2-8 Le donateur in abisso

29 mai 2019

Le terme de « donateur in abisso » a été introduit par A.Chastel [1], pour désigner le cas très particulier de tableaux d’autel où le donateur apparaît au tout premier plan, mais vu à mi-corps, voire réduit à sa seule tête, comme s’il était situé en contrebas de la scène.

Chastel part de Vérone, gisement particulièrement riche entre 1470 et 1530, puis élargit sa recherche à d’autres villes, trouvant un prototype à Viterbe en 1472, quelques exemples à Florence et en Italie du Nord, et rien à Venise.

Cet article reprend les exemples repérés par Chastel, les enrichit, et propose un classement, non pas géographique, mais topographique : dans quel abysse précisément les donateurs sont-ils descendus ?

Nous verrons ainsi qu’une solution graphique apparemment homogène répond en fait à des préoccupations variées.



Un faux ancêtre : le donateur d’Assise

1330 ca Pietro Lorenzetti-Madonna dei Tramonti Transept gauche de la basilique inférieure StFrancis and StJohn the Evangelist

Vierge à l’Enfant entre Saint François et Saint Jean l’Evangéliste (Madonna dei Tramonti )
Pietro Lorenzetti, vers 1330, Transept gauche de la basilique inférieure, Assise [2]

Le buste du donateur apparaît, à côté de ses armoiries et d’une petite Crucifixion, apposé sur une balustrade peinte.


330 ca Pietro Lorenzetti Transept gauche 1330 ca Pietro Lorenzetti-Banca vuota Transept gauche de la basilique inférieure

La situation de la fresque ne laisse aucun doute sur le statut de cette balustrade : elle fait partie de l’architecture feinte, et le portrait du donateur est un cadre en trompe-l’oeil, totalement externe à la scène sacrée, au même titre que le célèbre « banc vide » (Banca vuota) sur le mur d’à côté.


Le donateur-enfant tronqué

(Un autre faux ancêtre)

La formule du donateur de taille enfant apparaît de manière transitoire en Italie, entre la formule médiévale du donateur-souris et la formule renaissante du donateur à taille humaine (voir 5-2 …le développement).

1410-70 Michele di Matteo Madonna con Bambino in trono e donatrice Museo Davia Bargellini, BolognaVierge à l’Enfant avec une donatrice
Michele di Matteo, 1410-70, Museo Davia Bargellini, Bologne
1460-74 Bembo Benedetto, Madonna con Bambino in trono, angeli musicanti e donatore Museo Civico Ala Ponzone, CremonaVierge à l’Enfant avec un donateur
Bembo Benedetto, 1460-74, Museo Civico Ala Ponzone, Crémone

Certains se rapprochent du donateur in abisso, mais sont en fait agenouillés devant la Madonne.


 
    
1475-1525 Anonimo umbro Madonna con Bambino in trono e donatore Musée des Beaux-Arts, RouenVierge à l’Enfant entre Saint Jérôme et Saint François d’Assise et une donatrice
 
Guidoccio Cozzarelli, 1470 – 1517 , collection privée1470 - 1517 Cozzarelli Guidoccio, san Girolamo, san Francesco d'Assisi, angeli e donatrice coll privVierge à l’Enfant avec un donateur
Anonyme ombrien, 1475-1525, Musée des Beaux-Arts, Rouen

Dans ces deux cas, le cadrage à mi-corps de la Madonne  ne laisse voir que la tête du donateur.



Le donateur dans son trou

Dans cette formule très rare, le donateur se trouve dans une excavation prévue à son intention, un peu comme un trou de souffleur.

1447 Filippo_Lippi_-_Incoronazione_Maringhi Offices Florence

Couronnement de la Vierge
Filippo Lippi, 1447, Offices, Florence [3]

Au tout début de l’introduction du donateur a taille humaine, Lippi a expérimenté toutes sortes de formules (voir ZZZ). Dans ce Couronnement, on pourrait avoir l’impression que le prieur Maringhi ,à droite, se trouve dans une sorte de trou.



1447 Filippo_Lippi_-_Incoronazione_Maringhi Offices Florence detail
En fait il est agenouillé devant l’estrade sur laquelle défilent les personnages sacrés, de manière symértique à l’autoportrait de Lippi en moine carmélitain. Ainsi, parmi tous ces Saints, les deux personnages humains, le peintre et le donateur, se distinguent par cet agenouillement à même  le sol. Le seul personnage qui pourrait à la rigueur préfigurer le « donateur in abisso » est l’Ange, positionné probablement en avant de l’estrade, mais coupé à la taille par le cadrage.



1457-60 Mantegna,_Andrea_-_crucifixion_-_Louvre_from_Predella_San_Zeno_Altarpiece_Verona

Crucifixion (prédelle du retable de San Zeno de vérone
Mantegna, 1457-60, Louvre, Paris

Ici Mantegna pratique au premier plan une véritable excavation , mais c’est pour y placer deux soldats : trouvaille visuelle dont le but est d’élargir la perspective, à la fois vers l’avant et vers le bas.



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1480 ca Cosimo Rosselli Commenda di Sant'Eufrosino Church in Volpaia, Radda in Chianti, Siena
Vierge à l’Enfant entre Saint Euphrosynus et Saint Jean Baptiste avec le donateur Niccolo Canigiani (pala Canigiani)
Cosimo Rosselli, vers 1480, Palais Strozzi, Florence (provient de la commanderie  Sant’Eufrosino de Volpaia, Radda in Chianti)

Voici la première véritable apparition du donateur surgissant de son trou :  il s’agit très probablement du commandeur Niccolo Canigiani , dans son habit à croix blanche de chevalier  de Jérusalem.

Chastel diagnostique dans cette composition une certaine « gaucherie » (le donateur semble debout mais la position de profil fait que l’orifice ne peut être un escalier), symptomatique d’une certaine résistance des Italiens, contrairement aux flamands, à intégrer les donateur au sein des personnages sacrés.

Pour nuancer, notons que le donateur projette néanmoins son ombre au ras du pied de Saint Jean Baptiste, preuve qu’il fait bien partie de la scène. Rosselli a pris soin de couper les marches en biais de manière à pouvoir caser les deux saints en contrebas de la Vierge, mais au dessus du donateur, comme dans le Couronnement de Lippi. Ce placement hiérarchique résulte plutôt du côté solennel du sujet (une Maesta) que d’une réticence italienne au réalisme (on trouve très tôt des donateurs à taille humaine de plain-pied avec la Madonne, mais des contextes plus intimes, voir 6-1 …les origines).



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1338-76,Francesco di Neri da Volterra Madonna and Child With Three Donors Galleria e Museo Estense, ModenaVierge à l’Enfant avec trois donateurs
Francesco di Neri da Volterra, 1338-76, Galleria e Museo Estense, Modena
  

 

  
1375_ca Silvestro_de'_gherarducci_(attr.)_giovanni_battista_e_giovanni_evangelista,_.Los Angeles County Museum of Art.Vierge à l’Enfant ente les deux Saints Jean, avec un donateur
Silvestro de’ Gherarducci (attr.), vers 1375, Los Angeles County Museum of Art

Le « trou » de Roselli est à comprendre plutôt comme une échancrure dans la plateforme, procédé déjà utilisé au siècle précédent pour accentuer l’effet de profondeur. La seule innovation est que Rosselli a eu l’idée de placer son donateur-humain dans l’échancure, alors que les donateurs-souris étaient placés sur les avancées.



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1507 Carpaccio Walters Art Museum Madonna and Child Enthroned with Saints and Donori

Vierge à l’enfant avec Saint Jean Baptiste, Saint Jérôme et un couple de donateurs
Suiveur de Carpaccio, 1507 Walters Art Museum, Baltimore

Voici le seul autre exemple que j’ai trouvé. Dans cette composition très originale, l’artiste a véritablement respecté la perspective (les bustes des donateurs sont plus grands) ainsi qu’un équilibre entre les sexes : main bénissante de Jéus pour l’époux, main accueillante de Marie pour l’épouse. D’après les armoiries, ils appartiendraient à deux familles vénitiennes connues, les Pisani pour l’homme et les Baseggio pour la femme, mais ces patronymes ne correspondent pas aux initiales P.C. et P. B., qui restent inexpliquées. [4]


DEUS et HOMO (Scoop !)

Verticalement, l’étagement des personnages semble illustrer les mots « DEVS. ET. HOMO » de l’inscription :

  • les deux mortels ont les pieds dans l’orifice et la tête près des bucrânes ;
  • le spectateur, lui aussi mortel, a les yeux au même niveau que les leurs ;
  • les deux saints sont plantés en hauteur sur la terrasse ;
  • la Vierge a les pieds sur le trône ;
  • de par sa nature divine, Jésus est le seul à n’avoir aucun contact avec le marbre.

Le sujet implicite, dans ce surgissement hors du marbre, semble bien être celui du passage de l’Humain au Divin, soit encore de la Résurrection des corps.


Le donateur dans la fosse

C’est sans doute l’analogie inévitable avec un caveau qui a bloqué le développement de la formule du donateur dans un trou, au profit d’une formule bien plus prolifique, celle du donateur dans une fosse (au sens de fosse d’orchestre).

1472 Girolamo_da_cremona_(attr.) Pala Settala redentore_tra_i_ss._giovanni_battista,_evangelista,_leonardo_e_pietro_martire, Viterbo Cathedral

Le Christ entre Saint Jean l’Evangéliste, Saint Léonard, Saint Pierre Martyre, entre Saint Jean Baptiste, abec l’évêque Settala (Pala Settala)
Girolamo da Cremona (attr.), 1472, Cathédrale de Viterbe

Selon Chastel, ce panneau est le plus ancien exemple de donateur in abisso. Le dispositif inverse celui du creux central dans la plateforme : les encoches sont ici latérales, s’enfonçant jusqu’aux pieds des Saints. Elles ont deux objectifs :

  • rationaliser la composition en suggérant que l’évêque se trouve dans une fosse en contrebas ;
  • désigner un point de fuite bas, donc une vue en contre-plongée.

La main gauche du Christ, à l’aplomb du crâne glabre de l’évêque, est d’ailleurs vue par en dessous.



1472 Girolamo_da_cremona_(attr.) Pala Settala ,_redentore_tra_i_ss._giovanni_battista,_evangelista,_leonardo_e_pietro_martire, detail
Verticalement, la bouche de Settala se trouve au niveau du texte, comme si celui-ci extériorisait sa prière.


1475 Neri di Bicci, san Biagio, san Michele Arcangelo e donatori, Montreal Museum of Fine Arts

Vierge à l’Enfant entre Saint Blaise et Saint Michel Archange, avec un couple de donateurs
Neri di Bicci, 1475, Museum of Fine Arts, Montreal .

Comme le remarque Chastel, cette composition très méditée n’est finalement qu’une alternative, à taille humaine, à la formule des donateurs-souris. A la même époque, on les voit très fréquemment positionnés sur la tranche de la plateforme : ici le fait qu’ils masquent l’inscription et projettent leur ombre portée sur le sol montre qu’ils sont bien conçus comme physiquement présents dans l’historia, et non comme des sortes de signatures figurées, extérieures à la représentation.

Des donateurs miniatures sur l’étagère à la tête sortant de la fosse, le saut conceptuel n’est pas si grand.



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1484 Bonsignori Francesco, Pala Avogadro sant'Onofrio, san Girolamo, san Donato, san Cristoforo e donatrice Castelvecchio Verone

Vierge à l’Enfant entre Saint Onofrius, Saint Jérôme, Saint Donat, Saint Cristophe avec la donatrice Altobella Avogadro (Pala Avogadro)
Francesco Bonsignori, 1484, musée de Castelvecchio, Vérone

Comme celui de l’évêque Settala, le profil de la donatrice est placé à un croisement stratégique, entre le bras tendu de l’Enfant et le cartellino en trompe-l’oeil collé sur le piédestal.


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1490-1510_ca Bottega_del_ghirlandaio,_madonna_col_bambino,_santi_e_il_donatore_roberto_folchi,Museo Masaccio, Reggello

Vierge à l’Enfant entre Saint Romulus, Saint Pierre, Saint Paul, Saint Sébastien, avec le donateur Roberto Folchi, évêque de Fiesole
Atelier de Ghirlandaio, 1490-1510, Museo Masaccio, Reggello

La position de l’évêque est ici très déconcertante : au croisement de l’épée de Saint Paul et de la flèche de saint Sébastien, il semble revendiquer une forme de martyre, tout en s’inscrivant au centre de la partie la plus prosaïque de l’inscription : IMPRESA PROPRIA (A ses propres frais).

La grosse loupe sur le front (touchée par la pointe de l’épée) et l’ornement en forme de plaie sanguinolente du gant épiscopal dénotent un état de souffrance. On sait d’ailleurs que Roberto Folchi, dut abandonner sa charge d’évêque en 1510 pour cause de maladie.


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La formule du donateur dans la fosse (seul, en couple ou en famille) va ensuite être employée pendant un bon siècle de manière répétitive, en Toscane et autour de Vérone essentiellement, sans intéresser aucun artiste majeur. D’où l’hypothèse que cette formule, plus flatteuse que celle du donateur-souris, était une forme de portrait,économique et socialement reconnue.

De plus, cette mise à part du donateur simplifiait le travail pour l’artiste, supprimant les complications liées à l’ordre héraldique et à l’interaction avec les personnages sacrés, tout en facilitant l’intervention d’une main plus habile pour la réalisation du portrait.

Voici donc une série d’exemples, présentés par ordre chronologique.


1486 Marco_palmezzano,_trittico famiglia Accorzi Chiesa di San Biagio (Forlì)Triptyque de la famille Accorzi
Marco Palmezzano, 1486, église de San Biagio, Forlì
1486 - 1513 Rafaellino del Garbo, san Bartolomeo, san Nicola di Bari e donatori, Chiesa di S. Spirito, FirenzeVierge à l’Enfant entre Saint Bartholomé et Saint Nicolas, avec un donateur inconnu
Rafaellino del Garbo, 1486 – 1513, église San Spirito, Florence
 
  1498-1500 Pietro del donzello, Pietro del Donzello, san Quirico, santa Giulitta, san Bartolomeo e donatore Museum of Incisa in Val d'ArnoVierge à l’Enfant entre saint Juditte, Saint Cyr et Saint Bartholomé, avec un donateur inconnu
Pietro del Donzello, 1498-1500, Musée d’Incisa inVal d’Arno

1497 - 1518 Nardini Girolamo, Madonna con Bambino in trono, san Raffaele Arcangelo, san Sebastiano e il donatore detruitVierge à l’Enfant entre l’Archange Raphaël et Saint Sébastien, avec un donateur inconnu

Girolamo Nardini , 1497 – 1518 (détruit)
1500-25 Pisano, Niccolo Saint Francois, Saint Antoine et Deux Donateurs, Musee Conde, ChantillyVierge à l’Enfant entre Saint Francois et Saint Antoine, avec un couple de donateurs inconnus
Niccolo Pisano, 1500-25, Musée Condé, Chantilly
   
1500-25 Pittore_fiorentino,_ss._antonio_abate_e_elucia_e_i_committenti,_ da_s._martino_a_sezzate Museo San Francesco (Greve in Chianti)Vierge à l’Enfant entre Saint Antoine et Sainte Lucie, avec un couple de donateurs inconnus
Anonyme florentin, 1500-25, Museo San Francesco (Greve in Chianti), provenant de San Martino a Sezzate
  1522 Piccinelli Andrea, Madonna con Bambino in trono tra san Francesco d'Assisi, sant'Antonio Abate e donatore Museo di Arte Sacra, CertaldoVierge à l’Enfant entreSaint François et Saint Antoine, avec un donateur inconnu
Andrea Piccinelli , 1522, Museo di Arte Sacra, Certaldo
1520-50 Tosini Michele San Giacomo Maggiore, Francesco d'Assisi, Chiara, Lorenzo e committente Leonardo Buonafede Museo del Cenacolo di AndreVierge à l’Enfant entre Saint Jacques, Saint François, Sainte Claire et Saint Laurent, avec le donateur Leonardo Buonafede (Pala Bonafi)
Michele Tosini, 1525, Museo del Cenacolo di Andrea del Sarto, Florence



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1526 Girolamo Dai Libri Pala Baughi Sant Anna con la Madonna e Gesu Bambino tra San Giuseppe e San Gioacchino e donatori San Paolo Verone

Sainte Anne trinitaire entre Saint Joseph et Saint Joachim, avec un couple de la famille Banghi (Pala Banghi)
Girolamo Dai Libri, 1526, église San Paolo, Vérone

Ce tableau plus original, avec son cognassier déployant ses fruits au dessus de la sainte Famille élargie, répond très certainement à un voeu de fertilité des jeunes époux (voir d’autres exemples dans 6-8 …en couple).



1526 Girolamo Dai Libri Pala Baughi Sant Anna con la Madonna e Gesu Bambino tra San Giuseppe e San Gioacchino e donatori San Paolo Verone detail
La zone sombre entre les donateurs n’est pas un trou, mais une plaque de marbre décorant le piédestal du trône. Il forme ainsi une sorte d’autel sur lequel est posé, en symbole du Péché originel vaincu par la Madonne, la tête décapitée d’un chien infernal.


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1570-75 Agresti Livio, Madonna con Bambino, san Giuseppe e il committente Andrea Pelucchi Chiesa di S. Maria della Consolazione, Roma 1570-75 Agresti Livio, Madonna con Bambino, san Giuseppe e il committente Andrea Pelucchi Chiesa di S. Maria della Consolazione, Roma ensemble

Sainte Famille avec le donateur Andrea Pelucchi
Livio Agresti, 1570-75, église Santa Maria della Consolazione, Rome

Il est dommage que le cadre moderne ait fait disparaître le bas du tableau, qui montrait un exemple unique de fosse dissymétrique, avec une avancée servant de pupitre à l’Ange musicien. A l’aplomb du petit flûtiste, la mère et l’enfant tiennent de la même main un globe de cristal, qui manifestement illustre la musique des Sphères.


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1500-99 Vassilacchi A. , Madonna Immacolata con Gesù Bambino, santi e donatori Capella Giustinian di San Francesco della VignaL’Immaculée Conception avec l’Enfant entre Saint Antoine et saint François d’Assise, avec des donateurs de la famille Giustiniani
Antonio Vassilacchi, vers 1550, Chapelle Giustiniani, San Francesco della Vigna, Venise

1595 Francesco Curia Madonna del'Arco tra i Danti Francesco di Paola e Antonio di Padova et commitenti, Polo Museale, NaplesMadonna del’Arco entre saint François de Paule et Saint Antoine de Padoue, avec un couple de donateurs
Francesco Curia, 1595 Polo Museale, Naples

Dans l’exemple de gauche, une mer de nuages remplace la sempiternelle plateforme.

Dans celui de droite, le format vertical permet de surélever le nuage (pour la Madonne) au dessus d’un mur (pour les Saints), mur qui a l’avantage d’accentuer l’effet de contraste entre l’immense paysage divinisé qui s’ouvre à l’arrière-plan et l’espace étroit des donateurs. Donateurs qui font mine de lever les yeux vers la Madonne, mais que seul le public peut réellement voir.

On perçoit bien ici la convention théâtrale vers laquelle glisse la formule des donateurs dans la fosse : de moins en moins spectateurs de la scène, de plus en plus présentateurs du spectacle.



Le donateur en immersion

Cette formule,à l’inverse, supprime toute démarcation. Elle s’applique plutôt en extérieur, en terrain en pente. Mais nous en verrons aussi deux cas en intérieur.

A l’opposé de la fosse et de ses facilités, la formule a tenté des artistes de toute premier ordre.

1400 - 1499 Anonimo ferrarese sec. XV, Madonna con Bambino tra san Rocco, san Sebastiano e donatore coll priv
Vierge à l’Enfant entre Saint Roch et Saint Sébastien
Anonyme ferrarais, 1400-99, collection privée

Il existe de très nombreuses images de la Vierge entre ces deux saints, les deux principaux spécialistes de la Peste : Saint Roch pour la prévention, Saint Sébastien pour la guérison. Mais le cas où un donateur s’aventure entre les deux est très rare (voir une autre exemple dans 4-4 …en couple). Ici, il regarde la cuisse découverte du premier saint plutôt que le corps mis à nu du second : le tableau serait donc plutôt une demande de protection qu’un ex voto de remerciement.

En plaçant la Madonne sur un trône surélevé, l’artiste a permis l’insertion harmonieuse du donateur au premier plan : la coupure résulte uniquement du cadrage, sans impliquer une pente du terrain.


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apparition-of-the-virgin-to-st-bernard-by-filippino-lippi-badia-fiorentina-florence_2

L’apparition de la Vierge à Saint Bernard
Filippino Lippi, 1480, Eglise de la Badia, Florence

Riche marchand et celèbre mécène, Piero del Pugliese figure au point le plus bas du tableau, derrière le saint et en contrebas des monstres qui se cachent de la lumière divine dans une anfractuosité du rocher. J’ai consacré une étude détaillée à ce très important tableau (voir L’apparition de la Vierge à Saint Bernard), qui est certainement un jalon important dans la formule qui nous occupe.


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1492 ca Ghirlandaio_Christ_in_Heaven_with_Four_Saints_and_a_Donor Pinacoteca Comunale, Volterra

Le Christ au ciel avec quatre saints et un donateur
Domenico Ghirlandaio, vers 1492, Pinacoteca Comunale, Volterra (308 X 199 cm)

Lorsqu’il réalise douze ans plus tard cet imposant tableau d’autel pour un couvent de Camaldules, Ghirlandaio se souvient certainement du retable de Lippi en plaçant le donateur au même coin inférieur droit. Fra Giusto Bonvicini y joue un rôle d’admoniteur, relai du spectateur à l’intérieur du tableau, lui même relayé par l’index du saint de droite jusqu’au Christ en gloire dans le ciel.

Entre les personnages sacrés, Ghirlandaio a évité l’ordre héraldique, qui d’une part s’applique plutôt aux couples constitués, et d’autre part aurait polarisé latéralement le tableau : alors que l’effet recherché ici est l’ascension verticale du regard, canalisé latéralement par les « boosters » étagés que sont les deux saintes à genoux puis les deux saints debout, depuis le poignard au premier plan, en passant par la verticale de la manche jusqu’au Christ bénissant.



1492 ca Ghirlandaio_Christ_in_Heaven_with_Four_Saints_and_a_Donor Pinacoteca Comunale, Volterra detail girafe
Au passage, l’oeil s’arrête, à l’horizon, sur une touche exotique : la girafe envoyée en cadeau à Laurent le Magnifique [5].



1492 ca Ghirlandaio_Christ_in_Heaven_with_Four_Saints_and_a_Donor Pinacoteca Comunale, Volterra detail
Voile et poignard servent par ailleurs à préciser le relief : les deux saintes sont à genoux devant une marche rocheuse, qui suggère une autre marche en hors champ, devant laquelle le donateur est lui-même agenouillé.

Les deux saints (sans doute san Giovanni Gualberto et san Romualdo) sont spécialement vénérés par les Camaldules ; les deux saintes sont anonymes : l’une d’entre elles doit être sainte Justine, martyre dont le poignard est l’attribut.


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1494_davide_ghirlandaio,_s._lucia_e_committente Santa Maria Novella

Sainte Lucie avec Fra Tommaso Cortesi
David Ghirlandaio, 1494, Santa Maria Novella, Florence (peint pour l’autel de la Confrérie de Saint Pierre Martyr)

Deux ans plus tard, le frère de Domenico réalise ce panneau moins ambitieux, mais dans le même esprit.


1514 Mariotto_albertinelli,_madonna_col_bambino,_santi_e_donatore s._michele_a_volognano

Vierge à l’Enfant entre Saint Paul, saint Michel, sainte Appolline et Saint Pierre, avec un donateur écclésiastique
Mariotto Albertinelli, 1514 , église de San Michele a Volognano

Albertinelli transpose la composition en intérieur, en insérant, au niveau du visage du donateur (et de la signature dans l’ombre) un marchepied vide qui invite l’oeil  à l’ascension.

La formule de Lippi, radicalisée par Ghirlandaio, est devenu un procédé visuel efficace, dans laquelle le donateur comprimé joue le rôle non plus d’un relai pour le regard, mais d’une sorte de tremplin.



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1522 paolo-morando-Pala Sacco st-antoine-et-st-francois Musee Castelvecchio verona
Vierge à l’Enfant entre Saint Antoine et Saint Francois, entourée de sept Vertus, surplombant six saints franciscains et la comtesse Catarina da Sacco (Pala delle Virtu ou Pala Sacco)
Paolo Morando (dit le Cavazolla), 1522, Musée de Castelvecchio, Vérone (provient de l’église franciscaine de San Bernardino)

Une radicalisation similaire se constate à Vérone : ici, la seule tête de la donatrice supporte la charge visuelle de l’ensemble de la composition.

Seule la longue accoutumance véronaise au donateur décapité peut expliquer l’émersion bizarre de ce visage, cerné par des pieds et des manches de crosses,en tête à tête avec un glaive.


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1525-30 Giolfino Nicolo, la Speranza, la Fede, la Carita san Giacomo Maggiore, san Giovanni Evangelista e donatore Gemaldegalerie Berlin

Vierge à l’Enfant entre l’Espérance, la Foi, la Charité, surplombant saint Jacques, Saint Jean-Baptiste et le donateur Antonio Borghetto
Nicolo Giolfino ,1525-30, Gemäldegalerie, Berlin

Cette toile rend ouvertement hommage au grand tableau d’autel de Morando, dans un format réduit et en économisant sur le nombre de Vertus et de Saints. Le donateur est très probablement le prieur de l’hôpital San Giacomo di Galizia, dans lequel le tableau se trouvait [6].


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1530-40 Girolamo da carpi Pala Muzzarella The_Apparition_of_the_Virgin NGA
L’Assomption de la Vierge avec Giulia Muzzarelli (Pala Muzzarella)
Girolamo da Carpi, 1530-40, NGA, Washington (provient de l’église San Francesco de Ferrare

La tradition ferraraise du donateur enseveli devant un paysage se prolonge dans ce spectaculaire tableau d’autel. La donatrice y joue en somme un rôle d’aiguilleur entre ciel et terre, montrant de son regard la Vierge et de ses mains jointes un minuscule Saint Thomas qui rattrape au vol la ceinture.

Le plafond de nuages vient opportunément raccorder les deux échelles, et justifier le rétrécissement au largage.


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1573 India Bernardino, Madonna con Bambino e donatrici coll priv
Vierge à l’Enfant avec une mère et sa fille
Bernardino India , 1573, collection privée

Dernière résurgence à Vérone, de bien médiocre qualité, avec ces deux donatrices encadrant, presque à le toucher, le piédestal de la Madonne.


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Voici enfin quelques exemples isolés qui marquent la très modeste et tardive diffusion de la formule en dehors de ses zones d’origine (Toscane et Vérone).

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1570 Simone de Magistris Pinacoteca Civica Fabriano
Nativité avec un donateur inconnu
Simone de Magistris,1570 Pinacoteca Civica, Fabriano

Dans les Marches, on la retrouve dans l’oeuvre de gauche, où trois porteurs de robe (la Vierge, Saint Nicolas de Talentino et le prêtre donateur, tenant entre ses mains ses gants et sa barrette) font un contraste curieux avec trois travailleurs manuels (Joseph et un des bergers avec leur bâton, l’autre berger avec sa cornemuse).


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1612 Giovanni De Gregorio, detto il Prietrafesa ,Annunciazione - chiesa di S. Michele, PotenzaAnnonciationGiovanni De Gregorio (il Prietrafesa) , 1612, église San Michele, Potenza 1595 Curia Francesco, Madonna con Bambino in gloria con san Leonard e donatori Chiesa di S. Nicola, ColobraroVierge à l’Enfant avec Saint Léonard, le notaire Angelo Pizio di Colobraro et son épouse Giovanella Panevino di Tursi
Francesco Curia, 1595, église de San Nicola di Bari, Colobraro

La mode ne descend en Basilicate qu’au tournant du siècle suivant. A la différence des donateurs du Nord, vus de profil et relativement inexpressifs, ceux du Sud démontrent avec ferveur leur dévotion à la Madonne.



1595 Curia Francesco, Madonna con Bambino in gloria con san Biagio e donatori Chiesa di S. Nicola, Colobraro detail
A noter derrière le notaire la représentation spectaculaire de son évasion en barque durant une tempête (on voit encore la corde pendue au mur), de quoi il remercie la Madonne ainsi que Saint Léonard, patron des prisonniers.



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1680-1700 Antonio_Molinari_Madonna_col_Bambino_e_san_Mauro_abate_-_ Madonna_dell'Orto_(Venice)_-_Chapel_St_Mauro_

Vierge à l’Enfant avec Saint Maur et deux donateurs
Antonio Molinari, 1680-1700, Chapelle St Mauro, église de la Madonna dell’Orto, Venise

La vieille formule est finalement oubliée, et dépassée, s’effaçant dans les contre-plongées baroques.


Le donateur plaqué devant

Cette formule est visuellement très semblable à la précédente (pas de démarcation entre le donateur et les personnages sacrés) mais s’en distingue par l’absence d’interaction entre eux. Du coup, la signification s’inverse : d’acteur, le donateur devient spectateur, et certaines oeuvres suggèrent même qu’il faut le voir, non pas au premier plan dans le tableau, mais au premier rang dans le public.

Cette conception distanciée, voire second degré du donateur in abisso, nécessiste une certaine habituation, et n’intervient donc qu‘en dernier.




1480-90 Davide Ghirlandaio sant'Orsola, santa Caterina d'Alessandria e donatrice Fitzwilliam Museum, CambridgeVierge à l’Enfant avec Sainte Ursule, Sainte Catherine et une donatrice
David Ghirlandaio, 1480-90, Fitzwilliam Museum, Cambridge
1495-1505 Bartolomeo_di_Giovanni_(Umkreis)_-_Maria_mit_Kind Alte Pinakothek MunchenVierge à l’Enfant avec un donateur
Cercle de Bartolomeo di Giovanni, 1495-1505, Alte Pinakothek, Münich

A la fin du XVème siècle, une même tendance semble réunir ces deux oeuvres : bien que l’Enfant regarde en direction du donateur, celui-ci passe devant le tableau sans répondre à ce regard ; et toute indication graphique permettant de le situer spatialement a disparu.

Dans le Ghirlandaio en particulier, le vase de fleurs posé à côté de la donatrice est révélateur. Ne projetant pas d’ombre sur le sol, il veut nous faire comprendre qu’il n’est pas dans, mais devant la scène : malgré le côté sommaire de son exécution, il faut le voir comme le trompe-l’oeil d’un vase posé sur l’autel, devant le tableau.


En aparté :

L’objet-limite chez Crivelli

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Madonna della Candeletta
Carlo Crivelli, 1490-92, Brera, Milan
(cliquer pour voir l’ensemble)

Le procédé de l’objet-limite est un exercice de virtuosité, pour l’artiste, et de perspicacité admirative, pour le spectateur. Crivelli, qui en est l’un des grands maîtres, décompose ici toutes les nuances de la tromperie.

Le vase de fleurs mariales et la cerise peuvent être interprétés de trois manières, par ordre croissant d’extériorité :

  • comme la métaphore du fruit et de la fleur, à l’aplomb de l’Enfant et de sa mère :
  • comme des objets du tableau, au même titre que les autres fruits et fleurs qui y foisonnent ;
  • comme des objets du monde réel, déposés là par un dévôt.

La bougie et la rose banche avancent d’un cran vers le trompe-l’oeil, mais restent dans un état instable, indéfini : on peut tout aussi bien les imaginer comme des objets internes saisis à l’instant de leur chute, que comme des objets externes statiques, mais incomplets : une bougie dont le bougeoir est invisible, une rose dont le vase est transparent.

Enfin, le panonceau de marbre avec la signature nous ramène dans le cadre rassurant du trompe-l’oeil : un objet clairement externe, mais livré avec le tableau.


Le donateur comme objet-limite ?

1480-90 Davide Ghirlandaio sant'Orsola, santa Caterina d'Alessandria e donatrice Fitzwilliam Museum, Cambridge detail
C’est peut-être faire beaucoup d’honneur au vase sommaire de David Ghirlandaio que de le considérer comme un objet-limite à la Crivelli, d’autant que celui-ci, justement, proclame leur matérialité par leur ombre.

Je crois pourtant que se joue ici, encore maladroitement, une nouvelle conception du donateur in abisso, dont la position liminaire et le caractère incomplet (sans bras ni jambes) font un bon candidat pour l’extériorisation.


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1502 Girolamo dal Libri Pala Centrego - Our Lady enthroned between St. Thomas and St. Augustine Basilica Santa Anastasia of Verona
 

Vierge à l’Enfant entre Saint Thomas and Saint Augustin avec le couple Centrego
Girolamo dal Libri, 1502 , basilique Santa Anastasia, Vérone

Il reste encore ici un dialogue visuel entre l’époux et l’Enfant, entre l’épouse et la Vierge. Mais l’absence de toute explication visuelle concernant la position des donateurs les place dans le même statut indéfini que la bougie de Crivelli : on peut tout aussi bien les imaginer plantés dans un trou invisible du carrelage, que contemplant de l’extérieur l’oeuvre qu’ils ont commandée.


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1540-50 Brusasorci Domenico, san Sebastiano, santa Monica, sant'Agostino, san Rocco e due donatori Chiesa di S. Eufemia, VeronaVierge à l’Enfant surplombant Saint Sébastien, Sainte Monique,Saint Augustin, saint Roch et deux donateurs
Domenico Brusasorci, 1540-50, église Santa Eufemia, Vérone
1530-50 Menzocchi Francesco Sacra Famiglia con santo Stefano e donatore Pinacoteca Civica, Forlì chiesa di San Giacomo Apostolo dei DomenicaniSainte Famille avec Saint Etienne et un donateur
Francesco Menzocchi (attr.), 1530-50 Pinacoteca Civica, Forlì, provient de l’église San Giacomo Apostolo dei Domenicani

Quelques décennies plus tard, le goût a changé : plus aucun personnage sacré ne regarde les donateurs.

Le tableau de Brusasorci reste dans l’ambiguïté véronaise : la grosse tête des donateurs, seule indication visuelle de leur présence au premier plan, est compatible avec un position dans ou devant le tableau.

En revanche chez Menzocchi, la taille minuscule du donateur et sa position face au public le fait sortir non seulement du tableau, mais également de la contemplation du tableau, auquel il tourne le dos. Il ne sert plus en somme qu’à donner l’échelle et à « chauffer la salle » en mimant l’admiration.


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1558 Barocci Martirio_di_san_Sebastiano Cathedrale Urbino

Le martyre de Saint Sébstien avec le portait du fils du donateur Benedetto Bonaventura
Barocci, 1558, Cathédrale, Urbin

En 1558, la modernité consiste à placer le jeune garçon, totalement hors de proportion par rapport à l’immense chien, dans la position d’un amateur d’art



1558 Barocci Martirio_di_san_Sebastiano Cathedrale Urbino detail
…juste devant un bas-relief représentant, justement, la peinture. Ce portrait, découpé et volé en 1980, a été retrouvé en 2017 et va prochainement réintégrer sa place originelle.


1567 Barocci Madonna di San Simone Galleria Nazionale delle Marche Urbino_WGA01299
Madonna di San Simone
Barocci, 1567, Galleria Nazionale delle Marche, Urbino

Dans ce tableau, le couple discutant devant l’oeuvre et bien de la main de l’artiste, même si la tête féminine a été rajoutée en collant une feuille sur la toile (ce portrait avait peut être été réalisé par ailleurs).

Si l’extraction du donateur hors de la scène sacrée suivait l’évolution du goût, le Concile de Trente, dans sa chasse aux traditions iconographiques suspectes, lui a certainement mis le point final : le donateur est dès lors définitivement reconduit à sa place parmi les spectateurs – même s’il en reste le premier.



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1591 Ludovico Carracci Madonna col Bambino, i santi Giuseppe, Francesco e due committenti (La Carraccina) Cento, Pinacoteca civica

Sainte Famille avec Saint François et un couple de donateurs de la famille Piombini (La Carraccina)
Ludovico Carracci, 1591, Pinacoteca civica, Cento, provient de l’église San Francesco dei Cappuccini de Cento

Ce tableau nous intéresse particulièrement par sa confrontation entre deux types de « spectateurs in abisso », deux externes et un interne.


Le donateur interne (SCOOP !)

1591 Ludovico Carracci Madonna col Bambino, i santi Giuseppe, Francesco e due committenti (La Carraccina) Cento, Pinacoteca civica detail frere
Un jeune moine semble sortir d’entre les dalles, derrière le Saint. Il faut se reporter au texte de la Vision de Saint François [7] pour comprendre de qui il s’agit : un frère envieux qui avait suivi le Saint dans le lieu reculé où il faisait ses oraisons toutes les nuits, pour le prendre en flagrant délit de paresse : c’est alors que la Vierge apparut non seulement à Saint François, mais également au frère sceptique.


Faire apparaître l’apparition (SCOOP !)

1591 Ludovico Carracci Madonna col Bambino, i santi Giuseppe, Francesco e due committenti (La Carraccina) Cento, Pinacoteca civica detail externe
En ouvrant les mains comme Saint François, le donateur montre que lui aussi a le pouvoir de susciter une apparition de la Vierge : non pas mystique, mais artistique. Il se pose en somme, par rapport à nous les spectateurs, dans la même situation que Saint François vis à vis du frère incrédule : celle du faiseur de miracle.


L’index de François (SCOOP !)

1591 Ludovico Carracci Madonna col Bambino, i santi Giuseppe, Francesco e due committenti (La Carraccina) Cento, Pinacoteca civica detail Saint
En plein centre du tableau, l’index tendu laisse perplexe : il vise au dessus des donateurs, mais au dessous de Saint Joseph, personnage rajouté librement par Carracci pour sa belle tâche de couleur, mais qui ne figure pas dans l’histoire.

En fait, cet index ne désigne rien de précis, simplement la direction du bas : le Saint demande à la Vierge de laisser descendre l’Enfant….


1591 Ludovico Carracci Madonna col Bambino, i santi Giuseppe, Francesco e due committenti (La Carraccina) Cento, Pinacoteca civica detail anges
…Saint Joseph, dans l’expectative, et les deux anges, discutant entre eux, ajoutent du suspense à la scène.



1591 Ludovico Carracci Madonna col Bambino, i santi Giuseppe, Francesco e due committenti (La Carraccina) Cento, Pinacoteca civica detail externe
Ainsi Carracci ne nous montre pas, comme de nombreux artistes, l’Enfant dans les bras du Saint. Mais l’instant juste avant, que tous les acteurs anticipent, y compris le donateur qui ouvre les mains comme pour le recevoir.


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1598 Gaspar Hovic Madonna degli Angeli S. Francesco S. Giovanni Battista committente Chiesa di S. Angelo , Ruvo di PugliaVierge à l’Enfant avec Saint François, Saint Jean Baptiste et un donateur (Madonna degli Angeli)
Gaspar Hovic, 1598, Eglise Sant Angelo , Ruvo di Puglia
1590-1610 Fabrizio Santafede Madonna delle Grazie S. Francesco Domenico angeli, anime purganti e committente Chiesa di S. Domenico, Ruvo di PugliaVierge à l’Enfant avec Saint François, Saint Domonique, les âmes du purgatoire et un donateur (Madonna delle Grazie)
Fabrizio Santafede, 1590-1610 , église San Domenico, Ruvo di Puglia

Au tournant du siècle, le donateur distancié descend à son tour dans les Pouilles. Hovic récupère la composition de Carracci, sans en garder les subtilités ; et Santafede nous le montre lisant sagement son bréviaire et tournant le dos aux âmes du Purgatoire.



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1599, Gian Battista Bertucci il Giovane, S.Francescoi, Sant’Antonio, San Savino, Sant’Apollinare committente don Rondinini Faenza, Museo Diocesano
Vierge à l’Enfant avec Saint François, Saint Antoine, Saint Savin, Saint Apollinaire et le révend Don Rondinini
Gian Battista Bertucci il Giovane, 1599, Museo Diocesano, Faenza [8]

Ce retable est amusant par son sens très naïf de la hiérarchie : le curé donateur s’est placé en position d’humilité, mais du côté de l’autorité supérieure, Saint Apollinaire l’évêque de Ravenne ; en position d’honneur par rapport à la Madonne se trouve son supérieur direct Saint Savin, l’évêque de la ville et la patron de l’église, mais qui a posé sur le sol sa mitre et sa crosse en signe de soumission à l’archevêque. La palme posée entre les deux est l’instrument partagé de leur martyre.


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1610-13 ALESSANDRO TURCHI detto l'ORBETTO Agostino medita il mistero della Trinita Verona, chiesa dei Santi Apostoli
Saint Augustin méditant devant le mystère de la Trinité, avec le révérend Agostino Bettini
Alessandro Turchi (l’Orbetto), 1610-13, église Santi Apostoli, Vérone

Le détail à remarquer est ici la ceinture qui pend de la table, à portée de main du révérend. Dans les églises augustiniennes, on vénérait la ceinture de Saint Augustin, lequel la tenait de sa mère Sainte Monique, laquelle l’avait obtenue directement de la Vierge.


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1623 Sebastiano Majewski Cattedrale dei SS. Maria Assunta e Bernardo, Teramo ensemble
Retable de Saint Bérard
Sebastiano Majewski, 1623, Cathédrale SS. Maria Assunta e Bernardo, Teramo [9]

Voici pour conclure une oeuvre d’importance mineure, mais qui a le mérite de rappeler, à la toute fin de son évolution vers l’autonomie, pourquoi le donateur in abisso a fini par sortir du tableau.



623 Sebastiano Majewski Cattedrale dei SS. Maria Assunta e Bernardo, Teramo centre
Dans le panneau central, on le voit en bas à droite tournant le dos à la Messe de Saint Bérard : « retournement copernicien » qui le place désormais face au public, en propriétaire et en exemple, montrant qu’il faut regarder et non plus ce qu’il faut regarder.



1623 Sebastiano Majewski Cattedrale dei SS. Maria Assunta e Bernardo, Teramo
De part et d’autre de la cimaise, deux donateurs trahissent leur raison d’être devenue foncièrement théâtrale : le tissu rose, drap d’honneur sensé passer derrière les personnages sacrés, est aussi, en trompe-l’oeil, le rideau qui s’ouvre devant le tableau.



Références :
[1] A. Chastel , « Le donateur « in abisso » dans les pale », dans Fables, formes, figures, Paris, 1978, II, p. 129-144.
[4] Zeri, Italian paintings in the Walters Art Gallery, 1976 volume 2 p 268
[4a] « Museo Masaccio d’arte sacra a Cascia di Reggello: guida alla visita », Caterina Caneva, 2007, p 58
[6] M. Repetto Contaldo, NICOLA GIOLFINO UN BILANCIO E QUALCHE NOVITA atti e memorie dell’accademia di agricoltura scienze e lettere di verona, 187, 2014-2015
https://www.academia.edu/36400477/NICOLA_GIOLFINO_UN_BILANCIO_E_QUALCHE_NOVIT%C3%80?auto=download
[7] « La vie de Saint François d’Assise, patriarche des frères Mineurs » Jacques de Chevanes Jacques d’Autun, 1676, p 311 https://books.google.fr/books?id=kQZzzycs7eEC&pg=PA311#v=onepage&q&f=false
[9] Clara Iafelice,  » Sebastianus Majewski pittore polacco nell’Abruzzo del XVII secolo e l’altare di San Berardo nella cattedrale di Teramo » dans Il Capitale Culturale : Studies on the Value of Cultural Heritage, 2014
https://www.researchgate.net/publication/307677397_Sebastianus_Majewski_pittore_polacco_nell’Abruzzo_del_XVII_secolo_e_l’altare_di_San_Berardo_nella_cattedrale_di_Teramo

2-7 Le donateur en retrait

29 mai 2019

Cette formule ne s’est jamais développée, sans doute parce que mettant trop à l’épreuve l’humilité des donateurs. Elle apparaît sporadiquement, trop rarement pour qu’on puisse établir des filiations.

1450-80 Sano di Pietro Madonna and Child with Saints Jerome, John the Baptist, Bernardino and Bartholomew Art Gallery of New South Wales SidneyVierge à l’Enfant entre Saint Jérôme, Saint Jean Baptiste, Saint Bernardin and Saint Bartholomé
Sano di Pietro, 1450-80, Art Gallery of New South Wales Sidney
1440-80 Sano di Pietro, Madonna con Bambino tra santi e donatore coll privVierge à l’Enfant entre des Saints et un donateur
Sano di Pietro, 1440-80, collection privée

Sano di Pietro a mis au point ce type très compact de Madone, dans lequel les Saints passent à l’arrière-plan, réduits à un visage auréolé et à un attribut distinctif.

Une seule fois, il a appliqué cette composition à un donateur en prières, présenté à droite par son Saint Patron.


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1474 Francesco del Cossa Pala dei Mercanti Santi Petronio e Giovanni Evangelista committente Alberto Cattani Pinacoteca Nazionale Bologna
Vierge à l’Enfant , entre Saint Petronio avec le donateur Alberto Cattani, et Saint Jean Baptiste (Pala dei Mercanti)
Francesco del Cossa, 1474, Pinacoteca Nazionale Bologna, commandé pour le palais du Conseil des marchands de Bologne [1].

Etrangement, l’inscription fait état de deux donateurs :

Alberto Cattani, juge et Domenico Amorini, notaire, ont fait faire cela de leur propre en 1474. D. Albertus de Cattaneis iudex et Dominicus de Amorinis notarius de eorum proprio fieri fecerunt 1474

Mais le tableau ne montre que le premier, identifié par une inscription minuscule dans le ciel (“ Miser Alb. de Cataneis”) et son habit rouge de juge du Conseil des marchands.


Une feinte humilité (SCOOP !)

Cossa, artiste réputé bizarre, a décidé de le placer, le visage dans l’ombre, dans une position très secondaire, coincé derrière le saint patron de Bologne. Cette humilité ostentatoire le place néanmoins dans une position éminemment stratégique, entre la maquette de la cité et l’Enfant : juge qui chuchote à l’oreille du Seigneur.



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1479-80 Hans_Memling_-_The_Mystic_Marriage_of_St_Catherine MET

Le mariage mystique de Sainte Catherine
Memling, 1479-80, MET, New York [2]

Ce panneau est une version réduite et personnalisée du panneau central du célèbre retable des deux Saints Jean, réalisé par Memling pour l’église de l’ancien hôpital Saint-Jean de Bruges (voir 3-4-3 : le développement). Toutes les références aux deux Saints Jean ont été éliminées, et le donateur a été placé à l’arrière-plan à gauche (à noter que les treilles de vigne ne sont pas de la main de Memling mais ont été rajoutées par un propriétaire ultérieur).


Une anneau virtuel (SCOOP!)

1479-80 Hans_Memling_-_The_Mystic_Marriage_of_St_Catherine MET detail
Il assiste ainsi avec dévotion au geste nuptial de l’Enfant. Juste à l’aplomb, le pont constitue une autre figure de l’union et, complété par son reflet, une image géante de l’anneau.


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SVDS 1490 Raibolini Francesco Agostino, Francesco, Procolo, Monica, Giovanni Battista, Sebast,Pala Felicini Pinac Nazionale, Bologna
Vierge à l’Enfant avec Saint Jean Baptiste, Sainte Monique, Saint Augustin, Saint François, Saint Procule de Bologne (ou Saint Georges), Saint Sébastien et le donateur Bartolomeo Felicini (Pala Felicini ou Madonna del Gioiello,), anciennement dans l’église Santa Maria della Misericordia
Francesco Francia (Raibolini), 1490, Pinacoteca Nazionale, Bologne

Il est bien difficile, sans document, de prétendre retrouver les raisons complexes du choix des Saints lorsque, comme ici, aucune logique évidente ne saute aux yeux. Notons que tandis que les trois saints de gauche se présentent dans une logique de succession temporelle (le Précurseur, une mère et son fils), les trois saints de droite se regroupent autour et au dessus du donateur, pour un patronage personnalisé :  à demi caché derrière Saint Sébastien dénudé, imitant par ses mains jointes la prière de Saint François et placé sous le Saint armé de sa lance, le riche banquier Bartolomeo Felicini – dont le collier d’or fait écho au joyau précieux qu’il a fait suspendre au dessus du dais de la Madone – revendique des vertus héroïques dans une humilité affichée.



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1500-60 Alfani Domenico, sant'Antonio da Padova, san Ludovico di Tolosa, angeli e donatore Pinacoteca Comunale, Terni

Vierge à l’Enfant entre Saint Antoine de Padoue et Saint Louis de Toulouse , et un donateur
Domenico Alfani , 1500-60, Pinacoteca Comunale, Terni.

Ici encore le donateur modeste imite un Saint Franciscain, avec vue imprenable sur le coeur enflammé.


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1512 Coltellini Michele, san Maurelio, Caterina Agata Lucia, Apollonia'Elena, Caterina e donatori Pinacoteca Nazionale, Ferrara
Vierge à l’Enfant avec Saint Augustin, Saint Jean-Baptiste enfant, des saintes et un couple de donateurs (détail)
Michele Coltellini , 1512, Pinacoteca Nazionale, Ferrara (provient de l’église Santa Maria del Vado)

Les personnages sont disposés de manière symétrique. On reconnaît ainsi, de bas en haut :

  • Sainte Lucie au centre (avec ses deux yeux) ;
  • Sainte Agathe et sainte Apolline (brandissant leurs tenailles pour téton et molaire) ;
  • les donateurs ;
  • sainte Catherine (avec sa roue) et Sainte Hélène (avec sa croix) ;
  • Saint Augustin et sainte Monique (sa mère).

En s’immisçant au beau milieu des couples de saintes, le couple de donateurs bénéficie du prestige de leurs instruments de supplice.


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1514 Garofalo madonna-delle-nuvole Santi Girolamo, Francesco d'Assisi e due devoti della famiglia Suxena Pinacoteca Nazionale Ferrare

Vierge à l’Enfant entre Saint Jérôme, saint François d’Assise et un couple de donateurs de la famille Suxena (Madonna delle nuvole)
Garofalo, 1514, Pinacoteca Nazionale, Ferrare, (anciennement dans la chapelle de l’Immaculée Conception de l’église Santo Spirito de Ferrare)

Pour représenter l’Immaculée Conception, Garofalo place la Madone sur une nuée de nuages, à l’imitation du célèbre modèle de Raphaël :

1511-12 Raphael Madonna Di Foligno Musee Vatican
Madone de Foligno
Raphaël, 1511-12, Pinacothèque du Vatican, Rome

Un détournement ingénieux (SCOOP !)

Pour se démarquer du maître, Garofalo reprend l’idée de Coltellini et recule ses donateurs au second plan. Notons qu’il modifie aussi le geste de l’admoniteur : tandis que le Saint Jean Baptiste de Raphaël désigne directement la Madone, le Saint Jérôme de Garofalo pointe le centre vide du tableau



1514 Garofalo madonna-delle-nuvole Santi Girolamo, Francesco d'Assisi e due devoti della famiglia Suxena Pinacoteca Nazionale Ferrare detail
…où l’on découvre un minuscule Job, qui pointe à son tour  la nuée :

« Regarde les cieux et vois, et contemple les nuées : elles sont plus hautes que toi » (Job 35 : 5).

Ainsi le couple trouve une nouvelle place d’honneur, de part et d’autre du détail qui explique le sens du tableau.


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1517 Garofalo Madonna del Pilastro Garofalo giovanni-battista-gerolamo-francesco-di-assisi-san-antonio-donor Ludovica Trotti

Vierge à l’Enfant entre saint François d’Assise, Saint Jean Baptiste, Saint Jérôme, Saint Antoine de Padoue et la donatrice Ludovica Trotti (Madonna del Pilastro)
Garofalo, 1517, Pinacothèque, Ferrare (anciennement dans la chapelle Trotti de l’église San Francesco de Ferrare)

Trois ans plus tard, Garofalo reprend sa trouvaille, mais pour une donatrice isolée. La tradition dit que son époux, Ludovico di Esau Trotti, qui avait commandité avec elle l’oeuvre à Garofalo, se dissimule en face d’elle sous les traits de Saint Jean Baptiste [3]. On pense aujourd’hui que ce portrait existait mais a été effacé [4].


1517 Garofalo Madonna del Pilastro Garofalo giovanni-battista-gerolamo-francesco-di-assisi-san-antonio-donor Ludovica Trotti detail gravure
Extrait d’une gravure de 1840 (sans donatrice)

Le « pilastre » à l’antique comporte deux parties : un sous-bassement décoré d’une Victoire ailée sur son char, représentant ironiquement le paganisme ; et une étage christianisé, où une Sibylle montre sa prédiction, entre deux sphinx et deux bucranes.


1517 Garofalo Madonna del Pilastro Garofalo giovanni-battista-gerolamo-francesco-di-assisi-san-antonio-donor Ludovica Trotti detail

La donatrice s’est fait représenter à une place finalement assez flatteuse : certes au second plan, mais en position à la fois de bonne chrétienne et d’humaniste, entre le livre de Saint Jérôme et la tablette de la Sibylle.


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1523 Sacchi Gaspare, san Giuseppe, santi e i donatori Bonaccorsi Chiesa di S. Maria Vecchia, Faenza

Vierge à l’Enfant avec Saint Joseph, des saints et le couple Bonaccorsi
Gaspare Sacchi , 1523, église Santa Maria ad Nives, Faenza

Sur le flanc gauche, on reconnaît de bas en haut Saint Georges et Saint Augustin échangeant un regard avec Saint Nicolas de Tolentino (reconnaissable à son lys et à son coeur enflammé).

Sur le flanc droit leur correspondent trois autres saints : Saint Sébastien, puis Sainte Catherine échangeant un regard avec Saint Jérôme.

Au centre gauche vient s’ajouter Saint Joseph, qui désigne l’Enfant en se retournant vers Saint Augustin (lequel regarde ailleurs), geste peu compréhensible qui semble surtout motivé par le manque de place.

Cet étrange tableau, qui s’attache à briser la symétrie sans proposer une lecture véritablement cohérente, combine le modèle de Raibolini (le donateur derrière Saint Sébastien) et la mode ferraraise des couples immergés parmi les Saints.


Une inversion complexe (SCOOP !)

Même si cette immersion dans le groupe des saints rend l’ordre héraldique moins sensible, l’inversion du couple pose question. Je ne lui ai trouvé aucune des raisons habituelles (voir 1-3 Couples irréguliers).



1523 Sacchi Gaspare, san Giuseppe, santi e i donatori Bonaccorsi Chiesa di S. Maria Vecchia, Faenza detail
La seule « explication » que je vois est purement formelle : la posture de l’Enfant induit une lecture en croix, au centre des alignements des mains féminines et masculines (traits roses et bleus). Les cycles de regards (à deux, à trois et à quatre) rattachent Saint Joseph au registre des saints, et les donateurs à celui de l’intimité avec la Vierge et l’Enfant.


En conclusion de ses quelques exemples, il apparaît que, si l’artiste a du savoir faire, la posture de second rang n’est pas sans avantages : elle exonère le donateur de tout soupçon de vanité, tout en attirant l’oeil sur lui par le contrecoup du masquage.

Mais cette formule se comprend dans les retables officiels, qu’en est-il dans les tableaux de dévotion privée ?



1492 Anonimo umbro sec. XV, Madonna con Bambino e monaca donatrice della famiglia Perigli Galleria Nazionale dell'Umbria, Perugia
Vierge à l’Enfant avec une donatrice religieuse de la famille Perigli
Anonyme ombrine, 1492, Galleria Nazionale dell’Umbria, Pérouse

Paradoxalement, cette posture d’extrême humilité est aussi synonyme d’une intimité exceptionnelle avec la Vierge, qui laisse en souriant la dévote s’approcher par l’arrière.


1499-1518 Bartolomeo Montagna Galerie Strossmayer Zagreb

Vierge à l’Enfant avec un donateur
Bartolomeo Montagna, 1499-1518, Galerie Strossmayer, Zagreb

Ici, elle va jusqu’à enlacer la tête du vieillard et lui permettre d’agripper et de porter à ses lèvres la main droite du bébé, bardé de colliers et de bracelets de corail, et qui de l’autre main joue avec trois figues.

Cette familiarité extrême pourrait laisser supposer que ce vieillard passé derrière la tablette de marbre n’est autre que Saint Joseph. Mais le chapelet qu’il tient dans son autre main confirme qu’il s’agit bien d’un dévot.


1483 Bartolomeo Montagna Walker Art Gallery LiverpoolVierge à l’Enfant avec Saint Jean Baptiste
Bartolomeo Montagna, 1483, Walker Art Gallery, Liverpool
1500-10 Bartolomeo_Montagna_-_Madonna_and_Child_with_St_Joseph_Musee Correr jpgVierge à l’Enfant avec Saint Joseph
Bartolomeo Montagna, 1500-10, Musée Correr, Venise

Montagna est un spécialiste de ce type de composition ambiguë,  où s’estompe la limite entre personnage réel et personnage sacré (dans le premier tableau, Saint Jean Baptiste est probablement un portrait caché de François de Gonzague [5]).


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1500-49 Madonna con Bambino benedicente tra un angelo e il donatore Pinacoteca Manfrediniana, Venezia
Vierge à l’Enfant entre un ange et un donateur
Anonyme lombard, 1500-49, Pinacoteca Manfrediniana, Venise

On considère généralement que le vieillard à droite est le portrait d’un donateur, plutôt que Saint Joseph.


1508, Boltraffio, Madonne de Lodi avec le donateur Bassiano Da Ponte Musee des Beaux Arts, Budapest
Madone de Lodi avec le donateur Bassiano Da Ponte
Boltraffio, 1508, Musée des Beaux Arts, Budapest

Il est vrai que, dans ce tableau inachevé, Boltraffio a déjà utilisé un bébé a peu près similaire pour faire bénir un donateur. Mais ici, le « donateur » se trouve dans le dos de l’Enfant, qui bénit ainsi dans le vide.


1483-86 Vinci Vierge aux rochers Louvre Paris detailVierge aux rochers (detail)
Léonard de Vinci, 1483-86, Louvre, Paris
Léonard de Vinci Tete d'homme age LouvreTête d’homme âgé
Léonard de Vinci, Louvre, Paris

En fait, tout le tableau s’avère être un collage d’après Vinci : la Vierge, l’Enfant et même la tête de l’Ange vue de trois quarts sont copiés sur la Vierge aux rochers ; et le vieillard n’est pas un portrait, mais la copie d’un dessin de Léonard.

Il s’agit donc d’une Sainte Famille, exercice de style dans laquelle la jeunesse et la beauté de l’Ange contrebalancent la laideur du père terrestre de Jésus, lequel élève son regard, comme les notes de la guitare, vers le Père céleste qu’il est le seul à voir.



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Bellini atelier Madonna Child WithDonor Harewood CastleHarewood Castle
Friedsam Library ,Saint Bonaventure Art Collection, Allegany
Bellini atelier Madonna Child With Donor Bellini Friedsam Library Saint Bonaventure Art Collection AlleganyVierge à l’Enfant avec un donateur, 1490-1510, Bellini (atelier)

Ces deux oeuvres d’atelier personnalisent, pour un donateur âgé et un donateur juvénile, le modèle, établi par le maître, des saints derrière le parapet.

1487 BELLINI Giovanni, - La Vierge et l'Enfant entre Saint Pierre et Saint Sebastien (Louvre)

La Vierge et l’Enfant entre Saint Pierre et Saint Sébastien
Giovanni Bellini,1487, Louvre, Paris



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1523 ca Andrea Previtali Madonna col Bambino e i santi Paolo e Agnese con i donatori Paolo e Agnese Cassotti Accademioa Carrara Bergamo
Madone Cassotti, avec saint Paul, sainte Agnès et les donateurs Paolo et Agnese Cassotti 
Andrea Previtali, vers 1523, Accademia Carrara, Bergame

Ce tableau clôture en beauté l’expérimentation avec les donateurs à l’arrière-plan, qu’on ne reverra plus par la suite. Previtali se livre ici à une inversion ostensible des conventions de la Conversation Sacrée, formule désormais bien établie et dont il était un des grands pratiquants (voir 6-4 …en Italie, dans une Conversation sacrée) : ce sont les donateurs Paolo et Agnese Cassotti qui prennent place debout des deux côtés de la Vierge, laissant leurs saints patrons s’agenouiller à leur place.



1523 ca Andrea Previtali Madonna col Bambino e i santi Paolo e Agnese con i donatori Paolo e Agnese Cassotti Accademioa Carrara Bergamo schema
Très charpentée, la composition en losange met en équivalence le couple humain et le couple saint, tandis que la diagonale descendante sépare le triangle masculin et le triangle féminin.

Comme le montre Michelle DiMarzo [5], son caractère provocateur tient à la fois à l’affirmation de puissance de Cassotti, alors au faîte de sa renommée de mécène, et à l’influence novatrice de Lotto, alors à Bergame.


1523, Lorenzo Lotto, Le mariage mystique de sainte Catherine Accademia Carrara, Bergame

Le mariage mystique de sainte Catherine
Lorenzo Lotto, 1523, Accademia Carrara, Bergame

Dans ce tableau réalisé la même année pour payer son loyer, Lotto a représenté son propriétaire, Niccolo Bonghi, en retrait derrière la chaise de la Vierge, avec le même costume noir et le même regard direct porté sans affect sur le spectateur.

La grande partie grise qui manque à l’arrière plan était un paysage, découpé par un soldat français lors de la prise de Venise en 1527-28.


Références :
[3] Vite de’ pittore e scultori ferraresi, Volume 1, Forni, 1844, p 328 https://books.google.fr/books?id=rjs4AQAAMAAJ&pg=PA328
[4] Descrizione delle pitture e sculture della città di Ferrara, Carlo Brisighella, 1990, p 313
[6] « With a merchant’s eye : the mecenatismo of Paolo Cassotti » Michelle DiMarzo
https://digital.library.temple.edu/digital/api/collection/p245801coll10/id/89816/download

2-6 La Vierge aux épis de blés

29 mai 2019

Dans cette iconographie très particulière, les donateurs sont pratiquement toujours à gauche. Pourquoi ?

1430 ca Maitre du retable de Bamberg Maria im Ahrenkleid Bayerisches Nationalmuseum
Vierge aux épis
Maitre du retable de Bamberg, vers 1430, Bayerisches Nationalmuseum, Munich

Le type sud-allemand de la « Ährenkleid Madonna » concerne des représentations bien particulières, qui font référence à une statue donnée par les marchands allemands à la cathédrale de Milan au début du XIVeme siècle [1].

Cette iconographie comporte les caractéristiques suivantes :

  • pour le vêtement : robe décorée d’épis de blés, encolure décorée de flammes, ceinture haute, chevelure retombant sur les épaules ;
    pour la posture : un adolescente debout, sans enfant, les mains jointes ;
    pour le lieu : dans une église (facultatif).

Le ceinture haute et l’absence d’enfant suggèrent que Marie est enceinte, fécondité renforcée par la symbolique des épis de blés : selon un sermon médiéval, Marie était « le champ sacré où Dieu a semé le grain pour devenir le pain du ciel. » Le fait que cette iconographie représente officiellement Marie jeune fille au temple, et non Marie enceinte (Madonna del Parto) lui a valu d’échapper à la purge de sujets considérés comme inconvenants, après le concile de Trente.

Comme l’image fait en revanche explicitement référence à une statue (du moins à l’origine du motif), va-t-on observer la position conventionnelle des donateurs dans cette situation, à savoir agenouillés à gauche (voir 2-5 La statue qui s’anime) ?

Voici les rares exemples de Madonne aux épis de blés avec donateur qui nous ont été conservés.


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Vers 1450 Missel du Duc Philippe le Bon Cod. 1800, fol. 13-14; Osterreichische Nationalbibliothek

Missel du Duc Philippe le Bon, vers 1450, Cod. 1800, fol. 13-14; Osterreichische Nationalbibliothek

Philippe le Bon, prince féru de pèlerinages, se fait représenter les yeux fermés,  priant à l’arrière d’une statue qui n’apparaît, comme le dit le texte, que dans son imagination  :

« C’est la figure de l’imaigenère dame ainsy quelle fut présentée au temple et semblablement figurée et peinte en la cité de Losène (Lausanne) et en la grande église de Milan. En quels lieux la dicte ymage par la devote priere des personnes qui de brave intention et contrition l’ont adourée et requise de quinze prieres (?) et quinze ave maria a fait plusieurs grans miracles notoires et publics depuis l’an 1410. Tant à faire voir les aveugles et oir les sourds. comme alléger les mehaigmes (infirmités) et principalement délivrer les prisonniers. »

Le texte explique clairement que la « figure » de Milan représentait Marie au Temple : le bâtiment dans lequel se trouve la statue jouit donc d’une ambiguïté visuelle, à la fois Temple juif et cathédrale de Milan.


1494. Erbauungs-Buchlein fur Herzog Sigismund von Bayern-Munchen. Der Herzog vor Maria im Ahrenkleid. Nürnberg (Bayerische Staatsbibliothek, C
Livret d’édification du Duc Sigismond de Bavière
1494, Bayerische Staatsbibliothek, Cgm 134, f. 1v

Cette enluminure joue sur la même ambiguïté, avec un bâtiment qui, tout en étant la chapelle privée du Duc, est aussi un Temple juif, comme le montrent les Tables de la Loi posées sur l’autel. En nous montrant le duc tournant le dos à l’apparition, l’illustrateur nous montre qu’il s’agit bien d’une image mentale,  de que confirment également les trois marches qui matérialisent le changement de niveau de sens (voir 3-1 L’apparition à un dévôt).




Mais ce qui rend la situation encore plus complexe est que la statue bien réelle de Milan est, en même temps, la commémoration d’une vision : d’après la légende, un marchand condamné à mort, ayant eu durant la nuit la vision de Marie avec une robe décorée d’épis, aurait juré de donner une statue à la cathédrale de Milan et aurait été sauvé.

Certains illustrateurs vont tenter de distinguer la statue et l’apparition, mais la plupart fusionnent les deux sujets.



1450–80 Maitre de 1473 Maria-im-Aehrenkleid-Wiesenkirche SoestMaître de 1473, 1450–80, Wiesenkirche, Soest 1480 ca Hinrik_Funhof Kunsthalle HambourgHinrik Funhof, vers 1480, Kunsthalle, Hambourg

Madonne aux épis de blés avec un donateur

Le premier panneau montre simultanément, dans la cathédrale, à droite la vision du marchand et à gauche la dévotion d’une donatrice offrant à la statue une couronne de roses.

Le second panneau en revanche représente  uniquement la cathédrale de Milan : la donatrice a accroché sa couronne à droite de la statue, signalée comme telle par le drap d’honneur (il était coutumier au XVeme siècle de placer des tissus colorés derrière les sculptures, ples mettre en valeur).


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1470 –1480 Maria_im_Ahrenkleid Museum der Brotkultur UlmAnonyme, 1470 –1480, Museum der Brotkultur, Ulm  

 
1490-1500 Meister von Mondsee Osterreichische Galerie VienneMeister von Mondsee, 1490-1500, OsterreichischeGalerie Vienne

Madonne aux épis de blés avec un donateur

Dans le premier panneau, la présence des Tables de la Loi sur  l’autel rend univoque la signification du bâtiment : il s’agit bien du Temple. On perçoit bien d’ailleurs le rôle d’émulation dévotionnelle de l’image : le dévôt est incité à prier à l’imitation de Marie.

Dans le second panneau, même les angelots joignent les mains. Le donateur a été identifié : Benedikt Egg von Piburg, abbé de Mondsee. La supplication habituelle (MARIA MATER GRATIE MAT MISERICORDIE, O MATER DEI MISERERE MEI) est inscrite  sur les Tables de la Loi réduites ici à une seule  pour la commodité de la lecture, ainsi christianisée pour l’abbé.


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1495–1523 Vierge avec l'abbe Johann Maiger, Kirche Mariatal bei Weissenau RavensburgVierge avec l’abbe Johann Maiger, 1495–1523, Eglise Mariatal bei Weißenau, Ravensburg 1518 Weimar,_Schlossmuseum,_unbekannter_Kunstler,_Maria_im_AhrenkleidAnonyme, 1518, Schlossmuseum, Weimar

Le souvenir de la statue dans la cathédrale ne reste que ici que sous forme vestigiale, dans l‘arcade.


Symbole polyvalent, l’épi de blé ne fait pas toujours référence à la statue de Milan. Même si la contamination visuelle a pu jouer, voici trois Madonnes aux épis de blés n’ayant pas grand chose à voir avec elle.

1440 ca Andre Pigler, La Vierge aux epis , Gazette des beaux-arts, t. VIII - VIe periode,‎ juillet 1932
Vierge aux épis avec un donateur de la famille Herzheimer
Vers 1450, Kunsthistorishes, Museum, Vienne [2]

Dans cet exemple, c’est à une classique Vierge à l’enfant que le chanoine présente sa supplique, matérialisée par la banderole qui monte de ses mains à celle de l’Enfant : « Sancta dei genetrix miserere pro me misero ». Dans ce panneau, qui est très probablement une épitaphe, l’épi de blé prend la valeur d’un symbole de résurrection.


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1440-50 Meister des Halleiner Altars Salzbourg Kereszteny Muzeum
Vierge à l’Enfant avec le donateur Bernhard Praun de Salzbourg.
Meister des Halleiner Altars, 1440-50, , Musée chrétien d’Esztergom (Kereszteny Muzeum), Hongrie

Le donateur est ici un chevalier, qui s’est fait représenter en Saint Georges terrassant le dragon. Sa banderole porte la supplique : « O sancta Maria Virgo ora pro nobis ora ».

Quant à Marie, elle présente toutes les caractères sexuels secondaires de la « Ährenkleid Madonna » (y compris l’exubérante chevelure rousse qui descend jusqu’à ses pieds) : sauf qu’elle porte l’Enfant Jésus tenant la pomme du Péché Universel.



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1500-10 Jan Polack Schutzmantelmadonna der Familie Sänftl Pfarrkirche Zu Unserer Lieben Frau Munchen
Vierge de la Miséricode de la famille Sänftl,
Jan Polack, 1500-10, église Zu Unserer Lieben Frau, München.

Enfin, ici le « look » de la Madonne aux épis se cumule avec le geste de la Vierge de la miséricorde (voir 2-2 La Vierge de Miséricorde). Le rôle de protection contre les maladies de cette image (que les Italiens représentaient crûment par des flèches arrêtées par le manteau) est ici seulement explicité par le panneau :

Toi qui seule a le pouvoir de fléchir la colère du Dieu éternel, couvre-nous, O Divine, dans ton sein virginal. » Tu que sola potes aeterni numinis iram flectere, virgineo nos tege, Diva, sinu.



Références :
[2] Extrait de Andre Pigler, « La Vierge aux épis », Gazette des beaux-arts, t. VIII – VIe période,‎ juillet 1932 https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k6101706n/f149.image

2-5 Avec la Madonne : la statue qui s’anime

29 mai 2019

Prier devant une statue

Dans cette situation, la convention quasi-systématique, aux XIIIème et XIVème siècles, est que la statue se situe à droite.



L’histoire de Théophile

L’histoire du prêtre Théophile est incluse dans l’Office de la Vierge à partir du XIème siècle et figure dans de nombreux psautiers. L’Apocalyse de Lambeth la traite en six images, particulièrement intéressantes car elles constituent un véritable florilège du geste du don.


1252-67 Apocalypse de Lambeth MS 209 f46r

f46r
Histoire de Théophile
1252-67 Apocalypse de Lambeth, Lambeth Library MS 209

  • 1 Le diable donne une bourse au prêtre Théophile ;
  • 2 En retour, Théophile vend son âme au diable : le démon à droite rédige l’acte, que Théophile rend au Diable après l’avoir scellé.


1252-67-Apocalypse-de-Lambeth-MS-209-f46v-Conway-library-Courtauld-institutef46v 1252-67 Apocalypse de Lambeth MS 209 f47rf47r
  • 3 Se repentant, Théophile prie une statue de la Vierge : celle-ci s’anime soudain et lève la main pour signifier qu’elle accepte sa pénitence ;
  • 4 Marie intercède auprès de Jésus pour qu’il intervienne auprès du Diable ;
  • 5 Jésus reprend l’acte de vente au Diable ;
  • 6 Marie le rend à Théophile, en train de prier devant l’autel vide.



1252-67 Apocalypse de Lambeth MS 209 f46r schema

La séquence d’ensemble est redoutablement logique :

  • deux objets sont échangés : la bourse et l’acte de vente ;
  • que ce soit pour donner ou pour reprendre, celui qui fait l’action est toujours à gauche ;
  • trois « autorités » de rang hiérarchique croissant occupent un trône : le Diable, Marie et Jésus ;
  • la scène 5, en inversant la scène 3, montre que le Diable n’était qu’un seigneur contrefait : il se trouve en réalité tout en bas de l’échelle, dans la gueule de l’Enfer.


1252-67-Eleanor-de-Quincy-Apocalypse-de-Lambeth-MS-209-f-48-Conway-library-Courtauld-institute

La Vierge à l’Enfant avec la donatrice Eleanor de Quincy, f 48
1252-67, Apocalypse de Lambeth, MS 209

Dans la page de dédicace un peu plus loin dans le texte, les conventions du manuscrit permettent de comprendre, par la position de la donatrice à droite, ce qu’elle ne fait pas : 

  • elle ne donne pas son livre à la Madonne, comme on le voit souvent dans les dédicaces d »Evangéliaires offerts par des ecclésiastiques (voir 2-3 Représenter un don) ;
  • elle n’assiste pas au miracle d’une statue qui bouge, malgré la taille géante de la Vierge ;
  • elle ne voit pas non plus d’une apparition de la Madonne, selon les conventions de la vision mystique (voir 3-1 L’apparition à un dévôt)


252-67-Eleanor-de-Quincy-Apocalypse-de-Lambeth-MS-209-f-48-detail-1.

C’est le geste subtil de la Vierge qui nous donne l’explication : elle montre un oiseau qui crie à l’Enfant , et celui-ci effrayé se blottit autour ce son cou. La signification de l’oiseau est bien connue : la préfiguration de la Passion (à cause du bec qui pique et du chardonneret qui se réfugie dans les épines de la couronne). Ce pourquoi le visage de sa mère est si triste.


1252-67-Eleanor-de-Quincy-Apocalypse-de-Lambeth-MS-209-f-48-detail-donatrice-1

De même que l’Enfant tient entre ses bras sa Mère, qui sait déjà,

de même Eleanor de Quincy tient entre ses mains le livre, qui dit tout. 



Lorsque la Vierge à l’enfant est clairement une statue, la question de la préséance héraldique ne se pose pas : l’enlumineur respecte alors le sens de la lecture et positionne à gauche le suppliant, que ce soit Théophile ou un donateur.



1280-90 Hours of Yolande de Soissons, French, Amiens, c. (New York, Morgan, MS M.729, fol. 232vfol. 232v, 1280-90 Hours of Yolande de Soissons, French, Amiens, c. (New York, Morgan, MS M.729, fol. 233r fol.233 r
 
Heures de Yolande de Soissons, Amiens
1280-90, Morgan Library, MS M.729,

L’identité de cette donatrice pose question : les armes qui décorent son manteau seraient soient un mélange des armes paternelles et maritales de Yolande de Soissons, soit celles de sa belle-mère. Quoiqu’il en soit, même si la héraldique des femmes du XIIIeme siècle nous échappe en partie, l’important est, comme le remarque Alexa Sand , qu’elle n’avait aucune ambiguïté pour les lecteurs de l’époque : l’image porte donc une forte revendication d’individualité, du blason maintes fois répété jusqu’au petit chien de compagnie.

« En déplaçant la donatrice, depuis la marge, vers l’espace privilégié de la miniature pleine page, le portrait repousse dans l’espace visuellement subsidiaire de l’initiale ornée, dans la page d’en face, un des sujets que les lecteurs des Livres d’Heures du XIIIème siècle s’attendaient à trouver à l’ouverture des Heures de la Vierge : l‘Annonciation… Dans une rupture graphique encore plus profonde, un autre sujet habituel pour les Matines de la Vierge, la Madonne en majesté avec l’Enfant, apparaît sous forme d’image à l’intérieur de l’image, dans la statue posée sur l’autel. Ainsi la substitution des sujets habituels par le portrait de la donatrice est ici soulignée une seconde fois, par la réapparition de ces sujets à des emplacements secondaires. » ([1] p 180 et SS)



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1330-40 Theophilus ms. Royal 10 E IV

Histoire de Théophile
1330-40, Décrétales de Grégoire IX avec glose marginale de Bernard de Parme (SmithfieldDecretals). Sud de la France, British Library, ms. Royal 10 E IV

Dans cette autre manière de raconter l’histoire de Théophile, l’enlumineur se concentre sur la scène où il se trouve devant la statue de la Vierge : il prie, il s’endort, et il se réveille une fois que la Vierge a puni le démon (ici le Christ n’intervient pas). Du coup sa position reste toujours à gauche, y compris dans la scène terminale où la Vierge lui rend le parchemin, seule scène d’ailleurs qui montre l’objet échangé.

L’illustrateur s’est ici conformé aux positions traditionnelles de la prière devant la statue, et du don.


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1325-50 British Library Egerton MS 2781Theophile et abbesse

Histoire de Théophile et Histoire de l’abbesse
1325-50, Livre d’Heures à l’usage de Sarum (Neville of Hornby Hours), British Library Egerton MS 2781

Dans ce livre d’heure, l’illustrateur a condensé l’histoire de Théophile en deux images face à face, de manière à la mettre en parallèle, sur les deux pages suivantes, avec une autre histoire d’ecclésiastique déviant et de statue qui s’anime. Il s’agit en l’occurrence d’un abbesse luxurieuse qui, se retrouvant enceinte, pria la Vierge de lui venir en aide : pendant son sommeil, la Vierge récupéra le bébé et le donna à un ange ; dans la la dernière image, on voit l’ange confiant le bébé à l’ancêtre de l’Assistance Publique : un ermite.


1325-50 British Library Egerton MS 2781 fol 22rfol 22r 1325-50 British Library Egerton MS 2781 fol 22vfol 22v

Dans les deux scènes particulièrement condensées de prière devant la statue, l’artiste a utilisé une composition en trois temps, à lire dans le sens inverse des aiguilles d’une montre :

  • 1 en bas, le suppliant s’endort ;
  • 2 en haut à droite, la Vierge de pierre s’anime, l’enfant Jésus se contorsionne ;
  • 3 à gauche, la Vierge vivante prend le problème en main, ramenant le parchemin ou emportant le bébé.

Comme le remarque avec pertinence Kathryn A. Smith, en montrant l‘efficacité d’une image qui s’anime lorsqu’on la prie, le livre fait en somme sa propre autopromotion :

« La Vierge réelle et son image sculptée se montrent comme interagissant et collaborant en faveur du suppliant, un détail qui a dû augmenter l’impression de puissance et d’efficacité du fait de prier devant une image » ([2], p 224).



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Yates Thompson 11, f.29

Pénitence, dévotion, vision mystique
Manuscrit français, vers 1300, British Library Yates Thompson 11 f. 29

Cette image est analysée dans un article dédié : Le Soleil et la Lune dans la Sainte Abbaye



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1350 Glatzer_Madonna Bohemian_Master Gemaldegalerie Berlin_
Madonna Kłodzko (ou Glatzer)
Maître bohémien, avant 1350, Gemäldegalerie, Berlin [4]

Ce panneau foisonnant recèle plusieurs détails iconographiques intéressants, et cache une passionnante histoire (je me réfère ci-dessous à l’interprétation de Robert Suckale [5]) .


Des références mariales

Selon cet auteur, le panneau contient de nombreuses allusions à des prières mariales, en particulier au Prières versifiées de Konrad von Haimburg :

  • l’étoile gravée dans le fond d’or (tout en haut, à gauche du fleuron central) rappelle l’« Etoile de la Mer (stella maris) » ;
  • la clé de voûte rappelle le « Lys dans la vallée (lilium vallis) » ;
  • les portes ouvertes par les deux anges porteurs d’encensoir rappelle la « Bienheureuse porte du ciel (felix caeli porta) » ;
  • l’édicule en forme d’église, au dessus du trône, rappelle le « Temple de la Sainte Trinité (templum sanctae trinitatis) » ou bien le « Tabernacle du Christ (Christi tabernaculum) ».


Le trône de Salomon

La forme arrondie du dossier, son placage ostensiblement en bois précieux (cèdre du Liban) et ses deux lions (au lieu de douze) font référence au trône de Salomon tel que décrit dans l’Ancien Testament (Rois, 10).


Une icône dans le tableau

1350 Glatzer_Madonna Bohemian_Master Gemaldegalerie Berlin schema
Graphiquement, le contour du dossier délimite un cadre interne autour de la Vierge et de l’Enfant, qui en fait une sorte d‘icône byzantinisante :

  • le motif particulier qui le décore (des sortes de pierreries en bois) montre que cette référence à un cadre orné est délibérée ;
  • le  rotulus que l’enfant tient dans sa main droite est typiquement byzantin.


1350 Glatzer_Madonna Bohemian_Master Gemaldegalerie Berlin detail

A l’intérieur de la partie « icône », les deux objets que tient Marie, le sceptre et le globe surmonté d’une croix, la désignent comme « Reine du monde (domina mundi) ». En revanche, les deux objets qui « traversent » ce cadre, la couronne et le second globe, sont apportés par des anges et la désignent comme « Reine des Cieux (regina coelorum) ».

L‘ange de gauche, quand à lui, désigne à la Vierge le donateur, situé juste en dessous.


Un (futur) archevêque

1350 Glatzer_Madonna Bohemian_Master Gemaldegalerie Berlin detail donateur
Il s’agit d’Ernst von Pardubitz, premier archevêque de Prague, commanditaire de ce panneau pour le monastère augustinien qu’il avait fondé à Glatz, sa ville natale.

Il a déposé sur les marches sa tiare, sa crosse et ses gants, avec l’anneau épiscopal, mais gardé autour du cou le pallium orné de croix noires qui caractérise les archevêques. Autre attribut des archevêques, la croix patriarcale étrangement plantée devant lui (et non déposée sur la marche comme le autres insignes liturgiques). Selon Robert Suckale, elle aurait été rajoutée ultérieurement, après sa nomination comme archevêque, ce qui daterait le panneau d’avant 1343 (le pallium pouvait aussi être portés par des évêques exempts, dépendant directement de Rome).


Un souvenir d’enfance

Peu avant sa mort, Ernst von Pardubitz a raconté une vision qu’il avait eu étant enfant, dans l’église paroissiale de Glatz. La statue en pierre du maître-autel s’était subitement animée et le visage de la Vierge s’était détourné de lui, ce qui l’avait laissé comme foudroyé :

« Tandis que je regardais tout cela, triste et plein d’amertume, je commençais à prier dans mon coeur la Vierge bénie de me faire la grâce de me pardonner et de tourner à nouveau la face vers moi. Tandis que je priais ainsi, triste et anxieux, je regardai l’enfant, qu’elle tenait sur son sein entre ses bras : je voulais savoir si sa face s’était elle-aussi détournée de moi, ce qui n’était pas le cas. J’en fus fort consolé et je continuai à prier comme auparavant la Vierge glorieuse, de tourner à nouveau sa face vers moi. Après une durée raisonnable, elle la retourna lentement et prudemment, comme si elle n’était pas vraiment satisfaite de moi, et reprit la position dans laquelle je l’avais vue avant son mouvement et son irritation. »

Ce texte exceptionnel dévoile l’intention profonde du panneau : commémorer ce souvenir d’enfance, dans la ville où il s’est produit, et faire partager au spectateur ce moment d’émotion où le regard de l’Enfant se fixe sur lui, tandis que celui de la Vierge se porte encore ailleurs.

La position à gauche du donateur, spectateur d’un miracle, est donc assimilée à un cas particulier de la vision mystique.


Un don implicite

Mais c’est aussi celle qui convient dans le cas d’une donation. Pour Robert Suckale, c’est en signe de soumission féodale que l’archevêque dépose ses insignes aux pieds de la Vierge .

J’irai un peu plus loin en proposant qu’il s’agisse plutôt d’un don à l’Enfant, en remerciement de sa mansuétude lors de la colère de sa mère, et pour obtenir sa protection pour le monastère. Le rotulus officialise cet échange, dont l’ange de gauche, par ses gestes, assure la signalisation.


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1410-c L'Epitre Othea Christine de Pisan British Library Harley 4431 f. 110vVers 1410, British Library Harley 4431 fol 110v 1460 ca L'Epitre Othea Christine de Pisan Cologny, Fondation Martin Bodmer, Cod. Bodmer 49, f. 52rVers 1460, Cologny, Fondation Martin Bodmer, Cod. Bodmer 49, fol 52r

Cassandre au temple, illustration de L’Épître Othéa de Christine de Pisan

La vieille convention des missels subsiste encore, au XVème siècle, dans ce récit parfaitement profane. Cassandre est ici prise comme prototype de la femme pieuse :

« Fréquente les temples et honores
les dieux célestes, à toute heure,
Et de Cassandre imite les usages
Si tu veux être tenu pour sage. »

Il est amusant de voir comment, malgré les efforts des illustrateurs, la paganisation de la scène reste timide.


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1447-65 Giovanni di Paolo Sainte Catherine of Siena Receiving the Stigmata Predelle demembree du retable des Pizzicaiuoli MET

Sainte Catherine de Sienne recevant les stigmates (Prédelle démembrée du retable des Pizzicaiuoli)
Giovanni di Paolo , 1447-65, MET, New York

Le crucifix est figuré deux fois : en tant qu’objet d’orfèvrerie et en tant qu’apparition animée surgissant au dessus, pour projeter les stigmates sur les paumes ouvertes de la Sainte (elle a laissé tomber derrière-elle son manteau noir pour se présenter à Jésus en habit de candeur).


Références :
[2]  » Art, identity and devotion in fourteenth-century England. Three women and their books of hours », Kathryn A. Smith, 2003
[5] Robert Suckale, « Stil und Funktion : ausgewählte Schriften zur Kunst des Mittelalters », 2003, p 119-150

 

2-4 Avec la Madonne : représenter un dialogue

29 mai 2019

Dans ces exemples exceptionnels, l’image contient un texte, qu’elle commente , et autour duquel elle s’organise.



1250-59 L'artiste Matthew le Parisien en prieres manuscript of the Historia Anglorum fait a St Albans BL Royal 14 C VII, f. 6

Le frère Matthew Paris prosterné devant la Vierge à l’Enfant
1250-59, Manuscrit « Historia Anglorum » fait au monastère de St Albans, BL Royal 14 C VII, f. 6

Dans ce qui est peut-être le tout premier autoportrait d’un artiste, le frère bénédictin Matthew Paris (Frates Mattias Parisiensis) s’est dessiné aux pieds de la Vierge en majesté, tendrement embrassée par l’Enfant.


Le choc de l’image

1250-59 L'artiste Matthew le Parisien extrait de EPPH
Extrait du site EPPH ( everypainterpaintshimself.com) de Simon Abrahams

Alexa Sand a noté la similitude graphique (« christomimétique ») entre le geste du moine, collé au sol en portant son texte entre ses mains, et celui de l’enfant, collé à sa mère en tenant d’une main une pomme et de l’autre lui touchant tendrement les cheveux ([1], p 49) . Simon Abrahams pense même qu’il y dans ce geste un autre mimétisme, avec le geste du copiste caressant le parchemin de son pinceau [2] .


Le poids des mots (SCOOP !)

1250-59 L'artiste Matthew le Parisien en prieres manuscript of the Historia Anglorum fait a St Albans BL Royal 14 C VII, f. 6 detail

Mais pour comprendre pleinement la subtilité de l’image, il faut s’intéresser au texte qui l’accompagne, extrait d’un sermon de Saint Augustin.

« Oh joyeux baiser avec des lèvres imprégnées de lait ! Avec, entre autres preuves, celle de cet enfant qui rampe, te montrant ainsi à toi mère qu’il est véritablement ton fils , tout comme il règne en tant que Dieu, engendré véritablement de Dieu le Père. »

« O felicia oscula lactantis labris impressa ! Cum inter crebra indicia reptantitis infantiæ, utpote verus ex te filius tibi matri alluderet, cum verus ex Patre Deus Dei genitus imperaret ».

St Augustin, Sermon, Patrologia latina 39, col 2131.

Ce texte permet de comprendre toute la force de l’image : celle d’une démonstration graphique du point crucial de doctrine abordé par Saint Augustin . Tout en étant un Dieu engendré par Dieu, Jésus est aussi un bébé né charnellement de Marie : ce que prouve son baiser laiteux.

1250-59 L'artiste Matthew le Parisien en prieres manuscript of the Historia Anglorum fait a St Albans BL Royal 14 C VII, f. 6 mains

Tandis que de sa main gauche frère Matthieu souligne le mot « impareret (qu’il règne) » qui résume le côté divin de Jésus, il égrène de sa main droite les lettres du mot « inf-a-ntiae (enfant) » qui résume son côté humain.



La réponse par écrit

Il apparaît au début du XVème siècle une iconographie particulière, celle de la Vierge à l’encrier [3] : dans quelques rares exemples, un dialogue par écrit s’établit avec le donateur.

1400 ca Heures de Marguerite de Cleves MS L.A. 148 fol 19v-20r Musee Gulbenkian Lisbonne

Heures de Marguerite de Cleves
Vers 1400, MS L.A. 148 fol 19v-20r, Musée Gulbenkian, Lisbonne

Dans cette miniature d’une très grande originalité, Marguerite de Cleves offre à Jésus, posée sur son prie-Dieu, une banderole représentant sa prière : d’où la position de la donatrice, afin que la Vierge et l’Enfant puissent toucher la banderole de leur main droite.

L’inscription est une partie du Pater :

Notre Père.. que ton règne advienne, que ta volonté soit faite sur la terre comme au ciel. Pater… adveniat regnum tuum, fiat <voluntas tua sicut in caelo et in terra >

1440 Hours of Catherine of Cleves detail

Marie la touche au milieu du mot « adveniat », qui s’écarte : montrant par là son rôle dans cet avènement. Quand à Jésus, il la touche au milieu du mot « fiat », qui s’écarte : tronquée de la suite de la prière (voluntas tua..), il signifie à lui tout seul « que cela soit », et constitue en un mot unique la réponse de Jésus à la prière de la donatrice.



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1406 Aiguillon d'amour divin BNF Fr 926 fol 2 Gallica

Frontiscipce de l’Aiguillon d’amour divin
1406, BNF Fr 926 fol 2 (Gallica)

Dans cette image très voisine, Marie du Berry, suivie de sa fille, donne à la Vierge une banderole portant sa prière :

Mère de Dieu souviens-toi de moi. Notre Père qui es aux cieux, que ton nom soit sanctifié, que ton règne vienne. Mater dei memento mei. Pater noster qui es in caelis, Sanctificetur nominem tuum. Adveniat regnum tuum.

Tout en continuant de téter, l’Enfant écrit le mot « fiat » à la fin, ayant trempé sa plume dans l’encrier que tient Marie.

Comme le note Anna Eörsi [3], ce dialogue d’intercession dérive probablement d’un motif plus abstrait où l’Enfant, écrivant à blanc sur le papier vierge, symbolise l’Incarnation (voir 6-1 …les origines).



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1440 Hours of Catherine of Cleves

Heures de Catherine of Cleves
Vers 1440, MS M.917/945 ff. 1v–2r, Morgan Library

La composition est tout aussi originale : au dessus de Catherine de Clèves s’envole une banderole portant sa demande d’intercession : « O mater memento me » (O Mère souviens-toi de moi <au moment de ma mort> »).



1440 Hours of Catherine of Cleves detail 2
L’Enfant Jésus trempe sa plume dans l’encrier tenu par sa mère pour inscrire sa réponse sur une autre banderole, malheureusement illisible [4]. La situation est en fait très différente de la précédente, puisque la question et la réponse sont inscrites sur deux banderoles distinctes. La position de la donatrice se justifie ici par l’iconographie très particulière de la Vierge au croissant de Lune : face à une apparition, le donateur se situe presque toujours à gauche (voir 3-3-1 : les origines).



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1389-1448 Zanino di Pietro, Madonna con Bambino in trono con angeli e donatore Collezione Tolentino, Roma
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
1389-1448 Zanino di Pietro, Madonna con Bambino in trono con angeli e donatore Collezione Tolentino, Roma detail

 
Vierge à l’Enfant avec des anges et un donateur
Zanino di Pietro, 1389-1448, Collezione Tolentino, Roma

Ici la réponse écrite par l’Enfant à la question muette du donateur est parfaitement lisible : « Je suis la Lumière du monde et la voie de la Vérité »

 



Un dialogue par banderoles

1447 Enfeu de Gervais de Larchamp Crypte de la Cathedrale de Bayeux

Enfeu de Gervais de Larchamp, 1447, Crypte de la Cathédrale de Bayeux

Le chanoine, son aumusse sur le bras, est présenté par Saint Michel à la Vierge de l’Humilité. L’Enfant saisit la banderole portant la classique demande d’intercession :

Mère de Dieu prie Dieu pour moi

Mater dei ora pro me Deum


Très astucieusement, l’artiste a confié aux anges situés au dessus le début et la fin  d’un chant en l’honneur de la Vierge [5], qui appuie la prière du défunt tout en effectuant la transition avec la fresque de la voûte :

Douce mère de Dieu, assiste ceux qui t’implorent,

<Nous tous et unanimement, nous  prions,  en suppliant,>

pour qu’aidés par tes prières, nous louions la Trinité.

Alma dei genitrix Alma dei genitrix succure precantibus<cunctis nos quoque una precamur supplices>

ut tuis precibus adiuti laudemus trinitatem.


1447 Enfeu de Gervais de Larchamp Trinite Crypte de la Cathedrale de Bayeux

Les anges  qui entourent la Trinité portent, sur quatre banderoles la prière de la fin de l’office ordinaire [6], manière d’assimiler la propre vie du chanoine à une messe glorieusement achevée.

Nous t’invoquons, t’adorons et te louons, 

Sainte Trinité, 

Que le nom du Seigneur soit béni, 

Maintenant et pour les siècles.

Te invocamus, te adoramus, te laudamus,Beata Trinitas.

Sit nomen Domini benedictum.

Ex hoc nunc et usque in seculum.


Un dialogue par le cadre

 

1517 Mabuse diptyque Carondelet LouvreDiptyque Carondelet
Jean Mabuse, 1517, Louvre, Paris

Ce diptyque de dévotion privée fait exception dans la tradition flamande où, comme nous le verrons (6-7 …dans les Pays du Nord), le donateur se situe toujours à droite.

L’explication tient à au fait que ce diptyque est conçu pour illustrer une réflexion sur le double sens du mot de « représentation », présent dans les textes inscrits sur les deux cadres.

Celui de gauche est un constat : « Représentacion de messire Iehan Carondelet hault doyen de Besançon en son age de 48 a ». Celui de droite est une prière : « Notre Mediatrice, qui es après Dieu le seul espoir, représente-moi auprès de ton fils. »

Si le constat est actuel ( Carondelet à 48 ans), la prière se projette dans le futur, au moment de sa mort, où Marie intercédera pour lui auprès de Jésus. C’est cet ordre chronologique entre image présente et image future qui explique l‘inversion de la disposition habituelle des panneaux (pour une analyse plus complète de ce très riche diptyque et de son étonnant revers, voir 2 Le diptyque de Jean et Véronique).


Un serment à haute voix

Tintoretto, Sacra Famiglia con il procuratore Girolamo Marcello che giura nelle mani di san Marco

Le procurateur Girolamo Marcello prêtant serment devant saint Marc, en présence de la Sainte Famille
Tintoret (attribution), 1537, collection privée

Saint Marc tient de la main gauche son Evangile, et de la main droite le texte que l’Enfant fait lire au procurateur :
« Je jure sur le Saint l’Evangile, moi Girolamo Marcello, Procurateur de San Marco, nommé à la Chambre de Ultra ».


Autour des mains droites (SCOOP !)

Tintoretto, Sacra Famiglia con il procuratore Girolamo Marcello che giura nelle mani di san Marco detail
A l’opposé de l’index de Jésus désignant son nom sur le texte, la main de Marcello se lève pour prêter serment : toute la composition est conçue pour faire se rencontrer au centre du tableau les quatre mains droites de Marie, de Jésus, de Saint Marc et du nouvel impétrant.



Références :
[3]
Charles P. Parkhurst Jr., « The Madonna of the Writing Christ Child », The Art Bulletin, Vol. 23, No. 4 (Dec., 1941), pp. 292-306 https://www.jstor.org/stable/3046787
Philippe Verdier, « La Vierge à l’Encrier et à l’Enfant qui Ecrit » Gesta, Vol. 20, No. 1, Essays in Honor of Harry Bober (1981), pp. 247-256
https://www.jstor.org/stable/766848
Pour une synthèse plus ‘récente :
Anna Eörsi, « Fuit enim Maria liber. Remarques sur l’iconographie de l’Enfant écrivant et du Diable versant l’encre » 1997, Bulletin du Musées Hongrois des Beaux-Arts https://www.academia.edu/44744442/Fuit_enim_Maria_liber_Remarques_sur_l_iconographie_de_l_Enfant_%C3%A9crivant_et_du_Diable_versant_l_encre
[4] Pour d’autres exemples de cette iconographie comportant question et réponse voir « Surrogate Selves: The « Rolin Madonna » and the Late-Medieval Devotional Portrait » Laura D. Gelfand and Walter S. Gibson Simiolus: Netherlands Quarterly for the History of Art Vol. 29, No. 3/4 (2002), note 89
https://www.researchgate.net/publication/261825388_Surrogate_Selves_The_Rolin_Madonna_and_the_Late-Medieval_Devotional_Portrait
[5] Voir l’étude de Jean-Yves Cordier sur les fresques de la crypte http://www.lavieb-aile.com/2018/09/la-crypte-de-la-cathedrale-de-bayeux-et-ses-anges-musiciens.html
[6] Missel du vice-chancelier Ynisan de 1457 (BNF MS Nouv acq Lat 172), étudié dans « Bulletin et mémoires de la Société archéologique du département d’Ille-et -Vilaine » , tome XXXV, 1906, p 129 https://archive.org/details/bulletinetmmoir03vilgoog/page/n207

2-3 Avec la Madone : représenter un don

29 mai 2019

 Le Don au Christ en Majesté

Avant d’aborder le sujet du don à la Madone, voyons un cas beaucoup plus tranché, mais aussi beaucoup plus rare : le donateur en présence du Christ en Majesté

La position d’invitation

 

Byzantinischer_Mosaizist_des_9._Jahrhunderts Christus Pantokrator und Kaiser Leon VI Sainte Sophie

Le Christ Pantokrator et un empereur byzantin
Mosaïque fin 9ème début 10ème siècle, Sainte Sophie, Istambul

« L’empereur représenté avec un halo (ou nimbe) pourrait être Léon VI le Sage ou son fils Constantin VII Porphyrogénète : il s’incline devant le Christ pantocrator, assis sur un trône incrusté de pierres précieuses et donnant sa bénédiction, la main gauche sur un livre ouvert. On peut lire sur le livre : « EIPHNH YMIN. EΓΩ EIMI TO ΦΩC TOY KOCMOY ». « La paix soit avec vous. Je suis la Lumière du monde. » (Jean 20:19; 20:26; 8:12). Les deux médaillons, de chaque côté des épaules du Christ, figurent, à sa gauche, l’archange Gabriel, tenant une houlette, et à sa droite, sa mère, Marie. L’ensemble forme ainsi la scène de l’Annonciation. Cette mosaïque exprime le pouvoir temporel conféré par le Christ aux empereurs byzantins. » [1]


 

1225-36 Gradual, Sequentiary, and Sacramentary Germany Arundel 156 f. 99v Majestas Domini British Library

Majestas Domini
Allemagne, Graduel, Sequentiaire et Sacramentaire, 1225-36, Arundel 156 f. 99v, British Library

Devant le Christ bénissant d’une main et tenant de l’autre un livre dont le texte est malheureusement illisible, le moine observe la même position de prosternation. Cependant la présence de la mandorle et du Tétramorphe autour du Christ (les symboles des quatre évangélistes) introduit l’idée d’une vision mystique – dérivée de celle d’Ezéchiel – qui n’était pas présente dans la mosaïque byzantine.

En présence du Christ bénissant, il est logique que le donateur se situe sur la gauche de l’image, à la fois pour se placer sous la main qui bénit mais aussi pour bénéficier de la dynamique du sens de la lecture.

Nous appellerons « position d’invitation » ce type de composition.



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1340 ca, Laudario of the Compagnia di Sant’Agnese , Florence, MS M.742r, Morgan Library
Alta Trinita Beata, Livre d’hymnes (Laudarium) de la Compagnia di Sant’Agnese , vers 1340 , Florence, MS M.742r, Morgan Library

Ici le donateur n’a pas osé s’introduire aux pieds de la Divinité. Il s’estfait  représenter dans le médaillon au plus bas de l’image, justifiant d’autant mieux le titre de l’hymne : Alta Trinita Beata.


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1400-20 Gaston-phebus-livre-de-la-chasse-Livre de la chasse BnF fr. 616 122r
Livre de la chasse de Gaston Phébus, 1400-20, BnF fr. 616 122r

A l’opposé, dans la dernière miniature de son livre de chasse, qui ouvre la partie consacrée à « plusieurs bonnes oraisons en latin et en françois », Gaston Phébus ne craint pas de se représenter en prières dans sa chapelle privée, en présence de Dieu le Père en personne . Ici, la position à gauche se justifie doublement : par le geste de la bénédiction et par la convention de la vision mystique (voir 3-1 L’apparition à un dévôt ).


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Morgan Library, MS H.3 fol. 210r
Livre d’Heures, Paris
Vers 1490, Morgan Library, MS H.3 fol. 210r

Dans ce dernier exemple, le donateur se situe en face de Dieu le Père, et la règle héraldique ne joue pas (voir 2-1 En vue de profil).


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La position de don

968 Christ receiving the cathedral from Otto I Fragment of Magdeburg Antependium MetL’empereur Otto Il offrant au Christ la cathédrale de Magdeburg, fragment de l’antependium de Magdeburg, 968, MET, New York Chora_Church_ConstantinopleThéodore Métochitès offrant au Christ l’église de Chora
Mosaïque du 13eme siècle, Narthex intérieur de l’église de Chora

Aussi bien en Occident qu’en Orient, la manière habituelle de représenter la dédicace d’un édifice et de placer le donateur prosterné à gauche : l’empereur germanique offre au Christ le modèle réduit de la cathédrale qu’il a fait construire, le ministre byzantin celui de de l’église qu’il a fait restaurer.


1225-50 Gradual, Sequentiary, and Sacramentary, Weingarten, Donor Hainricus Sacrista, Morgan Library MS M.711 fol. 9r

Graduel, Sequentiaire et Sacramentaire,
Allemagne (Weingarten), 1225-1250, Morgan Library MS M.711 fol. 9r

Cliquer pour voir l’ensesemble

En bas à gauche, du côté honorable, les élus sont représentés par cinq moines plus le donateur Hainricus Sacrista, qui transmet son livre à Saint Jean l’Evangéliste ; du côté néfaste, dix damnés détournent leur visage du Christ.  [2].

Le texte inscrit sur les bordures est le suivant :

Moi Hainricus, à toi (Saint Jean) j’apporte précieusement ce livre de Dieu, ne te moques pas de moi mais donne-moi en récompense le repos. HAINRICVS HUNC TIBI CARE DEI FERO LIBRVM. NE ME SVBSANNES SED PREMIA DES REQVIEI

La convention du donateur à gauche se maintient donc même quand le don est reçu, des deux mains, par un intermédiaire.



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1278-79 Pope Nicholas III Presented to Christ by Sts Peter and Paul Sancta Sanctorum, Latran Rome

Le Pape Nicolas III présenté au Christ par Saint Pierre et Saint Paul
1278-79, fresque du Sancta Sanctorum, basilique Saint Jean de Latran Rome.

Ici l’intermédiaire est Saint Pierre, qui reçoit le modèle réduit pour le transmettre au Christ.

Nous appellerons « position de don » le cas dans lequel le donateur se présente par la gauche pour offrir un présent, afin de la mettre à portée de la main droite du donataire.

Nous verrons cependant que, dans le cas d’un don à une autorité non pas divine mais humaine, il arrive que le donateur se place à main droite de cette autorité.


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Le Triptyque Stefaneschi

Le Triptyque Stefaneschi est une curiosité iconographique qui, entre autre particularités, présente sur ses deux faces deux fois le portrait du donateur. Commandé à Giotto pour l’ancienne église Saint Pierre de Rome, mais à un moment où la papauté se trouvait à Avignon, cette oeuvre exceptionnelle a fait l’objet de nombreuses controverses historiques et iconographiques.

Je reprends ici les conclusions de l’étude de Bram Kempers et Sible de Blauuw [3], un modèle d’érudition et de logique, qui propose une nouvelle interprétation des personnages et de l’emplacement du triptyque à l’intérieur de la basilique disparue.


47_0100
Retable Stefaneschi, Reconstitution de l’emplacement, Bram Kempers et Sible de Blauuw

« Ce retable fut commandé à la fin des années 1320 ou au début des années 1330. Il était destiné à l’autel des chanoines dans la nef de la basilique, le second autel principal sur lequel était célébrée quotidiennement la messe. » [3]


1330 ca Giotto_di_Bondone_-_The_Stefaneschi_Triptych Christ detail
Retable Stefaneschi, Face « Christ », détail du panneau central
Giotto di Bondone, vers 1330 , Musée du Vatican, Rome

A l’avers, le cardinal, son chapeau posé à ses pieds, se présente dans son habit ordinaire sous la main bénissante du Christ.


1330 ca Giotto_di_Bondone_-_The_Stefaneschi_Triptych

Retable Stefaneschi, Face « Christ », panneau central
Giotto di Bondone, vers 1330 , Musée du Vatican, Rome

« La face « Christ » jouait son rôle pour les messes et les prières du chapitre. Posé librement, le retable autorisait deux faces peintes. L’arrière n’avait pas d’utilité fonctionnelle. Aussi la face « Saint Pierre », placée face au maître-autel, fournissait au donateur l’opportunité d’une promotion personnelle.« 

Passons donc derrière le triptyque, comme devaient le faire les pèlerins se rendant vers la tombe de Saint Pierre.


1330 ca Giotto_di_Bondone_-_The_Stefaneschi_Triptych st pierre

Retable Stefaneschi, Face « Saint Pierre », panneau central

Stefaneschi était cardinal de la basilique Saint Georges, ce qui explique qu’il ait choisi ce saint pour le présenter (son saint patron, Saint Jacques, est présent dans le volet de gauche du triptyque).



1330 ca Giotto_di_Bondone_-_The_Stefaneschi_Triptych st pierre detail
Dans ce tout premier exemple d' »effet Droste » dans l’art occidental (voir L’effet Droste), le cardinal, cette fois en habit d’apparat, présente à saint Pierre bénissant la maquette du triptyque que nous sommes en train de décrire : on y voit clairement, souligné par le linge blanc, le triptyque à l’intérieur du triptyque à l’intérieur du triptyque.



1330 ca Giotto_di_Bondone_-_The_Stefaneschi_Triptych Saint Pierre detail
Mais Bram Kempers et Sible de Blauuw ont découvert dans ce panneau un second exemple d’autoréférence, en même temps que d’autopromotion : selon eux, le saint agenouillé face au cardinal est Saint Célestin V (pape déposé au début du siècle, d’où son absence de tiare) et le livre qu’il offre à Saint Pierre est sa propre hagiographie, écrite justement par Stefaneschi. Quant au saint qui le présente, ce serait le pape saint Clément I, en hommage au pape Clément V qui avait justement canonisé Célestin.

Politique et publicitaire, ce retable double-face appelle à « la continuté de l’autorité des papes à Rome et à la commémoration du donateur ».




Le Don à la Vierge à l’Enfant

Comme dans le cas du don au Christ en Majesté, le donateur se présente par la gauche, pour que l’Enfant puisse prendre l’objet de sa main droite.




530-35 Croatia_Porec_Euphrasius_BasilikaSaint Maur, suivi de l’Evêque Euphrasius offrant la basilique à la Madone, l’archidiacre Claudius offrant un livre liturgique et son fils offrant des cierges
553-63, Basilique Euphrasienne, Porec, Croatie
578-590 Eveque Pelagius san-lorenzo fuori le mure RomaL’Evêque Pelagius offrant la basilique à la Madone
578-590, Basilique San Lorenzo fuori le mure, Rome

Les mosaïques absidales byzantines montrent très souvent le constructeur offrant l’édifie à la Madone.


1000-20 processional Cross of Mathilde, Ottonian, (Aachen Cathedral

Croix processionnelle de l’abbesse Mathilde (détail)
Art ottonien, 1000-20, Cathédrale de Aachen

Cette miniature figure au bas de la croix processionnelle léguée par l’abbesse Mathilde à l’abbaye d’Essen : on la voit offrant en personne ladite croix à Jésus, dans une proximité justifiée par sa qualité de défunte ([4], p 49).

Pour des raisons d’économie, l’émailleur a aligné la croix sur les verticales et horizontales du trône, mais il a pris soin de placer son centre sur la ligne qui relie les yeux des deux protagonistes : la donatrice voit en somme l’Enfant déjà crucifié.

Mis à part le mot à peu près lisible Mathilda ( MA/HTH/ILD / ), le reste de l’inscription a déconcerté les épigraphistes [5].


1039-58 Theophanu-Evangeliar

Couverture de l’Evangélaire de Theophani
Art ottonien, 1039-58, Trésor de la cathédrale d’Essen

Dans cette autre représentation auto-référentielle, l’abbesse Théophani offre à la Madone l’Evangéliaire qu’elle a fait confectionner.


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1102-25 ca Uta_Codex_Dedicace Bayerische Staatsbibliothek Clm 13601 f2

L’abbesse Uta de Nierdermünster offre son codex à Marie
Page de dédicace du Codex Uta, vers 1102-25, Bayerische Staatsbibliothek Clm 13601 f2

Dans cette représentation auto-référentielle encore plus ambitieuse, le livre apparaît deux fois…


1102-25 ca Uta_Codex_Dedicace Bayerische Staatsbibliothek Clm 13601 f2 detail2 1102-25 ca Uta_Codex_Dedicace Bayerische Staatsbibliothek Clm 13601 f2 detail 2

…entre les mains de la donatrice, et entre les mains de l’Enfant, qui en accuse réception par son geste de bénédiction.

La donatrice n’est pas être délimitée par un cadre et flotte librement devant l’image. Bien que tous les personnages aient tendance à se pencher hors de leur cadre pour la regarder s’approcher, Marie est la seule à sortir en totalité, telle une cosmonaute en avant de son sas. Toutes ces subtilités visuelles visent à traduire une proximité sans contact : l’humain et le divin s’affranchissent des contraintes spatiales pour sortir en apesanteur dans un plan en avant de la représentation, un plan abstrait où il se contemplent l’un l’autre et où le livre se duplique, pour éviter de passer de main en main.


1012 avant Evangile de Henri II Dedicace _Msc.Bibl.95_Bl.7v-8r_Staatsbibliothek Bamberg

Pages de dédicace des Evangiles de Henri II
Avant 1012, Msc.Bibl.95_Bl.7v-8r, Staatsbibliothek, Bamberg

Une stratégie tout aussi ingénieuse est d’utiliser la structure qu’offre l’illustration en bifolium pour exprimer la séparation des deux natures (lorsque le livre est ouvert) mais aussi leur conjonction « asymptotique » (lorsque le livre est fermé, le contenu s’abolit dans le contenant, les deux images se touchent et le transfert s’effectue dans l’invisibilité).


Hitda_Codex_-_dedication_miniature_f6r_-Hessische Landesbibliothek, MS 1640

Hitda, abbesse de Meschede, offre son codex à Sainte Walburge
Page de dédicace du codex Hitda, vers 1020, Hessische Landesbibliothek, MS 1640 f6r

En revanche, lorsque la dédicataire n’est pas la Madone, mais simplement une sainte, rien ne s’oppose à l’échange direct.



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1174-83-Monreale-Santa-Maria-Nuova-chapiteau-du-clootre-dédicace

Guillaume II dédiant la cathédrale à la Vierge Marie, chapiteau du cloître
1174-83, Santa Maria Nuova, Monreale

La scène de la dédicace occupe toute la largeur du chapiteau double : un ange en vol, au centre, aide à soutenir l’édifice. Quatre figures féminines personnifiant les Vertus (Foi, Espérance, Charité, et Justice) ornent les autres faces [5a].

Ô roi qui gouvernes tout, accepte les offrandes du roi sicilien

REXQ CVNTA REGIS SICVLI DATA SVSCIPE REGIS

Ainsi la logique de l’image prime celle de l’inscription (il aurait été plus logique de faire figurer le Roi de Sicile sur la droite.



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986-1017 Vierge et l'Enfant entre Justinien et Constantin Lunette du vestibule Sainte Sophie istambul

Vierge et l’Enfant entre Justinien et Constantin
986-1017, Lunette du vestibule Sainte Sophie, Istambul

Les deux empereurs sont représentés sanctifiés, identifiés par un texte


Justinien, empereur de la mémoire illustre
ioystinianos ou aoidimos basileus
Constantin, le grand empereur parmi les saints.
konstantinos ou en agiois megas basileus
  • A gauche Justinien offre la maquette de Sainte Sophie, la basilique qu’il a reconstruite.
  • A droite Constantin offre la maquette de Constantinople, la ville qu’il a fondée.
  • Au centre, par le petit rotulus qu’il tient dans sa main gauche, l’Enfant Jésus officialise les deux donations et accorde sa protection à l’église et à la ville.

La situation est intéressante par sa symétrie : l’Enfant ne bénit aucun des deux donateurs. Néanmoins, la position de Justinien, anti-chronologique et anti-généalogique, trouve sans doute son explication dans la croix qui surplombe la coupole. La place d’honneur gratifie non pas le donateur, mais le don lui-même : la basilique consacrée vaut plus que la ville chrétienne


1418 Master_Andrey_Ladislaus_II_Jagiello_kneeling_before_the_Virgin_Mary Lublin Museum

Ladislas II Jagellon s’agenouillant devant la Vierge à l’Enfant
Maître Andrey, 1418, fresque de la chapelle de la Sainte Trinité, château de Lublin

Bien que de style byzantin, cette fresque réalisée en Pologne quatre siècles plus tard suit les conventions de son temps, qui contredisent en bien des points le hiératisme de l’iconographie ancienne : sans maquette et sans couronne, le roi est présenté par un saint patron à l’enfant qui le bénit : seul le rotulus dans sa main gauche rappelle l’acceptation de cette donation implicite.



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1490-95 Bergognone Jean Galeas Visconti et ses trois fils presentent al chartreuse de Pavie a la Madonne
Jean Galeas Visconti et trois ducs de Milan présentent la chartreuse de Pavie à la Madone
Bergognone, 1490-95, fresque de l’abside du transept gauche de l’église de la Chartreuse de Pavie

Bergognone ressuscite un peu l’iconographie byzantine dans cette donation à nouveau explicite, où le Christ bénit au milieu, sans privilégier le donateur.

Contrairement à ce que l’on lit partout, il ne s’agit pas de Jean Galéas Visconti et de ses trois fils mais, de manière bien plus intéressante, de quatre ducs de Milan, peints chacun avec les habits de son temps et les armoiries permettant de l’identifier [6] :

  • à gauche du fondateur de la chartreuse, Jean Galeas Visconti (duc de 1395 à 1402) figure son fils Filippo Maria Visconti (duc de 1412 à 1447) ;
  • à droite de la Madone viennent Galeazzo Maria Sforza (duc de 1466 à 1476) et son fils Gian Galeazzo Maria Sforza (duc de 1476 à 1494, donc au pouvoir à l’époque de la fresque).

Ainsi le programme ne consistait pas à montrer chronologiquement la succession des ducs, mais à démontrer visuellement la légitimité de la famille actuelle, les Sforza, par sa symétrie avec la famille précédente, les Visconti. D’où la répartition hiérarchique des deux couples de part et d’autre de la Madone : un père au plus près, son fils derrière, et la famille la plus ancienne occupant la place d’honneur.


Un autre type d’autoréférence (SCOOP !)

A noter que, mis à part la traditionnelle église dans l’église, l’image comporte une autre astuce auto-référentielle : la façade, avec ses quatre nefs « prosternées » autour du porche qui porte le clocher, renvoie aux quatre ducs et à Marie qui porte Jésus.


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1508 ca Marco Basaiti The Fitzwilliam Museum, University of Cambridge,

Sainte Conversation avec donateur
Marco Basaiti, vers 1508, The Fitzwilliam Museum, University of Cambridge

Dans cet exemple tardif du rare motif du don à la Vierge, le jeune homme blond lui offre un plat de cerises, tandis que derrière elle l’Enfant tend lui aussi la main. A l’arrière-plan de cette rencontre extraordinaire entre mains profanes et mains sacrées, des voyageurs qui montrent croisent des voyageurs qui descendent. Le profil du paysage – la vallée avec son église, la saillie de la forteresse, puis le faux-plat, épouse celui des personnages. Au plus bas de la diagonale ascensionnelle, le donateur, habitant de la plaine, semble s’incliner devant la montagne sacrée.


Le Don de la Madone

Réciproque du cas précédent, il impose lui aussi que le donateur se trouve à main droite de la Madone

1402 Michelino da Besozzo - Elogio funebre di Gian Galeazzo Visconti par P. da Castelletto BNF Paris

Eloge funèbre de Gian Galeazzo Visconti par P. da Castelletto
Michelino da Besozzo, 1402, BNF, Paris

« Cette enluminure illustre un aplomb inouï dans l’auto-représentation : Giangaleazo est reçu au ciel ; il n’a nul besoin de frapper à la porte de saint Pierre, mais reçoit la couronne directement de l’Enfant Jésus ; celle-ci est à l’imitation des couronnes impériales de l’Antiquité tardive. Les douze vertus assistent à la cérémonie du sacre et les anges deviennent des pages de cour présentant les armoiries, les heaumes de tournoi et les alliances du duc. «  [8]



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1456-60 Filippo Lippi,_madonna_della_cintola,Museo Civico prato

Madozna della Cintola
1456-60 Filippo Lippi Lippi,Museo Civico, Prato, provient de du couvent augustinien de Santa Margherita

Au centre, Marie élevée en l’air par deux deux anges, donne sa ceinture à saint Thomas pour le convaincre de la réalité physique de son Assomption. Le don de la ceinture à Thomas s’effectue comme d’habitude par la gauche, ce qui justifie la position dans son sillage de la donatrice, la nonne Bartolommea dei Bovacchiesi. [9]

Les quatre saints sont :

  • en position d’honneur le pape saint Grégoire le Grand et Sainte Marguerite, patronne du couvent (peut-être un portrait caché de Lucrezia Buti, l’amante de Filippo) ;
  • en position d’humilité l’évêque saint Augustin , fondateur de l’ordre duquel appartenaient les religieuses, et l’Ange Raphaël donnant la main à Tobie, lequel tient son poisson dans l’autre main.


La ceinture et le poisson (SCOOP !)

Si la présence de Saint Grégoire se justifie, en tant que père de l’église, pour équilibrer celle de Saint Augustin, la présence de Tobie et de son poisson ne répond pas à une exigence protocolaire : sans doute sert-elle à conforter le thème principal : de même que la ceinture « guérit » de son incrédulité Saint Thomas , de même le fiel du poisson guérit de sa cécité le père de Tobie.


1467 Neri di Bicci - Madonna della cintola angeli e santi philadelphia-museum-of-artNeri di Bicci, 1467, Philadelphia Museum of Art 1470-75 Neri_di_bicci,_madonna_della_cintola_e_santi,__ca._da_pieve_di_corazzano_Museo diocesano (San Miniato)Neri di Bicci, 1470-75 , Museo diocesano, San Miniato (provenant de la pieve de Corazzano)

Madonna della Cintola

Il existe plusieurs copies par Neri di Bicci du modèle établi par Lippi, qui diffèrent par le nombre de saints : mais Saint Thomas y figure toujours agenouillé à gauche.


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1510 ca Gerard_David_-_The_Virgin_and_Child_with_Saints_and_Donor_-National Gallery

Vierge à l’Enfant avec le donateur Richard de Visch van der Capelle, Sainte Catherine, Sainte Barbe et Sainte Marie Madeleine
Gérard David, vers 1510, National Gallery

Sous couvert d’une Sainte Conversation, le panneau appartient à une iconographie différente : celui du Mariage Mystique de Saint Catherine (celle-ci avait refusé d’épouser l’Empereur parce qu’elle était déjà mariée avec Jésus) : elle se trouve donc la plupart du temps à gauche comme ici, pour que l’Enfant puisse lui donner l’anneau de sa main droite.


Une composition « annulaire » (SCOOP !)

L’audace du tableau est l’inclusion du donateur dans le cercle marial, en pendant à Sainte Marie-Madeleine qui le regarde fixement, tout en touchant de la main droite le livre de Saint Barbe.



1510 ca Gerard_David_-_The_Virgin_and_Child_with_Saints_and_Donor_-National Gallery detail mains
Ce geste ne se comprend que dans la dynamique générale du tableau, à parcourir de droite à gauche :

  • Sainte Marie-Madeleine touche le livre ;
  • Jésus donne l’anneau à Sainte Catherine ;
  • sainte Catherine fait le geste du don au dessus des mains du chanoine.

Dans cette composition « annulaire », tout suggère, en bout de chaîne, la transmission au donateur d’un anneau invisible.


Des détails éloquents

1510 ca Gerard_David_-_The_Virgin_and_Child_with_Saints_and_Donor_-National Gallery detail chien

Plusieurs détails du tableau ont permis d’identifier Richard de Visch van der Capelle, chanoine et chantre de l’église de Saint Donatien de Bruges [10] :

  • ses armoiries sur le collier de son lévrier ;
  • la chapelle de Saint Antoine qui apparaît derrière Sainte Barbe, et dont il avait assuré la restauration (cette chapelle comportait un autel de Sainte Catherine, à laquelle le panneau était vraisemblablement destiné).
  • son bâton de chantre  posé sur le sol, derrière un missel recouvert de velours bleu, : couronné par la Trinité adorée par un moine et un cardinal, il reproduit photographiquement celui qui, d’après les ancien inventaires, appartenait effectivement à l’église Saint Donatien.



1510 ca Gerard_David_-_The_Virgin_and_Child_with_Saints_and_Donor_-National Gallery details
L’oeuvre est conçue pour être élucidée par l’exploration des détails :

  • l’ange qui cueille des raisins derrière le donateur évoque l’eucharistie, et souligne sa qualité de prêtre ;
  • la roue et l’épée, attributs de Sainte Catherine, se trouvent à l’aplomb de l’anneau ;
  • un minuscule Saint Antoine se trouve à l’aplomb de sa chapelle.



Les exceptions qui confirment la règle


526-547 Christ entre Saint Vital et l'eveque Ecclesisus San_Vitale, Ravenna

Le Christ entre Saint Vital et l’evêque Ecclesisus, 526-547, San Vitale, Ravenne

Le décalage du donateur à droite s’explique par la présence du saint patron de l’église, qui prend la place d’honneur.


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741-752 Madonna and Child Enthroned with Pape Zaccharias Julitta Pierre Paul Quirinus and Theodotus Santa Maria Antica Roma photo Steven Zucker

Le Pape Zaccharias, Sainte Julitte, Saint Pierre, Vierge à l’Enfant, Saint Paul, Saint Cyr, et Theodotus
741-752, Santa Maria Antica, Rome, photo Steven Zucker

Le même ordre hiérarchique explique la présence en position d’honneur du pape régnant, de la sainte martyre, et du premier des apôtres, en pendant à l’apôtre Paul, au fils de Julitte et au bâtisseur de l’église, Theodotus (un fonctionnaire de rang élevé de l’administration pontificale).

Cette fresque est particulièrement précieuse puisqu’elle représente pratiquement le seul exemple connu de l’art d’artistes byzantins de l’époque de l’iconoclasme, qui s’étaient réfugiés à Rome.



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Chapiteau de Heimo 1150 ca, Onze Lieve Vrouw, Masstricht Chapiteau de Heimo 1150 ca, Onze Lieve Vrouw, Maastricht emplacement

Chapiteau de Heimo, 1150 ca, Onze Lieve Vrouw, Masstricht

Le donateur, nommé Heimo, offre à Marie un chapiteau. Sa position est inversée afin que Marie se situe côté choeur.



Chapiteau de Heimo, 1150 ca Onze Lieve Vrouw, Masstricht autres faces

A noter que les autres faces du chapiteau montrent, en tournant vers la droite, un couple de Lions, un couple de Taureaux et un couple d’Aigles. Si l’on considère que Heimo, à genoux et avec sa cape en forme d’ailes, pourrait jouer le rôle de l’Ange, les quatre faces correspondent alors aux Evangélistes, dans l’ordre traditionnel (Mathieu, Marc, Luc et Jean).


Une Annonciation inversée (SCOOP !)

Il est probable que la scène a été conçue comme une Annonciation inversée, dans laquelle Sainte Marie acceptant l’offrande du donateur fait écho à la Vierge acceptant le message de l’Ange. Les deux évangélistes qui racontent l’épisode (Matthieu et Luc) se trouvent ainsi mis en exergue sur les faces principales, recto et verso, du chapiteau.


Une interprétation alternative

1250 ca Joachim de Fiore Roue Ezechiel Liber_Figurarum codice di Reggio Emilia

La Roue d’Ezechiel
Liber Figurarum de Joachim de Fiore , fol 16, vers 1250 , Biblioteca del Seminario vescovile, Reggio Emilia

Elizabeth den Hartog rappelle une autre interprétation où les quatre Vivants d’Ezechiel (Homme, Lion, Boeuf et Aigle) sont associés non pas aux Evangélistes mais à quatre Vertus (Humilité, Foi, Patience, Espérance), autour de la vertu principale, la Charité. La présence des Vertus se rapproche de la thématique du chapiteau de dédicace du cloître de Monreale : cependant elles ne sont ni les mêmes qu’à Monreale, ni disposées dans l’ordre du schéma de Joachim de Fiore).

Si la signification d’ensemble est discutable, celle de la scène principale est claire :

« Heimo offrant son chapiteau n’est probablement pas seulement la commémoration des actes physiques – constuction de l’église, sculpture des chapitaux, financement de la construction) mais aussi l’offrande métaphorique d’une pierre de construction à l’Ecclesia » Elizabeth den Hartog, [6a]



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1255-56 Anonimo romano Madonna con Bambino e i donatori Giacomo Capocci e sua moglie Vinia Chiesa di S. Michele Arcangelo, Vico nel Lazio

Vierge à l’Enfant avec le donateur Giacomo Capocci et son épouse Vinia
1255-56, église de S. Michele Arcangelo, Vico nel Lazio, fragment du « Tabernacolo delle Reliquie » de la Basilique de Sainte Marie Majeure à Rome

 Giacomo Capocci suivi par son épouse présente à la Vierge le modèle réduit du tabernacle qu’il lui a offert,


Une exception compréhensible (SCOOP !)

1255-56 Anonimo romano Madonna con Bambino e i donatori Giacomo Capocci e sua moglie Vinia Chiesa di S. Michele Arcangelo, Vico nel Lazio schema

Basilique de Sainte Marie Majeure à Rome
Illustration tirée de l’article de Julian Gardner [7]

Démantelé au XVIIème siècle lors de la réfection de l’abside, le tabernacle comportait en bas un autel, et un haut un reliquaire, accessible par un balcon. La position de la mosaïque, sur le flanc gauche du reliquaire, explique la composition : le mouvement des donateurs vers la Madone épouse celui des fidèles, avançant dans la nef vers le choeur.



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1320 ca Guglielmo di Castelbarco offre au prieur Daniele Gusnerio San Fermo Maggiore Verone

Guglielmo di Castelbarco offre l’église au prieur Daniele Gusnerio
vers 1320, san Fermo Maggiore, Vérone

Le donateur n’offre pas directement l’édifice à Dieu le père, mais au prieur qui , en face, occupe la place d’honneur sur la gauche de l’arc triomphal.


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1397 ca St Bruno et la reine Jeanne D'anjou St Jacques avec Giocomo Arcucci Certosa di San Giacomo a Capri

Saint Bruno patronnant la reine Jeanne D’Anjou, St Jacques patronnant Giocomo Arcucci qui offre la chartreuse à la Madone
1397, Chartreuse de San Giacomo, Capri

Double hiérarchie ici, religieuse et civile : le patron des Chartreux prend la pas sur le patron de l’église, et la reine sur le donateur.



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1180 ca Cristo incorona re Guglielmo II, mosaico del Duomo di Monreale Arc triomphal GGuillaume II couronné par le Christ (paroi gauche de l’Arc triomphal) 1180 ca Guglielmo II dedica la Cattedrale di Monreale alla Vergine, mosaico del Duomo di Monreale Arc triomphal DGuillaume II offre la cathédrale à la Vierge (paroi droite de l’Arc triomphal)

vers 1180, Cathédrale de Monreale

La position du donateur est ici inversée pour une raison purement topographique : sur ces deux mosaïques latérales, le roi de Sicile est orienté en direction du choeur de l’église.


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1327 Donatore Antonio Fissiraga Saint Nicolas Saint Francois eglise San Francesco LodiAntonio Fissiraga offre l’église à la Vierge, présenté par Saint Francois et accompagné par Saint Nicolas, 1327, mur droit église San Francesco, Lodi 1345 ca St Augustin jurisconsulte Salvarino Aliprandi et famille 2eme chapelle transept S San Marco MilanoLe jurisconsulte Salvarino Aliprandi et ses deux fils Hatiolus et Antoniolus offrent l’église à la Vierge, présentés par Saint Augustin
Vers 1345, 2eme chapelle du transept droit, église San Marco, Milan [11]

C’est pour la même raison (ne pas tourner le dos au choeur) que le donateur se trouve à droite dans ces deux fresques.



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1368-69 Le comte PorroTombeau Mur gauche S. Stefano di LentateTombeau du comte Lanfranco Porro (mur gauche) 1368-69 Le comte Porro donnant l'oratoire à St Etienne Mur droit S. Stefano di LentateLe comte et sa famille donnant l’église à St Etienne (mur droit)

1368-69, église de San Stefano di Lentate

1378 Count Lanfranco Porro capella in Mocchirolo, Brera, Milan, mur gauche SaintAmbrois, mariage mystiqueSaint Ambroise fustigeant les hérétiques et Mariage mystique de sainte Catherine (mur gauche) 1378 Count Lanfranco Porro capella in Mocchirolo, Brera, Milan, mur gauche droite le comte et sa familleLe comte et sa famille donnant l’oratoire à la Madone (mur droit)

1378, Brera, Milan( provient de l’oratoire de Mocchirolo, San Stefano di Lentate)

Même raison topographique dans ces fresques offertes par le comte Lanfranco Porro pour décorer ses églises. Entre les deux, on peut constater que sa famille s’est agrandie : un fils et deux filles sont nés.


Une exception sophistiquée


1190-1210 Ausonia Sainta Maria del Piano
Le miracle de Remingarda
1190-1210, Crypte de Santa Maria in Piano, Ausonia


La représentation d’un miracle

La fresque doit être lue en trois temps :

  • en bas à droite, Remingarda, une jeune bergère disgraciée à qui la Madone était apparue en ce lieu, brandit un objet quadrangulaire : le plan miraculeux dessiné par la Vierge elle-même ;
  • en bas à gauche, les maçons construisent un édifice à trois nefs où deux officiants viennent célébrer la messe (l’un élève un ciboire et un second brandit un livre) ;
  • en haut l’évêque Rinaldo di Gaeta offre l’édifice terminé à la Vierge ; à noter que celle-ci, contrairement à tous les cas précédents, ne porte pas l’Enfant, ce qui lui permet de tendre latéralement son bras droit.


Une composition ambitieuse (SCOOP !)

1190-1210 Ausonia Sainta Maria del Piano schema

La rusticité du style masque une composition complexe, qui joue sur le parallélisme entre les deux registres :

  • même sens de lecture, de droite à gauche ;
  • deux édifices à trois travées sans doute l’église haute au dessus de la crypte ;
  • l’évêque au dessus de la bergère ;
  • la maquette au dessus du plan ;
  • la Madone-église au dessus de ses fondations.


De droite à gauche (SCOOP !)

Reste à expliquer pourquoi non seulement le geste du don, mais aussi la fresque dans son ensemble, sont à l’inverse du sens conventionnel.



1190-1210 Ausonia Sainta Maria del Piano plan
La fresque n’est pas située sur le côté droit de la nef, comme dans les cas précédents, mais sur le mur Ouest, à l’opposé du choeur. Les fresques des trois chapelles suivent un programme trinitaire [12], qui place donc le Fils en face de la Madone.

Dans le sens de circumnavigation qui prévalait dans les églises médiévales (et en particulier dans les cryptes), les fidèles pénétraient par l’escalier Sud et ressortaient par l’escalier Nord (flèche bleue). C’est donc juste avant de sortir qu’il contemplaient la fresque de la Madone : la circulation dans l’image (de droite à gauche et de bas en haut) bouclait la circulation dans la crypte, et appelait à la remontée.



Références :
[3] Bram Kempers and Sible de Blauuw, « Jacopo Stefaneschi, Patron and Liturgist: A New Hypothesis Regarding the Date, Iconography, Authorship, and Function of His Altarpiece for Old St. Peter’s », Mededelingen van het Nederlands Instituut te Rome 47 (1987), pp. 88-89
http://resources.huygens.knaw.nl/retroboeken/knir/#page=101&accessor=toc1&source=47
[4] « Vision, Devotion, and Self-Representation in Late Medieval Art » Alexa Sand
[5a] Ute Dercks, « Le chapiteau de la dédicace à Monreale et les chapiteaux historiés des cloîtres d’Italie méridionale et de Sicile » Cahiers de Saint Michel de Cuxa, vol XLVI, 2015 https://www.academia.edu/20773240/Le_chapiteau_de_la_d%C3%A9dicace_%C3%A0_Monreale_et_les_chapiteaux_histori%C3%A9s_des_clo%C3%AEtres_d_Italie_m%C3%A9ridionale_et_de_Sicile?email_work_card=title
[6a] Elizabeth den Hartog,   Romanesque sculpture in Maastricht, p 253
[7] « The Capocci Tabernacle in S. Maria Maggiore » Julian Gardner, Papers of the British School at Rome, Vol. 38 (1970), pp. 220-230
https://www.jstor.org/stable/40310686
[12] « Il ciclo di affreschi della cripta del Santuario di Santa Maria del Piano presso Ausonia », Gianclaudio Macchiarella, De Luca, 1981, p 103

2-2 la Vierge de Miséricorde

29 mai 2019

Une iconographie particulière se prête à l’insertion de portraits privés dans une scène sacrée, sans qu’il soit question à proprement parler de « donateurs » : c’est celle des Vierges au manteau et des Vierges de miséricorde (je reprends ici la distinction de Dominique Donadieu-Rigaut [1]).



La Vierge au Manteau

A l’origine, elle symbolise l’unité de l’ordre cistercien


Cette iconographie remontre précisément au Dialogus Miraculorum, un recueil rédigé entre 1217 et 1222 par un moine cistercien, Césaire de Heisterbach, racontant la vision mystique d’un autre moine. Les premières illustrations apparaissent entre 1320 et 1340 [0].


Jean de Cirey, Collecta privilegiorum ordinis cisterciensis, Dijon, imprimeur Petrus Metlinger, 1491. Dijon, Bibliotheque municipale
Jean de Cirey, Collecta privilegiorum ordinis cisterciensis, Dijon, imprimeur Petrus Metlinger, 1491. Dijon, Bibliothèque municipale (extrait de [1])

« L’effigie de la Vierge opère la « distinctio » avant tout selon le paramètre des sexes, les moines se groupant à sa droite et les moniales à sa gauche. L’institution des convers apparaît alors comme une sous-catégorie de la zone masculine, uniquement représentée par l’un de ses membres, barbu et non tonsuré, qui émerge sous la main de Marie plissant son manteau. À l’inverse, le versant féminin, ordonné en rangées parallèles, se montre d’une homogénéité parfaite. » (D.Donadieu-Rigaut [1])



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Jean Bellegambe 1507-08 Vierge des Cisterciens Musee de la Chartreuse Douai

Vierge des Cisterciens
Jean Bellegambe, 1507-08, Musée de la Chartreuse, Douai

« La famille cistercienne (masculine/féminine) agenouillée en contrebas, est abritée comme il se doit par le manteau marial largement écarté ; néanmoins, elle n’est pas intégrée au trône eucharistique, réservé à la Mère de Dieu. Une seconde enveloppe, ronde, surtout perceptible aux angles du panneau, intervient alors dans l’image afin de mieux englober l’ensemble de la scène, de circonscrire en un même lieu la Vierge et l’ordre cistercien. Les nuées floconneuses irradiées par une lumière divine chatoyante constituent cette seconde « enceinte ».
La base du trône, figurée comme un pied de calice, induit donc que le corps du Christ porté par Marie est un corps sacramentel destiné à fondre ceux qui l’avalent en un seul et même corps mystique. Dans cette perspective, les moniales et les moines cisterciens se muent non seulement en filles et fils de Dieu mais également en membres du corps christique. L’ordre élabore ainsi une image unitaire de lui-même calquée sur le modèle paulinien d’une Église christique corporéisée. » [2]



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D.Donadieu-Rigaut remarque avec justesse que l‘’agencement spatial sexué » ne fait que reproduire la manière dont les fidèles se plaçaient à l’intérieur des églises :

« L’édifice « réel » était au Moyen Âge socialement divisé en deux dans le sens de la longueur, le côté Sud (celui de l’Épître) étant réservé aux hommes, tandis que le côté Nord (celui de l’Évangile) accueillait les femmes dont la condition forcément pécheresse, précise Suger, nécessitait une plus grande proximité avec la parole divine. Cette distinction dans la « maison de Dieu » fut pensée en fonction d’un espace ecclésial en trois dimensions lui-même inscrit dans la croix idéale que forment les quatre points cardinaux, l’autel pointant l’Est. Aussi, dans l’édifice, la droite et la gauche ne prennent-elles sens qu’en relation avec la liturgie du chœur, l’officiant se déplaçant latéralement dans cet espace sacré qui lui est réservé pour énoncer tantôt la parole de Dieu, tantôt celle des Apôtres. » [1]



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Vierge au manteau, Escritel de la confrerie Notre-Dame du Puy d’Amiens, Amiens, vers 1490-1491 (c) Societe des Antiquaires de PicardieVierge au manteau, Escritel de la confrerie Notre-Dame du Puy d’Amiens
Amiens, vers 1490-1491 ©Société des Antiquaires de Picardie
1510 mariano di ser austerio Vierge au manteau Compagnia di Nostra Donna di Sant'Antonio a Porta Sole Galleria Nazionale PerouseVierge au manteau de la Compagnia di Nostra Donna di Sant’Antonio a Porta Sole
Mariano di Ser Austerio, 1510, Galleria Nazionale Perouse

Figure de cohésion d’un groupe, la Vierge au manteau n’induit pas systématiquement une dissymétrie entre ses deux flancs : ici, elle réunit équitablement tous les membres d’une confrérie masculine, ou tous ceux d’une confrérie féminine.



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1450-1500-Giorgio-schiavone-madonna-col-bambino-tra-santi-e-committenti-National-Museum-of-Art-of-Romania
Vierge à l’Enfant avec Saint Louis de Toulouse, Saint François, Saint Jérôme, Saint Nicolas, Saint Antoine de Padoue, Saint Bernardin de Sienne et un couple de donateurs
Giorgio Schiavone, 1450-1500 , National Museum of Art of Romania, Bucarest [1a].

Ce petit tableau votif ressemble à une Vierge au manteau qui accueillerait  deux pénitents seulement. Or dans cette iconographie, la présence de l’Enfant est rare, puisque la Vierge ne peut pas le tenir avec ses mains ; et sa posture assise, qui limite le tombé du manteau, est rarissime :  P.Perdrizet n’en a trouvé que quatre exemples ( [0], p 198).

On pourrait lire aussi la composition comme une scène habituelle de présentation d’un couple de donateurs à la Vierge, mais il n’y aurait alors qu’un seul Saint Patron de chaque côté et surtout l’épouse serait à droite (pour les rares exceptions, voir 1-3 Couples irréguliers).

Nous sommes donc face à une chimère iconographique totalement exceptionnelle, qui semble avoir pour but d’affirmer la solidarité du couple vis à vis de l’extérieur tout en lui déniant tout statut marital et en plaçant la femme seule en dialogue direct avec l’Enfant Jésus, sans aucune intercession ni des Saints ni de Marie. On ignore tout de la situation particulière qui a pu conduire à cette composition.


Madone_Victoire Mantegna 1495 Louvre
Vierge de la Victoire, Mantegna, 1495-96, Louvre

La seule composition comparable est cet ex-voto commandé pour l’église Santa Maria de la Vittoria de Mantoue, afin de commémorer la victoire de François II de Mantoue à Fornoue. Le manteau protecteur, tenu par les deux archanges guerriers Saint Michel et Saint Georges, inclut dans la proximité de la Madone à gauche François II, à droite Saint Jean Baptiste et sa mère Elisabeth tenant un chapelet. La taille humaine du donateur fait de cette composition une Conversation sacrée, très différente dans son esprit du panneau de Bucarest, avec ses donateurs de taille enfant.



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1491 ca Lorenzo d'Alessandro Madonna del Monte Eglise de Caldarola

Madonna del Monte,
Lorenzo d’Alessandro, 1491, Eglise de Caldarola

Cette composition très archaïsante a été commandée par le frère franciscain Francesco Piani, fondateur à Caldarola d’une confrérie de pénitents, qui gérait également le « Monte de Pieta » de la cité. Cette banque, fondée par les frères de l’Observance, fournissait une alternative chrétienne aux établissements bancaires juifs. [3]

L’inscription sur la ceinture de la Vierge, très effacée et incorrectement retranscrite au XIXème siècle, est partiellement intelligible :

« Mère maîtresse paix, Franciscus de la terre de Caldarola, Sous Moi Marie, de sa confraternité, de même je protége » MATER DOMINA PAX FRANC(ISC)US A TERRA CALDAROLAE SUB EGO MARIA CONFRATERNITAE SUAE IDEM ESSE TEGO

A l’intérieur de l‘enceinte de paix que forme la ceinture de la Vierge se trouvent deux plateaux, porteurs d’éléments qui semblent hétéroclites mais qui sont en fait très précisément répartis :

  • le plateau de gauche, porté par des bourgeois et les deux saints patrons de la ville (Saint Martin évêque et Saint Grégoire de Spolete) représente Caldarola : on y voit une bourse remplie de pièces d’or, un coffre à deux serrures avec l’inscription CONSERVA sur lequel est posé un livre de comptes et un trousseau de clé, une maquette de la cité entourée de rempart (qui renvoie au rempart spirituel de la ceinture) ;
  • le plateau de droite, porté par des pénitents et deux saints franciscains (Saint François et Saint Antoine de Padoue) représente la Confrérie : on y voit derrière les pénitents et les pénitentes, deux autres coffres à serrures multiples portant des livres de comptes, l’un marqué CONSERVA et l’autre MONS VIRGINIS (ils représentent sans doute les dépôts personnels des confères, et les fonds propres de la communauté).

Ainsi cette Vierge à l’Enfant – dont la tradition dit que les visages auraient été terminés par les anges – est aussi une des toutes premières publicité pour une banque.



La Vierge de Miséricorde.

Protection contre la colère divine.

« Lorsque la Vierge de Miséricorde protège la société tout entière, elle répartit la plupart du temps les laïcs en deux groupes de part et d’autre de son corps, les hommes à sa droite, les femmes à sa gauche«  [1]

En Italie, cette iconographie (ceinture haute, absence d’enfant) est une variante de la Vierge enceinte (Madonna del Parto) : les humains miniaturisés abrités à l’intérieur du manteau peuvent donc être vue comme la fratrie externe du divin foetus.


Piero della Francesca 1445-62 Polyptyque de la Misericorde Museo Civico di Sansepolcro

Polyptyque de la Miséricorde
Piero della Francesca, 1445-62, Museo Civico di Sansepolcro

« La Vierge de miséricorde couvre de son manteau ouvert (symbole de l’abside de l’église) ceux qui revendiquent sa protection représentés plus petits en taille… Une analyse géométrique révèle l’usage de deux cercles de composition évidents : l’un centré sur la figure de la Vierge et limité en haut par le cintre du panneau, l’autre englobant sa cape ouverte… Le peintre a probablement réalisé un autoportrait dans un des orants de gauche, celui du fond vu de face… Les autres visages seraient ceux de membres de sa famille. » [4]



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La seconde formule de la Vierge de la Miséricorde repose sur une autre séparation fondamentale : entre les clercs et les laïcs.


1452 Vierge_de_misericorde de la famille Cadard_Enguerrand_Quarton_-_Musee_Conde

Vierge de miséricorde de la famille Cadard
Enguerrand Quarton, 1452, Musée Condé, Chantilly

Le contrat établi entre le peintre et le commanditaire, Pierre Cadard, seigneur du Thor, indique qu’il s’agit du portrait posthume de ses parents, morts en 1449, destiné à sa chapelle privée [5]. La Vierge abrite sous son manteau à sa droite des personnalités religieuses, à sa gauche des laïcs. Les donateurs sont en dehors, présentés par leurs saints patrons : saint Jean Baptiste pour Jean Cadard et saint Jean l’évangéliste pour sa femme Jeanne des Moulins.

Pour D.Donadieu-Rigaut, ces différentes formules relèvent en définitive de la séparation fondamentale entre les genres :

« Le même procédé d’agencement est repris lorsque la division s’appuie non plus sur des critères de genre, ni sur des facteurs hiérarchiques internes à la communauté religieuse, mais sur la césure culturelle essentielle entre clercs et laïcs… Cette partition des membres d’une société donnée en fonction du genre semble donc constituer un paradigme culturel pour dire simultanément l’interdépendance de deux groupes sociaux et la subordination de l’un par rapport à l’autre. Les moniales au regard des moines, les convers au regard des religieux de chœur, les laïcs au regard des clercs occupent la position sociale, à la fois indispensable et subalterne, du Féminin face au Masculin. » [1]

Sur les rares exceptions à cet ordre, voir P.Perdrizet ([0], p 152).



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1464 Benedetto Bonfigli - Gonfalone di San Francesco al Prato Oratorio di San Bernardino, PerugiaBenedetto Bonfigli, 1464, San Francesco al Prato, Oratorio di San Bernardino, Pérouse 1472 Benedetto-Bonfigli-Gonfalone-di-Corciano-Benedetto Bonfigli, 1472, église de l’Assunta (anciennement à Saint Augustino), Corciano
1470-1480 cercle de Benedetto Bonfigli, Gonfanon, eglise Sant’Andrea e Biagio, Civitella Benazzone.Cercle de Benedetto Bonfigli, 1470-1480, église Sant’Andrea e Biagio, Civitella Benazzone 1482 Bartolomeo Caporali , Musee de Montone, provenant de l'église San Francesco del borgoBartolomeo Caporali , 1482, Musée de Montone, provenant de l’église San Francesco del Borgo

Ces gonfanons , destinés à être portés en tête des processions, ont été réalisés dans l’urgence par les quatre cités, pendant une épidémie de peste. Le premier a servi de modèle aux autres, pour une composition très stéréotypées qui montre, de bas en haut :

  • une vue de la cité, vainement protégée par ses remparts ;
  • les paroissiens et les paroissiennes,
  • saint Sébastien et Saint Bernardin de Sienne (en tant que spécialistes de la peste), accompagnés par le saint patron de la paroisse (François, Augustin ou André) toujours en position d’honneur ;
  • le manteau de la Vierge qui arrête les traits décochés par Jésus ou Dieu le Père courroucé.

A noter que la sainteté protège contre la colère divine : dans le gonfanon de Pérouse, saint Laurent, saint Herculan de Pérouse, saint Louis de Toulouse, saint Constant d’Ancône et saint Pierre martyr sont placés en dehors du manteau.


1526 gonfalone-berto-di-giovanni cattedrale di San Lorenzo Pérouse
Berto di Giovanni, 1526, cathédrale de San Lorenzo, Pérouse 

Il existe bien d’autres types de gonfanons contre la peste, sans Vierge de miséricorde. Pour boucler la boucle en Ombrie, voici le dernier, réalisé à Pérouse à l’occasion de la peste de 1526. La composition a évolué vers plus de rationnalité, plaçant en haut les habitants du Ciel, au centre la cité et en bas les habitants de la Terre. Cette ségrégation verticale s’accompagne paradoxalement d’un mélange horizontal, puisqu’au premier plan les sexes ne sont plus rigoureusement séparés. D.Arasse attribue cette mixité relative à l’influence de la Transfiguration de Raphaël [6].


1526 gonfalone-berto-di-giovanni cattedrale di San Lorenzo Pérouse detail 1526 gonfalone-berto-di-giovanni cattedrale di San Lorenzo Pérouse detail deoit

Une autre explication tient aux deux caravanes d’hommes, de femmes et d’enfants mélangés, qui fuient la ville par toutes les portes en laissant des cadavres au bord de la route.



1526 gonfalone-berto-di-giovanni cattedrale di San Lorenzo Pérouse detail3
Ce gonfanon nous fait comprendre que le monde de la peste est un monde bouleversé, où les sexes se mélangent, où les remparts de pierre ne sont plus une protection mais une prison et où la seule protection efficace est le rempart de la foi – qu’il soit matérialisé par le manteau de Marie ou bien, comme ici, simplement évoqué par la banderole autour du groupe de rescapés (réminiscence aussi de la ceinture de la Vierge).



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Diego_de_la_Cruz,_La_Virgen_de_la_Misericordia_con_los_Reyes_Católicos_y_su_familia. 1485 ca Monasterio_de_las_Huelgas,_Burgos

La Vierge de Miséricorde avec les Rois Catholiques
Diego de la Cruz, vers 1485, Monasterio de las Huelgas, Burgos

Famille royale, famille monastique

La couronne de Marie est la même que celle des rois catholiques et le dessin de sa tunique présente une certaine ressemblance avec celle du roi Ferdinand II, agenouillé et placé à sa droite au premier rang ; à côté, le prince héritier et le cardinal Mendoza et derrière, la reine Isabelle et deux infantes.

Du côté gauche, s’étagent des moniales cisterciennes : la donatrice agenouillée, l’abbesse avec sa crosse suivie de cinq religieuses.

Tandis que la famille royale s’agenouille devant le pouvoir divin, les membres du clergé (cardinal et religieuses) restent debout.


Les deux démons

Diego_de_la_Cruz,_La_Virgen_de_la_Misericordia_con_los_Reyes_Católicos_y_su_familia. 1485 ca Monasterio_de_las_Huelgas,_Burgos detail

Chacun a sa spécialité : celui de gauche décoche des traits qui menacent la famille royale (flèches des batailles ou de la peste).

A droite :

« le démon chargé de livres pourrait bien être Titivillus, démon d’origine non européenne qui hante les monastères, récoltant tous les péchés commis pendant la prière. On le décrit comme un démon cultivé et éclairé, qui note sur parchemin les phrases mal prononcées, les litanies expédiées en sautant des syllabes ou des mots, les psaumes chantés nonchalamment. Il note également le comportement des femmes qui bavardent pendant la messe ou de celles qui ne font pas attention dans leur travail. Tout ceci est inscrit dans le registre de San Michell le jour du jugement. » [7]



Pour terminer cet article, voici le cas amusant d’une Vierge de la Miséricorde privatisée à l’intention d’une seule famille.

1514-15 Pordenone pala-della-misericordia_Eglise de Pordenone
Pala della Misericordia
Pordenone, 1514-15, Cathédrale San Marco, Pordenone

Le prix de ce tableau, 47 ducats d’or, est stipulé dans le testament du donateur, Giovanni Francesco Tiezzo, un tisserand infirme qui léguait par la même occasion des terres au peintre. La Vierge abrite à sa gauche les femmes de la famille : son épouse Lucia et ses nièces Maria et Aloisa ; à sa droite le donateur, et un personnage masculin inconnu.

L’originalité est ici la présence de la Sainte Famille au dessus de la famille humaine, avec Saint Joseph portant Jésus. Ainsi que la présence d’un second Enfant Jésus, sur les épaules de saint Christophe muni de son bâton fleurissant : sans doute pour illustrer que le divin enfant lui-même a échappé aux périls de l’existence, mais aussi pour rajouter, à côté de la Vierge de la Miséricorde, une seconde puissante figure protectrice: ceinture et bretelle en quelque sorte.

La position de Saint Christophe, face au Noncello, rivière navigable dont dépendait le tisserand, a certainement aussi à voir avec la protection particulière contre les périls de la navigation.


Références :
[0] Paul Perdrizet, La Vierge de Miséricorde. Étude du thème iconographique, Paris, Albert Fontemoing éditeur, coll. « Bibliothèque des Écoles françaises d’Athènes et de Rome no 101 », 1908 https://archive.org/details/bibliothquedes101ecoluoft/page/n9/mode/2up
[1] Dominique Donadieu-Rigaut, « Les ordres religieux et le manteau de Marie », Cahiers de rec erches médiévales mis en ligne le 13 mars 2008
http://journals.openedition.org/crm/391
[1a] L’inscription en deux parties, sur les deux montants du trône (MADONNA DEL ZOPPO DI SQUARCIONE) est considérée comme hautement suspecte par le spécialiste du peintre Marco Zoppo. Voir  Lilian Armstrong The paintings and drawings of Marco Zoppo 1936, p 112
[3] Giuseppe Capriotti, « Gestire il denaro, gestire la salvezza. Tre immagini a sostegno del Monte di Pietà: Marco da Montegallo, Lorenzo d’Alessandro e Vittore Crivelli » https://riviste.unimc.it/index.php/cap-cult/article/view/114/87
[5] L’École d’Avignon, Michel Laclotte, Dominique Thiébaut ,1983, cat n0 52
[6] Daniel Arasse, « Saint Bernardin de Sienne – Entre dévotion et culture : fonctions de l’image religieuse au xve siècle » dans « Faire croire. Modalités de la diffusion et de la réception des messages religieux du XIIe au XVe siècles », Actes de la table ronde de Rome (22-23 juin 1979), Publications de l’École française de Rome https://www.persee.fr/doc/efr_0000-0000_1981_act_51_1_1374

2-1 Avec la Madone : en vue de profil

29 mai 2019

Commençons par mettre à part le cas où le donateur se présente en face de la Madone mais où, la scène étant vue de profil, il apparaît pour le spectateur à gauche ou à droite de la Madone : dans ce cas, l’ordre héraldique ne joue pas.



1415-86 ventura-di-moro-enthroned-madonna-with-child,-saint-anthony-abbott-and-two-praying-donors coll priv
Vierge à l’Enfant avec deux donateurs présentés par Saint Antoine Abbé
Ventura di Moro, 1415-86, collection privée

Tout en montrant clairement que les suppliants se présentent face au trône, la composition obéit moins à une logique spatiale qu’à une logique géométrique qui règle la taille des personnages.



1415-86 ventura-di-moro-enthroned-madonna-with-child,-saint-anthony-abbott-and-two-praying-donors coll priv schema

Dans le triangle profane, en bas, le piédestal, le père et son fils reproduisent, en miniature, le même étagement que dans le triangle sacré : le fronton, la Mère et l’Enfant. A cheval sur la diagonale, Saint Antoine Abbé (accompagné de son cochon noir), de taille intermédiaire entre Marie et le père, se trouve également en position intermédiaire entre le triangle humain et le grand triangle vide qui manifeste la suprématie du Divin. Le Trône, dont un des pinacles baigne dans ce triangle doré et l’autre clôt le panneau sur sa droite, apparaît comme une sorte de sas, d’ascenseur par lequel la Famille sacrée est venue à la rencontre de la famille humaine.


1415-86 ventura-di-moro-enthroned-madonna-with-child,-saint-anthony-abbott-and-two-praying-donors coll priv detail

D’après les habits sombres du fils, on pense que le tableau commémore son entrée au monastère [1].


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1435 Eyck_madonna_rolinLa Vierge du Chancelier Rolin, 1435, Louvre, Paris

 

1445 Maelbeke_Madonna_Triptych_After_van_EyckMadone de Nicolas de Maelbeke, , van Eyck 1439-41, copie XVIIIème

Rappelons que deux des cinq Madones avec donateur de van Eyck obéissent à cette composition (voir  1-2-3 La Vierge du Chancelier Rolin (1435) et 1-2-5 Les Madones de Nicolas de Maelbeke (1439-41) et de Jan Jos (1441) )


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1455 Miniaturiste parisien Heures de Simon de Varye, La Haye Koninklijke Bibliotheek, Ms. 74 G 37, fol. 1r.
Heures de Simon de Varie, 1455, La Haye, Koninklijke Bibliotheek, Ms 74 G 37 fol 1r

Simon de Varie, grand commis de l’État, appréciait de se faire représenter vêtu en chevalier.  C’est ainsi qu’il apparaît une première fois, de manière conventionnelle, agenouillé respectueusement derrière son prie-dieu, en position d’humilité à la gauche  de la Vierge,


1455 Jean_Fouquet_Heures de Simon de Varye, Getty Museum Vierge 1455 Jean_Fouquet_Heures de Simon de Varye, Getty Museum

Jean Fouquet, 1455, Heures de Simon de Varie, Getty Museum, Malibu

Il décida un peu plus tard d’améliorer son livre d’Heure en commandant au célèbre peintre Jean Fouquet un frontispice montrant la même scène, mais en « bifolium » (diptyque dans un livre) et en perspective [2]. Tout en conservant en apparence sa position d’humilité à la gauche de Marie, Simon se trouve en fait en face d’elle (comme le montre le carrelage continu d’une page à l’autre) et sans prie-dieu de séparation : seul le fond – dais de velours rouge contre mur gris plus lointain de la chapelle – rend honneur aux personnages sacrés.

En même temps que cette intimité accrue avec la Vierge se sont multipliées les marques de personnalisation, grâce auxquelles d’ailleurs François Avril a pu résoudre l’énigme de l’identité du propriétaire [3] :

  • écus aux armes de Simon (trois heaumes, plus tard surchargés par trois fleurs de lys) ;
  • sa devise personelle (Vie a mon desir, une anagramme de son nom) ;
  • sa devise familiale (Plus que iamais).


Autres subtilités (SCOOP !)

1455 Jean_Fouquet_Heures de Simon de Varye, Getty Museum ancolies

La présence des ancolies n’a pas été expliquée : peut être est-elle tout simplement due au caractère variable de ces fleurs, qui ne s’ouvrent pas toutes en même temps. A noter le détail amusant de la chenille, petite créature démoniaque à proximité de la pomme tendue par l’Enfant Jésus, nouvel Adam.



1455 Jean_Fouquet_Heures de Simon de Varye, Getty Museum detail heaume
Noter à ce sujet le parallélisme remarquable entre le geste de Marie couronnée présentant l’Enfant, et de la dame d’honneur en hénin présentant le heaume : comme pour nous faire comprendre que le bras enfantin offrant le fruit est plus puissant que le bras d’acier brandissant l’épée brisée.


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Jean_Fouquet_Heures_Etienne_Chevalier_Vierge_gauche Jean_Fouquet_Heures_Etienne_Chevalier_Vierge_droite

Étienne Chevalier en prière devant la vierge (extrait du « Livre d’Heures »)
Fouquet, entre 1452 et 1460, Musée Condé, Chantilly

A cette période, Fouquet a utilisé le même type de vue de profil pour un autre fonctionnaire royal fortuné, Étienne Chevalier, placé cette fois sur la page de gauche (voir Le diptyque d’Etienne)


1460-65 Fouquet Guillaume Jouvenel des Ursins Louvre Paris
Guillaume Jouvenel des Ursins
Fouquet, 1460-65, Louvre Paris

Il est probable que ce diptyque peint, dont le panneau droit a été perdu, relevait du même type de composition en vue de profil,


1435 Eyck_madonna_rolinLa Vierge au Chancelier Rolin, Van Eyck, vers 1435 Louvre, Paris 1480-1520 Horae_ad_usum_Parisiensem__BNF MS LAT 1161 fol 290r ressemble a RollinHorae_ad_usum_Parisiensem,
1480-1520, BNF MS LAT 1161 fol 290r

Dans tous ces cas, la position apparente « à droite de la Vierge » n’est pas une infraction plus ou moins orgueilleuse à la règle héraldique, mais la simple conséquence de la position « de face », en vue de profil.


La Madone de profil en Italie

 

1539 Moretto,_pala_rovelli Pinacoteca Tosio Martinengo di Brescia

Pala Rovelli
Moretto, 1539, Pinacoteca Tosio Martinengo, Brescia

Le grand panneau de gauche a été dédié à la Vierge Génitrice et à Saint Nicolas de Bari par le maître d’école Galeazzo Rovelli et ses élèves, comme l’indique le parchemin déchiré au bas du piédestal.


Une architecture maternalisée

Les différents signes de vieillissement (mosaïque dégradée de l’abside, traînées d’humidité sur le marbre, herbes poussant sur la corniche) doivent probablement être compris selon la rhétorique de l’humilité : tout comme elle a accouché dans une crèche, c’est dans un palais décrépit que la Mère de Dieu vient accueillir les enfants. Elle montre à son fils les deux petits présentés par le Saint et qui portent ses attributs habituels, la mitre et les trois boules dorées. Dans le dos de Saint Nicolas, un troisième est absorbé dans la lecture de son missel, tandis que le quatrième porte un long « cierge », qui fait pendant à la crosse.


Un objet-mystère (SCOOP !)

1539 Moretto,_pala_rovelli Pinacoteca Tosio Martinengo di Brescia detail
Sur le globe du sommet fleurissent trois oeillets, faciles à confondre avec les plantes de la corniche – ce qui explique peut-être la présence de celles-ci : rendre le symbole (les trois clous de la Passion dominant la Terre) plus difficile à trouver.

Une autre devinette est posée par les trois trios de pièces d’or fichées dans l’objet [4], et qui semblent faire écho aux trois boules dorées du Saint. Il s’agit d’une allusion à un épisode à rebondissements raconté par La Légende Dorée, et qui explique pourquoi Saint Nicolas est, encore aujourd’hui, le patron des prêteurs sur gage :

« Certain homme avait emprunté de l’argent à un Juif, en lui jurant, sur l’autel de saint Nicolas, de le lui rendre aussitôt que possible. Et comme il tardait à rendre l’argent, le Juif le lui réclama : mais l’homme lui affirma le lui avoir rendu. Il fut traîné devant le juge, qui lui enjoignit de jurer qu’il lui avait rendu l’argent. Or l’homme avait mis tout l’argent de sa dette dans un bâton creux, et, avant de jurer, il demanda au Juif de lui tenir son bâton. Après quoi il jura qu’il avait rendu son argent. Et, là-dessus, il reprit son bâton, que le Juif lui restitua sans le moindre soupçon de sa ruse. Mais voilà que le fraudeur, rentrant chez lui, s’endormit en chemin et fut écrasé par un chariot, qui brisa en même temps le bâton rempli d’or. Ce qu’apprenant, le Juif accourut : mais bien que tous les assistants l’engageassent à prendre l’argent, il dit qu’il ne le ferait que si, par les mérites de saint Nicolas, le mort était rendu à la vie : ajoutant que lui-même, en ce cas, recevrait le baptême et se convertirait à la foi du Christ. Aussitôt le mort revint à la vie ; et le Juif reçut le baptême. »

Le bâton ici représenté est donc triplement édifiant, illustrant simultanément , la malhonnêtété d’un chrétien, l’honnêteté d’un juif, et la toute puissance du Saint aux boules dorées en matière de caution bancaire.



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1567-70 Moroni Mariage mystique de Ste Catherine eglise d'Almenno San Bartolomeo
Mariage mystique de Ste Catherine
Moroni, 1567-70, Eglise de San Bartolomeo, Almenno

Trente ans plus tard, Moroni, a recopié la composition de son maître presque à l’identique : la Vierge désigne maintenant à l’Enfant Jésus non pas de potentiels camarades de jeu, mais sa potentielle épouse (mystique). Le décor est lui-aussi identique, jusqu’au parchemin déchiré du premier plan, mais les autres signes de décrépitude ont disparu. Tandis que l’Enfant continue à tenir sa pomme (au lieu de tendre un anneau nuptial à Sainte Catherine, selon l’iconographie classique), on peut se demander s’il ne faut pas voir dans l’abside dorée, dans la couronne tenue par la sainte, dans les deux auréoles en lévitation horizontale (un « truc » de Moretto [5]) autant de substituts de l’Anneau manquant.


1560 ca Giovanni_Battista_Moroni_-_A_Gentleman_in_Adoration_before_the_Madonna_-_National_Gallery_of_Art

Homme adorant la Madone
Giovanni Battista Moroni, vers 1560, National Gallery of Art, Washington

 

Dans cette composition typique des tableaux de dévotion de Moroni, le cadrage serré place le donateur en position d’humilité à main gauche de la Madone alors qu’il est en fait agenouillé en face d’elle, comme le montre la différence de taille.


1540-50 Madonna and Child with Saints Catherine and Francis and the Donor by Giovan Battista Moroni Brera Milan
Vierge à l’Enfant avec Sainte Catherine, Saint François et un donateur
Giovan Battista Moroni, 1540-50, Brera, Milan

Moroni modernise ici la formule de la Conversation Sacrée (voir 6-4 …en Italie, dans une Conversation sacrée) en plaçant le donateur non pas aux pieds de son Saint Patron, mais de l’autre côté d’un parapet, en contrebas (voir 2-8 Le donateur in abisso). L’iconographie n’est pas non plus celle de la Vierge à l’Enfant, mais celle du Mariage mystique de Saint Catherine : ici l’Enfant lui offre non pas un anneau nuptial, comme à l’ordinaire, mais une rose rouge.


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1567 Camerlenghi Madonna St Sebastien Marc Theodore(Madonna of the Treasurers) Tintoret Accademia Venise

Madone des Camerlingues
1567, Tintoret, Accademia, Venise

Mis au point  à Venise, le format panoramique se prête aux grandes décorations officielles. Il permet ici d’isoler trois groupes de personnages :

  • au centre les trois donateurs (les magistrats Michele Pisa, Lorenzo Dolfin et Marin Malipiero)
  • à droite leurs trois secrétaires, dont le premier se courbe sous le poids d’un sac rempli d’or.
  • à gauche, la Vierge est quant à elle entourée par trois saints (Sébastien, Marc et Théodore) en lesquels on pressent d’autres portraits cachés (ce ne sont pas en tout cas les saints patrons des donateurs) ;
  • à l’extrême gauche, le personnage barbu qui passe sa tête par le rideau est très probablement Tintoret.

A la fois hiérarchique et flatteuse, la composition file la métaphore entre les trois Rois Mages et les trois donateurs, tout en suggérant qu’ils se trouvent, vis à vis de la Madone, dans le même rapport de subordination et d’intimité que les secrétaires vis à vis des magistrats.

L’inscription en trois mots en bas à gauche « Unanimus Concordiaie simbolus » (Symbole unanime de la Concorde) traduit bien le sujet du tableau : la volonté vénitienne d’unité, aussi bien entre les citoyens et leurs dirigeants, qu’entre ceux-ci et les autorités supérieures.



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1571 Paolo_Veronese The_Madonna_of_the_Cuccina_Family_Gemaldegalerie Dresde

La Madone de la famille Cuccina
Véronese, 1571, Gemäldegalerie, Dresde

Le format panoramique est ici récupéré, dans un contexte privé, pour orner une des pièces du palais des Cuccina, sur le grand canal (il est représenté à droite).



1571 Paolo_Veronese The_Madonna_of_the_Cuccina_Family_Gemaldegalerie Dresde schema

Tout en isolant la Conversation Sacrée à gauche des colonnes, Véronèse insère les trois Vertus théologales au sein de la famille humaine. S’il positionne les époux selon l’ordre héraldique, il place les enfants sans tenir compte de l’âge, et traite les deux frères de manière dissymétrique, mais néanmoins égalitaire : l’un est plus près de la Madone, l’autre bénéficie de deux Vertus. Loin d’une présentation officielle, l’impression recherchée est celle d’une famille prise sur le vif, cohabitant avec la Madone dans l’intimité de sa demeure.



1571 Paolo_Veronese The_Madonna_of_the_Cuccina_Family_Gemaldegalerie Dresde ensemble

Les quatre panneaux qui décoraient la salle proposent la même lecture de droite à gauche. Cependant, ils ne sont pas conçus pour être découverts en pivotant sur soi même : la Présentation à la Madone est clairement le panneau central d’un triptyque de scènes glorieuses : à gauche l’Adoration des Mages développe la Conversation Sacrée, à droite les Noces de Cana se placent dans la continuité du Palais Cuccina, comme si elles s’y déroulaient.

C’est ensuite, en se retournant, que le spectateur se trouve confronté à la seule scène tragique, celle du Portement de Croix.



Références :
[1] https://www.salamongallery.com/dipinti_opera.php?codice=126
[3] Miniatures inédites de Jean Fouquet : Les Heures de Simon de Varie James H. Marrow, traduit par Monique de Vignan
Revue de l’Art Année 1985, 67, pp. 7-32 https://www.persee.fr/doc/rvart_0035-1326_1985_num_67_1_347496

Autour de Julie Duvidal : les marquis de Montferrier

12 mars 2019

La vie et l’oeuvre de Julie Duvidal, portraitiste, est maintenant assez bien connue [1]. Mais autour d’elle, ont existé dans la famille de Montferrier d’autres portraits, parfois par de grands peintres, dont il ne nous reste aujourd’hui que quelques photographies.

C’est l’occasion de cette petite généalogie illustrée de la famille des Duvidal de Montferrier, d’abord en remontant dans l’Ancien Régime, puis en descendant le cours du XIXème et du XXème siècles.

Les illustrations non attribuées ci-après proviennent de la collection personnelle de Mr Nicolas Gladysz, que je remercie pour son soutien et sa sagacité.

Les dates ont été vérifiées et souvent corrigées par Mr Jacques Tuchendler, qui a bien voulu me communiquer  par avance le résultat de ses recherches [1a].

Son père  : Jean-Jacques du Vidal,

deuxième marquis de Montferrier (1752 – 1829)

Duvidal gen 1

Le père de Julie a eu quatre vies, passant à travers les changements de régime en perdant une bonne partie de sa fortune, mais ni son dynamisme ni son entregent. [2]


Première vie : le Languedoc sous l’Ancien Régime (1752-1789)

augustin-pajou-la-marquise-de-montferrier

Le marquis et la marquise de Montferrier, par Pajou, 1781, collection privée

  • 1781 : il épouse à Paris Charlotte de Chardon (1756-1824) , fille  d’un grand administrateur de la Marine et des Colonies [9a], dont il a rapîdement une fille, Rose.
  • Jusqu’en 1789, Jean-Jacques du Vidal fut l’un des trois syndics généraux du Languedoc, comme avant lui son père et son grand-père. Administrateur de haut niveau, le syndic général était une courroie de transmission essentielle entre les Etats de la province et les administrations royales.


Deuxième  vie : Paris durant la Révolution (1789-1799)

  • 1789 : après l’abolition des Etats provinciaux, il se cache quelque mois dans son château de  Montferrier puis abandonne définitivement le Midi pour s’installer à Paris.
  • 1794 : jouissant d’une réputation de philanthrope, il ne subit qu’un court séjour en prison [3]. Sa femme ayant préféré émigrer, il divorce.
  •  1795 : il épouse Jeanne Delon (1762-1831), la nounou de sa fille, qui l’avait accompagnée depuis Montpellier  et  qui savait à peine lire [1a],[4].
  • 1797 : Julie naît.

1750-1821 Jean Jacques Duvidal Marquise jeanne Delon coll Gladysz

Jeanne Delon, seconde épouse du marquis de Montferrier

Ce tableau, identifié comme étant celui de Jeanne Delon par une mention manuscrite au dos de la photographie, est une énigme iconographique et historique.

Notons d’abord que, si le cadre est très similaire à celui de la marquise Anne de Fournas de la Brosse (voir ci-après), la pose est nettement moins officielle : le bracelet à l’antique, le ruban dans les cheveux, le robe lacée haut, et les deux fleurs écloses, plus un bouton de rose suggestif à l’emplacement du téton, signalent l’alibi mythologique habituel pour les portraits quelque peu osés : il s’agit d’une dame « en Vénus ».

Jeanne Delon était bien la nounou de Rose, elle a dû servir chez les Duvidal vers 1781, à l’âge de 19 ans : était-il concevable que le marquis, amateur d’art mais jeune marié, ait engagé cette dépense pour  immortaliser  une servante, si belle soit-elle ?

Date-t-il d’après son second mariage à Paris, en 1795 ? Jeanne avait alors 33 ans. Il n’est pas inconcevable que l’ex-marquis désargenté (en 1797, il vend l’hôtel de la rue de l’Aiguillerie et en 1798 le château) ait néanmoins décidé de rendre hommage à sa seconde épouse à la fois en marquise et en Vénus dans un style ostensiblement Ancien Régime….


1750-1821 Jean Jacques Duvidal Marquise jeanne Delon coll Gladysz detail roses

Le détail des roses suggère une hypothèse de datation : la fleur de gauche, tournée vers l’arrière représenterait la première épouse, qui venait de disparaître de sa vie ; et la tige que tient la jeune femme représenterait la nouvelle branche de sa vie, porteuse de boutons encore dans l’ombre. Celui qui est mis en pleine lumière serait pour ainsi dire le premier « portrait de Julie », peint en 1797 à l’occasion de sa naissance.


Troisième vie : le Consulat et l’Empire (1800 – 1815)

Duvidal President du Consulat 1804, esquisse de Julie Duvidal coll Gladysz Copyright KIK-IRPA,Bruxelles.
 
Duvidal, Président du Tribunat en 1804,
Copyright KIK-IRPA,Bruxelles  http://balat.kikirpa.be/object/11055545
 

Une fois Cambacérès devenu Second Consul, le sieur Duvidal se voit confier des postes administratifs importants :

  • 1803 : il obtient a Légion d’Honneur ;
  • 1804 : il est nommé président du Tribunat ;
  • 1807 : Maître à la Cour des Comptes,
  • 1808 : Chevalier de l’Empire.

On dit qu’une camaraderie de régiment avec le jeune Napoléon Bonaparte aurait pu faciliter ces promotions. Enfin son appartenance maçonnique, ainsi que celle de sa femme, ne gâtait rien.

  • 1800 :  Zoë naît, suivie en 1801 de Jean-Armand.
  • A signaler en 1800 un des mariages les plus retentissants du Consulat entre sa fille Rose (celle de son premier mariage) et le banquier Basterrèche, richissime mais « le plus effroyable des monstres » [4], ce qui inspira à Bonaparte cette forte sentence : « Ah ! Le présent fait oublier le futur ! ». Ledit banquier eut le bon goût de décéder 18 mois plus tard, laissant Rose veuve et fortunée.


Quatrième vie : la Restauration (1815 – 1829)

  • 1815 : Duvidal est tout bonnement restauré dans son marquisat, et confirmé dans ses fonctions à la Cour des Comptes
  • 1827 : il prend sa retraite

Ainsi la vie de Jean-Jacques Philippe du Vidal, toute de compétence, de connivences de classe et d’une bonne dose d’ambition, éclaire cet esprit de continuité qui se lit dans le pendant imaginé par sa fille aînée à l’aube de sa carrière artistique, ainsi que la volonté d’excellence et la confiance en sa séduction.


Le grand-père : Jean-Antoine du Vidal,

premier marquis de Montferrier (1700 – 1786)

Duvidal gen 2


1701-1786 Jean Antoine Duvidal 1er Marquis par Tocque coll Gladysz

Jean Antoine Duvidal, portrait par Tocqué

Sa biographie nous est connue notamment par l’hommage que lui fit, à sa mort, la Société Royale des Sciences de Montpellier [5]


Un jeune homme des Lumières

  • Il prête serment comme avocat, mas étudie également les mathématiques, la physique, l’anatomie.
  • 1727 : adjoint anatomiste à la Société Royale des Sciences de Montpellier
  • 1729 : mémoire sur une « trombe terrestre » qui avait fait de grands dommages dans la région de Montpellier


Un homme de pouvoir

  • 1732 : voyage à Paris en remplacement de son père malade, pour remettre les Cahiers de Doléances
  • 1733 : à la mort de son père, il devient Syndic général des Etats de Languedoc. On lui doit la construction du nouveau pont du Gard, à côté du monument romain, l’introduction en Languedoc des moulins à la Vaucanson.
  • 1749 : mariage avec Marie-Rose Vassal
  • 1762 : consul général de la noblesse aux Etats du Languedoc

Il est membre de la loge de la Triple alliance (parmi la trentaine de loges qui se créent à cette époque à Montpellier), pour laquelle il recrute son futur beau-frère Jacques de Cambacérès. Son beau-père Jean Vassal est également Franc-Maçon [3a].


Le premier marquis de Montferrier

  • 1763 : à l’occasion du don fait au roi d’un vaisseau de cent canons ([6], p 78) , il obtient l’érection en marquisat de ses seigneuries de Montferrier et de Baillarguet ([7], p 43)


Armorial_des_Etats_de_Languedoc_Gastelier de La Tour, 1767Armorial des États de Languedoc, Gastelier de La Tour, 1767 Armoiries des Duvidal de Montferrier

L’Armorial de 1767 mentionne sa qualité de marquis, et montre les armoiries des Duvidal, celles qui figurent sur son portrait.

Mais de plus en plus souvent, par la suite, les Marquis écartèleront les armes des Du Vidal avec celles des Montferrier : « d’or à trois fers à cheval de gueule, chargés d’une étoile d’argent », accompagné de la fière devise « Au triomphe mon fer i est« 


Vue topographique du Chateau de Montferrier en 1764 coll Gladysz

Vue topographique du Château  de Montferrier en 1764
(Oeuvre de commande du Marquis Abel de Montferrier vers 1913),  collection Gladysz

Il fait complètement reconstruire le vieux château de Montferrier, et le transforme en un des plus beaux châteaux du Languedoc (il sera détruit à la Révolution).


Hotel de Montferrier Hotel de Montferrier bis

Hôtel de Montferrier, 23 rue de l’Aiguillerie à Montpellier.

Ayant vendu à faible prix sa source du « Boulidou » à la ville de Montpellier et autorisé le passage sur ses terres de l’aqueduc de la Lironde (qui relie celui des Arceaux) il obtient en 1775, luxe inouï, une prise d’eau particulière sur le tuyau qui traversait son hôtel pour alimenter la fontaine publique de la place Pétrarque. [8]


reportage-46-1 reportage-46-2

Trois siècles plus tard, l’eau est toujours gratuite pour les habitants de l’ancien hôtel particulier. [9]


L’arrière grand-père de Julie :

Jean-Antoine du Vidal (1665- 1733)

Duvidal gen 3

1669-1733 Jean Antoine Duvidal version couleurJean-Antoine du Vidal (recolorisé), attribué à Hyacynthe Rigaud 1669-1733 Jean Antoine Duvidal Epouse De la Brosse par Mignard coll GladyszAnne de Fournas de la Brosse, attribué à  Mignard
1696 Rigaud autoportrait au manteau bleu chateau de Groussay.Autoportrait au manteau bleu , 1696, Hyacynthe Rigaud, château de Groussay 1669-1733 Jean Antoine Duvidal Epouse De la Brosse par Mignard coll Gladysz reversRevers de la photographie ci-dessus

L’attribution à Rigaud est incertaine [10]. On peut néanmoins  noter la  grande ressemblance avec l’autoportrait de Rigaud qui doit dater de la même époque.

  • 1689 : épouse Anne de Fournas de la Brosse [10a]
  • 1691 : succède à son père comme Conseiller Maître en la Cour des Comptes Aides et Finances de Montpellier
  • 1704 : Syndic général des Etats de Languedoc
  • 1707 : obtient la survivance de sa charge, pour son fils.


1669-1733 Jean Antoine Duvidal Portrait en robe coll Gladysz

Jean-Antoine du Vidal, en robe de conseiller

La famille possédait un second portrait au même âge, mais en habit de conseiller : il était peut-être destiné à l’hôtel de Montpellier, le  pendant avec son épouse, en habit de grand seigneur,  étant pour le  château de Montferrier [10b].
.



Son arrière-arrière grand-père :

Antoine du Vidal, bourgeois de Montpellier (1621-1690)

  • Lieutenant de cavalerie
  • 1675 : ennobli par la charge de Secrétaire du Roi, nommé Conseiller Maître en la Cour des Comptes Aides et Finances de Montpellier


Montferrier don Leopold HugoColline basaltique de Montferrier (don de Léopold Hugo en 1890 à la société de géographie) Montferrier sur LezMontferrier aujourd’hui
  • 1684 : achète la coseigneurie de Montferrier en 1683 à Louise de Baudan veuve de Pierre Dhauteville pour 49.000 livres et l’année suivante acquiert l’autre moitié de Montferrier au marquis de Toiras. D’après une tradition que certains généalogistes mettent en doute ([11], p 329) et que d’autres confirment ([12], p 17) , les anciens seigneurs de Montferrier auraient pris le nom de Du Vidal en 1386 : le château ne faisait donc que revenir dans la lignée.
  • Il démolit le château féodal et le reconstruit en style Louis XIV.
  • 1687 : Premier consul de Montpellier



L’énigme du mestre de camp

Inconnu en armure coll GladyszJacques de Montferrier, Mestre de Camp 1701-1786 Jean Antoine Duvidal 1er Marquis par Tocque coll GladyszJean-Antoine du Vidal, premier marquis

Ce tableau aujourd’hui perdu pose un épineux problème, dont voici les données :

  • l’inscription, très peu lisible, semble être « JACQUES DE MONTFERRIER <…> MESTRE DE CAMP
  • son cadre ainsi que la position des armoiries, identiques à celles du portrait de Jean-Antoine du Vidal, semble en avoir fait une sorte de pendant ;
  • les armories sont celles des Duvidal de Montferrier, munies de la couronne de marquis, ce qui place le portrait après 1763 (érection du marquisat) ;
  • l’homme porte une armure et une décoration de type militaire (sans doute la plus courante à l’époque pour les militaires méritants : celle de l’Ordre de Saint Louis).



Inconnu en armure detail

Détail des armoiries et de la décoration

L’opuscule d’Etienne Dalvy [13] comporte une mention intéressante sur les membres de la famille Montferrier ayant fait une carrière militaire :

« Hannibal de Montferrier du Vidal, tué à Lens en 1638 ; Samuel du Vidal de Montferrier, tué à Slaffarde, 1690, qui servirent sous le duc d’Enghien et Turenne ; Jacques de Monlferrier. mestre de camp de cavalerie, qui se conduisit héroïquement à Minden. »

Dans l’annuaire des membres de l’Ordre de Saint Louis [14], on trouve un chevalier de Vidal (sans prénom), reçu dans l’ordre en 1740 en tant que Capitaine au régiment de Picardie, et mort en 1759 à la bataille de Minden, toujours en tant que Capitaine. En admettant que cet officier ait eu une trentaine d’années lors de son entrée dans l’ordre, il serait donc né vers 1710, ce qui en fait un contemporain de Jean-Antoine du Vidal.

Mis à part ces maigres indication, Jacques de Montferrier ne figure dans aucune généalogie de la branche aînée des Duvidal : il devait donc faire partie d’une branche cadette (comme l’autre Mestre de camp mort au combat dans la famille, Samuel du Vidal de Montferrier), mais sans doute pas celle-ci, qui était en majorité protestante (un protestant pouvait acheter le grade de Mestre de camp, mais pas accepter la médaille de Saint Louis)


Inconnu en armure inverse collection GladyszPortrait inversé 1781 Pajou Jean Philippe du Vidal Marquis de Montferrier Terre Cuite Musee de MontrealJean-Jacques Philippe du Vidal, 
Pajou, Terre Cuite, Musée des Beaux Arts de Montréal

Si l’on verse au dossier la ressemblance frappante entre notre inconnu et le buste de Jean-Jacques Philippe du Vidal en 1781, nous en arrivons à une hypothèse raisonnable.

Peu après 1763, dans la foulée du succès de ses ambitions, le premier marquis Jean-Antoine aurait décidé, pour étoffer la gloire militaire de la famille, de faire peindre, en pendant de son propre portrait en habit (et quitte à améliorer quelque peu son grade) un Montferrier en armure : ce lointain cousin Jacques, encore auréolé par sa mort héroïque à Minden. Et, le modèle n’étant plus disponible, il aurait poser le deuxième marquis, de sorte que le pendant officiel (un noble de robe, un militaire) dissimule un petit secret familial : un pendant père-fils.


Après Julie

Jean-Armand du Vidal, (1799-1866)

Troisième marquis de Montferrier

Duvidal gen 3bis


Le frère de Julie a fait une carrière exclusivement militaire, et n’a laissé que peu de traces.

  • 1817 : officier aux Gardes du Corps du Roi Louis XVIII, sous les ordres du Duc d’Havré
  • 1827 : Lieutenant. Il servit également dans les Carabiniers et les Lanciers
  • 1827 : épouse Catherine Jacquinot (1796-1846) à Pont-à-Mousson, où il demeure en bon notable local, s’occupant de zoologie et de sociétés de bienfaisance.


Portefeuille de NapoleonPortefeuille de Napoléon Le_Figaro_Supplement_litteraire_du 16 mars 1929Le Figaro, Supplément littéraire du 16 mars 1929

Il a joué néanmoins un petit rôle au service de la grande Histoire, en conservant dans la famille un portefeuille que lui avait confié le Baron de Méneval sous la Restauration, et qui contenait un manuscrit éclairant d’un jour nouveau l’Assassinat du duc D’Enghien (voir le récit dans le Figaro).



Six semaines marquis : Pierre Olivier Duvidal

Lorsque Jean Armand décède le 30 juillet 1866, le titre de marquis échoit à son fil aîné, Pierre Olivier, qui décède lui-même le 27 août à l’âge de 35 ans, laissant le marquisat à son frère cadet Antoine-Edgar. [1a]



Antoine-Edgar du Vidal, (1832-1894)

Quatrième marquis de Montferrier

Duvidal gen 4



Abel-François Villemain. Portrait par Ary Scheffer, 1855 Louvre
Abel-François Villemain. Portrait par Ary Scheffer, 1855 Louvre

  • 1860 (8 mai à Paris 6ème) : il épouse Lucie Villemain, fille d’un homme célèbre : Abel-François Villemain (1790-1870), écrivain, historien, critique littéraire, ministre de l’Instruction Publique, Pair de France [15].
  • 1861 : suite à cette alliance prestigieuse, il est propulsé sous-préfet de Tonnerre, jusqu’à la fin du Second Empire. Selon son frère le comte Anatole de Montferrier :

« Mr Thiers, en obtenant à Bordeaux de l’Assemblée Nationale la paix à tout prix, m’avait forcé à émigrer de Metz, et mon frère, le marquis de Montferrier, fidèle à sa parole et à son serment, avait refusé de servir le gouvernement du 4 septembre et s’était retiré à Genève. » [16]


La Charente 20-01-1879 Politique Montferrier
La Charente, 20 janvier 1879 [16a]

Il semble avoir manoeuvré sans grand succès dans les milieux de la presse bonapartiste, à en croire cette appréciation peu flatteuse de La Charente, à propos de la prise de contrôle ratée du journal « Le petit Caporal ».

  • 1880 : on le trouve Président de la Société civile obligataire de la Société foncière et agricole de la Basse Egypte.

Antoine-Abel du Vidal (Tonnerre 17 avril 1861- Paris 1937)

Cinquième marquis de Montferrier

Duvidal gen 5

Abel de Montferrier 1882 detailA 21 ans, au XIIème régiment de Chasseurs de Rouen, 1882(cliquer pour voir l’ensemble) antoine abel Duvidal de Montferrier coll Gladysz

Antoine-Abel du Vidal de Montferrier

L’affaire du testament de Léopold

En avril 1895, le cinquième  marquis de Montferrier conduit l’enterrement de Léopold Hugo, qui avait désigné comme légataire universel son cousin le quatrième marquis (mort juste avant lui, en 1894). Ceci donna lieu à un imbroglio judiciaro-mondain dont la presse fit un feuilleton à épisodes : en effet Célestine Solliers, l’épouse divorcée de Léopold (et femme de moralité douteuse), produisit un autre testament, réclama la moitié de la fortune et traîna le marquis au tribunal.


Proces Leopold HugoL’Univers, 19 juillet 1896 Proces Leopold Hugo 2Le Grand écho du Nord de la France, 26 février 1898, [17]

Ce testament ayant été reconnu comme un faux par les experts, elle fit quinze mois de préventive (il faut dire elle avait déjà été condamnée par contumace, en 1891, à 1 an de prison pour abus de confiance , et n’était rentré en France qu’après l’expiration du délai de prescription).


Proces Leopold Hugo 3La Lanterne, 27 février 1898

Les Assises furent acrobatiques, reportées à plusieurs reprises suite à l’état nerveux de l’accusée. Je n’ai pas trouvé le jugement définitif, mais la peine devait être largement couverte par la détention préventive. [18]


L’arrière petite fille de « Notre Dame de Thermidor »

1897 Marie Louise tallien de cabarrus Comerre coll Gladysz

Marie Louise Tallien de Cabarrus, 1897, portrait par Comerre

  • 1892 : 892 : Antoine-Abel du Vidal fait, à l’exemple de son père, un beau mariage. Il épouse au château de Clayes une fille de la meilleure société : Marie-Louise Tallien de Cabarrus, arrière-petite fille de Mme Tallien, (cette dernière, spécialiste de la survie par temps de tempête, avait eu pas moins de onze enfants avec cinq maris différents, certains nobles et d’autres moins)


1897 Comerre peignant Marie Louise tallien de cabarrus bis 1897 Comerre peignant marquise Antoine Abel du Vidal Montferrier (nee Marie Louise tallien de cabarrus )

 Comerre peignant Marie Louise Tallien de Cabarrus, collections du Musée d’Orsay


chateau des Clayes Clayes sous boisChâteau des Cabarrus, à Clayes sous Bois chateau des Clayes aujourd'huiLe château de Clayes aujourd’hui (détruit durant la Seconde guerre mondiale)

Ce mariage, ainsi que la fortune de Léopold, on dû beaucoup faire pour l’aisance financière du couple, qui mène désormais grand train.


Les Modes Juin 1903 La marquise de MontferrierLes Modes Juin 1903 PORTRAIT-de-la-MARQUISE-de-MONTFERRIER

Tandis que la marquise figure parmi les Parisiennes élégantes, le marquis est nommé assez fréquemment dans les journaux.


Le Figaro 7 aout 1898Le Figaro, 7 août 1898 Le Figaro 15 septembre 1898Le Figaro 15 septembre 1898

Membre de plusieurs Cercles huppés, Il donne des réceptions, préside à des assauts d’escrime, et est un des tous premiers automobilistes.


L Idole Abel de MontferrierL Idole Abel de Montferrier Le Livre revue mensuelle, 1889, p 496Le Livre : revue mensuelle, 1889, p 496

Homme de lettres, il dessine, écrit des poèmes et de petits spectacles joués devant la haute société.


Histoire des theatres de societe Leo Claretie 1906 p 270 Histoire des theatres de societe Leo Claretie 1906 p 271

« Histoire des théâtres de société, Léo Claretie, 1906, p 270 et 271

Dans ses confidences à Léo Claretie, il inscrit ce goût pour le théâtre privé dans une tradition doublement familiale, à la fois côté Monferrier et côté Villemain.

Il donne fréquemment des conférences historiques, qu’il fait paraître en recueil à la Librairie Académique Perrin : « Les femmes, la danse, la politesse ». Selon la Revue des lectures du 15 juillet 1930 :

« On ne mettra pas cet ouvrage dans toutes les mains : il s’y trouve des plaisanteries légères, un peu risquées parfois. Mais les gens formés liront avec plaisir ces pages pétillantes et fort amusantes ».


marie louise tallien de cabarrus par Therese-Marie-Rosine GERALDYMarie-Louise Tallien de Cabarrus
Portrait par Thérèse-Marie-Rosine Géraldy

Le couple vit une vie mondaine, possède au port de Loctudy un petit sloop de 4,6 tonneaux, le Star.


sb-line
Chasseriau Portrait de mademoiselle de Cabarrus, 1848-Musee des beaux-arts de Quimper

Portrait de mademoiselle de Cabarrus
Chassériau , exposé au Salon de 1848, Musée des Beaux-Arts de Quimper.

Marie-Louise était trçs proche de sa tante Marie-Thérèse de Cabarrus (1825-99), qui l’avait adoptée. Elle est ici portraiturée pour tante Marie-Thérèse de Cabarrus (1825-99), portraiturée ici par Chasseriau à l’âge de 23 ans. Considérée comme l’une des plus belles femmes de Paris, elle était la fille de Jules Adolphe Edouard Tallien de Cabarrus, le médecin du peintre, dit le « Docteur Miracle » [19] , et d’Adèle de Lesseps, soeur ainé deFerdinand de Lesseps.


Chateau de Langoz pres de Loctudy
Château de Langoz près de Loctudy

L’année du tableau, elle épousa un avocat, le baron Claude Saint-Amand Martignon, et vécut au château de Langoz près de Loctudy, qui devint un peu le nouveau point d’attache des Duvidal de Montferrier. C’est sa nièce Marie-Louise qui fit don en 1901 de son portrait au musée de Quimper.


Après le Cinquième marquis


Abel de Montferrier et Marie Louise aux Clayes aout 18921898 : Abel et Marie-Louise aux Clayes, après six ans de mariage Abel de Montferrier et Marie Louise au mariage de Cecil en 19361936 : Abel et Marie-Louise au mariage de Cecil, un an avant sa mort

Cecil de Montferrier 1936

  • En 1936, le fils d’Abel de Montferrier, le comte Cecil de Montferrier épouse une américaine ; il devient le sixième marquis l’année suivante à la mort de son père.
  • Le septième marquis est décédé en 2010.

Une autre famille  : Les Sarrazin de Montferrier

Une étonnante complication vient du fait que Victor Hugo connaissait deux familles de Montferrier :

  • par son frère Abel, il était apparenté aux Duvidal de Montferrier ;
  • par Juliette Drouet, il connaissait les Sarrazin de Montferrier qui , bien que d’une famille tout à fait différente, se faisait donner également le titre de marquis [20].

C’est donc ce marquis Alexandre Sarrazin de Montferrier qui, en 1851, lors du coup d’état du 2 décembre, hébergea au 2 rue de Navarin Victor Hugo pendant 5 jours et le mit lui-même dans le train de Bruxelles

C’est ce même marquis Alexandre, par ailleurs mathématicien et beau-frère de Wronski, qui fut le compagnon en 1853 de Marie-Noémie Cadiot (plus tard Marie Rouvier), sculptrice, femme de lettres et féministe, connue sous son pseudonyme de Claude Vignon : contrairement à ce qu’on lit parfois, il ne s’agit donc pas du quatrième marquis Antoine-Edgar du Vidal.


Références :
[1] La belle-sœur de Victor Hugo, Caroline Fabre-Rousseau, 2016
[1a] Jacques Tuchendler, publication à paraître
[3] En 1794, au plus fort de la Terreur, il a loué son logement à son cousin Cambacérès.  Une source  non vérifiée dit qu’il l’aurait ainsi sauvé de l’échafaud. Voir Biographie universelle et portative des contemporains, ou, Dictionnaire historique des hommes vivants, et des hommes morts depuis 1788 jusqu’a nos jours, qui se sont fait remarquer chez la plupart des peuples, et particulièrement en France, par leurs écrits, leurs actions, leurs talents, leurs vertus ou leurs crimes, F.G. Levrault, 1834 p 186 https://books.google.fr/books?id=dbFNAQAAMAAJ&pg=PA186&dq=Jean+Jacques+Philippe+Duvidal+de+Montferrier&hl=fr&sa=X&ved=0ahUKEwjqjLjrybPcAhXHzqQKHY10AKkQ6AEIRDAF#v=onepage&q=Jean%20Jacques%20Philippe%20Duvidal%20de%20Montferrier&f=false
[3a] De la franc maconnerie à Montpellier, Alain KNAPP http://ar.21-bal.com/istoriya/2724/index.html
[5] Eloges des Académiciens de Montpellier: pour servir à l’histoire des sciences dans le XVIIIe siècle, Desgenettes Bossange, 1811 p 280 et ss https://books.google.fr/books?id=UYvNewHiVzQC&pg=PA280
[6] Les officiers des États de la province de Languedoc / par M. le Vte de Carrière,… ; publié par les soins de M. le Vte Albert de Carrière, son fils… Aubry 1865 https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k65687355/
[7] Notice sommaire généalogique sur la maison Du Vidal de Montferrier (titre de marquis) en Languedoc : d’après le travail de d’Hozier, un jugement de 1676 et divers documents inédits par l’abbé C.-P. Ténard, 1887. https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k5687172n
[8] Bulletin – Société languedocienne de géographie, tome XXIV, 1901, p 455 https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k4152637/
[9] Autres vues de l’Hotel de Montferrier : https://autourdegeorgesmoustaki.blogspot.com/2018/01/lhotel-de-montferrier23-rue-de.html
On trouve son acte de baptême le 13 avril 1752 à la paroisse Notre Dame des Tables, Montpellier
[9a] Daniel Marc Antoine CHARDON http://cths.fr/an/savant.php?id=114115#
[10] Le livre de raison du peintre Hyacinthe Rigaud / publié avec une introduction et des notes par J. Roman, 1919, p 293 https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k9641173x.r
[10a] Annuaire de la noblesse de France et des maisons souveraines de l’Europe, 1893, génalogie de Albert Reverend, p 283
https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k366209/
[10b] Ce portrait, ainsi que celui d’Anne de Fournas ont été retrouvés en 2020 par Stéphan Perreau, suite à l’exposition Ranc. Voir https://hyacinthe-rigaud.over-blog.com/2020/04/jean-ranc-nouveautes-et-redecouvertes.html
[11] Dictionnaire des familles françaises anciennes ou notables à la fin du XIXe siècle. XV. Duh-Dyé, 1917, par GustaveChaix d’Est-Ange,
https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k1120080/
[12] « Notice sommaire généalogique sur la maison Du Vidal de Montferrier (titre de marquis) en Languedoc », Abbé C.-P. Ténard https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k5687172n.r
[13] Les Seigneurs de Montferrier, ou un Traité de paix au XIVe siècle (1380) , par M. Etienne Dalvy, 1891 https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k57222402
[14] Histoire de l’Ordre royal et militaire de Saint-Louis depuis son institution en 1693 jusqu’en 1830, tome 2, p 501 https://archive.org/details/histoiredelordr00annegoog/page/n526
[16] « Histoire de la révolution du 18 mars 1871 dans Paris , par le comte Anatole de Montferrier, témoin oculaire », p 79 https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k5475592d/
[17] L’Univers, 19 juillet 1896 https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k709198b
Le Grand écho du Nord de la France, 26 février 1898, https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k47574027/
[18] Pour un résumé croustillant de l’affaire et du procès, voir l’article du Figaro du 25 février 1898, https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k284300b/
et de « L’Aurore : littéraire, artistique, sociale » du 30 mars 1898 https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k7015308/f3.item.r=%22Clémentine%20Solliers%22.zoom
[20] « La plus aimante », Paul Souchon, 1941, p 285

Décès de Jacques Bousquet (1923-2019)

2 mars 2019

Jacques Bousquet 2008

Sans beaucoup s’éloigner de son pays natal, mon père a eu trois vies. Sa vocation lui est venue en découvrant, vers l’âge de quinze ans, près de la ferme où il passait ses vacances, quelques parchemins dans une ruine : il décida qu’il apprendrait à déchiffrer ces vieilles écritures, et qu’il redonnerait vie à ces gens du passé qui avaient laissé ces quelques traces. De la lutte contre l’oubli, il ferait son métier.

On lui expliqua que, pour cela, il fallait monter à Paris pour de longues études. Il fit donc l’Ecole des Chartes, l’Ecole du Louvre et, comme il était sorti premier de sa promotion, il passa encore deux ans en Italie, à l’Ecole de Rome : c’est là qu’il fit ses premières découvertes dans des archives pontificales que personne n’avait explorées : les traces de caravagesques français qui avaient eux aussi fait, trois siècles plus tôt, le voyage de Rome. Ces découvertes lui ouvraient une voie royale vers des carrières prestigieuses : mais chacun savait que Bousquet voulait un seul poste : celui d’archiviste de l’Aveyron.

Ce fut sa première vie : pendant vingt ans, il parcourut en deux chevaux toutes les mairies du département pour se faire donner pour les Archives les vieux documents, les vieux objets folkloriques. Conservateur du musée Denys-Puech, il voulut en faire le musée des artistes aveyronnais, et le remplit à ras bord des oeuvres qu’il récupéra de toutes parts. Toujours la lutte contre l’oubli.

Sa deuxième vie fut celle d’historien du Rouergue. Il découvrit les fresques romanes de l’église de Toulongergues, près de Villeneuve d’Aveyron. Membre de la Société des Lettres, il rédigea de nombreux articles sur des sujets variés, nouant des amitiés avec les érudits et les artistes de la région, se passionnant pour des personnages connus ou moins connus de l’histoire locale : j’ai appris de lui qu’aucune existence n’est négligeable, qu’aucun sujet n’est secondaire, pourvu qu’on s’y intéresse avec curiosité et respect. Se spécialisant dans le Moyen Age, il passa dix ans à rédiger deux grosses thèses, l’une sur l’Histoire du Rouergue au XIème et XIIème siècle, l’autre sur la sculpture de Conques.

Ce qui lui ouvrit sa troisième vie, celle de professeur d’Histoire de l’Art à l’Université Paul Valéry de Montpellier. Sans doute sa vie la plus riche : il ne s’agissait plus d’exhumer la mémoire des morts pour la confier à des livres : mais pour la transmettre à des vivants. Enfant fragile, frappé par la poliomyélite à l’âge de trois ans, il a néanmoins vécu trois vies, et presque bouclé le siècle : à croire que l’esprit de conservation, cela conserve…

Partageant sa retraite entre Montpellier et Rodez, il a poursuivi ses recherches presque jusqu’au bout, avec son épouse Paulette, qu’il a accompagnée dans cette église il y a treize ans. Il va maintenant la rejoindre.

 Bousquet Jacques 1955 Quintana Paulette Mariage Sat Amans du Pas 3

Biographie

  • 16 août 1923 : naissance à Rodez (Aveyron)
  • 1941-43 : hypokhâgne à Toulouse, licence d’Histoire
  • 1944 : préparation Ecole des Chartes à Henri IV
  • 1945-48 : Ecole des Chartes
  • 1949-50 : Ecole de Rome
  • 1948-1967 : Directeur des services d’archives de l’Aveyron
  • 1950-1985 : Conservateur du Musée Denys-Puech à Rodez
  • 1967-1971 : Maître de Conférences d’Histoire de l’art à l’Université Paul Valéry de Montpellier
  • 1971-1986  : Professeur
  • 25 février 2019 : décès à Rodez dans sa quatre-vingt seizième année.

Bibliographie

https://www.idref.fr/026747030