1 Les larrons vus de dos : calvaires plans
Cette série d’articles défriche un point d’iconographie resté inexploré : dans les Crucifixions ou les Dépositions, il arrive qu’un des Larrons soit représenté de dos, le plus souvent le Mauvais, mais quelquefois le Bon.Ces deux cas ont des significations symboliques différentes jusqu’au à la fin du XVème siècle. Par la suite, l’introduction des Calvaires vus de biais changera la donne : le choix de l’une ou l’autre formule aura plus à voir avec des traditions locales, dans le sillage de certaines oeuvres majeures.
Le premier chapitre est dédié à la configuration la plus ancienne : les trois croix disposées dans un même plan. La couleur verte désigne le Bon Larron et le Christ, la couleur rouge le Mauvais. La couleur assombrie indique celui qui est vu de dos.
Disposition plane : Le Mauvais larron centrifuge
Le Mauvais larron est vu de dos, et son corps est tourné vers l’extérieur de l’image.
Les exemples
![]() 1379, Eglise St. Sebald, Nuremberg ( Corpus vitreum Deutschland)
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Ce vitrail bavarois et ce manuscrit du Nord de la France, pratiquement contemporains, montrent le même détail rare du Mauvais larron tourné vers l’arrière-plan droit.


Une formule germanique transitoire


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Vingt ans plus tard, la contorsion tragique devient un signe distinctif du Mauvais larron, toujours avec son démon extracteur. Rien de tel côté Bon Larron :
- dans la version de gauche, l’ange lui enlève son bandeau, pour signifier qu’il a vu la lumière ;
- dans la version de droite, l’ange est superflu, puisque le Bon larron lève les yeux vers le Christ.

La fin de la formule centrifuge




Disposition plane : le Mauvais larron centripète
Le Mauvais larron est vu de dos, et tourné vers le Christ.
Les plus anciens exemples : en Italie

- l’Ange, par le biais de l’Annonciation,
- le Démon, par le biais du Jugement dernier.


« se convertit à la foi en voyant les signes qui suivirent la mort de Jésus, c’est-à-dire l’éclipse du soleil et le tremblement de terre. Mais on dit que ce qui contribua surtout à le convertir fut que, souffrant d’un mal d’yeux, il toucha par hasard ses yeux avec une goutte du sang du Christ, qui découlait le long de sa lance, et recouvra aussitôt la santé. »

La Crucifixion perdue de Pollaiuolo (SCOOP !)



- Saint Jérôme est toujours à gauche, par ordre chronologique et parce qu’on peut ainsi évoquer la scène emblématique de la pénitence, où il se frappe la poitrine avec un caillou en contemplant un crucifix ;
- Saint François, à droite, ouvre les mains pour évoquer sa propre scène emblématique, la stigmatisation.

Après Mantegna

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Ce peintre hambourgeois a composé sa Crucifixion par collage de motifs flamands :
- le Christ est copié sur celui de Van der Weyden, avec :
- son pagne blanc flottant dans les deux directions, en contrepoint des deux anges en deuil ;
- le détail caractéristique de la traînée de sang, issue de la plaie du flanc, qui coule par en dessous ;
- la fissure dans le rocher, qui sépare les Bons et les Mauvais, est une idée de Robert Campin dans sa descente de Croix perdue (voir 3 Le Mauvais Larron de Robert Campin)
- le Mauvais larron est copié, en l’inversant, sur le Bon Larron de Campin [3].
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Le peintre franconien utilise la vue de dos pour différencier la Mauvais larron, en supplément d’un autre détail discret : la croix de type tronc, qui s’oppose aux deux autres croix de type poutre (sur cette formule, voir 2 Croix-poutres, croix-troncs).


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De même, le coup de lance donné au Christ est synchronisé avec les coups de massue qui cassent les jambes des larrons pour accélérer leur mort : moment où l’ange et le démon viennent recueillir leur âme.
« Les soldats allèrent donc briser les jambes du premier, puis de l’autre homme crucifié avec Jésus. Quand ils arrivèrent à Jésus, voyant qu’il était déjà mort, ils ne lui brisèrent pas les jambes, mais un des soldats avec sa lance lui perça le côté ; et aussitôt, il en sortit du sang et de l’eau. » Jean 19,32
Le Mauvais larron dans les Flandres, après 1450
Autant les Bons larrons vus de dos y sont fréquents, sous l’influence de Campin, autant les Mauvais ne se bousculent pas.
Deux Calvaires d’Antonello de Messine (SCOOP !)
Antonello est si lié à la peinture flamande que c’est dans ce contexte qu’il faut apprécier ses larrons, qui n’ont pas été étudié en profondeur, malgré leur singularité.
Calvaire, Antonello de Messine, 1454-55, Brukenthal National Museum
Comme l’ont remarqué tous les commentateurs, la composition fait cohabiter un climat italien, en bas, avec son paysage maritime et ses personnages statiques, et un climat « à la Campin », en haut, avec ses larrons dramatiques pendus à des troncs étêtés.
La traverse en tau ne sert à rien puisque, d’une manière unique, leurs mains sont ligotées ensemble. Disposés face à face et vus de profil, ils se différencient :
- par le visage, barbu comme le Christ pour le Bon, jeune et rejeté en arrière pour le Mauvais ;
- par les mains, congestionnées ou pâles ;
- par le torse, concave et collée au tronc, ou convexe et décollé ;
- par la ligature des membres inférieurs, au mollet ou à la cheville.
De ce fait, la brisure de la jambe, si elle peut accélérer le mort pour le Mauvais larron, n’a d’autre effort pour le Bon qu’une torture supplémentaire. Le Bon larron est donc peut-être encore vivant ou, s’il est mort, souffre plus longtemps.
L’idée de la composition est donc double :
- d’une part, par leur suspension infamante sur une croix rustique, signifier que les souffrances des deux malfaiteurs ne sont que des souffrances humaines, méritées et sans finalité : alors que celles du Christ innocent ont valeur de Rédemption, comme le montre l’auréole qui transcende la couronne d’épines ;
- d’autre part que le Bon Larron se rapproche du Christ, par un surcroît de souffrance.
Lamentation, Konrad Witz (atelier), vers 1440, Frick collection, New York
Cette conception doloriste se retrouve dans cette oeuvre légèrement antérieure (longtemps attribuée à Antonello) : les deux larrons sont couverts de coupures gratuites, pas seulement aux jambes. Le Bon Larron, qui regarde vers la croix du Christ, est encore lié par les pieds, à son imitation ; alors que le Mauvais se balance de manière infamante, comme un morceau de viande à l’équarrissage.
Calvaire, Antonello de Messine, 1475, Musée des Beaux Arts, Anvers
Le Mauvais larron vu de dos apparaît que dans la deuxième Crucifixion d’Antonello (sur les trois qui lui sont attribuées).
De la première à la deuxième, vingt ans plus tard, la ligne d’horizon s’est abaissée, accentuant l’effet de contre-plongée. Restés seuls au pied des croix, la Vierge assise par terre et Saint Jean à genoux sont un unicum iconographique. Antonello a repris l’idée du torse concave et du torse convexe des larrons, mais il a cassé la symétrie en différenciant radicalement les modes de suspension :
- le Bon, attaché par les bras à une croix en tau, pouvait poser les pieds sur une branche faisant ressort : point d’appui fragile que la fracture des jambes a supprimé ;
- le Mauvais reste suspendu uniquement par les poignets à la croix-tronc la plus haute, ses jambes ne montrent aucune plaie et il peut appuyer l’un ou l’autre pied, indéfiniment, sur un moignon de branche. L’absence de blessure aux jambes est une rupture par rapport à la littéralité du texte , tout comme la vue de dos est une rupture par rapport aux conventions graphiques.
Pour autant qu’on puisse pénétrer les intentions d’une oeuvre aussi singulière, il semble bien qu’Antonello, par rapport à sa première Crucifixion, ait inversé la narration au service du même objectif :
- c’est ici le Mauvais larron qui est encore vivant – ou du moins condamné à une torture infinie ;
- tandis que le Bon a rejoint le Christ dans la Mort.
Pour illustrer le caractère profondément médité de la composition, mentionnons un détail qui n’a pas non plus été analysé :

- le bois aplani mais cassable, contre le bois brut ;
- le lapin domesticable, mais sacrifiable, contre la chouette ;
- le Christ contre les Larrons.
Un Triptyque de Memling


Le Mauvais Larron en Crète, après 1480
Dans l’art byzantin, les larrons ne sont jamais représentés dans les Dépositions, et rarement dans les Crucifixions. Le Mauvais larron vu de dos inventé par un maître crétois n’en est que plus exceptionnel.
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Les Calvaires à un grand nombre de personnages existent depuis longtemps en Italie, lorsqu’un artiste grec acclimate cette formule à Candie, colonie vénitienne en Crète. Outre la foule de personnages, les emprunts italianisants sont nombreux : le pélican en haut de la croix, les chevaliers en costume moderne, la ville à l’arrière-plan, la chevelure blonde de Marie-Madeleine. La signature en latin traduit l’adoption d’une mode italienne pour satisfaire un client catholique [5a]. La grotte des Enfers qui s’ouvre sous le crâne d’Adam est en revanche un motif typiquement byzantin.
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Pavias s’est particulièrement attaché à travailler les effets d’opposition :
- à côté d’un clocher, le Bon larron vu de face voit son âme vue de face emportée vers le Soleil par un ange vu de face ;
- à côté de Judas pendu, le Mauvais larron vu de dos voit son âme vue de dos emportée vers la Lune par un démon vu de dos.
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Cinquante ans plus tard, deux peintres crétois exportent au Mont Athos le Mauvais larron mis au point par Pavias.

Frangos Katelanos, 1548, Monastère de Varlaam, Météores
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Au siècle suivant, un dernier peintre de la même école reprend, en la simplifiant, l’ensemble de la composition de Pavias.
Etrangement, aucun des Larrons vus de dos qui se multiplient, au XVIIème siècle, dans les gravures flamandes, ne sera repris dans l’art des icônes, malgré des influences nombreuses [5b]. Le Mauvais larron de Pavias reste une invention isolée, qui n’a pas à l’époque d’équivalent en Italie. On peut néanmoins rattacher la symétrisation recto-verso des deux Larrons à la mode purement graphique qui se développe un peu partout à l’époque : celle des figure come fratelli (voir 3 Les figure come fratelli : autres cas).
Un Mauvais Larron en France, vers 1515
Cette composition isolée se trouve dans une église rurale de Champagne.
Crucifixion, vers 1505 (baie 0),
Saint Nizier, Troyes, photo (c) Denis Krieger (mesvitrauxfavoris.fr)
Cette verrière, où figuraient autrefois l’Ange et le Démon recueillant les âmes des larrons, serait la prototype d’une verrière très singulière, dans une église de campagne à une quarantaine de kilomètres de Troyes [5c].
Crucifixion, vers 1515 (baie 0), Rosnay l’hôpital
Les deux premiers phylactères portent le dialogue entre le Bon Larron et le Christ. Sur le troisième, l’imprécation du Mauvais Larron :
Sauves-toi, ainsi que nous, si tu l’es toi-même » (paraphrase de Luc 23-39) |
Salvum te fac et nos si tu es ipse |
…forme comme un répons rimé à la profession de foi du centurion (en bas au centre) :
Vraiment, il était le fils de Dieu, celui-ci |
Vere filius dei erat iste |
La croix tourmentée et le retournement du Mauvais larron traduisent scéniquement son exclusion du dialogue sacré : deux petits diables verts se tortillent déjà sous ses yeux, tandis que deux anges sont descendus écouter le Bon larron.
On notera, au centre, la dextérité de l’ange en rouge, qui recueille dans une coupe le sang de la main et dans une autre celui du flanc.
Crucifixion, vers 1520 (baie 0),
Arrembécourt, photo (c) Painton Cowen (therosewindow.com)
A 15km de Rosnay, cette autre verrière reprend la même composition, en la simplifiant. Le phylactère du Centurion a été remonté à la gauche du Christ, et le texte du Mauvais larron a été légèrement modifié, de manière à le rendre autonome :
Si tu es le fils de Dieu, sauve-toi et sauve- nous |
Si filius dei es, te salva et nos |
Crucifixion, vers 1525 (baie 0)
Eglise de la Nativité de la Vierge, Bérulle, photo (c) Denis Krieger (mesvitrauxfavoris.fr)
Dans un village diamétralement opposé aux deux précédents par rapport à Troyes, cette troisième verrière réduit le carton à l’essentiel :
- au centre les phylactères opposés du Bon et du Mauvais larron, avec Marie-Madeleine au pied de la croix ;
- de part et d’autre, l’Ange et le Démon ;
- en bas à gauche Saint Jean et la Vierge ;
- en bas à droite le Centurion et Longin.
Disposition plane : le Bon Larron vu de dos
Les Trois Croix sont dans un même plan. Le Bon Larron est vu de dos. L’effet paradoxal est de casser l’affinité entre le Bon larron et le Christ.
L’eucharistie par le sang

- symétrie miroir pour les jambes ;
- symétrie de dos/ de face pour les torses.



Crucifixion (détail du retable de la Passion)
Maître de la Passion de Lyversberg, 1464-66, Wallraf-Richartz-Museum

- a déjà brisé la jambe et la cuisse du Bon Larron, qui vient d’expirer comme le Christ ;
- s’est déplacé sur la droite pour s’attaquer maintenant à la cuisse du Mauvais Larron, qui pousse un cri de douleur.

La formule du maître de Boucicaut

- les croix en biais, strictement identiques, créent un effet de profondeur ;
- les âmes des larrons disparaissent, suggérées par les attitudes des anges qui les surmontent : celui du Bon joint les mains en souriant,
- celui du Mauvais croise les bras d’un air sévère, signalant par là qu’il n’y a rien pour lui à emporter ;
- c’est le Mauvais larron qui est vu de dos, selon l’interprétation péjorative, la plus simple ;
- la tête penchée et la banderole suppriment toute interaction entre lui et le Seigneur.

Le pendant Jour / Nuit des frères Limbourg (SCOOP !)
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« A midi, il y eut des ténèbres sur tout le pays, jusqu’à trois heures de l’après-midi » Marc 15:33« Et voici, le voile du temple se déchira en deux, depuis le haut jusqu’en bas, la terre trembla, les rochers se fendirent : les sépulcres s’ouvrirent, et plusieurs corps des saints qui étaient morts ressuscitèrent ». Mathieu 27, 52-53
Le pendant Jour / Nuit des Heures de Bedford (SCOOP !)

« Com’t n’re Seigneur fut mis où il souffry mort et passion pour nous tous. Et sont es rolleaux entour luy toutes les paroles qu’il parla en la Croix.Com’e il y envita (mourut), et la terre trambla, et les morts resusciter’nt de leut to’bes. »
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- dans la première variante, le crâne chauve
- dans la seconde, les poignets liés, pour souligner sa dangerosité ;
- dans toutes, le regard de biais qu’il lance au Seigneur tandis que le Bon Larron tourne son regard vers le ciel ou vers le sol.

- le bandeau sur ses yeux signifie au premier degré l’aveuglement, mais au second degré la Foi de celui qui reconnaît le Christ non par les yeux, mais par le coeur ;
- la croix de type Tronc (qui s’oppose aux croix équarries du Christ et du Mauvais Larron) signifie au premier degré la grossièreté, mais au second la nouveauté de l’Ere sous la Grâce : le jeune bois remplace le vieux bois ;
- la vue de dos exprime, littéralement, la conversion.

- l’homme mûr, au cheveux et à la barbe taillée, déjà tourné vers le ciel,
- le jeune homme hirsute et imberbe, qui se tord pour rester sur Terre.




A noter l’invention remarquable de la hallebarde qui sert de guide à la lance de l’aveugle Longin.




Vers 1550, Eglise Saint-Pierre, Montfort-l’Amaury
Le mystère du Larron en Y (SCOOP !)
Le Bon larron vu de dos de Campin se caractérise par sa face tournée vers le haut, son corps rejeté vers l’arrière par dessus la barre du tau, et ses bras tendus vers le bas. Une autre posture caractéristique a laissé des traces multiples, mais sa source n’est pas connue

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- trouvaille graphique, avec l’ombre de la croix qui se projette au milieu du dos ;
- trouvaille symbolique : les pieds dénoués signifient la libération de son âme, comme le souligne le lien qui pend ; et ici, aucune incohérence par rapport au texte de Jean, puisque la Déposition a lieu bien après la mort.

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Julius Goltzius, 1586, gravure d’après Memling
Le cas Kempeneer

- en étendant la vue de dos aux deux larrons ;
- en plaçant les deux luminaires du côté du Bon Larron, dans une conjonction très rare.
- la maturité du style fait penser à une oeuvre tardive, après le retour d’Espagne à Bruxelles (1562) ;
- la signature, flamande et non latine, tend au contraire vers une oeuvre de jeunesse, réalisée avant le départ de Bruxelles pour l’Italie (1529).



Pieter de Kempeneer (Pedro de Campaña), vers 1570, Prado

Le bon Larron tête basse
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- le soleil remplace Dieu le Père, au dessus du panneau INRI ;
- le paysage réapparaît ;
- les deux larrons, figés par la Mort, n’ont pas modifié leur posture.
Des influences cumulées
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- pour sa Déposition il imite celle des Très Riches Heures pour les trois croix et le Mauvais Larron, toute en reprenant pour le Bon celui de Robert Campin ;
- pour sa Crucifixion, il inverse les poses et les chevelures (blonde et brune), faisant primer le principe de variété sur celui de la cohérence.
- derrière la croix grise se presse la longue enfilade des soldats romains ;
- derrière les deux croix marrons, un paysage aéré conduit à Jérusalem.
Les deux larrons vus de dos
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Le Maître d’Antoine Rolin est considéré comme un disciple de Simon Marmion. Ainsi sa Crucifixion s’inspire probablement de la seule Crucifixion de Marmion qui montre les larrons [9], avec ses trois croix pivotantes, mais implantées dans le plan du tableau,. Ce dispositif semble être une invention de Marmion, puisqu’il ne reprend ni la structure tronc-poutre-poutre, ni la posture Limbourg ou Campin du larron vu de dos : il le suspend par la pluie du coude, les pieds libres. De plus, de manière quasiment unique, il applique cette vue de dos aux deux larrons. Du fait que le Christ regarde vers la droite, l’effet obtenu est très surprenant :
- complicité entre le Christ et le Bon Larron (du fait du rapprochement des deux croix) ;
- affrontement entre le Christ et ses adversaires : le Mauvais larron et l’enfilade de soldats, repoussée sur le bord droit.
D’autres Bons larrons vus de dos
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Dans les Pays germaniques, on ne rencontre que la posture tête baissée. La symétrie des poses produit l’effet d’une confrontation entre les deux larrons, de part et d’autre de la croix du Christ.

Une pose expressionniste





Les inventions bizarres de Jörg Breu

Jörg Breu l’Ancien, 1501, Germanisches nationalmuseum Nüremberg (Gm1152)

- la raillerie – en plein centre un soudard, retenu par un autre, donne un coup de pied au derrière de Saint Jean ;
- la violence enfantine – deux enfants se disputent, à coup de poings, un bâton tombé à terre : transposition des joueurs de dés qu’on voit souvent en venir aux mains.
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![]() Meister des Schinkel altars, 1501, église St Marien de Lübeck (détruit-en-1942) |
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Cette Crucifixion un peu moins énigmatique jette une lumière rétrospective sur un détail de la première : l’enfant à demi nu près de la source. Eric Ziolkowski [10a] le rattache au motif de « l’indifférence puérile » exprimé par les enfants qu’on rencontre quelquefois dans les scènes de la Passion, et reconnaît dans son bâton un jouet, tel que l’enfourchait l’enfant tenu par la main, dans la Crucifixion disparue de Lübeck. Mais ici le bâton est brisé en deux (on voit bien une partie qui passe devant la patte du cheval, et une derrière), et l’enfant se frotte la cuisse d’un air douloureux : il jouait à monter à cheval et son jouet vient de casser.
Un centurion qui n’ose pas lever le bras, un tremblement de terre qui n’effraye qu’un enfant et ne trouble même pas l’écoulement de la source : il semble que le jeune Breu, âgé d’une vingtaine d’année, faisait déjà preuve d’un grand scepticisme quant à la foi basée sur les miracles.

Jörg Breu l’Ancien, 1524, Musée des Beaux Arts, Budapest
Le Mauvais larron vu de dos s’explique par le caractère péjoratif de cette vue :
- la formule centrifuge ne se rencontre que dans les Pays Germaniques ;
- la formule centripète apparaît en Italie, puis passe après 1450 dans les Pays Germaniques ; l’oeuvre phare de cette formule est la Crucifixion d’Antonello de Messine, qui est restée isolée.
Le Bon Larron vu de dos s’explique au départ par la notion d’Eucharistie par le sang, puis par le dialogue intime qu’elle suggère entre le Bon larron et le Christ.On la rencontre au 14ème siècle en Bohème, puis au début du 15ème dans plusieurs ateliers parisiens, sans qu’on puisse prouver une transmission. L’invention par Campin du Bon larron à la tête renversée en arrière aura une filiation durable dans les Flandres. La variante du Bon larron suspendu en Y n’a laissé que des traces indirectes. La formule tête baissée, moins frappante, sera employée çà et là à partir des frères Limbourg.En définitive, la seule filiation qu’il soit possible de suivre est celle du Bon Larron à la Campin, du fait de ses caractéristiques marquées.
Article suivant : 2a Les larrons vus de dos : calvaires en biais, 16ème siècle, pays germaniques
https://books.openedition.org/pressesinalco/19311
Sur la Crucifixion de Pavias :
https://en.wikipedia.org/wiki/The_Crucifixion_%28Pavias%29
Patricia Stirnemann and Claudia Rabel, « The ‘Très Riches Heures’ and Two Artists Associated with the Bedford Workshop » The Burlington Magazine Vol. 147, No. 1229 (Aug., 2005), pp. 536 https://www.jstor.org/stable/20074074
https://books.google.fr/books?id=sbRDAgAAQBAJ&printsec=frontcover&redir_esc=y#v=onepage&q=calvary&f=false