant que protecteur des voyageurs, comme l’indique l’inscription : « Quiconque fixera cette image de Saint Christophe certainement ce jour-là ne sera pris dans aucun malheur. »

La présence de Saint Bernard avec un démon enchaîné à ses pieds (presque disparu, à gauche de la porte) renforce encore le caractère propitiatoire de ces fresques naïves. [7]


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1485 bevilacqua Giovanni Battista, S. Antonio Chiesa San Vittore, Landriano

Vierge à l’Enfant avec Saint Jean Baptiste, Saint Antoine et un couple de donateurs
Ambrogio Bevilacqua, 1485, église San Vittore, Landriano

Les donateurs sont deux nobles du pays, Nicola degli Oddoni et son épouse Antonia Osio (d’où le choix de Saint Antoine). Il s’agit d’une fresque votive offerte l’année d’une épidémie de peste, contre laquelle on invoquait la protection de ces saints. Nous avons déjà rencontré de telles peintures votives, mais avec des donateurs-souris ( voir par exemple le panneau de Gozzoli dans 4-4 …en couple).


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1480-84 Bottigella Altarpiece Vincenzo Foppa, Madonna con Matteo Bottigella e Bianca Visconti , Museo civico Pavia

Vierge à l’Enfant avec des Saints, des Bienheureux, et les donateurs Matteo Bottigella et Bianca Visconti
Vincenzo Foppa, 1480-84 , Museo civico, Pavie

Au second plan, les quatre saints ont des attitudes différentiées :

  • à gauche Saint Matthieu désigne le donateur Matteo Bottigella tandis que Saint Jean Baptiste, selon son geste habituel, lui montre l’Enfant ;
  • à droite Saint Etienne et Saint Jérôme, tous deux munis de livres, discutent théologie.

Au premier plan, un couple de bienheureux locaux, distingués des saints par leur auréole rayonnante et identifiés par une inscription, présentent le couple de donateurs : sous saint Matthieu, le bienheureux Dominique de Catalogne (fondateur de l’hôpital San Matteo de Pavie), et en face la bienheureuse Sibillina de Pavie : une relique de celle-ci était conservée dans l’autel sur lequel ce tableau était placé, dans la chapelle familiale des Bottigella, au monastère San Tommaso de Pavie,


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1490-93 Pala Nervi Filippino_Lippi Basilique Santo_Spirito

Pala Nervi, avec Tanai de Nerli et son épouse Nanna Capponi
Filippino Lippi, 1490-93, Basilique Santo Spirito, Florence

Ce panneau est intéressant par le fait que Saint Martin et Sainte Catherine ne sont pas les patrons de Tanai (diminutif de Jacopo) et de Nanna (diminutif de Giovanna), ce dernier prénom expliquant seulement la présence du petit Saint Jean-Baptiste. Les saints ont été choisis pour des raisons de dévotion familiale (on a la trace de dons effectués pour des messes aux fêtes de Saint Martin et Sainte Catherine [9]).


1490-93 Pala Nervi Filippino_Lippi Basilique Santo_Spirito detail

La tâche rouge du cavalier qui part en voyage, au second plan, est une possible allusion à l’histoire de Saint Martin : ce manteau rouge, coupé en deux, semble se retrouver aux deux extrémités du tableau, dans l’écharpe de Tanai et la robe de Saint Catherine.


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1490-1500 Meloni, Marco attr Pala Rangoni Nicolo Rangoni et sa femme Bianca Bentivoglio Galleria e Museo Estense, Modena

Pala Rangoni avec le marquis Nicolò Rangoni et sa femme Bianca Bentivoglio
Attribué à Marco Meloni, 1490-1500, Galleria e Museo Estense, Modena

De même, Saint Jérôme et Saint Jean Baptiste sont ici convoqués pour leur prestige, et non pour faire référence aux prénoms des donateurs.
L’inscription du socle est la suivante :

 

« A genoux reine du Ciel nous te prions, Nicolo et Bianca unis par le mariage
Favorise nous qui par un tel don parachevons tes ors
Après les cendres, attire dans ton règne nos âmes. »

« TE GENVBVS FLEXIS CELI REGINA PRECAMVR NICOLEOS IVNCTI BLANCAQ CONIVGIO
NOS FOVEAS DONE CVITALI FVNGIMVR AVRA
POST CINERES ANIMAS IN TUA REGNA TRAHE »


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1494-95 Maitre de la Pala Sforzesca Pala_sforzesca Brera Milan

Pala sforzesca
1494-95, Maître de la Pala Sforzesca, Brera, Milan

Ce tableau éminemment politique fut commandé par Ludovic le More pour affirmer son pouvoir à Milan, après la mort de l’héritier légitime, son demi-frère Jean Galéas Sforza [10] . La couronne ducale, qui plane au dessus de la tête de Marie, est bien destinée à descendre jusqu’à la tête nue de Ludovic, après avoir traversé la galerie de couvre-chefs prestigieux (papal, épiscopal et cardinalice) arborés par les quatre docteurs de l’Église : saint Ambroise, saint Grégoire, saint Augustin et saint Jérôme. En tant que patron de Milan, c’est saint Ambroise qui présente le duc à la bénédiction, à droite de la Vierge.

L’épouse, Béatrice d’Este, est agenouillée de l’autre côté. Les deux fils, l’aîné Maximilien et son frère François encore emmailloté, se répartissent de part et d’autre.

Comme l’enfant et sa main bénissante penchent du côté de l’époux, l’épouse bénéficie en compensation du geste d’accueil de la main gauche de Marie


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1503 ca Morone donateur Lionello Sagramoso et epouse Anna Tramarino Eglise San Bernardino Verone

Vierge à l’Enfant entre Saint François et Sainte Claire, avec le comte Lionello Sagramoso et son épouse Anna Tramarino
Domenico Morone, 1503, bibliothèque du couvent francscain de San Bernardino, Vérone

La fresque représente les donateurs de la bibliothèque, salle dans laquelle ils ont été enterrés (la pierre tombe a disparu) : cette grande décoration murale commandée par la famille Morone a donc été conçue d’emblée comme un mémorial. Hommage insigne, les deux époux sont accompagnés par les fondateurs de l’ordre franciscain en personne, Saint François et Sainte Claire.



1503 ca Morone donateur Lionello Sagramoso et epouse Anna Tramarino Eglise San Bernardino Verone ensemble

Chacun est à la tête d’un cortège de saints franciscains : à gauche les quatre protomartyrs du Maroc, à droite Saint Antoine, Bonaventure, Bernardin de Sienne et Ludovic de Toulouse. Le mur du fond est un large portique en trois panneaux, ouvert sur un paysage continu allant du lac de Garde au château de Malcesine, et au massif de la Lessinia. En contraste, les murs latéraux sont fermés, ornées de figures de pères de l’église et de papes franciscains, peints en trompe l’oeil devant des portes closes [11].


1503 ca Morone donateur Lionello Sagramoso et epouse Anna Tramarino detail Madone 1497, Andrea Mantegna Madonna Trivulzio Castello Sforzesco, MilanMadone Trivulzio
Andrea Mantegna, 1497, Castello Sforzesco, Milan, anciennement das l’église Santa Maria in Organo de Vérone

L’idée de la gloire d’angelots est reprise de la Madone Trivulzio, de Mantegna, mais Morone a modifié les gestes pour les adapter au couple : l’Enfant bénit le mari et la Vierge accueille l’épouse.



Dialogue sacré

Le tête à tête avec la Madone (voir 6-3 …en Italie, dans un Dialogue sacré) se rencontre aussi pour les couples.



1485-1531-Vincenzo_Catena_-_The_Virgin_and_Child_with_a_Male_and_a_Female_Donor_-_KMS3673_-_Statens_Museum_for_Kunst.jpg

Vierge à l’Enfant avec un couple de donateurs
Vincenzo Catena, 1485-1531, Statens Museum for Kunst, Copenhague

Dans cette composition, l’ordre héraldique est contrebalancé par les attitudes des deux personnages sacrés : tandis que le mari bénéficie de la bénédiction de l’Enfant, l’épouse voit la Vierge lui toucher la tête, ou simplement se pencher vers elle.

Le but de ce panneau est certainement votif : si l’arbre derrière Marie évoque l’expansion de la religion chrétienne, le figuier derrière l’épouse a, comme bien souvent, une valeur plus personnelle : l’espérance de la fertilité. A noter l’opposition entre la campagne ouverte, derrière l’homme, et l’Eglise, derrière la femme, que nous rencontrerons dans plusieurs compositions similaires, et qui renvoie probablement aux compétences différentiées du couple dans le temporel et dans le spirituel.


1490 - 1524 Maestro veneto dell'Incredulita di San Tommaso, Sacra Conversazione con donatori Musei Civici agli Eremitani, Padova
Vierge à l’Enfant avec un couple de donateurs
Maître vénitien de l’Incredulité de Saint Thomas, 1490-1524, Musei Civici agli Eremitani, Padoue

Même formule, dans laquelle les deux paysages symétriques ont certainement une valeur symbolique : la construction au pied du rocher qui porte une forteresse fait écho aux aspirations d’élévation spirituelle de chaque donateur, agenouillé au pied de la Vierge portant l’Enfant.



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1525 ca Paris_Bordone_-_Madonna_con_Bambino_e_due_donatori Los Angeles County Museum of Art

Vierge à l’Enfant avec un couple de donateurs
Paris Bordone, vers 1525, Los Angeles County Museum of Art

L’ambiance mystérieuse de ce tableau tient sans doute au caractère inabouti des regards : le donateur semble regarder son épouse qui semble échanger un regard avec Marie,  mais chacun pourrait tout aussi bien être plongé dans une méditation soucieuse sur le destin tragique de l’Enfant qui dort.

Dans la conception vénitienne, le tissu vert tendu derrière la Vierge a pour but de souligner son caractère sacré. Ici le couple se distribue dans les deux moitiés et le tissu, opposé au paysage ouvert, exprime des valeurs féminines : douceur, opacité, fécondité. La branche au dessus de l’arbre unique, et de l’Enfant, se justifie moins comme système s’accrochage du dais que comme symbole de la progéniture espérée.



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1527 Girolamo-Savoldo The-Virgin-Adoring-The-Child-With-Two-Donors Royal Collection Trust Hampton Court Palace

Vierge adorant l’Enfant avec un couple de donateurs
Girolamo-Savoldo, 1527, Royal Collection Trust, Hampton Court Palace

Cette composition très originale introduit, par les gestes des mains, une complicité entre le mari et l’Enfant d’une part (mains levées), entre la Vierge et l’épouse de l’autre (mains jointes) : tandis que la posture de celle-ci décalque celle de Marie, sa main gauche de femme mariée fait contraste avec la main nue de la Vierge. De ce fait, Jésus au centre des attentions figure, tout autant que celui de Marie, l‘enfant espéré par le couple.

A noter dans le paysage à l’arrière la dichotomie habituelle entre les compétences paternelles (le voyage, l’ouverture au monde) et les compétences maternelles (l’église, la vie spirituelle).


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1528 Moretto,_Madonna_col_Bambino_e_due_donatori Philadelphia Museum Art

Vierge à l’Enfant avec un couple de donateurs
Moretto, 1528, Philadelphia Museum of Art

La même complicité est traduite ici non par les gestes, mais par les regards et la géométrie.



1528 Moretto,_Madonna_col_Bambino_e_due_donatori Philadelphia Museum Art schema

Le mari et l’enfant d’une part, Marie et l’épouse de l’autre, s’inscrivent dans deux triangles juxtaposés, dont l’un pointe vers la moitié masculine du paysage (la ville, les lauriers) et l’autre vers sa moitié féminine. Dans le marbre tâché de l’arcade, dans les lierres, buis et herbes qui se nichent entre les pierres se lit déjà le goût de Moretto pour les architectures « maternalisées » qui s’exprimera complètement dans la Pala Rovelli (voir 2-1 En vue de profil).


Conversation sacrée

Très populaire en Italie (voir 6-4 …en Italie, dans une Conversation sacrée – synthèse quantitative), cette formule place le couple en compagnie d’un nombre variable de Saints;




1515_ca Cima_da_conegliano,_madonna_col_bambino,_santi_e_committenti Cleveland Museum of Art

Vierge à l’enfant avec saint Antoine, une sainte et un couple de donateurs
Cima da Conegliano, vers 1515, Cleveland Museum of Art

Cette composition illustre la formule la plus fréquente pour les couples, chacun étant présenté par son saint patron qui pose la main sur son épaule : la sainte est ici restée inachevée, sans l’attribut qu’elle aurait dû tenir dans sa main droite.


1500-25 Francesco Bissolo Dallas Museum of ArtDallas Museum of Art 1500-25 Francesco_Bissolo_Virgen_con_san Michel Veronique_National_GalleryNational Gallery, Londres

Vierge à l’enfant avec deux saints et un couple de donateurs
Francesco Bissolo, 1500-25

Dans ces deux compositions de Bissolo, un couple sacré,  formé d’un saint et d’une sainte, fait écho au couple humain :

  • Saint Jean (probablement) et Sainte Marie Madeleine (avec son flacon) ;
  • Saint Michel et Sainte Véronique (avec son voile),



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1510 ca Vincenzo Catena_Madonna and Child with Saints and Donors Galleria e Museo Estense Modena

Conversation sacrée avec trois saints un couple de donateurs
Vincenzo Catena, vers 1510, Galleria e Museo Estense, Modena

Les saints patrons sont Saint Jean Baptiste et sans doute Sainte Catherine, tandis que Saint Antoine de Padoue s’est rajouté sur la gauche.



1507 ca Piombo_attr Heilige_Familie

La Vierge à l’Enfant avec St Jérôme, St Antoine de Padoue, Ste Barbe, St François et deux donateurs
Attribué à Sebastiano del Piombo, avant 1510, Metropolitan Museum of Art, New York

Quatre Saints autorisent des combinaisons plus complexes, et largement indéchiffrables : si les Saints patrons, aux deux bouts, sont clairement Jérôme et François, la raison d’être du couple de saints intermédiaires, sans aucun attribut, reste obscure.


1507 Bernardio Luini Musei Civici Agli Eremitani Padoue

Conversation sacrée avec quatre saints et un couple de donateurs
Bernardino Luini, 1507, Musei Civici Agli Eremitani, Padoue

Dans cette composition très symétrique, chaque donateur a derrière lui un couple Saint/Sainte : Pierre et Catherine derrière l’homme, Lucie et Paul derrière la femme. D’après leur geste de la main, les patrons sont probablement Pierre et Paul, tandis que les deux saintes s’insèrent au milieu, en tant que  suivantes de la Vierge.



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———————– Six Saints

1515 ca St. Sebastian, Francis, Baptist,Jerome, unidentified female saint, St. Anthony of Padua Cercle de Giovanni Bellini Fogg Museum Harvard

Conversation sacrée avec six saints et un couple de donateurs
Cercle de Giovanni Bellini, vers 1515, Fogg Museum, Harvard

Nous voici avec trois saints derrière chaque donateur : les Saints Sébastien, François, et Jeaan Baptiste derrière l’époux, saint Jérôme, une sainte non identifiée et Saint Antoine de Padoue derrière l’épouse. Les patrons doivent être les deux qui tiennent des banderoles au dessus des têtes des époux, dont les prénoms devaient donc être Giovanni et Geromina.




Le couple unifié

Dans cette formule rarissime, c’est en tant que couple (et non comme deux individus distinct) que le mari et l’épouse se présentent du même côté de la Madone.



1500-49 Suiveur du Perugin, san Domenico, santa Caterina da Siena e due donatori National Gallery

Vierge à l’Enfant, Saint Dominique, sainte Catherine de Sienne avec deux donateurs
Suiveur du Perugin, 1500-49, National Gallery, Londres

Les deux saints dominicains encadrent la Madone de manière très symétrique, chacun tenant un livre à la couverture rouge et une tige de lys.

Les deux époux en revanche se présentent « comme un seul homme » en position d’humilité, alors qu’il eut été plus logique qu’ils se distribuent de la manière conventionnelle, le mari aux pieds du saint et l’épouse aux pieds de la Vierge.

Plus étrange : tandis que le couple de Saints respecte l’ordre héraldique, le couple humain ne le respecte pas, puisque l’homme se se trouve à gauche de la femme.

Si l’artiste a enfreint doublement la représentation traditionnelle des couples, c’est très probablement pour nous faire comprendre qu’il ne s’agit pas de cela mais, plus probablement, d’un frère et d’une soeur.


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1500 - 1532 Luini Bernardino , san Giovanni Evangelista e donatori Palazzo Borromeo, Isola Bella, Stresa

Vierge à l’Enfant, un saint avec deux donateurs
Bernardino Luini , 1500 – 1532, Palazzo Borromeo, Isola Bella, Stresa

Dans cette oeuvre très léonardesque, l’ambiguïté sexuelle de Saint Jean Baptiste contamine le second donateur, dont il est difficile de dire s’il s’agit d’une épouse ou d’un adolescent.

En fait, une exposition récente à montré que l’adolescent fait couple avec le « saint » : il s’agit en fait d’une représentation très peu conventionnelle, et délibérément équivoque, du jeune Tobie avec l’Archange Raphaël.


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1525 - 1575 Anonyme piemontais Sacra Famiglia con san Giovannino, un angelo e donatori loc inconnue
Sainte Famille avec Saint Jean Baptiste enfant et un couple de donateurs
Anonyme piémontais, 1525 – 1575, localisation inconnue

Bien plus conventionnelle, cette composition sépare par sa diagonale, d’une part la Sainte Famille (étendue à Saint Jean Baptiste enfant), d’autre part le couple en position héraldique, présenté par un ange. Le couple est ici traité comme un détail s’insérant à l’intérieur de la scène sacrée, non comme deux acteurs imposant une recomposition de l’ensemble.


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1533-35 Lotto_-_Madonna_and_Child_with_Two_Donors_J._Paul_Getty_Museum

Vierge à l’Enfant avec un couple de donateurs
Lotto, 1533-35, Getty Museum, Malibu [12]

Bien différente est cette composition, dans laquelle Lotto met en place une structure quadripartite particulièrement étudiée, matérialisée par le mur gris, le tissu vert et le paysage.



1533-35 Lotto_-_Madonna_and_Child_with_Two_Donors_J._Paul_Getty_Museum paysage
A l’arrière-plan, un autre couple est tendrement assis au pied d’un arbre, tandis qu’au premier plan une figue unique est suspendue : prise isolément, cette scène suggère inévitablement le Péché originel.



1533-35 Lotto_-_Madonna_and_Child_with_Two_Donors_J._Paul_Getty_Museum schema

Mais vu dans l’ensemble du panneau,la figue se trouve suspendue au-dessus de la donatrice, et traduit le désir d’une descendance, selon la métaphore habituelle de l’arbre fertile.

Notons que le couple se présente en respectant l’ordre héraldique (aussi bien vu par Marie que vu par le spectateur) et que l’épouse montre une médaille qu’elle est venue faire bénir, comme pour protéger sa future progéniture.



1533-35 Lotto_-_Madonna_and_Child_with_Two_Donors_J._Paul_Getty_Museum schema 2
Le geste pudique de la Vierge, en contrepoint de l’image des amours humaines, traduit l’espérance du couple : une union sanctifiée et fructueuse.



En France

1448 avant Tombeau d alzias de saunhac avec epouse Alix st Michel Marie Madeleine eglise de Belcastel aveyron

Tombeau d’Alzias de Saunhac avec son épouse Béatrix d’Ampiac
1418, église de Belcastel, Aveyron

Situé dans la chapelle en contrebas du château seigneurial, cet enfeu montre le gisant du baron, allongé en armure, les pieds sur un lion, tournés vers l’Orient selon l’usage médiéval pour les chevaliers et les frères (les prêtres étaient au contraire enterrés avec la tête vers l’Orient).

Sur le flanc est représenté le couple priant la Vierge debout (l’Enfant a été cassé), encadré par Saint Michel combattant le dragon et par sainte Marie Madeleine. La représentation du Paradis « au dessous » du gisant peut surprendre, mais se justifie par le fait que les cercueils était placés dans un caveau situé sous le sol, sur des grilles de fer qui subsistaient encore au XIXème siècle [8].


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1480-90 Pierre petitde et epouse cathedrale Moulins

Vierge à l’Enfant avec Saint Pierre et Sainte Barbe présentant Pierre Petitdé et son épouse Barbe Cadier,
1480-90, Cathédrale de Moulins

Les donateurs ont été identifiés par leurs armoiries et leur devise « J’aurai le bout », dans les flammes sommitales au dessus des anges musiciens. Le portrait de l’épouse ayant été endommagé, un vitrier l’a remplacé après 1838 par un donateur plus récent provenant très probablement d’un autre vitrail de la cathédrale.


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1500 Verriere d’Arnoult de Nimegue Eglise de Conches-en-Ouche

Vierge à l’Enfant entre  Saint Adrien de Nicomédie avec Guillaume Toustain de Frontebosc, et   Saint Romain de Rouen, avec Anne de Croixmare.
Arnoult de Nimègue, vers 1510, église Saint Foy, Conches-en-Ouche

Côté masculin  Saint Adrien (de Nicomédie) arbore les instruments de  de son supplice  : l’enclume sur laquelle on lui brisa les membres et l’épée qui lui trancha la tête . Le lion qu’on voit toujours à ses pieds symboliserait son courage (selon L.Réau) ; plus probablement il résulte d’une agglomération avec un autre martyr, Saint Adrien de Césarée, qui échappa aux lions pour finir lui aussi la tête tranchée : la grimace gourmande du félin dans le dos de l’époux milite ici pour la seconde interprétation.

Côté féminin, Saint Romain tient sa croix d’archevêque de Rouen : elle fait aussi allusion au  signe de croix qui lui permit de domestiquer la « gargouille » qui terrorisait les alentours, et de la ramener en ville, tenue en laisse par son étole.

Le choix des deux Saints n’a rien à voir ici avec les prénoms : ils fournissent une allégorie commode des vertus attendues des deux époux :

  • la Force (l’épée, l’enclume) contre les périls terrestres (le lion) ;
  • a Piété (la croix) contre  les péchés aqueux (la gargouille).

A noter que l’église contient deux autres verrières postérieurs (1540) présentant des couples de donateurs à taille humaine : autour du Sacrement de l’Eucharistie et autour de la Nativité.



Pays du Nord

1475 ca Book of Hours perhaps Paris, Morgan Library MS S.5 fol. 22r
Livre d’Heures, France
Vers 1475 , Morgan Library MS S.5 fol. 22r

Equitablement présentés par Saint Jean Baptiste, les deux membres du couple, le mari devant et la femme derrière, s’approchent de l’Enfant qui leur tend une rose de sa main gauche, et tient une pomme dans sa main droite.


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1494-1505 Portrait_of_the_Chevalier_Philip_Hinckaert_and_St._Philip_the_Apostle,_before_the_Virgin_Fizwiliam Museum

Vierge à l’Enfant avec Saint Philippe et le chevalier Philip Hinckaert
1494-1505, Fizwilliam Museum, Cambridge

Le monogramme P et G du fond laisse penser que ce panneau comportait probablement à droite un portrait équivalent de Gertrude van de Feucht, l’épouse de Philippe.


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Maitre de 1499 louvre Paris
Vierge à l’Enfant avec un couple de donateurs
Maitre de 1499, Louvre, Paris

La pomme dans la main gauche de la Vierge est supplantée par le bébé dans sa main droite, lequel étend déjà ses bras en prémonition de la Croix. Dans une dissymétrie significative, la femme prie du côté de fruit d’Eve et l’homme du côté du « fruit » de Marie.


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1511 Goswin_van_der_Weyden_-_The_Gift_of_Kalmthout_-_WGA25568 Gemalde Berlin

Le Don de Kalmthout
Goswin van der Weyden, 1511, Gemäldegalerie, Berlin

Commandé par le monastère de Tongerlo, la tableau commémore le don de terres que lui firent au XIIIème siècle Arnold de Louvain (mort en 1250) et son épouse Elisabeth de Breda : don symbolisé par les deux arbres en pot qu’ils présentent à la Madone.

Ce tableau constitue un étrange patchwork temporel : Goswin van der Weyden se sert des vêtements démodés de l’époque de son célèbre grand-père pour suggérer l’ancienneté de la scène.


1450 ca Rogier_van_der_Weyden_(workshop_of)_-_Portrait_of_Isabella_of_Portugal Getty Museum Malibu
Portrait d’Isabelle du Portugal
Atelier de Rogier van der Weyden, vers 1450, Getty Museum Malibu

Le portrait de la donatrice est carrément une copie de celui d’Isabelle du Portugal.


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1528 Jan_van_Scorel_-_Madonna_of_the_Daffodils Berlin GemaldegalerieMadone aux boutons d’or
Jan van Scorel, 1528, Gemäldegalerie, Berlin
1530 Jan_van_Scorel_-_Madonna_with roses Utrecht central Museum photo JL MazieresMadone aux roses
Jan van Scorel, 1530, Utrecht central Museum, photo JL Mazieres

Ayant mis au point la pose élégante de sa Madone aux fleurs…


Museo Thyssen- Bornemisza

Madone aux jonquilles avec un couple de donateurs
Jan van Scorel, 1535, Musée Thyssen-Bornemisza, Madrid

… Van Scorel l’a réutilisée, avec des jonquilles, pour ce couple de donateurs (non identifié). Il s’agit probablement d’une épitaphe, dans laquelle les jonquilles (ou « lys de l’Est ») ont gardé leur symbolique médiévale de fleurs de la Résurrection.



Références :
[2] ASPECTS OF FRANCISCAN PATRONAGE OF THE ARTS IN THE VENETO DURING THE LATER MIDDLE AGES, Louise Bourdua, p 40 http://wrap.warwick.ac.uk/35830/1/WRAP_THESIS_Bourdua_1991.pdf
[4] Macrino d’Alba, Edoardo Villata, 2000 p 37
[6] « Santa Maria Gloriosa dei Frari : immagini di devozione, spazi della fede = devotional spaces, images of Piety » / a cura di = edited by Carlo Corsato, Deborah Howard. – Padova : Centro Studi Antoniani, 2015. – XXVIII,
https://www.academia.edu/18626577/Il_monumento_funebre_di_Francesco_Dandolo_nella_sala_del_capitolo_ai_Frarihttp://www.lombardiabeniculturali.it/opere-arte/schede-complete/C0050-00748/
[7] http://www.pievedipiobesi.it/gli_affreschi_della_facciata.html
http://www.pievedipiobesi.it/files/piobesi_s_giovanni-_4a_parte_affreschi_conferenz.pdf
Rinaldo Merlone, La « plebs de Publicis « e le chiese di San Giovanni e di Santa Maria, Bollettino storico-bibliografico Subalpino, XCVI, 1998, I p 5
[8] Revue archéologique du midi de la France: recueil de notes, mémoires, documents relatifs aux monuments de l’histoire et des beaux-arts dans les pays de Langue d’Oc …, Volumes 1 à 2, 1867, p 50

6-7 Le donateur-humain dans les Pays du Nord (après 1450)

1 juillet 2019

Dans les Flandres, le donateur à taille humaine se développe, après 1450, dans la formule très particulière des diptyques de dévotion, où le donateur est toujours à droite. Cette position est identique dans les oeuvres d’un seul tenant, sauf deux cas exceptionnels que nous analyserons.

Le Diptyque de dévotion flamand

Nous avons vu apparaître sporadiquement, à la fin du XIVème siècles, quelques essais de diptyques dans lesquels le donateur occupait la partie gauche et la Vierge à l’Enfant la partie droite, la séparation physique étant une manière d’éluder les problèmes de miscibilité entre le profane et la sacré (voir  6-1 …les origines)

Au milieu du XVème siècle, à la suite de Van der Weyden, la formule très particulière du diptyque de dévotion privée va se développer dans les Flandres.



1445-60 Rogier_van_der_Weyden_diptyque froimontDiptyque de Laurent Froimont , Van der Weyden, 1445-60,Musée des Beaux-Arts de Caen/ Musées Royaux des Beaux Arts de Bruxelles 1450 rogier-van-der-weyden-diptyque-jean-grosDiptyque de Jean de Gros, Van der Weyden, 1450,Musée des beaux-arts de Tournai /-Art Institute de Chicago 1460 ca Rogier_van_der_Weyden_diptyque_CroyDiptyque de Philippe de Croy, Van der Weyden, 1460Huntington Library, San Marino / Musée des beaux-arts d’Anvers

Ces trois diptyques, qui possèdent tous un revers armoriés, sont décrits en détail dans ZZZ..

Nous nous intéressons ici à leurs caractéristiques commune :

  • donateur dans le volet droit, respectant l’ordre héraldique ;
  • aucune interaction entre le donateur et la scène sacrée ;
  • cadrage à mi corps et fond neutre, supprimant la question de la continuité du décor.

Resserré et austère, ce type de composition cultive à la fois l’intimité et la distance, l’égalité dans l’apparence et l’incommensurabilité dans l’essence : les personnages sacrés sont indifférents à la présence du donateur, et celui-ci ne les regarde pas. Contrairement à tous les exemples vus jusqu’ici, il ne s’agit plus pour lui de demander ostensiblement à Marie d’intercéder auprès de Jésus pour son salut : mais de s’abandonner à une contemplation muette, purement intérieure et n’attendant pas de retour.



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1486 Horae_ad_usum_romanum Louis de Laval BNF Latin 920 fol 50vfol 50v 1486 Horae_ad_usum_romanum Louis de Laval BNF Latin 920 fol 51rfol51r .

Heures à l’usage de Rome de Louis de Laval,
Jean Colombe, 1486, BNF Latin 920

Les deux inscriptions qui encadrent la miniature de gauche sont intéressantes, car elles l’identifient à la fois comme une image de l‘Immaculée Conception (Sancta et Immaculata Virginis) et, bien qu’elle ne soit pas assise à terre, comme une Vierge de l’Humilité (Sancta et Immaculata Humilitas). Sur ces notions compliquées, voir 3-3-1 : les origines).

Ce remarquable bifolium transpose en enluminure l’esthétique des diptyques de dévotion, en élargissant le cadrage et en garnissant le fond. Contrairement à Van der Weyden, l’Enfant accueille le donateur de la main. Celui-ci cependant, les yeux mi-clos, ne regarde pas l’Enfant, et la perspective suggère la présence d’ une cloison semi-perméable entre les deux, que seul le regard de l’Enfant peut traverser.

Ce hiatus parfaitement assumé résulte d’un parti-pris de mise à distance, et non d’une insuffisance technique de l’enlumineur, comme le montre cet autre extraordinaire bifolium à la fin de l’ouvrage.


1486 Horae_ad_usum_romanum Louis de Laval BNF Latin 920 fol 334vfol 334v 1486 Horae_ad_usum_romanum Louis de Laval BNF Latin 920 fol 335rfol 335r

Le corps de Louis de Laval, reconstitué miraculeusement hors de son monument, assiste à la sortie tout aussi miraculeuse des morts hors de la Terre au jour du Jugement dernier. La position du donateur à gauche souligne le caractère surréel de cette vision, qui échappe au cadre de la chapelle funéraire (voir 3-1 L’apparition à un dévôt).



1486 Horae_ad_usum_romanum Louis de Laval BNF Latin 920 fol 334v detail
La puissance de l’image devait susciter une forte émotion au vieux Louis de Laval, « chevalier en son vivant et Seigneur de Chatillon et Gaël », une première fois rajeuni par le ciseau du sculpteur, une seconde fois par la grâce divine.



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Memling_Marteen_Van_Nieuwenhove_PanneauGauche Memling_Marteen_Van_Nieuwenhove_PanneauDroit

Diptyque de Marteen van Nieuwenhove
Memling, 1487, Musée Memling, Bruges

C’est Memling qui a introduit le décor véritablement continu dans le diptyque, de dévotion, rompant avec son austérité et son abstraction initiale : il en résulte toute une série de questions techniques et symboliques, qui méritent une explication détaillée (voir 3.1 Le diptyque de Marteen, 3.2 Trucs et suprises3.3 D’un livre à l’autre).


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1489 ca Memling Diptyque de Jan du Cellier, bourgeois de Bruges Louvre photo JL Mazieres

Diptyque de Jan du Cellier, bourgeois de Bruges
Memling, vers 1489, Louvre, Paris (photo Jean-Louis Mazières)

Mais dans cet autre diptyque, au cadrage large, Memling revient à l’indépendance des scènes :

  • dans le volet féminin, le mariage mystique de Sainte Catherine se déroule dans un jardin clos, en présence de cinq autres saintes ;
    dans le volet masculin, le donateur est en prières, accompagné par Saint Jean Baptiste, avec au fond Saint Jean à Patmos et Saint Georges combattant le dragon.

L’index tendu de Saint Jean est ici un geste purement conventionnel, sans justification narrative  : il peut tout aussi bien présenter le donateur à la Vierge (qui ne le voit pas) que montrer la Vierge au donateur (qui regarde ailleurs).

Cet absence de fonctionnement d’ensemble n’était apparemment pas vue comme un défaut : le client achetait une scène sacrée plus un portrait de lui-même et le peintre se chargeait de monter les deux en diptyque, en accordant plus au moins les fonds (ici le paysage n’est pas vraiment continu). Cette indépendance acceptée était tout bénéfice pour l’atelier, qui pouvait préparer à l’avance le volet avec la scène sacrée, et rajouter sur commande le volet personnalisé.


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1467-1500 Vierge a l'enfant avec un couple de donateurs koninklijk museum voor schone kunsten antwerpVierge a l’enfant avec un duo de donateurs
1467-1500
1486 Maitre de la Legende (brugeoise) de sainte Ursule Vierge à l’Enfant Antwerpen, Koninklijk Museum voor Schone KunstenVierge a l’enfant avec un trio de donateurs 1486

Maître de la Légende (brugeoise) de sainte Ursule,  
Koninklijk Museum voor Schone Kunsten, Antwerpen,

La formule peut également s’étendre à un couples, voire un peu plus. Dans les deux cas ci-dessus, on ne connaît pas l’identité des donateurs ; mais on soupçonne que le volet droit a été rajouté dans un second temps, pour former un diptyque à partir d’une Vierge à l’enfant préexistante.


Master of the Magdalen Legend, Virgin and Child, 1490-1500, and unknown French artist, Willem van Bibaut, 1523, Private
Vierge à l’enfant avec le chartreux Willem van Bibaut
Maître de la Légende de Sainte Madeleine, 1490-1500, et artiste français inconnu, 1523, Collection privée

Dans ce cas précis, on en est sûr : des investigations techniques ont montré que ce diptyque est hétérogène, probablement reconstitué à partir de deux demi-diptyques endommagés [1].


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1495-1500 maitre de Bruges, ,Virgin and Child and a Donor Courtauld Gallery

Vierge à l’Enfant avec un donateur
Maître de Bruges,1495-1500, Courtauld Gallery, Londres

 Voici est un des très rares diptyques de dévotion  dans lequel l’Enfant, tenant dans sa main gauche des cerises, bénit le donateur,  lequel évite soigneusement de lui rendre son regard.

Ce petit bras tendu en pure perte en direction de la charnière nous fait pressentir l’aporie du diptyque à la flamande : c’est seulement lorsque le paysage se replie sur lui-même, lorsqu’on ne voit plus rien, lorsque le diptyque est refermé sur une intimité inviolable, que le donateur ose faire contact avec l’objet de sa vénération.



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1480-90 Hermen Rode. Ratsherr Hinrich Lipperade O virgo mater die memento mei. St Annen museum Lubeck
Vierge à l’Enfant avec le conseiller municipal Hinrich Lipperade
Hermen Rode, 1480-90, St Annen museum, Lübeck

Les liens commerciaux entre Bruges et la ligue hanséatique expliquent sans doute cet essai d’adaptation, dans un seul panneau, du diptyque de dévotion flamand. La disparition de la charnière ouvre une communication dans les deux sens : l’homme exprime sa supplique à la Vierge (O virgo mater dei memento mei) et l’Enfant lui répond en avançant vers lui.


 

1490-1500 Bernhard Strigel Hans Funk Diptychon A, Alte Pinakothek Munchens.jpg

1490-1500 Bernhard Strigel Hans Funk Diptychon B, Alte Pinakothek Munchens

Vierge à l’Enfant avec Hans Funk, patricien de Memminger
Bernhard Strigel, 1490-1500, Alte Pinakothek, Münich

La formule du diptyque de dévotion n’a pratiquement pas été adoptée par les artistes allemands. Voici le seul exemple que j’ai trouvé, reprenant l’idée de Memling d’une vue au travers de deux fenêtres.

Mais ici encore, une banderole bavarde et des regards bienveillants remplacent le silence flamand :

Priez pour nous, sainte Mère de Dieu, afin que nous soyons rendus dignes <des promesses de notre Seigneur Jésus-Christi>

Litanies de Lorette

Ora pro nobis, sancta Dei Genitrix, ut digni <efficiamur promissionibus Christi>

L’auréole de la Vierge porte-elle aussi une prière tronquéeSANCTA MARIA VIRGO INTERCEDE PRO…



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1505 David_Triptych_of_Jean_Des_Trompes Groeninge Museum, Bruges

Triptyque de Jan Des Trompes (avers)
Gérard David, 1505, Groeninge Museum, Bruges

Notable d’Ostende puis bourgmestre de Bruges, Jan des Trompes s’est fait représenter avec son fils Philippe dans le volet de gauche, présenté par son patron Saint Jean Baptiste. Dans le panneau de droite figure sa première épouse Elisabeth van der Mersch, morte en 1502, présentée par sa sainte patronne Elisabeth de Hongrie portant sa couronne, avec leurs quatre filles Adewije, Anne, Jeanne et Agnès.


1505 David_Triptych_of_Jean_Des_Trompes_rear Groeninge Museum, Bruges

Triptyque de Jean Des Trompes (revers)
Gérard David, 1505, Groeninge Museum, Bruges

Le revers, qui reprend la composition familière des diptyques de dévotion, est l’occasion de faire portraiturer sa seconde épouse, Madeleine Cordier présentée par Sainte Marie-Madeleine, avec leur fille Isabeau,

On pense que le triptyque a été réalisé sur plusieurs années : peut être commandé en 1502 à l’occasion de la mort de la première épouse, mais fini largement avant la mort de la deuxième, en 1510 (car elle eut finalement trois enfants).

Le programme iconographique du triptyque semble avoir été conçu plus en fonction des impératifs familiaux que par cohérence avec l’implantation prévue, la chapelle saint Laurent de la crypte Saint Basile de l’Eglise du Saint Sang : seule peut être la grappe de raisin que tend l’Enfant Jésus fait référence à la précieuse relique conservée dans l’église [2].

On note néanmoins que cette interaction reste particulièrement timide, puisqu’aucune des quatre femmes, même pas la petite fille, ne prête attention au geste de l’Enfant.



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1515-18 Michel Sittow donateur Diego de Guevara. Gemaldegalerie Berlin et NGA
Diptyque de dévotion de Diego de Guevara
Michel Sittow, 1515-18, Vierge : Gemäldegalerie, Berlin ; donateur : NGA, New York

La formule se maintiendra assez tard : elle est ici utilisée par Michel Sittow, un peintre d’origine estonienne mais de formation brugeoise.

Le donateur Diego de Guevara a été identifié grâce à un minuscule détail, la croix de l’Ordre de Calatrava (au bout de sa main gauche, partiellement cachée par la fourrure). Cette croix a été rajoutée pendant la réalisation du tableau, probablement en 1517, date où le donateur a accédé aux hauts grades de l’ordre.


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1522 Lucas_van_Leyden-Maria_mit_de

Vierge à l’Enfant avec Sainte Marie Madeleine et un donateur inconnu
Lucas de Leyde, 1522, Alte Pinakothek, Münich

Ce panneau était à l’origine un diptyque de dévotion à haut arrondi, dont les panneaux ont été assemblés au XIXème siècle et complétés pour obtenir un bord rectiligne. Quant au donateur, il a été transformé au début du XVIIème siècle en Saint Joseph, en lui ajoutant un lys et des outils de menuisier. A noter que le revers du volet droit, avec une Annonciation, a été conservé dans son état original.

Malgré la présence du fond continu et l’ajout de Marie-Madeleine, les personnages restent cloisonnés, chacun perdu dans ses réflexions.



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1527-30 van scorel,

Vierge à l’enfant, Tambov Picture Gallery Portrait d’homme, Gemäldemuseum Berlin

Jan Van Scorel, 1527-30

Il faudra attendre 1530 pour que l’influence italienne adoucisse à la fois le paysage et la psychologie des sévères diptyques flamands : la Vierge et l’Enfant se portent vers le donateur du geste et du regard, et celui-ci semble leur rendre leur regard.


1527-30 van scorel detail,

Mais la taille relative des personnages (nous sommes ici devant le seul cas connu de donateur géant) vint immédiatement démentir cette illusion de dialogue : soit la Vierge et l’Enfant sont situés très en arrière dans le paysage (et le donateur ne peut les voir), soit se sont des  poupées flottantes directement issues de son imagination.

A noter que le panneau droit porte à son revers un autre sujet très italien : le Suicide de Lucrèce, indispensable pour la compréhension d’ensemble. Pour une description complète, voir ZZZ.


Le donateur ignoré

Bouts the younger, Dierck, c.1448-1490 or 1491; Virgin and Child with Saint Stephen and a Donor

Vierge à l’Enfant avec Saint Etienne et un donateur
Ecole de Dierck Bouts le Jeune, vers 1480, Courtauld Gallery, Londres

Rajouter le cadre du diptyque ne change finalement pas grand chose : dans ce panneau sans doute antérieur, mais très proche du diptyque de Maarten van Nieuwenhove, le donateur se trouve sans obstacle entre lui et la Vierge, mais déjà incapable de la regarder en face.



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1474-79 Hans_Memling_The_Virgin_and_Child_with_Angel_Saint_Georges_and_Donor_

Vierge à l’Enfant avec un ange, Saint Georges et un donateur inconnu
Hans Memling, 1474-79, National Gallery, Londres

Lorsqu’il y a un seul donateur, Memling le positionne toujours à droite du panneau, en position d’humilité, regardant dans le vide et ignoré par l’Enfant. On note cependant ici, bien timide par rapport aux marques de reconnaissance des Madones italiennes  de la même époque (voir 6-2 …en Italie, dans une Maesta), un semblant d’intérêt, au delà de son livre, de la Vierge pour le donateur.

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     1485-Memling_Triptych-Kunsthistorisches-museum-WienTriptyque de Vienne avec un donateur inconnu
 Hans Memling, 1485, Kunsthistorisches Museum, Vienne
1499-1509 Anonyme Petit Palais ParisAnonyme, 1499-1509, Petit Palais, Paris

Dans cette version en triptyque, la Vierge revient à sa noble indifférence. Cette forme guindée de dévotion était dans le goût de l’époque puisqu’un peintre anonyme a recopié le panneau central à  l’identique, en changeant simplement le donateur.


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1505 ca Master_of_Frankfurt_-_Madonna_and_Child_with_Saints_and_a_Donor unknown Queensland Art Gallery
Vierge à l’Enfant Sainte Marie-Madeleine, Saint Jacques, Saint Pierre et et un donateur inconnu
Maître de Francfort, vers 1505, Queensland Art Gallery

Dans cette interprétation flamande du Mariage mystique à l’italienne, même la présence de Marie-Madeleine, sainte réputée sensuelle, ne suffit pas à dégeler l’atmosphère : le donateur reste de marbre, en tête à tête avec son chien.



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1510 Jan Provoost with_Sts_Jerome_and_John_the_Baptist_and_a_kneeling_Carthusian_monk__Jan_Provoost attributed Rikj

Vierge à l’Enfant avec Saint Jean Baptiste et un chartreux
1510, attribué à Jan_Provoost, Rikjsmuseum, Amsterdam

Avec ou sans cadre de séparation, l’esthétique flamande privilégie la distance respectueuse. Même destiné à un chartreux – plongé à longueur de vie dans l’empathie avec le sacré – le panneau de dévotion affecte le même caractère compassé, comme dans ces débuts de la photographie où tout un chacun s’efforçait de paraître solennel.

Ici, seul l’Agneau de Saint Jean Baptiste semble un peu s’intéresser à l’Enfant, qui brandit un rosaire sous le caillou de Saint Etienne, au milieu de l’indifférence générale. Il faut de l’imagination pour comprendre que, comme la grappe de raisin précédemment, il s’agit d’un présent que l’Enfant offre au donateur.


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1520 ca bartholomaus-bruyn-lancien vierge-a-lenfant-avec-sainte-anne-saint-gereon-et-un-donateur Art Institute of Chicago

Vierge à l’enfant avec Sainte Anne, Saint Géreon et un donateur
Barthel Bruyn l’Ancien, vers 1520, Art Institute of Chicago

Cet étrange tableau comporte à la fois des traits modernistes – décentrage et froissement du drap d’honneur à la Memling -et des traits archaïques – Saint Géreon est plus petit par rapport à Sainte Anne qu’il ne devrait l’être selon la perspective géométrique ; le donateur en contre-coup se trouve de taille enfant, formule rare et abandonnée depuis 1460 dans les pays du Nord.



1520 ca bartholomaus-bruyn-lancien vierge-a-lenfant-avec-sainte-anne-saint-gereon-et-un-donateur Art Institute of Chicago modifie

Tailles rectifiées

La raison en est probablement la présence de Sainte Anne : respecter la bonne échelle aurait créé une concurrence malheureuse entre le donateur et la Vierge.


Le donateur béni

1472 Hans_Memling_-_Virgin_and_Child_with_St_Anthony_the_Abbot_and_a_Donor_-_WGA14849 Musee des Beaux-Arts du Canada

Vierge à l’Enfant avec Saint Antoine Abbé et un donateur
Hans Memling, 1472, Musée des Beaux-Arts du Canada

Dans l’oeuvre de Memling, ce tableau est doublement exceptionnel : c’est un des deux à avoir été datés (en blanc sur le mur du fond, au niveau du dais) et c’est le seul où la Vierge regarde le donateur et où, qui plus est, l’Enfant Jésus le bénit, tout en tenant une pomme dans la main gauche.

A remarquer le banc avec dossier réversible, ou « banc-tournis », justifié par la présence de la cheminée derrière le drap d’honneur. En position « hiver », on basculait le dossier afin de profiter de la chaleur (voir d’autres exemples dans 1.2 A la loupe : le panneau central)


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1483 Grossgmain Master Virgin and Child and a Donor Presented by Saint Thomas, Staedelmuseum, Francfort

Vierge à l’Enfant avec un donateur présenté par Saint Thomas
Maître de Grossgmain, 1483, Städelmuseum, Francfort

Bien plus effusive est cette composition allemande, dans laquelle non seulement Saint Thomas caresse paternellement la tête du donateur, mais où l’Enfant lui-même établit un contact du bout des doigts : familiarité justifiée par le fait qu’il s’agit très probablement d’une épitaphe, et que c’est donc un défunt que nous voyons. On n’a malheureusement aucun renseignement sur lui  : ni le livre ni le panonceau ne sont lisibles, hormis la date.


Cas exceptionnels de donateurs à gauche (SCOOP !)

Ces cas s’expliquent pour des raisons variées, qu’il faut analyser au cas par cas.

Une raison contextuelle

 

Konrad Witz 1444 La presentation Francois de Metz a la Vierge Musee d'Art Geneve

La présentation du cardinal François de Metz à la Vierge
Konrad Witz, 1444, Musée d’Art et Histoire, Genève 

Ce panneau constituait le volet intérieur droit d’un grand retable pour la cathédrale Saint Pierre de Genève, d’où la présence de ce saint. Le cardinal est en général identifié à François de Metz, commanditaire du retable (certains pensent qu’il pourrait s’agit de son oncle Jean de Brogny , qui portait les mêmes armoiries [3]). François de Metz étant mort en 1444, il pourrait s’agir  d’une épitaphe.


Konrad Witz 1444 La presentation du cardinal Francois de Metz a la Vierge Musee d'Art et Histoire Geneve detail

On notera deux effets graphiques remarquables : la mise en hors champs du serviteur qui porte le chapeau de cardinal, et l’ombre portée du bas des clés de Saint Pierre, qui crée pour le moins un effet d’étrangeté (certains y voient un bec de canard). Ces deux effets vont peut être dans le même sens : évoquer de manière allusive dans le tableau « l’ombre de Saint Pierre », à savoir la pape savoyard Félix V auquel François de Metz devait son cardinalat (dans les autres panneaux du  retable de Genève, les ombres ont aussi une connotation positive, voir Effet de loupe, contre-pieds et rébus chez Konrad Witz).


Konrad Witz Adoration des Mages Musee des BA Geneve

L’Adoration des Mages (volet intérieur gauche)
Konrad Witz, 1444, Musée d’Art et Histoire, Genève 

Quoiqu’il en soit, la position du donateur à gauche s’explique  par l’analogie voulue avec la scène en pendant, qui fait de la Présentation une extension logique de l’Adoration des Rois Mages : l’ostension des clés et du chapeau complète celle  des présents et l’Enfant Jésus, en se retournant enfin vers la gauche, accepte la dernière offrande : la personne même du cardinal.


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Une Vision

Jean_Fouquet_Diptyque Melun_Gauche

Gemäldegalerie, Berlin

Jean_Fouquet_Diptyque Melun_Droite

Musée royal des Beaux-Arts, Anvers

Diptyque de Melun, Jean Fouquet, vers 1458

Le donateur se trouve ici à gauche parce qu’il est accompagné de son Saint Patron, qui le présente à l’Enfant Jésus : c’est l’intercession de ce Saint qui autorise l’approche en position d’honneur.

Cette position coïncide ici avec la convention du visionnaire (voir 3-1 L’apparition à un dévôt), puisque la Vierge descend sur terre entourée d’une nuée d’anges (sur ce point, voir 1 Le diptyque d’Etienne).


Hans Pleydenwurff Christ as Man of Sorrows Basel, KunstmuseumKunstmuseum, Bâle Hans_Pleydenwurff_-_Portrait_of_Count_Georg_von_Löwenstein_-Nuremberg, Germanisches NationalmuseumGermanisches Nationalmuseum, Nuremberg

Hans Pleydenwurff, diptyque du comte Georg von Löwenstein, avant 1464

Très rarement, un diptyque de dévotion privée montre une autre scène que la Madone. Ici Hans Pleydenwurff a suivi la convention habituelle de placer le donateur à droite bien que le Christ de pitié, entouré de nuages, soit représenté comme une vision. Il faut comprendre que son apparition sur terre est bien réelle, puisqu’il se retourne, à taille égale, vers le donateur en position d’humilité.


ca. 1457 - 'epitaph of Georg Count of Löwenstein (+1464) with the Crucifixion' (Hans Pleydenwurff and workshop), Bamberg, Germanisches Nationalmuseum, NürnbergEpitaphe du comte Georg von Löwenstein
Hans Pleydenwurff, bers 1457, Germanisches Nationalmuseum, Nuremberg

A noter qu’on dispose de cette épitaphe, qui montre que le même donateur pouvait choisir la représentation « moderne », à taille humaine, pour un diptyque à usage privé, tout en optant pour la forme plus ancienne du donateur de taille enfant, pour un panneau à usage public [2b].


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Une charte graphique

 

L’eveque Charles de Martigny en priere devant la Vierge Jean Bourdichon, avant 1494,. M. 2 A et B, Fondation CalousteGulbenkian Lisbonne,

L’evêque Charles de Martigny en prière devant la Vierge, Jean Bourdichon, avant 1494,. M. 2 A et B, Fondation Calouste Gulbenkian Lisbonne

Le donateur est transporté au Paradis, avec ses patrons, de plein pied avec la Vierge. La raison qui explique la position de la Vierge du côté droit du bifolium est probablement lié à la charte graphique qui régit ce manuscrit particulier : les trois autres miniatures pleine-page conservées sont des rectos [2a].


Jean Bourdichon 1503-08 Heures d'Anne de Bretagne BnF, ms. lat. 9474, fol 2vfol 2v Jean Bourdichon 1503-08 Heures d'Anne de Bretagne BnF, ms. lat. 9474, fol 3rfol 3r

Heures d’Anne de Bretagne, Jean Bourdichon 1503-08, BNF, ms. lat. 9474 (gallica)

Lorsque la scène principale n’est pas une Madone, la configuration est plus libre : ici Anne de Bretagne, accompagnée de ses patronnes, retourne dans le passé pour être présentée à la Vierge au moment de la Déposition. Là encore, dans cette situation complexe, Jean Bourdichon a simplement suivi la charte graphique de ce manuscrit : toutes les scènes religieuses pleine-page sont au verso.

Pour ces bifoliums issus de grands Livres D’Heures, la logique interne de l’image s’efface devant la structure d’ensemble du manuscrit, probablement laissée au choix du commanditaire.


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Un choix du commanditaire

 

1400-99 Gonzalo Perez Saint_Michael_Vanquishing_the_DevilNational Gallery of ScotlandL’archange Saint Michel et le Dragon
Gonzalo Perez, XIVeme siècle, National Gallery of Scotland
1468 San Michele trionfa sul diavolo. Bartolome Bermejo National GalleryBartolomé Bermejo, 1468, National Gallery

Le thème de Saint Michel combattant est très populaire dans l’Espagne de la Reconquista, où des peintres comme Bermejo sont influencés par le réalisme de la peinture flamande : il suffit de comparer son archange métallique avec l’extraordinaire « samouraï » encore gothique de Perez.



1468 San Michele trionfa sul diavolo. Bartolome Bermejo National Gallery detail
Malgré sa taille enfant, la physionomie du donateur est reproduite avec vérité : il s’agit d’Antoni Joan, seigneur de Tous. La longue chaîne et l’épée caractérisent son état de chevalier.


1485 ca Bermejo Bartolome Madonna di Montserrat e Gesu Bambino cattedrale di Santa Maria Assunta, Acqui Terme
Vierge de Montserrat et le donateur Francesco della Chiesa
Bartolomè Bermejo, vers 1485, cathédrale di Santa Maria Assunta, Acqui Terme

Presque vint ans plus tard, le marchand italien Francesco della Chiesa, qui avait des liens familiaux avec Valence, commande à Bermejo, le peintre le plus connu de la ville, un retable pour sa chapelle familiale dans la cathédrale d’Acqui Terme ; le sujet est choisi en hommage au futur pape Jules II, qui venait d’être nommé abbé du monastère de Montserrat, dans les montagnes près de Barcelone.

Le monastère représenté dans le tableau n’a rien à voir avec la réalité : seule la scie sur laquelle la Vierge est assise évoque le « Mont Scié » (Montserrat ).


Deux compositions similaires

Les deux oeuvres ont plusieurs points communs :
1468 1485 Bermejo Bartolome Comparaison signatures

  • la signature de Bermejo (Bartolomeus Rubeus) sur un papier plié

1468 1485 Bermejo Bartolome Comparaison misssels

  • le missel du donateur, sur lequel on peut lire une prière appropriée :
    • deux psaumes pénitentiels (Psaumes 51 and 130) pour Antoni Joan,
    • le Salve regina pour Francesco della Chiesa.


La position et la taille du donateur

1468 1485 Bermejo Bartolome Comparaison donateurs

Exceptionnelle pour l’art flamand, la position du donateur à gauche s’explique, pour la première oeuvre, par une raison pratique : comme le dragon, pourfendu de la main droite, se trouve traditionnellement en bas à droite, Bermejo a dû caser son donateur en bas à gauche, et de taille enfant pour échapper au trajet circulaire de la lame.

Dans l’oeuvre la plus récente, Bermejo a conservé la même composition, en accroissant la taille du donateur.



1485 ca Bermejo Bartolome Madonna di Montserrat e Gesu Bambino cattedrale di Santa Maria Assunta, Acqui Terme chardonneret
Il a également repris l’idée (voir 4-2 …seul, à droite) du chardonneret tenu par un fil, qui évoque la future Passion  (il se dirige vers la croix) mais aussi l‘âme du donateur : son envol coloré, en haut à droite, contrebalance la sombre présence du corps, en bas à gauche.



1485 ca Bermejo Bartolome Madonna di Montserrat e Gesu Bambino cattedrale di Santa Maria Assunta, Acqui Terme revers
La position de Marie, à droite, fait également écho à l’Annonciation en grisaille représentée sur le revers des volets.



1485 ca Rodrigo de Osona. volets lateraux cathedrale di Santa Maria Assunta, Acqui Terme ensemble

Rodrigo et Francisco Osona (volets latéraux),

Si la conception d’ensemble est de Bermejo, les volets ont été peints par deux autres peintres de Valence :

  • les deux scènes d’intérieur, en haut (la Naissance de Marie et la Présentation au temple) développent l’histoire de Marie, en montrant en quelque sorte ce qui se passe à l’intérieur des deux édifices du panneau central ;
  • les deux scènes d’extérieur, en bas (la Stigmatisation de Saint François et Saint Sébastien) développent semble-t-il une sorte de portrait idéal de Francesco della Chiesa : priant à l’image de son saint patron, ou voyageant sous un ciel menaçant en bravant les épidémies, à l’image de Saint Sébastien.

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Un privilège ducal

 

1500 ca Suiveur de Lievin van Lathem The_Virgin_and_Child_with_Saints_and_Donor_-_National_Gallery_London_NG1939

Vierge à l’Enfant avec des saints et un donateur
Suiveur de Liévin van Lathem, vers 1500, National Gallery, Londres

Ce très petit panneau possédait, au dessus de la couronne, une partie en arc avec probablement une représentation du paradis. Il comporte plusieurs détails intéressants :

  • les trois Saints et les trois Saintes alignés derrière le mur du jardin clos, tous bien reconnaissables par leurs attributs (François et ses stygmates, Lazare et son tombeau, Jean l’Evangéliste et sa coupe empoisonnée, Catherine et sa roue, Barbe et sa tour, Marguerite et sa croix) ;
  • l’Ange qui chasse Satan du ciel, tandis que deux collègues transportent la couronne de la Vierge ;
  • le silex, emblème des ducs de Bourgogne, sculpté au dessus de la porte ;
  • la chaîne de l’Ordre de la Toison d’Or, au cou du donateur.

Selon la National Gallery [4], celui-ci ne peut donc être que le duc de Bourgogne Philippe le Beau. Or la réflectographie infrarouge fait apparaître un écusson posé contre le mur, sous le chapeau, orné de deux clés réunies. On pense donc que le tableau a été commencé pour un donateur de la famille de Clugny (clé-unies), originaire d’Autun ( ville dont le patron est Saint Lazare d’où la présence de ce saint assez rare) ; puis a ensuite été modifié pour Philippe le Beau.

C’est en tout cas une haute position sociale qui autorise le donateur à cette audace rarissime dans les Flandres : se présenter en position d’honneur devant la Vierge à l’Enfant. Il s’est néanmoins arrêté dans le sas fortifié, ne laissant pénétrer à l’intérieur du jardin clos que son bonnet et les deux pans fourrés de son riche manteau.



Synthèse quantitative


GrapheHumainsHistFlandres
Mis à part les panneaux précoces de Van Eyck avant 1440 (voir  Van Eyck), et les deux exceptions que nous venons de voir, le donateur à taille humaine, dans les Flandres, se présente toujours à droite. Et dans une écrasante majorité (11 cas sur 15 dans ma base de données), il n’a aucune interaction avec l’Enfant.


Références :
[1] « Prayers and Portraits: Unfolding the Netherlandish Diptych » John Oliver Hand, ‎Catherine Metzger, ‎Ron Spronk, 2006, p 156
[2] « Early Netherlandish Triptychs: A Study in Patronage », Shirley Neilsen Blum p 113
[2b] Victor M . Schmidt ‘Diptychs and Supplicants: Precedents and Contexts of Fifteenth-Century Devotional Diptychs’, in: Essays in Context: Unfolding the Netherlandish Diptych, eds. John Oliver Hand and Ron Spronk 2006, pp. 14-31 https://www.academia.edu/31890029/Diptychs_and_Supplicants_Precedents_and_Contexts_of_Fifteenth_Century_Devotional_Diptychs_in_Essays_in_Context_Unfolding_the_Netherlandish_Diptych_eds_John_Oliver_Hand_and_Ron_Spronk_Cambridge_Harvard_University_Art_Museums_New_Haven_and_London_Yale_University_Press_2006_pp_14_31?email_work_card=title
[3] Konrad Witz: le retable de Genève. Etat des recherches 2004, https://www.academia.edu/32798833/Konrad_Witz_le_retable_de_Gen%C3%A8ve._Etat_des_recherches_2004
[4] The Fifteenth Century Netherlandish Schools, National Gallery, 2008, p 293
Image en haute définition : https://www.nationalgallery.org.uk/paintings/follower-of-lieven-van-lathem-the-virgin-and-child-with-saints-and-donor

 

 

6-6 Le donateur-humain chez Palma Vecchio

29 juin 2019

Grand spécialiste du genre de la Conversation sacrée, Palma le Vieux est sans doute l’artiste qui a le plus réfléchi sur l’intrusion d’un humain en noir au sein de personnages sacrés en couleur, et sur la manière de construire une composition harmonieuse autour de cet intrus potentiellement dissonant.

Donateur seul

1500 - 1528 Saint Pierre Palma Vecchio Galleria Colonna Rome
Sainte Famille avec un donateur
Palma le Vieux, 1500-28, Galerie Colonna, Rome

Dans la formule la plus simple, le donateur se trouve en position de bénédiction, présenté par Saint Pierre devant un paysage, à gauche de la Vierge à l’Enfant isolés devant un fond sombre.


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1508-10 Palma Vecchio,_Madonna_with_child,_Saint_Jerome,_St._Peter_and_donor Chateau_de_Chantilly,_Saint Pierre avec un donateur, et Saint Jérôme
Palma Vecchio, vers 1508, Musée Condé, Chantilly
Palma Vecchio Antoine and Jerome Galerie BorgheseSaint Antoine (ou François) avec une donatrice, et Saint Jérôme (ou Job)
Palma Vecchio, Galerie Borghese, Rome

La formule peut s’élargir pour inclure un second saint et prendre pour pivot  la Madone :

  • la partie gauche, avec le saint patron et un paysage sans doute bien réel, est customisée selon le donateur ou la donatrice ;
  • l’Enfant, en s’approchant du donateur à la limite du rideau, fait « pencher » la composition vers la gauche ;
  • un vieil homme tenant un livre (tout comme Marie tient Jésus), en s’installant devant le fond vert,  vient rétablir l’équilibre : sagesse chenue contre sagesse incarnée.

 

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1520-25 Palma_il_vecchio,_adorazione_dei_pastori Louvre Paris

Adoration des bergers
Palma Vecchio, 1520-25, Louvre, Paris

La donatrice se trouve à l’arrière-plan à gauche, spectatrice d’une scène sacrée à laquelle elle ne participe pas. Agenouillée derrière la Vierge, elle s’inscrit du côté féminin du triangle, en contrepoint du jeune berger agenouillé côté Joseph.



1520-25 Palma_il_vecchio,_adorazione_dei_pastori Louvre Paris sshema
Sa position à côté du boeuf renforce l’effet de pendant avec le berger à côté du chien, comme si la puissance de sa prière la projetait, en la changeant de sexe, de l’autre côté de la muraille spatiale et temporelle.



1520-25 Palma_il_vecchio,_adorazione_dei_pastori version avec St Roch
Il existe une copie ancienne du tableau (localisation aujourd’hui inconnue), dans laquelle la donatrice est remplacée par Saint Roch.


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1515-27 Palma Vecchio_ The Holy Family with St. Catherine, St. John and Donor and Self Portrait, Kraljevski Dvor, Belgrade

Conversation sacrée avec un donateur
Palma le Vieux, 1515-27, Kraljevski Dvor, Belgrade [1]

Cet exemple illustre parfaitement la construction d’un double équilibre entre le masculin et le féminin, le sacré et le profane.

Le trio sacré (Joseph / Marie / Jésus) devant le rideau vert est symétrique du trio profane (Catherine / Jean-Baptiste / Donateur) devant le paysage : le bel homme en noir, dans la force de l’âge (on prétend parfois qu’il s’agit d’un autoportrait de Palma), se trouve ainsi placé en situation d’« enfant », rapetissé sous la main droite de ses deux « parents ». La posture de Sainte Catherine (une main élevée, l’autre posée) est clairement symétrique de celle de Marie ; de même que le vêtement vert et la croix de Saint Jean-Baptiste au dessus des ruines font pendant au rideau vert et au bâton de Joseph au dessus du socle.


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1518-20 Palma Vecchio The_Virgin_and_Child_with_Saints_and_a_Donor_by_ musee Thyssen-Bornemisza

Conversation sacrée avec un donateur
Palma le Vieux, 1518-20, musée Thyssen-Bornemisza, Madrid

Même type de construction symétrique : Sainte Marie-Madeleine et Saint Jean-Baptiste, sous la colonne d’un temple antique, font pendant à Sainte Catherine et au donateur, sous un village chrétien. On pense que le donateur est Francesco Priuli, futur procurateur de Venise [2].

Catherine (qui ne peut être la sainte patronne d’un homme) sert ici de médiatrice, d’accompagnatrice voire même de « dame » idéale.


Palme, chêne et laurier (SCOOP !)

La palme qu’elle tient dans sa main fait écho à la branche morte de chêne qui se déploie au dessus de Marie, mais aussi à la tige de laurier peu visible, contre le tronc, juste au dessus de l’Enfant. Le contraste entre l’arbre aux feuilles caduques et l’arbuste toujours vert est clairement intentionnel, d’autant que ce dernier est planté  tout prêt de la main de Marie-Madeleine, qui prend appui sur une branche coupée.


Une image arrêtée (SCOOP !)

Il ne faut qu’un peu d’imagination pour mettre la scène en mouvement et voir que Marie-Madeleine va saisir la tige de laurier et la passer à Jésus, qui lève déjà sa main droite pour la recevoir. Ensuite l’Enfant la transmettra au donateur, homme de goût qui préfère une élégante ellipse à un geste de don trop explicite.

Mais tout ce symbolisme végétal a-t-il une signification précise ? Avant de tenter de répondre, une courte plongée dans l’esprit de l’époque s’impose…


En aparté : Le laurier contre le chêne (SCOOP!)

Pour donner une idée de la sophistication des allégories de cette époque, en voici une, déchiffrée depuis bien longtemps, qui met également en cause le laurier,


1523 Lotto Portrait of Messer Marsilio Cassotti and His Wife, Faustina, Museo Nacional del Prado, Madrid
Portrait de Messer Marsilio Cassotti et de son épouse Faustina,
Lotto, 1523, Museo Nacional del Prado, Madrid

Dans ce portrait d’un très jeune couple (Marsilio avait 21 ans), le laurier toujours vert qui couronne le front de Cupidon est synonyme de vertu et d’amour éternel : répété dans la branche que Cupidon pose sur les épaules des jeunes gens au moment précis où le mari passe l’anneau à l’annulaire gauche de la jeune femme, il signifie littéralement le joug conjugal. [3]


1510-15 Palma Vecchio,_Allegory Philadelphia Museum of Art
Allégorie
Palma le Vieux, 1510-15, Philadelphia Museum of Art

Le laurier contre le chêne apparaît déjà dans cette Allégorie, dont les clés ont été perdues : elle prouve du moins que ce couple végétal avait pour Palma une signification bien précise.

Comme toujours, ce n’est pas en essayant d’interpréter les détails individuellement, mais en lisant la composition dans son ensemble, que nous pouvons espérer approcher de sa signification.

Nous voyons donc, à droite, une biche couchée qui probablement veille sur ses petits (les tâches claires peu distinctes derrière) : pour compliquer un peu la devinette, Palma a caché sa tête sous la tunique du soldat, de sorte qu’il pourrait tout aussi bien s’agir d’un cerf. Mais la symétrie avec la femme assise devant les deux enfants nus nous incite à opter pour la biche.

La femme est appuyée contre une souche coupée du chêne qui se développe derrière. Or le chêne signifie traditionnellement la Force, et le laurier la Vertu.

La femme qui s’accoude à la souche est comme le laurier qui s’appuie contre le chêne, ou la biche qui se laisse garder par le guerrier : une image de la Vertu protégée par la Force.


1518-20 Palma Vecchio The_Virgin_and_Child_with_Saints_and_a_Donor_by_ musee Thyssen-Bornemisza
Revenons à notre Conversation sacrée, où nous retrouvons  l’image du laurier appuyé contre le chêne : mais la complication vient de ce  que celui-ci, avec sa branche morte, est l’image à la fois de la Force  et de la Caducité, à l’image de la colonne du temple écroulé.

  • Une première interprétation est que notre jeune homme aspire à recevoir, non pas la palme du martyre  mais le laurier de la Vertu, les deux s’opposant  à la branche morte.
  • Un second niveau d’interprétation,  plus cryptique mais complémentaire, consiste à opposer la branche morte à la branche émondée tenue par Marie-Madeleine : l’idée serait alors que, pour rester fort et éviter de crouler, le chêne, à l’image de la pécheresse, doit accepter de se laisser tailler selon le Bien.



Couple de donateurs

1510 Palma, Jacopo Il Vecchio Sacred Conversation with Saints Barbara and Christine Galleria Borghese, Rome

Conversation sacrée avec Sainte Barbe, Sainte Christine et un couple de donateurs
Palma le Vieux, 1510, Galleria Borghese, Rome

Il est vraisemblable que Sainte Christine (reconnaissable à sa meule et rarement représentée ) est la patronne de la donatrice, qu’elle touche de sa main. Tandis que Sainte Barbe – qui ne peut être la patronne d’un homme – doit être présente pour cause d’une dévotion particulière : à remarquer qu’elle ne touche pas le mari, tenant d’une main la palme du martyre et de l’autre sa tour, qui s’intègre parfaitement dans le paysage.

Le pommier dont tombent les fruits, au milieu, représente comme d’habitude l’espérance de fertilité du couple.


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Palma Vecchio, Madonna con Bambino in trono, santi e donatori coll priv
Vierge à l’Enfant avec Saint Joseph, saint Catherine, Saint François et un couple de donateurs
Palma Vecchio, collection privée

Resserrée à mi-corps, cette Conversation plus économique présente une Saint Famille, étendue, comme souvent, à Sainte Catherine : épouse mystique de Jésus, elle complète souvent en effet le couple de Marie et Joseph. Il est très possible que, dans ce cas, Joseph soit le saint patron de l’époux et Saint François le saint patron de l’épouse, ce qui justifierait son adjonction au détriment de la symétrie.


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Etrangement, toutes les autres Conversations Sacrées de Palma Vecchio présentent le couple en position non héraldique (sur les raisons courantes de cette inversion, voir 1-3 Couples irréguliers).



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1505 ca Palma le vieux The-Virgin-and-Child-with-donators Ermitage St Petersbourg

La Vierge et deux donateurs
Palma le Vieux, vers 1505, Ermitage, Saint Petersbourg

Ici l’inversion de l’ordre héraldique pourrait signifier qu’il ne s’agit pas d’une femme et de son mari : pourquoi pas un frère et une soeur se faisant recommander à la Madone avant une séparation ? Voila qui justifierait les villes écartées sur les deux rives, et la cavalier en costume oriental, suggérant un voyage lointain.


Un amour sans fruits

Cependant, derrière l’homme, le motif des amants qui s’embrassent près du lac, de même que celui des cavaliers qui s’affrontent près de l’église, nous ramènent aux thèmes de la galanterie, des joutes amoureuses et du mariage, que contredit pourtant l’absence de tout arbre pouvant symboliser l’espérance d’une descendance.

Et si ces motifs galants avaient plutôt à voir avec le regret ? Et si la splendide robe rouge de la femme – la couleur préférée des mariées à Venise – n’impliquait pas pour autant qu’elle soit vivante ? Le fait que l’enfant Jésus la bénisse, tandis que Marie au visage triste pose la main sur l’épaule de l’époux, peut être interprété comme des gestes d’accueil d’un côté,et de consolation de l’autre.



1505 ca Palma le vieux The-Virgin-and-Child-with-donators Ermitage St Petersbourg schema

En outre, le drap d’honneur de la Vierge, qui dresse une croix surnaturelle et infranchissable entre les deux rives, signale peut être plus qu’une séparation purement géographique ; et les deux cavaliers attendent la dame pour l’escorter vers une ville forte qui ne se trouve peut être pas sur cette terre.


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1525 Sacra_Conversazione_con_donatori,_Jacopo_Palma_il_Vecchio_Museo di Capodimonte

Conversation sacrée avec un couple de donateurs
Palma le Vieux, vers 1525, Museo di Capodimonte, Naples

La main de Saint Joseph, en séparant le couple, semble attirer au sein de la Sainte Famille la jeune femme que Saint Jean Baptiste désigne de l’index. La position non héraldique du couple suggère que le tableau pourrait être un mémorial à une épouse défunte.



1525 Sacra_Conversazione_con_donatori,_Jacopo_Palma_il_Vecchio_modifie

Car s’il n’y avait pas eu une raison impérieuse, rien n’empêchait de respecter l’ordre héraldique tout en obtenant un équilibre intéressant entre les deux couples sacrés (Sainte Catherine/Saint Jean, Marie/Joseph) et le couple profane en sens inverse (homme/femme).


Références :

6-5 Le donateur-humain : en Italie, avec la Sainte Famille

29 juin 2019

Ce court article s’intéresse à une configuration particulière, assez peu fréquente : celle où la Vierge à l’Enfant est accompagnée par Saint Joseph. Comment le donateur va-t-il s’intégrer à la Sainte Famille ?



Joseph avec le donateur : à gauche

_DJ 1520-25 The_Holy_Family_with_a_Donor_in_a_Landscape_by_Pier_Francesco_Bissolo daytonDayton _DJ 1490-1554 Bissolo Sacra Famiglia con donatore localisation inconnueLocalisation inconnue

Pier Francesco Bissolo, 1520-25

Dans ces deux variantes, le donateur profite de sa ressemblance physique avec Saint Joseph pour faire corps avec lui et s’immiscer discrètement au plus près de l’Enfant, lequel ne tient pas compte de sa présence. A l’image des deux parents autour de l’Enfant, les deux collines encadrent un lointain encore voilé. Notons que Joseph n’est pas le patron du donateur, puisqu’il ne pose pas la main sur lui. Sa position, à droite de son épouse, correspond à l’ordre héraldique.


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1510-50 Bonifacio de Pitati , Sacra Famiglia con santa Maria Maddalena, san Francesco d'Assisi e un donatore coll priv
Sainte Famille avec un donateur, Sainte Marie Madeleine et saint François
Bonifacio de Pitati , 1510-50, collection privée

Ici encore le donateur s’autorise d’une familiarité avec le Saint Joseph pour s’immiscer près de l’Enfant, mais à l’arrière-plan, spectateur aussi négligeable que le perroquet sur sa tringle. ou la perdrix du premier plan.


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_DJ 1500-50 Anonimo veneziano Sacra Famiglia con donatrice coll priv _DJ 1500-50 Anonimo veneziano Sacra Famiglia con donatrice loc inconnue

Anonyme vénitien, 1500-50, collection privée

Dans ces deux tableaux de dévotion, Joseph accompagne la donatrice venue offrir un cadeau à l’enfant, rose ou pomme. Leur position à gauche est conforme aux conventions : pour Joseph à l’ordre héraldique, pour la donatrice au geste du don (voir 2-3 Représenter un don).



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1529 ca Giulio Campi St Antoine Padoue beato Alberto da Bergamo et donateur inconnu Brera

 Sainte Famille avec un donateur, St Antoine de Padoue et le bienheureux  Alberto da Bergamo
Giulio Campi, vers 1529, Brera, Milan

La moitié gauche de la composition, délimitée par la colonne, place le donateur dans une position particulièrement honorable :  le parcours en zig-zag des six mains, depuis la main bénissante de Joseph puis l’autre main posée sur son épaule, jusqu’à la main gauche de l’Enfant désignant le sol, l’inclue dans cette filiation verticale.


Joseph avec le donateur : à droite


DJ 1500-15 Pier Maria Pennacchi. Sacra famiglia Museo civico BASSANO DEL GRAPPA
Pier Maria Pennacchi, 1500-15, Museo civico, Bassano del Grappa

Cette composition est extrêmement illogique :

  • Joseph est à droite, inversant l’ordre héraldique ;
  • Marie bénit et l’Enfant offre la fleur de la main gauche ;
  • le drap d’honneur ne se trouve pas derrière Marie, mais derrière Joseph ;
  • la lumière vient de la droite,

 

Francesco di Simone da Santacroce Nivaagaard Collection Niva Danemark
Francesco di Simone da Santacroce, Nivaagaard Collection, Niva, Danemark

On ne peut la comprendre que comme une inversion délibérée de la formule très connue de Bellini, dont nous avons vu plusieurs exemples (voir d’autres dans 6-3 …en Italie, dans un Dialogue sacré). Peintre rare et excentrique, Pennacchi a voulu, en les plaçant à droite et en laissant leur visage dans l’ombre, exalter l’humilité du vieillard et de son modèle, Saint Joseph.



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1510-20 Dosso_Dossi_Capodimonte

Vierge à l’Enfant avec Saint Jean Baptiste, une sainte, un donateur et Saint Joseph
Dosso Dossi, 1510-20, Capodimonte, Naples

Explorant la même symétrie, Dosso Dossi met lui aussi en pendant le jeune Jean Baptiste, avec sa croix, et le vieux Joseph, avec son bâton.



1510-20 Dosso_Dossi_Capodimonte schema
L’ajout d’une sainte inconnue et du donateur, tous deux regardant vers la gauche, crée une situation superposée dans laquelle le tableau se lit :

  • depuis le bas de manière ternaire (flèches vertes), Jean Baptiste étant le symétrique de Joseph ;
  • depuis le haut se lit de manière binaire (flèches blanches) : attirant l’attention d’un couple et étant ignoré par l’autre, Jean Baptiste apparaît comme l’analogue de l’Enfant, tourné comme lui vers la droite.

Dans cette composition raffinée, Dosso Dossi illustre le double rôle de Jean Baptiste : à la fois père spirituel (en bas) et précurseur de Jésus (en haut).



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DJ 1496-1504 Pasqualino_Veneto_ Mary_Magdalene,_John,_Joseph_an_Unidentified_Saint_and_the_Donor National Gallery in Prague

Vierge à l’Enfant avec Sainte Marie Madeleine, deux saintes, Saint Joseph avec un donateur
Pasqualino Veneto, 1496-1504, Galerie nationale, Prague

Le jeune homme est présenté par son saint patron,qui l’introduit dans cette compagnie exclusivement féminine : c’est pour jouer ce rôle paternel à l’égard du donateur que Joseph a quitté sa position d’époux et s’est éloigné de Marie.


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DJ 1535-65 Polidoro de Renzi Sacra Famiglia Gemaldegalerie BerlinGemäldegalerie, Berlin DJ 1535-65 Polidoro de Renzi Sacra Famiglia con santa Caterina d'Alessandria e donatore Gemaldegalerie Alte Meister, KasselGemäldegalerie Alte Meister, Kassel

Polidoro de Renzi, 1535-65

 Ces deux compositions de Polidoro de Renzi insistent elles aussi sur le rôle « paternel » de Joseph : initiateur et accompagnateur.

Dans le panneau de Berlin, Marie enveloppe l’Enfant comme la draperie la colonne : à l’écart de cette affection mère-fils, le groupe masculin illustre un autre type de lien : le patronage, version dévote du parrainage.

Dans le panneau de Kassel, Sainte Catherine et Marie se partagent l’enfant dans un trio fusionnel et compact, matérialisé par la colonne indestructible : tandis que le deux hommes à l’écart s’agenouillent au pied d’un arbre.


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Ces quelques exemples où le donateur est du même côte que Joseph révèlent donc une « règle » assez simple :

  • respectant l’ordre héraldique, la position à gauche insiste sur le rôle conjugal de Joseph ;
  • réciproquement, la position à droite met en valeur son côté paternel.



Joseph en balance

Mais qu’en est-il lorsque le donateur est placé non pas en phase, mais en opposition avec Joseph ?

JVD 1507 - 1508 Sebastiano del Piombo, Louvre, Paris

Avec Saint Joseph, Sainte Catherine (?) et Saint Sébastien
Sebastiano Del Piombo, 1507-08, Louvre

La diagonale descendante « père-mère-fils » conduit le regard de la moitié sacrée (devant le drap d’honneur) à la moitié profane, de Saint Joseph au donateur. De là le regard remonte à ces deux « parents spirituels » que le donateur s’est donnés, Sainte Catherine et Saint Sébastien.



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JVD 1517 The Madonna and Child with Saints and a Donor' Sebastiano del Piombo

Vierge à l’Enfant avec Saint Jean Baptiste et Saint Joseph (Pierfrancesco Borgherini ?)
Sebastiano del Piombo, 1517 , National Gallery, Londres

Joseph est ici mis en pendant avec Jean Baptiste, l’autre personnage qui préside aux tous débuts de l’Evangile : l’un protège la naissance physique de Jésus, l’autre par le baptême lui permet sa naissance spirituelle.



JVD 1517 The Madonna and Child with Saints and a Donor' Sebastiano del Piombo schema
Sebastiano del Piombo a construit cette opposition très michelangélesque autour d’un losange central, qui laisse dans l’ombre l‘Eveil et le Sommeil.



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JVD 1490 - 1524 Maestro veneto dell'Incredulita di San Tommaso, Sacra Conversazione con donatore The Walters Art Museum, Baltimora

Adoration de l’Enfant avec un donateur
Maestro veneto dell’Incredulità di San Tommaso, 1490 – 1524, The Walters Art Museum, Baltimore

De manière peu conventionnelle, Joseph est représenté ici en homme jeune au turban oriental. Bien que centrée autour du drap d’honneur, la composition n’est pas ternaire, mais binaire :
JVD 1490 - 1524 Maestro veneto dell'Incredulita di San Tommaso, Sacra Conversazione con donatore The Walters Art Museum, Baltimora schema

  • à gauche, le couple Joseph-Marie (dans l’ordre héraldique) adore l’Enfant ;
  • à droite le saint patron Jean l’Evangéliste surplombe le donateur ;
  • celui-ci est placé derrière son second patron, Jean Baptiste enfant, qui relaie son adoration auprès de l’Enfant.

Ainsi la moitié haute montre les trois « parents » (père, mère et patron) et la partie basse les trois « enfants » (Jésus, son cousin et le donateur).


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JVD 1500-49 Luini Bernardino, Madonna con Bambino, san Giuseppe e donatore loc inconnue
Vierge à l’Enfant avec un donateur et Saint Joseph
Bernardino Luini, 1500-49, localisation inconnue

Cette autre composition présente elle-aussi Joseph comme un jeune homme au visage oriental, tenant de la même main son bâton et une fleur (allusion au miracle du bâton fleuri, grâce auquel Joseph s’était fait distinguer par Marie parmi tous les prétendants).

L’étrange est que, nonobstant ces attributs officiels, Luini a fait de Joseph une figure christique prononcée : le turban évoque la couronne d’épine, le bâton fait penser à la croix et la fleur aux clous. L’idée extrêmement originale est de préfigurer la Passion, non par un objet habituel (oeillet, chardonneret…) mais dans l’apparence-même de Joseph. Debout de profil comme Jésus, il représente à droite du tableau, au delà de la Vierge, le futur tragique de son Fils.

Le jeune donateur nous montre d’où il faut regarder, pour voir la couronne derrière l’auréole.



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School of Macrino d'Alba sec. XVI, Sacra Famiglia con sant'Anna e donatore Palazzo Comunale, Alba

Sainte Famille avec Sainte Anne, Saint Jean Baptiste enfant et un jeune donateur
Ecole de Macrino d’Alba, 1500-20, Palazzo Comunale, Alba

Dans cette amusante composition familiale, le vieux Joseph, qui tend une pomme à Jésus, a laissé la place d’honneur à sa belle-mère Sainte Anne, qui elle lui donne une fleur. Le petit Saint Jean Baptiste joue à se cacher sous la tente, derrière Marie et Joseph.

A l’opposé du vieux Joseph,  à gauche et en arrière, le jeune fils de la famille est autorisé à relever de l’extérieur l’autre pan de la tente.



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JVD 1525-30 moretto Pala di Orzinuovi santi-domenico-giuseppe-et-vincenzo-ferrer-lucia-e-un-committente-
Vierge à l’Enfant avec Saint Dominique, Saint Joseph, Saint Vincent Ferrer, Sainte Lucie et un donateur (Pala di Orzinuovi)
Moretto, 1525-30, église San Domenico, Orzinuovi

Saint Dominique, le patron de l’église, se trouve comme il est normal en position d’honneur, une maquette du bâtiment à ses pieds. Ceci laisse penser que le donateur serait Zaccaria Trevisano, l’archiprêtre de Orzinuovi qui avait commandé a construction de l’église en 1499 [1] . Sa position à droite s’explique donc par raison de symétrie, ainsi que par la direction de la lumière : agenouillé à gauche, son visage aurait été dans l’ombre.



JVD 1525-30 moretto Pala di Orzinuovi santi-domenico-giuseppe-et-vincenzo-ferrer-lucia-e-un-committente schema
L’intéressant est ici que les relations dans le trio d’ecclésiastiques (le Patron, le Prêtre, le Disciple) miment celles de l’autre trio (le Père, l’Enfant, la Martyre) comme pour nous faire comprendre que le donateur est, lui-aussi, un enfant de Marie.



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1530-94 Tintoret Heilige Familie mit der heiligen Katharina und dem verehrenden Stifter Gemaldegalerie Alte Meister Dresden, perdu

Saint Famille avec Sainte Catherine et un donateur inconu
Tintoret, 1530-94, Gemäldegalerie Alte Meister, Dresde (détruit en 1945)

Le tableau est conçu autour de deux pivots :

  • la moitié sacrée, côté drap d’honneur, a pour pivot la Vierge : Joseph y équilibre Sainte Catherine (ombre contre lumière, vieillesse contre jeunesse, humilité contre royauté) ;
  • la composition d’ensemble a pour pivot Sainte Catherine : Joseph y fait pendant au donateur et ajoute dans le tableau une seconde présence masculine.



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Anonimo sec. XVI Sacra Famiglia con donatore coll priveeSaint Famille avec un donateur Anonimo veneziano sec. XVI, Sacra Famiglia con donatore loc inconnueAnonyme, XVIeme siecle, collectio privée.

Ces deux compositions relèvent de la formule particulière du donateur en arrière-plan, où celui-ci vient partager la discrétion de Joseph  (voir 2-7 Le donateur en retrait).


Raphael 1518 Sainte Famille sous le chene Prado Madrid
Sainte Famille sous le chêne
Raphael, 1518, Prado, Madrid

C’est Raphaël qui a inventé cette formule d’humilité maximale, dans laquelle Joseph se trouve placé à la fois à gauche de Marie, en arrière et dans l’ombre.


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Donateurs en couple

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JVD 1508 Andrea_Previtali Joseph Jean Baptiste, Jacques et couple donateurs Kunsthistorisches Museum
Sainte Famille, Saint Jean Baptiste avec une donatrice, Saint Jacques avec un donateur
Andrea Previtali, 1508, Kunsthistorisches Museum, Vienne

Ici les deux Saints patrons accompagnent les deux donateurs sur la droite, d’où l’introduction de Saint Joseph sur la gauche pour rétablir une forme d’équilibre.

Dans cette composition très originale et qui restera sans équivalent, Previtali conserve l’apparence d’une Conversation frontale tout en la déployant en fait dans la profondeur : l‘épouse avec son saint Patron se trouvent en arrière-plan, tandis que le mari et son saint se présentent face à la Madone et à l’Enfant posé sur un autel, tous deux vus de profil.


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JVD Anonimo veneziano sec. XVI Sacra Famiglia con donatori loc inconnue
Sainte Famille avec un couple de donateurs
Anonyme vénitien, XVIeme siècle, localisation inconnue

Voici à peu près la même composition, sans les Saints : l’homme se trouve au premier plan, en contrebas et la femme un peu plus haut, en arrière-plan : la grande différence est qu’elle s’éloigne, laissant à l’homme la première place.

Centrée autour de l’Enfant, cette composition très pensée crée une affinité (à la fois frontalement et dans la profondeur), entre les deux personnages en retrait, Saint Joseph et la femme, et les deux personnages centraux : tout se passe visuellement comme si la Vierge « donnait » l’enfant directement à l’homme, l’autre membre des deux couples ne jouant qu’un rôle subsidiaire. Ainsi la présence de Joseph justifie que les deux donateurs sont bien mari et femme, et la composition donne à voir la conception traditionnelle du couple, selon laquelle l’enfant est la propriété du père.



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DJ 1510-29 Duia Pietro, Madonna con Bambino in trono, san Giuseppe, san Francesco d'Assisi e donatori Museo Correr, Venezia
Saint François d’Assise, Saint Joseph et un couple de donateurs
Pietro Duia , 1510-29, Museo Correr, Venise

Malgré la symétrie de la composition, il ne faut pas chercher ici un quelconque parallèle entre les deux saints : par les gestes des mains, l’artiste nous indique que Saint François est le patron du mari, mais que Saint Joseph n’est pas le patron de la femme (c’est Marie qui pose la main sur elle). Tandis que la position de l’époux (du côté de l’Enfant et de Saint François, le saint par excellence de l’imitation de Jésus) porte une idée de filiation, l’épouse se situe sous le couple chaste de Marie et Joseph.

La morale implicite de cette composition subtilement dissymétrique serait donc que, si l’époux aspire à être un fils de Marie et un petit frère de Jésus, l’épouse reste une fille d’Eve : et l’index levé de Joseph, en pendant à son bâton (attribut et substitut bien connu) pourrait être une invitation sinon à la chasteté, du moins à la tempérance dans le couple.



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_DJ 1550-55 Tintoret Sacra Famiglia con santa Caterina d'Alessandria e donatori coll priv

Saint Joseph, Sainte Catherine et un couple de donateurs
Tintoret, 1550-55, collection privée

Joseph pourrait être ici comme un simple bouche-trou, faisant pendant avec la sainte. Mais la composition peut, plus subtilement, être lue comme un triple portrait de couples, tous trois dans l’ordre héraldique :

  • celui des donateurs (mariage physique) ;
  • celui de Joseph de de Marie (mariage spirituel) ;
  • celui de Jésus et de Sainte Catherine (mariage mystique).



Hors de l’Italie

 
Triptych_Holy_Family_with_Saints_Catherine_and_Barbara_-_Kunsthalle_Hamburg
 
Triptyque de la Sainte Famille avec Sainte Catherine et Sainte Barbe
Maître du Saint-Sang, vers 1510 ca Kunsthalle_Hamburg

Hors de l’Italie, je n’ai pas trouvé d’exemple d’un donateur  coexistant avec Saint Joseph. Ici, la physionomie et l’occupation très atypique du vieillard (sans barbe, avec des lunettes et lisant un livre) laisse présumer qu’il s’agit du portrait du donateur dans le rôle de Saint Joseph.



Références :

6-4 Le donateur-humain : en Italie, dans une Conversation sacrée

28 juin 2019

Cette formule ajoute des saints en nombre varié de part et d’autre de la Vierge à L’Enfant. Au sein de cette compagnie, le donateur s’insère avec discrétion, parfois sans saint patron explicite.



Le donateur à gauche

_SVDS 1500 ca Membrini, Michelangelo di Pietro Male Saint, Catherine of Alexandria and a Donor, J. Paul Getty Museum, Los Angeles, USA

Saint Jérôme avec le donateur Michele Guinigi, et Sainte Catherine
Michelangelo di Pietro Membrini, vers 1500 , Getty Museum, Los Angeles, USA.

Les armoiries sont celles de deux familles nobles de Lucques, les Guinigi à gauche et les Buonvisi à droite. La présence de Sainte Catherine suggère que le donateur pourrait être Michele Guinigi, qui épousa en 1496 Catarina Buonvisi. La père de Michele, Girolamo, expliquerait la présence de Saint Jérôme.[1]

Si ce réseau d’hypothèses est vrai, ce tondo transposerait donc la scène sacrée de la présentation du donateur à Marie par son saint patron, en la scène profane de la présentation à sa future épouse par son propre père.


Théologie, mythologie (SCOOP !)

_SVDS 1500 ca Membrini, Michelangelo di Pietro Male Saint, Catherine of Alexandria and a Donor, J. Paul Getty Museum, Los Angeles, USA detail
A une époque d’intense brassage culturel, et dans un contexte privée, ce type d’audace n’a rien d’impossible. Ainsi la pomme au dessus du rubis entouré de perles peut être lue comme le fruit d’Eve au dessus d’un joyau marial, tout autant que le fruit de Vénus au dessus d’un cadeau nuptial qui assure, comme la guirlande de corail, l’union entre les deux familles.

Et la scène en grisaille du dossier, intentionnellement peu lisible, semble bien évoquer, dans le dos de la Vierge, le repos de Mars et de Vénus.



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_SVDS 1507 Bellini Chiesa di San Francesco della Vigna, VeneziaBellini, 1507, Chiesa di San Francesco della Vigna, Venise _SVDS 1510-20 Girolamo da Santacroce Palazzo Roverella RovigoGirolamo da Santacroce, 1510-20 Palazzo Roverella, Rovigo

Saint Jean Baptiste avec un donateur, Saint François, Saint Jérôme et Saint Sébastien

La premier panneau a été commandé à Bellini par Giacomo Dolfin, pour sa chapelle privée dans l’ancienne église San Francesco della Vigna. A la fin du XVIeme, il a été déplacé dans la nouvelle église, dans la chapelle de la Confrérie de la Conception et le donateur a été repeint -sans doute un membre de cette confrérie : comme il porte les attributs de Saint Jacques (la coquille et le bâton), on suppose que son prénom était Jacques, le même que celui du donateur d’origine [2]. Il s’agit en tout cas d’un exemple d’une Conversation sacrée de laquelle le Saint Patron éponyme est absent.

Ceci facilite évidemment l’adaptation du panneau à n’importe quel donateur, comme l’a fait Girolamo da Santacroce.


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_SVDS 1500-05-Giovanni_mansueti Madonna_con_santi_e_un_donatore_-_Accademia Venise

Saint Jean Baptiste avec une donatrice, Saint Jérôme
Giovanni Mansueti , 1500-05, Collection privée

 

_SVDS 1500-05 Giovanni Mansueti , , san Giovanni Battista, sant'Anna e santa Caterina d'Alessandria Joslyn Art Museum, OmahaSaint Jean Baptiste avec un donateur, Sainte Anne, Sainte Catherine
Joslyn Art Museum, Omaha
_SVDS 1500-05 Giovanni Mansueti , , san Giovanni Battista, Saint Jerome Coll priveeSaint Pierre avec un donateur, Sainte Catherine, Sainte Marie Madeleine
Accademia, Venise

Mansueti compose de manière combinatoire :

  • saint patron avec une donatrice ou un donateur ;
  • ciel ou paysage ;
  • Enfant tenant le manteau de sa mère, une figue ou rien ;
  • à droite, saint équilibrant la donatrice ou saintes équilibrant le donateur.

Par sa position sur la gauche, l’Enfant fait cependant toujours  « pencher » la composition en faveur du donateur.



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_SVDS 1518-29 Francesco Rizzo de Bernardo Saint Andre, Nicolas de Bari,Catherine et donateur Musee Adriano Bernareggi Bergame _SVDS 1518-29 Francesco Rizzo de Bernardo Saint Andre, Nicolas de Bari,Catherine et donateur Musee Adriano Bernareggi Bergame schema

Saint André avec un donateur, Saint Nicolas, Sainte Catherine
Francesco Rizzo de Bernardo, 1518-29, Musee Adriano Bernareggi, Bergame

Une manière de lire cette composition est d’opposer le paysage rocailleux, à gauche, et le paysage arboré, à droite. Par leur positionnement, les attributs des trois saints y prennent une signification autonome, dans laquelle la crosse florissante de Saint Nicolas fait contraste avec la croix brute de Saint André. Quand au livre géant, symbole traditionnel de la sagesse de Sainte Catherine, sa position au bas de la crosse le place en pendant avec la tête du donateur, au bas de la croix : comme si le voeu de celui-ci était une aspiration à la sagesse, au sein d’un paysage apaisé.


_SVDS 1535-65 Polidoro_da_Lanciano_-Johannes_dem_Evangelisten,Katharina_Stifter, Santa Maria dei Servi Venise _SVDS 1535-65 Polidoro_da_Lanciano_-Johannes_dem_Evangelisten,Katharina_Stifter, Santa Maria dei Servi Venise schema

Saint Jean l’Evangéliste avec un donateur, Sainte Catherine
Polidoro da Lanciano, 1535-65, église Santa Maria dei Servi, Venise

Avec les mêmes lignes de composition sous-jacentes, ce tableau véhicule un message bien différent. Horizontalement (flèches vertes), la palme de Saint Catherine fait écho à la plume de Saint Jean, et la roue dentée de son martyre à la banderole « PECCAVI (J’ai péché) » du donateur : comme si cette roue était la sanction de ses péchés.

Lue verticalement (flèches jaunes), la même banderole répond au livre de Saint Jean; la robe noire et le profil aquilin du donateur à son aigle.

En somme, le donateur s’accuse auprès de Sainte Catherine, et compte sur Saint Jean pour l’excuser.



Le donateur à droite

SVDS 1490 ca. saints-john-baptist-magdalen-george-and-peter-a-donor-bellini-and-workshop Louvre SVDS 1490 ca. saints-john-baptist-magdalen-george-and-peter-a-donor-bellini-and-workshop Louvre schema

Saint Jean-Baptiste, Sainte Marie-Madeleine, Saint Georges, Saint Pierre et un donateur
Bellini et atelier, vers 1490, Louvre, Paris

Cette composition en apparence très symétrique est en fait entièrement pensée pour tenir compte de la position du donateur. L’écart entre la verticale centrale, marquée par la main bénissante de l’Enfant, et la verticale marquée par la lance de Saint Georges, appelle le regard à converger vers les mains jointes du donateur, en passant par toutes les mains visibles sur le panneau.


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SVDS 1504 Vincenzo Catena_-_Madonna_and_Child_with_Saints_and_the_Donor_ Ermitage SVDS 1504 Vincenzo Catena_-_Madonna_and_Child_with_Saints_and_the_Donor_ Ermitage schema

Vierge à l’Enfant avec une sainte, un saint et un donateur
Vincenzo Catena, 1504, Ermitage, Saint Petersbourg

Comme Bellini, Vincenzo Catena positionne la main bénissante de l’Enfant sur la verticale centrale. Il répartit ensuite ses personnages en utilisant, comme nous l’avons vu plus haut,  les diagonales des deux moitiés : cette construction amène à lire horizontament la relation entre Marie et la Sainte non identifiée qui l’accompagne, et verticalement la relation entre le donateur et son saint patron : ce qui diminue l’impression d’un manque à gauche, en face du donateur.


SVDS 1500-05 Vincenzo Catena_Virgin_and_Child_with_Saints_and_a_Donor_Walker Art Gallery Liverpool SVDS 1500-05 Vincenzo Catena_Virgin_and_Child_with_Saints_and_a_Donor_Walker Art Gallery Liverpool schema

Vierge à l’Enfant avec une sainte, Saint Nicolas, Saint François et un donateur
Vincenzo Catena, 1500-05, Walker Art Gallery, Liverpool

La même construction vaut aussi dans le cas de deux saintes et deux saints, dont les têtes sont positionnées sur les diagonales. Décaler le donateur vers la gauche, donc en symétrie avec le corps de l’Enfant, diminue également l’impression d’un manque.


SVDS 1512 Vincenzo catena,_madonna_col_bambino,_santi_e_il_donatore_ludovico_ariosto,__ca gemaldegalerie berlin SVDS 1512 Vincenzo catena,_madonna_col_bambino,_santi_e_il_donatore_ludovico_ariosto,__ca gemaldegalerie berlin schema

Saint Pierre, Saint Jean Baptiste, Sainte Catherine, Saint Louis de Toulouse avec le donateur Ludovico Ariosto
Vincenzo Catena, vers 1512, Gemäldegalerie, Berlin

La même construction met en symétrie la croix de Saint Jean Baptiste, qui pointe le livre de Saint Pierre, et la palme de Sainte Catherine, qui pointe la tête du donateur. Cette équivalence graphique entre celui-ci et le livre est très certainement voulue, puisqu’il s’agit de l’Arioste, le célèbre poète [3]. Et la palme du martyre est aussi celle de sa gloire littéraire.


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SVDS 1500-28 Andrea Previtali Madonna sant'Antonio Abate, san Giacomo Maggiore, san Sebastiano e donatore Collezione Saibene, Milano SVDS 1500-28 Andrea Previtali Madonna sant'Antonio Abate, san Giacomo Maggiore, san Sebastiano e donatore Collezione Saibene, Milano schema

Saint Sébastien avec Saint Antoine, saint Jacques avec un donateur inconnu
Andrea Previtali, 1500-28, Collection Saibene, Milan

Cette composition constitue une solution très originale à la rupture de symétrie créée par l’introduction du donateur : profiter du cadrage serré pour placer un saint en contrebas, sans avoir besoin de montrer un agenouillement gênant.

Cette solution introduit une intéressante bipartition verticale : en haut la Vierge entourée par les deux saints guerriers, en bas l’Enfant adoré par l’ermite et le donateur.

Celui-ci se trouve ainsi placé en point de mire de ses trois compagnons (flèches vertes), auxquels il répond graphiquement (flèches jaunes) :

  • par sa lance au bâton de Saint Jacques et à la flèche de Saint Sébastien,
  • par sa cuirasse au torse nu du martyr et à la cloche de Saint Antoine.

Le jeune chevalier semble donc ici en situation d’hommage, entouré de trois Vertus personnifiées : Force (Saint Jacques), Courage (Saint Sébastien), Piété (Saint Antoine).


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SVDS 1500-10 Basaiti Marco Augustins_-_Vergine_col_Bambino_tra_San_Sebastiano_e_San_UrsulaSaint Sébastien, Sainte Ursule, Musée des Augustins, Toulouse
SVDS 1500-10 Basaiti Marco, Madonna con Bambino tra san Sebastiano, san Girolamo e donatore Alte PinakothekSaint Sébastien, Saint Jérôme et un donateur, Alte Pinakothek, Münich

Marco Basaiti, 1500-10

Ici au contraire, l’introduction du donateur dans le second tableau se fait a minima, simplement en transformant en bénédiction le geste de l’Enfant et en déplaçant la main gauche de Marie.



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SVDS 1501-30 Bissolo atelier Virgin and Child with St Michael and St Veronica, and a Donor Walker Art Gallery, LiverpoolSaint Michel, Sainte Veronique avec une donatrice
Walker Art Gallery, Liverpool
Bissolo, Francesco, c.1470-1554; Sacra conversazioneSaint Bernardin de Sienne, sainte Marie-Madeleine avec un donateur
York Museum Trust

Bissolo et atelier 1501-30

Autour de la même Vierge à l’Enfant, les couple de saints et le donateur sont totalement substituables : même le changement de sexe de celui-ci n’a aucun impact sur l’équilibre de l’ensemble.


SVDS 1500-30 Bissolo Leipzig,_Museum_der_bildenden_Kunste,_,_Maria_mit_dem_KindeBissolo, 1500-30, Museum der bildenden Künste, Leipzig SVDS 1500-30 Bissolo coll priveeBissolo, Collection privée

Même procédé de substitution autour d’une Vierge à l’Enfant différente, en présence de quatre ou cinq saints : à noter comment le bâton de Saint Joseph se transforme aisément en clés de Saint Pierre.



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1504-05 Boccaccio Boccaccino Gemaldegalerie, BerlinSaint Jean Baptiste et Sainte Catherine
Boccaccio Boccaccino, 1504-05, Gemaldegalerie, Berlin
SVDS 1505-15 Boccaccio Boccaccino Birmingham Museum and Art GallerySaint Jean Baptiste, Saint Michel, une sainte, Saint Nicolas avec un donateur inconnu
Boccaccio Boccaccino, 1505-15, Birmingham Museum and Art Gallery

Boccaccino utilise souvent le « truc » de la tringle suspendue en plein air, et une construction tripartite avec deux grands saints aux attributs symétriques (croix et épée, croix et crosse).

Pour sa Conversation sacrée de Birmingham, il rajoute sur les côtés du drap d’honneur un couple de saints intermédiaires, et fait passer l’Enfant du côté gauche, pour équilibrer le donateur. A noter qu’il s’agit d’un des rares cas où celui-ci n’est pas béni par l’Enfant : le chardonneret a sans doute encore ici, comme pour nous l’avons vu dans d’autres exemples plus anciens (4-2 …seul, à droite), une signification symbolique : celle de l’âme acceptée par Jésus.


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SVDS 1532 licinio_bernardino sacra_conversazione_con_donatore Musee des BA Grenoble

Sacrée conversation avec un donateur
Bernardino Licinio, 1532, Musée des Beaux Arts, Grenoble

Voici un des exemples les plus tardifs de Conversation Sacrée. L’absence d’auréoles facilite l’insertion du donateur parmi les personnages : tandis qu’à gauche la Vierge converse avec Saint Jean Baptiste suivi par Saint Jacques (identifié par son livre et son bâton de pèlerin, à droite l’Enfant se penche vers le donateur en robe noire dont son saint patron, Saint Jérôme, semble vérifier les mérites dans son grand livre noir.


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SVDS Angelo_caroselli,_sacra_conversazione_con_un_committente,_Coll privee

Conversation sacrée avec un donateur
Angelo Caroseli, 1630-50

Ce tableau constitue une rare résurgence, en pleine époque baroque, de la formule abandonnée depuis un bon siècle de la Conversation Sacrée.


SVDS Angelo_caroselli,_sacra_conversazione_con_un_committente,_Coll privee schema

La composition est mouvementée et aérée, avec les six angelots en vol et l’espace vide qui, au centre, conduit en diagonale vers le piédestal doré de Marie. On peut y distinguer trois zones, chacune surmontée par un couple d’angelots :

  • à gauche, une zone à verticales fortes, soulignés par les troncs des arbres, où confèrent trois moines en bure : Saint Antoine de Padoue (de profil), Saint Antoine et Saint François levant sa main stigmatisée ;
  • au centre, sous le rideau cramoisi, une zone très symétrique rend hommage à la vieille forme de la Conversation Sacrée : de part et d’autre de la Madonne, deux saints vieillards s’insèrent derrière ses épaules (Paul et Elisabeth), deux autres debout l’encadrent (Pierre et Dominique), et deux saintes agenouillées tendent chacune un vase à Jésus (Marie Madeleine et Catherine) ;
  • à droite, une zone triangulaire, typiquement baroque, échappe à toute symétrie : Saint Joseph fait repoussoir, suivi par trois admoniteurs : le donateur, son ange gardien qui lui désigne l’Enfant et Saint Michel en armure, qui réitère le geste.

Bien loin des anciennes règles héraldiques, le goût baroque privilégie les surprises, la variété des gestes, des expressions et des coloris : seul le dévot en noir et blanc (peut être un Oratorien) sacrifie, en joignant les mains, à l’attitude traditionnelle du donateur.


Synthèse quantitative

GrapheHumainsSourisNord
Dans les Pays du Nord, la formule du donateur à taille humaine associée aux Vierges à l’Enfant commence tôt, et cohabite longtemps avec celle du donateur-souris.



GrapheHumainsSourisItalie

En Italie, en revanche, le donateur à taille humaine n’apparaît que très sporadiquement avant les années 1480, après quoi il explose d’un coup, démodant rapidement le donateur-souris et le donateur-enfant : incidemment, la parenté entre leurs deux courbes montre bien que le donateur-enfant doit être considéré comme une variante du donateur-souris, plutôt que comme une forme nouvelle.



GrapheHumainsHistItalieConversationSacree

Si on se limite aux Conversations Sacrées « modernes » (où la Vierge à l’Enfant est assise au même niveau que les Saints, et non sur un trône central), on constate que toutes les variantes coexistent, avec une prédominance de l’Enfant bénissant (ce qui est normal pour gratifier la dévotion du donateur) et une nette préférence pour la présentation du donateur par la droite. L’habileté des peintres fait que la bénédiction par la droite ne pose plus de problème, l’ordre héraldique est oublié et l’enfant peut se adopter toutes les attitudes, accueillant ou indifférent au donateur,


GrapheHumainsCorrelationItalieBenissantEnfant bénissant GrapheHumainsCorrelationItalieNon-BenissantEnfant non-bénissant

Statistiquement, on trouve tout de même une corrélation, plus nette que pour les donateurs-souris et les donateurs-enfant, entre la position du donateur et la position de l’Enfant sur les genoux de Marie (à gauche au centre ou à droite) :

  • lorsque l’Enfant bénit, le donateur se place de préférence du même côté que l’Enfant ;
  • lorsque l’Enfant ne bénit pas, il se place plutôt à l’opposé.


En conclusion

Devant une demande massive, le besoin de variété a donc fait sauter ce qui restait des anciennes conventions héraldiques : il n’y a plus d’interaction structurante entre les Saints personnages et le donateur – qui peut se trouver à peu près n’importe où. C’est la raison pour laquelle j’ai renoncé à classer les oeuvres selon la position du donateur et le geste de l’Enfant, au profit de trois catégories plus pertinentes : la Maesta (avec trône), le Dialogue sacré (La Vierge avec un donateur accompagné de saints) et la Conversation sacrée (La Vierge accompagnée de Saints avec un donateur).



Références :

6-3 Le donateur-humain : en Italie, dans un Dialogue sacré

27 juin 2019

Autour de 1500 en Italie, la formule de la Vierge en Majesté entourée de saints, réservée aux retables d’église, se démocratise pour la dévotion privée. Le cadrage resserré, la suppression du trône, la simplification du décor, le nombre réduit de personnages, rendent accessible à un grand nombre de donateurs cette formule attrayante- un selfie auprès de la Madone.

Les Dialogues sacrés : présentation

Commençons par les « Dialogues sacrés » : situations où le donateur se trouve soit seul, soit accompagné par un saint ou un couple de saints.

1488-90 Bergognone,_madonna_del_certosino Brera Milan
Madonna del Certosino, avec Sainte Catherine de Sienne et le Bienheureux Stefano Maconi
Bergognone, 1488-90, Pinacoteca di Brera, Milan

Il est quelquefois difficile d’être certain que tel est bien le cas : dans ce tableau provenant de la Chartreuse de Pavie, on a longtemps pensé que le moine en bas à droite était le possesseur du tableau. On pense maintenant qu’il s’agit d’une dévotion envers un moine décédé depuis longtemps, le bienheureux Stefano Marconi, prieur du couvent ente 1411 et 1421 et fervent dévot de Sainte Catherine.[1]


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En Italie donc, l’explosion de la demande conduit à multiplier les combinaisons autour d’un modèle de base, dans un forme d‘industrialisation modulaire. Dans l’atelier de Bellini par exemple, Anchise Tempestini a suivi les dérivations produites par différents élèves à partir d’un modèle aujourd’hui perdu du maître ([2], p 62 et ss), où l’Enfant bénit sur la gauche tandis que la Vierge étend sa main dans la même direction.


1503 Lotto,_Madonna_col_Bambino,_san_Pietro_martire_e_un_donatore CapodimonteAvec Saint Pierre Martyr et le donateur Bernardo de Rossi, évêque de Trévise
Lotto,1503, Capodimonte, Naples
Fra Marco Pensaben San Pietro Martire e san Nicola de donatire Accademia Carrara BergamoAvec Saint Pierre Martyr, Sant Nicolas et un donateur
Fra Marco Pensaben, Accademia Carrara, Bergamo

 

1500-06 Vincenzo Catena Coll priveeAvec Saint Jean Baptiste, deux donateurs et une Sainte
Vincenzo Catena, collection privée
Previtali Saint Paul, Sainte Catherine anciennement Kaiser Frierdrich MuseumAvec deux saints et deux saintes
Previtali, anciennement Kaiser Friedrich Museum, détruit en 1945
Bellini atelier Madonne avec St Jean Baptiste enfant,BudapestAvec Saint Jean-Baptiste enfant,Budapest Bellini atelier Madonne avec un livre,BasileaAvec un livre, Basilea

Atelier de Bellini

Francesco di Simone da Santacroce Nivaagaard Collection Niva Danemark
Avec un donateur
Francesco di Simone da Santacroce, Nivaagaard Collection, Niva (Danemark)



En tête à tête : le donateur à gauche

COPIE _VD 1483 Bartolomeo Montagna Walker Art Gallery Liverpool

Vierge à l’Enfant avec Saint Jean Baptiste
Bartolomeo Montagna, 1483, Walker Art Gallery, Liverpool

Ce panneau retrouve la puissance ascensionnelle de la composition que nous avions déjà notée dans le cas des donateurs souris, ainsi que sa capacité à « projeter » l’Enfant dans le donateur. Pour un personnage à taille humaine, cette proximité n’est concevable que pour un Saint (d’où l’auréole, très peu visible). On a néanmoins proposé que ce Saint Jean Baptiste soit un portrait caché de François de Gonzague [3].


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_VD 1492-94 Cima_da_conegliano,_madonna_col_bambino_e_un_donatore,_Gemaldegalerie, Berlin

Vierge à l’Enfant avec un donateur
Cima da Conegliano, 1492-94, Gemäldegalerie, Berlin

Grâce à la montagne qui prolonge la Madone sur la droite, Cima da Conegliano trouve un autre moyen d’obtenir une dynamique ascensionnelle tout en gardant à distance le donateur : à ma connaissance, cette idée ne sera pas reprise.


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_VD 1490-1510 Pennacchi, Pier Maria Madonna col Bambino e un donatore Franchetti Gallery, Ca' D'Oro, Venice, Veneto, Italy

Pier Maria Pennacchi, 1490-1510, Franchetti Gallery, Ca’ D’Oro, Venise

_VD 1510 Andrea Previtali The Virgin and Child with a Donor National Gallery1510, National Gallery, Londres _VD 1500 -20 Andrea Previtali The Virgin and Child with a Donor Wadsworth Atheneum, Hartford1500-20, Wadsworth Atheneum, Hartford

Andrea Previtali

Ces trois exemples se rattachent tous au modèle de Bellini que nous avons vu plus haut : Enfant bénissant positionné à l’opposé du donateur, et Vierge imposant sa main droite sur sa tête, dans une sorte de compensation : la composition porte donc structurellement la vieille idée de médiation, d’intercession de Marie auprès de Jésus.


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En tête à tête : le donateur à droite

Dans cette configuration, les dispositifs sont plus variés.

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VD 1495 Pinturrichio Virgen de les Febres avec Francisco de Borgia Museu de Belles Arts de Valencia
Virgen de les Febres avec le donateur Francisco de Borgia
Pinturrichio, 1495, Museu de Belles Arts de Valencia

Ce portrait a été commandé à Rome par le cousin er trésorier du pape Francisco de Borgia pour être envoyé à la chapelle funéraire de sa famille, à la collégiale de Santa Maria de Xàtiva.[4]



VD 1495 Pinturrichio Virgen de les Febres avec Francisco de Borgia Museu de Belles Arts de Valencia detail
Le tableau montre le moment précis où l’Enfant, qui apprend à lire en suivant les lignes avec un stylet, sort de sa concentration et prend conscience du donateur qui l’observe.



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VD 1498-99 Pinturicchio , madonna della pace il donatore Liberato Bartelli, Dio Padre benedicente Pinacoteca Comunale San Severino
Madonna della pace avec le donateur Liberato Bartelli
Pinturicchio, 1498-99, Pinacoteca Comunale, San Severino Marche

C’est à l’occasion de sa nomination dans sa ville natale de San Severino Marche que le prieur Liberato Bartelli, auparavant en poste à Rome, a commandé cette Madone somptueuse au jeune peintre romain [5]. Destinée à un usage public, ce grand panneau donne une image officielle de dévotion : l’Enfant, vêtu d’un riche manteau et accompagné de deux anges, bénissant de la dextre et tenant de la senestre un globe de cristal, imite les gestes de Père Eternel entouré de six chérubins.

La position du donateur à droite se prête parfaitement à cette descente hiérarchique, du Père au Fils, puis à leur humble serviteur.



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VD 1500 Bellini Giovanni Madonna and Child with a Male Donor Collezione Alana
Giovanni Bellini, 1500, Collection Alana

Dans le modèle du chef de file, l’Enfant est du côté du donateur mais se contente de le regarder. Le potentiel émotif de cette composition tient à la suspension des mouvements : l’enfant pourrait bénir, et le donateur pourrait, tout comme Marie son pied droit, toucher du bout de ses doigts son pied gauche.

En créant une oblique puissante entre la Vierge, l’Enfant et le donateur, cette composition véhicule structurellement une autre idée ancienne : l’humain, frère terrestre de l’enfant divin.


VD 1500-10 Antonio Solario Virgin Mary with Child and donor ,Naples, Capodimonte MuseumAntonio Solario, 1500-10, Capodimonte, Naples VD 1501-02 Basaiti Madonna con Bambino e un donatore Museo Correr, VeniceBasaiti, 1501-02, Museo Correr, Venice

Les peintres qui conservent l’Enfant à proximité du donateur banalisent l’idée de Bellini, en ajoutant le geste de la bénédiction. Les deux ont aussi conservé l’idée d’un contact rassurant entre la mère et l’Enfant : chez Solario elle touche son pied droit, chez Basaiti sa main droite.


VD 1504 Marziale Marco, Madonna con Bambino e donatore Accademia Carrara, Bergamo
Marziale Marco, 1504, Accademia Carrara, Bergame

Cette toile atteint un sommet dans la familiarité : la main de l’Enfant s’ajoute à celle de sa mère pour toucher le donateur, dont on ne connait malheureusement pas l’identité. Le motif de couronnes du drap d’honneur rappelé dans le brocard du manteau crée une autre solidarité tout à fait étonnante, et le geste des mains croisées est lui aussi révélateur d »une piété exceptionnelle. Je ne connais aucune autre Conversation sacrée faisant montre d’une telle intimité avec les saints personnages.


VD 1500-28 Andrea Previtali Collection privee1500-28, Collection privée VD 1500-28 Andrea_Previtali Collection privee1500-28, Collection privée

Andrea Previtali

La composition de gauche reste fidèle à l’esprit bellinien, en mettant en parallèle deux gestes suspendus : le doigt de Jésus, presque bénissant ; et celui de Marie, presque touchant le pied. La composition de droite est plus banale.

VD 1505 Bellini_Madonna_and_Child donor musee national de Poznan
Giovanni Bellini, 1505, Musée national de Poznań.

Il existe chez Bellini une autre formule avec donateur à droite, et avec l’Enfant s’éloignant vers la gauche. Il tient une fleur à l’envers, geste qui anticipe le destin tragique que sa mère pressent déjà.

Dans cette formule empreinte de tristesse, le donateur n’est plus un frère éloigné de Jésus, mais une sorte d‘antagoniste pesant, qui fait pencher la balance et glisser le divin vers la terre.


VD 1500-28 Andrea Previtali Museo Civico degli Eremitani Padoue1500-28, Museo Civico degli Eremitani, Padoue VD 1506 Andrea Previtali The Virgin and Child with kneeling donor by Mellerstain House, collezione Earl of Haddington1506, Mellerstain House, collection Earl of Haddington

Andrea Previtali

Pour compenser le caractère culpabilisant de cette composition, Previtali rajoute le geste protecteur de la main gauche de Marie, qui vient en quelque sorte pardonner la faute humaine. Cette idée de balance rétablie est particulièrement sensible dans l’architecture à l’arrière plan de la seconde composition : Marie y constitue un pilier central, entre l’arche qui va tomber, côté Jésus, et l’arche depuis longtemps écroulée, côté humain.


VD 1520 Busi Giovanni detto Cariani Madonna col Bambino e un devoto Carrara Bergame
Giovanni Busi dit Cariani, 1520, Accademia Carrara, Bergame

La verticalité du rideau contraste avec la forme enveloppante du manteau, qui souligne la solidarité organique entre la mère et son fils : tenu avec une grande douceur par le coude et du bout du pouce, l’Enfant apprend la station debout, à l’imitation des trois arbres plantés sur un Golgotha bucolique, que seul occupe une famille de lapins.


 

 

 

VD 1524 tintoretto virgin child donor National Museum of Serbia, Belgrade Tintoret, 1524, National Museum of Serbia, Belgrade

VD 1550 - 1599 Tintoret Madonne vec St Jean Baptiste donateur Coll priv.Tintoret, Collection privée

Tintoret utilise deux fois la formule, avec des effets opposés :

  • à gauche le format circulaire sépare diamétralement la Madone, surhaussée par la contre-plongée, et la donateur en situation d’humilité maximale, regard bas et mains absentes ;
  • à droite un format circulaire implicite (amorcé par la gloire d’angelots), absorbe au contraire dans l’intimité maternelle, tel un enfant du bras gauche, le donateur au regard haut et aux mains croisées.



Le donateur avec son saint patron, à gauche

Cette formule, non symétrique, a pour effet de décentrer Marie. Commençons par le cas le plus courant, où le donateur et son saint se présentent par la gauche.



_VDS 1495 ca Maestro della Pala Sforzesca - Madonna con Bambino e San e un donatore Museum of Fine Arts, Houston

Avec Saint Jacques
Maestro della Pala Sforzesca, vers 1495 , Museum of Fine Arts, Houston

Le donateur fait corps avec son saint patron. Seul son bonnet dépasse, frôlant le bras bénissant de l’Enfant. Le corps allongé de celui-ci épouse la diagonale descendante, qui sépare les humains en bas à gauche et le paysage sacré, en haut à droite, peuplé d’allégories mariales : la « porte du ciel » (le rocher troué), l’eau limpide et la ville fortifiée.



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_VSDS 1523 Bello, Marco Morgan Library

Avec Saint Paul, Saint George, et deux saintes martyres
Marco Bello, 1523 Morgan Library, New York

On retrouve ici le modèle de Bellini, avec le donateur agenouillé sous la main droite de Marie.



_VSDS 1523 Bello, Marco Morgan Library schema
L’ajout de quatre personnages ne modifie pas l’équilibre d’ensemble : les deux saintes renforcent le camp féminin tandis que les deux saints apportent au donateur les attributs virils de l’épée et de la lance.



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_VSD 1520-71 Paris Bordone Madonna con Bambino, san Girolamo e donatoreAvec Saint Jérôme, collection privée _VSD 1520-71 Paris_Bordone_-_Madonna_con_Bambino_e_Sant'Antonio_e_un_giovane_donatore coll priveeAvec Saint Antoine, collection privée

Paris Bordone, vers 1530, collection privée

Dans ces deux panneaux, le saint âgé (choisi sans doute en fonction du prénom du donateur) place celui-ci dans le même rapport filial que Jésus par rapport à Marie. Le parallèle est particulièrement souligné dans la première composition, avec les deux livres à main gauche de Saint Jérôme et de Marie, et les deux « enfants » enlacés par leur bras droit.


1521-70 Paris Bordone Madonne avec St Francois et donatrice coll privee
Madone avec St Francois et donatrice
Paris Bordone, vers 1530, collection privée

Pour comparaison, ce panneau de la même époque, avec une donatrice à droite, s’amuse à mélanger les couples et à bouleverser complètement les relations de filiation : en jouant avec son crucifix, l’Enfant apparaît graphiquement comme le « fils » de Saint François, tandis que la donatrice vient chercher protection auprès de sa « mère » Marie.


_VSD 1522 Paris Bordone Jerome and Anthony Abbot and a Donor Kelvingrove Art Gallery and Museum - GlasgowAvec Saint Antoine et saint Jérôme, 1522, Kelvingrove Art Gallery and Museum , Glasgow _VSD 1524-26 Paris_Bordone_-_Sacra_Famiglia_con_Sant'Ambrogio_e_un_offerente inconnu_-_Pinacoteca_Brera,_MilanoAvec Saint Ambroise, 1524-26, Brera, Milano

Paris Bordone

Mais revenons au donateur à gauche. Dans ces deux panneaux, le saint âgé se dédouble, éloignant un peu plus le donateur de l’enfant sans modifier l’équilibre de l’ensemble. On voit ici que, pour Bordone, le geste et la position de l’enfant sont relativement secondaires, puisqu’il peut sans problème l’interchanger avec le livre. Il n’y a plus ici de signification théologique à rechercher, d’interaction à préciser : simplement le résultat d’une combinatoire graphique.


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_VDS 1540 Anonyme The_Virgin_of_Cristobal_Colon
Avec Saint Christophe (« Vierge de Christophe Colomb »)
Anonyme, 1540, Museo Lázaro Galdiano, Madrid

Christophe Colomb, introduit par son Saint patron, est représenté en chevalier, sa lance, son casque et ses gantelets déposés aux pieds de sa Dame. il porte sur sa poitrine un écu (difficilement lisible) avec la devise PLUS OULTRE entre les colonnes d’Hercule. L’écu dans le ciel est celui des Dominicains, et la cathédrale est celle de Saint Domingue, terminée en 1540 et dans laquelle la dépouille de Colomb, mort en 1506 en Espagne, a été ramenée en 1541.

Ce tableau est sans doute le mémorial commandé par ses fils pour sa tombe à Saint Domingue [6].


Le donateur avec son saint patron, à droite

Voyons maintenant ce que donne la même formule, mais inversée.

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VDS 1490 - 1524 Maestro veneto dell'Incredulita di San Tommaso, Vierge a l'Enfant avec Saint Nicolas et un donateur coll priveeAvec Saint Nicolas
Maestro veneto dell’Incredulità di San Tommaso, 1490 – 1524 , collection privee.

VD 1500 Bellini Giovanni Madonna and Child with a Male Donor Collezione Alana - reduit

Le peintre a repris la composition de Bellini avec donateur à droite, en rajoutant le saint vers l’extérieur. Il a conservé le geste de la Vierge tenant le pied de l’Enfant, mais s’est essayé, avec un certain embarras, à la formule plus vendeuse de la bénédiction par la droite : l’enfant croise les bras de manière peu élégante et sa bénédiction est interceptée par les trois boules, attributs de Saint Nicolas, qu’il a fallu caser juste sous le nez du donateur.



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VDS 1490-1500 Jacopo de' Barbari santa Barbara Jean Baptiste e Catarina Cornaro reine de Chypre Gemaldegalerie Berlin

Avec saint Barbe, Saint Jean Baptiste et la donatrice Catarina Cornaro, reine de Chypre
Jacopo de’ Barbari, 1490-1500, Gemäldegalerie, Berlin

Une Conversation Sacrée purement féminine étant inconcevable, c’est le prestigieux Saint Jean Baptiste qui sert de patron à la donatrice à la place de Saint Catherine (mais l’identification de la donatrice est incertaine). Le profil à deux collines accompagne la scène, épousant les têtes des deux autorités et s‘abaissant à l’aplomb des deux subordonnées.


VDS 1505-10 Vincenzo Catena santa Caterina d'Alessandria , san Francesco d'Assisi e donatore Museo di Belle Arti Budapest

Avec Sainte Catherine et Saint François d’Assise
Vincenzo Catena, 1505-10, Musée des Beaux Arts, Budapest

Le donateur se trouve au bas d’un triangle matérialisé par la palme et la croix. Bien que structurellement identique au tableau précédent (une sainte et un saint encadrant le donateur), cette composition produit un effet radicalement différent, qui mérite une comparaison.



VDS 1505-10 Vincenzo Catena santa Caterina d'Alessandria , san Francesco d'Assisi e donatore Museo di Belle Arti Budapest schema
En centrant sa composition autour de l’Enfant, Jacopo de’ Barbari met en compression la moitié droite, cassant la ligne qui relie les trois saints et inclinant celle entre l’Enfant et le donateur.

En centrant sa composition sur Sainte Catherine, Catena relâche les tensions : les lignes se recollent et se redressent, conduisant à une impression d’équilibre.


VDS 1505-10 Vincenzo Catena santa Caterina d'Alessandria , san Francesco d'Assisi e donatore Museo di Belle Arti Budapest schema 2

Cette composition traduit visuellement le rôle très particulier de Sainte Catherine, sommet commun entre deux triangles :

  • en tant qu’épouse mystique, elle forme un triangle privilégié avec Marie et Jésus ;
  • en tant que sainte patronne elle s’inscrit dans le triangle entre le donateur et ses patrons.

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SVDS 1512-16 Titian_Madonna_and_Child_with_Sts_Catherine_and_Dominic_and_a_Donor Fondazione Magnani-Rocca MamianoSainte Catherine, un donateur et Saint Dominique
Titien, 1512-16, Fondazione Magnani Rocca, Mamiano
SVDS 1513-14 Titian_Holy_Family_and_Donor Alte PinakothekSaint Jean Baptiste
Titien, 1513-14, Alte Pinakothek, Münich

Dans ces deux oeuvres, Titien retrouve a composition de Catena et utilise comme  lui le prestige particulier de Sainte Catherine ou de Saint Jean-Baptiste pour en faire, en l’écartant du donateur, non plus un second patron, mais une sorte de « siamois » de Marie, relié à elle par le corps de l’Enfant.  Ce rejet de l’Enfant à l’opposé du donateur comprime la moitié gauche et crée une forte tension interne.

Du coup le saint patron du donateur devient secondaire, au point même de disparaître dans le second cas.



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Paris Bordone sacra-conversazione-con-santomobono-e-donatore
Avec Saint Hommebon de Crémone (Sant Omobono)
Paris Bordone, vers 1530, Collection privée

Paris Bordone place le plus souvent ses Conversations Sacrées dans un décor pastoral, comme s’il s’agissait d’une rencontre fortuite à la campagne. Nous avons ici l’exemple le plus simple de la formule : le donateur se prosterne à gauche de Marie, en position d’humilité, présenté par son saint patron. C’est ici saint Hommebon, patron de la ville de Crémone, mais aussi des hommes d’affaire et des tailleurs (d’où ses ciseaux). La Vierge lui prête une oreille attentive, tandis que l’Enfant Jésus s’intéresse à un chardonneret, symbole de sa future Passion. Marie tient dans sa main droite ce qui semble une petite couronne de fleurs, antithèse de la couronne d’épines.


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VDS 1530-40 Busi Giovanni, Madonna con Bambino, sant'Antonio da Padova e donatore Chiesa di S. Francesco, Rovigo VDS 1530-40 Busi Giovanni, Madonna con Bambino, sant'Antonio da Padova e donatore Chiesa di S. Francesco, Rovigo schema

Avec Saint Antoine de Padoue
Giovanni Busi, 1530-40, Eglise de San Francesco, Rovigo

La composition rapproche dans le losange central d’une part l’Enfant, que Marie tient des deux mains, d’autre part le donateur et le lys, que le Saint tient dans les siennes.

Jaillie de la bure et comme enracinée dans le coeur du frère franciscain, la fleur représente sa Chasteté et sa Pureté, offertes à l’Enfant.



Références :
[2] « I collaboratori di Giovanni Bellini », Anchise Tempestini, Saggi e Memorie di storia dell’arte Vol. 33 (2009), https://www.jstor.org/stable/43140967

6-2 Le donateur-humain : en Italie, dans une Maesta

25 juin 2019

Mis à part les deux oeuvres de prestige que nous avons présentées dans 6-1 …les origines (en 1317 la Maesta de Lippo Memmi et en 1375 la fresque de Giusto di Menabuoi), les donateurs à taille humaine ne se popularisent vraiment en Italie qu’après 1450.

Cet article est consacré à la formule de la Vierge sur le trône (Maesta).

Maesta avec donateur à droite

Comme pour les donateurs-souris, la formule de loin la plus fréquente est celle de la position d’humilité (sans bénédiction). Mais nous rencontrerons aussi quelques rares bénédictions sur la droite.

SVDS 1472 Pala di Brera Piero_della_Francesca_Brera Milan

Pala di Brera
Piero della Francesca, 1472, Brera, Milan

Dans cette Conversation sacrée, très influencée par l’art flamand, Frederico da Monterfeltre est agenouillé à droite de la Madone et des saints.

Sa femme adorée, Battista Sforza, morte en couche le 7 juillet 1472 (voir ZZZ), n’apparaît pas dans le tableau : sa place est manquante en face du duc. Sa présence aurait-elle modifié la composition, le duc passant dès lors à droite de la Vierge ? Pas sûr, car la position retenue est celle qui lui permet de dissimuler son profil droit, défiguré lors d’un tournoi.



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SVDS 1478-1485 Carpaccio attr Giovanni Mocenigo The National Gallery, London

Saint Christophe, le doge et saint Jean Baptiste
Ecole vénitienne, 1478-1485, National Gallery, Londres

Un dialogue officiel

L’autel porte la supplique que le Doge vient officiellement adresser à la Vierge, au nom de sa ville :

Préserve l’Etat de Venise et le Sénat de Venise, et moi aussi si je le mérite, Vierge Céleste, Ave.

URBEM REM VE/NETAM SERVA VENETUM- QUE SENATUM / ET MIHI SI ME/REOR VIRGO / SUPERNA AVE

Le gonfanon porte les paroles que, selon la légende, un Ange avait adressées à Saint Marc lorsqu’il arriva dans la lagune :

Paix à toi Marc, mon Evangéliste

<Ici, ton corps va reposer>.

Pax tibi Marce, evangelista meus.

<Hic requiescet corpus tuum>

Dans le contexte du tableau, on peut les lire comme la réponse positive de Marie à Venise, qui double le geste de bénédiction de l’Enfant.



La peste de 1478

Selon la tradition familiale, le tableau aurait été commandé à l’occasion de l’épidémie de 1478, d’où le vase posé sur l’autel, contenant des médicaments contre la peste. Cette tradition est confirmée indirectement par la présence de Saint Christophe, dont le rôle de protecteur contre la peste allait être supplanté, à Venise, par la dévotion à Saint Roch à partir de 1480 [1] .



Autour d’une lampe

SVDS 1478-1485 Carpaccio attr Giovanni Mocenigo The National Gallery, London schema
La position du doge à droite s’explique par la composition d’ensemble, centrée non pas autour de la Madone, mais autour de la lampe, qui symbolise la présence divine, suspendue au dessus de la lagune comme au centre d’une immense chapelle :

  • à gauche, en position d’honneur, les autorités compétentes contre la peste, composées d’un trlo ascendant (Christophe, l’enfant, le bâton) et d’un trio descendant (la Vierge, Jésus, le chardonneret aux ailes étendues en préfiguration de la croix) ;

SVDS 1478-1485 Carpaccio attr Giovanni Mocenigo The National Gallery, London detail

  • à droite, en position de d’humilité, le doge, ambassadeur de la cité, avec son patron Jean Baptiste, le blason avec ses armes, l’autel portant sa supplique et le gonfanon portant la réponse.


Tullio Lombardo, 1485, Tombeau du Doge Giovanni Mocenigo, Basilique San Giovanni e Paolo, Venise

Tombeau du Doge Giovanni Mocenigo
Tullio Lombardo, 1500-22, Basilique San Giovanni e Paolo, Venise

Giovanni Mocenigo est lui-même mort de la peste, mais lors d’une autre épidémie, en 1485. Sur son tombeau, il est à nouveau présenté par son patron Jean Baptiste à la Vierge en majesté, tandis que de l’autre côté du trône un ange offre à Saint Théodore sa couronne de doge. On pourrait penser que la position à gauche est liée à la position du gisant, tête à gauche.



1481-1485 monument of the Doge Nicolo Marcello by Pietro Lombardo Zanipolo Venise

Tombeau du doge Nicolo Marcello
Pietro Lombardo, 1481-85, Basilique San Giovanni e Paolo, Venise

Mais comme pour les tombeaux de cardinaux romains (de taille enfant, voir 5-1 …les origines), il n’y a pas de corrélation entre la direction du gisant et la position du donateur dans la lunette : cet autre tombeau de doge montre la combinaison inverse entre le mort et le ressuscité.

Dans tous ces monuments officiels, la position d’honneur rend hommage au rang élevé du personnage.



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SVDS 1484 Bastiani Lazzaro Basilica dei SS. Maria e Donato, Murano

Saint Jean Baptiste et un saint évêque avec le donateur
Lazzaro Bastiani , 1484, Basilica dei SS. Maria e Donato, Murano

Les mêmes ingrédients graphiques (scène en largeur et en extérieur, trône en niche arrondie, deux saints, enfant bénissant à droite) ont conduit à une composition très différente pour cette lunette décorative. La nécessité de symétrie a inspiré au peintre le motif ad hoc de Saint Jean Baptiste présentant deux angelots, comme si ces deux poids plume équilibraient le donateur. Mais tandis que la vue à plat tente de faire oublier sa masse excédentaire,  la vue en profondeur le met au contraire en relief : il est le seul personnage en avant des autres, et son ombre portée, en se projetant sur son saint patron, crée un fort effet de saillie.



Bastiani Lazzaro Couronnement de la Vierge Accademia Carrara Bergame
 
Couronnement de la Vierge
Lazzaro Bastiani, Accademia Carrara, Bergame

On sent chez ce peintre mineur, habitué au confort des représentations traditionnelles, le problème qu’à dû causer l’adjonction d’un donateur à taille humaine : comment lui rendre justice sans lui donner trop d’importance.


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SVDS 1489 Giovanni Santi, Sacra Conversazione con committente, Frontino - Convento di Montefiorentino, Cappella dei Conti Oliva

Saint Georges, Saint François, Saint Antoine, saint Jérôme avec le donateur Carlo Oliva (ou son père Giovanfrancesco)
Giovanni Santi, 1489 , Chapelle des Comtes Oliva, Couvent de Montefiorentino, Frontin

Le même inconfort se retrouve dans ce retable officiel, où le père de Raphaël avait à caser le comte en armure parmi quatre saints en exercice (à noter le détail amusant du chapeau de Saint Jérôme en apesanteur sur la droite, pour pouvoir montrer l’auréole). Contrairement à la solution précédente, Giovanni Santi n’a pas choisi de mettre le donateur en avant par rapport aux autres personnages, ce qui l’a conduit à des ajustements assez laborieux.



SVDS 1489 Giovanni Santi, Sacra Conversazione con committente, Frontino - Convento di Montefiorentino, Cappella dei Conti Oliva schema
Verticalement, le point de fuite est positionné au niveau des yeux du desservant (le retable étant posé au dessus de l’autel). Le regard du comte est situé plus haut, en tête à tête avec l’enfant. Ce point important (sans doute un élément du cahier des charges) a conduit l’artiste à grandir Saint Jérôme, qui dépasse ainsi les saints situés en face.

Car vu en plan, le comte est au même niveau que Saint Georges. C’est cette idée d’un couple de guerriers qui est la principale contrainte, induisant la position du donateur à droite (par infériorité hiérarchique) et obligeant à décaler les saints, aussi bien en profondeur que latéralement (on le voit particulièrement au niveau des anges du fond, espacés à gauche et tassés à droite).

Cet exemple illustre combien l’insertion d’un donateur à taille humaine bouleverse l’économie de la composition et oblige, pour qu’elle donne une impression d’harmonie, à la repenser dans son ensemble.

Les peintres de la génération suivante résoudront le problème radicalement : en supprimant le trône et en privilégiant le cadrage à mi-corps : deux bons moyens d’éviter les problèmes de perspective (voir 6-3 …en Italie, dans un Dialogue sacré)



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1495-1500 Giorgio di Challant Priorato di sant'orso-aosta

Vierge à l’enfant avec Giorgio di Challant,
1495-1500, Chapelle Saint Georges, Prieuré de Sant’Orso, Aoste

Giorgio di Challant, chanoine et administrateur, théologien et mécène de la Renaissance, a sans doute pensé à ces deux facettes de sa personnalité pour la conception de sa chapelle :

  • en chanoine, il s’agenouille en position d’humilité, à droite de la Madone ;
  • en Saint Georges, il domine par la gauche le dragon sur la première fresque, le roi qu’il baptise sur la seconde.



1495-1500 Giorgio di Challant Priorato di sant'orso-aosta annonciation
Sur le mur opposé, la situation s’inverse d’une autre manière, puisque c’est la Madone elle-même qui vient remplacer le chanoine, en s’agenouillant quant à elle devant l’Ange de l’Annonciation.


1490 ca Giorgio di Challant Oratoire du chateau d'Issogne

Crucifixion avec Giorgio di Challant
Vers 1490, Oratoire, château d’Issogne

C’est également en position d’humilité qu’il s’est fait représenter au pied de la Croix, dans son oratoire privé du château d’Issogne, le second grand complexe monumental dont il a supervisé la décoration.



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SVDS 1505 Bellini Giovanni et atelier donateur inconnu Birmingham Museums and Art Gallery

Saint Pierre, Saint Marc (ou Paul) avec un donateur
Giovanni Bellini et atelier, 1505, Birmingham Museums and Art Gallery

Dans cette composition très vivante, les deux apôtres dialoguent avec plaisir, tandis que la Vierge, l’Enfant et le donateur se reconnaissent dans une intimité muette : le donateur semble toucher du bout des doigts le pied de l’Enfant, tandis que celui-ci est sur le point d’ébaucher une bénédiction (Selon M.Douglas-Scott, il s’agirait de Marco Olivier, agenouillé aux pieds de son saint patron).

Selon Michael Douglas-Scott [1a] , il s’agirait du portrait posthume, commandé par son frère, d’un certain Marco Olivier, d’où la présence de saint Marc.


L’ombre d’un regret (SCOOP !)

 La grande ombre portée sur le sol ajoute une note de mystère. Selon certaines descriptions anciennes, l’oeuvre aurait été le panneau central d’un triptyque : l’ombre serait ainsi celle d’un des personnages latéraux (mais on voit mal comment cela serait optiquement possible). On pourrait également supposer que c’est celle de la colonne de séparation, comme on le voit dans certains triptyques : mais elle ne part pas de l’angle.

Je pense pour ma part que ce détail conforte l’hypothèse funéraire de M.Douglas-Scott : l’ombre est celle du frère vivant, assistant depuis l’extérieur du tableau à l’accréditation du défunt dans la céleste compagnie.



SVDS 1505 Bellini Giovanni et atelier donateur inconnu Birmingham Museums and Art Gallery demi

La place mineure du trône et l’importance accordée au paysage nous placent ici à la limite entre deux genres : la formule solennelle de la Maesta et celle plus intime de la Conversation Sacrée que Bellini développe également à cette époque : un format horizontal dans lequel les personnages sont cadrés à mi-corps (voir 6-4 …en Italie, dans une Conversation sacrée).



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SVDS 1481 - 1522 Bergognone (Ambrogio da Fossano) san Domenico, santa Caterina da Siena e il dona Museo Civico Amedeo Lia, La Spezia
Vierge à l’Enfant avec Saint Dominique, sainte Caterine de Sienne et un donateur 
Bergognone (Ambrogio da Fossano), 1481 – 1522 Museo Civico Amedeo Lia, La Spezia.

Le donateur est ici triplement accueilli par l’Enfant, Marie et sainte Catherine qui le pousse du bout de sa croix. De manière symétrique, les deux saints dominicains ont le même geste de relever leur cape noire d’une main (comme dans le panneau de droite), ce qui a sans doute pour but de mettre en valeur le donateur : son profil apparaît sur fond blanc et sa robe noire attire l’oeil, face à l’aube blanche de Saint Dominique. Dans son désir de s’identifier aux deux saints, il a posé devant lui les mêmes attributs qu’eux : un livre rouge (la Foi ardente) et une tige de lys (la Pureté).



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1505-15 Anonyme lombard Madonna Cusani Museo della Scienza Milan couvent dominicain Santa Maria della Purificazione

 
Madonna Cusani
Anonyme lombard, 1505-15, Museo della Scienza, Milan, provient du couvent dominicain Santa Maria della Purificazione
 

L’inscription, partiellement lisible, est ambiguë :

« VENDA MATHER CVSANI PVRISSIMA CONSORS / SC. INSIGNE CATERINAE M […] VS […] OTR […] / […] STIS CARE POSSET […] SEPOLTVRAE / DILIGES POSVIT »

Certains pensent que la jeune moniale couronnée de roses est cette Mère Cusani ; mais une autre lecture est plus  vraisemblable : la Révérende Mère Cusani a fait poser cette fresque, représentant Sainte Catherine de Sienne, dans la cellule mortuaire du couvent.

Le contraste entre le socle de pierre grise et le trône richement orné, qui semble avoir transpercé le plafond de la cellule, renforce cette interprétation funéraire : la donatrice caressée par la Vierge est Sainte Catherine, mais aussi l’âme rajeunie de la moniale décédée,  accueillie par la Vierge dans cet ascenseur vers le ciel.



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SVDS 1511-12 Fra_Bartolomeo_Maria mit Heiligen und dem Stifter Ferry Carondelet Besancon Cathedrale

Saint Sébastien, saint Étienne, saint Jean-Baptiste, Saint Bernard de Clairvaux, Saint Antoine et le donateur Ferry Carondelet (La vierge aux saints) [2]
Fra Bartolomeo, 1511-12, Cathédrale de Besançon

Face au problème de l’ajout harmonieux du donateur, Fra Bartolomeo a trouvé une solution très simple pour restaurer la symétrie : rajouter en face du donateur un cinquième saint agenouillé. Autre avantage constructif : les deux personnages à genoux s’inscrivent dans un grand triangle qui culmine avec la Vierge à l’Enfant.


 

SVDS 1511-12 Fra_Bartolomeo_Maria mit Heiligen und dem Stifter Ferry Carondelet esquisseEsquisse pour La vierge au Saint
Media Center for Art History – Columbia University

Vierge de Ferry Carondelet Musee Conde ChantillyAnonyme, Vierge de Ferry Carondelet, Musée Condé, Chantilly.

Il n’y a pas pensé tout de suite, comme le montre le dessin préparatoire. En revanche, une fois trouvée, la solution est robuste : dans la copie réduite de Chantilly, Sainte Catherine a remplacé au pied levé le donateur.



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Vers 1530, la formule vieillie de la Madone en Majesté subsiste encore dans de petites villes de Lombardie, mais le trône qui ancrait la composition a disparu et le format vertical s’est imposé.

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SVDS 1529-30 Ferrari Gaudenzio Madonna degli Aranci Chiesa di S. Cristoforo, Vercelli detail
Vierge à l’Enfant avec saint Christophe, Saint Jean Baptiste, Saint Nicolas da Bari et deux religieux de l’Ordre des Umiliati (Madonna degli Aranci)
Gaudenzio Ferrari, 1529, église de San Cristoforo, Vercelli

Le donateur serait le frère Nicolino Corradi di Lignana, aux pieds du bienheureux Orico [3] . Sa position à droite résulte ici encore de la présence massive du patron de l’église, saint Christophe, dont la stature géante et le grand bâton fleuri saturent le côté gauche.

La toile, avec son format ascensionnel, sa profusion d’anges et la disparition du trône insuffle à la vieille formule un dynamisme qui préfigure les grandes machines baroques.



Maesta avec donateur à gauche

On ne rencontre dans ce cas que des situations d‘invitation, où l’Enfant bénit le donateur.

1446–49 Fra Angelico Saints Peter, Paul and George , Four Angels, and an unknown Donor Museum of Fine Arts, BostonConversation sacrée avec Saint Pierre, Saint Paul , Saint Georges, quatre anges et un chanoine inconnu
 Museum of Fine Arts, Boston
1446–49 Fra Angelico Tete de ChristTête de Christ, Collection privée

Fra Angelico, 1446–49 

Un panneau biface  énigmatique

On ne connait pas la destination de ce panneau biface, que sa petite taille (25 cm) destinait à un usage de dévotion privée (il est trop petit pour être un desco da parto, cadeau traditionnel à Florence pour les accouchées). Il a probablement été réalisé pour un chanoine romain [4].

Il présente une configuration intermédiaire entre une Maesta et une Umilita. Le drap d’honneur n’est pas tenu en l’air par les anges, comme dans les occasions plus solennelles, mais posé sur le trône qu’il dissimule en partie. L’estrade n’a qu’une marche et la scène se passe au jardin, avec une escorte réduite à Saint Georges et un ministère allégé : Saint Pierre et Saint Paul. Nous assistons à une sorte d’audience privée, dans laquelle l’arrivée par la gauche se justifie par l’importance du patron, Saint Pierre, et par le geste de bénédiction de l’enfant.

La composition reprend le modèle milanais du donateur au jardin clos (voir 6-1 …les origines), mais en inversant sa position. Celle-ci résulte peut-être tout simplement des règles strictes qui s’appliquent pour les chanoines : au pied du ou des Saints de leur église de rattachement, et en face de leur saint éponyme.

Nous avons vu un autre exemple de panneau biface avec une Tête de Christ au verso, par Antonello de Messine, mais plus tardif et avec un donateur de taille enfant (un moine, voir 5-2 …le développement).



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En Italie, la pratique la plus commode pour insérer, sans modifier la composition, le donateur à taille humaine dans les grands tableaux d’autel, est celle du donateur un abisso, (dont on ne voit que la tête, voir 2-8 Le donateur in abisso). Pour A.Chastel, c’est justement l’adoption de cette formule qui a freiné, en Italie, le recours à la solution privilégiée dans les Pays du Nord :  celle du  triptyque.  En effet, en rejetant  le donateur dans les volets latéraux, ce format simplifie largement son insertion  (voir des exemples dans 1-4-1 Tryptiques italiens).

 
1475-99 Antoniazzo Romano St. Laurent, Jean Baptiste, Evang, Etienne,fresques du ciborium de Basilica di S. Giovanni in Laterano,La Madone avec un cardinal, entre Saint Laurent, Saint Jean Baptiste, Saint Jean Evangéliste, Saint Etienne 1475-99 Antoniazzo Romano Bon pasteur St. Gregoire Augustine, Jerome Ambroise Basilica di S. Giovanni in Laterano,Le Bon Berger entre Saint Grégoire le Grand, Saint Augustin, Saint Jérôme and Saint Ambroise
 
Faces latérales du ciborium central de la basilique Saint Jean de Latran, Rome
Antoniazzo Romano et atelier , 1475-99,

Ce contre-exemple est très particulier, puisque ces fresques remplacent d’anciennes fresques gothiques qui figuraient au  même emplacement, sur les quatre flancs du baldaquin du ciborium de Saint Jean de Latran.

La contrainte d’une composition homogène pour les quatre côtés a conduit Romano à placer le cardinal dans le panneau central (peut être en remplacement d’un donateur-souris antérieur). La position à gauche de la Madone fait écho à celle de l’Agneau aux pieds de Jésus, sur la fresque de la face opposée.

C’est à ma connaissance le seul triptyque Italien où un donateur à taille humaine ne se trouve pas dans les compartiments latéraux.


1498-1502 Bevilacqua San Modesto, Vito et Crescenzia eglise de San Vito, Somma Lombardo

Triptyque de San Modesto,  San Vito et Santa Crescenzia
 Bevilacqua, 1498-1502  église de San Vito, Somma Lombardo

J’ai cru avoir avoir trouvé ici un second cas, mais le personnage dans le panneau central n’est pas un donateur à taille humaine : il s’agit d’un enfant,  Saint Vito, entre son précepteur San Modesto et sa nourrice Santa Crescenzia : amusant détournement du triptyque de couple.


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_SVDS 1482 Anonimo piemontese , tra san Giovanni Battista, san Giuliano e donatore Cappella di Madonna Lunga detail

Cliquer pour voir l’ensemble

_SVDS 1482 Anonimo piemontese , Madonna con Bambino in trono tra san Giovanni Battista, san Giuliano e donatore Cappella di Madonna Lunga bas

Vierge à l’enfant avec un donateur inconnu, Saint Jean Baptiste et Saint Julien
Anonyme piémontais, 1482 , Cappella di Madonna Lunga, Montanera

La décoration très originale de cette petite chapelle de campagne a été réalisée en 1482 pour lutter contre une épidémie de peste. Le donateur apparaît dans un sas qui lui donne un accès particulier à la Vierge en train d’allaiter, à laquelle il vient demander d’intervenir : dans le registre inférieur un cadavre dans son tombeau montre la menace, tandis que se développe dans l’abside le résultat espéré : une Vierge de Miséricorde qui protège sous son manteau toute la société humaine (voir 2-2 La Vierge de Miséricorde).



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_SVDS 1485 ca il-Bergognone-Sacra-Conversazione avec le protonotaire Gerolamo Calagrani Pinacoteca Ambrosiana Milan

Sainte Conversation avec le protonotaire Gerolamo Calagrani
Bergognone, vers 1485, Pinacoteca Ambrosiana, Milan

Ce très grand retable a été commandé pour l’église Sant’Epifanio de Pavie. Le donateur est présenté par son patron éponyme, Saint Jérôme.



_SVDS 1485 ca il-Bergognone-Sacra-Conversazione avec le protonotaire Gerolamo Calagrani Pinacoteca Ambrosiana Milan detail
En dépit de l’abondance de mains, celui-ci est bien le seul à frôler de sa main gauche gantée la tonsure du protonotaire. A côté du cardinal se trouvent trois autres autorités ecclésiastiques : deux évêques (saint Augustin, saint Ambroise) et un pape (saint Grégoire le Grand).

En face sont placées les personnes de moindre importance : trois saintes qui font tapisserie (Liberata, Luminosa et Speciosa) et Sant Epifanio, le patron de l’église qu’il a bien fallu inviter.

C’est donc bien ici sa qualité de protonotaire, familier du pape, qui a valu au donateur sa position d’honneur à la droite de la Vierge, parmi les autres dignitaires.



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_SVDS 1485-90 Ambrogio Bevilacqua Saint John Baptist, Saint Bernard of Clairveaux and donor Accademia Carrara, Bergame

Saint Jean Baptiste avec un donateur et Saint Bernard de Clairvaux
Ambrogio Bevilacqua, 1485-90 Accademia Carrara, Bergame

A la même époque, ce petit panneau de dévotion privée (34 x 24 cm) revêt un caractère volontairement passéiste : fond doré, perspective limitée au trône. On ne sait rien du donateur (sinon que c’est un laïc) ni de la raison du choix des Saints : les deux font un geste d’accueil, mais Saint Jean-Baptiste ne le touche pas physiquement, comme le fait en général le patron éponyme.


1502 Bevilacqua Saint Pierre Martyre rois David Brera Milan

Saint Pierre Martyre avec un donateur et le roi David
Ambrogio Bevilacqua, 1502 Brera Mila

Une dizaine d’année plus tard, Bevilacqua peint pour un autre donateur inconnu cette composition similaire, sauf pour sa grande taille (138 × 136 cm) et son format carré. Saint Pierre Martyre, touchant l’épaule du donateur et regardant la Madone, joue clairement ici le rôle de l’intercesseur. Mais l’autre saint, le rarissime roi David, interpelle le spectateur avec sa citation du livre de Job :

ll te sauvera de la mort <pendant la famine>, et de l’épée pendant la guerre (Job 5). <fame> eruet te de morte, et in bello de manu gladii 


La verge de David (Scoop !)

Equivalent rustique d’un sceptre, la baguette qu’il tient dans sa main droite complète sa couronne et rappelle sa jeunesse de berger. David étant l’ancêtre de Marie, on pourrait également y voir une référence générique à la « virga » d’Isaïe (dans laquelle les exégètes ont ensuite reconnu le « virgo » marial) :

 Et une tige s’élévera de la racine de Jessé , une fleur s’élévera de ses racines. Isaïe 11,1 : et egredietur virga de radice Iesse et flos de radice eius ascendet,

Mais je pense que la baguette a ici un sens très particulier, allusion érudite à un psaume de David :

« Même quand je marche dans une vallée d’ombre mortelle, je ne crains aucun mal, car tu es avec moi: ta houlette et ton bâton me rassurent ». Psaume 23,4 nam et si ambulavero in medio umbrae mortis non timebo mala quoniam tu mecum es virga tua et baculus tuus ipsa me consolata sunt

Ainsi la verge de David, expliquée par la citation de Job, est l’image de la protection divine contre la mort.


La modernité et ses ficelles (SCOOP !)

Chez un artiste aussi réticent aux innovations que Bevilacqua ou ses clients, l’avantage est que, lorsque la digue saute, les ficelles se voient. La comparaison entre ces deux panneaux résume, en accéléré, l’évolution du goût sur un bon demi-siècle, et nous livre tous les ingrédients de la nouvelle cuisine.



1502 Bevilacqua Saint Pierre Martyre rois David Brera Milan schema
J’ai calé les des deux oeuvres d’après la taille de la Vierge assise (lignes bleues).

Dans la première version, la hauteur du socle (deux marches) place la Vierge au dessus des Saints (ligne blanche). Timide concession à la modernité, la perspective se limite au trône (lignes jaunes), et le point de fuite est indiqué par le médaillon doré de Marie. La ligne d’horizon (en violet) est au niveau des yeux de l’Enfant, très au dessus de ceux du donateur . Aussi bien verticalement que dans la profondeur, la construction organise un éloignement respectueux : elle est encore d’essence médiévale, hiérarchique, rendue a-spatiale par le fond d’or. Et les quelques plantes rachitiques du premier plan ne sont là que pour boucher un vide.

Dans la seconde version, le paysage a envahi le fond et la perspective gagné l’ensemble du panneau : le carrelage du premier plan embarque tous les personnages dans sa grille. La suppression du socle les resserre autour de la Vierge, à la fois verticalement et dans la profondeur. Du coup, les crânes des deux saints passent au-dessus de Marie (ligne blanche) et les yeux du donateur montent au niveau de la ligne d’horizon, assumant le caractère subjectif du nouveau type de représentation.

Mais tandis que les saints ont, de manière logique, diminué de taille en reculant vers Marie (lignes vertes), le donateur a gardé la même taille apparente (ligne rouge) : preuve a posteriori que, dans la première version, il n’avait pas encore tout à fait la taille humaine. Ce pourquoi, d’ailleurs, la main de son Saint patron ne le touchait pas.



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_SVDS 1488 Bellini Barbarigo_Altarpiece Chiesa di San Pietro Martire Murano

Retable Barbarigo
Bellini, 1488 , Eglise de San Pietro Martire, Murano

En 1486, le doge Agostino Barbarigo avait succédé au doge Marco Barbarigo, son propre frère, dans des conditions controversées (on disait qu’il l’avait fait assassiner). Ce grand panneau commandé comme un ex-voto pour orner son palais a donc une dimension de propagande : l’inversion des rôles entre son saint patron éponyme, Augustin, qui se tient à droite en brandissant un volume de ses oeuvres, et le saint patron de Venise, Marc, qui présente Agostino à la Vierge, se lit donc comme une sorte de réconciliation posthume, de confirmation du doge par son défunt frère. Selon les écrits d’Agostino lui-même, la Vierge est son « avocate auprès de Dieu notre très Haut Créateur » (« avvochata appresso el nostro summo chreator Iddio’) : par sa position centrale, elle prononce une sorte d’acquittement au tribunal céleste.



_SVDS 1488 Bellini Barbarigo_Altarpiece Chiesa di San Pietro Martire Murano detail
Le paysage comporte des éléments symboliques : le ville fortifiée est un symbole marial, la paon et l’arbre sec illustrent la résurrection et la mort.


 

_SVDS 1488 Bellini Barbarigo_Altarpiece Chiesa di San Pietro Martire Murano-reduit

SVDS 1478-1485 Carpaccio attr Giovanni Mocenigo The National Gallery, London couleur

 Provoquant par son sujet, le panneau l’est aussi par sa forme : on dit que c’est la première Conversation sacrée s’intégrant à la nature, séparée d’elle par une simple balustrade [5]. Mais ce vaste paysage panoramique avait déjà été utilisé quelques années avant par Carpaccio pour le doge Mocenigo.

En comparant les deux oeuvres – comme ont dû le faire les spectateurs de l’époque – on note que Bellini est revenu à une composition plus classique centrée autour de la Madone et qu’il a remplacé le saint protecteur de Jésus (Saint Christophe) par le saint protecteur de Venise (Saint Marc), en laissant à droite le saint patron personnel : la véritable innovation est donc d’avoir déplacé le doge de la position d’humilité à la position d’honneur. Dissocié de son saint Patron, celui-ci assume seul, devant la Vierge, l‘intense subjectivité de cette composition.



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_SVDS 1494 Vierge de la Victoire Mantegna Louvre Paris
Vierge de la Victoire, Mantegna, 1494-95, Louvre, Paris

Commandé comme ex voto suite à sa victoire sur les Français, le tableau montre Francesco II Gonzaga béni par la Vierge. En pendant, la femme agenouillée aux pieds de Saint Jean Baptiste enfant est probablement la mère de celui-ci, sainte Élisabeth (hommage à la soeur préférée de François de Gonzague).

Derrière, trois saints guerriers assistent à cette bénédiction solennelle : Saint Michel et son épée, saint Longin et sa lance rouge (qui a percé le flanc du Christ), Saint Georges et sa lance brisée (dans son combat contre le dragon).



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_SVDS 1505-07 madonna-and-child-adored-by-doge-loredan-vincenzo -catena-Sala Erizzo palais des doges

Vierge à l’Enfant adorée par le doge Léonardo Loredan
Vincenzo Catena,1505-07, Sala Erizzo, Palais des Doges, Venise

Il s’agit ici d’une adaptation, pour le doge Loredan, de la composition de Bellini pour son prédecesseur Barbarigo. On retrouve à gauche Saint Marc. Mais à droite, où aurait dû logiquement se trouver le peu connu Saint Léonard, a été placé Saint Jean Baptiste, le « joker » de ceux qui ont la malchance de porter un prénom sans prestige.


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_SVDS 1516 Baldassarre Peruzzi, Madonna sante Brigida e Caterina e il cardinale Ferdinando Ponzetti, Chiesa di Santa Maria della Pace

Vierge à l’Enfant, sainte Brigitte avec le cardinal Ferdinando Ponzetti, sainte Catherine
Baldassarre Peruzzi, 1516, Eglise de Santa Maria della Pace, Rome
Cliquer pour voir l’ensemble

La toile occupe tout le fond de la chapelle Peruzzi, à gauche de la nef : la position du cardinal s’explique donc par la nécessité d’être tourné vers l’autel principal. La niche peinte était autrefois flanquée de deux autres, dans lesquelles étaient figurés les deux Saint Jean .

Une des soeurs du cardinal, Brigida, était morte de la peste dans son jeune âge, en 1449, et dans son testament de 1511 (bizarrement annulé le lendemain), le cardinal demandait à ses héritiers d’édifier une chapelle à Saint Brigitte dans l’église Sant’Agostino de Naples [6]. La chapelle de Santa Maria della Pace lui a permis de réaliser lui-même cette intention ; et bien qu’il ne concrétisera qu’en 1527 son désir d’être enterré à Santa Maria della Pace, la chapelle peut être vue comme une sorte de mémorial familial dans laquelle sa soeur bien-aimée, déjà au paradis, présente le cardinal à la Madone.



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_SVDS 1523 Defendente Ferrari San Giovanni Battista, San Nazzario e committente orante Palazzo Reale di TorinoVierge à l’Enfant, Saint Jean Baptiste avec un chevalier de Malte, Saint Nazaire
Defendente Ferrari, 1523, Palazzo Reale, Turin

_SVDS 1528-29 Romanino San Francesco, Sant'Antonio da Padova e un donatore, Pinacoteca del Castello Sforzesco MilanVierge à l’Enfant, San François avec un donateur, Saint Antoine de Padoue
Romanino, 1528-29, Pinacoteca del Castello Sforzesco, Milan

Dans ces deux compositions similaires, la position de bénédiction est sans doute favorisée par le statut religieux des donateurs : le chevalier de Malte s’est autorisé à poser son missel sur la marche du trône, tandis que le frère en bure s’approche presque jusqu’au contact avec l’Enfant.


1510 ca Tommaso Aleni Madonna_col_bambino Antoine de Padoue Francois e il beato Amedeo Menez de Sylva Museo civico Cremona

Vierge à l’Enfant, San François avec le bienheureux Amedeo Menez de Sylva , Saint Antoine de Padoue
Tommaso Aleni, vers 1510, Museo civico, Crémone

La comparaison avec cette composition identique montre de manière frappante l’évolution, en vingt ans, d’une conception officielle de la présentation à la Madone à une conception plus intimiste et effusive : ici, la qualité de Bienheureux (voir les rayons qui préludent à l’auréole) ne suffit pas à accorder au moine franciscain la moindre proximité avec l’Enfant.


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_SVDS 1606-11 doge-leonardo-dona-marco-vecellio-the-doges-palace-Sala della Bussola

Le doge Leonardo Dona
Marco Vecellio, 1606-11, Sala della Bussola , Palais de Doges, Venise

Dernière apparition de la formule un siècle plus tard : Saint Marc se situe désormais face au doge, qui n’a plus besoin de saint patron pour venir s’agenouiller littéralement « au pied » de Jésus.


Le donateur ailleurs

_SVDS 1600 Palma le Jeune The Doge Marcantonio Memmo in front of the Madonna Palais des Doges

Le Doge Marcantonio Memmo devant la Vierge à l’Enfant
Palma le Jeune, 1600, Palais des Doges, Venise

Terminons par cette grande allégorie officielle qui déjoue magistralement nos catégories, pour nous montrer un doge à la fois en position d’humilité et en position de puissance.


_SVDS 1600 Palma le Jeune The Doge Marcantonio Memmo in front of the Madonna Palais des Doges schema

A gauche, le bloc « Madone » se situe devant une arcade masquée par un halo : de part et d’autre de l’arcade, deux saints à bâton, Antoine et Roch, montent la garde tandis qu’un saint à crosse, Nicolas, préposé aux petits enfants, se tient à l’arrière de Jésus. Complétant le quatuor, Saint Marc s’est posté en avant de la Vierge, portant des vêtements à ses couleurs.

A droite, le bloc « Province de Venise » se développe devant un large paysage : trois femmes et trois soldats portent les blasons des principales villes de la province (Vicence, Vérone Bergame, Padoue, Brescia et Palmanova). La corne d’abondance, les ruines romaines et les armes symbolisent la prospérité, l’ancienneté et la puissance de la République.

Enfin au centre, le bloc « Cité de Venise «  est souligné par le tapis (qui n’est pas centré devant le trône) : il emprunte au bloc de gauche, Marc et Roch, en avant et en arrière du doge ; et au bloc de droite une seconde incarnation de Padoue et de son université : cette femme couronnée de laurier et entourée de livres incarne la Ville dans sa sagesse, tandis qu’à l’avant le lion tenant le blason des Memmo l’incarne dans sa Force, et Saint Marc à gauche tenant son Evangile l’incarne dans sa Foi.

Ainsi Venise, synthétisée par le doge couronné par un ange, au centre d’une escorte cruciforme, apparaît comme une Puissance analogue à la Madone en Majesté, médiatrice comme elle entre la Province et les Cieux.



Références :
[1] Antichità viva, Volume 8 1969 p 6. Cette date est importante car elle exclut que Carpaccio, trop jeune, ait pu réaliser cette commande.
[1a] « Bellini, Giorgione, Titian, and the Renaissance of Venetian Painting », David Alan Brown, Sylvia Ferino Pagden, Jaynie Anderson, Deborah Howard, p 76 https://books.google.fr/books?id=h7CFI1TB0MwC&pg=PA76
Contre l’hypothèse de Scott Thomas et en faveur d’un triptyque : « In the Age of Giorgione, catalogo della mostra, a cura di S. Facchinetti e A. Galansino, Royal Academy of Arts, London 2016 », p 108 https://www.academia.edu/27975357/In_the_Age_of_Giorgione_catalogo_della_mostra_a_cura_di_S._Facchinetti_e_A._Galansino_Royal_Academy_of_Arts_London_2016
[4] Fra Angelico, Laurence B. Kanter, Pia Palladino, Angelico (fra), Angelico Fra, Metropolitan Museum of Art, p 329 https://books.google.fr/books?id=CSJzInnXf0QC&pg=PA214

6-1 Le donateur-humain : les origines (avant 1450)

24 juin 2019

On lit souvent que l’apparition du donateur à taille humaine est liée au développement de la perspective géométrique à Florence, au début du XVIème siècle. Nous allons voir qu’on en trouve dans les Vierges à l’Enfant bien plus tôt : cependant, avant 1450, il s’accompagne en général du geste de bénédiction de l’Enfant, que le donateur se présente par la gauche ou par la droite.

1) La position d’invitation (donateur à gauche)

Le cas de loin le plus fréquent est celui de la position d’invitation : car comme nous l’avons vu dans le cas des donateurs-souris, c’est le geste de bénédiction de l’Enfant qui autorise l’humain à se rapprocher en position d’honneur.

Mais l’accroissement de taille, qui le porte à égalité avec la Vierge et l’Enfant, est une audace supplémentaire qui nécessite de nouvelles précautions graphiques.

1.1) Avant 1350 : moines et dévotes

Au tout début, la taille humaine apparaît surtout chez ces donateurs peu dangereux, dont la robe facilite l’accès à la Madone.

1108-22 Virgin and Thomas Besforde British Library Royal 4 C VI f. 1
Vierge à l’enfant avec le frère bénédictin Thomas Besforde
1108-22, Gregory the Great Moralia in Job, British Library Royal 4 C VI f.1

C’est l’abstraction de la majuscule ornée qui résout en premier lieu le problème. L’approche par la gauche est encore facilitée par la fait que l’homme est un moine : sa position en contrebas suggère une vision mystique. Le texte de la banderole n’est d’ailleurs pas une demande d’intercession pour le salut de son âme, mais l’expression d’un exercice spirituel :

A toi je confie mon âme  In te confidit a[n]i[m]a / mea



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1150 ca Psalter Convento di San Michele a Maturi Biblioteca Mediceo-Laurenziana (Cod. Pluteo XVII.3, c. 155)
Le moine Joannes devant la Vierge à l’Enfant
Psautier du couvent de San Michele a Maturi, vers 1150, Biblioteca Mediceo-Laurenziana (Cod. Pluteo XVII.3, c. 155)

Dans cet exemple précoce et isolé, un enlumineur florentin a osé se risquer au saut conceptuel consistant à représenter l’humain et le divin dans un même espace. Un détail explique cette audace : le livre que l’Enfant tient entre ses mains, à savoir le psautier lui-même. Car c’est bien le geste du don qui autorise cette dangereuse familiarité avec le Sacré : la commensurabilité des personnages facilite la représentation de l’échange (même si l’on trouve quelques exemples de dons effectués par un donateur-souris, voir 2-3 Représenter un don).

On note néanmoins que l’artiste a pris soin de fixer le donateur, par les jambes, sur un seuil ambigu qui est à la fois le cadre de l’image et le « tapis » de la pièce


1260 ca Psautier cistercien Besançon BM -ms.0054 f008
Psautier pour un monastère de cisterciennes (dit de Bonmont)
Vers 1260 , Besançon BM -ms.0054 f008

Un siècle plus tard, on retrouvera cette même astuce du donateur fixé sur le cadre : encouragé par le geste de l’Enfant qui bénit tout en embrassant sa mère, l’abbé Walters a suffisamment pénétré dans l’image pour poser le bas de sa crosse sur la marche inférieure du trône ; tandis que la moniale Agnesa reste prosternée à l’extérieur.


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1150 ca Devotional Miscellany Bodleian Library MS Auct D.2.6 fol 158v
Devotional Miscellany, England
Vers 1150, Bodleian Library MS Auct D.2.6 fol 158v

Mais dans les débuts du donateur à taille humaine, c’est toujours un don qui justifie la position à gauche : ici par exemple, le livre s’échange au travers de la membrane symbolique de la mandorle, qui laisse la donatrice à l’extérieur.


1200 ca Oxford Devotional Miscellany British Library Add MS 15749 fol 5fol 5, 1200 ca Oxford Devotional Miscellany British Library Add MS 15749 fol 42 fol 42
Devotional Miscellany, Oxford
Vers 1200, British Library Add MS 15749

Ce manuscrit montre que le « saut conceptuel » reste modulé par des contraintes graphiques :

  • au folio 5, la donatrice a pénétré à l’intérieur de la lettre S, qui limite son accroissement de taille (mais l’enlumineur a néanmoins figuré sa tête en avant du « plafond », et suggéré sa taille humaine en escamotant le bas du corps) :
  • au folio 42, le donateur se trouve à complète égalité de taille, et la composition suggère qu’il va recevoir, outre la bénédiction de l’enfant, le don du lys par Marie.



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C’est donc dans les manuscrits qu’apparaissent en premier les expérimentations avec le donateur à taille humaine. Un exemple remarquable va nous permettre d’apprécier les subtilités qu’autorise l’adoption de cette nouvelle convention : une fois affranchi du geste du don, le donateur à taille humaine va désormais se contenter de prier.

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1230-39 Book of Hours, Paris Morgan Libray MS M.92 fol. 21rFolio 21r 1230-39 Book of Hours, Paris Morgan Libray MS M.92 fol. 93vFolio 93v

Livre d’Heures, Paris
1230-39, Morgan Libray MS M.92

La donatrice, une laïque, comme le montre sa barbette, apparaît à deux pages différentes, prosternée devant le D majuscule du mot Domine : tantôt devant la Vierge à l’Enfant, tantôt devant la représentation trinitaire de Dieu le Père, tenant un livre (le Fils) et surmonté par la colombe (le Saint Esprit).

La place d’honneur accordée à la donatrice est compensée par son accroupissement, et sa taille humaine est minorée par la barrière de l’initiale. On voit bien ici les précautions graphiques qui accompagnent cette double infraction à l’ordre héraldique et au donateur-souris.

Au delà de la figure sacrée circonscrite dans sa majuscule, c’est le texte lui-même que la donatrice regarde : par sa position à gauche, elle initie la lecture du paragraphe et sert d’exemple à la fois pour la prière et pour l’étude. Comme le remarque avec finesse Angela Sand :

« plus grande en taille que Dieu, la donatrice réside là-encore dans un contexte spatial disjoint de celui à l’intérieur de l’initiale, flottant quelque part entre le texte et l’image, présence médiatrice entre l’espace tridimensionnel du lecteur du livre et l’espace abstrait et intemporel de la page.

L’enlumineur expérimente ici une figure intermédiaire qui, en mimant la position de prière de celui qui utilisera le livre, sert de passerelle graphique entre la figure enclose de Dieu, le texte, et le lecteur ». ‘([1], p 164)


la donatrice sacralisée (SCOOP !)

1230-39 Book of Hours, Paris Morgan Libray MS M.92 fol.130r
Folio 130r

L’extraordinaire est que la même donatrice apparaît une troisième fois dans le livre, toujours associée à un D majuscule mais cette fois à l’intérieur de la lettrine : il ne s’agit plus d’un texte latin, mais du texte en français de la salutation angélique : « Deus te sault (salue) sainte Marie ».

Tandis que sa position « hors la lettre » traduisait un statut de spectatrice par rapport au latin liturgique, son inclusion traduit un statut de locutrice pour une prière privée. En se distanciant du monde du lecteur, en pénétrant dans l’espace abstrait de la lettre, la donatrice a poussé l’image sacrée à se retrancher à un niveau encore plus abstrait, invisible au spectateur comme l’autel sous le voile : à l’intérieur du livre qu’elle lit.



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1311 La somme le Roi, ecrite par Lambert le petit Jeanne de Guines et Eu en prieres, Gallica Bibliotheque de l'Arsenal, Ms 6329, f1vJeanne de Guines et Eu en prieres, f1v 1311 La somme le Roi, ecrite par Lambert le petit Crucifixion Gallica Bibliotheque de l'Arsenal, Ms 6329, f2rLa Crucifixion, f2r

1311, La somme le Roi, écrite par Lambert le petit, Gallica, Bibliothèque de l’Arsenal, Ms 6329

Ce livre s’ouvre par la figure de la donatrice agenouillée devant la Vierge debout :

  • l’Enfant tient une pomme de la main gauche et bénit la donatrice de la main droite ;
  • la Mère tient l’Enfant de la main gauche et touche la donatrice de la main gauche.

La composition illustre ainsi avec précisions deux idées théologiques :

  • celle que le « fruit » de chair vient compenser le fruit défendu ;
  • et celle de la nature divine du fils et de la nature humaine de sa mère, que montre la double bénédiction : sans contact et avec contact.

La position de la donatrice à la droite de Marie, nécessité par la double bénédiction, fait aussi un écho heureux à la position de Marie à droite de la Croix, dans la miniature qui lui fait face : ainsi s’introduit un nouveau parallèle entre la donatrice en prières et la Mère en pleurs.


1311 La somme le Roi, ecrite par Lambert le petit Marie Madeleine Gallica Bibliotheque de l'Arsenal, Ms 6329, f3vLe Christ apparaissant à Marie Madeleine, f3v 1311, La somme le Roi, ecrite par Lambert le petit Résurrection Gallica Bibliotheque de l'Arsenal, Ms 6329, f4rL’ange de la Résurrection et les Saintes Femmes, f4r

Dans les deux miniatures pleine page qui suivent, l’artiste a conservé le même type de composition, où la figure subordonnée se tient à droite et en contrebas de la figure principale.


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1346 avant Heures de Catherines de Valois extrait de Andrea G. Pearson premier dyptique

Heures de Catherine de Valois,
Avant 1346, localisation actuelle inconnue

Cette composition en bifolium aborde d’une autre manière le problème de la cohabitation avec le sacré, en le laissant en quelque sorte à l’appréciation du lecteur : les décors soigneusement différentiés (motifs du cadre, de l’arc ogival et du fond) prouvent la discontinuité spatiale, tandis que la présence des Saint patrons à gauche, et le geste de Jésus bénissant à droite, suggèrent une continuité spirituelle.

Nous verrons plus loin , vers 1380, un autre exemple encore plus flagrant de « bifolium indécidable ».



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2.2) Après 1350 : l’extension aux hommes de pouvoir

Comme le note Alexa Sand ([1], p 260) on trouve dans les Livres d’Heures, dans la seconde moitié du XIVème siècle, de plus en plus de donateurs masculins, tandis que les femmes prennent un statut d' »auxiliaires ou de spectatrices, plutôt que d’héroïnes spirituelles ».

1375-1400 Book of Hours France, Paris, Morgan MS M.229 fol. 195rLivre d’Heures à l’usage de Paris
1375-1400, Morgan MS M.229 fol. 195r
British Library YT 37 92Jean du Berry ou un gentilhomme de son entourage devant la Vierge de l’Humilité
1405-10 British Library Yates Thompson MS 37 fol 92

 C’est ainsi que de grands personnages vont se faire représenter dans une prière intime devant la Vierge et l’enfant, agenouillés à gauche pour recevoir la bénédiction de l’Enfant (la miniature de droite est un des très rares exceptions  où l’Enfant est indifférent au donateur).

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1362-63, Charles V devant la Vierge à l'Enfant Bible historiale , vol. 2 Proverbes à Apocalypse, Gallica MS 5707 fol 368r

Charles V devant la Vierge à l’Enfant
1362-63, Bible historiale, vol. 2 : Proverbes à Apocalypse, Gallica, MS 5707 fol 368r

L’introduction du prie-Dieu portant les armoiries joue un rôle crucial, à la fois pour la mise à une échelle commune des personnages, mais aussi pour leur séparation. Autre marque de séparation : le rideau vert derrière le roi, qui en fait est double, relevé dans sa partie avant.

Il s’agit d’un dais que l’on disposait à l’intérieur des églises, permettant aux personnages importants de s’isoler pour prier ou tout aussi bien, comme ici, pour mettre en valeur leur dévotion.


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Les dévotions de Jean de Berry

 
1380 ca Jacquemart de Hesdin Tres_Belles_Heures_of_the_Duc_the_Berry Bibliothèque Royale de Belgique, Brussels MS11060 fol 10vfol 10v  1380 ca Jacquemart de Hesdin Tres_Belles_Heures_of_the_Duc_the_Berry Bibliothèque Royale de Belgique, Brussels MS11060 fol 11fol 11

Pages de dédicace des Très Belles Heures du Duc Jean de Berry
Jacquemart de Hesdin , vers 1380, Bibliothèque Royale de Belgique, Bruxelles, MS11060 

Dans ce second exemple de « bifolium indécidable », le pavement confère aux deux scènes un zeste de continuité spatiale, tandis que les fonds bleu et rouge (rempli d’anges musiciens) ainsi que les vues différentes (de profil et de face) militent en faveur de deux scènes distinctes, d’autant qu’aucune interaction ne traverse la frontière des pages :

  • à gauche Saint André à genoux et Saint Jean Baptiste assis par terre accompagnent la prière du Duc ;
  • à droite, la Mère déroule entre ses deux mains la longue banderole sur laquelle l’Enfant écrit de la main droite, tout en pressant son sein de la main gauche.

La composition en diptyque permet à l’enlumineur cette acrobatie graphique qui combine deux iconographies : celle de la Présentation à La vierge et à l’Enfant (d’où la présence du saint patron) et celle de la vision mystique (d’où le Prie-Dieu, les anges du fond, et l’invention étrange de ce nourrisson-calligraphe. L’écriture à blanc, l’absence d’encrier – comme si l’Enfant écrivait avec le lait – soulignent que Jean du Berry contemple ici le pur mystère de l’Incarnation, à savoir le Verbe s’auto-inscrivant  dans un support vierge.

  D’autres oeuvres de son entourage modifieront l’image dans le sens de l’Intercession (voir  2-4 Représenter un dialogue).


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Quelques années plus tard, les Petites heures de Jean de Berry contiennent tout un florilège d’agenouillements du duc devant la Vierge, Dieu le Père ou Jésus-Christ.

1385-90 Jean de Berry devant la Vierge à l'Enfant Petites heures de Jean de Berry, Gallica MS 18014 fol 97v

 Jean de Berry s’adresse en latin à l’Enfant qu’elle porte debout   fol 97v
1385-90 Petites heures de Jean de Berry, Gallica MS 18014
 
Sommet du sommet, toi Père unique,
Créateur du monde et régisseur de sa fabrique,
En considération de ton amour déifique,
Prends en considération les pêcheurs affligés
(prière de Saint Bernard de Clairvaux )
Summe summi tu Patris unice,
Mundi faber et rector fabricæ,
Pietatis respectu deicæ,
Peccatores afflictos respice,

Afin d’illustrer littéralement le titre de la prière, « Sommet du sommet », le duc a été réduit ici à la taille enfant, de même que son prie-Dieu ; et derrière la Madone, un drap d’honneur doré surclasse son demi-rideau vert. Cependant, c’est bien le contenu de l’image (un enfant dans les bras de sa mère) et non la teneur du texte (« créateur du monde ») qui autorise la familiarité de la position à gauche.


1385-90 Jean de Berry devant la Vierge à l'Enfant Petites heures de Jean de Berry, Gallica MS 18014 fol 100vJean de Berry devant Dieu le Père fol 100v 1385-90 Jean de Berry devant la Vierge à l'Enfant Petites heures de Jean de Berry, Gallica MS 18014 fol 103vJean de Berry devant la Vierge à l’Enfant fol 103v

1385-90 Petites heures de Jean de Berry, Gallica MS 18014

Car trois folios plus loin, c’est cette fois en position d’humilité que Jean de Berry, toujours à taille enfant, s’incline devant « Dieu le Père tout puissant, roi de gloire », qui brandit le cosmos au dessus de sa tête.

Enfin, encore trois folios plus loin, Jean de Berry, maintenant à taille humaine, occupe une troisième position, dans la nef d’une chapelle, face à la Vierge à l’Enfant qui se tient debout dans le choeur : cette composition neutre, de profil face à la Vierge, a l’avantage d’évacuer la question de l’ordre héraldique (voir 2-1 En vue de profil).


1385-90 Jean de Berry devant la Vierge à l'Enfant Petites heures de Jean de Berry, Gallica MS 18014 fol 122rJean de Berry devant la Vierge à l’Enfant fol 122r 1385-90 Jean de Berry devant la Vierge à l'Enfant Petites heures de Jean de Berry, Gallica MS 18014 fol 198vJean de Berry devant la Vierge à l’Enfant fol 198v

Ces deux dernières miniatures éclairent la situation : la station debout de Marie favorise la taille humaine (le duc à genoux apparaissant plus bas qu’elle) alors que lorsqu’elle s’assoit sur son trône, le duc se rapetisse en conséquence, pour produire visuellement le même effet hiérarchique.

En 1385-90, les « Petites heures de Jean de Berry » marquent donc un moment de cohabitation entre la taille enfant et la taille humaine : deux possibilités entre lesquelles les enlumineurs arbitrent selon leurs propres habitudes, le texte à illustrer et la position debout ou assise de la Vierge.


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Dans les Belles heures de Jean du Berry,  deux miniatures développent le  dispositif du dais de prières ostentatoire.

1406-09 Freres Limbourg Belles heures de Jean du Berry MET 54.1.1 fol 91fol 91r 1406-09 Freres Limbourg, , MET, 54.1.1 fol 91vfol 91v

Belles heures de Jean du Berry
Frères Limbourg, 1406-09, MET, 54.1.1

Les deux miniatures recto verso fonctionnent en écho l’une de l’autre, d’une manière très subtile.

  • Le duc (représenté beaucoup plus jeune que ses soixante ans), est agenouillé devant rien. Son dais est fermé en haut. A l’intérieur, un serviteur, dont on ne voit que le pied et le bras, est en train d’ouvrir le rideau avant, pour le lecteur.
  • La jeune duchesse Jeanne de Boulogne (représentée avec son âge réel) est en prières devant l’image bien visible de la Trinité. Son dais est ouvert en haut. A l’extérieur, un serviteur soulève le rideau avant.


Deux prières croisées (SCOOP !)

1406-09 Freres Limbourg, , MET, 54.1.1 fol 91v detail

Seul détail irréaliste, la couronne qui passe bizarrement devant ce rideau : inappropriée pour une duchesse, inadéquate avec le voile, impossible avec le rideau, cet objet doré prend un caractère surnaturel.

L’opposition entre les deux images (cryptique et idéalisée pour le duc, manifeste et réaliste pour la duchesse) ainsi que l’irruption surnaturelle de la couronne s’expliquent si l’on met en regard les textes croisés des deux prières : celle de l’époux à Marie, celle de l’épouse  à Dieu le Père :

E tres doulce Dame, pour ycelle grant joie que vous eustes an jour de vostre Assumpcion quant vostre cherfilz vous porta es cielx et vous coronna sur toutes femmes du monde.Douce, pries li pour moy et pour tous pecheurs et toutes pecheresses que par sa digue puissance, ilz aient volente d’isir hors de leur pechies et de leur vies amender. Ave Maria gracia.Doulx Dieu, doulx Pere, Sainte Trinite. I Dieu biau sire Dieu, je vous requier conseil et aide en I’onneur et a la remembrance de celui hautisme conseil que vous preinstcs de vostre propre sapience quant vous envoiastes vostre saint angle Gabriel a la Vierge Marie dire et annuncier la nouvelle et le conseil de vostre loy,biau sire Diex, si comme cefu voir nous vueillies regarder en pitie et nous donner vostre sainte misericorde.Amen. Pater noster qui es in celis.

Ainsi, dans le secret de son dais, le duc rappelle à la Vierge (qu’il ne voit pas), la joie qu’elle eut à être couronnée. Tandis que dans son dais ouvert, la duchesse s’offre aux regards de Dieu, s’identifiant  à Marie choisie pour s’offrir à sa loi.

Le sous-entendu courtois qui circule entre les deux miniatures est que la Vierge qui manque au recto est visible au verso, sous les espèces de la duchesse couronnée, non par son Fils comme Marie, mais par son auguste époux.


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Les Très Belles Heures de Notre-Dame (dites encore Heures de Milan-Turin) contient une pleine page montrant le Duc en position d’invitation devant la Madone :

Heures de Turin Milan photo durrieu (detruit en 1904) folio 78 planche XLIV
Heures de Milan-Turin, 1410-12, photo Durrieu (détruit en 1904), folio 78v, planche XLIV

« Ici le duc est agenouillé devant la sainte Vierge. Son prie-Dieu est couvert d’un drap armoyé à ses armes. Son manteau, au lieu de montrer le cou nu, selon la mode du XIVe siècle, monte, au contraire, jusqu’aux oreilles suivant la mode qui prévalut dès les environs de 1400, et qu’on voit encore dans les Heures de Chantilly. Le visage, vu de trois-quarts, est entièrement rasé, et les cheveux sont absolument blancs. Le duc (né en 1440) paraît très vieux, âgé d’au moins 70 ans, et c’est en effet l’âge qu’il devait avoir, puisque nous avons vu tantôt qu’en 1409 il portait encore un peu de barbe, et que, d’autre part, en 1412, le manuscrit a été aliéné. Cela permet de déterminer de façon précise la date de la peinture en question : de 1410 à 1412 » [1a]

La familiarité de la position d’invitation, alors que l’Enfant ne bénit pas, n’est autorisée que par la taille enfant du duc, dans ce face-à-face privé. Dans la scène publique du bas de page, en revanche, c’est à taille humaine et en position d’humilité que le duc en armure comparaît devant Dieu,  présenté par la Vierge elle-même et suivi à distance respectueuse par sa cour.


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Un précurseur des diptyques de dévotion

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Diptyque Wilton, 1395–99, National Gallery, Londres

Le diptyque montre le roi d’Angleterre Richard II à genoux devant la Vierge et l’Enfant, présenté par son saint patron Jean-Baptiste, et accompagné par les saints royaux anglais Édouard le Confesseur et Edmond le Martyr.

Cette oeuvre très célèbre ressemble beaucoup, par sa structure, aux bifolium indécidables que nous avons vu apparaître dans quelques manuscrits de grand luxe : comme s’ils avaient servi de prototype à ce petit diptyque portatif, dont il n’existe aucun autre exemple

On y relève la même ambiguïté  : les cieux dorés aux motifs différents, l’opposition entre le sol rocheux et le sol herbeux, rendent les scènes discontinues ; cependant, des interactions discrètes entre les deux panneaux suggèrent une lecture d’ensemble.


Première interaction : l’étendard

On devine que le roi vient de faire passer à l’ange le plus proche dans l’autre volet l’étendard de Saint Georges, afin que Jésus le bénisse (on voit clairement que l’enfant regarde l’étendard, et non le roi). Ainsi la frontière entre Terre et Ciel est au moins perméable à cet objet héraldique.


Deuxième interaction : les genêts et le cerf


1395–99 Wilton_diptych;_left-hand_panel detail 1395–99 Wilton_diptych;_right-hand_panel detail

Le roi porte autour du cou un collier d’or en forme de gousses de genêt (emblèmes des Plantagenêt) et un médaillon avec son emblème personnel : un cerf blanc portant en collier une couronne avec une chaîne dorée. Les mêmes symboles se retrouvent dans la broderie du manteau, associés à des brins de romarin (emblème de son épouse Anne de Bohème).

Les onze anges du panneau droit portent les mêmes insignes : deuxième perméabilité héraldique.


Troisième interaction : le douzième ange

Il est probable que le nombre des anges soit une allusion à l’épisode du songe de Joseph : « Et voici, le soleil, la lune et onze étoiles se prosternaient devant moi. » De même que dans la vision biblique Joseph constituait la douzième étoile, de même dans la version chrétienne (avec Jésus, Marie et les onze anges dans le rôle des astres), c’est le Roi qui se trouve, du moins symboliquement, comme recruté dans le panneau sacré. [2]

Le revers de ce diptyque, particulièrement intéressant d’un point de vue héraldique, est présenté dans ZZZ.


Le précurseur du diptyque de dévotion flamand

Pour accommoder un donateur à taille humaine, la formule du diptyque est une solution élégante, qui élude les questions d’infraction à l’ordre héraldique et de juxtaposition entre l’individu et le sacré. Sa charnière crée en effet une sorte d‘ellipse visuelle, à perméabilité réglable, un nouvelle convention graphique qui donne une impression d’harmonie tout en  évitant les questions gênantes. Pourtant le diptyque Wilton restera sans descendant direct.

C’est Van der Weyden qui quarante ans plus tard,  en inversant la position des personnages et en les cadrant à mi-corps, réinventera la formule et lui donnera tout son potentiel expressif (voir 6-7 …dans les Pays du Nord).


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1.3) Les premières oeuvres publiques

Avant 1450, hors du domaine de la dévotion privée,  le donateur à taille humaine reste très exceptionnel. Voici les rares exemples précurseurs, avant son explosion généralisée dans la seconde moité du siècle.


1375 Giusto di Menabuoi donatrice Fina Buzzaccarini. Baptistere de Padoue

La Vierge à l’Enfant avec la donatrice Fina Buzzaccarini
Fresque de Giusto di Menabuoi, 1375, Baptistère de Padoue

Cette fresque très innovante  est sans doute le tout premier exemple d’une formule révolutionnaire qui va avoir un très gros succès en Italie : la Conversation Sacrée. Elle consiste à représenter la Vierge en compagnie de saints personnages qui ne sont pas de son temps.

Cet anachronisme assumé est encore accentué ici par la présence de Fina Buzzaccarini, épouse du seigneur de Padoue, seule humaine dans ce saint cénacle : à gauche Saint Jean Baptiste et Saint Jean l’Evangéliste la présentent à la bénédiction de l’Enfant, sous le regard de Saint Maximus, deuxième évêque de Padoue ; à droite le premier et le troisième évêque, Saint Prosdocimus et Saint Fidenzio, suivent saint Daniel de Padoue (un jeune juif converti par Prosdocimus), portant sa palme de martyr et son attribut distinctif : une maquette de la cité .

Ainsi celle qui a commandé la décoration du baptistère pour en faire la chapelle familiale se fait représenter, comme pour une photo souvenir, au sein d’une famille céleste organisée selon ses choix : deux célébrités extérieures, les anciens dirigeants de la Cité et, en pendant avec elle, le séduisant martyr local.


1375 Giusto de Menabuoi miracoli di Cristo detail
Fresque des Miracles du Christ (détail)

On la retrouve ici, plus discrètement, en compagnie de son époux Francesco I da Carrara et du poète Pétrarque : car la cour de Padoue est à l’époque à la pointe de la modernité artistique.


1375_ca Silvestro_de'_gherarducci_(attr.)_giovanni_battista_e_giovanni_evangelista,_.Los Angeles County Museum of Art.

Vierge à l’Enfant entre Saint Jean Baptiste et Saint Jean l’Evangéliste
Silvestro de Gherarducci (attr.), vers 1375, Los Angeles County Museum of Art.

Il suffit de comparer la fresque ambitieuse de Giusto di Menabuoi avec ce panneau réalisé à Florence exactement à la même époque : le donateur est de taille souris, et si les saints sont les mêmes que ceux choisis par Fina Buzzaccarini, leur position en pendant est lourdement justifiée : à gauche le précurseur annonce en boucle « Voici l’agneau de Dieu, voici.. », à droite l’évangéliste vérifie dans son livre la citation que tient l’Enfant : « Je suis la lumière » (Jean, 8:12).

Le seul élément subjectif, très discret, est la bande d’hermine blanche sur laquelle Jésus est posé, et dont on comprend qu’elle est un cadeau du donateur, lui aussi fourré d’hermine.

Le « trou » aux pieds de Marie n’a pas de valeur symbolique : c’est un dispositif purement graphique permettant d’accentuer la profondeur et de caser le donateur et les saints sur les avancées de la plate-forme (voir d’autres exemples dans  2-8 Le donateur in abisso)

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1410 ca Anonyme deux saints jean Vescovo Giovanni Rusconi Duomo Parme

Vierge à l’Enfant avec les deux Saint Jean et l’évêque Giovanni Rusconi
Anonyme, vers 1410, Duomo, Parme

Cette fresque décore la chapelle funéraire de l’évêque Giovanni Rusconi. L’Enfant l’accueille sans lé bénir, mais en lui tendant sa main droite. Saint Jean l’Evangéliste figure à gauche en tant que patron de la chapelle ; à droite la banderole tenue par Saint Jean Baptiste fait écho à la volute de la crosse.


Un texte détourné (SCOOP !)

A cette position inhabituelle, sans le geste de l’index tendu et le texte qui habituellement l’accompagne (Voici l’Agneau de Dieu), Saint Jean Baptiste perd son rôle traditionnel de Précurseur (dans l’Evangile) et d’admoniteur (dans l’image), au profit du rôle plus sombre de celui qui ferme la marche.

Le phylactère affiche une citation tronquée d’Isaïe :

Je suis la voix qui crie dans le désert, préparez-vous ! « Ecce vox clamantis in deserto, parate…  » Isaïe 40, 3

En tronquant le texte d’Isaïe (« Une voix crie dans le désert : Préparez dans le désert le chemin de l’Eternel »), la citation prend le sens funèbre qui convient à un mémorial.


2) La bénédiction sur la droite

Le second cas le plus fréquent, dans ces premiers temps du donateur à taille humaine, est celui de la « retro-invitation », ou bénédiction sur la droite. C’est par cette formule que que se fait son irruption fracassante, à taille réelle, dans la peinture monumentale.


Le tout premier donateur à taille humaine : San Gimignano, 1317

1315 simone_martini_ maesta Palazzo Pubblico de Sienne

Maesta
Simone Martini, 1315, Palazzo Pubblico, Sienne
Cliquer pour voir l’ensemble

En 1315, Simone Martini décore le mur latéral de la Salle du Conseil par une grande Maesta : la Vierge sur le trône, entourée de nombreux saints et anges. Mais inutile d’y chercher un donateur.


1317 lippo_memmi_Maesta donatore Nello Tolomei palazzo_comunale_in_san_gimignano

Maesta avec le donateur Nello Tolomei
Lippo Memmi, 1317, Palazzo comunale, San Gimignano

En 1317, Nello Tolomei, le maître de la cité de San Gimignano, commande à Lippo Memmi, le beau-frère de Simone Martini une fresque similaire et encore plus riche, qui se développe cette fois sur toute la longueur de la salle (à noter que les deux couples de saints sur les bords ont été rajoutés après 1350).

L’inscription en italien et en lettres capitales qui court au bas de la fresque dit toute a fierté du commanditaire :

Au temps de messire Nello fils de messire Mino de Tolomei de Sienne, honorable podestat et capitaine de la commune et du peuple de la terre de San Gimignano, 1317

Al tempo di messer Nello du messer Mino de Tolomei di Siena, onorevole potesta e chapitano del Chomune et del popolo della Terra di San Gimignano MCCCXVII


1317 lippo_memmi_Maesta donatore Nello Tolomei palazzo_comunale_in_san_gimignano detail enfant
Pour le centre de la composition, Memmi a suivi étroitement le modèle de son beau-frère, en donnant un peu plus de dynamisme à la main gauche de la Vierge (qui relève légèrement la tunique de l’Enfant) et en améliorant la lisibilité du parchemin, qui porte le même verset de la Sagesse de Salomon :

Aimez la justice, vous qui jugez la terre » Sagesse 1,1 Diligite justitiam qui judicatis terram



1317 lippo_memmi_Maesta donatore Nello Tolomei palazzo_comunale_in_san_gimignano detail
Mais cette exhortation, qui à Sienne s’adressait  à tous les citoyens, s’adresse à Saint Gimignano surtout au premier d’entre eux, qui se présente devant l’Enfant dans tout l’apparat de son costume de podestat : souliers noirs, robe rayée, chaperon tenu dans la main, révélant le filet qui maintient ses cheveux.

Dans cette toute première apparition à grande échelle du donateur à taille humaine, l’artiste insiste sur le dialogue entre les deux figures principales :

  • la Mère avec l’Enfant, qui tient le parchemin portant son commandement ;
  • le Saint Patron Nicolas avec Nello (diminutif de Nicolo), qui tient le parchemin portant sa réponse.

Celle-ci, sous forme d’une prière à la Vierge, est aussi une explication très précise, à l’usage du spectateur médusé, de cette grande innovation picturale :

Salut, Reine du monde, Mère de Dieu
Qui sans souffrance a enfanté le Christ
A vous je recommande le dévot ci-dessous :
Nello de Maître Mini Tolomei
Dans vos bras je demande, par amour pour moi,
Qu’il vous plaise de l’accueillir
Afin qu’il soit mêlé à vos saints,
A vos anges, à vos patriarches et au Dieu vivant.

Salve, regina mundi, mater dei
Qui sine pena peperisti christum
vobis commendo devotum infrascriptum
Nellum Domini Mini Tolomei
In ulnis vestris rogo amore mei
Ut placeat vobis suscipere istum,
Et inter sanctos vestros esse mixtum
Angelos, Patriarchas vivi Deo

« esse mixtum (qu’il soit mêlé ») : la raison d’être, en deux mots, du donateur à taille humaine.



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2.1) Quelques épitaphes de chevaliers

Après cette apparition spectaculaire, mais sans lendemain compte tenu de la magnificence nécessaire, la formule du donateur à droite ne va se maintenir en Italie que dans deux contextes très particuliers : le premier est celui des épitaphes de chevaliers.

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1325 ca Pietro Lorenzetti - San Giovanni Battista presenta un cavaliere alla Madonna col bambino. - Basilica di San Domenico, Siena

Vierge à l’Enfant avec un chevalier présenté par Saint Jean Baptiste
Pietro Lorenzetti, vers 1325, basilique de San Domenico, Sienne

Dans cette fresque qui faisait très probablement partie d’un monument funéraire, la rhétorique de la présentation à la Madone est particulièrement éloquente : Saint Jean Baptiste se porte garant de l’âme qui arrive au ciel, la Vierge le regarde d’un air suspicieux et l’Enfant se décide à bénir, mais sans sourire.



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Les fresques de San Giorgetto de Vérone

Les épitaphes avec un chevalier à taille humaine vont très rapidement se simplifier et se codifier, comme on peut l’observer, à Vérone, dans la petite église San Giorgetto : on y a redécouvert récemment un ensemble de fresques datant de la période entre 1350 et 1400 où l’édifice était attribuée aux mercenaires de la compagnie teutonique des chevaliers de Brandebourg.

Elles montrent des compositions très stéréotypées dans lesquelles Saint Georges, patron de la chapelle, présente le chevalier défunt à la Madone, qui tend l’Enfant systématiquement du côté du chevalier.

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1354 Fresques des chevaliers allemands Donateur l San Giorgetto, Verona1354, une sainte avec le donateur, Saint Georges, Madone, Saint Christophe 1354 Fresques des chevaliers allemand san Pietro martire, San Giorgetto, Verona1354, Sainte Catherine, Saint Georges avec le donateur, Madone, Saint Pierre Martyre

Dans les deux fresques les plus anciennes, le chevalier se présente par la gauche


1355 Fresques des chevaliers allemands 2, San Giorgetto, Verona1355, Madone, donateur, Saint Georges, Sainte Catherine 1358 Fresques des chevaliers allemand,San Giorgetto, Verona1358, Saint Christophe, Madone, Sainte Catherine avec le donateur, Saint Georges,

Dans les deux suivantes, il se présente par la droite.


1370-79 Fresques des chevaliers allemand,Bartolomeo Badile San Giorgetto, Verona

Madone, donateur avec Saint Georges, Sainte Catherine Donateur avec Saint Georges, Sainte Catherine, Madone

1370-80, Bartolomeo Badile

Dans les deux fresques les plus récentes,  signées Bartolomeo Badile, le donateur se présente tantôt à gauche et tantôt à droite.

La série de San Giorgetto [3] montre que, même pour un ordre militaire, la règle héraldique n’est pas déterminante puisque Bartolomeo Badile peint côte à côte les deux compositions.

Il semble néanmoins que la formule primitive soit celle du donateur à gauche, dans la position honorable qui sied à un chevalier  : la présence de Saint Georges, à la fois présentateur du chevalier et garde du corps de Marie, est certainement  un facteur facilitant pour éliminer l’effet d’intrusion lié à l’accroissement de taille.

La position du chevalier à droite apparaît plus tard, par souci de variété.

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 1382 Simone da Corbetta Santa Caterina, Sant’Orsola, San Giorgio e il committente Teodorico da Coira Dalla chiesa di Santa Maria dei Servi di MilanoVierge à l’Enfant avec Sainte Catherine, Sainte Ursule, Saint George et le donateur Teodorico da Coira (Chur)
Simone da Corbetta, après 1382, Brera, Milan (provient de église de Santa Maria dei Servi)
1461 Baschenis Antonio fresque Madonna con Gesù Bambino in trono, Sant'Orsola e donatore Santo Stefano church, CarisoloVierge à l’Enfant avec Saint Ursule et un donateur
Antonio Baschenis , 1461 , église Santo Stefano, Carisolo

Dix ans plus tard, on trouve à Milan un autre exemple de bénédiction à droite : le défunt chevalier est présenté à l’enfant bénissant par deux saintes martyres, avec Saint Georges en sentinelle.

Pour comparaison, dans une vallée reculée du Trentin, cette épitaphe très retardataire en est resté à la taille enfant, un siècle après les innovations de Vérone.


  1380-99 Fresques des chevaliers allemands Donateur laïc, San Giorgetto, VeronaMadone, une sainte avec un donateur laïc
1380-1400, église San Giorgetto, Vérone
1410-40 Anonimo veronese sec. XV, San Giacomo Maggiore presenta il donatore alla Madonna con Bambino Chiesa di S. Anastasia, VeronaMadone, Saint Jacques avec un donateur laïc
1380-1400, église Santa Anastasia, Vérone

Dès la fin du XIVème siècle , la taille humaine s’y est d’ailleurs propagée à des donateurs laïcs, avec disparition de Saint Georges.



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Les fresques de Sant’Anastasia de Vérone

 Une autre église de Vérone, Sant’Anastasia, est célèbre pour ses tombeaux de chevaliers  : mais ils n’apparaissent à droite que dans des cas très particuliers.

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1370 ca Alticchiero Santa_Anastasia_(Verona)_-_Cappella_Pellegrini_-_Entrance

Alticchiero, vers 1370, entrée de la chapelle Pellegrini
Église Sant’Anastasia, Vérone

A l’extérieur de la chapelle Pellegrini, deux épitaphes montrent le chevalier à gauche, avec l’enfant bénissant.


 

       
1392 Martino da Verona ,Chiesa di S. Anastasia, Verona tomba Tommaso pellegriniTombe de Tommaso Pellegrini, avec Saint Thomas, Jean-Baptiste et Antoine
1390-99 Martino da Verona, San Zeno, Giorgio, Caterina, Domenico, Antonio Abate,Chiesa di S. Anastasia, Verona bevilacquaTombe de membres de la famille Bevilacqua, avec Saint Zeno, Georges, Catherine, Dominique, Antoine

Martino da Verona, 1392, Chapelle Pellegrini

A l’intérieur de la chapelle, dans ces deux monuments qui se font face sur les murs gauche et droit, c’est une logique topographique qui règle la position de l’Enfant : il est tourné vers l’entrée de la chapelle, de manière à accueillir le spectateur en le bénissant.

Il serait donc logique que, dans la fresque du mur droit, le chevalier se trouve à droite pour bénéficie lui-aussi de la bénédiction. Cependant, la présence  de deux autres chevaliers de plus petite taille (probablement ses enfants) l’oblige à rester à gauche.  On ne connaît malheureusement pas l’identité de ces trois membres de la famille Bevilacqua.


1369 Cappella_cavalli,_affreschi_di_altichiero_e_monum._a_federico_cavalli_con_affr._di_stefano_da_zevio, Sant Anastasia Verona

Monument de Federico Cavalli
Stefano da Zevio, 1369 , chapelle Cavalli

En revanche, dans l’arcade sur le mur droit de la chapelle Cavalli, le donateur est bien à droite, face à l’Enfant qui accueille le spectateur.


1370 Altichiero,_la_vergine_adorata_dai_mebri_della_famiglia_Cavalli,_sant'anastasia,_verona_

L’Hommage à La Vierge de trois membres de la famille Cavalli
Altichiero da Zevio, 1370 , fresque de la chapelle Cavalli, Eglise Sant’Anastasia, Vérone

Dans la célèbre fresque située juste au dessus, la situation est  théoriquement différente puisque, stricto sensu, les trois chevaliers s’agenouillent face à Marie (voir 2-1 En vue de profil), et non pas à sa droite. Mais le résultat est visuellement identique.

Chaque chevalier est présenté par son saint patron ( Georges, Martin et Jacques). L’emblème de la famille figure à différents endroits : sur les écus des écoinçons du portique, sur les casaques de deux des chevaliers, ainsi que sur les cimiers de parade accrochés dans leur dos ou posé au sol (pour cause d’encombrement).


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2.2) La conversation au jardin

Le second cas de bénédiction sur la droite est inventé lui-aussi en Italie du Nord, non plus dans un contexte militaire et funéraire, mais dans l’ambiance courtoise d’une conversation au jardin.

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1369-73 jean darbois Missa_in_festivitate_sancti_Bernardi_BNF, ms. lat. 1142 fol1r

Missa in festivitate sancti Bernardi
1369-73, Jean d’Arbois, BNF, ms. lat. 1142 fol1r

C’est dans l’entourage du duc de Milan Jean Galéas Visconti, grand amateur de livres, que s’introduit cette nouvelle formule. Jean d’Arbois était un peintre de cour français, qui vécut à la cour de Milan pendant quelques années [5]. C’est lors de ce séjour qu’il a inventé cette étrange composition dans laquelle le jeune duc s’agenouille à la droite devant l’Enfant, qui de la main gauche l’encourage à s’approcher, tandis que Saint Bernard impose sa main sur sa tête, Saint Antoine abbé sur son épaule, et que le Christ lui même, en Homme de douleurs couvert de plaies, ferme l’escorte (on notera l‘identification quelque peu mégalomaniaque entre le profil du jeune duc barbu et celui du Christ).


1380 ca Lombardie'usage de Rome BNF Giangaleazzo Visconti,(manoscritto Smith-Lesoüeff 22, c. 15).
Vierge de l’Humilité avec le donateur Giangaleazzo Visconti
Heures à l’usage de Rome, Lombardie, vers 1380, BNF manuscrit Smith-Lesoüeff 22, fol 15

Dans cette seconde version moins solennelle, avec cette fois une Vierge d’Humilité, le duc est un peu plus âgé et l’escorte a été transposée : Sainte Catherine a remplacé saint Bernard en tant que présentatrice, Saint Antoine abbé pousse toujours le duc à l’épaule et Jésus est ici encore dupliqué,mais sur les épaules de Saint Christophe.



1380 ca Lombardie'usage de Rome BNF Giangaleazzo Visconti,(manoscritto Smith-Lesoüeff 22, c. 15) detail.
Sainte Catherine n’a pas d’attribut identifiable, mais elle est un des quatre saints, avec Saint Antoine abbé, auquel des messes sont dédiées dans le livre. Elle partage avec Marie un geste particulièrement élégant de la main droite (le pouce et l’index en anneau), qui a pour effet , par la similitude entre les deux « mères », de suggérer à nouveau l’identification du duc à l’Enfant-Jésus.

En outre, la barrière dans le coin inférieur gauche introduit le thème du jardin clos et de la Virginité ce qui, comme le note Edith W. Kirsch, est conforme à la destination du manuscrit :

« La présence de Sainte Catherine, la Vierge de l’Humilité et l’insistance sur la chasteté est tout à fait appropriée pour un manuscrit réalisé comme cadeau de mariage de Giangaleazzo à Caterina Visconti. Une des nombreuses formes d’invocation à Saint Christophe était la protection contre la mort subite. Pour Giangaleazzo, dont la première épouse était morte en couches à l’âge de vingt trois ans, cette invocation devait revêtir une particulière signification. » ([6], p 30)



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1385 ca Lombard illumination of Madonna and Child with donor, BNF ms. lat. 757, fol. 109v
Vierge à l’Enfant avec le comte Bertrando de Rossi, conseiller et ambassadeur de Jean-Galéas Visconti
Missel à l’usage des frères mineurs, Lombardie, 1388, Gallica BNF ms. lat. 757, fol. 109v

La même composition se propage dans l’entourage du duc. Bien que nous soyons toujours au jardin, le croissant sur le socle du trône et les rayons autour de l’Enfant Jésus font référence à une autre iconographie, celle de la Vierge au croissant de lune, dans laquelle le donateur est quasiment toujours situé à gauche (voir 3-3-1 : les origines). C’est donc bien le mimétisme avec son seigneur  qui explique cette position anormale du comte Bertrando de Rossi.


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1400 ca Ecole de Pavie St John the Evangelist, St Anthony Abbot, and Donor, North Carolina Museum ofᅠArt

La Vierge à l’Enfant avec Saint Jean l’Evangeliste, Saint Antoine Abbé et un donateur
Ecole de Pavie, vers 1400 , North Carolina Museum of Art

Toujours en Lombardie, mais lorsque s’éloigne l’influence de Jean-Galéas Visconti, on constate un retour à la représentation conventionnelle du donateur à taille humaine, à gauche de la Vierge représentée en Reine des Cieux, entourée de rayons et couronnée par deux anges.

Le donateur a été repeint probablement vers 1452, en même temps que le blason a été surchargé par celui des Sforza et qu’une bande de papier a été rajoutée en bas. L’identité du premier propriétaire est inconnue [7].

L’inscription du bas est intéressante car elle juge bon d’expliquer au spectateur de 1452 une mise en scène réalisée pour quelqu’un d’autre un demi-siècle auparavant :

« Remarquable et diligeant homme Matteo Attendolo Bolognini, préfet de Pavie, fait Comte de Sant’ Angelo par Francesco Sforza Duc de Milan en 1450, sous le commandement des Saints Jean l’Evangéliste et Antoine abbé, se place sous la protection de la Mère de Dieu ».

SPECTABILIS AC STRENUUS VIR MATTHAEUS DE ATTENDOLIS BOLOGNINUS, TICINENSIS ARCIS PRAEFECTUS / CREATUS SANCTI ANGELI COMES A FRANCISCO SFORTIA MEDIOLANI DUCE ANNO MCCCCLII, COMMENDAN / TIBUS, SANCTIS JOHANNE EVANGELISTE, ET ANTONIO ABBATE, AB DEIPARA CLIENTELAM RECIPITUR/

Les expressions « commendantibus » et « clientelam recipitur », en décrivant la scène dans un vocabulaire plus administratif que religieux, perdent sans doute de de vue l’intention première du panneau.



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1420-30 Master GZ Madonna and Child with the Donor, Pietro de Lardi Presented by Saint Nicholas, MET

Vierge à l’Enfant avec le donateur Pietro de’ Lardi, présenté par Saint Nicolas
Maître GZ, 1420-30, MET, New York

La longue inscription identifie le donateur, un laïc, et le saint qu’il a choisi pour patron [8]. Pour les non-lettrés, le peintre a donné une indication permettant de reconnaître Saint Nicolas, bien connu comme protecteur des enfants : le geste très inhabituel de Jésus empoignant sa crosse.

La Vierge étant en extérieur – comme le montre le mur de brique – l’artiste a eu l’idée pour la protéger de rajouter un toit en tonneau, qui fait de son trône ouvragé un meuble de jardin tout à fait extraordinaire.



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1420 ca Book of Hours France, ca. Morgan MS M.960 fol. 117r
Livre d’Heures, France
Vers 1420, Morgan MS M.960 fol. 117r

C’est vers 1420 que la formule milanaise de la « Conversation sacrée au Jardin clos » s’introduit en France, avec la protection qui accompagne désormais la Madone en extérieur : le baldaquin au dessus de sa tête.

On constate que l’enlumineur ne maîtrise pas bien la bénédiction sur la droite : il a l’idée de représenter la Vierge de trois quarts, se tournant vers le donateur. Mais si le baldaquin suit bien le mouvement, le trône reste en vue frontale.


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1410 Jeanne de La Tour Landry Lyon, BM, 574Livre d’Heures de Jeanne de La Tour Landry
Vers 1410, Lyon, BM, MS 574
1420 ca Heures France Morgan MS M.1000 fol. 230rLivre d’Heures à l’usage de Paris
Vers 1420, Morgan Library MS M.1000 fol. 230r

La formule s’installe progressivement, que la Vierge soit debout ou assise, en conservant l’ambiguïté entre une scène d’extérieur (dais, coussin) et une scène d’intérieur (prie-Dieu) : le fond en échiquier ne prend pas partie. Seul le sol vert dans la première image, le tissu vert à fleurs du prie-Dieu dans la seconde, évoquent une pelouse.


1430 ca Book of Hours France, probably Besancon, MS M.293 fol. 149r
Livre d’Heures, France (probalement Besançon)
Vers 1430, MS M.293 fol. 149r

Ici en revanche, le sol vert, le rempart et le pot de fleurs signalent clairement le jardin clos. La chaise curule est maintenant vue de trois quarts, comme le dais.


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1436-1450 Livre d'heures de Jean de Dunois (British Library YatesThompson3 f22vVierge à l’Enfant avec le donateur, fol 22v 1436-1450 Livre d'heures de Jean de Dunois (British Library YatesThompson3 f27v._IntementamVierge à l’Enfant, fol 27v


Livre d’heures de Jean de Dunois,

1436-50, British Library YatesThompson3

Dans les Heures de Jean de Dunois, la Madone apparaît deux fois, en extérieur :

  • tout d’abord tournée vers la droite, assise sur une chaise et en présence du donateur agenouillé, pour illustrer la prière « Obsecro te » (Je te supplies)
  • puis à la miniature suivante, tournée vers la gauche, assise sur un coussin et entourée d’anges musiciens, pour illustrer une prière moins subjective, « Intemerata et in aeternum benedicta » (« Intacte et bénie éternellement…)


1436-1450 Livre d'heures de Jean de Dunois (British Library YatesThompson3 f32v._Jugement_dernier

Jugement Dernier avec le donateur, folio 32v

Encore une miniature plus loin, le donateur réapparaît, accompagné par Saint Jean qui lui montre le Jugement dernier. C’est sans doute pour respecter ici la position conventionnelle de la vision de Saint Jean (voir 3-4-1 : les origines) que l’illustrateur, par souci de variété, a représenté le donateur à droite dans la première  miniature.



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1440 Livre heures usage Sarum Angleterre ou France Bristish Library Sloane 2321 f. 125Livre d’heures à l’usage de Sarum (Angleterre ou France)
Vers 1440, Bristish Library Sloane 2321 f. 125
1445 ca Book of Hours Northern France or Flanders, Morgan M.287 fol. 21rLivre d’heures, France du Nord ou Flandres
Vers 1445, Morgan M.287 fol. 21r.

Après 1450 environ, toutes les formules vont désormais cohabiter : on trouvera des donateurs à taille humaine aussi bien à gauche qu’à droite, avec des Enfants bénissant ou non bénissant.



Références :
[1] Alexa Sand »Vision, Devotion, and Self-Representation in Late Medieval Art »
[1a] Georges Hulin de Loo, « Heures de Milan: troisième partie des Très-Belles Heures de Notre-Dame » Bruxelles, 1911 https://digi.ub.uni-heidelberg.de/diglit/hulin_de_loo1911/0024/image
[6] « Patronage and Chronology in Five Manuscripts of Giangaleazzo Visconti », Edith W. Kirsch 1991