Le sacrifice d’Isaac : 2 type solidaire

4 février 2023

Le type V4 : Abraham solidaire d’Isaac

sacrifice isaac Type V4 Andrea_del_Sarto schema

Cette formule rejette la séparation verticale entre Abraham et Isaac et les rend au contraire solidaires, à la manière d’un groupe sculpté. Elle construit un étagement dans la profondeur, l’Ange à l’arrière-plan et le Fils au première plan : il en résulte presque l’impression paradoxale qu’Abraham, attaqué par derrière, protège Isaac contre l’Ange. Le bélier a peu d’importance, et souvent il est omis.

Article précédent : Le sacrifice d’Isaac : 1 format vertical

Les précédents

1419-21 Sacrifice_of_Isaac_by_Donatello-Museo_dell'Opera_del_Duomo_-FlorenceDonatello, 1419-21, Museo dell’Opera del Duomo, Florence

Il n’y a pas de précédents médiévaux à cette formule. Elle procède en effet d’une double idéalisation, impensable avant la Renaissance :

  • dans une véritable exécution, le bourreau ne se colle pas à la victime ;
  • lsaac, miniaturisé, devient une sorte d’attribut distinctif d’Abraham.


L’influence de Raphaël

1509-13 Mariotto_Albertinelli a_The Temptation of Adam and Eve_1959.15.13a_-_Yale_University_Art_GalleryLa tentation d’Adam et Eve 1509-13 Mariotto_Albertinelli b_-_The_Sacrifice_of_Isaac_-_1959.15.13b_-_Yale_University_Art_GalleryLe sacrifice d’Isaac

Mariotto Albertinelli, 1509-13, Yale University Art Gallery

Le contraste voulu entre les deux pendants explique pourquoi :

  • les deux compositions s’inscrivent sur des diagonales opposées ;
  • l’une est vide au centre et l’autre pleine ;
  • les deux « deux ex machina » (le démon et l’ange) s’inscrivent du côté opposé du personnage qu’ils influencent (Eve et Abraham) ;
  • les deux « victimes » (Adam et Isaac) sont posées sur un socle de pierre (brute et taillée).

Pour ne pas rompre l’unité de point de vue entre les deux pendants, l’artiste a renoncé à situer la scène du sacrifice en haut du mont Moriah. Il a fermé la composition par une falaise, au pied de laquelle on devine les deux serviteurs et l’âne, près d’un feu. Caché de manière peu habile derrière un maigre buisson, le « bélier » n’est visible que parce que l’ange nous le montre. A cette époque, il est la plupart du temps idéalisé en un agneau, qui a l’avantage de préfigurer le futur sacrifice du Christ tout en évitant la connotation diabolique du bouc. De même le bûcher biblique est idéalisé en un socle à l’antique, devant lequel brûle un brasero peu menaçant.

Il se peut donc que la composition solidaire imaginée par Albertinelli soit un effet de bord de la conception du pendant. Il se peut aussi qu’elle reprenne un modèle mis au point dans l’atelier de Raphaël, le maître de Martinelli.


5A0 1514 Raphael sacrifice isaac Chambre d'Heliodore VaticanRaphaël, 1514, Chambre d’Héliodore, Vatican

Car peu de temps après, Raphaël place le même groupe solidaire, très inspiré par la statuaire antique, au centre de cette fresque. Par souci de symétrie :

  • l’ange est déplacé au centre, surplombant les deux protagonistes ;
  • en pendant au brasier, un second ange descend en piqué en amenant le bélier.

1516–18 Agostino Veneziano d'apres Jules Romain sacrifice isaac METAgostino Veneziano d’après Jules Romain, 1516–18, MET

Le groupe central sera repris en gravure par Agostino Veneziano, d’après un dessin par Jules Romain.


Cornelis Galle l'Ancien 1630 ca, sacrifice isaac British Museum,1891,0414.546,Cornelis Galle l’Ancien, vers 1630, British Museum, 1891,0414.546 C 1627-28 El_sacrificio_de_Isaac_(Domenichino) PradoLe Dominicain, 1627-28, Prado

Au siècle suivant apparaît cette formule mixte : l’ange est allongé comme chez Raphaël, mais Isaac se disjoint  du « groupe sculpté » composé maintenant de l’ange et d’Abraham.



5P 1743-1793 Antonio Gonzalez Velazquez sacrifice isaac Real Academia de Bellas Artes de San Fernando MadridAntonio Gonzalez Velazquez, 1743-1793, Real Academia de Bellas Artes de San Fernando Madrid

A l’inverse, cette oeuvre tardive recolle Abraham et Isaac, dans un nouveau mélange d’influences :

  • pour l’importance donnée à l’Ange, la tradition raphaélesque ;
  • pour la forme en triangle du groupe Abraham-Isaac, celle d’Andrea del Sarto, que nous allons voir maintenant.


L’influence d’Andrea del Sarto

5A 1529 Andrea_del_Sarto _Il_sacrificio_di_Isacco_(Prado)Andrea del Sarto, 1529, Prado

En 1529, Andrea del Sarto renouvelle le « groupe sculpté » en plaçant Isaac sur ses pieds, et en inscrivant un Abraham gigantesque dans un triangle qui occupe tout le centre de la composition. L’ange (réduit à la taille d’un Cupidon), un serviteur (sous la forme d’un éphèbe nu) et l’agneau (paissant paisiblement) tranforment la scène biblique en une pastorale à l’antique.

Malgré son idéalisation à outrance, ce tableau fut considéré comme un sommet de vérité par les contemporains :

« Andrea représenta le Sacrifice d’Abraham avec tant de soin, que l’on jugea qu’il n’avait rien produit de mieux jusqu’alors. Le visage d’Abraham, tourné vers l’ange libérateur, exprime divinement cette fermeté et cette foi ardente qui le poussaient à immoler sans hésiter son propre fils. Je ne dirai rien de l’attitude et des vêtements du vieillard : ils sont au-dessus de tout éloge. Quant à Isaac, ce tendre et bel enfant semble presque mort de frayeur à l’idée du supplice qui l’attend; son cou a été brûlé par le soleil durant le voyage, tandis que le reste de son corps, protégé par ses habits qui gisent à terre, est d’une extrême blancheur. Le bélier qui va être offert en holocauste à sa place paraît vivant. Il y a encore un âne qui paît sous la garde des serviteurs d’Abraham, et un paysage si admirablement exécuté, que celui même où le fait se passa ne pouvait être ni plus beau ni autrement. » Vasari, Vies des peintres, sculpteurs et architectes, Volume 3

La renommée de cette oeuvre imposante allait stériliser la formule jusqu’à la fin du siècle, du moins en peinture.


1540–60 Battista Franco attr sacrifice isaac METBattista Franco (attr), 1540–60, MET

Au milieu du siècle, cette gravure reprend le modèle de Raphaël, mais déplace l’ange à l’avant, ce qui impulse à l’ensemble  une sorte de  mouvement cylindrique.


5B 1596 Jacopo Ligozzi Offices 5B 1596 Jacopo Ligozzi sacrifice isaac sacrifice isaac Offices schema

Jacopo Ligozzi, 1596, Offices

En recollant Isaac et Abraham, le florentin Ligozzi revient au modèle de Del Sarto mais lui rajoute cette idée post-raphaélesque de l’ange qui passe au premier-plan  L’impression de « groupe sculpté » est renforcée par la suppression de l’autel, et l’ajout, en haut, d’un second triangle inversé. Cette composition quelque peu artificielle n’aura pas de lendemain.


En Italie au XVIIème siècle

Figures en pieds

5B 1605-07 Cardi Ludovico, Sacrificio di Isacco Palazzo PittiLudovico Cardi , 1605-07, Palazzo Pitti

Tous les peintres italiens qui, au XVIIème siècle, se souviennent de Del Sarto, remettent l’ange à l’arrière-plan et englobent le père et le fils dans un triangle plus ou moins marqué, qui n’empêche pas par ailleurs les lignes de force traversantes : ainsi, dans cette composition simple et efficace, l’ange à un bout de la diagonale descendante montre l’agneau à l’autre bout.


5Oa 1640-50 Pasquale Chiesa sacrifice isaac Doria PamphiliLe Sacrifice d’Isaac 5Oa-1640-50-Pasquale-Chiesa-agar-et-lange-Doria-PamphiliAgar et l’ange

Pasquale Chiesa, 1640-50, Galerie Doria Pamphili, Rome

Si Pasquale Chiesa choisit la formule peu usitée de la diagonale montante, c’est parce que la diagonale descendante est plus utile pour le pendant, où l’ange vient toucher Agar. On notera l’idée frappante du bélier vu en contre-jour.


Le cadrage resserré

5db assereto giovanni 1620-49 sacrifice isaac 5da assereto giovanni 1620-49 sacrifice isaac

Giovanni Assereto, 1620-49, collection particulière

En cadrage resserré, Abraham est vu en demi-figure et Isaac diminue de taille.


5Dc 1620-30 Daniele Crespi sacrifice isaaccoll partDaniele Crespi, 1620-30, collection particulière

A l’inverse, l’ange et l’enfant peuvent augmenter de taille, et le père sert de frontière entre leurs deux triangles rectangles.


5Ob 1656-88 benaschi giovanni battista le-sacrifice-d abraham Musee des BA BrestGiovanni Battista Benaschi, 1656-88, Musée des Beaux Arts, Brest 5Ob 1662-1705 SEITER (SAITER), DANIEL sacrifice isaac coll partDaniel Saiter (Seiter), 1662-1705, collection particulière

Dans la suite du XVIIème siècle, la formule se maintient en Italie sans grand renouvellement, souvent construite  selon la diagonale descendante…


Guercino, 1591-1666; The Sacrifice of Isaac 5Ob 1660 Guercino (follower of) sacrifice isaac Lancaster City Museum schema

Suiveur du Guerchin, vers 1660, Lancaster City Museum

… ou selon un système de triangles.



Aux Pays-Bas

Au XVIIème siècle, c’est à Amsterdam que le sujet, ramené d’Italie par le peintre Pieter Lastman, va connaître des développements spectaculaires.

Les trois Sacrifices de Pieter Lastman

5Ea Pieter Lastman 1610 ca, graveur Jan van Somer 1655 - 1700 sacrifice isaac Rikjsmuseum inverse 5Ea Pieter Lastman 1610 ca, graveur Jan van Somer 1655 - 1700 sacrifice isaac Rikjsmuseum inverse schema

D’après Pieter Lastman, gravure de Jan van Somer, 1655 – 1700, Rikjsmuseum (inversée)

Ce tableau perdu et non daté ne nous est connu que par cette mezzotinte largement potérieure, qu’il faut inverser pour qu’Abraham tienne son glaive de la main droite.

Le fait que Lastman adopte la formule la plus courante (V1) laisse penser que cette version est la toute première, réalisée peu après son retour d’Italie (1607). La composition, tripartite, utilise la tranche « paysage », comme souvent,  pour montrer la hauteur du mont. L’innovation est la position d’Abraham au centre des deux autres tranches, dans un losange qui met en balance les deux sacrifiés, le bélier et l’enfant. En intervenant sur la gauche, l’ange fait pencher le glaive côté bélier.


5eb Pieter Lastman 1612 Het_offer_van_Abraham_Rijksmuseum_SK-A-1359 5eb Pieter Lastman 1612 Het_offer_van_Abraham_Rijksmuseum_SK-A-1359 schema

Pieter Lastman, 1612, Rijksmuseum (SK-A-1359)

Cette deuxième version reprend l’idée de la tranche « paysage », pour marquer l’élévation, et y ajoute une tranche « repoussoir » avec les objets du premier plan, pour accentuer la profondeur. La formule est celle du « groupe sculpté » mais inscrit dans un triangle rectangle. De ce fait, la diagonale descendante, soulignée par le rayon de lumière, se réfracte sur le corps allongé d’Isaac, et s’achève sur le bélier.


B 1612-13 Rubens-SacrificeOfIsaac Nelson Atkins Museum Kansas CityRubens, 1612-13, Nelson Atkins Museum, Kansas City 5Ec Pieter Lastman 1616 Abraham sacrifice LouvrePieter Lastman, 1616, Louvre

Pour sa troisième version, Lastman revient au format paysage et reprend dans la « tranche vide », à droite, le brasero introduit peu avant par Rubens. Mais si la position de l’ange en surplomb est classique, depuis Raphaël, au dessus d’un groupe solidaire, autant elle est délicate au dessus d’un groupe séparé : car l’écartement d’Abraham empêche l’ange de saisir son bras droit. Lastman invente ici une solution très raffinée, où le geste de contrainte se transforme en un geste de persuasion, l’ange posant sa main sur le bras désarmé d’Abraham. Et c’est l’ombre de son autre bras, en se déployant sur le nuage, qui vient bloquer l’épée brandie.


5Ec Pieter Lastman 1616 Abraham sacrifice Louvre dteail brasero

Quant au bélier, il a disparu, et c’est le couvercle du brasero, tombé en arrière, qui fait voir la décapitation évitée.

Je ne connais pas d’autre artiste ayant produit trois versions aussi différentes, aussi innovantes, et aussi réussies, de ce thème difficile : on peut considérer Lastman, dans les années 1607-1616, comme un maître du Sacrifice d’Isaac.


Schelte Adamsz Bolswer d'apres Theodoor Rombouts_Sacrifice-of-Abraham RijksmuseumSchelte (Adamsz Bolswer) d’après Theodoor Rombouts, Rijksmuseum 5Oc 1674 British_(English)_School_-_The_Angel_of_the_Lord_Preventing_Abraham_from_Sacrificing_His_Son,_Isaac__National_TrustEcole anglaise, 1674, National Trust

Dès son arrivée à Rome en 1617, le flamand Rombouts s’était d’ailleurs inspiré de la première composition de Lastman, pour un tableau qui ne nous est plus connu que par cette gravure (inversée) et cette lointaine copie anglaise.


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Les deux Sacrifices de Rembrandt

5eb Pieter Lastman 1612 Het_offer_van_Abraham_Rijksmuseum_SK-A-1359Pieter Lastman, 1612, Rijksmuseum 5Ga 1635 Rembrandt _Abraham's_Sacrifice_ (Hermitage)Rembrandt, 1635, Ermitage

La question de l’influence de Lastman sur ce tableau est très discutée [4]. Elle ne fait en tout cas aucun doute pour un des spécialistes du sujet [5]. On sait par ailleurs qu’une bonne part de l’influence italienne sur Rembrandt s’est transmise via Lastman, chez qui le jeune artiste a passé six mois, probablement en 1624. Il est vrai que les travaux de Lastman sur le thème du Sacrifice d’Isaac dataient de dix ans plut tôt, et que Rembrandt ne traitera le sujet que dix ans plus tard. Mais cet écart temporal prend moins d’importance si on reconnaît en Lastman un spécialiste du sujet : il devient alors très plausible que Rembrandt, pour attaquer ce thème nouveau, se soit souvenu de la version de 1612.


5Gb Pieter Lastman 1612 Het_offer_van_Abraham_Rijksmuseum_SK-A-1359 schema 5Gb 1635 Rembrandt _Abraham's_Sacrifice_ (Hermitage) schema

La composition de Rembrandt supprime les tranches latérales (à droite et en bas) et symétrise les deux diagonales, en plaçant le brasero à leur intersection.

Le clou du tableau est le couteau en apesanteur, sur la médiane, une idée de génie d’un point de vue graphique autant que narratif : en enserrant le poignet d’Abraham, l’ange fait rentrer au fourreau la lame meurtrière et annule du même coup le feu qui brûle de l’autre côté.


5Ga 1636 ca Rembrandt atelier _Abraham's_Sacrifice_ (Munich) 5Ga 1636 ca Rembrandt et atelier _Abraham's_Sacrifice_ (Munich) schema

Atelier de Rembrandt, 1636, Gemäldegalerie, Münich

La seconde version présente quelques modifications qui vont toutes dans le même sens : en décalant le bras droit de l’ange pour souligner la verticale, en supprimant le brasero et en mettant en évidence le bélier (qui était quasi invisible dans le buisson en contrebas), tout est fait pour attire l’oeil sur l‘effet de suspens du couteau (pour d’autres « instantanés » en peinture, voir ZZZ).


5Hb 1646 Ferdinand_Bol_-_Die_Opferung_Isaaks Museo di Palazzo Mansi, LuccaFerdinand Bol, 1646, Museo di Palazzo Mansi, Lucca

Dans cette reprise dix ans plus tard, l’élève conserve l’idée du maître mais fait tomber le couteau sur le bélier, ce qui l’oblige à décaler le corps d’Isaac. Meilleure d’un point de vue narratif, cette proposition perd la puissance graphique du triangle rembranesque.


5hb 1635-80 Ferdinand Bol sacrifice isaacGalerie nationale Prague 5hb 1635-80 Ferdinand Bol sacrifice isaac Galerie nationale Prague schema

Ferdinand Bol, gravure non datée, Galerie nationale, Prague

Bol l’abandonne aussi dans sa version gravée, au profit d’une très astucieuse remontée en zig-zag vers le ciel.


5Ha 1643 Jan Lievens Sacrifice Abraham musee des beaux-arts, Tel AvivJan Lievens, 1643, musée des Beaux-Arts, Tel Aviv 5ha school_rembrandt_abraham_sacrificeAnonyme rembranesque, collection particulière 5Ha 1649 ca_Govert_Flinck Sacrifice_of_Isaac coll partGovert Flinck, 1649, collection particulière

Dans les années qui suivent, la composition de Rembrandt impacte plusieurs peintres de son entourage. En déplaçant Abraham sur la droite, Flinck l’éloigne d’Isaac et retrouve la composition en triangle pointe à droite (V3).


5L 1655 Rembrandt Le Sacrifice D IsaacGravure, 1655 (inversée) 5L 1659 Rembrandt Le Sacrifice D Isaac,hedingham castle1659, Hedingham castle

Rembrandt revient sur le thème à la fin de sa vie, dans une gravure radicale où le regard descend, du cou offert d’Isaac au plat destiné à recueillir son sang, puis à l’âne qui dégringole la pente jusqu’aux minuscules personnages en contrebas.

Le tableau, authentifié récemment [6], remplace la plongée de gauche par l’objet iconique du maître : le couteau qui chute.

Autre atténuation entre la gravure et le tableau, le geste de l’ange :

  • qui d’abord rapproche le père et le fils dans une étreinte forcée ;
  • puis qui enveloppe sans contraindre.


5N 1616-69 Paulus Bor attr sacrifice isaac Coll priv photo rkdPaulus Bor (attr) 1616-69, collection particulière (photo rkd)

La mauvaise qualité de la reproduction ne rend pas justice à cette composition, qui développe l’idée de l’ange enveloppant et dialoguant par derrière, pour en faire le sommet d’und contre-plongée pyramidale : l’ange planté en haut délègue à deux angelots la tâche de bloquer le bras d’Abraham.


5M 1660-70 Jordaens sacrifice isaac LouvreDessin, Louvre 5M 1660-70 Jordaens sacrifice isaac St Lorenz LübeckSt Lorenz, Lübeck

Jordaens, 1660-70

A Anvers, Jordaens se souvient encore du détail rembranesque du couteau qui tombe, comme clin d’oeil dans le dessin préparatoire, et comme élement-clé dans la peinture : la verticale de la chute s’inscrit entre l’équerre des bras de l’ange, et le parallélépipède de l’autel.


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Pendant ce temps, en France

5I 1633-35 Philippe_de_Champaigne _Le_sacrifice_d'Isaac coll partPhilippe de Champaigne, 1633-35, collection particulière

Au moment-même où Rembrandt peint sa version mouvementée, Philippe de Champaigne met au point un triangle pointe à droite tout aussi puissant, mais qui produit l’effet contraire : la stabilité d’Abraham debout, étayée par l’oblique du mur.

« Ce qui frappe, dans cette toile, ce n’est pas l’absence de mouvement, le silence que la scène inspire. C’est surtout la finesse presque imperceptible de l’expression : le sang-froid d’Abraham, dont la détermination a quelque chose d’intellectuel, voire de cérébral ; le trouble d’Isaac, où la peur commence à transparaître ; la mansuétude du bélier, dont le regard dénonce une étincelle de conscience. Tout se passe comme si la Providence avait tout prédisposé, comme s’il n’appartenait à l’homme que d’en prendre acte, avec lucidité, comme le fait d’ailleurs le peintre dans ce tableau, en interprétant l’Écriture. » [7]


5J 1650 ca Charles Le Brun Le Sacrifice d’Abraham coll partCharles Le Brun, vers 1650, collection particulière 5J 1660 ca Hilaire Pader Le sacrifice d'Abraham Cathedrale St Etienne de Toulouse (Photo Christian Attard)Hilaire Pader, vers 1660, Cathédrale St Etienne de Toulouse (Photo Christian Attard)

Les rares peintres français qui traitent le thème au XVIIème siècle recherchent la même impression de statibilité :

  • Lebrun en rencentrant les figures sur un grand triangle équililatéral ;
  • Pader en étayant la composition à droite, comme de Champaigne, par un triangle rectangle.

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Après le XVIIème siècle

5P 1687-1749 alessandro-magnasco-called-il-lissandrino-the-sacrifice-of-isaac coll partAlessandro Magnasco, 1687-1749, collection particulière 5P 18eme s il-sacrificio-di-isacco_Propriete municipale Reggio di CalabriaAnonyme, 18ème, Propriété municipale, Reggio di Calabria 5Pb 1736-38 Livio Retti sacrifice isaac Schwäbisch Hall, City Hall, Council Chamber wallLivio Retti, 1736-38, Schwäbisch Hall, Mairie, Mur de la Salle du Conseil

Chez les Italiens, la formule se survit sans produire d’oeuvre majeure.


5R 1849 Evgraf (Gerard) Romanovich Reitern sacrifice isaac Musee Russe St Petersbourg schema 5R 1849 Evgraf (Gerard) Romanovich Reitern sacrifice isaac Musee Russe St Petersbourg schema

Evgraf Romanovich Reitern, 1849, Musée Russe, Saint Petersbourg

Dans cette composition à la verticalité très étudiée, le bras de l’ange montrant le bélier vers l’arrière équilibre celui d’Abraham aveuglant Isaac vers l’avant. L’expansion du torse du père rend d’autant plus étroit son tête à tête avec l’ange. Le geste de préhension de cet ange-enfant est verrouillé, à droite, par le reflet du visage du père sur la lame (losange blanc).


La diagonale ascendante

sacrifice isaac Type V5 Veronese schema
En inversant le type naturel V1, cette formule contredit sciemment la narration et crée un effet d’insolite : elle est donc particulièrement rare. On la trouve tout aussi exceptionnellement dans quelques compositions imbriquées V4, où l’ange est dans l’angle supérieur droit.

Une invention de Véronèse

A1 1586 Veronese Sacrifice_of_Isaac Prado A1 1586 Veronese Sacrifice_of_Isaac Prado schema

Véronèse, 1586, Prado

Véronèse reprend la composition V1 de ses prédécesseurs Titien et Tintoret, mais la repense complètement. Pour pouvoir comprimer latéralement la scène, il imbrique Isaac sous Adam. En casant derrière un buisson l’agneau vu de dos, il crée un puissant effet ascensionnel, en quatre niveaux soulignés par l’architecture (lignes bleus clair).

A la même période, il va reprendre les mêmes principes dans une composition tout aussi excessive, mais déployée dans l’autre sens : en largeur.


A2 1580-86 Veronese Sacrificio_di_Isacco_(KHM_Vienna)Véronèse, 1580-86, Kunsthistorisches Museum, Vienne

Ce tableau fait partie d’une série de dix peints par Véronèse et son atelier pour la sacristie de San Giacomo della Giudecca. On a proposé qu’il faisait pendant avec l’Expulsion d’Adam et Eve du Paradis, mais rien ne l’indique dans la composition. Le format très allongé n’est pas un choix, mais une contrainte imposée pour la série de tableaux (dont la logique d’ensemble pose problème [8]). Véronèse s’est donc trouvé confronté à la difficulté de faire entrer le Sacrifice d’Isaac, jusqu’alors toujours représenté en hauteur, dans un format Paysage.



A2 1580-86 Veronese Sacrificio_di_Isacco_(KHM_Vienna) schema
La solution trouvée ressemble beaucoup à celle de Carrache à Bologne dans les mêmes années : occuper la moitié du tableau avec la scène secondaire des deux serviteurs avec l’âne, et en profiter pour faire ressentir la hauteur du mont. Mais tandis que Carraci y parvenait par une vue en plongée, Véronèse utilise une contre-plongée très vénitienne, avec un point de fuite très décalé en haut et à droit (lignes jaunes).

Des copies anciennes (pas entièrement superposables) montrent que le tableau a été légèrement recoupé sur trois côtés mais très peu en haut (la main gauche de l’ange) : le bélier était vu en entier, mais l’ange était délibérément en hors champ : à la fois pour une raison pratique (gagner de la place en hauteur) et théologique (rappeler la vieille iconographie de la main de Dieu sortant du ciel).

Il en résulte une composition :

  • très logique : tout ce qui tient du sacrifice (âne pour transporter le bois, brasier déjà allumé) se trouve à gauche du mur ;
  • très théâtrale : Isaac ne voit pas ce que le spectateur voit, ni la fin annoncée (l’autel derrière le mur) ni la fin heureuse (le bélier derrièe le buisson).

L’histoire est racontée par les niveaux ascendants (en bleu)

  • les sacrifiés sous le niveau de l’autel ;
  • le sacrificateur coupé en deux, un bras côté terre et un côté ciel ;
  • l’ange en hors-champ.

On voit d’emblée les contraintes de cette formule inversée :

  • elle fonctionne ici grâce au format Paysage, avec la scène secondaire qui introduit la lecture ascensionnelle, de gauche à droite et de bas en haut ;
  • elle impose qu’Abraham soit vu de dos, pour que l’ange, dans le coin droit, puisse saisir son bras droit.



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Le type V1 ascendant

B 1600 ca the-sacrifice-of-isaac-follower-of-jacob-de-backer coll partSuiveur de Jacob de Backer, vers 1600, collection particulière

Cette oeuvre mineure montre ce qui arrive lorsqu’on ne respecte pas ces deux points : Abraham regarde ailleurs et l’ange se fait couper le bras.


C 1682-1728 Matteis, Paolo de sacrifice isaac coll partPaolo de Matteis, 1682-1728, collection particulière

Ici en revanche les deux contraintes sont respectées : scène introductive à gauche (une ville) et Abraham vu de dos.


H 1782 Johann_Christoph_Storer_(zugeschrieben)_-_Abrahams_Opfer_-_Bavarian_State_Painting_CollectionsJohann Christoph Storer (attr), 1782, Bavarian State Painting Collections

Ici Abraham baisse son bras armé et l’ange montre le ciel, ce qui élimine tout problème.

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Le type V4 ascendant

L’imbrication d’Isaac sous Abraham amoindrit l’effet contre-narratif de la formule .


Da Caracciolo Battistello 1615-20 sacrifice isaac Musee Pouchkine Moscou modifieBattistello da Caracciolo, 1615-20, Musée Pouchkine, Moscou.

Le napolitain Caracciolo est le tout premier à utiliser le format V4 en style caravagesque : il utilise le format vertical, mais dans un cadrage resserré (Abraham en demi-figure). Le puissant triangle vers la droite préfigure celui auquel Rembrandt aboutira en 1635 seulement.

Tandis que le bélier et Isaac voient l’ange arriver, Abraham les yeux clos ressent seulement son souffle et sa pression légère.


Da Caracciolo Battistello 1615-20 sacrifice isaac Musee Pouchkine Moscou modifie Da Caracciolo Battistello 1620 ca The-Sacrifice-of-Isaac-Dundee Art Gallery and MuseumBattistello da Caracciolo, vers 1620, Dundee Art Gallery and Museum

Il suffit de décaler à droite l’ange et le bélier, en les inversant, pour accentuer encore cet effet de surprise.


Db 1610-50 seghers gerard (attr) il-sacrificio-di-isacco coll partGérard Seghers (attr), 1610-50, collection particulière Db 1639-77 Thijs Peter attr sacrifice isaac coll partPeter Thijs (attr), 1639-77, collection particulière

Comme toujours dans cette formule, l’ange ne peut pas bloquer le geste d’Abraham, et agit par la persuasion.

F 1642 ca Simon_vouet_e_pierre_patel_I,_sacrifcio_di_isacco,Milwaukee Art MuseumSimon Vouet et Pierre Patel, vers 1642, Milwaukee Art Museum

Une autre manière de déjouer l’effet contre-narratif est de supprimer tout contact physique avec l’ange. Ici, la moitié vide amorce la lecture ascensionnelle et la lecture finit sur l’ange, un bras montrant le bélier et l’autre poursuivant l’oblique vers le ciel.


E 1640-50_ca Salomon_de_bray,_offerta_di_abramo_(sacrificio_di_isacco),_ Museum Catharijneconvent Utrecht1640-50, Museum Catharijneconvent, Utrecht E 1647 De_Bray Salomon Sacrifice_of_Isaac National Museum Stockholm1647, National Museum Stockholm

Salomon de Bray

Salomon de Bray invente cette composition étonnante, toujours sans contact avec l’ange, et où la diagonale n’est plus marquée, remplacée par un mouvement vertical : Abraham est debout en dessous de l’ange, laissant pendre son bras armé. La contre-plongée de 1647 est particulièrement spectaculaire, avec son énorme bûcher qui évoque un nid de cigognes.


G 1690 ca Lanzani Andrea,_sacrificio_di_isacco Pinacoteca civica di Caravaggio G 1690 ca Lanzani Andrea,_sacrificio_di_isacco Pinacoteca civica di Caravaggio schema

Andrea Lanzani, vers 1690, Pinacoteca civica di Caravaggio

En format séparé (V1), cette composition serait impossible. Mais en format imbriqué (V4), sa ligne de force devient pratiquement verticale, ce qui permet à l’ange de saisir la poignard.



En synthèse :

La popularité de la formule solidaire V4, très supérieure en nombre au type naturel V1, tient à sa richesse graphique : elle permet de combiner une lecture en profondeur, du premier-plan à l’arrière-plan, et une lecture à plat, selon la verticale, la diagonale descendante, ou un triangle.

Les compositions selon la diagonale ascendante, très rares, se rencontrent aussi bien en format V1 que V4.

Il nous reste à voir un dernier type de composition : le format paysage, qui exploite l’horizontale.

Article suivant : Le sacrifice d’Isaac : 3 format horizontal 

Références :
[5] WOLFGANG STECHOW « Some Observations on Rembrandt and Lastman » Oud Holland Vol. 84, No. 2/3 (1969), pp. 148-162 https://www.jstor.org/stable/42712349
[6] Michael Jaffé « Abraham’s Sacrifice : A Rembrandt of the 1660’s » Artibus et Historiae Vol. 15, No. 30 (1994), https://www.jstor.org/stable/1483480
[7] Lorenzo Pericolo, ‎ »Philippe de Champaigne » p 91
[8] Aurenhammer « Die wiener Veroneses aus san Giacomo della Guidecca : Zykus oder Assemblage ? » Jahrbuch des Kunsthistorischen Museums Wien, Volume 1 1999 p 181

Le sacrifice d’Isaac : 3 format horizontal

4 février 2023

Le format horizontal force à cohabiter les deux protagonistes divins, l’ailé et le quadrupède. Le bélier devient alors une figure à part entière, dont la place est déterminante pour donner son sens à la composition. Selon ’emplacement des quatre membres du quatuor, nous serons amenés à distinguer quatre grands types de composition horizontale (H1 à H4).

Article précédent : Le sacrifice d’Isaac : 2 type solidaire

H1 Le type Florence

1603 Caravaggio Sacrificio-di-Isacco--UffiziCaravage, 1597-1603, Offices

Comme toutes les oeuvres de Caravage, ce tableau a fait l’objet d’une littérature surabondante [9]. Je vais donc me limiter ici à analyser la composition, dont le caractère novateur, par rapport à tous les Sacrifices précédents, n’a pas été suffisamment souligné.


Le paysage

1584-86 Carracci Il Sacrificio di Isacco Pinacoteca dei Musei vaticaniCarracci, 1584-86, Pinacoteca dei Musei vaticani

La présence du paysage, rarissime chez Caravage, ne pose pas de question si l’on se souvient du tableau de Carracci de 1584-86 , le seul cas antérieur de représentation du Sacrifice d’Isaac dans un format horizontal : la plongée vers le village sert à montrer que la scène se passe en haut du mont Moriah.

Il est impossible de savoir si Caravage avait vu ce tableau de Carracci, mais il a clairement repris à la racine le problème du format horizontal.


Caravaggio_Judith_Beheading_Holofernes (inverse)Judith décapitant Holopherne (inversé), Caravage, 1598–99, Galerie nationale d’art ancien, Rome 1603 Caravaggio Sacrificio-di-Isacco--Uffizi noir

Tandis que Carracci utilisait le paysage comme une tranche plaquée à droite d’une composition verticale, avec des personnages en pieds, Caravage subit le paysage comme une concession à la narration : on voit combien l’effet aurait été plus violent avec un espace vide au-dessus de la victime, comme dans sa décapitation précédente.



1603 Caravaggio Sacrificio-di-Isacco--Uffizi detail paysageIl expédie à la va-vite cette échappée, sans doute une exigence du commanditaire. Et par goût de l’énigme, il réduit à la taille d’un point les deux serviteurs exigés par la narration, et évoque l’âne par deux feuilles perdues dans l’ombre.



1603 Caravaggio Sacrificio-di-Isacco--Uffizi detail arbreUn détail du paysage lui permet néanmoins de servir la dramaturgie : la branche coupée, en écho au couteau.


Les effets subliminaux (SCOOP !)

1603 Caravaggio Sacrificio-di-Isacco--Uffizi detail paysage

Le centre du tableau révèle une haute densité de morceaux de bravoure, très visibles mais rarement vus :

  • la main d’enfant contrastant avec celle du vieillard ;
  • le reflet, à deviner, de la tête de l’ange sur la lame ;
  • le bras droit disparu d’Isaac, virtuellement amputé ;
  • la langue du bélier qui sort par derrière, contrastant par son silence avec le cri d’Isaac ;
  • le cou du bélier déjà offert au couteau, alors que celui d’Isaac est impossible à atteindre.


Les effets polyphoniques (SCOOP !)

1603 Caravaggio Sacrificio-di-Isacco--Uffizi schema 2
D’un point de vue narratif (flèches vertes), Abraham et l’ange sont deux serviteurs de Dieu qui s’affrontent, Isaac et le bélier sont deux offrandes substituables.

Comme dans une polyphonie, Caravage rajoute des effets d’imitation, purement graphiques, entre les figures de son quatuor (flèches bleues) :

  • 1) on a souvent remarqué qu’Isaac et l’ange ont probablement le même modèle (Cecco di Caravaggio), mais que l’ange a été idéalisé avec un profil grec ;
  • 2) en fait, l’ange a plutôt un profil ovin, qui joue sur l’homophonie entre angelo et agnelo ;
  • 3) le bélier et Abraham sont deux têtes dures ;
  • 4) le père et le fils sont des inverses capillaires et vocaux (l’un serre les dents et l’autre hurle).

Le schéma de composition (SCOOP !)

1603 Caravaggio Sacrificio-di-Isacco--Uffizi schema 2
Ce schéma résume les points-clés de la composition très systématique mise au point par Caravage :

  • la scène secondaire (les serviteurs et l’âne) est cachée dans le paysage (cadre rouge) ;
  • les non-humains, manoeuvrés par Dieu, sont aux extrêmes (en jaune) ; les deux humains sont au centre (en vert) ;
  • les bouches ouvertes (cercle vides) ou fermées (cercles pleins) sont alternées ;
  • les mains qui pointent (index et couteau) sont alternativement la gauche et la droite (rectangles bleu clair) ;
  • les mains qui serrent sont également alternées (rectangles bleu sombre) ;
  • le reflet (flèche jaune) illustre la prise de contrôle du couteau par l’ange.

Outre le fait d’être le tout premier Sacrifice d’Isaac en format paysage et en demi-figures, c’est cette rigueur sous-jacente qui a fait de cette toile un modèle très imité par les peintres caravagesques, que nous baptiserons « type Florence ».


La postérité du type Florence

1612 ca Gentileschi, Orazio Sacrificio di Isacco - Genova, Palazzo Spinola schemaOrazio Gentileschi, vers 1612, Genova, Palazzo Spinola, Gênes

A première vue, cette toile en format Portrait se rattache au type imbriqué V4 (voir Le sacrifice d’Isaac : 2 type solidaire), avec un grand triangle jouant sur la verticalité. Ce qui est nouveau cependant est le fait qu’Abraham ne soit pas en pied, mais en demi-figure.



1612 ca Gentileschi, Orazio Sacrificio di Isacco - Genova, Palazzo Spinola schemaIl suffit de faire pivoter le tableau pour constater tout ce que la composition doit à Caravage, notamment dans l’alternance de mains. La seule différence est qu’ici l’ange pointe le ciel, alors que ches Caravage il pointait le bélier.


1624 ap Preti Gregorio sacrifice_d_isaac Musee des Beaux-Arts - Palais Fesch, Ajaccio schema 1624 ap Preti Gregorio sacrifice_d_isaac Musee des Beaux-Arts - Palais Fesch, Ajaccio schema

Gregorio Preti, après 1624, Musée des Beaux-Arts, Palais Fesch, Ajaccio

La composition reprend celle de Caravage, mis à part le fait qu’Isaac s’est relevé au dessus du bélier : le dialogue Bélier-Isaac vient alors contrebalancer le dialogue Ange-Abraham, soulignant l’affinité entre le bélier et l’ange que Caravage s’était contenté de suggérer.



1618 ap genes giovanni andrea de ferrari sacrifice isaac

Giovanni Andrea de Ferrari, après 1618, collection particulière

Ce peintre génois reprend le type Florence, mais en supprimant le bélier. La gestuelle des mains commence à s’écarter du modèle.


1630 ca D. Bernardus Sacrifice d'Isaac Musee art et Histoire geneveD. Bernardus, vers 1630, Musée d’Art et d’Histoire, Genève

Dans cette variante très statique du type Florence, seul est conservé l’ordre des personnages, casés dans des tranche verticales de manière peu inspirée.



1650 ca galli_Giovanni_antonio_detto_lo_spadarino,_sacrificio_di_isacco,_Museo Collezione Gianfranco LuzzettiGiovanni Antonio Galli (Lo Spadarino), vers 1650, Museo Collezione Gianfranco Luzzetti

Retour à la composition d’origine, mais sans le bélier.


Carlo Ceresa 1650 ca il-sacrificio-di-isacco coll part detail Carlo Ceresa 1650 ca il-sacrificio-di-isacco coll part detail

Carlo Ceresa, vers 1650, collection particulière

D’une certaine manière, ce tableau qui met l’accent sur la manière dont l’ange agrippe le poignet d’Abraham peut être considérés comme en expansion du type Florence en figures en pieds.



H2 Le type Princeton

1598 Sacrificio-di-Isacco-Caravaggio-Princeton

Caravage, 1597-98 ou Cavarozzi, 1617, anciennement dans la collection Piasecka-Johnson, Princeton

Une longue querelle d’attribution a suivi la découverte récente de ce tableau [10] : au départ, on y a vu le tout premier Sacrifice d’Isaac réalisé par Caravage [11] , mais lors de la revente en 2014, le débat a été tranché (momentanément ?) par l’attribution à Cavarozzi, et le rajeunissement de la date d’une vingtaine d’années [12].


Un reflet singulier (SCOOP !)

1598 Sacrificio-di-Isacco-Caravaggio Princeton detail bucheSans entrer dans la querelle, on peut verser au dossier le détail extrêmement rare du reflet dans le couteau, qui montre ici le museau du bélier tirant la langue par derrière. Si le tableau n’est pas de Caravage, il est clair que Cavarozzi avait observé de très près la version Florence, et en avait saisi les intentions, même les plus discrètes.


Le type Princeton

1598 Sacrificio-di-Isacco-Caravaggio-Princeton schema
D’un point de vue compositionnel, les différences avec le type Florence sautent aux yeux :

  • les personnages sont répartis de manière symétrique : à gauche les non-humains (en jaune), à droite les humains (en vert) ;
  • les mains, toutes les quatre en train de serrer, sont elles-aussi réparties de manière symétrique : deux aux extrêmes, deux sur la ligne de séparation (rectangles bleus) ;
  • le couteau, qui reflétait l’ange, reflète maintenant le bélier, projetant l’histoire vers son terme.

Schématiquement, on pourrait dire que le type Princeton, en séparant les figures selon leur appartenance (à Dieu ou à l’Humanité), suppose déjà acquis le sacrifice du Bélier ; alors que le type Florence, par ses alternances, laissait la fin plus ouverte.

Tandis que dans le type Florence, le paysage offrait une échappée vers l’arrière, la tranche complémentaire (en rouge) bloque au contraire le regard et le ramène vers le premier plan.



1598 Sacrificio-di-Isacco-Caravaggio Princeton detail buche
On y découvre une nature morte remarquable par son réalisme : une bûche consumée, dont le bout le plus éloigné rougeoie.

Cette extension incongrue pose un problème narratif : puisqu’il ne peut s’agir du brandon servant à allumer le bûcher (il est entièrement consumé), il ne peut avoir qu’un valeur symbolique : de même que la composition fait comme si le bélier était déjà égorgé, de même la bûche consumée nous dit qu’il est déjà brûlé.


La postérité du type Princeton

1603 Caravaggio Sacrificio-di-Isacco--Uffizi 1616, Orrente Pedro Le Sacrifice d'Isaac Musee des Beaux-Arts de Bilbao schema

Pedro Orrente, 1616, Musée des Beaux-Arts de Bilbao

A l’appui d’une origine espagnole du type Princeton, on peut noter que c’est en Espagne qu’apparaît, très rapidement, cette remarquable réplique.

Dans la tranche complémentaire (en rouge), on retrouve le détail du bout de bois rougeoyant (mais ici, il s’agit clairement d’un boute-feu).

Les gestes des mains reprennent l’alternance caravagesque des mains qui pointent (rectangles bleu clair) et des mains qui serrent (rectangles bleu sombre).


1615-20 Vitale Filippo_Sacrificio_di_Isacco CapodimonteFilippo Vitale, 1615-20, Capodimonte

Si le type Princeton a été inventé par Cavarozzi, en Espagne, il faut admettre que ce peintre napolitain l’a réinventé de manière indépendante. On notera qu’il ne s’agit pas ici d’une reconception majeure comme celle de Cavarozzi, avec sa ligne de symétrie clairement marquée. Mais plutôt d’une simple variante du type Florence, enrichie d’un cinquième élément, le brasier : le plus efficace du point de vue dramatique et narratif était de le rajouter à droite d’Isaac (péril imminent dans le sens de la lecture), ce qui obligeait à déporter le bélier de l’autre côté.

Ainsi Cavarozi et Vitale auraient abouti à des résultats similaires non par influence directe, mais en appliquant la même idée : remplacer la zone Paysage du tableau de Caravage par une référence au Feu (brandon ou brasero).


1630-32 Valentin de Boulogne sacrifice isaac Musee des BA Montreal inacheveValentin de Boulogne, 1630-32, Musée des Beaux Arts, Montréal

On voit bien, dans ce tableau inachevé de Valentin, combien le type Princeton est rationnel : l’ange pointe l’agneau à gauche, Abraham enserre Isaac à droite ; et au centre se trouve une zone d’échange, où l’ange serre et Abraham pointe.


1603 Caravaggio Sacrificio-di-Isacco--Uffizi schema tetes
Le type Florence est en comparaison très alambiqué, avec ses alternances et sa proximité suspecte entre le fils et la bête, qu’il revient au père de trancher.


1649-97 Carlone Giovanni Battista (attr) sacrifice isaac Musee de Picardie Photo Marc JeanneteauCarlone Giovanni Battista (attr), 1649-97, Musée de Picardie (Photo Marc Jeanneteau). 1636-87 Bernhard Keil Monsu_Bernardo_Sacrificio_di_IsaccoBernhard Keil (Monsu Bernardo), 1636-87, collection particulière

Dans la seconde moitié du siècle, l’influence de Caravage s’éloigne, et les très rares Sacrifices en format Paysage sont du type le plus simple, Princeton.


1650-1700 ECOLE ITALIENNE sacrifice isaac coll partEcole italienne, 1650-1700, collection particulière Giambattista Mengardi, 18th century Lupia, Parish Church.Giambattista Mengardi, 18ème siècle, église paroissiale de Lupia

En les écartant suffisamment, on peut même dilater les figures pour les représenter en pied.


1743 Amigoni Jacopo Das_Abrahamsopfer_Gemaldegalerie Berlin schema 1743 Amigoni Jacopo Das_Abrahamsopfer_Gemaldegalerie Berlin schema

Jacopo Amigoni, 1743, Gemäldegalerie, Berlin

Dans cette composition élégante, ultime résurgence de la formule :

  • la diagonale ascendante gouverne les mains droites et la situation présente (Isaac sacrifié) ;
  • la diagonale descendante gouverne les mains gauches et la situation future (le bélier sacrifice) ;
  • au point d’intersection, la main gauche de l’ange fait pivot entre les deux issues.



H3 : Le type en V

Dans cette formule, Abraham et l’Ange s’affrontent au dessus d’Isaac allongé.


A l’origine : la réduction du type V4

Le type V4 (solidaire), que nous avons vu au chapitre précédent, s’inscrit naturellement dans un format vertical. Mais certains artistes ont cherché à le transcrire en format Paysage, très à la mode au XVIIème siècle, en limitant Abraham à une demi-figure.


Sacrifice of Isaac - Ficherelli, Felice (1605-1660)

Collection Gregori , Florence

ficherelli sacrifice isaac coll partCollection particulière

Felice Ficherelli, 1625-40

La solution du florentin Ficherelli dans les années 1625-40 (la chronologie précise n’est pas connue), est de placer Isaac en position couchée, et de minimiser l’ange : on reconnait néanmoins la composition triangulaire d’Andrea del Sarto.


ficherelli 1640 ca sacrificio-di-isacco National Gallery of Ireland Dublin ficherelli 1640 ca sacrificio-di-isacco National Gallery of Ireland Dublin reduit

Le Sacrifice d’Isaac, Felice Ficherelli, vers 1640, National Gallery of Ireland, Dublin

Dans cette autre proposition, Ficherelli s’inspire de Caravage et étend vers le bas le type Florence, en représentant Isaac en totalité.  Abraham est repris du tableau de la collection Gregori, inversé de gauche à droite.


ficherelli Saint Laurent NationalMuseum Stokholm

Saint Laurent, National Museum, Stokholm.

A noter que le même jeune homme convient aussi bien pour Isaac sur le bûcher que pour Saint Laurent sur le grill.


1620-25 Giulio Cesare Procaccini sacrifice isaac coll part 1620-25 Giulio Cesare Procaccini sacrifice isaac coll part schema

Giulio Cesare Procaccini, 1620-25, collection particulière

Procaccini limite la contraction à un format carré et cale les figures entre les diagonales.  Cette structure en X est sous-jacente à la formule en V, qui commence ici à apparaître.


1630 ap Stomer Mathias Le sacrifice d'Abraham Ajaccio, Palais Fesch 1630 ap Stomer Mathias Le sacrifice d'Abraham Ajaccio, Palais Fesch schema

Mathias Stomer, après 1630, Musée des Beaux-Arts, Palais Fesch; Ajaccio

Stomer pousse la compression jusqu’au format horizontal en réduisant la taille d’Abraham, qui devient équivalente à celle de l’ange.


5Cb 1635 ca Luigi-Miradori-detto-il-Genovesino Sacrificio-di-Isacco-Londra-ColnaghiCollection Colnaghi, Londres 5Cb 1635 ca Luigi-Miradori-detto-il-Genovesino the-sacrifice-of-isaac-Collection particulière

Luigi Miradori (Il Genovesino), vers 1635

La solution de Miradori est de comprimer Isaac  grâce à un raccourci audacieux.  On voit bien que pour aboutir au format horizontal, il faut réduire l’ange en demi-figure et le faire descendre  au niveau d’Abraham : les deux ont alors tendance à se répartir équitablement dans les deux moitiés.


1640 ca Preti Mattia (att) sacrifice isaacGalleria Nazionale delle Marche 1640 ca Preti Mattia (att) sacrifice isaac Galleria Nazionale delle Marche schema

Mattia Preti (att), vers 1640, Galleria Nazionale delle Marche

C’est lorsque l’ange et Abraham sont d’égale importance que s’installe véritablement le type en V, aux deux branches symétriques. Devenu enjeu du combat, Isaac n’appartient plus à l’un ou l’autre camp (couleur bleue). La quasi-élimination du bélier accompagne ce parti-pris ternaire.


Ecole espagnole 17eme sacrifice isaac Musee de SaintesEcole espagnole, XVIIème siècle, Musée de Saintes

Dans cette oeuvre espagnole, la partie narrative se refugie dans le coin inférieur droit, où le bélier réduit à son museau hume la fumée du sacrifice.


1657-59 de valdes leal juan sacrifice isaac coll part 1657-59 de valdes leal juan sacrifice isaac coll part schema

Juan de Valdès Leal, 1657-59, collection particulière

Dans cette composition similaire, mais avec des figures en pied, le bélier se trouve marginalisé dans une tranche latérale.


1675 ap antonio bellucci sacrifice isaac VeniseAntonio Bellucci, après 1675, collection particulière 1600-1700 Anonimo veneziano Sacrificio di Isacco phototheque zeriAnonyme vénitien, XVIIème siècle, collection particulière

Dans ces deux oeuvres vénitiennes, le bélier a totalement disparu.


Les évolutions du XVIIIème siècle

Facile à mettre en place pour l’artiste et facile à comprendre pour le spectateur, la composition va prendre au XVIIIème siècle un remarquable essor.


1712 Antonio_Filocamo sacrifice isaac Pinacoteca Zelantea, AcirealeAntonio Filocamo, 1712, Pinacoteca Zelantea, Acireale 1720-30 angelo-trevisani the-sacrifice-of-isaac coll partAngelo Trevisani, 1720-30, collection particulière

Au départ, elle conserve le format horizontal du siècle précédent ; puis elle va évoluer vers des formats de plus en plus verticaux.


Ignoto-caravaggesco-Sacrificio-di-Isacco.Anonyme caravagesque, XVIIème siècle, collection privée 1720-30 Venezianische-Schule-Abraham-opfert-seinen-Sohn-Isaak coll partAnonyme vénitien, 1720-30, collection privée

Une variante de cette structure en X, déjà exploitée par un caravagesque du siècle précédent, est de montrer Isaac de dos, dans un effet de repoussoir qui accentue la profondeur.


1730 ca Jean Restout the-sacrifice-of-abraham coll part (photographie galerie Matthiesen) schema

1730 ca Jean Restout the-sacrifice-of-abraham coll part (photographie galerie Matthiesen) schemaH3 dissymétrique 1730 ca Jean Restout the-sacrifice-of-abraham coll part (photographie galerie Matthiesen) schema 1V3 comprimé

Jean Restout, vers 1730, collection particulière (photographie galerie Matthiesen)

Dans cette composition très particulière avec des figures en pied, Restout équilibre la supériorité verticale de l’Ange par la supériorité horizontale d’Abraham, qui tire le torse d’Isaac dans son camp. Selon qu’on s’intéresse aux visages ou aux corps, la composition s’analyse aussi bien comme de type H3 dissymétrique ou de type V3 (triangle pointe à droite) comprimé au format horizontal.


Le pendant de Bencovich

1715 Federico_Bencovich Hagar_and_Ishmael_in_the_Desert Schloss WeißensteinAgar, Ismaël et l’ange, Schloss Weißenstein, Pommersfelden 1715 Federico_Bencovich Abraham_s_sacrifice_of_Isaac_-_ Strossmayer Gallery ZagrebSacrifice d’Isaac, Strossmayer Gallery, Zagreb

Federico Bencovich, 1714

Ce pendant fait partie des quatre toiles commandées par Lothar Franz von Schönborn à Bencovich pour son château de Pommersfelden, et réalisées à Venise en 1714 (Bencovich allait s’installer à Vienne vers 1716) . Pour Peter Oluf Krückmann [13], le tableau de Zagreb (cat I-37) serait une copie par Bencovich du tableau original (cat Va-13), aujourd’hui perdu, qui se trouvait dans le château. Pour Gabriele Crosilla ( [14], p 36), il s’agit bien du tableau original.



1715 Federico_Bencovich Hagar_and_Ishmael Isaac pendant
La composition est savamment étudiée pour souligner les différences entre ces deux histoires d’intervention salvatrice d’un ange.


Dans l’histoire d’Agar et d’Ismaël abandonnés dans le désert, le texte précise bien que la mère et le fils sont à distance l’un de l’autre :

Quand l’eau de l’outre fut épuisée, elle laissa l’enfant sous un des arbrisseaux, et alla s’asseoir vis-à-vis, à une portée d’arc ; car elle disait : Que je ne voie pas mourir mon enfant ! Elle s’assit donc vis-à-vis de lui, éleva la voix et pleura. Dieu entendit la voix de l’enfant ; et l’ange de Dieu appela du ciel Agar, et lui dit : Qu’as-tu, Agar ? Ne crains point, car Dieu a entendu la voix de l’enfant dans le lieu où il est. Genèse 21, 15-17


Dans le Sacrifice d’Isaac, la composition en V très équilibrée (puisque la pointe du V coïncide avec le centre du X sous-jacent) souligne au contraire qu’Isaac est l‘enjeu d’une compétition, dont l’ange est en passe de prendre le dessus.


Un autre contraste tient aux deux sources de lumière :

  • d’un côté en haut au centre ;
  • de l’autre à gauche, compatible avec l’éclairage venant de la fenêtre.

Ainsi l’ange d’Agar n’est qu’un messager qui désigne une source virtuelle tandis que l’autre ange intercepte dans sa paume la lumière réelle qui entre dans la pièce, comme pour la transmettre à Abraham. Sa posture, tournée vers l’arrière, lui donne le double avantage :

  • graphiquement, de pouvoir bloquer de la main droite le bras armé d’Abraham ;
  • théologiquement, de tirer Abraham en direction du ciel.

Tous les spécialistes s’accordent sur le fait que l’idée de l’ange vu de dos vient d’un tableau vénitien du siècle précédent, très célèbre à l’époque [15] :
Johann_Liss 1627 _The_Vision_of_St_Jerome_Chiesa di San Nicola da Tolentino, Venezia

La vision de Saint Jérôme
Johann Liss, 1627, Chiesa di San Nicola da Tolentino, Venise

Comme nous allons le voir, plusieurs peintre vénitiens (Piazzeta, Pittoni) reprendront cet ange élégant.


L’évolution vers le vertical, chez Piazzetta

1715 Piazzetta Giambattista _sacrificio-isaac Thyssen Bornemisza Museu Nacional d'Art de Catalunya1715, collection Thyssen Bornemisza, en dépôt au Museu Nacional d’Art de Catalunya 1730-35 Piazetta sacrifice Isaac Gemaldegalerie Dresde1730-35, Gemäldegalerie, Dresde

Giambattista Piazzetta

Piazzetta utilise la formule en V à trois reprises, d’abord dans un format horizontal, puis dans un format vertical qui reste en demi-figures : on y retouve la figure de l’ange vu de dos, reprise du même modèle vénitien.



Piazzetta, Giovanni Battista, 1683-1754; The Sacrifice of Isaac1736-40, National Gallery, Londres

Piazzetta emploie une dernière fois la formule en V, cette fois avec des figures en pied, dans une contre-plongée verticale.


La gloire du format vertical

Giambattista Mariotti Musee national Belgrade fig 55Giambattista Mariotti (vénitien), 1710-50, Musée national, Belgrade fig 55 [14] XVIIIeme s coll part fig 53Vénitien, XVIIIème siècle, collection particulière, fig 53 [14]
1720 Vincenzo Damini sacrifice isaac Gemaldegalerie Alte Meister KasselVincenzo Damini (vénitien), 1720, Gemäldegalerie Alte Meister, Kassel Francesco Migliori anciennement Gemaldegalerie Dresde fig 54Francesco Migliori (vénitien) , 1704-38, anciennement Gemäldegalerie, Dresde, fig 54 [14]

Dans la foulée de Bencovich, d’autres peintres vénitiens vont s’appuyer sur un X sous-jacent, en format plus ou moins vertical. Le V inscrit met quelquefois à égalité l’Ange et Abraham, mais la plupart du temps place, comme Bencovich, l’Ange en position dominante.


1750 ca francesco-guardi the-sacrifice of isaac Cleveland museum of artsFrancesco Guardi, vers 1750, Cleveland museum of arts 1760-70 SIGRIST Franz Le sacrifice d'Isaac 1 PBA LilleFranz Sigritz, 1760-70, PBA Lille

Cette dissymétrie finit, pour peu qu’Abraham s’écarte d’Isaac, par se rapprocher de la formule plus ancienne des types verticaux en triangle pointe à gauche (V2) ou pointe à droite (V3), mais en restant solidement plantée sur le X sous-jacent.



H4 L’Ange séparateur

Dans cette formule très rare, l’Ange se tient entre Abraham et Isaac.

L’ange en surplomb

1524 Luini Bernardino sacrifice isaac Chiesa di S. Maria Nascente, Paderno DugnanoBernardino Luini , 1524, Chiesa di S. Maria Nascente, Paderno Dugnano 5Oc 1692 Johann Michael Rottmayr sacrifice isaacAlte Galerie, Schloss Eggenberg GrazMichael Rottmayr, 1692, Alte Galerie, Schloss Eggenberg, Graz

Chez Luini, c’est le format très haut qui a obligé à placer l’ange au centre, agissant comme une sorte de séparateur entre le père et le fils.

D’habitude, lorsque l’ange pointe du doigt, c’est pour désigner soit le Ciel (le décideur) soit le bélier (le résultat de la décision). Ici l’ange désigne Isaac, ce qui peut se justifier par ce passage du texte : « Ne porte pas la main sur l’enfant et ne lui fais rien ».

La composition de Rottmayr obéit à des intentions très différentes (nous y reviendrons au chapitre suivant) mais a pour particularité d’être  le seul autre cas où l’ange désigne Isaac.



1620-21 Rubens the-sacrifice-of-isaac-sketch-for-section-of-ceiling-in-the-jesuit-church-antwerpRubens, 1620-21, esquisse pour le plafond de l’église des Jésuites, Anvers

Rubens retrouve la même idée de l’ange séparateur sous une contrainte inverse : un format très bas, assorti d’une contre-plongée.



1699 Giuseppe_Maria_Crespi_-_The_Sacrifice_of_Abraham musee national de l'art, de l'architecture et du design de Norvege

Giuseppe Maria Crespi, 1699, Musée national de l’art, de l’architecture et du design de Norvège

Crespi est le seul à reprendre ce dispositif sans contrainte majeure. Il revient au geste habituel de l’ange pointant le bélier.


Les Sacrifices de Vermiglio (1618-25)

Vermiglio est un spécialiste du thème du Sacrifice d’Isaac, en format horizontal. L’ordre logique des variantes présentées ici retrouve l’ordre chronogique approximatif établi par Francesco Frangi [16].


A 1618-25 vermiglio Giuseppe type 1 sacrificio_di_isacco coll part autrefois Nils RappCollection particulière (autrefois Nils Rapp) A 1618-25 vermiglio Giuseppe type 1 sacrificio_di_isacco Cassa di Risparmio di CesenaCassa di Risparmio di Cesena

En bon peintre caravagesque, Vermiglio commence par décliner le type Florence, en plaçant le bélier ou l’agneau en haut, ce qui fait gagner en compacité. Le geste de l’ange, ambigu chez Caravage, est ici clarifié : soit il montre le ciel, soit il montre l’agneau (en frôlant le crâne d’Abraham).



A 1618-25 vermiglio Giuseppe Type 1 sacrificio-di-isacco coll partCollection particulière

Dans cette autre version, Vermiglio fait carrément passer derrière Abraham le bras de l’ange tendu vers le bélier.


1598 Sacrificio-di-Isacco-Caravaggio-PrincetonCaravage, 1597-98 ou Cavarozzi, 1617, anciennement dans la collection Piasecka-Johnson, Princeton B 1618-25 Vermiglio sacrifice isaac coll partGiuseppe Vermiglio, Collection particulière

Vermiglio reprend maintenant le type Princeton (il a pu croiser Cavarozzi à Rome dans les années 1618-20).


B 1618-25 Vermiglio sacrifice isaac coll part inverse B 1618-25 vermiglio Giuseppe type 2 sacrificio_di_isacco,_post_1621 Pinacoteca del Castello Sforzesco

Après 1621, Pinacoteca del Castello Sforzesco, Gênes

Cette composition peut être considérée comme l’inversion du type Princeton pour l’ange et Abraham, puis glissement d’Isaac vers la gauche. Il est nécessaire de placer le poignard dans la mais droite, ce qui impose que l’ange étende le bras gauche pour saisir la main armée : comme il est impossible ici de le faire passer par derrière, le bras de l’ange vient barrer la poitrine d’Abraham.


C 1618-25 vermiglio Giuseppe type 4 C 1618-25 vermiglio Giuseppe type 4

Collection particulière

Vermiglio a alors l’idée de décaler Isaac vers la droite : d’où cette composition totalement innovante où le triangle protecteur englobe non pas le père et le fils (comme dans la formule V4) , mais l’ange et Isaac.


D 1618-25 vermiglio Giuseppe type 4 Sacrificio di Isacco museo di genovaCollection particulière D 1618-25 vermiglio Giuseppe type 4_sacrificio-di-isaccoCollection particulière

La composition a dû avoir du succès, puisque Vermiglio en a fait deux répliques, en variant la pose d’Isaac.


La postérité de l’ange séparateur

En dehors de Vermiglio, cette formule très logique (l’ange intervient pour protéger Isaac d’Abraham) n’a pratiquement été utilisée par personne : sans doute parce que, trop impérative, elle prive Abraham de son libre arbitre.


E 1705 Gregorio Lazzarini-sacrifice-of-isaac From the monastery SS.Giovanni e Paolo accademia VeniseGregorio Lazzarini, 1705, provenant du monastère SS.Giovanni e Paolo, Accademia, Venise

Lazzarini l’a réinventée en format vertical et en pieds, avec le résultat de marginaliser Abraham et de le placer en position subalterne.


F 1901 Ferenczy sacrifice isaac Hungarian national Gallery bis F 1901 Ferenczy sacrifice isaac Hungarian national Gallery

Karoly Ferenczy, 1901, Hungarian national Gallery, Budapest

Il faut attendre les tableaux bibliques de Karoly Ferenczy pour retrouver la même idée : le parti-pris d’immobilité et de verticalité des figures oblige, pour améliorer la lisibilité de l’histoire, à placer l’ange entre le fils et le père.


karoly-ferenczy-DepositionDéposition, Karoly Ferenczy, 1903, Kultúrpalota, Marosvásárhely

Ferenczy a repris la même idée de séparation deux ans plus tard, cette fois entre le Fils et la Mère.



Article suivant : Le sacrifice d’Isaac : 4 variantes, formes atypiques

Références :
[11] Mina Gregori « Il Sacrificio di Isacco: un inedito e considerazioni su una fase savoldesca del Caravaggio » Artibus et Historiae Vol. 10, No. 20 (1989), pp. 99-142 (44 pages) https://www.jstor.org/stable/1483356
[13] Peter Oluf Krückmann, Federico Bencovich (1677-1753), 1988
[14] Gabriele Crosilla, Federico Bencovich (1677-1753), 2020
[15] Alessio Pasian « Il giovane Tiepolo. La scoperta della luce » https://www.academia.edu/5442624/Il_giovane_Tiepolo._La_scoperta_della_luce
[16] Francesco Frangi « Giuseppe Vermiglio. Un pittore caravaggesco tra Roma e la Lombardia » 2000 , p 44 et 92

Le sacrifice d’Isaac : 4 variantes, formes atypiques

4 février 2023

Ce dernier article est consacré aux artistes qui ont traité plusieurs fois et selon des formules différentes le thème du Sacrifice d’Isaac, ce qui pose la question de la préférence pour telle ou telle formule.

Nous verrons également, pour terminer, quelques oeuvres atypiques qui n’entrent dans aucune des formules que nous avons explorées.

Article précédent : Le sacrifice d’Isaac : 3 format horizontal 

Artistes « spécialistes » du thème

lls sont classés par ordre chronologique. La plage temporelle indiquée est celle où l’artiste à traité le thème.

Johan Liss (1625-29)

Liss, peintre d’origine allemande formé en Hollande et dans les Flandres, est arrivé en Italie en 1621, où il a fait toute sa carrière à Venise, Rome, puis encore Venise.


Ya johann-liss-or-lis-or-von-lys 1625-26 the-sacrifice-of-isaac-- coll partJohan Liss, 1625-26, Collection particulière

Composition de type H4 (Ange séparateur). Liss résout d’une manière originale le problème de l’ange à droite, en lui faisant bloquer non pas le bras armé d’Abraham, mais son bras libre. La manière dont les deux bras gauches se croisent sans se saisir est résumée plus bas, dans le geste du pouce qui croise le manche du couteau sans l’empêcher de tomber.


Liss Johan_-_La deploration d abel_1628-29 Venise, Galerie de l AcademieLa déploration d’Abel Liss Johan_-_The_Sacrifice_of_Isaac_1628-29 Venise, Galerie de l AcademieLe sacrifice d’Isaac

Johan Liss, 1628-29, Galerie de l’Académie, Venise

La mise en pendant de ces deux épisodes, qui n’a rien d’habituel,  se justifie par le thème de l’enfant assassiné.

A gauche, Adam et Eve découvrent le cadavre nu d’Abel. Les deux peupliers parallèles et l’arbuste qui se détachent sur le soleil couchant miment les trois personnages, dans une composition en diagonale descendante où le ciel rougi envahit la moitié du tableau.

A droite, Abraham s’apprête à égorger son fils Isaac, lui aussi dénudé. Le groupe emmêlé des trois personnages est englobé dans un bouquet d’arbres, sur la diagonale ascendante, devant un ciel bleu lumineux.

Au tragique définitif de la première mort s’oppose le message positif de la seconde, puisqu’in extremis l’ange retient le bras d’Abraham.



Liss Johan_Abel Isaac_1628-29 Venise, Galerie de l Academie inverses
Par ordre chronologique, la Mort d’Abel se situe avant le Sacrifice d’Isaac. L’ordre des deux tableaux étant contraint, il était impossible d’envisager une disposition ascendante/descendante, qui aurait accolé artificiellement deux familles n’ayant rien à voir. La disposition inverse conduit à retenir, pour le Sacrifice d’Isaac, la formule V4, la plus courante.


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Cornelis de Vos (1630-31)


Yb cornelis-de-vos 1630 ca le-sacrifice-d-abraham colll partCollection particulière Yb cornelis-de-vos 1631 le-sacrifice-d-abraham Staedel Museum1631, Staedel Museum

La composition de gauche est sans doute la première, puisqu’elle utilise la formule V4 selon la diagonale descendante, la forme la plus courante. Celle de droite s’obtient en inversant Abel (ses bras liés passant devant son torse) et en le faisant passer de l’autre côté : on ce qui conduit à la très rare formule V4 selon la diagonale ascendante . L’ange est très proche d’Abraham, qui se retourne vers lui.



Yb cornelis-de-vos 1631 le-sacrifice-d-abraham Staedel Museum schema
Il en résulte un intéressant effet de ricochet entre la courbe du corps du jeune homme, celle du corps de l’angelot, et enfin celle du sabre : comme si les trois coalisaient leur souplesse contre Abraham.


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Orazio Riminaldi (1620-30)


D Riminaldi Orazio , Sacrificio di IsaccoCollection particulière D Riminaldi Orazio Sacrificio di Isacco (1620-1630) Palazzo Barberini - RomaPalazzo Barberini, Roma

Deux compositions de type imbriqué, l’une en format vertical V4, l’autre transposée en format horizontal. Dans les deux cas, l’ombre portée du bras d’Isaac sur sa poitrine préfigure sa blessure imminente.


D Riminaldi Orazio Sacrificio di Isacco (1620-1630) Palazzo Barberini - RomaCollection particulière

Une composition rare de type Ange séparateur (H4).


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Orazio De Ferrari (1625-50)


Db Orazio De Ferrari 1625 ap genes Sacrificio di Isacco Pinacoteca SavonaAprès 1625, Pinacoteca di Savona Db Orazio De Ferrari 1650-57 sacrifice Isaac Ascoli Piceno, Pinacoteca Civica di Palazzo dell'Arengo1650-57, Ascoli Piceno, Pinacoteca Civica di Palazzo dell’Arengo

La première toile de ce peintre génois inverse la composition H1 (type Florence) de Caravage. La seconde est de type H3 (en V) mais étendu en format vertical en rajoutant en bas la partie autel, de manière très signifiante : le brasero prolonge la ligne qui passe par les mains superposées d’Abraham et de l’Ange, puis les mains liées d’Isaac, figurant son destin suspendu.


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Agostino Beltrano (1627-56)


F agostino-beltrano 1640-56_le-sacrifice-d'isaac CapodimonteCapodimonte Beltrano, Agostino, c.1607-c.1665; SacTower Hamlets Local History Library and Archives

Composition de type V1 (en pied, séparé).


F agostino-beltrano Sacrificio di Isacco(particolare) Montecatini Terme collezione privataCollection particulière, Montecatini Terme
F agostino-beltrano 1640-56_le-sacrifice-d'isaac Modena collezione BadeschiCollection Baldeschi, Modène

Compositions de type V4 (en pied, solidaire).


F agostino-beltrano 1640-56 le-sacrifice-d'isaac Gemaldegalerie DresdeGemäldegalerie, Dresde

Encore une composition de type V4, mais avec Abraham en demi-figure.


F agostino-beltrano 1640-56_le-sacrifice-d'isaac Salzburg Residenzgalerie1639, Residenzgalerie, Salzburg

Cette composition est de de type V4 selon la diagonale ascendante, avec la particularité d’être comprimée en format horizontal, ce qui en fait un cas très particulier : d’autant plus que lorsque l’ange arrive par la droite, il ne saisit généralement pas l’arme mais se contente d’un geste de persuasion (voir XXX) Le parti-pris non-narratif se voit au voisinage entre l’âne (début de l’histoire) et le bélier (fin de l’histoire).  Autre particularité intéressante, l’épaule dénudée d’Abraham, qui traduit sa vulnérabilité.


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Francesco Guarino (1631-54)


G Guarino Francesco 1631-54 sacrifice isaac Palazzo Pinto salernePalazzo Pinto, Salerne G Guarino Francesco 1631-54 sacrifice isaac diocese de SalerneCollection particulière

Ces deux variantes, très similaires à la composition atypique de Beltrano que nous venons de voir, laissent supposer que ces deux peintres de la même génération, tous deux élèves de Massimo Stanzzione à Naples, ont pu s’inspirer d’un même modèle, aujourd’hui disparu.


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Lorenzo Lippi (1626-65)


H lippi, Lorenzo , Abraham et Isaac _da_s.lucia_a_montecastello Museo diocesano (San Miniato).JPGAbraham et Isaac H lippi, Lorenzo agar_nel_deserto,_da_s.lucia_a_montecastello Museo diocesano (San Miniato)Agar au désert

Lorenzo Lippi (attr), vers 1640, provenant de l’église Santa Lucia de Montecastello, Museo diocesano, San Miniato

La composition de type V2 (triangle pointe à gauche vers Abraham) s’explique par la symétrie entre les deux personnages vêtus de rouge (triangle pointe à droite vers Agar). Pour le thème de ce pendant, voir Sujets religieux. A noter que nous avons déjà rencontré deux pendants sur le même sujet, par Pasquale Chiesa (1640) et Bencovitch (1715)



H Lorenzo Lippi 1626-65 sacrifice isaac coll partCollection particulière

Pour transposer la composition en format horizontal, Lippi conserve la même configuration Père/Fils, mais déplace l’ange à gauche pour faire jonction avec la zone Paysage.


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Paolo Pagani (1685-90)


Coutumier des compositions déjantées, Pagani a enrichi le répertoire du thème par deux interprétations particulièrement originales.


1685-88 Pagani Paolo, Agar er lange, Venise, Palazzo Capello SalvioniAgar et l’Ange 1685-88 Pagani Paolo, Sacrifice d'Isaac, Venise, Palazzo Capello SalvioniSacrifice d’Isaac

Palazzo Capello Salvioni, 1685-88, Venise

Pour ce Sacrifice, Pagani a eu deux idées uniques : placer l’ange séparateur en dessous, et lui faire détourner l’attention d’Abraham en frôlant son torse de l’aile.



1685-88 Pagani Paolo, pendant, Venise, Palazzo Capello Salvioni
Comme nous l’avons vu à propos du pendant de Bencovich, la séparation verticale entre Agar et Ismaël (ligne blanche continue) est justifiée par le texte. La même ligne, dans le Sacrifice (ligne blanche pointillée) se lit plutôt comme la médiane du triangle bien marqué par les ailes de l’ange (en bleu).  Graphiquement, la rotation du triangle s’accompagne d’une mutation des rôles : la Mère se transforme en Père, l’Ange perd ses ailes et se transforme en Fils, le Fils se transforme en Ange.

Ainsi les deux particularités du tableau s’expliquent par le fonctionnement en pendant.


1685-88 Pagani Paolo, Sacrifice d'Isaac, Ermitage, Saint Pertersbourg1685-88, Ermitage, Saint Petersbourg

A contrario, dans cette variante sans pendant, l’aile gauche a repris sa place naturelle et Abraham a retourné son attention vers Isaac. Au dessus du bélier, l’âne remplace l’arbre.


1685-90 paolo-pagani il-sacrificio-di-isacco-musee Casa Paolo Pagani (Valsolda)Sacrifice d’Isaac, 1685-90, Museo Casa Paolo Pagani, Valsolda Pagani Paolo 1700 ca Le rapt d'Helene collection priveeRapt d’Helène, vers 1700, Collection privée

Toute la composition conduit l’oeil vers le point nodal du tableau : la pointe du couteau faisant contact avec le peau du cou d’Isaac tandis que, juste à côté, la main de l’ange recouvre celle d’Abraham, de manière imperceptible.

Cette capacité à faire surgir le petit au milieu du grand anticipe le dispositif du Rapt d’Hélène, où l’oeil oscille, pour identifier celle-ci, entre la femme du premier plan et celle de l’arrière-plan.


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Luca Giordano (1680-96)


I luca-giordano 1680-89 sacrifice-of-isaac Ermitage1680-89, Ermitage I Luca-Giordano The-Sacrifice-of-Isaac coll partCollection particulière

Deux compositions V4 (solidaire), l’une en pied, l’autre en demi-figure.



I Luca Giordano 1696 ca __Il_sacrificio_di_Isacco_(Prado,_Madrid)

Vers 1696, Prado

Composition de type H3 (en V)


I luca-giordano sacrifice abel et cain coll partSacrifice d’Abel et Caïn I luca-giordano sacrifice Isaac coll partSacrifice d’Isaac

Collection particulière

Giordano réussit ici la gageure de mettre en rapport deux sacrifices n’ayant pas grand chose à voir.


I luca-giordano sacrifice Isaac sacrifice abel et cain coll part schema

Il rajoute un ange dans celui d’Abel et Caïn (en orange), Dieu dans celui d’Isaac (en jaune),  et identifie le bélier avec l’offrande d’Abel (en bleu). Dans le camp de la victime innocente, il compare Abel et Isaac  (en vert) et dans le camp du meurtrier Caïn et Abraham (en rouge).


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Michael Rottmayr (1690-1730)


5Oc 1692 Johann Michael Rottmayr sacrifice isaacAlte Galerie, Schloss Eggenberg Graz schema

Michael Rottmayr, 1692, Alte Galerie, Schloss Eggenberg, Graz

Dans cette composition de type V4, un mouvement en zig-zag particulièrement élaboré conduit l’oeil, en passant par tous les protagonistes de l’histoire, jusqu’à la conclusion heureuse : du bélier au brasero.


Muzeum Narodowe w Warszawie ;;;fot.Michael Rottmayr, 1700-30, National Museum, Varsovie Schelte Adamsz Bolswer d'apres Theodoor Rombouts_Sacrifice-of-Abraham RijksmuseumSchelte (Adamsz Bolswer) d’après Theodoor Rombouts, Rijksmuseum

Dans cette composition de type V4, l’ange croise les bras de manière particulièrement alambiquée. Cet embarras résulte d’un problème de main droite : Rottmayr a voulu corriger la gravure de Schelte (où Abraham tient le poignard de la main gauche, puisque la gravure inverse le tableau de Rombouts), tout en la recadrant en largeur, ce qui lui a fait placer le bélier à gauche, à côté du brasero. Comme il a voulu conserver le geste de l’ange montrant la bête, et lui faire arrêter de la main droite le bras armé, la seule solution était cet étonnant croisement.


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Giovanni-Battista Pittoni (1713-50)


Jb Pittoni 1713-14 sacrifice isaac Speed Art Museum Louisville1713-14, Speed Art Museum, Louisville

Composition de type H3 (en V)


Ja pittoni 1720 avant giovanni-battista the-sacrifice-of-isaac-Coll partCollection particulière Ja Pittoni (attr) 1720 avant sacrifice isaac Musee de Picardie Photo Michel BourguetMusée de Picardie

Avant 1720

Deux compositions de type V4 (solidaire), dont la seconde est une mise au format carré (peut être par un autre artiste) de la première.


Jb Pittoni 1720 Giovanni_Battista__Sacrifice_of_Isaac Chiesa di San Francesco della Vigna VeneziaPIttoni, 1720, Chiesa di San Francesco della Vigna, Venise. 1715 Federico_Bencovich Abraham_s_sacrifice_of_Isaac_-_ Strossmayer Gallery ZagrebFederico Bencovich, 1714, Strossmayer Gallery, Zagreb

Avec son ange vu de dos, cette composition semble s’inspirer de celle que Bencovich avait mise au point six ans plus tôt. Mais il s’agit plus probablement d’une réinterprétation parallèle, à partir du célèbre tableau de Liss (voir Le sacrifice d’Isaac : 3 format horizontal) .


Jc Pittoni 1750 Giovanni_Battista_Abraham_Sacrificing_His_Son_Isaac Museum_of_Fine_Arts Boston1750, Museum of Fine Arts, Boston Cornelis Galle l'Ancien 1630 ca, sacrifice isaac British Museum,1891,0414.546,Cornelis Galle l’Ancien, vers 1630

Pour sa dernière interprétation du Sacrifice d’Abraham, Pittoni reprend, pour l’Ange en surplomb arrêtant le couteau, la tradition de Raphaël ; mais en inscrivant Isaac dans le grand triangle du corps d’Abraham, il la fusionne avec la tradition d’Andra del Sarto. En ajoutant une contre-plongée à la vénitienne, qui prend son essor depuis le bélier vu de dos, il obtient cette oeuvre composite, puissante, dynamique et fortement charpentée.


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Tiepolo (1720-50)


K Tiepolo Gianbattista 1720 ca sacrifice isaac pennacchi-dell’Ospedaletto VeniseGianbattista Tiepolo, 1720-25, pennacchi dell’Ospedaletto, Venise

Le jeune Tiepolo réussit à caser la scène dans cet espace difficile, en plaçant Abraham en position couchée, symétrique à celle d’Isaac. Le couteau sur la clé de l’arc attire tous les regards.


K tiepolo giovanni battista 1727-28 the-sacrifice-of-isaac-Galleria degli ospiti Palazzo Patriarcale UdineGianbattista Tiepolo, 1727-28, Plafond de la Galleria degli ospiti, Palazzo Patriarcale, Udine

Cette fresque en contre-plongée ouvre une trouée vers le ciel au centre de la galerie.



K tiepolo giovanni battista 1727-28 the-sacrifice-of-isaac-Galleria degli ospiti Palazzo Patriarcale Udine schema
La position inhabituelle de l’Ange à droite découle de l’orientation du bâtiment : Tiepolo a dû inverser la diagonale du rayon de lumière, afin qu’il semble provenir de la fenêtre Sud. L’autre avantage étant que le rayon accompagne le visiteur entrant dans le galerie.



K tiepolo giovanni battista 1727-28 the-sacrifice-of-isaac-Galleria degli ospiti Palazzo Patriarcale Udine situation
L’idée elle-aussi inhabituelle d‘éloigner les deux groupes découle du large espace de ciel nécessaire pour donner l’illusion d’une trouée. Elle contraste agréablement avec la fresque située juste en dessous (Rachel cachant les idoles), construite autour d’un groupe central compact.

Aux yeux des invités qui parcouraient la galerie, l’ensemble du décor avait un sens politique : Abraham symbolisait l’obéissance à Dieu des patriarches d’Udine [17].


K Tiepolo Gianbattista 1750 sacrifice isaac METGianbattista et Dominico Tiepolo, 1750, MET

On pense que cette toile est de la main du père et du fils, à la période où ils collaboraient à la décoration de la Résidence de Würzburg. La composition est de type V4, mais comprimée en format horizontal pour les besoins de la contre-plongée.


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Januarius Zick (1745-97)

Cet artiste prolifique, un des maîtres du rococo allemand, a peint pas moins de onze fois le Sacrifice d’Isaac. Il aurait été très intéressant de suivre ces variations par ordre chronologique, mais malheureusement les datations sont très hypothétiques (je reprends les datations et la numérotation G08 à G16 de Strasser [18], les notations abb 135 à abb 144 renvoient aux figures de l’article d’Othmar Metzger [19]).

Les compositions sont toutes de type V4 (Abraham et Isaac solidaires), en format vertical ou le plus souvent horizontal. Mis à part deux oeuvres, l’Ange ne touche pas Abraham, absence d’interaction bien pratique pour travailler par assemblage. J’ai donc regroupé les oeuvres selon la position de l’ange par rapport au groupe principal.


Za Januarius Zick G09 1755 ca Sacrifice Isaac Suermondt-Ludwig Museum AachenVers 1755 (G09), Suermondt-Ludwig Museum, Aachen Za Januarius Zick G10 1755 ca Sacrifice Isaac Alte Pinakothek Munich abb 138Vers 1755 (G10, abb 138), Alte Pinakothek Munich Za Januarius Zick 1775 Sacrifice Isaac coll part rkdVers 1775, collection particulière, photographie rkd

La formule où l’ange arrive en vol horizontal depuis la droite est de loin la plus fréquente.


Zb1 Januarius Zick G12 1765-70 pendant Abraham et les trois anges Alte Pinakothek Munich abb 140Sacrifice d’Isaac (G12, abb 141) Zb1 Januarius Zick G12 1765-70 pendant Sacrifice Isaac Alte Pinakothek Munich abb 141Abraham et les trois anges (G12, abb 140)

Vers 1765-70 pendant Alte Pinakothek Munich

Il la reprend telle quelle dans ce pendant, qui du coup fonctionne a minima (Abraham debout sert de pivot entre le groupe des trois anges assis et l’ange volant, la femme qui regarde par la porte équilibre vaguement Isaac).


Zb2 Januarius Zick G11 1762 avant Sacrifice Isaac perduAvant 1762 (G11), perdu Zb2 Januarius Zick G16 1780-90 Sacrifice Isaac abb 139 coll part1780-90 (G16, abb 139), collection particulière

On la retrouve encore deux fois dans ces oeuvres paysagères. Dans la plus récente, l’ange ose enfin enlacer le bras armé, d’une manière plus sensuelle que directive.


Zd Januarius Zick Sacrifice Isaac et Agar abb 143 144

Sacrifice d’Isaac (abb 143) Abraham chasse Agar de sa maison (abb 144)

Dans ce pendant discutable (non accepté par Strasser), l’ange vient se coller au groupe sans tenter la moindre intervention. La composition recopie la gravure de Schelte que nous avons vu plus haut.



Zc Januarius Zick 1755 ca G08 Sacrifice Isaac coll partVers 1755 (G08), collection particulière

Cette composition expérimentale, jamais reprise par la suite, place l’ange debout, en suspension à bonne distance d’Abraham et d’Isaac qui ne lui prêtent aucune attention : l’apogée de cette absence d’interaction qui est décidemment la marque de fabrique de Zick.


Ze Januarius Zick G15 1765 ca Sacrifice Isaac Wallraf Richartz Museum Cologne abb 135Vers 1765 (G15, abb 135), Wallraf Richartz Museum, Cologne Zd Januarius Zick G13 1760-65 Sacrifice Isaac Alte Pinakothek Munich abb 1421760-65 (G13, abb 142), Alte Pinakothek, Münich Ze Januarius Zick G14 Sacrifice Isaac 1780 ca coll partVers 1780 (G14), collection particulière

Dans cette formule, l’ange est encore debout en suspension, mais si proche qu’il peut saisir le poignet d’Abraham (G13) ou tapoter son épaule (G14). La version de Münich est assez déconcertante par son parti-pris d’immobilité : chacun joue son personnage (l’ange suspendu, Isaac prostré, Abraham bouche-bée) avec la conviction de chanteurs d’opera.



Formes atypiques

Dans leur recherche forcenée de variété, certains artistes ont imaginé des compositions surprenantes, qui n’ont été reprises par personne.

Le cas Mantegna


1461 Andrea_Mantegna Triptyque des Offices detail de la Circoncision (volet droit) Offices
Le sacrifice d’Isaac, Moïse présentant aux douze tribus les Tables de la Loi.
Triptyque des Offices, détail du volet droit, Andrea Mantegna, 1461, Offices

Pour sa première interprétation du Sacrifice d’Isaac, Mantegna utilise une représentation volontairement archaïque, avec la main de Dieu sortant des nuages et Isaac représenté en adulte, ceci pour montrer l’ancienneté de l’édifice. Les deux lunettes ne doivent pas être lues en pendant, mais comme commentaire des deux scènes situées en dessous.


1461 Andrea_Mantegna Triptyque des Offices La Circoncision et la Presentation au Temple (volet droit) Offices

La Circoncision et la Présentation au Temple

La Présentation de la Loi se situe au dessus de la partie Présentation de Jésus au Temple. Comme l’a montré Jack M. Greenstein [20], l’ouverture fermée à l’arrière-plan n’est pas une porte de communication, mais la porte du Tabernacle, où sont conservées les Tables de la Loi.

La scène du Sacrifice d’Isaac se justifie quant à elle à double titre :

  • parce que, selon la tradition, elle s’était produite à l’emplacement du Temple de Jérusalem;
  • parce que le couteau du sacrifice fait écho à celui de la Circoncision, juste en dessous.


1490-95 Andrea_Mantegna Kunsthistorisches_Museum_Wien,_Opferung_Isaaks_-_GG_1842Le sacrifice d’Isaac 1490-95 Andrea_Mantegna Kunsthistorisches_Museum_Wien,David Goliath.GG_1965David et Goliath

Andrea Mantegna, 1490-95, Kunsthistorisches Museum , Vienne

Mantegna revient une seconde fois au Sacrifice d’Isaac pour ces deux panneaux décoratifs, qui proviennent très probablement du palais d’Isabelle d’Este à Mantoue [21]. La fait qu’il s’agisse de pendants n’est pas douteux :

  • deux arbres fruitiers ;
  • même bandeau, même manteau flottant, même geste de saisir la victime par les cheveux ;
  • opposition entre la posture penchée et redressée, entre le poignard mal empoigné et le glaive victorieux.

Le fait que les deux compositions ne soient pas en miroir, mais parallèles, compare Abraham et David d’une part, Isaac et Goliath de l’autre. Le thème du pendant apparaît ainsi clairement : la décapitation interrompue ou accomplie.

Ce fonctionnement en pendant explique pourquoi Mantegna, par comparaison avec la version des Offices :

  • a conservé la main de Dieu (sans introduire l’ange) : il fallait deux duos à mettre en correspondance ;
  • a rajeuni Isaac : victime de l’homme mûr côté Abraham, le Jeune Homme devient son vainqueur côté Goliath ;
  • a placé le bélier sur l’autel allumé et non devant : de même que la main de David a tranché, la main de Dieu a déjà sacrifié.

On comprend aussi la signification généalogique de l’arbre fruitier :

  • celui derrière la tête d’Isaac montre que sa descendance est préservée ;
  • celui qui porte la tête de Goliath montre que sa branche est coupée.


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Vue de dos


1555 Cristofano Gherardi,Diocesan Museum in CortonaCristofano Gherardi, 1555, Musée diocésain, Cortone

Une formule que personne d’autre n’utilisera, sans doute à cause de son sous-entendu sexuel (possiblement volontaire, tant l’angelot évoque un Cupidon indigné).


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Inversion d’un type connu


I 1620-30 Tiarini Alesssandro sacrifice isaac phototheque ZeriAlessandro Tiarini, 1620-30, collection particulière (fototeca Zeri)

Il s’agit ici d’un type V1 (Abraham et Isaac séparés et disposés sur la diagonale descendante), mais transcrit en format horizontal : ce qui permet de placer Isaac en haut à gauche, à la place habituelle de l’ange, et l’ange en contrebas, accroché sous le bras armé d’Abraham.


I 1655-58 Nicolaes_Maes_-_The_sacrifice_of_Abraham Collection of Alfred and Isabel Bader, MilwaukeeNicolaes Maes, 1655-58, Collection of Alfred and Isabel Bader, Milwaukee [22]

Dans cette composition déconcertante, Maes inverse le type V4 (Isaac solidaire d’Abraham), ce qui l’oblige à transformer Abraham en une sorte de nain abrité sous son fils.

L’ange géant qui apparaît au dessus du nuage ajoute encore à cette inversion des proportions, qui abandonne tout réalisme pour décrire une sorte d’effondrement psychique. Dans cette oeuvre radicale, l’agneau salvateur n’est pas désigné par l’ange : il faut le deviner, confondu sur le bord gauche avec l’extrémité du nuage.


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Passage au quintette


E 1645-91 Lievo Mehus Sacrifice d'Isaac Statens Museum for Kunst CopenhagueSacrifice d’Isaac E 1645-91 Livio Mehus Moise et le buisson ardent Statens Museum for Kunst CopenhagueMoïse et le buisson ardent

Livio Mehus, 1645-91, Statens Museum for Kunst, Copenhague

L’ajout de Dieu le Père s’explique par un fonctionnement en pendant particulièrement sophistiqué :

  • en vue à plat : diagonale montante puis diagonale descendante ;
  • en vue en profondeur :
    • de l’arrière-plan (âne) au plan moyen (Dieu), en arrière de l’ange montrant le bélier ;
    • de l’arrière-plan (Dieu) à l’avant-plan (moutons).



E 1645-91 Livio Mehus Statens Isaac Moise Museum for Kunst Copenhague schema
Il en résulte un effet de continuité assuré par la figure divine, entre l’arrière plan (en bleu) et l’avant-plan (en rouge), sur lequel se termine la lecture.



Livio Mehus, 1660-65, Madeleine penitente, Madeleine en extase Palazzo Pitti, FlorenceMadeleine pénitente, Madeleine en extase
Livio Mehus, 1660-65, Palazzo Pitti, Florence

Mehus reprendra dans cet autre pendant le même type de continuité dans la profondeur.


1675 1726 Gherardini Alessandro coll part fototeca ZeriAlessandro Gherardini, 1675-1726, collection particulière (fototeca Zeri)

Dieu avec ses angelots se profile derrière un Abraham au couteau coupé par le bord, impuissant scontre un ange en piqué qui assomme Isaac au passage.


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Passage au duo

Dans les deux derniers tiers du XVIIème siècle, plusieurs artistes hollandais ont l’idée de supprimer l’ange, manière radicale de renouveler le sujet. Cet effet d’ellipse suppose une grande familiarité du public avec le thème. Elle correspond également à une exigence de littéralité puisque, contrairement à la tradition iconographique, le texte dit clairement que l’ange était en hors champ : « Alors l’ange de Yahweh lui cria du ciel et dit:  » Abraham! Abraham! « 


1630-40 the-sacrifice-of-isaac--pieter-de-grebber galerie nationale slovaquePieter de Grebber, 1630-40, Galerie nationale slovaque, Bratislava

La crudité sadique et sensuelle de cet assassinat ne se désamorce que pour ceux qui découvrent le bélier, bien caché sur le bord gauche. La gourde à deux spirales, en évidence au premier plan, n’est qu’un leurre.


1638 Jan_Lievens Abraham_sacrifices_the_ram_instead_of_Isaac Herzog Anton Ulrich museum BraunschweigJan Lievens, 1638, Herzog Anton Ulrich museum, Braunschweig

Lievens choisit au contraire un instant rarement montré, juste après la fin heureuse pour Isaac et sanglante pour l’agneau.


1659-Jan_Lievens_-_The_Sacrifice_of_Isaac_-Dallas_Museum_of_ArtJan Lievens, 1659, Dallas Museum of Art

Cette composition, qui se décale également dans un futur mal défini, désamorce toute la violence inhérente au thème :

  • en escamotant le couteau et l’agneau ;
  • en transférant à Abraham le geste professionnel de l’ange : montrer le ciel.

1660 ca Metsu sacrifice isaac The Israel Museum, JerusalemMetsu, vers 1660, The Israel Museum, Jérusalem 1665-1727 Aert de Gelder Abraham's Sacrifice coll partAert de Gelder, 1665-1727, collection particulière

Pas de bélier chez ces deux peintres :

  • Metsu fait deviner la présence de Dieu par le ciel rougeoyant,
  • de Gelder supprime tous les indices et en rajoute en cruauté avec le plat pour recueillir le sang (reprise probable du Rembrandt de 1659, voir Le sacrifice d’Isaac : 2 type solidaire).

Ca 1696-1700 Ludolf Backhuysen Abraham und Isaac Ostfriesisches Landesmuseum, EmdenAbraham et Isaac sur le chemin Ca 1696-1700 Ludolf Backhuysen The Sacrifice of Isaac Ostfriesisches Landesmuseum, EmdenLe Sacrifice d’Isaac

Ludolf Backhuysen, 1696-1700, Ostfriesisches Landesmuseum, Emden

Ce pendant fonctionne sur le principe du duo Père/Fils, d’où l’absence de l’Ange dans la scène du Sacrifice. On y retrouve deux indices déjà vus : le soleil rougeoyant et le plat.

Le fait qu’il s’agisse d’un pendant est attesté par les deux arbres symétriques, l’un ouvrant et l’autre fermant. L’effet Avant-Après est cependant faussé par la différence des habits, et le fait qu’Abraham et Isaac descendent une rivière pour monter sur le mont Moriah. Ces faux raccords trop évidents sont probablement destinés à nous inciter à une lecture non pas chronologique, mais symbolique :

  • à gauche, la transmission sereine du fardeau (le fagot) au fil du temps (l’eau qui coule), à la fin de la vie (le crépuscule) ;
  • à droite, l’arrêt de toute transmission (le sang qui se fige), par l’assassinat contre-nature du Fils par le Père, dans la nuit de la raison.


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L’exception Maulbertsch


E 1645-91 Livio Mehus Moise et le buisson ardent Statens Museum for Kunst Copenhague F 1755 franz anton maulbertsch the-sacrifice-of-isaac Musee des BA Budapest schema

Franz Anton Maulbertsch, 1755, Musée des Beaux Arts, Budapest

Dans son style roccoco échevelé, ce grand peintre méconnu nous livre ce qui est certainement la variante la plus extraordinaire du thème : l’ange intervient pour empêcher Abraham, non pas de trancher la gorge d’Isaac, mais de découper la toile le long de la diagonale.

Pour un pendant tout aussi spectaculaire de Maulbertsch, voir 3 Pendants rhétoriques, pendants formels.


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Vue plongeante


1659-Jan_Lievens_-_The_Sacrifice_of_Isaac_-Dallas_Museum_of_Art G 1888-1902 the-offering-of-abraham-c-james-tissot-french schema

James Tissot, 1888-1902

Le croisement des deux grandes lignes de force fait voir la Croix par laquelle Isaac préfigure le Christ.


Références :
[17] William L. Barcham « The Religious Paintings of Giambattista Tiepolo: Piety and Tradition in Eighteenth-century Venice «  p 60
[18] Josef Strasser, « Januarius Zick 1730–1797. Gemälde, Graphik, Fresken. » 1994
[19] Othmar Metzger « NEUE FORSCHUNGEN ZUM WERK VON JANUARIUS ZICK » Wallraf-Richartz-Jahrbuch Vol. 28 (1966), pp. 283-308 https://www.jstor.org/stable/24655896
[20] Jack M. Greenstein « Mantegna and Painting as Historical Narrative » p 89 https://books.google.fr/books?id=PeP5Bcsyt2oC&pg=PA89
[21] Deux tableaux en grisaille avec les mêmes sujets sont cités dans l’inventaire de 1642, mais pas au même endroit et seul le David est indiqué comme un Mantegna. Voir
Paul Kristeller « Zwei dekorative Gemälde Mantegnas in der Wiener Kaiserlichen Galerie » dans Jahrbuch der Kunsthistorischen Sammlungen des Allerhöchsten Kaiserhauses, Bd. XXX, Heft 2, p. 29-48 https://digi.ub.uni-heidelberg.de/diglit/jbksak1911_1912/0052/image,info#col_text_ocr
[22] Sur la génèse de la composition à partir des dessins préparatoires, voir William Robinson, « The Sacrifice of Isaac : An Unpublished Painting by Nicolaes Maes » The Burlington Magazine Vol. 126, No. 978 (Sep., 1984), pp. 538+540-544 https://www.jstor.org/stable/881760

Lune-soleil : dans l’art gréco-romain

31 décembre 2022

Le Soleil, luminaire principal et au nom masculin (en grec comme en latin), se trouve presque toujours à gauche, et la Lune à droite, en application de l’ordre héraldique qui vaut pour tous les couples réguliers (pour les exceptions, voir 1-3 Couples irréguliers).

Mais tout comme il existe des coquilles senestres, il existe des couples inversés Lune / Soleil . Ces cas n’ont pas été isolés et étudiés de manière systématique : ils offrent pourtant des pistes d’interprétation intéressantes, même si aucune explication unique n’est possible vu la rareté et la dispersion des exemples.

Ce premier article est consacré aux inversions Luna-Sol dans l’art gréco-romain classique.



Sol et Luna dans l’art monumental gréco-romain

En Grèce : le modèle du Parthénon

naissance athena parthenon 430 av JC_east_pediment_reconstruction2La Naissance d’Athéna, Reconstruction du fronton Est du Parthénon

Ce fronton n’a pu être reconstituée qu’approximativement, mais la présence d‘Hélios et de Séléné, dans les pointes, est certaine. Le fronton étant orientée à l’Est, ce n’est pas l’idée de lever du soleil qui a imposé son placement à gauche, mais des considérations structurales et narratives :

« La pointe de la corniche a été, en quelque sorte picturalisée : on peut la lire comme l’horizon – probablement maritime plutôt que terrestre – et le cadre architectural devient une fenêtre triangulaire sur un monde virtuel qui s’étend derrière, en dessous, et au-delà, un espace continu dans lequel descendent Séléné, son char et son attelage. De même, à l’autre angle du fronton, complétant le cadre céleste, maritime et temporel, s’élève le frais et fier quadrige d’Hélios… Le moment narratif est pour l’instant ambigu, la nature de l’action ( ou inaction) au centre disparu du fronton aurait pu le préciser. Si Athéna était représentée en mouvement, sortant de la tête de Zeus…, on pourrait imaginer qu’Hélios freinait ses chevaux juste au-dessus de l’horizon, arrêtant ainsi le temps et permettant à la déesse de retirer son équipement, comme le rapporte l’hymne homérique à Athéna. Si, au contraire, celle-ci se tenait immobile avec son casque et son armure déjà retirés …, alors la pause n’avait pas de raison d’être, et Hélios pouvait entamer le grand arc céleste que terminent Séléné et son équipage fatigué. » Jeffrey M. Hurwit [1]


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A Rome : le modèle Capitolin

 

Temple Jupiter Optimus Maximus Capitolinus dessin de Pierre Jacques 1576 d'apres un relief du forum de TrajanDessin de Pierre Jacques, 1576, d’après un relief perdu du Forum de Trajan Temple Jupiter Marc aurele Palais des conservateursMarc-Aurèle sacrifiant (détail), 177-80, Musée des conservateurs, Rome [2]

Fronton du quatrième temple de Jupiter Capitolin

Le temple de Jupiter capitolin été reconstruit plusieurs fois . De son quatrième état (après la reconstruction par Domitien), on conserve plusieurs témoignages assez contradictoires , en particulier sur le nombre de colonnes et la position des chars [3] :

  • Sol ascendant et Luna descendant (relief de l’époque de Trajan) ;
  • Luna descendant et Sol ascendant (relief de l’époque de Marc-Aurèle).

De plus, les chars étaient redoublés, au dessus du fronton, par deux autres chars (affrontés dans un cas, parallèles dans l’autre).

Dans les deux cas, la composition s’inspire du fronton Est du Parthénon, mais avec une anomalie iconographique majeure : soit chars affrontés, soit inversion Luna-Sol.


Plan_capitole
Plan du Capitole

La façade étant orientée au Sud, le char ascendant du Soleil aurait été contradictoire avec sa position côté Ouest. L’inversion Lune-Soleil est en revanche logique, avec une lecture continue de droite à gauche, du Soleil montant à la Lune descendante.

Cette inversion est si inattendue que personne n’en a parlé, sauf A.J.B.Wace [4] qui en revanche la voit partout, dans toutes les versions du fronton.


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En aparté : le problème du Temple de Jupiter Capitolin

 

Voici la chronologie détaillée concernant les troisième et quatrième temple [3] :

  • 70 : incendie du deuxième temple
  • 70-79 : sous Vespasien , construction du troisième temple (6 colonnes, d’après de nombreuses monnaies) ;
  • 80 : incendie du troisième temple ;
  • 81-82 : reconstruction sous Domitien ;

Plusieurs monnaies de cette époque de reconstruction montrent cependant un temple à quatre colonnes :

Temple Jupiter 80-81 Cistophore de Titus80-81 : Cistophore de Titus (quatrième temple en reconstruction) Temple Jupiter 82 Cistorphorus of Domitian82 : Cistophore de Domitien (quatrième temple achevé)

Les quatre colonnes sont expliquées par une licence artistique, par le caractère provincial des ateliers, et par le fait que les témoignages numismatiques sont souvent éloignés des bâtiments réels, notamment en ce qui concerne le nombre de colonnes [5]. On notera néanmoins le détail caractéristique des trois chars vus de face surplombant le fronton.

  • 98-117 : bas-relief du temps de Trajan (6 colonnes, deux chars affrontés au dessus du fronton) ;
  • 161-180 : bas-relief du temps de Marc-Aurèle (4 colonnes, trois chars vus de face) ;
  • 305 : monnaie de Constantin (4 colonnes).

On voit que toutes les « licences artistiques » concernant les quatre colonnes se produisent à partir de 80.
Une première manière de concilier ces éléments disparates serait de reculer avant 80 la date du bas-relief trouvé sur le forum de Trajan, en considérant qu’il s’agissait d’un remploi antérieur, montrant le troisième temple. Longtemps considéré comme un témoignage évident du temps de Trajan pour des raisons à la fois stylistiques et historiques (il serait signé du nom Marcus Ulpius Orestes) [4] , cette datation a été remise en cause dans une étude récente [6] pour des raisons iconographiques, mais qui conduisent au contraire à le retarder d’un siècle.

A noter deux « difficultés » numismatiques subsistantes, si le quatrième temple n’avait que quatre colonnes :

Temple Jupiter 95-96 Denier de Domitien British Museum95-96, Denier de Domitien, British Museum Temple Jupiter 103-111 Sesterce de Trajan103-111, Sesterce de Trajan

Sur le denier de Domitien, aucune inscription ne relie ce temple à celui de Jupiter Optimus

Le sesterce de Trajan porte bien l’expression OPTIMO, mais le nombre de colonnes est clairement une amplification graphique.


Temple Jupiter Reconstruction par Italo Gismondi,Temple de Jupiter capitolin, reconstruction par Italo Gismondi

Il n’y a pas de document précisant le nombre de colonnes du quatrième temple mais on sait qu’il a été reconstruit à l’identique et était plus somptueux notamment pour les matériaux (colonnes de marbre provant d’Athènes) [7] . Par ailleurs, sa grande caractéristique était la présence de trois portes en façade et il est probable que les colonnes n’étaient pas été équidistantes : quatre colonnes scandant les trois portes, puis deux colonnes intermédiaires à gauche et à droite, comme sur cette maquette.


Temple Jupiter Bas-relief du forum de trajan reconstitutionRelief du Forum de Trajan, reconstitution d’après les fragments du Louvre et les dessins Temple Jupiter Marc aurele Palais des conservateursMarc-Aurèle sacrifiant, 177-80, Musée des conservateurs, Rome

Si on laisse de côté le nombre de colonnes, nous avons finalement deux sources détaillées :

  • un relief difficilement datable, connu indirectement par plusieurs dessins qui se recopient les uns les autres, et qui ont peut être leur part d’imagination si la partie haute était très usée : les deux chars du Soleil et de Lune allant l’un vers l’autre – une iconographie sans aucun autre exemple à Rome – sont peut être une symétrisation imaginée par le dessinateur du XVIème siècle.
  • un relief très précis, comportant de nombreux personnages complémentaires, mais avec seulement quatre colonnes. Or on peut constater, comme Colini en 1925 ([8] , note 2), que l’étroit format vertical, qui plus est divisé en deux, imposait cette simplification : l’accent est mis sur le principal, les trois portes.

Je pense donc que ce second témoignage, avec son inversion Lune-Soleil logiquement justifiée, est de loin le plus fiable.


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A Rome : le modèle athénien

Sarcophage Mantoue,Palais Ducal.Palais Ducal, Mantoue

Mis à part le fronton capitolin, modifié pour raison d’orientation, toute une série de couvercles de sarcophages reprennent le modèle athénien. En voici la description générique par Cumont ([9] , p 78)

«Placés au-dessus de la scène terrestre figurée sur la cuve, ils nous transportent dans les régions supérieures de l’univers. Au milieu, se tiennent trois divinites, généralement celles de la triade capitoline: Jupiter, Junon et Minerve. A gauche, Phébus s’élève au dessus de l’Océan étendu et est précédé d’un des Dioscures; à droite, Séléné s’abaisse sur son bige; devant elle, descend Hesperos, son flambeau renversé ; derrière elle, l’autre Dioscure la suit. Cette double association est d’un symbolisme transparent : Ie Soleil sortant des flots, monte sur l’horizon en meme temps que l’hémisphère lumineux, tandis que la Lune descend au Couchant avec la moitié sombre du ciel».

Les deux luminaires, dont l’un ou l’autre est toujours visible dans le ciel, symbolisent ici l’éternité promise au défunt.


Sarcophage nuptial, dit du Cardinal Guglielmo Fieschi 210-220 Basilique de San Lorenzo Fuori le Mura

Sarcophage avec des scènes nuptiales, dit du Cardinal Guglielmo Fieschi,210-220, Basilique de San Lorenzo Fuori le Mura, Rome

La triade capitoline a été ici remplacée par un autre trio, dont l’interprétation est controversée. Un lien thématique entre le couvercle et la façade s’effectue peut être via les trois figures centrales, si on les interpréte comme CONCORDIA AETERNA (voir Albertini [10] ).De part et d’autre du couvercle, les acrotères portent, comme souvent, des masques de théâtre.


En aparté : les Dioscures et les Luminaires

 

Sur le sarcophage Fieschi, les Dioscures sont associés aux chars de la Lune et du Soleil, complétant leur signification cosmique :

« Le couple des Dioscures apparaît comme une personnification de l’Éternité… Ils sont dépouillés de leur caractère proprement mythologique, pour n’avoir plus qu’une valeur «cosmique ». Dispensateurs de l’immortalité, ils personnifient la révolution quotidienne du jour qui succède à la nuit, selon le mythe de l’alternance des saisons, chacun des Dioscures, alternativement dieu et mortel, devant passer six; mois aux Enfers et six mois dans l’Olympe. Représentant les deux portions opposées du ciel, les deux hémisphères, tour à tour sombre et lumineux, ils symbolisent la mort et la résurrection. C’est à ce titre qu’ils figurent sur des sarcophages, accompagnant le char de Phoebus et celui de la Nuit, la vie étant comparée à la journée qui naît avec le soleil et disparaît avec lui, ou encadrant le défunt, associés à une scène de mariage, parfois même, sur un sarcophage d’école arlésienne et d’époque chrétienne, à la double scène des fiançailles et des derniers adieux : ils sont alors représentés à l’image du défunt, aux deux âges de sa vie, tour à tour imberbe et barbu, selon une conception symbolique qui montre bien leur personnification du Temps infini. » F.Benoit [11]


Arles Sarcophage des DioscuresSarcophage chrétien des Dioscures, Arles

Selon une autre interprétation (Reekmans), la scène de gauche ne représente pas des fiançailles, mais un premier adieu durant la vie. Le faisceau de volumens aux pieds du coupla âgé montre qu’il s’agissait de lettrés. Le fait remarquable que l’homme, dans ses deux âges, s’assimile aux deux Dioscures, est peut être l’indice qu’il appartenait à la cavalerie romaine ou à l’ordre équestre [11a] .

 


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Acrotères SOL / LUNA

Louvre_Selene-and-Endymion_sarcophagus 280-90 ap JC caSarcophage de Séléné et Endymion, 280-90 après JC, Louvre

Un cas particulier est celui où ces acrotères en forme de masque absorbent l’idée qui était portée par les chars de SOL et LUNA. La scène de la façade montre Séléné au centre descendant de son char (qui va de droite à gauche) pour rejoindre le berger Endymion endormi.

Le sens de lecture de la façade, commune à plusieurs sarcophages de Séléné et Endymion, est indépendant du sens de lecture du couvercle, de gauche à droite entre Sol et Luna.


Musee de Langres Esperandieu Recueil general vol IV, No 3228Musée de Langres, Esperandieu « Recueil général » vol IV, No 3228

Le seul cas, , inexpliqué, d’inversion des acrotères est cette stèle aux mânes d’un certain Punlicus Sarasus.


Les arcs de triomphe orientés

RomaArcoCostantinoTondoEstSol au dessus de Tellus (petit côté Est) RomaArcoCostantinoTondoWEst photo rene seindalLuna au dessus d’Oceanus (petit côté Ouest)

Arc de Constantin, Rome

L’arc de triomphe de Constantin, au dessus d’une route Nord/Sud, présente sur ses petits cotés ces médaillons de Sol et Luna. Selon Robert Turcan [12] , ces deux tondis latéraux, réalisés par l’architecte chrétien, s’opposent même aux Dieux païens équivalents (Apollon et Diane), récupérés de l’époque d’Hadrien, qui figurent sur les tondis des faces Nord et Sud.

Cette association purement astronomique (Sol/Est et Luna/Ouest) existait déjà à l’époque païenne, puisqu’on la trouve sur deux autres arc orientés : celui d’Orange et l’arc municipal d’Arles.

En synthèse :

Dans les bâtiments (temple, arcs de triomphe) comme dans les sarcophages, on ne constate jamais d’inversion Luna Sol, sauf dans le cas du Temple de Jupiter Capitolin, où elle s’explique par l’orientation du fronton.


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En aparté : L’ordre marital romain

 

Dextera junctio sarcophage de Portonaccio (detail couvercle) vers180-90 Palazzo Massimo RomeDextera junctio, sarcophage de Portonaccio (détail couvercle), vers 180-90 Palazzo Massimo Rome Projecta casket 380 ca British museumProjecta casket, vers 380, British museum

Une première figuration des époux est celle de la « Dextera junctio », où ils sont vus en pied et de profil, se donnant la main droite, de part et d’autre d’une figure symbolisant leur union : ici Concordia, avec l’enfant Hymenaeus à ses pieds.

L’autre figuration est celle de l’imago clippeata, où ils sont vus en buste, de face, à l’intérieur d’un médaillon.

Païennes à l’origine, ces figurations sont reprises à l’identique dans les oeuvres chrétiennes [13] . Robert Couzin a récemment montré que, dans l’immense majorité des cas, l’épouse se trouve à gauche, à la place d’honneur, malgré son statut d’infériorité manifeste dans les textes païens ou paléochrétiens (et ce jusqu’au 6ème siècle environ). Robert Couzin l’explique par une sorte de courtoisie paradoxale :

« La position du mari était si fortement prééminente qu’il pouvait, et comme un principe moral et social devait, daigner placer sa femme à sa droite. Cet emplacement était un compliment à la vertu de sa conjointe, bien sûr, mais plus encore à la sienne, une expression, condescendante mais pas moins affectueuse pour autant, de respect conjugal et d’attachement sentimental. » ([14] , p 146)


Sarcophage des epoux 520-510 av. J.-C LouvreSarcophage des époux (détail), 520-510 av. J-C, Louvre

On peut aussi y déceler un souvenir de la manière étrusque de représenter les défunts allongés côte à côte : le mari passant son bras droit sur l’épaule de l’épouse, celle-ci se retrouve obligatoirement à gauche.


 

Stele Saturne Recueil des notices et memoires de la Societe archeologique de la province de Constantine 1876 Planche XV fig 2 gallica[15] Stele Ops Saturne Musee de Tebessa Catalogue Stephane Gsell p 16 planche I num 2 gallica[16] ([17] , p 353)

Stèles votives à Saturne trouvées dans la région de Tebessa, début IIIème siècle

L’ordre marital romain est illustré de manière frappante par la position inverse des luminaires dans ces deux stèles, où ils figurent en tant que symboles de l’Eternité, Saturne étant le dieu du Temps (Chronos).

Dans la première stèle, Saturne est seul, entre Sol et Luna au dessus des Dioscures. Dans le registre inférieur, le dédicant est accompagné de son propre bestiaire, un couple de bovins et un couple de caprins.

Dans la seconde stèle, Saturne (le grand dieu africain) est assimilé à Jupiter (le grand dieu romain), comme le précise l’inscription. Assis à droite sur un trône flanqué de deux béliers, il présente les deux gestes qui le caractérisent en Afrique du Nord : la main droite tient sa faucille et la main gauche écarte son voile (geste qui préfigure le geste qui sera plus tard celui de la Mélancolie, la main gauche tenant le menton). A sa droite, sa parèdre, la déesse Ops / Caelestis (héritière de la déesse cathaginoise Tanit), est assise sur un trône flanqué de deux taureaux, une patère dans la main droite et une fleur dans la gauche.

L’inversion de Sol et Luna accompagne ici clairement l’inversion maritale. A noter qu’il existe de rares cas de stèles africaines où l’inversion se présente alors que Saturne est seul ([17] , planche XIII fig 3)



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Sol et Luna comme figures du défunt

roman-funerary-altar-for-julia-victorina-end-c1-ad-louvre sunSarcophage avec Hélios et Séléné, 3ème siècle, provenant de la tombe D de la via Belluzzo, Musée National des Thermes, Rome

Parmi tous les sarcophage à strigilles, celui-ci est le seul présentant cette iconographie : au lieu d’être déportés sur les acrotères du couvercle, les bustes d’Hélios, avec son fouet, et de Séléné, avec sa torche et son voile, constituent le sujet principal. Il s’agit probablement d’une commande spéciale pour honorer la fillette d’une dizaine d’années dont on a retrouvé le squelette à l’intérieur [18] . Les visages très jeunes des deux luminaires sont probablement le portrait de l’enfant.

S’il n’est pas inhabituel de représenter Séléné avec une torche, la dissymétrie avec le fouet laisse penser qu’il s’agissait aussi d’évoquer la déesse Hécate, dont c’est l’attribut habituel : munie de sa torche, c’est elle qui guida Déméter, lorsque celle-ci se mit à la recherche de Perséphone, sa fille disparue.


roman-funerary-altar-for-julia-victorina-end-c1-ad-louvre sun roman-funerary-altar-for-julia-victorina-end-c1-ad-louvre sun

Cippe funéraire de Julia Victorina, 70-90, Louvre

Déjà remarquable, ce sarcophage a un précédent extraordinaire avec cet autel funéraire qui contenait les cendres d’une autre fillette du même âge :

Aux mânes de Julia Victorina, qui vécut dix ans et cinq mois, Gaius Julius Saturninus et Lucilia Procula, parents de cette fille la plus douce, ont fait faire ce monument

D(is) M(anibus) IVLIAE VICTORINAE QVAE VIX(it) ANN(es) X MENS(ibus) V C(aius) IVLIVS SATVRNINVS ET LVCILIA PROCVLA PARENTES FILIAE DVLCISSIMAE FECERVNT (hoc monumentum)

Les faces latérales sont décorées d’un laurier florissant , l’arbre d’Apollon (portant deux oiseaux d’un côté, quatre de l’autre). Les faces avant et arrière présentent un double portrait de Julia Victorina :

  • sur la face avant, en Séléné, les cheveux non coiffés, telle qu’elle était au moment de sa mort ;
  • sur la face arrière, en Hélios, coiffée et portant la stola, retenue par une broche, de la matrone qu’elle serait devenue.

Les cadres floraux ainsi que les boucles d’oreille, identiques sur les deux bustes, permettent de comprendre qu’il s’agit bien d’une seule et même personne.


roman-funerary-altar-for-julia-victorina-end-c1-ad-louvre sun coloredPolychromie par Steve Chappell

Le buste en enfant est posé en applique sur le monument : jeune vierge portant le signe lunaire de Diane, et résumée par son épitaphe, elle est dans une position intermédiaire, sur sa pierre mais pas à l’intérieur. Le buste en femme, en revanche, est creusé dans l’épaisseur du cippe, indissociable de la couronne radiée qui souligne son immortalité.

Cumont ([9] p 243) a vu dans ce double portrait un témoignage de la croyance romaine selon laquelle l’âme des enfants morts devait séjourner dans un lieu intermédiaire jusqu’à avoir atteint l’âge mûr :
:

«Ainsi s’accomplissait malgré cet accident, la durée normale de leur existence, telle que l’ avait fixée le destin ». Tertullien, De anima, 53,4

Ce lieu aurait pu être la Lune, halte entre le monde du devenir et le monde immuable, avant de s’ élever vers le Soleil et d’ accéder au séjour des défunts.

Une seconde inversion Luna-Sol

Sarcophage Lege Feliciter 4eme s Crypte St Paul Serge NarbonneSarcophage Lege Feliciter, 4ème s, Crypte St Paul Serge, Narbonne

On voit sur le couvercle un couple dans l’ordre marital romain : la femme à gauche et l’homme à droite. C’est pour cette raison que le sculpteur a inversé la position conventionnelle des masques de Sol et de Luna, afin que les profils des défunts, en se projetant dans ceux des luminaires, acquièrent leur part d’immortalité.

La composition témoigne d’un mélange de motifs païens et chrétiens, qui permet de dater le sarcophage d’ avant l’officialisation du christianisme [19] :

  • le couple du haut ne semble pas représenter les défunts (le sarcophage ne contenant qu’un seule squelette) mas plutôt un couple d’initiés au culte d’Isis (à cause de leur volumen fermé et des noeuds en ankh des draps derrière eux) : les masques représenteraient donc plutôt Luna/Isis et Sol/Sérapis ;
  • les bergers portant un agneau, sur les angles, sont un motif typiquement paléochrétien ;

Sarcophage Lege Feliciter 4eme s Crypte St Paul Serge Narbonne detail

  • la petite niké centrale grave sur un bouclier l’inscription « lege feliciter » (« lis, pour te porter chance ») au dessous d’un X ambigu : comme dans les monnaies souhaitant des voeux de bonheur à l’empereur à l’occasion de chaque décennales, ce X peut être lu à la païenne, comme signifiant  ; ou à la chrétienne, comme un chrisme dissimulé.


Symbolique du Soleil et de la Lune à Rome : l‘Eternité

Nous avons déjà vu les luminaires exprimer cette notion en tant qu’attributs de Saturne, le Dieu du Temps. Mais on les retrouve également comme attributs d’une divinité plus spécifique, Aeternitas.


Aeternitas, Sol et Luna

Aeternitas Vespasien Aureus 76 BNF

Aeternitas, Aureus de Vespasien, 76, BNF

C’est sous les Flaviens qu’apparaît la personnification d’Aeternitas comme une déesse tenant le Soleil dans la main droite et la Lune dans la main gauche.


Aeternitas Silver denarius of Trajan 111Aeternitas, Denier d’argent de Trajan, 111

Durant les règnes successifs de Trajan puis d’Hadrien, la posture devient symétrique, avec les bras étendus des deux côtés.


Hadrien Aureus Oriens 117-mi 118Oriens, Aureus d’Hadrien, 117-mi 118

Au tout début de son règne, Hadrien modifie subtilement un type d’aureus créé par son prédécesseur :

« Cette même image du buste rayonnant de Sol était apparue pour la première fois sous Trajan, sans légende d’accompagnement. Avec le terme ORIENS, Hadrien précise l’allusion à l’empereur sauveur revenant triomphant de l’Orient (ou s’y levant, tel le soleil). Ce thème restera récurrent dans la propagande impériale des règnes suivants. » [20] p 38

Le type Oriens n’est plus frappé à partir du retour à Rome d’Hadrien, mi 118.


Aeternitas comme girouette (SCOOP ! )

Aeternitas Hadrien Denier mi118-mi 121 British Museum R.9719Denier d’argent d’Hadrien, mi 118- mi 121, British Museum R.9719

Reprise du modèle de Trajan, l’Eternité symétrisée prend probablement ici une signification personnelle, comme l’indique la disparition de la formule AET(ernitas) AUG(ustorum) au profit de la seule titulature P M TR P COS III (Pontifex Maximus Tribunitia Potestas Consul Tertium).

Les cartes romaines étaient orientées comme les nôtres : dans le seul exemple subsistant, la table de Peutinger, Rome est au centre et Constantinople à droite. Avec la même convention, Aeternitas dirigeant son regard vers le Soleil nous signale que l’Empereur, revenu d’Orient, se trouve désormais à l’Occident.


Aeternitas Hadrien Denier argent mi118-mi 121 British Museum 1989,1117.4Denier d’argent d’Hadrien, mi 118- mi 121, British Museum 1989,1117.4

Cette monnaie de la même période est le seul exemplaire connu présentant une inversion Luna-Sol. L’inversion simultanée de la tête (qui regarde toujours vers le Soleil) montre bien le caractère intentionnel de la modification : telle une divine girouette, Aeternitas porte son regard vers la région où se trouve l’Empereur voyageur, maintenant reparti vers l’Est.


Les Dieux éternels

Vergilius romanus 5eme s Cod. Vat. lat. 3867 fol 234v Minerve Mercure Jupiter Vulcain JunonMinerve, Mercure, Jupiter, Vulcain, Junon, fol 234v Vergilius romanus 5eme s Cod. Vat. lat. 3867 fol 235r Diane Apollon Neptune Venus MarsDiane, Apollon, Neptune, Vénus, Mars, fol 235r

Le Conseil des Dieux, Vergilius romanus, 5ème siècle, Cod. Vat. lat. 3867

Ce bifolium présente les dix dieux les plus fréquents dans l’Eneïde, sans lien avec un passage bien précis du texte. Leur identification a varié selon les présupposés des auteurs, j’ai repris ici celle de José Ruysschaert ([21] , p 50).

Pour ce qui nous concerne, l’intéressant est que les dieux sont présentés pour partie de manière symétrique :

  • les deux divinités centrales, Jupiter et Neptune, ont des gestes en miroir (le sceptre à la main droite, le trident à la main gauche) ;
  • les deux divinités casquées sont elles-aussi en miroir (lance dans la main droite de Minerve et dans la main gauche de Mars).

Au dessus de l’arc-en-ciel, en revanche, le Soleil et la Lune ne s’inversent pas : preuve que cette convention prédomine sur la liberté laissée au dessinateur.

Dans son acception d’Eternité, le couple Soleil-Lune n’est jamais inversé.



En conclusion, dans le grand art gréco-romain, les inversions Luna-Sol sont pratiquement inexistantes.

Nous allons voir qu’il n’en est pas de même dans un contexte particulier : celui d‘objets du quotidien où les luminaires sont évoqués par deux visages affrontés.

Article suivant : Lune-soleil : couples affrontés

Références :
[1] Jeffrey M. Hurwit « Helios Rising: The Sun, the Moon, and the Sea in the Sculptures of the Parthenon » American Journal of Archaeology Vol. 121, No. 4 (October 2017), pp. 527-558 https://www.jstor.org/stable/10.3764/aja.121.4.0527
[2] Daremberg et Saglio, Dictionnaire des Antiquités Grecques et Romaines, p 904 https://dagr.univ-tlse2.fr/consulter/709/CAPITIUM/page_148
[4] A.J.B.Wace « Studies in roman historical reliefs », Papers of the British School at Rome https://archive.org/details/papersofbritishs04brit/page/227/mode/1up
[5] Melanie Dara Grunow, . « Architectural images in Roman state reliefs, coins, and medallions: Imperial ritual, ideology, and the topography of Rome » note 22
[6] Melanie Grunow Sobocinski and Elizabeth Wolfram Till « Dismembering a Sacred Cow : The Extispicium Relief in the Louvre » 2018 https://scholarworks.iupui.edu/bitstream/handle/1805/26013/SobocinskiEWThill.2018.pdf?sequence=1
[7] Ellen Perry, “The Same, But Different: The Temple of Jupiter Optimus Maximus through Time,” dans Architecture of the Sacred: Space, Ritual, and Experience from Classical Greece to Byzantium, édité par Bonna Wescoat et Robert Ousterhout (Cambridge: Cambridge University Press, 2012) https://archive.org/details/architecture_of_the_sacred/page/n199/mode/2up
[8] A. M. Colini, . “Indagini sui frontoni dei templi di Roma. Parte 2.” BullCom 53: 161-200, 1925, https://digi.ub.uni-heidelberg.de/diglit/bcom1925/0200/image,info
[9] F.Cumont, Recherches sur le symbolisme funéraire chez les Romains
[10] E. Albertini « Note sur le sarcophage à scène nuptiale de Saint-Laurent-hors-les-Murs » Mélanges de l’école française de Rome Année 1904 24 pp. 491-512 https://www.persee.fr/doc/mefr_0223-4874_1904_num_24_1_6328
[11] F.Benoit « Fouilles du Vieux-Port à Marseille » Bulletin de la Société nationale des Antiquaires de France 1947 p. 247 https://www.persee.fr/doc/bsnaf_0081-1181_1950_num_1945_1_4297
[11a] Gaggadis-Robin « Les sarcophages païens du musée de l’Arles antique » p 124
[12] Robert Turcan, « Les tondi d’Hadrien sur l’arc de Constantin », Comptes rendus des séances de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres Année 1991 https://www.persee.fr/doc/crai_0065-0536_1991_num_135_1_14938
[13] Mark D. Ellison « Visualizing Christian Marriage in the Roman World » https://core.ac.uk/download/pdf/216055347.pdf
[14] Robert Couzin, « Right and Left in Early Christian and Medieval Art », 2021
[15] Recueil des notices et mémoires de la Société archéologique de la province de Constantine, 1876, Planche XV fig 2, Gallica https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k54569328/f709.item
[16] Musée de Tebessa, Catalogue Stephane Gsell p 16 planche I num 2
https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k62479284/f27.item.r=lune
[17] Leglay « Saturne Africain Monuments I. Afrique Proconsulaire » 1961
https://archive.org/details/Leglay1961SaturneAfricainMonumentsI.AfriqueProconsulaire/page/n176/mode/1up
[18] « Notizie degli scavi di antichità », 1990, p 130
« Life, Death and Representation: Some New Work on Roman Sarcophagi », publié par Jas Elsner, Janet Huskinson, p 161 https://books.google.fr/books?redir_esc=y&hl=fr&id=pQjrqo62-IwC&q=161#v=snippet&q=161&f=false
[19] Jean Jannoray, « La nécropole paléochrétienne de Saint Paul à Narbonne », Congrès archéologique de France, Volume 112, p 497 https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k32099993/f524.item.r=lune
[20] Richard Abdy, ‎Peter Mittag « Roman Imperial Coinage II.3: From AD 117 to AD 138 – Hadrian » https://books.google.fr/books?id=D8nYDwAAQBAJ&pg=PA38&dq=hadrian+aeternitas+sun+moon
[21] José Ruysschaert « Lectures des illustrations du « Virgile Vatican » et du « Virgile romain «  Monuments et mémoires de la Fondation Eugène Piot Année 1991 73 pp. 25-51
https://www.persee.fr/doc/piot_1148-6023_1991_num_73_1_1627

Lune-soleil : couples affrontés

31 décembre 2022

Cet article est dédié à une formule rare, peut-être parce que protocolairement sensible : celle où deux autorités sont côte à côte, soit de face, soit de profil et affrontées.

Se pose alors la question de celui ou celle qui occupe la place d’honneur, à gauche. Nous examinerons successivement le cas des couples impériaux, du couple Hélios / Séléné et enfin du couple Sérapis / Isis.

Remarques terminologiques :

  • dans tout l’article, « gauche » et « droite » ont leur signification habituelle du point de vue du spectateur, non leur signification numismatique ( la direction vers où regarde la figure).
  • « Formule maritale » désigne la configuration courtoise, où la femme est à la place d’honneur ;
  • « Formule impériale » désigne la configuration inverse, où l’homme proclame sa position de pouvoir.

Article précédent : Lune-soleil : dans l’art gréco-romain

En préambule : les couples accolés (ou jumelés)

La manière de loin la plus répandue de représenter un couple régnant est de superposer les profils : l’épouse vient s’ajouter à l’arrière-plan, sans perturber la composition habituelle des pièces.


Accole Isis Serapis Ptolemy IV Philopator Tetradrachm, Alexandria 221-203Tétradrachme de Ptolémée IV Philopator, 221-203 av JC, Alexandrie Accole Isis Serapis taureau Apis Thrace, Perinthos. 200_0 av JC Moushmov 4398Avec le taureau Apis, 200-0 av JC, Perinthos (Thrace)

Sérapis et Isis accolés

Les plus anciens exemples de cette formule concernent un couple mari et femme, celui de Sérapis et Isis. Sérapis est un Dieu syncrétique (son nom mélange Osiris et Apis) dont le culte est devenu officiel à l’époque ptolémaïque. La seconde pièce témoigne de la diffusion hors d’Egypte de ce motif, inventé à Alexandrie.


Accole 15 Hadrien Alexandria 117-138 Drachme coll partHélios et Séléné accolés
Hadrien, Drachme, 117-138, Alexandrie, collection particulière

Toujours à Alexandrie, la formule est appliquée à un couple frère et soeur, Hélios et Séléné, à partir du règne d’Hadrien.


Accole 34 Caracalla with Septimius Severus and Julia Domna, Gold Aureus. Mint of Rome, A.D. 202Caracalla , Septime Sévère et Julia Domna, Aureus, Rome, vers 202

La formule est reprise en Occident : âgé de 14 ans, le jeune Caracalla fait face au couple impérial régnant, ses parents divinisés sous la forme de Sol et de Luna.


La série des « conservatores » de Postumus

Accole Postumus Hercule aureus Claritas Augusti 266 Treves RIC 267

Postumus et Hercule, Sol et Luna
Aureus « Claritas Aug », 267, Trèves, ([1] N°370 et 379), RIC 260

Vers décembre 267, le monnayage de Trèves produit, pour une émission de fête, une extraordinaire série de bustes jumelés. A l’avers, Postumus, qualifié de « PIUS FELIX », se pare de la massue et de la peau de lion d’Hercule, et se superpose au profil du héros. Au revers, le couple Sol/Luna reprend clairement le modèle de Septime Sévère et Julia Domna.



Accole Postumus Hercule aureus Serie Conservatores
Six autres revers montrent différent couples, qui semblent tirés du panthéon personnel de Postumus ([1], p 136) :

  • Postumus en Hercule / Hercule, « Comiti Aug », ([1] N°371, RIC 261)
  • Apollon / Diane, « Conservatores Aug », ([1] N°372, RIC 263)
  • Postumus casqué (en Mars) / Victoire, « Conservatores Aug », ([1] N°373; RIC 262)
  • Postumus lauré / Jupiter, « Conservatori Aug », ([1] N°374; RIC 264)
  • Victoria (tenant une couronne) / Felicitas (tenant une branche d’olivier), « Felicitas Aug », ([1] N°375, RIC 267)
  • Postumus en Hercule / Mars, « Virtuti Aug » ([1] N°377, RIC 283)

Dans cette sorte d’apothéose, la formule « accolée » démontre tout son potentiel :

  • classiquement, présenter de manière condensée un couple de divinités (Sol / Luna, Apollon / Diane, Victoria / Felicitas) ;
  • spécifiquement, formuler des superpositions flatteuses de Postumus avec une divinité ou un héros qu’il déclare  comme sa protectrice (conservatori), ou son compagnon (comiti).


Auguste et Augusta affrontés

Sur les monnaies :

Marc-Antoine et Octavie

Le plus ancien exemple d’un couple régnant apparaissant sur une monnaie romaine est, à la toute fin de la République celui de Marc-Antoine et de son épouse Octavie, la soeur d’Octave (futur Auguste). Trois préfets de la flotte font frapper en Orient une série très novatrice [2] figurant toutes les valeurs possibles entre quatre as (sesterce) et un quart d’as (quadrans) :

FemmeHomme 0 Monnayage de L. Calpurnius Bibulus Ashmolean Museum RPC onlineMonnayage de L. Calpurnius Bibulus, vers 38-35, Ashmolean Museum, RPC online

Le buste d’Octavie apparaît dans les trois pièces de valeurs les plus élevées, l’unicité de la série étant assurée par le profil de Marc-Antoine tourné vers la droite, et le thème nautique côté pile.


Chez les Julio-claudiens, la formule maritale

FemmeHomme 5 Claude Messaline revers Britannicus Tralles, Lydia BMC 124Messaline et Claude (au revers, leur fils Britannicus), Tralles, Lydia (BMC 124)

Il faut attendre le cinquième empereur de la dynastie pour revoir un couple impérial affronté : Messaline, la troisième épouse de Claude est placée cette fois en position d’honneur.


FemmeHomme 6 Neron Statilia Messalina Hypaepa, Lydia RPC 2543Statilia Messalina et Néron, Hypaepa, Lydia (RPC 2543)

Même disposition courtoise pour Néron (l’assassin de Britannicus) et sa troisième épouse.


FemmeHomme 6 Nero and Agrippina Aureus 54 Rome RIC 3Néron et sa mère Agrippine, Aureus, 54 Rome (RIC 3)

Lorsqu’il est en revanche confronté avec sa mère, le jeune empereur reprend la position dominante.


Vitellius,_denarius,_69,_RIC_I_79Denier de Vitellius, avec son fils Germanicus et sa fille Vitellia, 69 (RIC I 79)

Cette monnaie de Vitellius avec ses deux enfants de dix ans, frappée dès sa prise de pouvoir, tente d’établir une nouvelle légitimité dynastique en présentant le père et le fils dans la même posture, le regard vers la droite. Cette tentative de remplacer les julio-claudiens finit tragiquement, puisque le père et les enfants furent éliminés par Vespasien en décembre de la même année.


La période mixte

FemmeHomme 12 Domitien Domitia Pergame Dyonisos RPC II, 920ADomitien et Domitia, (Dyonisos au revers), Pergame (RPC II, 920A) FemmeHomme 12 Domitien Domitia Pergame Temple auguste RPC II, 918Domitia et Domitien (le temple d’Auguste au revers), Pergame (RPC II, 918)

Domitien a fait frapper plusieurs portraits affrontés avec son épouse Domitia, dans lesquels il figure toujours à la place d’honneur, sauf dans le cas de la seconde monnaie. On voit que le choix ne dépend pas d’une préférence locale, puisque les deux formules coexistaient à Pergame.


FemmeHomme 12 Domitien Domitia Triade capitoline Laodicea ad Lycum Phrygie RPC II, 1282Domitien et Domitia (Triade capitoline au revers), Laodicea ad Lycum, Phrygie (RPC II, 1282)

Dans pratiquement toutes les monnaies comportant le couple Héra-Zeus, Héra se trouve à gauche. Il s’agit peut être d’une application de la règle maritale, mais surtout de l’influence du motif immuable de la triade capitoline : à gauche Héra et Zeus conversent l’un avec l’autre, tandis qu’Athéna à droite les regarde.

Cette monnaie prouve, a contrario, que les couples impériaux ne s’identifiaient pas au couple olympien, mais cherchaient bien au contraire à mettre en place leur proche logique.


FemmeHomme 15 Hadrien Sabina Cilbani Neikaia, Lydia RPC III 2033Hadrien et Sabina, Cilbani Neikaia, Lydie (RPC III 2033)

Chez Hadrien (avec Sabina) comme chez Marc-Aurèle (avec Faustina), on ne trouve que la formule impériale. Commode (avec Pristina) revient brièvement à la formule maritale, puis Septime-Sévère (avec Julia Domna) et Caracalla (avec Plautilla) pratiquent les deux formules, avec une nette prédominance de l’impériale.


Trajan Plotine Hadrien AureusHadrien, Trajan et Plotine, Aureus 136-38

C’est également la formule choisie, au revers du jeune Hadrien, pour ses parents adoptifs décédés ; le couple impérial est divinisé, comme le soulignent les étoiles ainsi que l’inscription DIVIS PARENTIBVS. Selon Hill, la monnaie date des premières semaines du règne du successeur d’Hadrien, Antoninus Pius, et Hadrien a été faussement rajeuni, avec une petite barbe, pour le faire ressembler à Diomède, le héros de la guerre de Troie.


Trajan et Plotine 136-138Trajan et Plotine, Aureus 136-138

Cette monnaie extrêmement rare appartient probablement à la même frappe posthume, comme le suggèrent les étoiles.


La période impériale exclusive

Viennent ensuite des règnes où seule est employée la formule impériale :

  • Héliogabale avec Julia Maesa (sa grand-mère), Markianopolis (Moushmov 678)
  • Héliogabale avec Julia Soaemias (sa mère) , Markianopolis (Moushmov 660)
  • Gordien III avec Tranquillina, Mesembria, (RPC VII.2 1233)
  • Philippe I avec Otacilia, 244, Mesembria, (RPC (VIII 48397)


Gordien Tranquillina Apollon Tyche BMC Cilicia planche XXIV 6Gordien et Tranquillina, Seleucia BMC (Cilicia planche XXIV 6)

Au revers du couple impérial figure même un couple divin dans la même position impériale, celui d’Apollon et Tyché.

La formule affrontée disparaît après Decius dans les monnaies, mas on la retrouve encore dans deux intailles de la toute fin du 3ème siècle, toujours en configuration impériale :

  • avec Carin et Magia Urbica (British Museum, N° inv 1867,0507.541) ;
  • avec Galère et Valeria (Ermitage).


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Couples de souverains à la guise du Soleil et à la Lune

FemmeHomme Helios 1 Auguste et Livie Seville 20-29 RPC I, 73Sesterce du Divin Auguste et Livie, frappée à Séville, 20-29 (RPC I, 73)

 

Avec la permission du divin Auguste la colonie de Romula
Julie Augusta mère du monde

PERM DIVI AVG COL ROM
IVLIA AVGVSTA GENETRIX ORBIS

Cette monnaie associe un soleil à Auguste divinisé en Hélios, portant la couronne radiée et précédé par un foudre ; au revers, Livie est divinisée en Séléné : son buste est posé sur le globe du Monde, justifiant la dédicace GENETRIX ORBIS.


Une inversion logique

FemmeHomme Helios 6 Nero and his first wife Octavia Cyrenaique et Crete 55-60 RPC 1006Avers : Néron. Revers : Octavia en Séléné et Néron en Hélios
Cyrénaïque et Crète, 55-60 (RPC 1006)

Néron et sa première épouse Octavie reprennent la même symbolique sexuée et divinisante, mais ici les profils sont affrontées, et l’épouse se trouve à la gauche de l’époux, selon l’ordre marital en vigueur chez les Julio-Claudiens.


FemmeHomme Helios 17 Marc Aurele (Helios) Faustina II 147-175 CILICIA. Hierapolis-CastabalaFaustina II en Séléné et Marc-Aurèle en Hélios, 147-175, Hierapolis-Castabala (Cilicie)

Ce second cas relève de la même préséance, atténuée puisqu’elle n’apparaît que lorsqu’on retourne la pièce.

De telles inversions Lune-Soleil, lorsque le couple planétaire est associé à un couple humain, devraient être nombreuses. En fait il n’en existe pas d’autres exemples :

  • seuls les couples impériaux méritaient cette « luminarisation » ;
  • encore fallait-il être dans la période maritale (cas de Néron) ou dans la période mixte (cas de Marc-Aurèle).


FemmeHomme Helios 34 Decius et Etruscilla, 249-251 Mésopotamie (RPC IX, 1594)Decius en Hélios et Etruscilla en Séléné, 249-251, Mésopotamie (RPC IX, 1594)

Ainsi, à la fin de la période « impériale exclusive », ce couple reprend une dernière fois les attributs des luminaires, cette fois sans inversion.


En synthèse sur les monnaies à profils affrontées :

Destinées à propager universellement l’autorité de l’empereur, il n’est pas étonnant que les monnaies le placent de manière privilégiée en position dominante par rapport à son épouse, enfreignant la règne maritale des couples ordinaires.

Malgré la rareté de la formule affrontée et son caractère sporadique, on peut se risquer à distinguer trois périodes :

  • jusqu’à Néron (68), la règle maritale ordinaire s’applique (mis à part le cas particulier de Marc-Antoine avec Octavie, dont la position à droite est imposée par la cohérence graphique de la série) ;
  • de Domitien à Caracalla (81 à 217), les deux formules coexistent, avec une nette prédominance de la formule impériale (l’empereur à gauche) ;
  • d’Héliogabale à Decius (218-251), seule la formule impériale subsiste.


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Sur les médailles

Dans ces émissions destinées à un public restreint, les exemples de figures affrontées commencent plus tard, et sont plus rares, mais s’inscrivent dans la même chronologie d’ensemble.

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FemmeHomme 19 Commodus Crispina 177-188 Gnecchi Vol II pl 91(Gnecchi [3], Vol II pl 91)

Dans la période mixte, le seul exemple est celui de Crispina et Commode, vers 177-80, qui suit la règle maritale.


FemmeHomme 26 Heliogabale Aquilia Severa Gnecchi Vol II pl 97 Alessandro Severe Giulia Mammea (mere)Médaille d’Heliogabale et Aquilia Severa ( Gnecchi [3], Vol II pl 97)

A partir d’Heliogabale commence la période impériale exclusive. On y trouve également :

  • une médaille de Sévère-Alexandre avec sa mère Giulia Mammea ( Gnecchi [3], Vol II pl 97)
  • une médaille de Sévère-Alexandre avec son épouse Orbiana ( Gnecchi [3], Vol II pl 98)

Gallien fait une exception terminale avec l’utilisation des deux formules :

FemmeHomme 36 Gallien Salonina CONCORDIA AUG Goebl 330Gallien et Salonina (CONCORDIA AUG) Goebl 330

Dans la formule impériale, l’empereur précède son épouse.


FemmeHomme 36 Gallien Salonina et Salonino .Gnecchi Vol I pl 27Salonina et Gallien, Saloninus et Galien (Gnecchi [3], Vol I pl 27)

Dans la formule maritale, Gallien cède la position d’honneur aussi bien à son épouse Salonina qu’à son fils Saloninus.


Femme homme 36 Valerien II Valerien Salonina Gallien Pierre Bastien vol 3 planche 104, 12Valérien II et Valérien Salonina et Gallien, (Pierre Bastien vol 3 planche 104, 12)

La même formule de préséance du plus faible se généralise dans ce médaillon familial de Valérien I , où d’un côté le petit-fils précède l’empereur en titre, et de l’autre sa belle-fille Salonina précède son fils Gallien, lauré car co-empereur.



Hélios et Séléné affrontés (SCOOP !)

Hélios et Séléné sont, dans la grande majorité des monnaies, représentés en profils accolés, selon la formule inventée sous Hadrien à Alexandrie. Ce paragraphe traite des rares cas où ils apparaissent affrontés (en buste ou en pied) (les cas où ils figurent un couple impérial ont été traités plus haut).

Hélios et Séléné dans les monnaies

L’origine, durant la période mixte

Helios Selene 16 Antonin le Pieux 139-144 Tralles RPC IV.2, 1599Séléné et Hélios, Antonin le Pieux, 139-144, Tralles, Lydie (RPC IV.2, 1599) .

Le couple est debout, tenant une torche dans chaque main :

  • Séléné à gauche tient baissée celle de sa main droite, levée celle de sa main gauche ;
  • Hélios à droite fait le geste symétrique.

Ce choix de la configuration maritale est d’autant plus étonnant :

  • qu’ils sont frère et soeur, non époux ;
  • que la logique astronomique imposerait l’inverse : dans le sens de la lumière et de la lecture, le soleil devrait être à gauche ;
  • qu’il s’oppose à la disposition standard des monuments romains (voir Lune-soleil : dans l’art gréco-romain).


Zodiac Antoninus Pius Nicaea Bithynie RPC IV.1, 5867Séléné, Zeus et Hélios
Antoninus Pius, 138-161, Nicaea, Bithynie (RPC IV.1, 5867)

En contraste, sous le même Antonin est inventée cette scène de triomphe cosmique, où Zeus cosmocrator trône au centre du zodiaque (Bélier en haut, sens inverse des aiguilles de la montre) flanqué des chars d’Hélios et Séléné affrontés, au dessus de Gaia avec sa corne d’abondance et de Thalassa avec son gouvernail et ses rames.


Helios Selene 19 Commode Pergame 180-82 RPC IV.2, 3112Séléné et Hélios, Commode, 180-82, Pergame (RPC IV.2, 3112)

Sous Commode, comme c’est l’habitude, on préfère la disposition maritale, ce qui oblige à inverser également Thalassa et Gaïa, afin que chacune reste sous son luminaire de référence. L’incongruité du choix est d’autant plus frappant que Zeus, avec son foudre, donne l’impression de gouverner la Lune plutôt que le Soleil.

La convention maritale des couples impériaux dans les monnaies est donc, au départ, encore suffisamment vivante pour s’appliquer au couple Hélios / Séléné et inverser la disposition qui, depuis le Parthénon, régit le fronton des temples.


Le basculement sous Héliogabale

Helios Selene 26 Heliogabale Tripolis, Phoenicia 218-222 Rouvier 1761 Mionnet V, 457Hélios, Jupiter et Séléné
Héliogabale, 218-222, Tripolis, Phoenicia Rouvier 1761 Mionnet V, 457

Au tout début de la période « impériale exclusive », Héliogabale met en scène la même trilogie sous les colonnes d’un temple, mais en replaçant Hélios à sa place impériale, à la droite de Zeus représenté ici par son autel allumé.


Zodiac 26 Heliogabale Tium Bithynie RPC VI, 3570Hélios, Jupiter et Séléné
Héliogabale, Tium, Bithynie (RPC VI, 3570)

Sans surprise, on recopie le modèle zodiacal mis au point sous Antonin, en rajoutant seulement un croissant au dessus du biga de Séléné.


Zodiac 26 Heliogabale Julia maesa Hera Zeus Amastris, Paphlagonia, Bithynie RPC VI, 3627Julia Maesa (avers), Héra et Zeus (revers)
Héliogabale, Amastris, Paphlagonia, Bithynie (RPC VI, 3627)

Le même zodiaque entoure ici le couple Héra-Zeus dans son immuable configuration maritale.


Zodiac 26 Heliogabale Sidon Phenicie RPC VI, 8385Héliogabale, Sidon, Phénicie (RPC VI, 8385) Zodiac 37 Valerianus Aegeae AstarteValérien, Aegeae, Cilicie

Char d’Astarté dans le Zodiaque

Le zodiaque entoure ici le bétyle d’Astarté dans son char : le couple croissant / étoile n’a pas ici de rapport direct avec le couple Séléné-Hélios, mais constitue un décor courant pour les déesses orientales.

Ces deux exemples confirment :

  • qu’il n’y pas de contrainte entre le sens de rotation du zodiaque et les couples sacrés inclus à l’intérieur ;
  • que ce qui vaut pour les couples impériaux divinisés ou le couple Hélios/Séléné n’est pas universel :
    • la convention maritale régit le couple Héra-Zeus de manière pratiquement immuable ,
    • une convention beaucoup moins rigide, comme nous le verrons plus loin, concerne les « déesses orientales ».


Continuation de la configuration impériale

Helios Selene 27 Severe Alexandre Smyrne RPC VI, 4679Sévère-Alexandre, 222-235, Smyrne (RPC VI, 4679) Zodiac Helios Selene 32 Gordien III 242-43 Irenopolis RPC VII.2, 3219Gordien III, 242-43, Irenopolis (RPC VII.2, 3219)

Hélios et Séléné

Le point commun entre ces deux empereurs est d’avoir figuré dans des portraits affrontés (Sévère-Alexandre avec sa mère Giulia Mammea et avec son épouse Orbiana, Gordien III avec son épouse Tranquillina) mais jamais sous la forme « luminarisée » : on pourrait donc théoriquement envisager qu’il s’agisse ici d’un portrait du couple impérial « à la guise » d’Hélios et Séléné : mais rien ne le suggère, ni dans la ressemblance, ni dans les inscriptions. Il s’agit donc bien des premiers portraits affrontés des deux luminaires, selon la convention en vigueur dans cette période, à savoir « impériale exclusive ».

La monnaie de Gordien repend le modèle zodiacal d’Antonin, réduit au seul couple Hélios-Séléné.


Zodiac 27 Severe Alexandre Perinthus Thrace RPC VI, 1056 schemaHélios, Jupiter et Séléné
Severe-Alexandre, Perinthus, Thrace (RPC VI, 1056)

Sous Sévère-Alexandre, cette monnaie améliore spectaculairement le modèle de Zeus zodiacal. On rajoute une étoile à côté du croissant, pour figurer le firmament vers lequel montent les deux chars. Mais surtout, on inverse l’ordre du zodiaque, dans le sens des aiguilles de la montre, sans inverser le reste de la composition. Il en résulte une série de coïncidences graphiques bienvenues :

  • entre les boeufs du biga de Séléné et le signe du Taureau ;
  • entre les chevaux du quadrige d’Hélios et le signe du Capricorne ;
  • entre les pinces de crabe sur la tête de Thalassa et le signe du Cancer ;
  • entre ce crustacé, côté mer, et son équivalent terrestre, le Scorpion.
  • entre les personnifications allongés de Gaïa et de Thalassa, et les deux signes humanoïdes qu’elles surplombent, Balance et Vierge.

Nous verrons que certains bas-reliefs mithraïques exploitent également la coïncidence la plus marquante, celle entre les boeufs du biga et le Taureau (voir Lune-soleil : cultes orientaux) .


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Hélios et Séléné dans les lampes

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Helios Selene 2eme 3eme Alexandrie museum A1.55Hélios et Séléné, 2ème-3ième siècle, Alexandrie [4] figure A1.55

Dans cette lampe, les deux visages sont vus de face, ce dont il n’y a aucun exemple monétaire. Il semble que cette absence d’interaction facilite la configuration « impériale » (nous en verrons d’autres exemples avec Sérapis et Isis).


vHélios et Séléné, 2ème-3ième siècle, Egypte, British Museum, [4] figure A1.56

Cette lampe contemporaine suit la même configuration « impériale », justifié ici par le baiser : dans le sens de la lecture, il est logique de placer à gauche la personne active.

On remarquera que les deux profils accolés forment, vus de loin, un visage unique vu de face (une idée que Picasso aura aussi).


Helios Serapis baiser Tubingen, Archaologisches InstitutBaiser d’Hélios à Sérapis, Tübingen [4] figure A1.90

On connait une trentaine de lampes présentant cet autre baiser, où la personne embrassée par Hélios vu de profil est maintenant Sérapis vu de face. Ce motif très particulier, utilisé exclusivement à Alexandrie entre 150 et 250, pourrait décrire un rituel spécifique à cette cité ([4], p 825) ou un mécanisme du Sérapéion que décrit, à charge, le chrétien Ruffin :

« une statue du Soleil se mouvait, apparemment d’elle-même, pour embrasser Sérapis, tandis qu’un rayon de soleil, provenant d’une ouverture savamment aménagée, venait éclairer le visage de Sérapis » ([5], p 39).



Isis et Sérapis

En aparté : Isis lunaire, Sérapis solaire

« L’identification d’Isis avec Séléné est d’origine grecque, car les divinités égyptiennes proprement lunaires sont de sexe masculin. » Michel Malaise ([6], p 262).

Son époux Sérapis est introduit en Egypte à l’époque hellénistique (vers 200 av JC). Dans l’arétalogie de Maronée (hymne grec à Isis, entre 150 et 50 av JC) s’établit déjà l’association Isis/Lune Sérapis/Soleil) :

« tu as pris Sérapis comme compagnon, et, après que vous eûtes institue le mariage, le monde a resplendi sous vos visages, placé sous les regards d’Hélios et de Séléné » ([4], p 326)


Helios Sarapis Domitien 86-87 Alexandrie RPC II, 2519Domitien, 86-87, Alexandrie RPC II, 2519 Helios Sarapis Hadrien 120-21 Alexandrie RPC III, 5285Hadrien, 120-21, Alexandrie, RPC III, 5285

Hélios Sérapis

Mais les images de Sérapis assimilé à Hélios n’apparaissent que bien plus tard, à l’époque romaine : au tout début en pied, dans l’attitude habituelle d’Hélios saluant du bras droit, puis avec une couronne radiée et la corne en spirale d’Ammon.

Les représentations du couple Isis-Sérapis vont-elles suivre la configuration maritale (la Lune à gauche) ou la configuration impériale (le Soleil à gauche) ? Nous allons voir que la réponse n’est pas simple.


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 Isis et Sérapis en pied

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Isis et Sérapis en pied : configuration maritale

Isis Serapis Debout Hera Zeus Trajan 102-114 Tium Bithynie RPC III, 1185Hera et Zeus, Trajan, 102-114, Tium, Bithynie (RPC III, 1185) Isis Serapis Debout 14 Trajan Alexandria 112-13 RPC II 4740Isis et Sérapis, Trajan, 112-13, Alexandrie (RPC II 4740)

Dans ces deux monnaies de Trajan :

  • Hera, avec son sceptre, fait face à Zeus, avec son aigle et son sceptre.
  • Isis, avec un récipient (situla) et un sceptre, fait face à Sérapis, avec son chien Cerbère et un sceptre.

On voit que la configuration Isis-Sérapis, pratiquement immuable, rappelle beaucoup le cas Héra-Zeus que nous avons observé plus haut.

Cette configuration est hégémonique dans les monnaies :
⦁ Héliogabale, Hieropolis, Phrygie (RPC VI, 5611)
⦁ Alexandre Sévère, Magnesia ad Maeandrum, Ionie (RPC VI, 5164)
⦁ Maximinus et Maximus (235-238) Adrianeia, Mysie (RPC VI, 4155)
⦁ Philippe I (244-249) Nysa, Lydie (RPC VIII unassigned 20421)
⦁ Decius Mopsus Cilicie (RPC IX, 1444)


Isis Serapis Debout 1e s couteau musee cinquantenaire fig 33 IB7Deux faces du manche d’un couteau provenant de Cerveteri, 1e s, Musée du Cinquantenaire, Bruxelles, [7] fig 33 cat IB7 Isis sarapis debout 150 ca Trier Rheinisches LandesmuseumBas-relief, vers 150, Rheinisches Landesmuseum, Trèves

Isis et Sérapis

En dehors des monnaies, c’est également la configuration dominante pour le couple debout.


Isis Serapis Debout Plaquette Pompei IB 2 fig 30Plaquette de bronze, Antiquarium de Pompei, [7] fig 30 cat IB 2 Isis Serapis Debout lampe avec Harpocrate Tran 143a IVB 17Lampe du 3eme siècle, Romisch-germanisches Zentralmuseum zu Mainz, [7] fig 143a cat IVB 17.

Isis, Harpocrate et Sérapi

Elle se maintient lorsque l’enfant du couple, Harpocrate, se glisse entre les deux, à la place de Cerbère.


Isis et Sérapis en pied : deux exceptions

Isis Serapis Debout LMIC Isis 155 IQ 14 fig fig 14 Royal Ontario Museum, TorontoCerbère, Sérapis et Isis
Lampe du 2ème ou 3ème siècle, Royal Ontario Museum, Toronto [7] fig 14 cat IA 14

Cette lampe est le seul exemple d’une représentation du couple en pied (sur huit répertoriées dans le LMIC Isis et le LMIC Harpocrate) où les positions sont inversées. A noter qu’Isis, bien identifiée par le basileion qui la coiffe, porte une corne d’abondance dans sa main gauche : c’est cet attribut qui, pour cause d’encombrement graphique, impose de placer Isis à droite. Nous allons le retrouver dans d’autre cas où notre couple n’est plus seul, mais intégré dans une triade.


Isis Serapis Face Monument 140-60 CCID 386 Dolichenum de l'AventinBas-relief dolichénien, 140-60; Dolichenium de l’Aventin (CCID 386)

L’autre exemple est celui-ci, où Sérapis et Isis ne sont pas seuls, mais embarqués dans une polarisation immuable, celle de Jupiter et Junon dolichéniens (voir Lune-soleil : cultes orientaux) .


La triade égyptienne

Isis Serapis Debout triade avec athena Tran 19 IA 18bisIsis Sérapis et Athéna, intaille [7] fig 19, cat IA 18bis

Cette composition démarque la triade capitoline, en remplaçant le couple dialoguant de Héra et Zeus par celui d’Isis et Sérapis.


Isis Serapis Debout triade 109-110 14 Trajan Alexandria RPC III, 4393.1Isis, Sérapis et Déméter
Trajan, 109-110, Alexandrie (RPC III, 4393.1)

Dans cette composition, qui sera reprise plusieurs fois par le monnayage d’Alexandrie, Isis est à la proue, tenant de son pied une voile gonflée et dialoguant avec Sérapis au centre, la main droite vide et la gauche tenant un sceptre. Derrière lui, la seconde déesse est Déméter, tenant de la droite une torche et de la gauche une corne d’abondance, le coude posé sur une petite colonne.


La triade égyptienne « inversée »

Isis Serapis debout triade Dattari 1152 Planche XXX

Déméter, Sérapis et Isis
Trajan, 108-09, Alexandrie, [8] Dattari 1152 Planche XXX

Sous Trajan également apparaît, cette fois sous un temple, une triade dans laquelle les déesses sont interchangées : Déméter a pris la place d’honneur pour dialoguer avec Sérapis, qui trône en tenant maintenant sa main droite au dessus de Cerbère. Isis, en dernier, tient dans sa main gauche une corne d’abondance. On notera que la galère se trouve ici en miniature, au fronton du temple.


Isis Serapis Debout Trajan Serapis à la fontaine 109-10, RPC III, 4429Sérapis à la fontaine
Trajan, Alexandrie, 109-10 (RPC III, 4429)

Simultanément apparaît cette formule particulière, où Sérapis puise probablement de l’eau dans une fontaine, tandis qu’Isis élève le bras droit vers sa tête ; de l’autre, elle tient Harpocrate sur ses reins. Cette inversion de la position d’Isis se comprend par la nécessité graphique de porter Harpocrate du bras gauche (afin de saluer ou couronner Sérapis du bras droit).

Ces deux inversions contemporaines (dans le temple et à la fontaine) ont probablement la même cause graphique : mettre en évidence ce qu’Isis porte de son bras gauche (corne d’abondance ou Harpocrate).


Isis Serapis Debout triade demeter inversee antonin le Pieux An 1 Alexandrie Dattari 2859Déméter, Sérapis et Isis-Tyché
Antonin le Pieux, Alexandrie (RPC IV.4, 15357, Dattari 2859)

Sous Antonin, c’est maintenant dans la galère que les déesses sont inversées [9] :

  • Déméter passe à la proue ;
  • à la poupe une déesse, portant le basileion d’Isis, tient de la droite le gouvernail et de la gauche une corne d’abondance : il s’agit d’une forme syncrétique d’Isis très appréciée à Alexandrie depuis l’époque ptolémaïque : Isis-Tyché ([5], p 66).


Isis Serapis Debout 17 Marc Aurele Alexandrie RPC IV.4, 13791Sérapis à la fontaine, couronné par Isis-Tyché
Marc-Aurèle, An 12 (Dattari 3530, RPC IV.4 13791)

En l’an 5 de Marc-Aurèle, est repris le type de Sérapis à la fontaine, puisant de l’eau avec une louche (simpulum). En l’An 12, apparaît une variante où il est couronné par Isis-Tyché, qui figure donc à droite, dans une formule qui ne contredit pas le caractère immuable de la formule Isis-Sérapis : c’est seulement lorsqu’Isis prend les attributs de Tyché qu’elle perd la place d’honneur.



Isis Serapis debout triade schema
Ce schéma synthétise les différents éléments que nous venons de voir. On comprend la consistance de la formule Isis/Sérapis (en vert), transposée à partir de la triade capitoline en remplaçant Athéna par Déméter. Pourtant, sous Trajan, c’est la triade inversée (dans le temple) qui a précédé la triade standard (dans la galère). La formule Sérapis-Isis (en rouge) est apparue simultanément, dans l’iconographie particulière de Sérapis à la fontaine, qui sera reprise ensuite sous Marc-Aurèle (flèche rouge).

Les flèches en pointillé indiquent les influences possibles entre les trios et les duos.

Indépendamment de ces influences, trois causes concomitantes se dégagent :

  • lorsque Isis porte un objet dans son bras gauche (Harpocrate ou corne d’abondance), sa place est à droite ;
  • lorsqu’Isis-Tyché tient le gouvernail, sa place est à la poupe ;
  • lorsque Cerbère, le chien qui garde les Enfers, est présent, il se crée une connexion logique avec Déméter (belle-mère de Hadès), qui l’attire sur la gauche.

C’est ce dernier point que nous allons maintenant explorer.


La triade avec Cerbère (SCOOP !)

Dans sa toute première statue, sculptée par Bryaxis au 2ème siècle avant JC pour le Sarapéion d’Alexandrie, Sérapis était représenté étendant sa main droite au dessus de Cerbere.


Isis Serapis Debout triade demeter inversee antonin le Pieux An 1 Alexandrie Dattari 2859Isis, Sérapis et Déméter, bas-relief du Colisée, vers 150, Musée du Capitole.

Lorsque Sérapis adopte cette pose canonique, la présence de Cerbère entraîne automatiquement la moitié gauche dans le champ du mythe gréco-romain des Enfers (en bleu), tandis que la moitié droite relève de la triade égyptienne, nécessairement inversée (en rouge).

Dans son article dédié à la difficile question des liens entre Isis et Déméter, John Herrmann note que les deux déesses sont bien souvent identifiées l’une à l’autre dans les textes, mais séparées dans l’iconographie, non sans une forme de gémellité : c’est ainsi qu’ici le noeud en X typiquement isiaque orne la poitrine de Déméter (à la tête voilée), tandis que la déesse sans voile, à côté d’Harpocrate, serait à la fois sa mère Isis, en tant qu’épouse de Sérapis, et Koré, en tant qu’épouse d’Hadès ([10], p 84). Ce bas-relief réalisé à Rome tire très clairement le syncrétisme du côté gréco-latin, puisque tous les attributs égyptiens d’Isis ont été éludés.



Helios Serapis baiser Tubingen, Archaologisches Institut
Ce schéma montre le riche entrecroisement de relations familiales que ce contexte biculturel permettait d’exploiter.


Herrmann cat 104 schemaMédaillon de Philippe l’Arabe, 247, Byzie (Thrace) ([10], cat 104)

Comme le remarque Herrmann, l’ajout d’un sistre dans la main d’Isis et d’un jeune Anubis à tête de chien à gauche de Cerbère tire la même triade cette fois côté égyptien, et laisse soupçonner que Déméter pourrait fonctionner ici comme substitut non pas d’Isis, mais de sa soeur Nephthys.

Selon Herrmann, c’est la « triade inversée » Déméter/Sérapis/Isis qui est la forme nominale. Dans les quelques exemples qu’il donne ([10], p 83), Cerbère est présent dans quatre cas (cat 86, 93, 102 et 104) et absent dans deux cas (cat 92 et 94), que voici :


Isis Serapis debout triade 0-50 Benaki Herrmann cat 92 fig 13Poignée de lampe, 0-50, Collection Benaki, Musée national, Athènes, ([10], cat 92 fig 13)

Ce fragment est le seul contre-exemple, parmi les figures en pied, à la « règle » selon laquelle Déméter figure à gauche lorsque Cerbère est présent. Dans cette iconographie très spéciale, c’est Harpocrate qui a pris la place du chien des Enfers. La déesse voilée qui s’occupe de lui dans un geste mal défini, isolée du couple Sarapis/Isis-Tyché, est probablement Déméter ([7], p 249), attirée à cette place non par son lien avec les Enfers, mais en tant que tante ou grand-mère de l’enfant (si on identifie Sérapis à Hadès).

L’autre exception (cat 94) est composée de trois bustes, formule beaucoup moins contrainte, comme nous allons le voir.


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Isis et Sérapis en bustes (vus de face)

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En analysant le corpus fourni par les LIMC [10a], on trouve quatre cas où Isis est à droite (LIMC Isis 133, Harpocrate 164, 173, 380) contre huit cas où elle est à gauche (LIMC Isis 131, 132, 134, 143, 199, Harpocrate 383, 384, 385).

Cette relative équivalence entre les deux formules est facilitée, dans le cas des bustes vus de face, par l’absence d’interaction entre les deux divinités, et l’absence des attributs qui, dans la vue en pied, imposaient des contraintes de placement (Cerbère, corne d’abondance).


Isis Serapis Face buste LMIC 199 triade 150-250 Herrmann cat 94. fig 14Déméter, Sérapis, Isis (LMIC Isis 199, [10] cat 94 fig 14) Isis Serapis Face buste LMIC 133 Lampe ISIS ET SERAPIS SE REGARDANT Louvre fig 25Sérapis, Isis, Louvre (LMIC ISIS 133, [11] fig 25)

Voici deux exemples, plutôt rustiques, de la configuration minoritaire (Isis à droite).


Isis Serapis Lampe Face medaillon Coupe hellenistique cat 189 fig 43Coupe hellénistique (2eme-1er s av JC), Centuripe, Sicile [12] cat 189 fig 43

Cette coupe est le plus ancien exemple de la configuration majoritaire (Isis à gauche) : bien avant que l’image solaire de Sérapis se soit largement répandue, on y voit une des toutes premières images de Sérapis radié, vu de face. Isis à gauche tourne légèrement son regard vers lui. Tous deux portent le basileion.


Isis Serapis Podvin planche 37-3Sérapis-Isis [13] planche 37-3 Isis Serapis Podvin planche 40-5Isis- Sérapis [13] planche 40-5

Dans le cas particulier des anses de lampe où le couple figure côte à côte, c’est en revanche la configuration Sérapis / Isis qui est majoritaire (26 contre 18, [13] p 75)


Isis Serapis Face buste LIMC 143 vers 200 av JC Brooklin museumMédaillon, vers 200 av JC, Brooklin museum (LIMC Isis 143) Isis Serapis Face buste Lampe L4016 Corinth MuseumLampe L4016, Musée de Corinthe (hors LIMC, [14], fig 3)

Dans ces deux cas Isis-Sérapis, on note une amorce d’inclinaison des deux visages l’un vers l’autre. L’un des couple sort du même calice, l’autre est fusionné par ses vêtements : images véritablement conjugales formant presque une divinité bicéphale.

Dans d’autres cas au contraire, les divinités se séparent pour encadrer une architecture.


Aux bornes d’une architecture

Isis Serapis face buste Cadran solaire Musee de Silistra Tacheva-Hitova No 8Isis et Sérapis
Cadran solaire avec Orphée charmant les animaux, Musée de Silistra, Tacheva-Hitova No 8 [15]

C. Vendries [16] note que la lyre d’Orphée, dont les cordes imagent l’harmonie des planètes, est placée juste sous le gnomon, au centre organisateur du cadran. Un lion à gauche et un âne renversé à droite, marquent les extrêmes du désordre et de l’ordre, sans qu’on sache s’ils sont en lien avec la couple Isis / Sérapis. C’est clairement pour leur signification lunaire et solaire qu’ils sont présents dans la décoration du cadran.

On peut noter que le regard, en explorant la scène orphique, passe d’Isis à Sérapis ; tandis que l’ombre du gnomon parcourt le cadran dans l’autre sens. Cet objet étant unique, il est impossible de faire la part, dans le choix Isis / Sérapis, du poids de la configuration dominante et d’une réflexion liée à la fonction cultuelle de l’objet (il a peut être décoré un temple isiaque).


Isis Serapis Face buste Monument 164-180 Autel provenant de Stockstadt Musee Romerkastell SaalburgAutel votif provenant de Stockstadt, 164-180, Musée Römerkastelln, Saalburg Isis Serapis 150 ap JC Prusa (Brousse) BithynieAutel votif provenant de Pursa (Brousse) Bythinie, vers 150 photo Thomas Corsten [17]

L’autel germain porte une dédicace à Jupiter (Jovi Optimo Maximo) et à tous les dieux et déesses, parmi lesquels seuls Isis et Sérapis sont nommés. Inversant la convention romaine pour les temples (voir Lune-soleil : dans l’art gréco-romain), Isis lunaire figure à gauche (à la droite de Jupiter), et Sérapis solaire à droite.

L’autel d’Asie mineure suit le même configuration (avec Jupiter en haut), bien que le texte en dessous du bas-relief nomme les dieux dans l’autre sens :

« Ceci est une action de grâces pour Sérapis et Isis » [17].


Isis et Sérapis en bustes (vus de face) : en synthèse

Tandis que les objets domestiques (lampes et bijoux) semblent relativement indifférents à la formule utilisée, le choix de la configuration maritale dans ces trois objets cultuels suggère que cette configuration soulignait le rôle des deux dieux dans l’ordre cosmique, mais avec une dimension supplémentaire par rapport au couple fraternel Hélios / Séléné : celle du couple marital, image divine du couple humain.


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Isis et Sérapis en profils affrontés (monnaies)

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L’invention de la formule à Alexandrie

Isis Serapis Hadrien Antonin AlexandrieIsis et Sarapis de profil, monnayage d’Alexandrie (premières frappes)

C’est sous Hadrien que le monnayage d’Alexandrie introduit les trois formules possibles : profils accolés au début, puis profils affrontés dix ans plus tard, d’abord dans la formule impériale, puis dans la formule maritale. Particulièrement glorieuse, la formule impériale s’enrichit d’un aigle posé sur un foudre et d’un petit Harpocrate qui, comme Isis, dirigent leur regard vers Sérapis. En comparaison, la toute première formule maritale (dont il ne reste que deux exemplaires très effacés) fait figure de parent pauvre.

Son successeur Antonin le Pieux reprend les trois mêmes types et rajoute un type Sérapis-Isis, sans l’aigle et sans Harpocrate.


En aparté : une explication possible de ces innovations (SCOOP !)

Isis Serapis 15 Hadrien Drachm, Alexandria ca 134 Dattari 1843Sérapis, Harpocrate et Isis,Dattari 1843 Isis Serapis Demeter Ammon Hadrien Alexandrie RPC III, 5883Déméter, Harpocrate et Zeus-Ammon (RPC III 5883)

Hadrien, Alexandrie, 133-34

Ces deux monnaies à profils affrontés ont été frappées la même année. Dans un article récent L.Bricault [18] rattache cette double représentation d’Harpocrate au problème de la succession d’Hadrien (sans enfant biologique avec Sabine), qui se traduira par l’adoption de Lucius Aelius en 137.

Déméter est reconnaissable à son voile et à sa torche, Zeus-Ammon à sa corne de bélier et à son disque, qui le distingue de Sarapis-Ammon (corne de bélier et kalathos). Cette triade Démeter/ Zeus-Ammon / Harpocrate est totalement inédite.

Du point de vue qui nous intéresse, il est possible d’aller un peu plus loin, en remarquant que les deux émissions de 133/34 fonctionnent à configuration renversée :

  • impériale pour Sérapis et Isis ;
  • maritale pour Déméter et Ammon (avec la particularité que Déméter est en retrait et de taille inférieure).

On peut supposer que les deux monnaies, émises simultanément, illustrent deux « généalogies » d’Harpocrate :

  • ses parents Sérapis et Isis (identifiables au couple impérial d’Hadrien et Sabine) ;
  • ses « grands parents » mythiques : Déméter en tant que mère de Koré/Isis, Ammon en tant que père mythique de tous les rois d’Egypte.

L’émission de la formule maritale Déméter / Ammon pourrait expliquer pourquoi la formule maritale Isis / Sérapis (dans laquelle Isis est elle-aussi en retrait) a dû attendre l’année suivante (134-135).


Du point de vue du nombre de types (d’après le RPC), la formule accolée est nettement la plus populaire (6 pour Hadrien, 13 pour Antonin), suivie de la formule Sérapis-Isis (2 et 6) et enfin Isis-Sérapis (un seul pour chaque empereur).

On retrouve pour le couple divin ce que nous avions observé pour le couple impérial :

  • la formule accolée, où la question de l’ordre ne se pose pas, est largement privilégiée ; viennent ensuite :
    • la formule impériale, ce qui montre que, d’une manière où d’une autre, les deux figures d’autorité, Sérapis et l’Empereur, s’assimilent l’une à l’autre ;
    • la formule maritale, très largement minoritaire.


La diffusion en Asie mineure

Isis Serapis tableau carte
Après son introduction à Alexandrie, la formule affrontée se diffuse exclusivement dans les monnayages des cités d’Asie mineure. Les points verts montrent la forme maritale, les points rouges la forme impériale [16]. On voit que les deux cités les plus proches d’Alexandrie (Aegeae et Flavipolis) sont celles où les deux formules ont été utilisées (plus Nicomedia).



Isis Serapis Monnaies
Ce tableau traduit bien une forme de diffusion spatiale et temporelle :

  • jusqu’à Macrin, les deux formules coexistent, avec une nette préférence pour la forme maritale ;
  • à partir d’Héliogabale, seule subsiste la forme impériale, qui se répand dans les cités non encore touchées ;
  • enfin, deux  monnaies témoignent d’un retour tardif à la forme maritale.


Isis Serapis 36 Gallien, Flaviopolis

Isis et Sérapis, Gallien, Flaviopolis

Celle de Gallien est peut être liée à une préférence locale puisque, à Flaviopolis, on a utilisé de manière continue la forme maritale (sauf peut être une fois sous Sévère-Alexandre, dans une monnaie qui n’est référencée que dans un seul ouvrage).


anonyme VOTA PUBLICA Planche VIII 37

Avers : I SARA(PIDI), Revers : Isis lactans, VOTA PUBLICA
Anonyme, [19] Planche VIII num 37, cat 395

La seconde monnaie maritale a probablement frappée à Rome après 380. A l’occasion de la fête annuelle des voeux à l’Empereur, on émettait une monnaie portant l’effigie des dieux égyptiens, et cela même après la conversion de Constantin au christianisme. Parmi les centaines d’exemplaires étudiés par Alföldi [19], les bustes accolés des deux dieux sont fréquents, mais cette seule monnaie les montre affrontés : à cette époque d’amoindrissement des capacités techniques, la formule devait être jugée trop exigeante.


Isis Serapis tableau monnaies empereur lieuTableau synthétique

Ce tableau se limite aux monnaies qui bornent ces étapes. Il n’y a pas d’innovation iconographique, sauf la monnaie de Philippe l’Arabe, à Nicomedia, où la déesse, sous la forme d « isis lactans », approche de son sein un minuscule Harpocrate.


Isis Serapis tableau liste monnaies

Tableau complet


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Couples de souverains à la guise de Sérapis et Isis

Helios Isis Ptolemee II et Arsinoe II 3eme s av JC BNFHélios et Isis, 3eme siècle avant JC, BNF

On pense que ce couple syncrétique, associant le dieu grec et la déesse égyptienne, représente les souverains Ptolémée II et Arsinoé II.


Ptolemy II Philadelphos Arsinöe II Oktadrachm. Alexandria after 265 BC. Svoronos_0603Octadrachme, Alexandrie, après 265 BC.

Cette monnaie montre à l’avers Ptolémée II et sa seconde épouse Arsinoé II, et au revers leurs parents (Ptolémée I et Bérénice 2) : car il se trouve que Ptolémée II avait épousé sa propre soeur, d’où son surnom de philadelphe.


Accole Isis Serapis Ptolemy IV Philopator Tetradrachm, Alexandria 221-203Tétradrachme de Ptolémée IV Philopator, 221-203 av JC, Alexandrie

Son petit-fils Ptolémée IV transpose cette formule royale à Sérapis et Isis accolés :

« En choisissant un tel schéma, Ptolémée IV se place ainsi sous la protection d’un couple divin auquel on pourra le cas échéant assimiler le couple royal » ([20], p 101)

Cependant les figures divines et impériales restent bien séparées.


Isis Serapis 50 Julien Helena 361-62 american numismatic societySérapis et Isis, Julien l’Apostat, 361-62 (American Numismatic Society).

Le lieu commun longuement répétée que Sérapis / Isis représente Julien et Héléna a été démenti dès 1937 par Alföldi ([19], p 17)

Ainsi, pendant toute la durée de l’Empire païen, les couples impériaux s’assimilent de loin en loin à Hélios et Séléné, mais jamais à Sérapis et Isis.


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Isis et Sérapis en profils affrontés (céramiques)

Cette iconographie a été étudiée en 1970 par V. Tran Tam Tinh [11]. Je résume rapidement ses conclusions, mises à jour suite aux découvertes effectuées depuis lors [13].

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Isis et Sérapis s’embrassant

Isis Serapis Lampe Louvre fig 8Isis et Sérapis s’embrassant, Louvre, [11] fig 8

Apparue en Italie vers le milieu du premier siècle, ces lampes portent sur leur anse le couple s’embrassant. Sur la quinzaine d’exemplaires connus, tous (sauf un trouvé au mithréum de Sainte Prisca) respectent l’ordre marital : ce n’est probablement pas une coïncidence, tant cette scène souligne l’effusion amoureuse du couple divin


Isis et Sérapis se regardant

Isis Serapis Lampe Musee du Bardo fig 13Isis et Sérapis, Bardo, [11] fig 13

Un siècle après sont produits en Afrique du Nord , pendant environ un siècle, des lampes dont on connaît environ 130 exemplaires : les deux dieux affrontés se regardent et l’ordre marital est toujours respecté. Sérapis est toujours couronné de rayons, souvent peu visibles à cause de l’usure de la lampe ou du moule ([13], p 78) . Certaines lampes, comme celle-ci, portent sur leur pourtour une décoration de grappes et de feuilles de vignes. La plupart on été trouvées dans un contexte funéraire.


Isis Serapis Lampe Ostie fig 22Isis et Sérapis, Ostie, [11] fig 22

Pour Tran Tam Tinh, la formule d’Afrique du Nord ne provient pas directement des rares monnaies alexandrines d’Hadrien et d’Antonin le Pieux, ni des monnaies frappées dans les lointaines cités d’Asie mineure, Elle aurait été inventée en Italie, pour des lampes dont il reste trois exemplaires, trouvés à Ostie.

Celle-ci montre, en plus, l’enfant Harpocrate suçant son doigt devant Isis, et le profil d’Hermanubis derrière Sérapis.


Isis Serapis Lampe medaillon d'appliqVase Caylus, Musée de Lugdunum, Lyon Isis Serapis Medaillon Musee d'Arles fig 33Musée d’Arles [11] fig 33 Serapis Isis medaillon Arles Wuilleumier fig 202Musée d’Arles, Wuilleumier [22] fig 202

Médaillons d’applique

Le motif se poursuit ensuite dans quelques médaillons d’applique trouvés dans la Vallée du Rhône : on y trouve les deux configurations, maritale et impériale. On voit que la configuration ne dépend pas de la présence d’un motif intermédiaire (une fleur de pavot entre deux épis pour Lyon, une épi triple pour Arles), ni du sistre présent dans le dos d’Isis.


Isis Serapis Lampe medaillon Grimm Tafel 45Médaillon d’applique provenant de Westheim, Grimm [23] Tafel 45

On retrouve quelques médaillons d’appliques (qui étaient apposés sur la panse de vases) dans les vallées du Rhin et du Danube, là encore dans les deux configurations.


Isis Serapis Lampe 4eme siecle Houareb DERKSEN planche XLILampe provenant de Houareb (Tunisie), milieu du 4ème siècle ([24], planche XLI)

Enfin J. J. V. M. DERKSEN ([24] signale, après une interruption d’un siècle, une résurgence tardive du motif en Afrique du Nord, toujours dans la configuration maritale.


Isis Serapis Lampe 2eme siecle ap JC Brexiza Marathon_museum_-_Sanctuary_of_Egyptian_Gods,_LampSérapis et Isis, Lampe du 2ème siecle ap JC, musée de Marathon, Brexiza

J’ai gardé pour la fin une série très homogène de soixante dix lampes trouvées dans un même local du sanctuaire des dieux égyptiens à Marathon, datées de 150-200 [25] : Sérapis y est systématiquement à gauche, et le motif de l’étoile dans le croissant fait son apparition entre les deux divinités. Certains exemplaires présentent sur leur pourtour une frise de feuilles de vigne, grappes et pampres alternées.

Une particularité de cette formule est que Sérapis n’est pas radié, peut être parce que les luminaires sont déportés au centre.


Lampe provenant de la tombe 4027 Scupi Skopje 150-220Sérapis et Isis, Lampe provenant de la tombe 4027, Scupi, Skopje, 150-220 ap JC [26]

Une série de seize lampes avec Sérapis à gauche, trouvées dans des tombes de Scupi, montre que cette disposition n’est pas spécifique aux usages cultuels, ni liée à la présence du motif de l’étoile dans le croissant ( sur celui-ci, qui n’est pas spécifique à l’iconographie de Sérapis ou d’Isis, voir XXX).


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 En synthèse

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Isis Serapis tableau ceramique
En se limitant aux céramiques (lampes à huile et médaillons d’applique), on voit que :

  • dans le cas des bustes vus de face, les deux formules se rencontrent (couleur orange) ;
  • dans le cas où il y a interaction entre les deux divinités (s’embrassant ou se regardant), la configuration maritale est de rigueur (couleur verte); mis à part les deux séries de Marathon et Scupi (en rouge).

Pour les médaillons d’applique, trouvés en très petit nombre, les deux configurations se rencontrent.

Il ne se dégage pas de règle générale expliquant ces variations : pour des objets fabriqués en série comme les lampes à huile, les habitudes d’atelier priment sur les considérations iconographiques. La large répartition des lampes d’Afrique du Nord pouvait donner l’impression que la configuration Isis-Sérapis prédominait de manière écrasante, avant qu’on ne découvre les séries plus localisées de Marathon et Scupi.

Pour des objets plus contrôlés tels que les monnaies, on peut s’attendre en revanche à des règles plus nettes.


Isis Serapis tableau chronologique

Tableau chronologique (dilaté pour le premier et le deuxième siècle)

Ce tableau replace en parallèle les différents couples et les différents médias que nous avons envisagés dans ce trop long article. Il en ressort une impression d’assez grande cohérence (verticales bleues) :

  • la formule initiale (maritale exclusive) s’arrête dès Domitien pour les monnaies, et au milieu du deuxième siècle pour les céramiques ;
  • la période mixte, où les deux formules cohabitent, s’arrête net avec Héliogabale, et ce pour tous les couples et medias ;
  • s’ouvre alors durant une cinquantaine d’années, une période « impériale exclusive »
  • il semble y avoir eu, à partir de Gallien, une renaissance de la formule maritale, mais la raréfaction des exemples rend cette hypothèse fragile.


Article suivant : Lune-soleil : symboles 1) introduction

Références :
[1] Jerome Mairat « The coinage of the Gallic Empire » 2014 Thèse, Oxford https://ora.ox.ac.uk/objects/uuid:58eb4e43-a6d5-4e93-adeb-f374b9749a7f
[2] Michel Amandry, « Le monnayage en bronze de Bibulus, Atratinus et Capito : une tentative de romanisation en Orient » Revue suisse de numismatique Vol 65 (1986) https://www.e-periodica.ch/cntmng?pid=snr-003:1986:65::293
[3] Francesco Gnecchi « I medaglioni romani, descritti ed illustrati »
Vol I : https://archive.org/details/imedaglioniroman01gnec
Vol II : https://archive.org/details/imedaglioniroman02gnec
[4] Gaëlle Tallet « Les rayons d’Isis et de Sarapis : lumière et mystères » dans « La splendeur des dieux: Quatre études iconographiques sur l’hellénisme égyptien «  Serie: Religions in the Graeco-Roman World, Volume: 193, Brill 2020
[5] Soheir Bakhoum « Dieux égyptiens à Alexandrie sous les Antonins : recherches numismatiques et historiques » 1999
[6] Michel Malaise « Le calathos sur la tête d’Isis: une enquête » Studien zur Altägyptischen Kultur Bd. 43 (2014), pp. 223-265 https://www.jstor.org/stable/44160277
[7] V. Tran Tam Tinh, « Sérapis debout. Corpus des monuments de Sérapis debout et étude iconographique » Brill 1983
[8] G.Dattari « Monete imperiali greche. Numi Augg. Alexandrini. Catalogo della collezione Dattari »
https://archive.org/details/moneteimperialig01datt
https://archive.org/details/moneteimperialig02datt
[9] Sur cette variante et sa signification, voir Laurent Bricault « Isis, Dame des flots » p 78 https://www.academia.edu/745307/Isis_Dame_des_flots
[10] John Herrmann, « Demeter-Isis or the Egyptian Demeter? A Graeco-Roman sculpture from an Egyptian workshop in Boston », 1999, Jahrbuch des Deutschen Archäologischen Instituts https://www.academia.edu/38091506/Demeter-Isis_or_the_Egyptian_Demeter_A_Graeco-Roman_sculpture_from_an_Egyptian_workshop_in_Boston
[10a] V. Tran Tam Tinh, Lexicon Iconographicum Mythologiae Classicae (LIMC) vol 4-1, article Harpokrates
https://archive.org/details/limc_20210516/Lexicon%20Iconographicum%20Mythologiae%20Classicae/LIMC%20IV-1%20Eros-Herakles/page/n224/mode/1up
V. Tran Tam Tinh, Lexicon Iconographicum Mythologiae Classicae (LIMC) vol 5-1, article Isis
https://archive.org/details/limc_20210516/Lexicon%20Iconographicum%20Mythologiae%20Classicae/LIMC%20V-1%20Herakles-Kenchrias/page/n416/mode/1up?view=theater
[11] V. Tran Tam Tinh « ISIS ET SÉRAPIS SE REGARDANT », Revue Archéologique, Nouvelle Série, Fasc. 1 (1970), pp. 55-80 https://www.jstor.org/stable/41755609
[12] Giulia Sfameni Gasparro « I culti orientali in Sicilia » Serie : Études préliminaires aux religions orientales dans l’Empire romain, Volume: 31 Brill 1973
[13] Jean-Louis Podvin; Laurent Bricault « Luminaire et cultes isiaques »
[14] Jean-Louis Podvin, Richard Veymiers. « A propos des lampes corinthiennes à motifs isiaques ». Laurent Bricault. Bibliotheca Isiaca I, Ausonius Editions, pp.63-76, 2008 https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-03271872/document
[15] Margarita Tacheva-Hitova « Eastern Cults in Moesia Inferior and Thracia (5th Century B.C.-4th Century A.D.) » dans la collection “Religions inthe Graeco-Roman World Online volume 95, E. J. Brill Leiden 1983
[16] C Vendries « Orphée, Isis, Sarapis et l’âne terrassé, le décor d’un cadran solaire de Durostorum (Silistra) » · Revue Archéologique Nouvelle Série, Fasc. 2 (2017) https://www.jstor.org/stable/44711301
[18] L.Bricault « La question de la succession d’Hadrien sur une monnaie inédite de l’atelier d’Alexandrie » https://journals.openedition.org/pallas/527
[19] Andrew Alföldi, « A festival of Isis in Rome under the Christian emperors of the IVth century » 1937 https://archive.org/details/alfoldiIsisRome1937/page/n4/mode/1up
[20] Richard Veymiers « Hileôs tôi phorounti. Sérapis sur les gemmes et les bijoux antiques » https://www.academia.edu/639567/Hile%C3%B4s_t%C3%B4i_phorounti._S%C3%A9rapis_sur_les_gemmes_et_les_bijoux_antiques
[22] Pierre Wuilleumier et Amable Audin « Les médaillons d’applique gallo-romains de la vallée du Rhône » Annales de l’Université de Lyon, 1953
[23] Grimm, « DIE ZEUGNISSE AGYPTISCHER RELIGION UND KUNSTELEMENTE IM ROMISCHEN DEUTSCHLAND » Brill 1969 https://www.academia.edu/45591486/ZODIAC_CIRCLE_ON_ANCIENT_COINS_2021
[24] J. J. V. M. DERKSEN, « ISIS AND SERAPIS ON LAMPS FROM NORTH AFRICA » dans  » Hommages à Maarten J. Vermaseren, Volume 1″ Brill 1978
[25] Pelly Fotiadi, « Ritual Terracotta Lamps with Representations of Sarapis and Isis from the Sanctuary of the Egyptian Gods at Marathon: The Variation of “Isis with Three Ears of Wheat”
https://www.academia.edu/4939757/Pelly_Fotiadi_Ritual_Terracotta_Lamps_with_Representations_of_Sarapis_and_Isis_from_the_Sanctuary_of_the_Egyptian_Gods_at_Marathon_The_Variation_of_Isis_with_Three_Ears_of_Wheat_
[26] Jovanova Lenče, « On some of the oriental cults in the Skopje-Kumanovo region, in Romanising oriental gods ? Religious transformation in the Balkan provinces in the Roman period. New finds and novel perspectives » Skopje 2015 https://www.academia.edu/20850513/Jovanova_Len%C4%8De_On_some_of_the_oriental_cults_in_the_Skopje_Kumanovo_region_in_Romanising_oriental_gods_Religious_transformation_in_the_Balkan_provinces_in_the_Roman_period_New_finds_and_novel_perspectives_293_322_Skopje_2015

Lune-soleil : symboles 1) introduction

31 décembre 2022

Dans l’Antiquité, les symboles de l’étoile et du croissant apparaissent fréquemment en couple, et souvent dans l’ordre croissant-étoile. Mais pour parler d‘inversion, encore faut-il pouvoir les interpréter comme la lune et le soleil.

Commençons par nous débarrasser de deux cas :

  • l’étoile est placée à l’intérieur du croissant ;
  • les inversions qui n’en sont pas.

Article précédent : Lune-soleil : couples affrontés 



L’étoile dans le croissant

Ce motif ne présente pas d’inversion, puisque les deux symboles sont presque toujours présentés verticalement, l’étoile au dessus du croissant. Il constitue néanmoins une mise en jambe indispensable pour préciser leur lien avec le soleil et la lune.

 A Uranopolis (Macédoine)

EtoileDansCroissant Macedoine, Uranopolis. Circa 300 BCE. Aphrodite Urania globe hemiobole SNG Cop 458Hemiobole d’Uranopolis, vers 300 avant JC (SNG Cop 458)

La ville était dédiée à Aphrodite/Urania, qui apparaît ici assise sur le globe cosmique (voir 1 Epoque romaine). Dans ce contexte, on pourrait penser que le motif du revers représente le soleil au dessus de la lune.


EtoileDansCroissant Macedoine, Uranopolis. Circa 300 BCE. Aphrodite Urania globe didrachme soleil BMC 1Soleil, Didrachme (BMC 1) EtoileDansCroissant Macedoine, Uranopolis. Circa 300 BCE. Aphrodite Urania globe drachme etoile BMC 2-4Etoile, Drachme (BMC 2-4)

En fait, dans le système monétaire d’Uranopolis, le Soleil figurait au revers du didrachme, et l’étoile à huit branches au revers de la drachme. Notre motif figurait au revers d’une monnaie de très faible valeur (une demi-obole, l’obole étant un sixième de la drachme) : il évoque donc probablement une étoile au dessus de la lune.


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A Tarente (Calabre)

EtoileDansCroissant Calabria. Tarentum. Hemiobol. 325-280 a.C. (Vlasto-1780)Tarentum, Hemiobole, 325-280 av JC (Vlasto-1780)

On retrouve à la même époque le même motif, dupliqué et affronté, dans cette cité grecque de Calabre, là-encore sur une demi-obole.


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A Populonia (Etrurie)

Plusieurs monnaies de cette ville étrusque, très difficiles à dater, comportent au revers des motifs de croissant et d’étoiles.


EtoileDansCroissant Historia numorum Italy Populonia 400-300 BC

(N°144)  (N° 158)  (N° 186)

Populonia, 4ème siècle av JC ?, photos et numérotation [1]

Les trois revers portent à l’exergue le nom de la cité.

Les deux pièces en argent, de même valeur, présentent néanmoins des motifs différents :

  • deux étoiles à quatre branches et une étoile à six branches dans le croissant,
  • une étoile à quatre branches dans le croissant.

La valeur (20 unités) est indiqué par un XX sur l’avers (il apparaît sur d’autres spéciments du N° 158).

Pour les monnaies de bronze en revanche, la valeur est indiquée par le nombre de globules (pellets) à l’avers et au revers : ici, deux globules signifient deux douzièmes d’as, soit un sextans. Les deux étoiles (à six branches) sont probablement un rappel de cette valeur, mais elles ont aussi un rôle graphique : entourant le croissant, elles évoquent la nuit, dont la chouette est l’oiseau.


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A Venusia (Basilicate)

EtoileDansCroissant Historia numorum Italy 721 Venusia 210-200 BCVenusia, 210-200 av JC, photos et numérotation [1]

Les monnaies de Venusia sont en bronze, et respectent donc le standard pour les valeurs jusqu’à l’as : trois globules pour le teruncius (trois onces, soit trois douzièmes d’as). Le revers, où le motif de l’étoile dans le croissant est répété trois fois, présente le même système de redondance numérique/graphique qu’à Populonia.

La monnaie avec Sol correspond, d’après le poids, à une once et demi, ce que doit indiquer le globule au revers (une once) suivi des lettre SV. Mais les sescuncia étant très rares et non standardisés, on n’en sait pas plus.


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A Rome, sous la République

EtoileDansCroissant Helios Once Rome 217-215 av JC RRC 39-4Once, Rome, 217-215 av JC (RRC 39/4)

Notre motif apparaît à Rome à peu près à la même époque (mais avec deux étoiles à huit branches), là encore avec Sol à l’avers. On voit bien au centre du revers le globule qui signifie l’once. Le croissant et les deux étoiles n’ont donc pas de signification monétaire : tout comme pour la chouette de Populonia, ils évoquent la Nuit, au revers du Jour qu’évoque la face solaire.


EtoileDansCroissant Helios denier de Mn. Aquillius, 109-08 av JC, RRC 303-1Denier émis par Mn. Aquillius, 109-08 av JC, (RRC 303/1)

Il faut attendre un bon siècle pour voir Sol réapparaître, cette fois de profil, à l’avers d’une monnaie romaine [2]. La Nuit, qui était auparavant évoquée sous forme symbolique, donne lieu ici à une véritable personnification : Luna sur son biga (char à deux chevaux), sa tête suivant le croissant, galope dans le fimament au milieu de quatre étoiles. Il est possible qu’elles aient une signification monétaire (un denier valant quatre sesterces).


EtoileDansCroissant Helios Denier 76 BC L Lucretius Trio RRC 390-1Denier émis par Lucius Lucretius Trio, 76 avant JC (RRC 390/1)

Le motif synthétique réapparait trente ans plus tard, cette fois avec sept étoiles. Certains y voient les Pléiades [3] ou les sept planètes. L’hypothèse la plus séduisante est celle de Yannis Stoyas [4] : il s’agirait de la Grande Ourse (Septem Triones), choisie par allusion au nom de l’émetteur (Trio) tandis que le Soleil serait quant à lui une allusion à son prénom Lucius (de Lux, la lumière).

En 42 avant JC, l’idée sera reprise dans P.Clodius, pour un aureus (RRC 494/20a-b) et un denier (RRC 494/21) mais avec cinq étoiles seulement [2], tandis que sous l’Empire, Trajan fera refrapper à l’identique le denier avec le nom de Trio (RIC II Trajan 785) : preuve indirecte que les contemporains comprenaient bien le lien entre ce nom et les sept étoiles.


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A Byzance

EtoileDansCroissant byzantium-crescent-star-1-century-bcMonnaie de Byzance (BYZANTIO), 1er siècle avant JC

L’emblème sera repris par la ville de Byzance, en souvenir d’un prodige survenu en 340 avant JC, lors du siège de la ville par Philippe de Macédoine :

« Mais voilà que dans la nuit noire où brillent les étoiles et un quart de la lune, un rayon lumineux traverse le ciel et révèle les positions macédoniennes. » [5]


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Dans le royaume du Pont

EtoileDansCroissant Mithridate VI Eupator. Statere Amisos or Sinope mint. 93-92 BCStatère de Mithridate VI Eupator, émis à Amisos ou Sinope 93-92 av JC

Le motif de l’étoile dans le croissant était l’emblème de la dynastie des rois du Pont (Nord de la Turquie actuelle) dont le plus connu, Mithridate VI, a été un ennemi irréductible de le République romaine.


EtoileDansCroissant L. Titurius Sabinus 89 BC Rois Tatius Tarpeia RRC 344-2aLe roi Tatius / La mort de Tarpeia
Denier émis par L. Titurius Sabinus, 89 av JC Rois (RRC 344/2a)

Le revers représente Tarpeia, une romaine mythique qui, ayant livré sa cité aux Sabins par appât du gain, finit écrasée par des boucliers. Ce revers a donné lieu à de nombreuses interprétations, que discute dans le détail un article récent de Jaclyn Neel [6]. Il est possible que l’image ait été conçue pour permettre différents niveaux d’interprétation, car les monnaies de la République circulaient dans un très large public.

Si on considère que l’emblème de la dynastie du Pont était largement connu, il est possible que la pièce ait été émise justement pour financer la guerre contre Mithridate, en tissant une analogie entre la punition de la traîtresse et le châtiment promis au roi révolté.


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A Rome, sous l’Empire

EtoileDansCroissant AR Denarius Augustus Rome19 BC. P. Petronius Turpilianus RIC 300Denier d’argent, Auguste, 19 av JC, émis par P. Petronius Turpilianus, Rome (RIC 300)

Les empereurs reprendront très souvent le motif au revers de leur visage, soit avec une seule étoile (dès Auguste) soit avec sept étoiles. Très marginalement, on trouvera d’autres nombres d’étoiles : trois pour Geta (Anchialos), quatre pour Diadumène (Assarion de Markianopolis), cinq pour Geta (Nikopolis ad Istrum).


EtoileDansCroissant Juba II vers 11 Caesarea in Mauritania Cleopatre selene SNG Cop 8-567Juba II, vers 11 av JC, émis à Caesarea in Mauritania (SNG Cop 8-567)

Le roi berbère Juba II, qui avait été élevé à Rome par Octavie, la soeur d’Auguste, remploie le même modèle quelques années plus tard : le revers porte le nom de son épouse, l’impératrice Cléopâtre VIII (la fille de Cléopâtre VII et de Marc-Antoine), nommée aussi Cléopâtre-Séléné. Ainsi le vieux motif de l’étoile dans le croissant vient symboliser, avec à-propos, l’union de Juba II avec Cléopâtre-Séléné.


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Associé à Aphrodite

EtoileDansCroissant Aphrodite Temple de Paphos Vespasien 75-76 Koinon of Cyprus RPC II, 1821Temple d’Aphrodite à Paphos, Vespasien 75-76, Koinon of Cyprus (RPC II, 1821)

Le temple d’Aphrodite à Paphos a été représenté maintes fois dans l’Antiquité, avec comme caractéristiques immuables son parvis demi-circulaire et son bétyle de forme conique. Ici, on a rajouté deux étoiles de part et d’autre du bétyle, et une guirlande entre les deux montants, dont la forme fait écho à celle du parvis.


EtoileDansCroissant Aphrodite Temple de Paphos Hadrien Sardes Lydie RPC III, 2400Temple d’Aphrodite à Paphos, Hadrien, Sardes Lydie (RPC III, 2400)

Dans cette représentation , la guirlande s’est transformée en lune et l’étoile s’est installée au milieu : le motif sera repris de temps en temps par la suite (ex Julia Domna, BMC 57) mais pas systématiquement : preuve qu’il s’agissait d’une trouvaille purement graphique, pas d’une caractéristique attachée au temple de Paphos ni à Aphrodite.


EtoileDansCroissant Aphrodite Marc Aurele 161-180 Seleucia ad Calycadnum Cilicie RPC IV.3, 9911 Oxford, Ashmolean MuseumMarc-Aurèle, 161-180, Seleucia ad Calycadnum, Cilicie (RPC IV.3, 9911)

Il existe de nombreuses pièces montrant Aphrodite avec un miroir : mais celle-ci est la seule où elle regarde, dans son dos, le symbole de l’étoile dans le croissant. Existait-il, à Seleucia ad Calycadnum, une particularité du culte à Aphrodite ?


EtoileDansCroissant Antonin le Pieux Marc Aurele cesar boeuf 147-61 Seleucia ad Calycadnum Cilicie RPC IV.3, 3968Antonin le Pieux, Marc-Aurèle césar, 147-61, Seleucia ad Calycadnum Cilicie (RPC IV.3, 3968)

Quelques années auparavant, quand Marc-Aurèle n’était encore que César, la même ville avait fait frapper une pièce à son effigie, où le symbole était cette fois associé à un taureau : autre iconographie sans précédent. On peut imaginer qu’il s’agit d’un des taureaux ou boeufs qui tirent le biga de Séléné, mais l’association est fragile.


EtoileDansCroissant Aphrodite Antonin le Pieux 144-45 Alexandrie RPC IV.4, 13541Aphrodite dans le Taureau, Antonin le Pieux, 144-45, Alexandrie (RPC IV.4, 13541)

Il se trouve que peu de temps avant, Antonin avait fait frapper à Alexandrie une célèbre série des douze signes du Zodiaque, associé chacun à la planète qui y avait sa maison : Vénus dans le cas du Taureau. Il est possible que Seleucia ait voulu imiter ce modèle en remplaçant Vénus par la Lune : puisque, dans l’astrologie de l’époque, c’est dans le Taureau que la Lune est en exaltation.

L’apparition étrange du symbole serait ainsi due à une chaîne d’influences propres à Seleucia :

  • Vénus et étoile plus taureau (Antonin),
  • croissant et étoile plus taureau (Marc-Aurèle César),
  • croissant et étoile plus Vénus (Marc-Aurèle Auguste).


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Associé à Sérapis et Isis

Isis Serapis Lampe 2eme siecle ap JC Brexiza Marathon_museum_-_Sanctuary_of_Egyptian_Gods,_Lamp
Sérapis et Isis
Lampe du 2ème siècle ap JC, musée de Marathon, Brexiza

Placé à équidistance des deux divinités, le motif de l’étoile dans le croissant n’est pas à rattacher à l’une ou à l’autre, mais au couple  : comme Sérapis n’est pas radié, l’étoile ici symbolise probablement le soleil, et l’imbrication des deux l’accouplement d’Isis-Lune avec Sérapis-Soleil.

« D’après Plutarque, De Iside, 43, l’union féconde d’Osiris-Soleil et d’Isis-Lune était célébrée au début du printemps, le jour de la nouvelle lune de Phamenoth, par la fête qu’on appelle « Entrée d’Osiris dans la lune ». » [7], p 107, note 81


Isis Serapis V.AAB19 Palazzo Massimo alle Terme, V.AAB19 [7] CroissantEtoile Isis Serapis Firenze, Museo Archeologico Nazionale Bonner Campbell Online CBd-4165CBd-4165, Museo Archeologico Nazionale, Firenze, Bonner Campbell Online [8]

Isis et Sérapis, Intailles époque impériale

Le motif de l’étoile dans le croissant n’est pas corrélé avec la configuration impériale (le mari à gauche, voir Lune-soleil : couples affrontés ), puisqu’on le retrouve dans ces intailles en configuration maritale (l’épouse à gauche).

Dans l’intaille de gauche, on notera que le signe du bas pourrait ici représenter une véritable étoile, complétant le Soleil et la Lune.



Isis Serapis bague
Ces deux bagues, en configuration maritale pour l’une et impériale pour l’autre, mettent maintenant en balance le symbole du haut avec un cistre, symbole purement isiaque.

On voit que, dans le ca du couple Isis-Sérapis, il n’existait probablement pas d’interprétation commune de ces symboles, mais qu’ils étaient combinés selon des habitudes locales, voire le goût du commanditaire.



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En aparté : le symbole du croissant à boules

CroissantBoules Du Mesnil du Buisson fig 1Fig 13 [9]

Lorsque le croissant se termine par deux boules, il ne serait pas un symbole lunaire. Selon Du Mesnil du Buisson [9], le motif du croissant à boules serait né en Syrie avant de passer à Rome.


CroissantBoules Melanges de l'Universite Saint-Joseph, tome 18, 1934 fig 9Lampe romaine, fig 9 [10] CroissantBoules Melanges de l'Universite Saint-Joseph, tome 18, 1934 fig 13Bronze d’Herculanum, fig 13 [10]

Les deux boules terminales sont parfois remplacées par deux étoiles ou deux bustes : ainsi le demi-cercle inférieur représenterait le parcours du Soleil entre l’étoile du Matin et celle du Soir.


En synthèse : l’étoile dans le croissant

Ce rapide parcours montre combien ce motif est polysémique : simple symbole monétaire à l’origine (Uranopolis, Tarente, Populonia, Venusia),  il évoque ensuite la Nuit dans les deniers émis à Rome, alors qu’il prend en Orient une valeur dynastique (Macédoine) ou héraldique (Byzance). C’est très rarement et tardivement, dans le cas du couple Sérapis / Isis, qu’il en vient à évoquer le couple Soleil-Lune.


Fausses inversions

FauxDenier de la gens Postumia RRC 335 10b 96 avant J.-CDenier de la gens Postumia,  96 avant J.-C, RRC 335 10b

A l’avers, le buste d’Apollon lauré est accompagné d’une étoile (signe de divinité) et d’un X (valeur monétaire du denier). Au revers, les deux dioscures Castor et Pollux font boire leurs chevaux dans la fontaine de Juturne, tôt le matin après la bataille du lac Régille [11] .

Au dessus d’eux le croissant et l’étoile semblent présenter une inversion, mais en fait une seconde étoile figure à l’aplomb du cavalier à pied : les étoiles sont les attributs des Dioscures (souvent assimilés à Phosphoros, l’étoile du matin, et Hespéros, l’étoile du soir) :

Luna et les disoscures intaille romaine imperiale BNFLuna et les dioscures, intaille romaine impériale, BNF

Cette monnaie s’inscrit donc dans la tradition des deniers montrant la Nuit au revers du Jour : ici la Lune et les étoiles font pendant au soleil d’Apollon, à l’avers.



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FauxKingscote Cube deesse roma sceau 3rd century AD, Corinium Museum CirencesterCube de Kingscote, 3ème siècle, Corinium Museum Cirencester

La deuxième face de ce dé montre Roma assise sur un bouclier, entre la Lune et le Soleil. L’inscription SOL INVICTUS de la première face, elle-aussi inversée, monte que le dé était utilisé comme matrice de sceaux.



Article suivant : Lune-soleil : symboles 2) autour d’un dieu 

Références :
[2] Frank Ryan, « Der Sonnengott auf den Münzen der Römischen Republik » Schweizerische numismatische Rundschau » 84 (2005) https://www.e-periodica.ch/cntmng?pid=snr-003%3A2005%3A84%3A%3A248
[3] Mike Markowitz, https://coinweek.com/ancient-coins/star-crescent-ancient-coins/
[4] Yannis Stoyas « Reflets de la terre et du cosmos sur les monnaies antiques et médiévales » https://www.academia.edu/2286084/Reflets_de_la_terre_et_du_cosmos_sur_les_monnaies_antiques_et_m%C3%A9di%C3%A9vales
[6] Jaclyn Neel « Titurius Sabinus, Mithridates, Sulla, and Vergil: Tarpeia in the Context of 88 BCE » Memoirs of the American Academy in Rome Vol. 65 (2020), pp. 1-42 https://www.jstor.org/stable/27031293
[7] Richard Veymiers « Hileôs tôi phorounti. Sérapis sur les gemmes et les bijoux antiques » https://www.academia.edu/639567/Hile%C3%B4s_t%C3%B4i_phorounti._S%C3%A9rapis_sur_les_gemmes_et_les_bijoux_antiques
[8] « The Campbell Bonner Magical Gems Database » http://cbd.mfab.hu/
[9] Du Mesnil du Buisson, « Un symbole du Ciel inférieur », Bulletin de la Société nationale des antiquaires de France 1941 p 237 et ss https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k6314840q/f241.item
[10] P. S. Ronzevalle, S. J « Notes et études d’archéologie orientale (deuxième série, IV). Le prétendu «char d’Astarté » (2e partie) » Mélanges de l’Université Saint-Joseph Année 1934 18 pp. 107-148 https://www.persee.fr/doc/mefao_0253-164x_1934_num_18_1_1025

Lune-soleil : symboles 2) autour d’un dieu

31 décembre 2022

Cet article examine les différentes divinités masculines autour desquelles on peut trouver le couple étoile-croissant : Hélios, Sérapis, Harpocrate, un aigle, et plus rarement Zeus.

Article précédent : Lune-soleil : symboles 1) introduction

Etoile et croissant autour d’Hélios

L’étoile à côté du char d’Hélios

Un cas certain où l’étoile ne représente pas le soleil est celui du char d’Hélios, près duquel on la rencontre très exceptionnellement

CroissantEtoile Helios Manlius Qf Sergianus AR Denarius. 118-107 BCDenier de la gens Manlius, 118-107 BC

Le char d’Hélios vogue au dessus des vagues, entre deux étoiles et sous un croissant évoquant le firmament. Le X de gauche est la valeur monétaire du denarius (dizaine)


CroissantEtoile Helios multiple d’or de Ticinum 313 BNF Cabinet des médaillesMultiple d’or de Ticinum, 313, Cabinet des médailles, BNF

Dans ce célèbre médaillon, Constantin arbore sur son bouclier le char d’Hélios, encadré en bas par les personnifications de Terra et Oceanus, en haut par une étoile et un croissant. Il ne s’agit pas du couple Soleil/Lune, comme on le lit parfois , qui serait redondant avec la tête radiée d’Hélios, mais d’une évocation du firmament.


Zodiaque, synagoague de Beth Alpha, 5eme siecleZodiaque de la synagogue de Beth Alpha, 5ème siècle

Dans ce char d’Hélios, l’étoile de gauche n’est pas le Soleil faisant pendant à la Lune, mais une étoile parmi les autres.


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Le mont Argeus (Cesarea de Cappadoce)

CroissantEtoile Helios Caesarea Mazaca Archelaus 8-7 av JC RPC I, 3614Hérakles / Volcan Argaeus
Caesarea Mazaca, roi Archelaus de Cappadoce, 8-7 av JC (RPC I, 3614)

Le Volcan Argaeus domine la ville de Caesarea de Cappadoce. Le lien avec Hérakles est probablement dû au fait qu’un des centaures tué avec sa massue s’appelait Argeus [12]


CroissantEtoile Helios Caesarea Mazaca Tibere RPC I, 3620Tibère (RPC I, 3620), Caesarea Mazaca

Sous la domination romaine, le même atelier crée différentes variantes : sous Tibère, l’aigle en haut du mont est remplacé par Hélios tenant un sceptre et un globe.


CroissantEtoile Helios Hadrian Caesarea Mazaca RPC III, 3097RPC III, 3097 CroissantEtoile Helios Hadrian Caesarea Mazaca RPC III, 3118RPC III, 3118

Mont Argaeus, Hadrien, Caesarea Mazaca

Sous Hadrien nos deux symboles apparaissent en haut du mont, tantôt l’étoile remplaçant Hélios, tantôt la Lune.


CroissantEtoile Helios Caesarea Mazaca Hadrien RPC III, 3087ARPC III, 3087A CroissantEtoile Helios Hadrian Caesarea Mazaca RPC III, 3095RPC III, 3095

Mont Argaeus, Hadrien, Caesarea Mazaca

On trouve aussi en contrebas d’Hélios l’étoile à gauche , ou le couple étoile-croissant.


CroissantEtoile Helios Hadrian Caesarea Mazaca RPC III, 3104RPC III, 3104 CroissantEtoile Helios Hadrian Caesarea Mazaca RPC III, 3099RPC III, 3099

Mont Argaeus, Hadrien, Caesarea Mazaca

Dans cette floraison de variantes apparaissent aussi le motif de la couronne en haut du mont, ou des trois étoiles.

Ces variantes expérimentées sous Hadrien sont sans rapport avec la valeur monétaire de la pièce (hémidrachme, drachme ou didrachme). Dans les règnes suivants ne seront jamais repris le croissant en haut du mont ni les trois étoiles.


CroissantEtoile Helios Commode Caesarea Mazaca RPC IV.3, 8068RPC IV.3, 8068 CroissantEtoile Helios Commode Caesarea Mazaca RPC IV.3, 8015RPC IV.3, 8015 CroissantEtoile Helios Commode Caesarea Mazaca RPC IV.3, 8020RPC IV.3, 8020

Mont Argaeus, Commode, Caesarea Mazaca

Sous Commode apparaît un nouveau type de variante : le mont est représenté sur un autel ou sous un temple, avec une étoile à gauche, une étoile au fronton, ou le motif de l’étoile dans le croissant, sous le mont. Ces variantes n’auront pas de postérité.


CroissantEtoile Helios Heliogabale Caesarea Mazaca RPC VI, 6657Héliogabale (RPC VI, 6657) CroissantEtoile Helios Gordien III Caesarea Mazaca RPC VII.2, 3273Gordien III (RPC VII.2, 3273)

Mont Argaeus, Caesarea Mazaca

Héliogabale, puis Gordien III , sont les seuls à reprendre le couple étoile /croissant.


CroissantEtoile Helios Severe Alexandre Caesarea Mazaca RPC VI, 6841Alexandre-Sévère RPC VI, 6841 CroissantEtoile Helios Gordien III Caesarea Mazaca RPC VII.2, 3272Gordien III, RPC VII.2, 3272

La formule inversée apparaît tardivement, sous Alexandre-Sévère. Elle n’est reprise que par Gordien III.


CroissantEtoile Helios Gordien III Caesarea Mazaca RPC VII.2, 3324RPC VII.2, 3324 CroissantEtoile Helios Gordien III Caesarea Mazaca RPC VII.2, 3295RPC VII.2, 3295 CroissantEtoile Helios Gordien III Caesarea Mazaca didrachme RPC VII.2, 3373RPC VII.2, 3373

Gordien III Mont Argaeus, Caesarea Mazaca

Enfin sous Gordien III apparaissent des globules liés à la valeur monétaire : drachme (globule à droite ou à gauche) ou didrachme (deux globules).


Synthèse sur le Mont Argaeus

On peut tirer de cette large série plusieurs conclusions :

  • les deux symboles apparaissent dans les règnes où les émissions sont les plus nombreuses, selon des combinaisons qui résultent d’une nécessité de différenciation, plutôt que d’une réflexion symbolique ;
  • ils n’ont pas de lien avec la valeur faciale de la pièce ;
  • les combinaisons inventées sous Hadrien, qui ne peuvent pas s’interpréter en terme Soleil/Lune, ont été éliminées par la suite (les trois étoiles, l’étoile seule ou le couple étoile/croissant en contrebas d’Hélios) ;
  • seul deux règnes utilisent la configuration croissant/étoile, de manière minoritaire (en nombre d’émissions) par rapport à la variante dominante étoile/croissant.


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La massue d’Hercule (Cesarea de Cappadoce)

CroissantEtoile Helios Caesarea Mazaca Massue Archelaus 17-16 av JC RPC I, 3601

Archelaus / Massue
Archelaus, 17-16 av JC =, Caesarea Mazaca (RPC I, 3601)

Le second motif caractéristique de Caesarea de Cappadoce est celui de la massue d’Hercule, lui aussi introduit sous le roi Archelaus.

On observe, en simplifié, la même évolution que pour la série du Mont Argaeus.


CroissantEtoile Helios Caesarea Mazaca Massue Hadrian RPC III 3112RPC III 3112 CroissantEtoile Helios Caesarea Mazaca Massue Hadrian RPC III 3113RPC III 3113

Hadrien, Caesarea Mazaca

Sous Hadrien, introduction de l’étoile en contrebas, puis du couple étoile / croissant.


CroissantEtoile Helios Caesarea Mazaca Massue Commode RPC IV.3, 8014Commode, Caesarea Mazaca (RPC IV.3, 8014)

Sous Commode, inversion du couple (cette fois de manière pratiquement exclusive).

Le fait que le mont Argaeus et la massue aient suivi la même évolution montre que l’étoile et le croissant étaient perçus comme des signes essentiellement graphiques destinés à différentier les émissions, non comme des symboles à interpréter en rapport avec le sujet principal.


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Hélios christianisé

CroissantEtoile Helios Michael Bonner Campbell Online BNF Cbd-1506Hélios, BNF, Bonner Campbell Online Cbd-1506, et Planche XVIII fig 33 [13]

Dans cette amulette, Hélios aux sept rayons, tenant le globe cosmique (voir 1 Epoque romaine) est assimilé à l’archange Michaël (nommé au revers). Il est entouré par la lune et deux étoiles du firmament. L’inscription du pourtour nomme trois autres archanges : Uriel, Souriel et Gabriel, souvent invoqués dans les formules magiques qu’on a retrouvées dans différents papyrus.



Etoile et croissant autour de Sérapis

Dans le catalogue des gemmes de Richard Veymiers [7], ces deux signes cosmiques apparaissent en couple uniquement autour de Sérapis seul :

  • une seule fois autour de sa figure en pied (cat IIID3), dans le sens Croissant-Etoile, Sérapis regardant vers la droite ;
  • 28 fois autour autour de son buste, dont l’immense majorité (25) regarde vers la gauche.

Dans le cas de Sérapis en buste, la formule largement dominante est Etoile-Croissant (21 sur 28).


CroissantEtoile Serapis Intaille IBB20Cas dominant : Intaille IBB20 [7] Lune Serapis Venus Cumont Etudes syriennes p 81Cas exceptionnel : intaille syrienne (Cumont [14], p 81)

Le cas dominant tendrait à faire interpréter le couple Etoile/Croissant comme symbolisant le couple Sol/Luna tel qu’il apparaît au fronton des temples (voir Lune-soleil : dans l’art gréco-romain), Sérapis avec son aigle étant ici assimilé à Jupiter.

Il n’existe que deux exemplaires de la configuration ultra-minoritaire, où se cumulent le profil vers la droite et le configuration Croissant / Etoile. Cumont interprète celle-ci  comme représentant la Lune et une étoile ; cependant, Sérapis non radié peut difficilement être assimilé au Soleil.


CroissantEtoile Serapis Marc aurele an 3 Alexandrie RPC IV.4 16907Marc Aurèle, 162-63, , Alexandrie (RPC IV.4 16907) CroissantEtoile Serapis Antonin an 24 Alexandrie RPC IV.4,16836Antonin le Pieux, 160-61, Alexandrie (RPC IV.4,16836)

On notera que cette configuration inversée, ultra-minoritaire dans les gemmes, est celle de la seule monnaie où Sérapis de profil est combiné avec les deux symboles cosmiques, sous Marc-Aurèle. L’autre monnaie combinant les mêmes symboles remonte au règne précédent, et montrait Sérapis de face, entre l’Etoile et le Croissant.



Isis Serapis 100-150 Serapis Ephese British Museum100-150 Sérapis-Hélios, Ephèse, British Museum

Cependant cette lampe de la même époque, également avec Sérapis de face, est dans la configuration inversée : Croissant / Etoile.

Par ailleurs, dans les gemmes, les symboles cosmiques autour de Sérapis ne se limitent pas à cette seule paire : on trouve aussi le croissant seul (I.BB13), l’étoile seule (I.BB1), deux étoiles (I.BB6), sept étoiles (I.FB2) ou bien l’étoile et le croissant flanquant verticalement le buste (I.FC4).

On en conclura sagement que, lorsqu’ils sont associés au seul Sérapis , l’étoile et le croissant séparés signifient simplement « dans le ciel ».



 Etoile et croissant autour d’Harpocrate

Harpocate est figuré entre l’étoile et le croissant sur de nombreuses amulettes gréco-égyptiennes à but protecteur.

CroissantEtoile Harpocrates Bonner Campbell Online Cbd-358Cbd-358 CroissantEtoile Harpocrates Bonner Campbell Online Cbd-525Cbd-525

Photo et numérotation : Bonner Campbell Online [8]

Dans la formule minimale, Harpocrate, son fléau sur l’épaule, est assis sur une fleur de lotus posée au centre d’une barque en papyrus. Divers animaux sacrés peuvent l’accompagner : faucons, chèvres, scarabées, crocodiles, serpents. Au dessus de sa tête, la configuration de loin la plus fréquente est Etoile / Croissant, mais on trouve quelques inversions.


CroissantEtoile Harpocrates lotus Bonner Campbell Online CBd-322CBd-322 CroissantEtoile Harpocrates Oie Bonner Campbell Online Cbd 2960CBd-2960

Dans l’amulette de gauche, la barque est remplacée par un lion. Il arrive qu’Harpocrate le chevauche directement, comme il chevauche l’oie dans l’amulette de droite.


CroissantEtoile Harpocrates Bonner Campbell Online Cbd-CBd-2639Bonner Campbell Online, Cbd-CBd-2639

Dans cette barque divine plus complexe, Harpocrate est assis entre Osiris (représenté comme une momie) et Anubis, tandis qu’Hélios et Séléné sont personnifiés à la proue et à la poupe : le couple habituel étoile-croissant a été remplacé par deux étoiles, ce qui semble indiquer qu’il représentait bien le couple Soleil-Lune.



CroissantEtoile Harpocrates Bonner Campbell Planche IX 192Bonner Campbell [13] Planche IX fig 192

A contrario, dans cette amulette qui comporte aussi, en bas, les personnifications de Séléné et d’Hélios, le graveur a conservé en haut le couple croissant-étoile : il ne peut pas s’agir des attributs des deux dieux, puisque Séléné est déjà coiffée de son croissant : cette redondance milite donc dans l’autre sens, à savoir que le couple croissant-étoile est une représentation générique du firmament.


CroissantEtoile Harpocrates Bonner Campbell Online Cbd-1401Bonner Campbell Online Cbd-1401

C’est ce que semble montrer cette barque divine encore plus complexe : Harpocrate, qui est aussi le jeune Horus, le soleil levant, porte la couronne à sept rayons d’Hélios. Il est encadré par deux déesses d’apparence symétrique, mais différenciées par leurs attributs : celle de gauche porte ceux d’Osiris (couronne atef et ankh tenu dans la main) ; celle de droite porte le triple ateph et un hiéroglyphe non déterminé. Quelle que soit leur identité, la symétrie de l’image invite à associer à chacune un couple étoile-croissant. Puisque Harpocrate joue ici le rôle du Soleil, elles pourraient représenter :

  • par les deux croissants inversés, la fin et le début du mois lunaire ;
  • par les deux étoiles du soir et du matin, la fin et le début du jour.

L’inscription, ponctuée par cinq autres étoiles, liste sept dieux de toute obédience :

Iaô, Sabaô[th] (*) Adônai (*) Abrasax (*) Baïnchôôch (*) Michael (*) Abriel

Une inscription au verso précise leur rôle :

« Aidez le porteur contre ses ennemis, et sauvez-le de tout mal ».


CroissantEtoile Harpocrates lotus Bonner Campbell Online CBd-3117CBd-3117

Cette amulette montre que, lorsque la place manque, le couple étoile-croissant se transforme volontiers en étoile dans le croissant, ce qui relativise largement la signification accordée à ces symboles.


CroissantEtoile Bes Bonner Campbell Online CBd-325Bes, CBd-325 CroissantEtoile Anubis Bonner Campbell Online CBd-426Anubis, CBd-426

On les trouve également au dessus de Bes, d’Anubis ou de diverses divinités à tête animale.

Le couple étoile-croissant ne constitue donc pas un attribut spécifique à Harpocrate, faisant allusion à ses parents Sérapis/Soleil et Isis/Lune : mais plutôt un élément courant du vocabulaire des gemmes magiques, représentant le firmament et signifiant le pouvoir céleste de la divinité invoquée.



Etoile et croissant avec l’aigle

L’aigle des tétradrachmes syro-phéniciens

Les tétradrachmes syro-phéniciens de l’époque impériale présentent au revers un aigle, parfois posé sur un objet allongé (foudre, torche allumée avec serpent, massue…) et comportant entre ses pattes un élément caractéristique de la cité, et qui peut varier suivant l’époque [15] .


CroissantEtoile Aigle 07 Galba 68-69 Antioche RPC I, 4198ACroissant, Galba, 68-69, Antioche (RPC I, 4198A) CroissantEtoile Aigle 24 Caracalla Antioche etoile Bellinger 25Etoile, Caracalla, 198-217, Antioche (Bellinger 25)

Par exemple, pour la plus grande ville de la région, Antioche, on trouvera sous l’aigle, à un siècle d’intervalle, l’un ou l’autre symbole, au dessus tantôt d’une couronne de laurier, tantôt de la massue. Noter qu’en général, l’aigle tient dans son bec une couronne de laurier.


Le système de Caracalla/Macrin (211-218)

Les émissions régionales mises au point sous Caracalla, et reprises sous Macrin, sont d’une grande précision.



CroissantEtoile Aigle Tetradrachme Caracalla carte
Les étoiles (en jaune) touchent plutôt la région d’Antioche, avec trois exceptions :

  • Tripolis (associées aux bonnets des Dioscures, les dieux de la Cité) [16];
  • Héliopolos (à cause du nom de la cité, et associée à un lion) ;
  • Gaza

Un cas particulier (en orange) est le dieu solaire Shamash, honoré à Emèse.

Les croissants (en bleu) sont très rares : Aradis et Gabala (associé à un crabe).

Les combinaisons étoile-croissant (en vert) ne concernent que deux villes : Antioche et Carrhae.

CroissantEtoile Aigle Tetradrachme Caracalla carte libelles


Le cas de Carrhae

Selon Michel PRIEUR [15], deux divinités étaient honorées à Carrhae.


CroissantEtoile Aigle 24 Caracalla CARRHAE bucrane 215-217 Prieur 820Caracalla lauré / bucrane (Prieur 820), Carrhae, 215-217

Malakbel, dont le symbole était un taureau et qui gouvernait les étoiles du soir et du matin (d’où les deux globules de part et d’autre) ;


CroissantEtoile Aigle 24 Caracalla CARRHAE croissant etoile 215-217 Prieur 830Caracalla radié / croissant et étoile (Prieur 830)

Lunus, dieu mantique de la Lune mâle : Caracalla fut assassiné alors qu’il allait l’interroger, et on dit que c’est la crainte de Macrin de voir ses complots dévoilés par le dieu qui précipitèrent le meurtre.

Les deux types de revers se différencient à l’avers par la couronne de Caracalla, lauriers ou rayons, ce qui n’est visiblement pas une fantaisie du graveur (le même pour les deux séries).


En synthèse sur les tétradrachmes syro-phéniciens

L’analyse des tétradrachmes de Caracalla montre que les symboles étoile et croissant n’ont généralement pas de valeur cosmique, mais sont essentiellement des marques de différenciation.


CroissantEtoile Aigle 24 Caracalla Gaza etoile Bellinger XXVI 7 cat 381Gaza (Bellinger 381) CroissantEtoile Aigle 24 Caracalla Antioche etoile Bellinger 25Antioche (Bellinger 25)

La massue d’Hercule sous les pattes de l’aigle est ici associée à l’étoile, mais ce n’est pas toujours le cas (à Tyr, elle est associée à l’emblème de la ville, le murex). Ici la discrimination entre les deux villes s’effectue par un troisième détail, le signe de Marnas (le dieu de Gaza) en haut à droite.


CroissantEtoile Aigle 24 Caracalla Heliopolis etoile sur lion Prieur 1194Héliopolis, le Soleil dans le Lion (Prieur 1194) CroissantEtoile Aigle 24 Caracalla Gabala croissant sur crabe Prieur 1088Gabala, la Lune dans le Cancer (Prieur 1088)

A contrario, dans ces deux cas, la symbolique cosmique est claire et correspond aux pièces astrologiques frappées sous Antonin le Pieux : chaque luminaire est représenté dans le signe zodiacal qui constitue sa maison (Lion pour la Soleil, Cancer pour la Lune).



Etoile et croissant autour d’autres dieux

Jupiter

CroissantEtoile Zeus quadrige Denier de L.Cornelius Sisenna Roma 118-107 BC Typhon Crawford 310-1Denier de L.Cornelius Sisenna, Rome, 118-107 av JC (Crawford 310-1)

Le quadrige de Jupiter s’élance au dessus de Typhon anguipède, en direction du Soleil et de la Lune, toujours dans le même sens. Les deux étoiles de part et d’autre complètent le firmament.


CroissantEtoile Zeus Ammon Marc-Aurele 161-162 Alexandrie Milne 2446vZeus Ammon, Marc-Aurèle, 161-162, Alexandrie (Milne 2446v)

Zeus Ammon, qui se caractérise par des cornes de bélier, est toujours figuré à l’avers : cette monnaie est le seul cas où il est figuré au revers. Comme il porte sur sa tête le disque du soleil, le couple croissant-étoile représente ici le firmament.


CroissantEtoile Serapis Antonin an 24 Alexandrie RPC IV.4,16836Antonin le Pieux, 161-162, Alexandrie (RPC IV.4,16836) CroissantEtoile Serapis Marc aurele an 3 Alexandrie RPC IV.4 16907Marc Aurèle,162-63, Alexandrie (RPC IV.4 16907)

La monnaie avec Sérapis, qui sera frappée l’année suivante, imite clairement la composition avec Zeus-Ammon.

On hésite alors entre deux interprétations de l’inversion croissant-étoile :

  • soit elle est une simple marque de différentiation, signalant le passage du règne d’Antonin le Pieux à celui de Marc-Aurèle ;
  • soit elle a une intention symbolique :
    • lorsque le dieu est vu de face, en majesté, l’étoile et le croissant représentent le Soleil et la Lune, les luminaires se rangeant derrière lui dans l’ordre hiérarchique ;
    • lorsque le dieu est vu de profil, le croissant et l’étoile représentent le firmament.


CroissantEtoile Canope Marc aurele, Faustina II, 164-65, Alexandrie (RPC IV.4 14568) Vase canope, Faustina II, 164-65, (RPC IV.4 14568) CroissantEtoile Hermanubis Marc aurele, Lucius Verus, 164-65, Alexandrie (RPC IV.4 16542)Hermanubis, Lucius Verus, 164-65, (RPC IV.4 16542) CroissantEtoile Serapis Marc aurele Faustina II, 165-66, Alexandrie (RPC IV.4 17161)Sérapis, Faustina II, 165-66, (RPC IV.4 17161)

Marc-Aurèle, Alexandrie

Heureusement, ces trois monnaies légèrement postérieures, toujours sous Marc-Aurèle, nous permettent de trancher en faveur de la seconde interprétation : autour d’un dieu en majesté, l’étoile et le croissant, non-inversés,  représentent le Soleil et la Lune.

Cette conclusion laborieuse, dans le cas bien balisé du monnayage d’Alexandrie, illustre bien la difficulté de l’interprétation dans le cas général.


Le Très-Haut

CroissantEtoile Helios Bonner Campbell Online CBd-3612Bonner Campbell Online CBd-3612

Cette amulette est intéressante par Celui qu’elle ne représente pas, mais qu’invoque l’inscription (qui se poursuit au revers) :

« Le seul dieu dans les cieux, celui qui préexiste, plus grand que tout autre, celui qui règne sur tous les êtres du milieu du Ciel, visibles et invisibles. »

Séléné, Hélios et les deux étoiles sont ces êtres du milieu du Ciel : le croissant de Séléné, les sept rayons d’Hélios et les six et huit branches des deux étoiles illustrent leur visibilité.



Article suivant : Lune-soleil : symboles 3) autour d’une déesse

Références :
[7] Richard Veymiers « Hileôs tôi phorounti. Sérapis sur les gemmes et les bijoux antiques » https://www.academia.edu/639567/Hile%C3%B4s_t%C3%B4i_phorounti._S%C3%A9rapis_sur_les_gemmes_et_les_bijoux_antiques
[8] « The Campbell Bonner Magical Gems Database » http://cbd.mfab.hu/
[13] Bonner, Campbell « Studies in magical amulets, chiefly Graeco-Egyptian » 1950 https://archive.org/details/studiesinmagical0000bonn
[14] Franz Cumont. — Études syriennes http://warburg.sas.ac.uk/pdf/bkg950b2413344.pdf
[15] Bellinger « The Syrian tetradrachms of Caracalla and Macrinus » https://archive.org/details/syriantetradrach0000bell
Michel PRIEUR, Karin PRIEUR, A Type Corpus of the Syro-Phoenician Tetradrachms and their Fractions front 57 BC to AD 253
[16] Les monnaies attribuées à Orthosia et Tripolis sont parfois réattribuées à Ptolémais. Voir la discussion dans Michel Amandry « Sur certains tétradrachmes provinciaux de Syrie » ,Syria, III, 2016 https://www.academia.edu/79946571/Sur_certains_t%C3%A9tradrachmes_provinciaux_de_Syrie?email_work_card=view-paper

Lune-soleil : symboles 3) autour d’une déesse

31 décembre 2022

Cet article examine les différentes divinités féminines autour desquelles on peut trouver le couple étoile-croissant : Aphrodite, Artémis, Héra et quelques déesses orientales.

En conclusion de ce panorama, il apparaît que les cas d’inversion croissant-étoile ne sont pas systématiquement imputables à une « tradition orientale », comme on le lit très souvent.

Article précédent : Lune-soleil : symboles 2) autour d’un dieu

Etoile et croissant autour d’Aphrodite

Aphrodite d’Aphrodisias (Carie)

CroissantEtoile Aphrodite Aphrodisias statuette Duperac, Etienne Illustration de fragmens antiques, lib. 3, fol. 58rEtienne Dupérac, Illustration de fragments antiques, lib. 3, fol. 58r CroissantEtoile Aphrodite Aphrodisias statuette BologneMusée de Bologne

Aphrodite d’Aphrodisias

La statue qui était hébergée dans le temple d’Aphrodisias nous est assez bien connue par des copies hellénistiques ou romaines.

La gaine se composait de plusieurs étages comportant  trois scènes récurrentes :

  • les Trois grâces,
  • les bustes de Séléné et Hélios,
  • Aphrodite sur un monstre marin.

L’estampe de Dupérac montre en haut deux statues de Naples, aujourd’hui disparues, présentant des ordonnancements différents. Celle en haut à droite est très semblable à la statuette conservée à Bologne, mis à part dans celle-ci l’inversion Séléné-Hélios. On constate la même inversion dans la statue du bas, aujourd’hui conservée à Münich.


CroissantEtoile Aphrodite Aphrodisias statuette Berlin (C)Staatliche Museen, Berlin CroissantEtoile Aphrodite Aphrodisias statue trouvee au bouleutherion d'AphrodisiasStatue trouvée au bouleutherion d’Aphrodisias, musée d’Aphrodisias

La structure se complexifie parfois avec l’introduction avec l’ajout d’un second couple de part et d’autre des Trois Grâces : on y voit aujourd’hui le couple Gaia / Ouranos (Lise Brody), l’interprétation antérieure étant Héra / Zeus. Le couple Séléné / Hélios s’harmonise avec cette structure ternaire, par l’ajout d’un pilier intermédiaire.

Le fait notable est que les deux couples harmonisent également leur configuration : masculin / féminin pour Berlin, féminin / masculin pour Aphrodisias.

Cette relative indifférence quant à l’inversion des couples se retrouve dans les monnaies.


CroissantEtoile Aphrodite Aphrodisias Tibere Livie 27-14 BC RPC 2842Tibère et Livie, 27-14 avant JC, monnayage d’Aphrodisias (RPC 2842)

Les premières monnaies comportant l’étoile et le croissant, réalisées sous Tibère, montrent la déesse de face et les bras écartés.


CroissantEtoile Aphrodite Aphrodisias Hadrien RPC III, 1365RPC III, 1365 CroissantEtoile Aphrodite Aphrodisias Hadrien RPC III, 2247RPC III, 2247

Hadrien, monnayage d’Aphrodisias

Sous Hadrien apparaît la formule de remplacement qui sera toujours reprise par la suite (Marc-Aurèle, Septime-Sévère, Héliogabale, Sevère-Alexandre, Gordien III, Gallien, mis à part un retour isolé à la vue de face sous Julia Domna) : la déesse vue de profil, ici précédée par Eros avec son arc. L’avantage de cette vue était de différencier l’Aphrodite d’Aphrodisias des Aphrodites ou Artémis d’autres cités, où la vue de face est hégémonique.

La formule Etoile-Croissant prédomine, mais chez Hadrien et Gordien III, les deux configurations cohabitent, bien que la vue de profil implique une direction de lecture : preuve que la position des deux symboles était sans signification.


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Aphrodite anadyomène

CroissantEtoile Aphrodite anadyomene Bonner Campbell Online CBd-4429Bonner Campbell Online CBd-4429 CroissantEtoile Aphrodite anadyomene Sylloge Aq 17N° Aq 17 [17]

Aphrodite anadyomène

On connait d’autres gemmes montrant Vénus anadyomène, mais deux seulement comportent le croissant et l’étoile, dans les deux configurations.


En synthèse :  étoile et croissant autour d’Aphrodite

A la différence des divinités cosmiques telles que Zeus et Sérapis (voir Lune-soleil : symboles 2) autour d’un dieu), la déesse Aphrodite, qu’elle soit vue de face ou de profil, n’influe pas sur la configuration  étoile-croissant : les deux symboles signalent simplement son caractère céleste.



Etoile et croissant autour d’Artémis

Artémis d’Ephèse

CroissantEtoile Artemis Ephesia Bonner Campbell Online CBd-3558Gemme avec Artémis d’Ephèse, Bonner Campbell Online CBd-3558

Cette déesse très célèbre a pour caractéristique les seins dont elle est couverte. Sa figuration la plus courante est debout entre deux cerfs, les bras posés sur des supports, avec au dessus d’elle le couple croissant-étoile.


CroissantEtoile Artemis Ephesia Statere, Ephesos 88-84 BCArtémis et Artémis d’Ephèse
Statère, Ephèse (Jenkins, Hellenistic , pl. A, 2 var [18])

Dans les monnaies, la représentation de la statue entre les deux symboles n’est pas systématique. Cette monnaie est la seule connue qui comporte le motif de l’étoile dans le croissant, sans doute en lien avec Mithridate [18]. Les animaux du bas, ici un cerf et une abeille, sont en revanche courants dans les monnaies d’Artémis d’Ephèse (de même que la tête d’éléphant).


CroissantEtoile Artemis Ephesia Drachm. 1st Century BC. Herakles Tabae, Carie BMC 17BMC 17 CroissantEtoile Artemis Ephesia Drachm. 1st Century BC. Herakles Tabae, Carie BMC 17varBMC 17 var

Hérakles, Artémis d’Ephèse
Drachme, 1er siècle avant JC, Tabae, Carie (BMC 17) [19]

Cette monnaie isolée, dépourvue de tout attribut, a été longtemps prise comme représentant l’Aphrodite d’Aphrodisias, mais les seins visibles sur certains exemplaires montrent clairement qu’il s’agit bien d’Artémis d’Ephèse. On voit que dès cette toute première apparition des symboles séparés, les deux configurations sont possibles.

A l’époque impériale, on rencontre les deux symboles dans un grand nombre de règnes, entre Vespasien et Dèce. Il est fréquent dans le monnayage d’Ephèse, mais aussi d’autres cités : en Carie (Tabae, Sebastopolis, Neapolis ad Harpasum), en Lydie (Nicaea Cilbianorum, Nacrasa), en Phrygie (Hyrgaleis, Aezani), en Ionie (Metropolis) et en Thrace (Perinthus).


CroissantEtoile Artemis Ephesia Statue Marc Aurele 161-69 Faustina II RPC IV.2, 1136Faustina II, 161-69, (RPC IV.2, 1136) CroissantEtoile Artemis Ephesia Statue Marc Aurele 175-177 Commode Cesar RPC IV.2 2384Commode César, 175-177 (RPC IV.2 2384)

Marc-Aurèle, Monnayage d’Ephèse

Le type le plus fréquent est celui de la statue seule (25 cas), qui présente les deux configurations, sans qu’aucune règle ne se dégage. Par exemple, trois monnaies réalisées à Ephèse sous Marc-Aurèle montrent à l’avers l’empereur, son épouse et son fils, et au revers la statue d’Artémis dans les deux configurations.

On trouve aussi les deux configurations lorsque la statue est figurée dans son temple : entre deux colonnes (3 cas) ou dans une colonnade plus importante (6 cas).


CroissantEtoile Artemis astragalomancie Ephesia Severe Alexandre RPC VI, 5037Deux enfants pratiquant l’astragalomancie (RPC VI, 5037) CroissantEtoile Artemis miniature Ephesia Severe Alexandre RPC VI, 4967La Cité présentant la statue à l’Empereur (RPC VI, 4967)

Sévère-Alexandre, Ephèse

Même dans ces deux formules rares, qui n’existent qu’à Ephèse, la statue miniature présente les deux configurations.


CroissantEtoile Artemis Ephesia Antonin le Pieux Ephese Ionie Asklepios Nemesis RPC IV.2 1119Artémis d’Ephése entre Asklépios et Némésis, Antonin le Pieux, Ephese RPC IV.2 1119 CroissantEtoile Artemis Ephesia Isis Serapis Gordian III Ephese RPC VII.1, 401Artémis d’Ephése entre Isis et Sérapis, Gordien III, Ephèse (RPC VII.1, 401)

Ces compositions sont les seules où la logique permet d’identifier clairement les deux symboles comme représentant les deux luminaires Sol et Luna :

  • configuration impériale Masculin-Féminin pour le couple dieu / déesse ;
  • configuration maritale Lune-Soleil pour la déesse lunaire et le dieu solaire.


CroissantEtoile Artemis Ephesia Isis Serapis Gordian III Ephese RPC VII.1, 410.4Isis et Sérapis, Gordien III, Ephese (RPC VII.1, 410.4)

C’est dans doute par contagion avec la célèbre statue que, dans cette monnaie d‘Ephèse, la tête d’Isis s’agrémente d’un croissant et d’une étoile : il ne peut s’agit des attributs des deux dieux égyptiens (sinon le soleil serait côté Sérapis) mais d’une sorte de courtoisie faite à Isis : comme si, à Ephèse, les déesses ne se concevaient que cosmiques.


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Artémis de Pergé (Pamphylie)

CroissantEtoile Artemis de Perge arc et carquois 3eme 2eme s av JC SNG Fr. 373 varArc et carquois, Temple d’Artémis de Pergé
Monnayage de Pergé, 3ème-2ème s av JC (SNG Fr. 373 var)

Cette déesse locale a été assez tôt assimilée à Artémis, dont elle emprunte ici l’arc et le carquois.


CroissantEtoile Artemis de Perge Tibere Perge Pamphylie RPC I,3371Tibère (RPC I,3371) CroissantEtoile Artemis de Perge Maximin le Thrace Perge Pamphylie RPC VI, 6158Maximin le Thrace (RPC VI, 6158)

Artémis de Pergé, monnayage de Pergé

Moins célèbre que sa consoeur d’Ephèse, l’Artémis qui était honorée à Pergé est toujours représentée dans son temple : de façon fruste au départ, plus élaborée par la suite. Sauf deux exceptions dont la monnaie de droite, seules deux colonnes sont représentées.


CroissantEtoile Artemis de Perge Heliogabale PergePamphylie RPC VI, 6124RPC VI, 6124 CroissantEtoile Artemis de Perge Heliogabale Perge Pamphylie RPC VI, 6117RPC VI, 6117

Héliogabale, Pergé, Pamphylie

Apparus sous Septime-Sévère, sans doute à l’imitation de l’Artémis d’Ephèse, le croissant et l’étoile à l’intérieur du temple sont pratiquement toujours présents, jusqu’à Aurélien. Outre la Pamphylie (Pergé et Attéa), la formule déborde aussi dans la Pisidie voisine (Andeda, Ariassus, Pogla, Selge).

Les deux configurations cohabitent sans règle décelable, comme on le voit avec ces deux monnaies frappées à Pergé sous Héliogabale.


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Artémis Anaitis à Hypaepa (Lydie)

Anaïtis, déesse iranienne qui était la parèdre de Mithra, a fait l’objet d’un culte dans toute l’Asie-Mineure. Elle a survécu en particulier en Lydie, où elle s’est hellénisée sous le nom d’Artémis Anaitis. Elle figure dans le monnayage de plusieurs cités lydiennes (Hypaepa, Philadelphia, Attuda), mais c’est seulement à Hypaepa qu’on la trouve associée à l’étoile et au croissant.


CroissantEtoile Artemis Anaitis Elagabalus Hypaepa, Lydia. 218-222 Artemis Anaitis Tyche Mionnet IV, 298Artémis Anaitis et Tyché
Héliogabale, 218-222, Hypaepa, Lydie (Mionnet IV, 298)

Artémis Anaitis est représentée de face et écartant les mains : son attribut distinctif est le grand voile qui la couvre entièrement.

Tyché porte la corne d’abondance de la main gauche et un gouvernail de la main droite.

Cette composition est très étrange puisque le couple étoile-croissant figure entre les deux déesses, sans être clairement associé à aucune : il n’existe aucun exemple d’Artémis Anaitis et de Tyché, debout et seule, qui soit accompagnée des deux symboles.


CroissantEtoile Artemis Commodus, Acrasus, Lydie Artemis ephese et Tyche BMC 15Artémis d’Ephèse et Tyché, Commode, 180-92, Acrasus, Lydie (BMC 15) CroissantEtoile Artemis Anaitis Elagabalus Sardes Lydie Artemis Kore Tyche RPC VI, 4478Koré et Tyché, Héliogabale, Sardes, Lydie Artémis (RPC VI, 4478)

Cette idée d’associer la déesse du culte local et Tyché, la déesse de la Cité, est commune à plusieurs villes de Lydie : on trouve quelquefois un objet intercalaire :

  • étoile au centre faisant référence au ciel,
  • couronne qui, dans le cas de Koré, n’est destinée qu’à elle.


CroissantEtoile Artemis Anaitis Septimius Severus Hypaepa, Lydia 193-211 Imhoof LS 13Artémis Anaitis et Tyché
Septime-Sévère, 193-211, Hypaepa, Lydie (Imhoof LS 13)

A Hypaepa, la formule est introduite sous Septime-Sevère, avec un champ intercalaire vide.


CroissantEtoile Artemis Anaitis Elagabalus Hypaepa, Lydia Artemis Anaitis , Heliogabale Imhoof MG 16Artémis Anaitis et Héliogabale (Imhoof MG 16) CroissantEtoile Artemis Anaitis Elagabalus Hypaepa, Lydia Artemis Anaitis , Heliogabale RPC VI, 4750Artémis Anaitis et Tyché (RPC VI 4750)

Héliogabale, Hypaepa, Lydie

Dans les autres monnaies comparables frappées à Hypaepa sous Héliogabale, le champ intercalaire est également vide.

Il est donc clair que le couple étoile-croissant, qui s’introduit dans une unique émission entre Artémis Anaitis et Tyché, est une marque distinctive purement monétaire, spécifique au monnayage d’Hypaepa sous Héliogabale.



Etoile et croissant autour d’autres déesses

Héra

CroissantEtoile Hera Samos Macrin between two peacocks BMC 269Macrin (BMC 269) CroissantEtoile Hera Samos Valerien I between two peacocks BMC 367-8 var.Valérien I (BMC 367-8 var)

Héra de Samos entre deux perroquets, monnayage de Samos

Ces deux monnaies, fort rares, présentent les deux configurations.


Koré (Idole de Sardes)

CroissantEtoile Kore mais coquelicot 198-244 ap JC Sardes Lydie Paris 1971.405Semi indépendance,198-244, Sardes, Lydie (Paris 1971.405) CroissantEtoile Kore deux mais Gallien Gordus-Julia Lydie Mionnet IV, 226Gallien, 253-68, Gordus-Julia, Lydie, (Mionnet IV, 226)

Statue de Koré entre des tiges de maïs

La statue de cette déesse est très rare : il n’existe que deux monnaies concernées, toute deux de Lydie, et encore une fois versatiles quant à la configuration croissant-étoile.


Synthèse sur les déesses d’Asie Mineure

Mise à part l’Artémis Anaitis d’Hypaepa, où le couple étoile-croissant apparaît être une marque monétaire, toutes les autres déesses d’Asie mineure affichent équitablement les deux configurations. Divinités avant tout locales (même si certaines ont pu connaître une large renommée), elles ne prétendent pas à un pouvoir sur le Soleil et la Lune : simplement à une place dans le ciel. 


La déesse de Gabala (Syrie)

CroissantEtoile Deesse de Gabala 24 Caracalla Gabala BMC 11-12Caracalla, Gabala (Syrie), BMC 11-12

Cette déesse locale est représentée assise, enveloppée de voiles qui recouvrent les deux sphinx assis de part et d’autre, tandis que deux quadrupèdes ailés couronnent le dossier ([20] , note 130). Elle est connue par quelques bas-reliefs, mais c’est seulement sur cette monnaie de Caracalla que le couple croissant-étoile la surplombe. On ne connaît pas d’exemple de la configuration inverse.


En conclusion : l’origine « orientale » des inversions croissant-étoile ?

L’origine orientale ?

On lit souvent que l’inversion Lune-Soleil serait une particularité orientale (Cappadoce, régions pontiques). Nous venons de voir que pour les déesses pré-hellénistiques d’Asie mineure, les deux configurations coexistent.

C’est seulement pour la déesse syrienne de Gabala que seule la configuration croissant-étoile se présente.


L’origine syrienne ?

A l’appui d’une origine purement syrienne de l’inversion Croissant-Etoile, Grabar ([21], p 44) prend des cas d’inversion autour d’Harpocrate, dans trois gemmes magiques dont la provenance est inconnue, mais dont deux (collection Université du Michigan) ont été achetées en Egypte.

En fait, dans les cas d’Harpocrate seul comme de Sérapis seul, nous avons montré (voir Lune-soleil : symboles 2) autour d’un dieu ) que la formule Etoile-Croissant est largement majoritaire. Faute de datation et d’indication de provenance, il est impossible de prétendre que les cas d’inversion sont syriens.


Linteau trouve a Mise'hara Batanee SyrieLinteau trouvé à Mise’hara, Batanée, Syrie [22]

Un contre-exemple frappant est ce bas-relief d’époque impériale où Zeus au centre, assimilé à son correspondant local Hadad ou Baalshamin, est encadré par Hélios et Séléné personnifiés, sans inversion.


Autel de Bted ElAutel de Bted’El , Syrie [23]

Dans cet autel, c’est Mercure (probablement héliopolitain) qui, sur la face avant, est encadré par le couple d’Hélios (avec son fouet) et de Séléné.


L’origine palmyréenne ?

Triades palmyreennes schema
Les deux triades palmyréennes

Ce schéma résume l’article d’Henri Seyrig [24] qui distingue deux triades :

  • la triade autour du Dieu d’origine palmyréenne Bêl (apparue en 32 après JC), où l’entité solaire a la place d’honneur ;
  • la triade autour du Dieu phénicien d’importation Baalshamin (apparue vers le milieu du 1er siècle), où l’entité lunaire la remplace.

On voit dans les deux bas-reliefs du bas, où les membres des deux triades se cumulent, que la disposition répond à des préoccupations qui nous échappent, mais qui excèdent largement la simple problématique lunaire / solaire, ou l’inverse.

Voici les conclusions de Seyrig sur l’origine de ces deux triades :

  • « 1. La création des deux triades a constitué une opération théologique délibérée, qui remonte apparemment aux environs de l’ère chrétienne.
  • 2. Le principe des deux triades est de nature astrologique, et fait présumer que le modèle de l’opération a été pris dans l’hellénisme oriental contemporain.
  • 3. La création des deux triades exigeait un dieu du Soleil et un dieu de la Lune. Le dieu de la Lune fut emprunté des deux côtés au temple où il était traditionnellement adoré. Dans la triade de Bel, on prit le dieu du Soleil, Iarhibôl, dans son vieux sanctuaire de la source Efca. Dans la triade de Baalshamîn, on emprunta le jeune Malakbêl dans le temple où il était adoré avec Aglibôl, et où, peut-être, il avait déjà été solarise par un syncrétisme qui assimilait volontiers au Soleil les dieux du renouveau. »

Il est en tout cas impossible d’affirmer que les triades palmyréennes, complexes et contradictoires, expliquent l’inversion lune-soleil, dont les cas sont bien plus anciens et bien plus largement diffusés.


L’origine héliopolitaine ?

On adorait à Baalbek (Héliopolis) une triade composée de Jupiter Héliopolitain, Mercure Héliopolitain (avec des attributs solaires) et Vénus héliopolitaine. Il en existe très peu de de représentations figurées, mis à part ces disques de bronze trouvés dans la plaine de la Bekka [25] :
Triade helipolitaine
Moyennant rotation, le couple Mercure/Vénus ne présente pas d’inversion.


L’origine babylonienne ?

Kudurru du roi Meli-Shipak II Louvre A Kudurru du roi Meli-Shipak II Louvre B

Kudurrus de Melishipak II, 1186–72 avant JC, Louvre

Ces deux bornes de propriété portent en haut la triade babylonienne : Sîn (lune) Shamash (soleil) et Ishtar (Vénus, l’étoile du berger), présentées dans un ordre différent : cependant la Lune est toujours à gauche du Soleil. Selon certains, l’inversion Lune-Soleil aurait donc une origine babylonienne.


Lune Serapis Venus Cumont Etudes syriennes p 81Intaille syrienne avec la Lune, Sérapis , Vénus (Cumont Etudes syriennes p 81 [14])

Cumont propose que dans certains cas, le croissant et l’étoile de part et d’autre d’une divinité solaire (Sérapis ou Harpocrate) soient une résurgence lointaine de la triade babylonienne, l’étoile représentant alors Vénus (l’Etoile du berger).

Comme nous l’avons monté dans le cas du monnayage d’Alexandrie, il est probable que le couple croissant/étoile était simplement une représentation en abrégé du firmament, ne faisant pas nécessairement référence à la Lune et à Vénus. La configuration  étoile-croissant utilisée  plus volontiers pour les dieux cosmique en majesté, évoquait plus spécifiquement le Soleil et la Lune. 



Article suivant : Lune-soleil : cultes orientaux


Références :

[14] Franz Cumont. — Études syriennes http://warburg.sas.ac.uk/pdf/bkg950b2413344.pdf
[20] Léon Lacroix « LES REPRODUCTIONS DE STATUES SUR LES MONNAIES GRECQUES »
Chapitre III. Artémis, aphrodite et les déesses asiatiques https://books.openedition.org/pulg/1393?lang=fr#ftn130
[21] André Grabar « Un Médaillon en or provenant de Mersine en Cilicie » Dumbarton Oaks Papers Vol. 6 (1951), pp. 25+27-49 https://www.jstor.org/stable/1291082
[22] M. BEN-DOV, « A Lintel from the Bashan Depicting Three Deities » Israel Exploration Journal Vol. 24, No. 3/4 (1974), pp. 185-186
[23] René Dussaud « Temples et cultes de la triade héliopolitaine à Ba’albeck » Syria. Archéologie, Art et histoire Année 1942 23-1-2 pp. 33-77 https://www.persee.fr/doc/syria_0039-7946_1942_num_23_1_4376
[24] Henri Seyrig « Antiquités syriennes » Syria. Archéologie, Art et histoire Année 1971 48-1-2 pp. 85-120 https://www.persee.fr/doc/syria_0039-7946_1971_num_48_1_6298
[25] Henri Seyrig « Antiquités syriennes » Syria. Archéologie, Art et histoire Année 1971 48-3-4 pp. 337-373 https://www.persee.fr/doc/syria_0039-7946_1971_num_48_3_6255

Lune-soleil : cultes orientaux

31 décembre 2022

 

Autant le couple Soleil-Lune apparaît comme un attribut facultatif des divinités gréco-romaines, autant il constitue un élément obligé de certains cultes dits « orientaux » : celui de Mithra essentiellement, mais aussi de cultes encore plus mystérieux tels que celui des Cavaliers danubiens, de Jupiter Dolichénien, de Sabazios et du Cavalier thrace.

Article précédent : Lune-soleil : symboles 3) autour d’une déesse

Sol et Luna autour de Mithra

Les inversions sont ici rarissimes, preuve que des deux luminaires faisaient partie intégrante d’un  mythe duquel, malheureusement, on n’a qu’une connaissance fragmentaire.

Introduction : les deux scènes fondamentales

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CIMRM 1083 Stele de Mithra pivotante Heddernheim Musee de Wiesbaden A schemaBas-relief d’Heddernheim, Musée de Wiesbaden (CIMRM 1083)

Ce bas-relief stèle a l’avantage de présenter tous les éléments canoniques de la scène de la Tauroctonie [1] :

  • Sol et Luna (en jaune), figurés ici par un char montant et un char descendant (flèches jaunes) ;
  • les dadophores CAUTOPATES torche baissée et CAUTES torche levée (en bleu) : c’est la position la plus fréquente dans les régions danubienne, la moins fréquente ailleurs ;
  • le Zodiaque, entre Bélier et Poissons, représente l’Année solaire qui démarre à l’équinoxe du Printemps, tout en évoquant la grotte native de Mithra ;
  • les quatre Vents (en rose) et les quatre Saisons (en vert).


CIMRM 1083 Stele de Mithra pivotante Heddernheim Musee de Wiesbaden ATauroctonie CIMRM 1083 Stele de Mithra pivotante Heddernheim Musee de Wiesbaden BLe banquet de Mithra

Le bas-relief d’Heddernheim est spectaculaire par son caractère réversible (on connaît une dizaine de tels bas-reliefs bifaces). Ici, Sol et Luna restent fixes, tandis que le panneau central voit succéder, au sacrifice du taureau, la seconde scène fondamentale, celle du banquet de Mithra et de Sol derrière le taureau mort. Les dadophores, sans leur torche, sont maintenant indiscernables.


CIMRM 441 Stele de Fiano Romano Musee du Louvre ATauroctonie CIMRM 441 Stele de Fiano Romano Musee du Louvre BLe banquet de Mithra

Stèle de Fiano Romano, Musée du Louvre (CIMRM 441)

L’iconographie de la scène du banquet est beaucoup moins standardisée et polarisée que la tauroctonie : ici Luna apparaît à la droite de Sol (levant son fouet), et de Mithra (levant une torche) tandis que les dadophores dans l’ordre habituel (torche baissée et levée), brandissent l’un une coupe vers le haut, l’autre un caducée vers le bas.

A la différence du bas-relief d’Heddernheim, les luminaires sont ici inclus dans la partie mobile : en faisant tourner la stèle,  la série Sol-Mithra-Luna se décalait en Luna-Sol-Mithra, pour faire comprendre que Mithra remplaçait désormais Luna comme compagnon de Sol.


Un cas de double couple

CIMRM 1283 Neuenheim coloriseTauroctonie de Neuenheim/Heidelberg (CIMRM 1283), colorisée

Les tauroctonies dites historiées sont entourées de cases illustrant différents symboles ou épisodes du mythe, malheureusement jamais dans la même disposition : ces bas-reliefs complexes étaient composés au cas par cas. Celui-ci est le seul à comporter deux couples Sol-Luna :

  • dans la tauroctonie, à l’emplacement habituel ;
  • au centre de la bande du haut : Mithra s’agrippe à la cape du Soleil pour monter dans son quadrige ascensionnel, tandis que le biga de la Lune disparaît derrière des rochers.

Ce motif du passager montant dans le char, nommé souvent apotheosis, est considéré comme la dernière scène du mythe ( [2], p 137)


Alba Iulia National Museum of the Union 2011 - Mithras Cult Relief, Apulum

CIMRM 1972, provenant d’Apulum, Alba Iulia National Museum

Aussi, comme on le voit dans cet autre bas-relief, il figure en général dans le registre inférieur ( Leroy-Campbell, [3] p 324), et est bien distinct du char du Soleil à sa place habituelle, en haut à gauche.


CIMRM 1283 Neuenheim colorise detail

Le concepteur de la plaque de Neuenheim a eu l’idée de fusionner les deux motifs. Ainsi la bande du haut, qui pourrait sembler une narration, est en fait une série de complémentaires emboîtés : les deux vents, les deux arbres, les deux archers, les deux luminaires. Cette trouvaille – apparier la scène de l’apotheosis avec le biga de la Lune – n’apparaît que dans un autre cas, le bas-relief pivotant de Neddenheim (Francfort, à 90km). Elle n’a donc probablement aucune signification symbolique ni narrative : simplement un raccourci graphique bien tourné, inventé localement.


Les causes de la position Sol-Luna

Parmi les sept cent tauroctonies répertoriées dans le Corpus [4] ou découvertes ensuite [5], huit seulement présentent une inversion Luna-Sol (Leroy-Campbell, 1968, [3] p 137). Avant de nous intéresser à ces cas très exceptionnels, il nous faut essayer de comprendre pourquoi la disposition Sol-Luna est aussi écrasante, presque un invariant du culte de Mithra. Pour cela, il faut d’abord présenter ce que l’on sait aujourd’hui sur la signification de la tauroctonie en particulier, et sur la structure des mithreums en général. Il n’y a pas de consensus parmi les spécialistes, aussi je vais surtout résumer (et discuter) les positions de celui qui a le plus fouillé les aspects astrologiques du l’imagerie mithraïque, Roger Beck.


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Un affrontement entre Sol et Luna

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Une des grandes contradictions ce que que nous savons sur Mithra est qu’il nous est dit dans plusieurs textes qu’il est le Soleil, alors que nous voyons bien, dans la scène du banquet ou d’autres, deux personnes distinctes.

La scène de la tauroctonie est au coeur de cette ambiguïté, puisqu’on y voit d’une part le couple Soleil / Lune, d’autre part Mithra et le Taureau, qui en serait une autre forme.


Un vers de la Thébaïde

Une des sources de cette identification du Taureau avec la Lune est un vers plutôt obscur de la Thébaïde. Stace s’adresse au Soleil en ces termes :

« Soit que je t’invoque sous le nom du pourpre Titan – selon le rite des peuples perses, soit que tu préfères celui d’Osiris, dieu de la fécondité, ou celui, sous les rocs de l’antre de Persée (ou de Perses, ou persique) [6] , tordant les cornes rétives à le suivre, de Mithra. »

Stace, Thébaïde vers 717-18

seu te roseum Titana vocari, Diciitis Achaemeniae ritu, seu praestat Osirim Frugiferum,
seu Persei sub rupibus antri indignata sequi torquentem cornua Mithram.


Les « explications » de Lactance Placide

Lactantius Placidus est un grammairien du Vème ou VIème siècle, surtout connu pour ses commentaires sur la Thébaïde. Il dissèque quasiment mot par mot les deux malheureux vers de Stace, fournissant un commentaire laborieux et répétitif qui semble avoir grossi au fil des différents manuscrits [7]. Les ouvrages sur Mithra en citent ce qui les arrange, mais jamais l’intégralité, ce qui est dommage car les passages se complètent les uns les autres, et finissent par fournir des informations assez différentes de ce qu’on lit habituellement. J’en propose ici la traduction presque intégrale, non dans l’ordre qu’en donne Cumont, mais dans l’ordre le plus logique du point de vue explicatif.


T1) La tauroctonie symbolise la lumière du Soleil reflétée par la Lune :

« Stace dit qu’Apollon est appelé …chez les Perses Mithra , où il est honoré dans un antre. Et lorsqu’il dit « tord les cornes », il fait référence à son image attrapant les cornes d’un Taureau récalcitrant, ce qui signifie l’illumination de la Lune par le Soleil lorsque celle-ci reçoit ses rayons. » Scholie de « te roseum » [8]


T2) La tauroctonie symbolise l’éclipse du Soleil par la Lune :

« Il est représenté dans une caverne en costume persan avec un turban, saisissant à deux mains les cornes d’un taureau. On les interprète comme la Lune ; car rétive à suivre son frère, elle lui tient tête et couvre sa lumière. Dans ces versets sont exposés les mystères des rites du Soleil. Car la Lune est inférieure et de moindre puissance, comme l’enseigne le Soleil assis sur le taureau, qu’il tord par ses cornes. Par ces mots Stace voulait qu’on comprenne bien la lune à deux cornes, et non l’animal par lequel elle est véhiculée. » Scholie de Sub rupibus [ZZ3] 

La toute dernière phrase est en général mal comprise. Elle explique qu’il faut prendre le Taureau :

  • au sens figuré, comme symbolisant par ses cornes le croissant de lune ;
  • et non au sens propre, comme l’animal qui est le véhicule habituel de la Lune (le boeuf qui tire son biga).

Dans son ensemble, le commentaire semble quelque peu contradictoire, puisqu’il nous dit d’une part que la Lune/Taureau est en position de faiblesse (le Soleil/Mithra est assis sur elle), et d’autre part qu’elle couvre la lumière du Soleil.


T3) La tauroctonie symbolise la Pleine Lune :

« Il donne aux rochers d’une caverne persane le nom de temple de Persée à cause de la représentation de Phoebus attirant à lui la Lune qui est rétive à le suivre. Après la pleine lune, celle-ci devance le Soleil, et ce faisant perd peu à peu sa propre lumière, jusqu’à ce qu’elle cesse entièrement de briller. Tandis qu’en avançant vers le Soleil, elle renouvelle sa lumière, et suit alors le Soleil. Enfin, à la pleine lune, étant maintenant le plus proche du Soleil, on dit qu’elle est saisie par lui. »
Scholie complémentaire, (Parisinus 13046 saec. X) [10]

Le début du commentaire prétend expliquer pourquoi Stace a appelé cette caverne persane « temple de Persée », mais il ne nous en dit pas plus.

La suite semble vouloir pallier la contradiction du texte T2, en expliquant que la baisse de lumière n’est pas celle du Soleil, mais celle de la Lune : en courant devant le Soleil, elle se fatigue et perd sa lumière jusqu’à la nouvelle lune ; ensuite, elle la retrouve progressivement en suivant le Soleil, qu’elle rattrape à la pleine lune.



Phases lune soleil
Ce schéma situe les moments où la lune apparaît puis disparaît par rapport au coucher du soleil (cercle rouge) et à son lever (cercle rose), ceci pour les huit phases du cycle. Il illustre ce que Lactance Placide explique de manière imagée : 

  • après la pleine lune, la lune reste visible de plus plus tard après le lever du soleil, avec de moins en moins de  lumière  ;
  • après la nouvelle lune, la lune apparaît de moins en moins tôt avant le coucher du soleil, avec de plus en plus de lumière ;
  • à la pleine lune, on la voit à deux moment en même temps que le soleil (en été) : juste avant son coucher et juste après son lever.

T4) La tauroctonie symbolise le combat du Soleil pour sortir d’une éclipse :

« La signification est la suivante : les Perses adorent le Soleil dans des cavernes, et ce Soleil est dans leur propre langue connu sous le nom de Mithra qui, parce qu’il souffre d’une éclipse, est adoré dans une grotte. C’est le Soleil-même à face de lion, coiffé d’un turban et en costume persan, les deux mains agrippant les cornes d’un bœuf. Et cette figure est interprétée comme la Lune qui, rétive à suivre son frère, se met en travers de son chemin et obscurcit sa lumière. L’auteur a encore révélé une autre partie des mystères : Le Soleil, comme s’il conduisait la Lune, son inférieure, « tord » le taureau. L’auteur a merveilleusement bien placé le mot ‘cornes’ afin de faire ressortir plus clairement le sens ‘Lune’, et non l’animal qui, tel qu’on la représente, lui sert de véhicule. Cependant, parce que ce n’est pas le lieu d’aborder les secrets de ces dieux à la manière de la philosophie ésotérique, je ne dirai que quelques mots des figures par lesquelles on croit en eux. Le Soleil indicible, parce qu’il piétine et bride la principale constellation, le Lion, est lui-même représenté avec ce visage ; ou bien parce que ce dieu excelle parmi les autres dans la violence de sa divinité et les assauts de sa puissance, comme le lion parmi les autres bêtes féroces ; ou encore parce que le lion est un animal rapide. La Lune, parce qu’à proximité elle domine et conduit un taureau, est en conséquence représentée comme une vache. »
Scholie de Indignata [11]

Ce commentaire laisse tomber l’idée des phases de la lune, et développe de manière cohérente la théorie de l’éclipse, imagée par la grotte, causée par la Lune rétive, et dont le Soleil tente de sortir en manoeuvrant sa soeur par les cornes. Le texte  répète qu’il ne faut pas comprendre le Taureau au sens propre (le véhicule ordinaire de la Lune) mais au sens figuré (la Lune elle-même). Enfin, il ajoute  un nouveau thème : celui que Mithra est représenté avec une face de Lion parce qu’il domine la constellation du Lion.

Ainsi, Lactance Placide :

  • soit n’avait pas vu de tauroctonie (Mithra n’y a jamais de tête de Lion),
  • soit veut décrire en même temps une autre décoration mithraïque (on a trouvé dans plusieurs mithreums une statue à tête de lion [12] ),
  • soit brode à partir de notions d’astrologie populaire.


Bouche-Leclercq Astrologie grecque p 195Les domiciles, exaltations et dépressions des planètes, D’après Bouché-Leclercq Astrologie grecque p 195 [13]

Dans ce tableau, qui synthétise les différentes manières d’associer les planètes aux signes, on voit que la Soleil a en effet pour domicile solaire le Lion, tandis que la Lune a pour domicile lunaire le Cancer. R.Beck a remarqué dans le commentaire T4 de Lactance Placide une sorte de symétrie :

« L’argument du scholiaste est le suivant : chaque luminaire domine et maîtrise un animal ; le Soleil domine un lion et est donc représenté avec un visage de lion, la Lune domine un taureau et est donc représentée en vache. Si le lion maîtrisé par le Soleil est la constellation du Lion, son « signe directeur », qui est alors le taureau maîtrisé par la Lune ? la constellation du Taureau, évidemment. » ( [14], p 224)

Or malheureusement, le tableau montre que la Constellation que la Lune domine est le Cancer (dans le Taureau, elle est seulement en exaltation). Beck opère alors sur le mot « à proximité (proprius) » une torsion proprement mithraïque : Lactance voulait dire « Cancer », mais ne voyant pas ce signe dans la tauroctonie, il a choisi un signe « a proximité », le Taureau (il y a quand même les Gémeaux entre les deux) .

Ainsi, « proprius » permet à Beck d’affirmer que la tauroctonie représente le Soleil et la Lune dans leurs maisons, à savoir le Lion et le Cancer.


CIMRM 545 Musee du VaticanCIMRM 545, Musée du Vatican

Mon apport à l’exégèse de Lactance sera de proposer qu’il cherche à décrire  une de ces rares tauroctonies où on voit la Lune mener les boeufs de son véhicule ordinaire, « à proximité » de la scène primordiale….


CIMRM 88-damasCIMRM 88, Musée de Damas

…ou bien une tauroctonie où le croissant des cornes imite ostensiblement celui de la lune.



La contrainte sur la configuration Sol/Luna

Malgré des débauches d’érudition, on n’en sait donc aujourd’hui guère plus que Lactance Placide sur la relation du couple Soleil/Lune avec le couple Mithra/Taureau : mais puisque pratiquement toutes les tauroctonies placent Mithra à gauche et le taureau à droite (dans le sens naturel de la lecture de l’action), sous la configuration Sol-Luna, on comprend que cette relation était particulièrement robuste.

Pas intangible cependant puisque, comme nous verrons plus loin, dans la configuration Luna/Sol, Mithra et le Taureau n’échangent pas leur place.


En aparté : l’astrologie populaire et ses limites (SCOOP !)

 

Série zodiacale d'Antonin le pieux

Série zodiacale d’Antonin le pieux, Alexandrie, 144/45

Cette série prestigieuse de treize monnaies, où les planètes sont représentées dans leurs domiciles solaire et lunaire, atteste de la large diffusion de ces notions. Elle a probablement été frappée pour commémorer l’entrée dans un nouveau cycle sothique dans la troisième année du règne d’Antonin (en 139/40) : le grand cycle sothique était un cycle calendaire basé sur la coincidence du lever héliaque de l’étoile Sirius avec les innondations du Nil en juillet, une fois tous les 1460 ans [15].


Serapis Zodiaque Planetes Amethyste British Museum schemaAméthyste, British Museum Serapis Zodiaque Expedition Ernst von Sieglin Ausgrabungen in Alexandria (Band 2,1A) fig 128 inverseExpédition Ernst von Sieglin, Ausgrabungen in Alexandria (Band 2,1A fig 128), inversée

Sérapis au centre du Zodiaque et des Planètes

Dans la seconde gemme (inversée pour faciliter la comparaison), une étoile a été rajoutée au centre, au dessus de la tête de Sérapis. A partir du haut, les planètes sont positionnées à l’intérieur du zodiaque dans un ordre tout à fait inhabituel.



Serapis Zodiaque Planetes Amethyste, British Museum schema
Les gemmes  recopient en fait une variante très rare (RPC IV.4, 14869) de la monnaie zodiacale, frappée à Alexandrie en 144/45 (le code de l’année, LH figure sur certains exemplaires au dessus de Sérapis).  Les sept planètes, à l’intérieur du zodiaque, sont personnifiées de la même manière que dans la série des treize monnaies. L’ordre inhabituel répond en partie au souci de positionner chaque planète au plus près  du signe qui constitue sa maison solaire (flèche blanche) ou lunaire (flèche bleue). 

Si cette seule considération avait joué, la monnaie « corrigée » par mes soins aurait été plus logique, plaçant Vénus et le Soleil à côté de leurs maisons solaires (la Balance et le Lion) et la Lune à côté de sa maison lunaire (le Cancer).

La configuration retenue permet de placer Sol au centre, en symétrie avec le début de l’année au Bélier, avec à gauche les trois planètes proches , et à droite les trois planètes éloignées.

La gemme va encore plus loin dans le bricolage en déplaçant carrément le signe du Lion, pour le placer juste en dessous du Soleil. On remarquera également, en haut, l’analogie entre les profils tournés vers la gauche de Jupiter (portant une couronne de lauriers) et de Saturne (portant un disque solaire) avec le profil de Sérapis, qui tient de l’un et de l’autre.

On voit là que ces compositions alexandrines sont un compromis  entre des notions astrologiques et des considérations de nature formelle ou mythologique. C’est le même état d’esprit, mi-savant mi-esthétique, que nous allons voir à l’oeuvre dans la conception de certains mithreums.


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Types de mithreum, ou mithreum type

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Contrairement aux églises, et sauf exception, les mithreums ne sont pas orientés selon les points cardinaux, mais implantés selon les contraintes d’urbanisme : c’est particulièrement net pour les seize mithreums découverts à Ostie [16].


Les types de mithreums, de Leroy-Campbell

Dans la foulée de Cumont, Leroy-Campbell a construit  des typologies compliquées pour l’orientation des mithreums et des zodiaques, basées sur l’opposition entre « Occidental » et « Oriental » et tenant compte de l’inversion de la symbolique des saisons (en Orient, les saisons fécondes sont l’Automne et l’Hiver). Ces conceptions sont aujourd’hui dépassées, et je renvoie le lecteur intéressé à ces pages particulièrement ingrates ( [3], p 50 et ss ).


Le mithreum-type (« blueprint ») de Roger Beck

Plus récemment, Roger Beck a développé l’idée (très contestée) d’un mithreum-type, à partir du seul mithreum qui comporte à la fois les signes du zodiaque et ceux des sept planètes (Mithreum de Sette sfere à Ostie, CIMRM 239-49) . Il en a longuement expliqué son fonctionnement (pour les justifications voir [14] p 103 et sss) : il ne s’agit pas d’un planetarium, mais d’un espace réglé permettant de mettre en scène différents aspects du rite. Le principe est en somme le même que celui que reprendront les temples maçonniques : tandis que le delta lumineux y sera placé à l' »Orient » théorique (mur du fond du temple), c’est ici la tauroctonie qui est placée sur le mur du fond, au « Sud » théorique du mithreum.


CIMRM 239-49 Sette sfere Ostie Beck Religion fig 3 schema scorpion taureauMithreum-type (d’après [14], fig 1)

Les directions indiquées sont celles du modèle théorique, pas celle du lieu géographique. La disposition est celle des « Sette sfere », dans lequel a été plaqué une tauroctonie-type (le couple Soleil-Lune et le couple Cautes-Carpocatres ne sont pas présents dans la tauroctonie d’Ostie).

L’idée de Beck est que le mithreum permettait de scénariser les deux grands mouvements de la cosmologie antique :
⦁ la rotation diurne des étoiles (ainsi que du soleil et de la lune), dans le sens des aiguilles de la montre (en bleu) ;
⦁ la rotation annuelle du Soleil parmi les signes du Zodiaque, dans le sens inverse (en vert).

Du point de vue « mouvement diurne », un spectateur situé au centre du Temple voit Mithra au Sud, et le couple Soleil-Lune de la tauroctonie à gauche et à droite : soit la disposition habituelle des frontons de temple ou des couvercles de sarcophage (voir Lune-soleil : dans l’art gréco-romain), avec à gauche le Soleil se levant et à droite la Lune se couchant.

Du point de vue « mouvement annuel », au solstice d’été le Soleil se trouve dans l’hémisphère Nord de la sphère terrestre, ce qui définit un autre système d’orientation (en vert) : le spectateur situé au centre du Temple voit Mithra à l’Est et à l’équinoxe de printemps. C’est cette orientation « annuelle » que décrirait Porphyre :

« Quant à Mithra on lui a assigné sa place près des équinoxes ; aussi tient-il le glaive du Bélier, signe de Mars et est-il porté sur le Taureau, signe de Vénus ; en effet, comme le Taureau Mithra est l’auteur du monde et le maître de la génération, il est situé sur le cercle de l’équinoxe, il a à droite les signes septentrionaux, à gauche les signes méridionaux, Cautes étant placé au sud à cause de la chaleur et Cautopates au nord à cause de la froideur du vent ». Porphyre, « L’antre des Nymphes » [17]

Ce double système d’orientation (un peu attrape-tout) permet de concilier bien des éléments divergents. Néanmoins l’idée d’un modèle astrologique sous-jacent n’a pu concerner qu’un nombre très limité de mithreums [18].


L’inversion des dadophores

Les dadophores bénéficient aussi de cette double lecture (selon une comparaison de Beck, il faudrait les voir comme des « vecteurs » indiquant une direction, pas comme des notions fixes) :

  • du point de vue diurne (les deux du fond), ils représentent le lever et le coucher du soleil ;
  • du point de vue annuel (les deux à l’avant des bancs), ils accompagnent la descente du soleil après le solstice d’été (banc de gauche) et sa remontée après le soltice d’hiver (banc de droite).

Leur position variable dans les tauroctonies pourrait ainsi s’expliquer par une préférence locale pour l’une ou l’autre lecture, diurne, ou  annuelle. 


Des zodiaques variables

Banjevic Zadar CIMRM SupplementBanjevic, Zadar (CIMRM Supplement) CIMRM 1472 Sisak Musee de ZagrebSisak, Musée de Zagreb (CIMRM 1472)

A noter que, parmi les très rares tauroctonies incluses à l’intérieur d’un zodiaque, celle de Banjevic est la seule où la position des signes constitue une projection, sur le plan vertical, des signes inscrits à l’horizontale dans le mithreum des Sette Sfere (les signes tournent dans le sens des aiguilles de la montre, à partir du Bélier en bas à gauche jusqu’aux Poissons en bas à droite.

Dans la tauroctonie de Sisak, la césure Bélier-Poissons est à mi-hauteur à droite, et les signes tournent dans l’autre sens.

La variabilité des zodiaques, comme celle de dadophores,  fragilise beaucoup l’idée d’un mithreum-type reposant sur des notions astronomiques précises.


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Mithreum et planètes

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L’ordre des Planètes

Une des rares choses certaines dans le mithraïsme est l’ordre des Sept Grades, chacun étant associé à une Planète. D’après l’épigraphie, il semble néanmoins qu’un grand nombre de communautés mithraïques se limitaient à trois grades , Corbeaux, Lions et Pères ([2], p 363).


Beck Planetary p 10 schemaD’après Beck ( [19], p 10)

On constate que cet ordre juxtapose :

  • pour les trois plus haut grades, l’ordre de la semaine ;
  • pour les quatre autres, l’ordre dit « chaldéen » (par éloignement au soleil).

Il aurait été agréable que l’ordre des planètes, dans le mithreum des Sette Sfere, veuille bien suivre l’ordre des grades, mais tel n’est pas le cas (mis à part pour le grade le plus haut, le Père, qui se trouve à la meilleure place, juste en avant de Mithra).


Beck Sette p 516D’après Beck ( [20], p 516)

Ce qui complique encore les choses est qu’il y a à Ostie un autre mithreum, celui des Sette porte, qui présente lui aussi une liste comparable (six planètes, sans le Soleil et avec Saturne en place d’honneur), mais néanmoins différente. Beck en a été réduit à deux positions de repli :

  • abandonner l’idée d’un lien entre planètes et signes du zodiaque (ce dernier étant présent à Sette sfere seulement) ;
  • considérer seulement le placement relatif des planètes entre elles, et trouver dans la période de construction des deux mithreums une configuration planétaire comparable ( en 172 et 173, voir [20]).

Le fait de devoir recourir à cette explication « ad hoc » affaiblit à nouveau l’idée d’un « mythreum-type ».


Les deux mithreums réconciliés (SCOOP !)

Ostie Mitheum Sette porte schemaMithreum Sette Porte

Pour ma part, plutôt que de raisonner sur des listes abstraites de planètes, je préfère revenir à leur représentation figurée et à la topographie des lieux, jamais représentés à l’échelle : on voit que les planètes ne suivent pas la logique d’une liste, mais qu’elles ne se répartissent, tout au long du mithreum, en deux couples sexués tout à fait classiques : Vénus-Mars et Mercure-Lune, plus le couple des deux « autorités », Jupiter et Saturne.


Ostie Mitheum Sfere schemaMitherum Sette Sfere

Pour le mithreum des Sette Sfere, je pense que, malgré tout ce qu’on a dit, la disposition des planètes est exactement la même, pourvu de lire correctement la figure représentant Luna : dans les deux mithreums, il s’agit de la figure dansante avec un velum en forme de croissant au dessus de sa tête.


Sette sfere venusVénus (et non Diane/Luna) Sette sfere MarsMars

La déesse du premier-plan à gauche fonctionne en pendant avec Mars en face d’elle, lui-aussi debout sous une arcade. La pomme est l’attribut le plus courant de Vénus et les deux autres attributs (le croissant au front, l’arc) qui l’ont fait interpréter comme Diane/Luna sont en fait un diadème et une palme, attributs vénusiens comme on le voit sur ces deux fresques de Pompei :

Venus sur un char tire par des elephants - atelier des Feutriers Pompei detailVénus sur un char tiré par des éléphants (détail), Atelier des Feutriers, Pompei Pompei I.6.2 room 21 Venus avec palme fig 5.36Vénus avec une palme, Pompei I.6.2 pièce 21 fig 5.36 [21]

(La deuxième fresque fonctionne également en pendant avec un Mars tenant sa lance.)


Je tire de cette analyse quatre conclusions :

  • les causes graphiques (répartition par couples) sont au moins aussi importantes que les raisons théoriques ;
  • dans les deux seuls mithreums à planètes connus, celles-ci sont déconnectées des signes astrologiques et des gradesSette porte, ces derniers sont représentés par les sept demi-cercles sur le sol) ;
  • il n’y a probablement jamais eu de modèle unifié mettant en concordance les trois séries (signes , planètes et grades) ;
  • le couple Sol-Luna de la tauroctonie est lui-aussi une iconographie indépendante, puisqu’il ne figure pas parmi les couples des deux mithreums à planètes.


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Tauroctonie et planètes

Reste maintenant à examiner les rares cas où les sept planètes sont  , non pas dans le mithreum, mais à l’intérieur de la tauroctonie. Il n’y a que deux exemples connus.

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CIMRM 1727 bronze of Grigetio (Szony) schemaBronze de Grigetio (Szony), Magyar Nemzeti Muzeum, Budapest (CIMRM 1727)

Les sept planètes sont figurées en bas, classées de gauche à droite selon les jours de la semaine, en commençant par Saturne. Les figurations de Sol (avec un fouet) et de Luna (avec une torche et un croissant) sont reprises en haut pour les deux médaillons habituels, avec des différences : le fouet de Sol et le croissant de Luna ont disparu. Tandis qu’en bas le couple figure de manière statique, arborant ses attributs dans la galerie des planètes, il est représenté en haut en action, à un moment du mythe sur lequel nous ne savons rien : la  Lune semble pleine (elle a sa torche, mais pas son croissant) et le Soleil émet un rayon de lumière, le long duquel le corbeau descend vers Mithra.


CIMRM 693 Museo Civico Bologna schemaCIMRM 693, Museo Civico, Bologna

Les sept planètes sont figurées en haut, toujours dans l’ordre des jours de la semaine, mais en sens inverse, en commençant par la Lune et en finissant par le Soleil. Deux signes zodiacaux discrets, un scorpion et une tête de taureau, sont associés respectivement à Cautopates et Cautes. Vu la répartition des planètes le long de la voûte, Beck fait l’hypothèse que les sept positions entre Lune et Soleil correspondent à un demi-zodiaque, soit les sept signes entre Taureau et Scorpion. D’où le le schéma ci-dessous :

Beck Planetary fig 1Beck ([19], p fig 1)

Contrairement au mithreum des Sette sfere, il existe ici une méthode simple (en tout cas compatible avec l’astrologie de l’époque) pour relier les signes et les planètes :

  • diviser chaque signe en trois « décans » (notés 1,2,3) ;
  • en partant du début de l’année (trait double entre Pisces et Aries), inscrire les Planètes dans les décans en suivant l’ordre chaldéen ;
  • associer à chaque signe la planète inscrite dans son deuxième décan : on retrouve ainsi les planètes telles qu’elles se présentent sur le bas-relief.


Beck Planetary fig 1 schemaD’après Beck ([19], p fig 1)

Le schéma permet donc d’associer un signe à chaque planète (ellipses roses) : les deux qui nous importent (le Soleil/Scorpion et la Lune/Taureau) forment une sorte de triade (carrés jaunes) avec Jupiter/Lion. Beck a rajouté dans son schéma les principales constellations proches du Zodiaque. Comme remarqué depuis le tout début des études mithraïques, Il est patent qu’un bon nombre des éléments de la tauroctonie correspondent à des constellations du zodiaque (en bleu). Beck en tire argument pour proposer qu’un des sous-textes de la tauroctonie soit une sorte de vue sur le ciel, un point très contestable qui dépasse largement notre sujet Soleil/Lune.

En effet, il n’y a rien de miraculeux à passer de l’ordre chaldéen à l’ordre de la semaine en sautant de trois en trois (c’est même la raison de l’ordre de la semaine). Ce qui est remarquable selon Beck, c’est le fait que le demi-zodiaque soit sous-entendu dans la tauroctonie :

« Ce fait s’inscrit dans la composition non pas bien sûr par l’inclusion de Sol et de Luna – ils sont présents pour d’autres raisons – mais par leur placement : Luna à droite en tant que divinité planétaire du décan central du Taureau, Sol à gauche en tant que divinité planétaire du décan central du Scorpion. Le dessinateur du relief de Bologne, dans cette hypothèse, a révélé le mystère en comblant les cinq autres planètes dans leur séquence correcte comme les décans des signes intermédiaires. Il s’agirait alors non pas d’une invention ou élaboration privée, mais d’un élément organique dans le corps des significations de l’icône, un élément consciemment incorporé par les inventeurs de l’icône et accessible par la suite au moins aux savants du culte. » ([19], p 24)

La dernière phrase est typique des extrapolations de Beck : que quelques tauroctonies très particulières constituent des variations savantes à visée astrologique est certain ; mais ceci n’implique pas  que ces considérations astrologiques soient sous-jacentes à toutes les tauroctonies et impliquent l’existence de plusieurs niveaux de lecture, qu’on découvrait au fil des grades successifs.


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En aparté : l’association Scorpion/Cautopates et Taureau/Cautes

 

Les deux signes discrets du relief de Bologne se retrouvent dans quelques autres tauroctonies, en général associés aux dadophores de la même manière. Pour Beck, cela permettrait d’expliquer la signification des deux configurations : Cautes/Cautopates et Cautopates/Cautes. La terminologie beckienne étant parfois difficile à suivre, précisons que dans le passage ci-après « vue céleste » est synonyme de « mouvement diurne » (autrement dit regarder la tauroctonie de face) tandis que « carte céleste » est synonyme de « mouvement annuel » (autrement dit regarder le mithreum-type en plan) :

« Le type atypique est le plus facile à expliquer. Cautes à gauche signifie les corps célestes, le Soleil en particulier, se levant à l’est ; son collègue Cautopates à droite signifie le Soleil et tous les autres corps célestes se couchant à l’ouest. La tauroctonie est ici lue comme une « vue » céleste. Cautopates positionné à gauche signifie Scorpius, le signe méridional à travers lequel le Soleil descend à la « chute » de l’année ; Cautes positionné à droite signifie Taureau, le signe septentrional par lequel le Soleil monte au printemps de l’année. La tauroctonie est ici lue comme une « carte » céleste bien que l’on puisse aussi la lire comme une « vue », auquel cas il nous est dit que le Scorpion se lève à l’est tandis que le Taureau se couche à l’ouest » ([14], p 208)



CIMRM 239-49 Sette sfere Ostie Beck Religion fig 3 schema scorpion taureau
Si l’on reporte sur le mitreum-type la configuration Cautopates/Cautes, on constate :

  • que le Taureau (resp. Scorpion) n’est qu’un des six signes durant lequel le soleil monte (resp. descend), et même pas le dernier ;
  • que pour que l’association marche, il faudrait inverser les deux rangées de bancs (flèches roses).

Cette contradiction, à l’intérieur d’un même livre, montre bien l’impossibilité de dégager un « modèle-type » de mithreum.


Mithreum PonzaMithréeum de Ponza

Ironiquement, il existe un mithreum correspondant mieux au « modèle-type » que celui d’Ostie, mais quand Beck l’a étudié en 1974 ( [22] ), il n’avait pas encore eu l’idée de ce modèle.

La niche avec la tauroctonie est détruite, mais quelques vestiges permettent de déterminer qu’elle était du type Soleil/Lune et Cautes/Cautopates.

Le zodiaque en stuc, au plafond, correspond bien à la « vision annuelle », avec son mouvement anti-horaire (flèche verte). Le Lion se place au dessus de la niche. Le Scorpion et le Taureau sur le diamètre, associés comme il convient aux côtés Soleil et Lune de la tauroctonie. Le seul point qui ne marche pas (car rien n’est parfait) est qu’on devrait avoir la configuration  Cautopates/Cautes.

La grande idée de Beck, celle des deux visions superposées (diurne et annuelle), est très séduisante, mais ne correspond malheureusement à aucun des rares mithreums savants retrouvés. 


Dadophores et équinoxes

Ulansey [23] a développé l’idée selon laquelle les dadophores représentent les équinoxes, et que l’association avec le Taureau et le Scorpion serait une relique de leur position antérieure ( à cause de la précession, les équinoxes changent de signe zodiacal à peu près tous les deux millénaires). Cette théorie est aujourd’hui passée de mode.



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Les tauroctonies sous le Zodiaque

Le zodiaque forme, au dessus de ces tauroctonies, une arche évoquant la grotte de Mithra. On en connaît six exemples, dont la tauroctonie réversible d’Heddernheim par laquelle nous avons commencé ce chapitre. Elles partent presque toutes du Bélier, en bas à gauche et finissent aux Poissons, en bas à droite. Tout se passe en somme comme si on avait recollé par leur extrémité avant les deux bancs des Sette Sfere, puis rabattu l’arc ainsi formé sur le plan vertical de la tauroctonie.

sb-lineArc de Davitius milieu 3emes Mayence photo Jona LenderingArc de Davitius, milieu 3eme siècle, Mayence, photo Jona Lendering

Cependant cette disposition n’a rien d’ésotérique puisque le Bélier est tout simplement le premier signe de l’année romaine. On la retrouve donc dans cet arc de triomphe, monument public qui n’a rien à voir avec la grotte de Mithra. 


Bouche-Leclercq Astrologie grecque p 195D’après Bouché-Leclercq Astrologie grecque p 195 [13]

Il suffit de jeter un coup d’oeil au tableau pour constater qu’il n’y a pas de lien entre les deux signes extrêmes, le Bélier et les Poissons, et notre couple Sol-Luna.


Un cas de zodiaque inversé

Il n’existe que deux tauroctonies avec zodiaque en arc inversé (Bélier à droite), qui partagent la particularité (peut être fortuitement) d’avoir possédé un second zodiaque en arc, mais lui dans l’ordre normal. Nous traiterons plus loin le cas de Doura Europos, car il se complique d’une inversion Luna-Sol.


CIMRM 390 Fresques Barberini schemaFresques Barberini (CIMRM 390)

Ces fresques ont été interprétées par Beck comme illustrant « L’antre des Nymphes » de Porphyre, ce court texte qui donne peut-être, mais c’est très contesté, des précisions sur les croyances mithraïques. Sans entrer dans la controverse [24] , je me contente de résumer en un schéma la lecture qu’en fait Beck. Pour lui, le sens du zodiaque a été inversé dans la fresque afin que le Capricorne se trouve sur le rayon lumineux partant de Sol vers Mithra, intersection qui est désignée par la torche de Cautès. Pour les six autels anonymes, Beck propose raisonnablement de les associer aux planètes selon l’ordre chaldéen.

Le texte de Porphyre est une compilation de plusieurs croyances concernant la descente des âmes depuis le ciel (genesis), via le signe du Capricorne, et leur remontée consécutive (apogenesis), via le signe du Cancer. De manière plutôt convaincante, Beck parvient à trouver dans le texte tous les éléments en bleu, reliés à la Genesis, et tous les éléments en rouge, reliés à l’Apogenesis ( [19], p 90 et ss).

Pour ce qui nous intéresse, le texte de Porphyre désigne explicitement le Soleil comme la porte vers le Ciel, et la Lune comme la porte depuis le Ciel :

« Platon mentionne aussi deux ouvertures : par l’une on monte au ciel, par l’autre on descend sur la terre et les théologiens ont fait du soleil et de la lune les portes des âmes ; par la porte du soleil elles montent, par celles de la lune, elles descendent. Ce sont aussi les deux tonneaux. L’une renferme les maux que donne Jupiter ; l’autre les biens ». L’antre des Nymphes, [25]

(les deux tonneaux de Jupiter ont eu une fortune iconographique très inattendue, voir 4 Paires de globes).

Même si l’interprétation de Beck peut être contestée, il reste que le rayon dirigé du Soleil vers Mithra, qui se retrouve dans quinze tauroctonies ([3], p 102) a certainement contribué à fixer la position de Sol dans le coin en haut à gauche.


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Les tauroctonies dans le Zodiaque

Ces cas tout aussi rares (on en connaît six) sont particulièrement intéressants pour la théorie beckienne des deux visions superposées, puisque  le cercle du « mouvement annuel » vient se rabattre dans le plan de la tauroctonie, fenêtre rectangulaire sur le « mouvement diurne ».

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CIMRM 810 Walbrook Mithraeum CIMRM 810 Walbrook Mithraeum schema zodiaque

Tauroctonie de Walbrook (CIMRM 810)

La position du Zodiaque est ici particulièrement robuste : l’année commence à droite, et les deux moitiés gauche et droite correspondent l’une à la chute apparente du soleil (après le solstice d’été), l’autre à sa montée apparente.



CIMRM 810 Walbrook Mithraeum schema
Comme l’a remarqué Beck ([14], p 204), le Lion et le Taureau progressent en sens inverse des quadrupèdes voisins, les chevaux de Sol et les boeufs de Luna. C’est une manière de montrer visuellement les deux mouvements en sens inverse (diurne en bleu, annuel en vert). Le concepteur a choisi ici d’assigner les dadophores au mouvement diurne, peut être parce que le mouvement annuel était suffisamment souligné par le zodiaque.

Un autre découverte pertinente de Beck ([14], p 199) est l’accumulation graphique, dans le secteur jaune, de trois éléments bovins : le museau du Taureau, le signe du Taureau et les boeufs du char de la Lune. C’est un exemple de ce que Beck a baptisé le « star-talk », à savoir un discours plus ou moins profond et plus ou moins rigoureux, mêlant les aspects iconographiques et astrologiques, qui pourrait avoir été une des méthodes de l’enseignement mithraïque.


CIMRM 1472_sisak schemajpgTauroctonie de Sisak, Zagreb, Arch. Museum (CIMRM 1472)

De l’autre côté de l’Empire, cette tauroctonie reprend la même position du Zodiaque, en inversant les dadophores selon la tradition locale, et sans les raffinements formels de la tauroctonie anglaise.


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En aparté : le star-talk lunaire selon Beck

 

La manière robuste de superposer le zodiaque à la tauroctonie, que manifeste le bas-relief de Walbrook, a pour inconvénient de ne pas coller avec l’autre construction sous-jacente à la tauroctonie selon Beck : celle où le diamètre horizontal n’oppose pas les deux équinoxes, mais les deux signes associés aux dadophores, le Scorpion et le Taureau (voir plus haut).


Beck Religion fig 14Le « star-talk » lunaire ([14], fig 14)

Beck pense donc qu’en dessous du « star-talk » relativement évident qui décrit les mouvements solaires diurnes et annuels , il aurait existé un « star-talk » plus ésotérique, qu’on découvrait en décalant le zodiaque d’un douzième de tour . Selon lui ([14], p 220 et ss), ce second schéma décrit les mouvemest de la Lune durant son mois draconitique, autrement dit entre deux passages au même « noeud ». Les deux noeuds, intersections de l’orbite terrestre et lunaire, sont les seuls moments où peuvent se produire les éclipses lunaires ou solaires, et ils pourraient selon Beck avoir été également associés aux dadophores, nos deux « vecteurs » attrape-tout.

Comme il n’existe aucun témoignage iconographique de ce schéma (puisqu’il est ésotérique), je n’en dirai pas plus, sinon qu’il présente une difficulté théorique bien vue par Beck : tandis que, dans le schéma solaire, on peut négliger le déplacement des équinoxes par rapport au zodiaque (tour complet en 26 000 ans), dans le schéma lunaire les noeuds se décalent bien plus rapidement par rapport aux signes (tour complet en 18,6 ans) : le schéma ci-dessus ne décrirait donc qu’un « mois draconitique idéal », une situation particulière que ne se produit qu’à un moment du cycle.




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 Les inversions Luna-Sol

Après cette longue préparation d’artillerie théorique, nous pouvons maintenant attaquer notre objectif principal.

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Cas particulier : Les tauroctonies sans Sol ni Luna

Les tauroctonies les plus anciennes sont des sculptures en ronde-bosse autour desquelles on circulait : elles ne comportent pas les luminaires, preuve qu’ils n’étaient pas essentiels au culte, en tout cas à ses débuts. Il existe également quelques rares bas-reliefs de tauroctonies sans luminaires.


Autre cas très particulier :  Luna et Sol côte à côte

CIMRM 2245 Kral-Marko Musee national Sofia Cumont Textes et monuments figures relatifs aux Mystères de Mithra tome II fig 119Kral-Marko, Musée de Kustendil, CIMRM 2245 [26]

Ce bas-relief est le seul où les deux luminaires sont placés côte à côte. La forme en arche, fréquente dans les stèles danubiennes, n’explique pas cette étrange disposition. Elle est probablement corrélée avec les sept autels au dessus : si les deux bustes sont Luna et Sol (ils sont difficiles à distinguer) , ils correspondent bien au 5ème et 6ème grade.


Deux inversions rustiques

CIMRM 148 Mithra Musee de SetifMusée de Sétif (CIMRM 148)

Sur ce relief très rustique déterré à Sétif en 1861, on n’en sait pas plus que l’inscription :

La deuxième légion, surnommée l’herculéenne, a élevé ce monument au dieu invincible Mithra; la 10e et la 7e cohorte en ont volontairement accompli le voeu.

DEO INVICTO MYTRE LEG . II . HERCULEA FEC . COHS . X. ET . VIL VOTUM . SolVERUNT .



<CIMRM 1468-pregrade-Tauroctony of Valerius Marcelianus Zagreb, Arch. Museum

Tauroctonie de Valerius Marcelianus
Provenant de Pregrade, Zagreb, Arch. Museum (CIMRM 1468)

Le fait que les deux dadophores aient leur torche levée traduit une connaissance très limitée de la « théorie » : l’inversion Sol / Luna en est probablement un autre signe.


Une inversion plus évoluée : la tauroctonie de Targusor

CIMRM 2306 Targusor Constanta - Muzeul National de Istorie si ArheologieTargusor, Muzeul National de Istorie si Arheologie, Constanta (CIMRM 2306) photo lupa.at [27]

L’inscription fournit ici une indication intéressante :

« Flavius Hôrimos, intendant de Flavius Macedo, , sur ordre, au dieu invincible Mithra, a consacré, dans une forêt secrète. Adorez l’Euphrate avec piété. Phoibos de Nicomédie a fait (ce monument) » (traduction [2], p 483)

Le nom d’Euphrate suggère une origine orientale pour le donateur (Leroy-Campbell, [3], p 138) ; elle pourrait expliquer l’inversion, si on considère qu’il s’agit d’un particularisme oriental.

Cautes tient dans sa main gauche une pomme de pin et Cautopates un petit scorpion. Pour Leroy-Campbell, l’une symbolise la vie éternelle et l’autre le retour de la fertilité (début des pluies d’automne).

Beck ( [19], p 28 et note 56) note avec pertinence que l’inversion ne touche pas seulement les luminaires, mais aussi Cautes et Cautopates (par rapport à la norme danubienne), ainsi que le Scorpion, ce qui confirme l’association Soleil/Scorpion que nous avons déjà vue.

Si l’idée de préférence orientale peut comme toujours « expliquer » l’inversion du couple Soleil/Lune, il y a clairement eu ici une réflexion à l’oeuvre pour généraliser cette inversion aux éléments qui lui sont corrélés.


Une inversion explicable : la tauroctonie de Sidon (Saïda, Liban)

CIMRM 75 Sidon Louvre schema 1Sidon, CIMRM 75

Les douze signes du zodiaque (en vert clair) viennent s’insérer entre les éléments habituels de la tauroctonie. Le début de l’année est  : cette disposition inhabituelle du Zodiaque s’explique probablement par la nécessité de réutiliser comme signe zodiacal le scorpion de la tauroctonie (en vert sombre). Ceci a pour effet collatéral de faire apparaître en position centrale le Taureau, et le Bélier, se tournant le dos

Beck ( [19], p 34) remarque pertinemment que :

« Le Bélier, l’exaltation du Soleil, est montré bondissant vers le buste de Sol et le Taureau, l’exaltation de la Lune, bondissant vers le buste de Luna ».


CIMRM 1400 Sterzing, Hof des RathausesCIMRM 1400 Sterzing, Hof des Rathauses

Ce bas-relief est l’exemple d’une telle association Soleil/Taureau et Lune/Bélier (les deux petits animaux sur la bande du haut).

Dans son autre livre ([14], p 219), Beck y voit clairement l’explication de l’inversion Luna-Sol dans le bas-relief de Sidon. Elle ne correspond donc en rien à un tropisme oriental, mais au fait que le concepteur a délibérément sacrifié la disposition traditionnelle au profit d’un discours astrologique plus savant.


CIMRM 75 Sidon Louvre schema 2

Sidon, CIMRM 75

On remarquera deux autres anomalies dans cette tauroctonie très spéciale (SCOOP !) :

  • les quatre Saisons tournent, comme les signes, en sens inverse des aiguilles de la montre, mais sont diamétralement opposées par rapport à leur place naturelle ;
  • le corbeau habituel s’est dédoublé en un jeune et un adulte, les deux diamétralement opposés de part et d’autre de Mithra.

Il se pourrait que ces deux anomalies soient corrélées : le jeune corbeau aurait partie liée avec les Saisons (représentées par les quatre jeunes enfants) tandis que le corbeau (comme le scorpion) serait à lire comme un treizième signe. Le concepteur aurait profité de l’inversion Luna-Sol pour rajouter une opposition terrestre /céleste qui évoqurait subtilement deux concept diamétralement opposés (comme les torches vers le bas et vers le haut de Cautopates et Cautes) :

  • côté Lune, la Genesis (les enfants, les Saisons terrestres) ;
  • côté Soleil, l’Apogenesis (le corbeau monté dans le zodiaque, et qui semble y attendre son double juvénile).


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Les deux inversions de Doura Europos

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CIMRM 37-40 Doura Europos Mithreum Yale University Art GalleryMithreum de Doura Europos, Yale University Art Gallery

Les deux dernières inversions se trouvent dans un mithreum très étudié, qui comporte deux bas-reliefs de tauroctonie superposés, parfaitement datées par les inscriptions : 169 pour le petit, 170-71 pour le grand.

La coexistence des deux plaques s’explique probablement par la présence de deux mithreums fusionnés ensuite en un seul ( [28], p 132). Des traces de trous suggèrent que les plaques étaient  voilées par un rideau.

A noter qu’une troisième tauroctonie, très détériorée, a été peinte vers 240 au dessus de l’arcade (CIMR 45) : il n’en reste que Cautès avec une couronne rayonnante à droite , sept cyprès et sept autels allumés. On n’a malheureusement rien conservé du Soleil et de la Lune.


 

CIMRM 37-40 Doura Europos Mithreum Yale University Art Gallery schema1

Le mithreum de Doura Europos se caractérise par la présence de deux zodiaques :

  • celui sculpté dans la seconde tauroctonie démarre comme d’habitude au Bélier, et s’inscrit dans la lecture de gauche à droite des scènes de chasse latérales (en rose) ;
  • celui été peint dans l’intrados de l’arcade se lit en sens inverse : il démarre et se finit à l’équinoxe d’Automne et culmine à l’équinoxe de Printemps (en vert).

Le second zodiaque a été peint dans la seconde phase, vers 240 (CIMRM 40), et les fresques ont recouvert les deux figures des écoinçons (saisons ou vents ?).


La première tauroctonie

CIMRM 37 Doura Europos Mithreum Tauroctonie 169 detailTauroctonie de 169 (CIMRM 37)

Dans le relief du bas [29], la lune est représentée par un croissant contenant une étoile et le soleil par une masse rayonnante. Les deux ont été brisées dès l’Antiquité, pour récupérer des joyaux qui y étaient incrustés.


La seconde tauroctonie

CIMRM 40 Doura Europos Mithreum Tauroctonie 170-71Tauroctonie de 170-71 (CIMRM 40)

Dans le relief du haut, beaucoup plus complexe [30], on a arasé les bustes de Luna et Sol en même temps qu’on recouvrait par la fresque les figures des écoinçons. La plaque comporte deux éléments iconographiques tout à fait uniques, qui ont été largement commentés :

  • les sept boules alignées sous les pattes de devant du taureau (les sept planètes ou grades) ;
  • les donateurs / spectateurs représentés (avec leur nom) dans le tiers droit.



CIMRM 40 Doura Europos Mithreum Tauroctonie 170-71 detail marquesA l’intérieur des six premiers signes, des disques, un croissant et une étoile suggèrent que ce bas-relief, d’apparence fruste, est peut-être à ranger parmi les tauroctonies savantes, à prétention astrologique. En outre,

Le zodiaque organisateur (SCOOP !)

CIMRM 40 Doura Europos Mithreum Tauroctonie 170-71 schema final
Si banal qu’il semble à première vue, le zodiaque organise en fait l’ensemble de la composition :

  • l’équinoxe d’automne surplombe la figure centrale, qu’on identifie souvent à Sérapis à cause de son couvre chef (kalathos) ;
  • l’équinoxe de printemps relie la tête de Mithra à celle des spectateurs ;
  • les solstices bornent les bustes de Luna et de Sol.

On notera également la coiffure radiée (en jaune) qui unifie Sérapis, les deux figures des écoinçons, et deux des trois spectateurs (ceux qui avaient dépassé le grade d’Heliodromus ?).

Enfin, les deux luminaires et les deux dieux forment, au centre, une sorte de quaternité.


Des inversions orientales ?

L‘inversion Luna-Sol est interprétée comme un trait oriental, qui irait de pair avec leur caractère aniconique (du moins pour le bas-relief du bas) ([3], p 219). Cumont en a même tiré argument en faveur de son idée, largement rejetée aujourd’hui, d’un modèle syrien de la tauroctonie, confirmant l’origine iranienne du culte de Mithra. L’idée d’un modèle « oriental » caractérisé par l’inversion Lune-Soleil repose sur un si petit nombre de cas et comporte tant d’exceptions qu’elle est aujourd’hui très contestée [31].


Un monde à l’envers ?

De manière exceptionnelle, Luna et Sol se trouvent sous le zodiaque, alors que rien n’empêchait de les placer, comme d’habitude, dans les écoinçons. Si l’on considère que le zodiaque symbolise le plafond de la grotte, faut-il comprendre que les luminaires sont inversés parce qu’ils se trouvent sous le sol ? C’est un peu le cas dans la tauroctonie de Sidon, où les deux luminaires sont englobés dans le zodiaque circulaire.

Mais il existe au moins deux contre-exemples, où les luminaires sont dans la grotte sans être inversés :

CIMRM 357 esquilinCIMRM 357, Esquilin CIMRM 2198 Turda (Potaissa) schemaCIMRM 2198, Turda (Potaissa)

Dans le bas-relief de l’Esquilin, le corbeau joue le rôle de messager de Sol, quelquefois assuré par le rayon de lumière ; et la Lune, alter ego du Taureau, détourne la tête tristement : c’est cette idée de solidarité avec les deux protagonistes de la tauroctonie qui explique ici la présence des luminaires à l’intérieur de la grotte.

Dans le bas-relief de Turda, l’inversion est controversée (Leroy-Campbell la met dans sa liste, mais le CIMRM la réfute). On notera surtout la présence d’une tête de lion entre les deux luminaires.

Par ailleurs, dans toutes les autres inversions que nous avons vues, les luminaires sont placés au dessus de l’arcade. Il faut donc abandonner l’idée d’un monde à l’envers.


Une conception locale (SCOOP !)

Pour le relief du haut, une fois décidé d’intégrer les spectateurs à la tauroctonie, on ne pouvait les positionner qu’à droite, du côté où coule le sang du sacrifice. L’inversion Luna-Sol permet de placer les initiés sous le patronage du Soleil vainqueur, et non de la Lune, alter-ego du Taureau mourant.



CIMRM 37 Doura Europos Mithreum Tauroctonie 169 detailPour le relief du bas, on notera que Mithra n’est pas situé à gauche, à la croupe du taureau comme d’habitude, mais en plein centre de la composition. La présence de l‘Etoile dans le croissant pourrait symboliser la Nuit, du côté de l’animal mourant ; tandis que le Soleil symboliserait ici le Jour, du côté du sang et du chien qui s’y abreuve.

Plutôt que d’invoquer une hypothétique inversion orientale, il est sans doute plus fructueux de voir dans les deux inversions de Doura Europos une interprétation locale de la tauroctonie, comme passage de l’ombre à la lumière.


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En aparté : Sol et Luna dans une triade

 

813px-Egyptian_-_Pendant_with_Image_of_Sarapis_-_Walters_571524_-_Front_View_B_(cropped)Sérapis, Walters Art Museum

Sérapis est un dieu chtonien apparu dans l’Egypte ptolémaïque, inspiré par le dieu Hadès (Pluton). il se caractérise par son kalathos ou modius, sorte de panier tressé qui est souvent associé aux divinités de la terre. Son rôle dans le culte mithaïque est aujourd’hui considéré comme mineur, voire inexistant ([2], p 531)


Beck Planetary p 34Beck, [19] p 34

Dans quatre cas commentés par Beck, le couple Sol-Luna sert de base à une triade.


La triade avec Jupiter / Sérapis

CIMRM 693 Museo Civico Bologna detail
Dans la tauroctonie de Bologne, Beck ([19] p 89) pense reconnaître le kalathos sur la tête du Jupiter central, qui ressemblerait donc au Sérapis de Doura. Les trois têtes centrales ont été refaites, mais on peut toujours imaginer que le restaurateur s’est inspiré des traces subsistantes.


La triade avec Saturne

Jupiter heliopolitain Bronze_Donato_LouvreJupiter héliopolitain, bronze Donato, provenant de Baalbek, Louvre

Héritier des dieux syriens de l’orage, le dieu d’Héliopolis (Baalbek) se répand dans tout l’Empire, une fois assimilé à Jupiter. Sur sa poitrine figure le couple Sol-Luna (jamais inversé, malgré le contexte oriental), qui forme une triade avec Saturne en bas.


Jupiter heliopolitain Bronze Sursock Baalbek LouvreJupiter héliopolitain, bronze Sursock, provenant de Baalbek, Louvre

Dans un article important [32], Cumont a expliqué l‘origine de cette triade : en répartissant les planètes verticalement dans l’ordre chaldéen (A, B puis C), on les lit horizontalement dans l’ordre de la semaine. A noter le mufle de Lion juste en dessous de Saturne.

Rien n’indique que cette manière d’organiser les planètes ait été utilisée en contexte mithraïque.


La triade avec un lion

CIMRM 2198 Turda (Potaissa) schema

Turda, CIMRM 2198

De cette triade, ce bas-relief rustique est le seul exemplaire connu,

Equidistant de Sol et Luna, le Lion est graphiquement l’équivalent de Jupiter dans le bas-relief de Bologne. Selon Beck, cette équivalence a aussi des raisons théoriques :

  • Jupiter est le dieu qui préside au grade des Lions ;
  • astrologiquement, dans le schéma des décans qui explique le bas-relief de Bologne, Jupiter au zénith est associé au signe du Lion.

D’un point de vue héliopolitain, nous avons vu que le Lion est plutôt associé à Saturne.

Ce n’est peut être pas contradictoire puisque, dans le mithreum des Sette Porte, Saturne et Jupiter forment couple. D’un point de vue ésotérique, ils semblent se répartir les tâches quant au pouvoir cosmique, comme le laisse entendre Porphyre :

« Certaines forces descendent du ciel et des planètes ; Saturne recueille celles qui viennent du ciel et Jupiter celles qui viennent des planètes. » Porphyre, « L’antre des Nymphes » [25]


La triade avec le léontocéphale

CIMRM 390 Fresques Barberini detail leontocephaleLéontocephale ?, fresque Barberini Leontocephale Villa TorloniaLéontocephale, Villa Torlonia

Le personnage perché en haut du zodiaque de la fresque Barberini, dont le globe s’inscrit dans le zodiaque et dont la tête rayonnante complète les flammes des six autels, établit une nouvelle triade avec le couple Sol-Luna (base de la série des autels/planètes). Il ressemble beaucoup au léontocéphale, autre icone mithraïque qui n’apparaît jamais dans la tauroctotonie (quelquefois dans les scènes latérales).

« Représenté au milieu de la frise des signes du zodiaque qui borde l’arche stylisée de la caverne du sacrifice, debout sur un globe, il est le temps infini, l’éternité cosmique. Il semble bien en aller de même à Doura, le léontocéphale – si c’est bien de lui qu’il s’agit – étant cette fois représenté en buste, radié et drapé. Si le léontocéphale mithriatique est relié au zodiaque, comme cela est fort probable, les spires du serpent pourraient alors décrire la course du soleil d’un solstice à l’autre, les quatre ailes correspondre aux quatre saisons et la gueule ouverte du fauve symboliser le temps vorace assimilé à un Chronos-Saturne. Il serait alors l’expression iconographique d’un cosmocrator lié aux spéculations solaires, au temps, au cycle des saisons et au pouvoi sur le firmament ». [2]; p 162


Saturne au sommet

Ces témoignages tendent à établir au sommet de la triade une équation fragile :

Sérapis = lion = léontocéphale = Saturne

Beck, à son habitude, en tire une envolée astrologique :

« on peut supposer que le buste au sommet qui porte le kalathos et qui s’identifie ainsi à Pluton-Sérapis est aussi le Soleil… mais un Soleil différent et spécial : le Soleil qui iIIumine et guide dans un monde qui n’est pas celui de la vie terrestre ordinaire, éclairée par le Soleil quotidien, mais plutôt le monde souterrain où « le Soleil brille à minuit ». Ce Soleil de minuit est Pluton ou Sérapis ; mais dans les Mystères… il est aussi, et plus fondamentalement, Saturne. » ([19], page 90)


cimrm91_hermopolis_tauroctony chronos-saturneTauroctonie provenant d’Hermopolis, Musée du Caire (CIMRM 91)

Cette idée que Saturne est un Soleil occulte n’est suggérée que par les quelques témoignages que nous venons de voir, ainsi que cette tauroctonie qui, comme à Doura, place  Saturne en position sommitale. Comme Luna et Sol président respectivement au cinquième et au sixième grade, cela pourrait d’expliquer pourquoi Saturne, divinité secondaire pour les profanes, a été choisie pour présider au septième grade.


CIMRM 40 Doura Europos Mithreum Tauroctonie 170-71 schema final
C’est peut-être ce que nous suggère le bas-relief de Doura, avec sa figure énigmatique trônant au sommet occulte du panthéon mithraïque : Sérapis/Saturne/Léontocéphale à l’équinoxe d’Automne, au dessus de Luna et Sol aux solstices, et de Mithra à l’équinoxe de Printemps.



Sol et Luna dans le culte des cavaliers danubiens

On ne sait pas grand chose du cette religion synchrétique des 3ème et 4ème siècle dans les régions du Danube, sinon qu’elle empruntait au mithraïsme certaines de ses iconographies, en particulier le couple des luminaires.

CMRED suppl Kuzmin 242-43Kuzmin, 242-43 CMRED suppl PrhovoPrhovo

La plupart des témoignages conservés sont de petits moulages en plomb.

Le médaillon de Kuzmin est un des seuls à avoir été daté de manière précise [33] :

 » La représentation en relief est disposée en trois zones qui ne sont pas très bien définies.

  • Dans la première, on voit les bustes de  Luna et de Sol entre lesquels on distingue des étoiles en relief.
  • Au centre de la seconde est représentée une déesse vêtue d’un chiton et d’un himation, flanquée de part et d’autre d’un cavalier coiffé d’un bonnet phrygien qui salue, d’un bras levé, la déesse. Sous les sabots de chacun des chevaux, on distingue une figure humaine allongée. Derrière le cavalier de gauche se détache un canthare, derrière le cavalier de droite une figure humaine au bras levé, surmontée d’un coq, d’un quadrupède (chien?) et d’un bucrane stylisé.
  • Dans la zone inférieure, on reconnaît de gauche à droite un chandelier, un homme qui vide les entrailles d’un animal suspendu à un arbre, un lion et un poisson. »

Le médaillon de Prhovo présente à peu près la même composition, mais avec Sol et Luna sans inversion.


CMRED 71 mesie inferieure Sofia museumPlaque de marbre, CMRED 71 CMRED 83 mesie inferieure Sofia museumPlaque de plomb, CMRED 83

Mésie inférieure, Musée national, Sofia

La technique du moulage a pu favoriser une certaine indifférence aux inversions. Un des rares exemples de taille directe, à gauche, est inversé. Sa netteté permet de percevoir les emprunts romains : la couronne de Sol à sept rayons,, les bonnets phrygiens semblables à ceux des Dioscures.

Mis à part la position de Sol et Luna, les autres éléments sont pratiquement à la même place dans les deux compositions :

  • en haut les deux serpents cosmiques ;
  • au centre le poisson posé sur un trépied ;

En revanche, dans le registre du bas, la séquence lion, coq et bélier est inversée.

On pourrait imaginer que le Lion est du côté solaire, mais on trouve rapidement un contre-exemple :

CMRED 120CMRED 120

On a ici une inversion Luna-Sol, mais en bas la séquence Lion / bélier, tandis que le coq est monté à côté de la Lune.


CMRED 176 deux soleils Italie Terracina MuseumPlaque de calcaire trouvée à Terracina (Italie) CMRED 176

Signalons sur cette plaque, probablement ramenée en Italie par son propriétaire (marchand, soldat ou esclave), une iconographie unique : Luna au centre est entourée par deux figures de Sol, certainement le soleil levant et le soleil couchant. A noter la forme voûtée qui évoque le ciel, mais rappelle aussi la grotte de Mithra.

Le Corpus CMRED [34], peu fourni, montre une prédominance de la forme canonique (sept inversions seulement : CMRED 15, 42, 71, 75, 81, 120, 191). Dumitru Tudor attribue ces inversions soit à une influence orientale, soit au hasard ( [34], II, p 182). Pour lui, il est clair que la religion danubienne emprunte aux reliefs mithraïques antérieurs ([34], II, p 184).


Danubian Riders British Museum CBd-686CBd-686 Danubian Riders British Museum Bonner Campbell Online Bonner Campbell Online CBd-687CBd-687

Intailles, British Museum (numérotation Bonner Campbell Online)

Les cavaliers danubiens apparaissent dans de rares intailles, là aussi sous les deux formes : il est difficile de décider laquelle est inversée, puisque les intailles pouvaient servir de matrice pour imprimer des sceaux.

Tandis que la tauroctonie est une scène polarisée, dont tous les détails sont reliés par une conception d’ensemble, la scène des Cavaliers du Danube est marquée par la symétrie et le placement disparate des éléments. Comparée à la rigidité mithraïque, la fréquence relativement importante des inversions Luna-Sol traduit le relâchement des contraintes et des croyances sous-jacentes.



Sol et Luna autour de Jupiter Dolichénien

 

Jupiter et Junon dolichéniens

CCID 347 Dolichenus_Weiherelief klagenfurtRelief découvert en 1869 dans les ruines du château fort de Waisenberg, Klagenfurt, Landesmuseum (CCID 347) CCID 80 Historisches Museum von Veliko TarnovoHistorisches Museum, Veliko Tarnovo (CCID 80 )

Jupiter et Junon dolichéniens

Ce culte à mystères, originaire de Doliché, en Syrie [35] s’est assimilé, en le modifiant, au couple Jupiter / Junon. Ils sont ici debout sur un taureau et une biche, surplombés par un aigle, dans un ordre immuable qui est l’inverse de celui du couple Héra-Zeus (voir Lune-soleil : couples affrontés). Cette polarité masculin / féminin de la composition embarque ici le Soleil et la Lune, ce qui n’est pas toujours le cas.

Ainsi, la plaque votive de droite montre, au dessus du même couple divin, les luminaires inversés (sans l’aigle). Cette configuration inversée est moins fréquente, mais se rencontre tout de même quatre fois sur les treize cas de couples Sol / Luna recensés dans le CCID [36] .


CCID 5 Munchen, Archaologische Staatssammlung god of soumana« Au Dieu écoutant de Soumana » (CCID 5) CCID 6 Munchen, Archaologische Staatssammlung(CCID 6)

Plaques votives provenant probable de Doliche, Archäologische Staatssammlung, Münich

Cette relative indifférence vis-à-vis de l’ordre des luminaires apparaît dès l’origine.

La première plaque est dédiée à une divinité locale, le « Dieu écoutant de Soumana ». Deux personnages identiques, vêtus à l’orientale, se transmettent le foudre sous les auspices d’un dieu qui pourrait être Jupiter. On ne sait pas s’il s’agit d’une forme locale des Dioscures, ou bien si la plaque représente une sorte de fusion entre le dieu de Soumana et le Dieu de Doliche. Sol et Luna sont dans l’ordre canonique.

La seconde plaque les inverse, sous un Jupiter Dolichenus portant ses attributs habituels, hâche double dans la main droite et foudre dans la gauche. Ceci montre que les deux luminaires ne sont pas liés aux deux attributs. La figure du haut, qui a disparu, était probablement l’aigle.


CCID 201 plaque dedicated to Jupiter Dolichenus from Komlod, Hungarian National Museum, Budapest

Plaque dédiée à Jupiter Dolichenus, provenant de Kömlöd, Hungarian National Museum, Budapest (CCID 201)

Cette plaque très symétrique rajoute aux couples Soleil / Lune et Hache/ Foudre habituels d’autres éléments plus rares :

  • une Victoire et un autel allumé ;
  • deux figures armées : Hercule et sa massue face à une divinité casquée qui peut être Mars (son costume est le même que celui de Sol) ou Minerve.

Cette symétrie n’implique pas une lecture verticale de l’ensemble, puisque nous savons déjà que les deux registres supérieurs sont découplés.


L’association avec Sérapis et/ou Isis

CCID 511 Stadtisches Museum WiesbadenSérapis, Luna et Sol
CCID 511 Stadtisches Museum Wiesbaden

Les registres inférieurs de cette plaque ont disparu. Subsiste seulement le couple des luminaires inversé (chacun avec le fouet évoquant son char), surplombé ici par le dieu Sérapis, reconnaissable à son kalathos.

Dans les compositions dédiées à Sérapis seul, il n’y pas d’exemple où il soit représenté avec les luminaire personnifiés : la configuration standard (voir Lune-soleil : symboles 2) autour d’un dieu ) est celle où il est représenté de face ou de profil, encadré par le couple de symboles étoile-croissant.

L’inversion ici n’est donc pas pas à imputer à Sérapis, d’ailleurs séparé par deux étoiles à quatre branches du registre dolichénien, malheureusement disparu.


Isis Serapis Face Monument 140-60 CCID 365 Dolichenum de l'AventinCCID 365 Isis Serapis Face Monument 140-60 CCID 386 Dolichenum de l'AventinCCID 386

Dolichenium de l’Aventin, 140-60

Cette influence mineure des deux divinités égyptiennes ce lit dans ces bas-reliefs provenant du même temple : le couple Sérapis-Isis se plie à la polarité dolichénienne, alors que la configuration pratiquement intangible, lorsqu’ils sont  seuls, est la configuration maritale  Isis-Sérapis.

Ainsi le couple dolichénien se démarque d’emblée de ses prédécesseurs, Héra / Zeus et Isis / Jupiter, en adoptant la configuration « impériale » (voir Lune-soleil : couples affrontés ).


Un cas de triade babylonienne (SCOOP !)

CCID 512 Dolichenus Sammlung Nassauischer Altertumer, Museum WiesbadenPlaque votive, Sammlung Nassauischer Altertümer, Museum Wiesbaden

On retrouve Ici les deux divinités disposées verticalement :

  • Jupiter dolichénien en haut, sous un buste de Sol (à sept rayons) ;
  • Junon dolichénienne assimilée à Isis, en bas, entre les Dioscures portant sur leur tête les bustes de Luna et d’un homme auréolé de cinq rayons.

Dans leur version dolichénienne, les Dioscures sont montrés soit sortant d’une montagne (comme ici) soit portés par des taureaux, ce qui signifie probablement les monts du Taurus (près de Doliché). Cette plaque est le seul cas où ils portent des luminaires : on considère habituellement qu’il s’agit de Luna et Sol [37] , ce qui constitue à la fois une inversion du couple, et une redondance avec le Sol à sept rayons du haut de la plaque.

L’influence des cultes orientaux, matérialisée par Isis, ouvre l’hypothèse que la tête à cinq rayons ne soit pas Sol dupliqué, mais le troisième astre de la triade babylonnienne, Vénus, l’Etoile du matin) (voir Lune-soleil : symboles 3) autour d’une déesse ).


Synthèse sur les inversions Luna-Sol dans un contexte dolichénien

Triangular votive plaque of Jupiter Dolichenus from Brza Palanka Historical Museum of SerbiaPlaque votive plaque de Brza Palanka, Historical Museum of Serbia, Belgrade [38]

Cette plaque, trouvée depuis la parution du CCID, rajoute une inversion supplémentaire.

Pour autant qu’on puisse tirer des conclusions d’un corpus aussi réduit, on peut noter que, mis à part les deux plaques de Doliché et la plaque « orientalisante » de Wiesbaden, la place naturelle du couple Sol-Luna est « au ciel » de la composition, le plus souvent en compagnie de l’Aigle avec lequel ils forment une sorte de triade.

Bien moins codifiée que l’iconographie de Mithra, l’iconographie dolichénienne montre une grande liberté dans la placement des attributs, sans signification d’ensemble. Les cas relativement fréquent d’inversion Luna-Sol montrent leur indépendance par rapport aux autres couples de personnages ou d’attributs. Leur signification reste pour l’essentiel celle que Franz Cumont leur accorde dans l’ensemble de la culture romaine [39] :

« La réunion des astres qui marquent la succession constante du jour et de la nuit était l’emblème de la durée perpétuelle du temps infini »

Dans une inscription du Dolichenium de l’Aventin, le Dieu est s’ailleurs qualifié d’ « aeternus conservator totius mundi » (conservateur éternel du monde entier).



Sol et Luna ans d’autres cultes orientaux

Culte de Sabazios

CCIS 79a National History Museum of Albania TiranaNational History Museum of Albania, Tirana (CCIS 79a [40] ) CCIS 80 Rome, National Museum CopenhagueNational Museum, Copenhague (CCIS 80, [40])

Sabazios se reconnaît à son pied droit posé sur un crâne de bélier. Dans ces deux plaques, les seules où il est accompagné du couple des luminaires, on constate l‘inversion Luna-Sol.

Dans la plaque de gauche, Luna dans le fronton assume le rôle important de tenir à la place de Sabazios son sceptre caractéristique,  terminé par une main.

Dans la plaque de droite en revanche, le fronton est dédié au char d’Hélios, encadré par deux étoiles qui sont probablement à relier aux Dioscures des écoinçons.


CCIS 85b Plaque d'AmpuriasPlaques d’Ampurias, reconstitution (CCIS 85b [40])

On retrouve dans ce petit triptyque en bronze, autrefois argenté, l’importance des Dioscures dans le Panthéon sabazien, avec leurs grandes étoiles du Matin et du Soir. A l’intérieur du bas-relief, quatre petites étoiles jouent un rôle décoratif et un croissant s’est glissé à gauche, sans Sol pour lui faire pendant. Sans doute sert-il de faire-valoir à la lumière du foudre que Sabazios brandit dans sa main droite, tout près de Dyonisos sortant de l’arbre.

La grande rareté de ces cas laisse penser que le couple Sol-Luna ne jouait pas un rôle-clé dans le culte de Sabazios : c’est plus par compétition avec les tauroctonies mithraïques qu’ils ont été intégrés, l’inversion permettant de s’en démarquer.


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Culte du Cavalier thrace

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Sabazios et cavalier thrace PlovdivBas-relief syncrétique
Musée de Plovdiv

La partie haute de ce bas-relief est classée comme une représentation douteuse dans le CCIS ([40], p 45) , mais Margarita Tacheva-Hitova ( [41], N°17 p 170) n’hésite pas à y reconnaître Sabazios avec son bonnet phrygien et son bâton, comme dans la plaque de Copenhague. L’inversion Luna-Sol est en tout cas bien présente et délibérée, puisqu’il aurait été plus logique de placer Sol au dessus des divinités masculines et Luna au dessus des féminines.

La partie inférieure du bas-relief ressemble à un « cavalier thrace de type B », dont il existe d’innombrables représentations, mais sans la lance dans la main gauche. Les bas-reliefs de ce héros comportant les deux luminaires sont excessivement rares (il y en a trois, d’après [41] note 27 p 292) : le couple a probablement été ajouté ici par contagion avec la partie supérieure, mais autant qu’il semble en supprimant l’inversion.

On reconnait actuellement quatre types du « cavalier thrace » : lance à la main, bride à la main (avec présence ou pas d’une lyre) ou saluant à main nue [42].


Cavalier from Abritus, A 2nd-3rd Century. Razgrad, Istoritcheski Muzej Cavalier from Abritus B 2nd-3rd Century. Razgrad, Istoritcheski Muzej

Plaques provenant d’Abritus, fin 1er-2ème siècle, Razgrad, Istoritcheski Muzej

Ce cavalier, parfois identifié comme Sabazios/Dyonisos, est maintenant plutôt vu comme un cavalier thrace brandissant une corne à boire (rhyton) au lieu d’une lance : il s’agirait d’une représentation très ancienne du cavalier thrace, avant même l’apparition du type A ([34], Volume 2 p 147 et ss). L’inversion Luna-Sol dans la première plaque est en tout cas manifeste. La seconde plaque représente le même dieu, mais sans les deux luminaires.


Cavalier Thrace PlovdivMusée de Plovdiv

Ce cavalier à trois têtes et qui tient une hache double est une version du « cavalier thrace » qui ne se trouve que dans la région de Plovdiv (il ne figure pas dans les volumes du CCIT [43] concernant la Bulgarie) : c’est plutôt une sorte de Jupiter Dolichenus à cheval, avec une inversion Luna-Sol.


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En conclusion sur les cultes orientaux

Cavalier ThraceImage syncrétique [44]

Sous les yeux de Sol et Luna cette fois dans le bon ordre, ce bas-relief ajoute à la hâche double de Jupiter Dolichenus, au cheval du Cavalier thrace, aux deux acolytes imitant Cautes et Cautapates, dont l’un brandit la tête de bélier de Sabazios, le thème des ennemis piétinés, typique des « cavaliers danubiens ».

C’est sur cette  plaque polymorphe que se conclut cet article, de manière quelque peu frustrante. Autant le grand nombre et la standardisation des tauroctonies justifiait l’étude des rarissimes inversions Luna-Sol dans le culte de Mithra, autant la. rareté des vestiges et la perméabilité entre les iconographies rend cette tâche impossible, pour tous les cultes orientaux qui en dérivent plus ou moins.



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Références :
[2] Laurent Bricault, Philippe Roy « Les Cultes de Mithra dans l’Empire romain », Presses Universitaires Du Midi, 2021
[3] Leroy-Campbell, « Mithraic iconography and ideology » 1968
[4] M.-J. Vermaseren, Corpus inscriptionum et monumentorum religionis Mithriacae
Volume I : https://archive.org/details/CorpusInscriptionumEtMonumentorumReligionisMithriacaeM.J.Vermaseren1956
Volume II non disponible en ligne
[5] Pour un aperçu d’ensemble du corpus étendu, voir
https://www.tertullian.org/rpearse/mithras/display.php?page=selected_monuments
[6] Sur l’ambiguïté de « Persei », voir Robert Turcan, « Mithra et le mithriacisme », Paris, 1993 p 130. Il y a derrière toute une controverse sur les liens entre Mithra et le mythe de Persée. Peut être s’agit-il seulement, comme le remarque Robert Turcan, d’une contrainte de versification, qui a fait préférer le mot « Persei » à « persici ».
[7] Les textes latins de Lactance Prudence sont tirés de Cumont, « Textes et monuments figurés relatifs aux Mystères de Mithra » tome II, p 44 et ss https://archive.org/details/textesetmonument02cumouoft/page/46
Pour ne pas alourdir l’article, j’ai reproduit ces textes latins dans les notes. Sauf indication contraire, les traductions sont les miennes.
[8] Scholie de « te roseum »
Seu te roseum t. v. Dicit Apollinem a diversis gentibus variis appellari nominibus. Apud Achaemenios enim Titan, apud Aegyptios Osiris, apud Persas, ubi in antro colitur, Mitra vocatur.Quod autem dicit torquentem cornua ad illud pertinet quod simulacrum eius fingitur reluctantis tauri cornua retentare, quo significatur luna ab eo lumen accipere cum coeperit ab eius radiis segregari.
Traduction Laurent Bricault, Philippe Roy [2] p 44)
[9] Scholie de « in rupibus » :
Persae in spelaeis coli Solem primi invenisse dicuntur. Est enim in spelaeo Persico habitu cum tiara et utrisque manibus bovis cornua comprimens. Quae interpretatio ad Lunam dicitur ; nam indignata sequi fratrem occurrit illi et lumen subtexit. His autem versibus sacrorum Solis mysteria patefecit. Sol enim lunam minorem potentia sua et humiliorem docens taurum insidens cornibus torquet. Quibus dictis Statius lunam bicornem intelligi voluit non animal quo vehitur.
[10] Scholie complémentaire, (Parisinus 13046 saec. X) :
Rupes persei antri vocat templum Persei, ubi ita pingitur Pboebus qualiter adtrahat ad se lunam indignantem sequi eum. Luna post plenilunium solem praecedit et praecedendo lumen suum paulatim amittit, donec iam ex toto lucere desinit. Tandem vero ad solem accedens lumen suum recuperat, et tunc solem sequitur. In plenilunio autem iam soli proxima a sole comprehendi dicitur.
[11] Scholie de « Indignata » :
Sensus talis est : Persae in spelaeis Solem colunt, et est hic sol proprio nomine vocatus Mithras, qui quia eclipsin patitur ideo intra antrum colitur. Est autem ipse Sol leonis vultu cum triara, persico habitu et utrisque manibus bovis cornua comprimons. Quae interpretatio ad lunam dicitur, quae indignata sequi fratrem occurrit illi et lucem eius obscurat. Nudavit autem mysteriorum partem. Sol ergo quasi lunam minorëm docens, ideo taurum torquet ; mire autem cornua posuit, ut lunam manifestius posset exprimere non animal quo illa vehi figuratur. Sed (tamen) quia locus non est secreta deorum istorum iuxta tenorem intimae philosophiae disserere, de figuris tamen quibus creditur, paucis dica- mus. Sol ineffabilis, quia principale signum inculcat et frenat, leonem scilicet, idcirco et ipse hoc vultu lingitur, vel quod hic deus (inter) ceteros vi numinis et potentiae impetu excellat, ut inter reliquas feras leo, vel quod sit rapidum animal. Luna vero quia propius taurum coercet adducitque, ideo vacca (lunae) figurata est
[14] Roger Beck, « The Religion of the Mithras Cult in The Roman Empire » 2006 197-98 206-08 214 https://archive.org/details/TheReligionOfTheMithrasCultInTheRomanEmpire/page/n215/mode/2up
[15] Yannis Stoyas « After the heliacal rising of Sirius: Sothic symbols, celestial bodies and zodiacal signs on Roman Provincial coins of Alexandria » Neda, Annual Yearbook 2 (2017-2018) [2020], 441–473, 864. https://www.academia.edu/77156323/After_the_heliacal_rising_of_Sirius_Sothic_symbols_celestial_bodies_and_zodiacal_signs_on_Roman_Provincial_coins_of_Alexandria
[16] « The orientation of the Mithraea in Ostia Antica » January 2016Mediterranean Archaeology and Archaeometry 16(16 4):257-266 https://www.researchgate.net/publication/312229332_The_orientation_of_the_Mithraea_in_Ostia_Antica
[17] Les noms de Cautes et Cautopates sont une interprétation controversée, refusée par Turcan mais saluée par Beck, qui apparaît dans le nouvelle traduction de 1969 :
« The cave of the nymphs in the Odyssey : a revised text with translation » by Seminar Classics 609, State University of New York at Buffalo.
[18] Sur les arguments s’opposant à un modèle astrologique unifié, voir Richard Gordon « Cosmic Order, Nature, and Personal Well-Being in the Roman Cult of Mithras » https://www.academia.edu/35181566/Cosmic_Order_Nature_and_Personal_Well_Being_in_the_Roman_Cult_of_Mithras?email_work_card=view-paper
[19] Roger Beck « Planetary Gods and Planetary Orders in the Mysteries of Mithras » Brill, 1988
[20] Roger Beck “Sette Sfere, Sette Porte, and the Spring Equinoxes of A.D. 172 and 173,” Mysteria Mithrae 1979, p 515-530
[21] Carla Alexandra Brain « Venus in Pompeii: Iconography and Context » https://leicester.figshare.com/articles/thesis/Venus_in_Pompeii_Iconography_and_Context/10217774
[22] Roger Beck « Interpreting the Ponza Zodiac » Journal of Mithraic Studies 1976 https://www.mithraeum.eu/doc/mitreo_ponza.pdf
[23] Ulansey « Origins of the Mithraic Mysteries », 1989, p.64
[24] Robert Turcan, Compte-rendu de « R. Beck, The Religion of the Mithras Cult, Oxford (2006) » Topoi. Orient-Occident Année 2007 15-2 pp. 759-765 https://www.persee.fr/doc/topoi_1161-9473_2007_num_15_2_2277
[26] Cumont, « Textes et monuments figurés relatifs aux Mystères de Mithra » tome II fig 119 https://archive.org/details/in.gov.ignca.10836
[28] Tommaso Gnoli « The Mithraeum of Dura-Europos » dans « Religion, Society and Culture at Dura-Europos », 2016
[31] Susan B. Downey « The excavations at Dura-Europos » Volume 3, Parties 1 à 2, p 220
[32] Franz Cumont « Le Jupiter héliopolitain et les divinités des planètes » Syria. Archéologie, Art et histoire Année 1921 2-1 pp. 40-46 https://www.persee.fr/doc/syria_0039-7946_1921_num_2_1_8760
[33] Ivana Popovic « Une image datée des cavaliers danubiens » Mélanges de l’école française de Rome Année 1991 103-1 pp. 235-245 https://www.persee.fr/doc/mefr_0223-5102_1991_num_103_1_1713
[34] Dumitru Tudor « Corpus monumentorum religionis equitum danuvinorum (CMRED) «  1969 Volume 1 et 2
https://archive.org/details/corpusmonumentor0000tudo/
https://archive.org/details/corpusmonumentor0000tudo_c7l8/
[36] Corpus Cultus Iovis Dolicheni, Brill
[38] Nadezda Gavrilovic « Plaque votive triangulaire de Jupiter Dolichenus de Brza Palanka (Egeta) », https://www.academia.edu/41933162/Triangle_votive_plaque_of_Jupiter_Dolichenus_from_Brza_Palanka_Egeta_
[39] Franz Cumont, « Une dédicace à Jupiter Dolichénus » Revue de philologie 1902 XXVI p 8 https://www.retronews.fr/journal/revue-de-philologie-de-litterature-et-d-histoire-anciennes/01-janvier-1902/2389/4793068/6
[40] Corpus Cultus Iovis Sabazii (CCIS)
[41] Margarita Tacheva-Hitova « Eastern Cults in Moesia Inferior and Thracia (5th Century B.C.-4th Century A.D.) » dans la collection “Religions inthe Graeco-Roman World Online » volume 95, E. J. Brill Leiden 1983
[42] Dilyana Boteva « À propos des « secrets » du Cavalier thrace » Dialogues d’histoire ancienne Année 2000 26-1 https://www.persee.fr/doc/dha_0755-7256_2000_num_26_1_2414
[43] Corpus Cultus Equitis Thracii (CCIT)
[44] Teohari Antonescu « Cultul cabirilor in Dacia » 1889

Lune-soleil : thèmes chrétiens

31 décembre 2022

Dans les oeuvres chrétiennes, l’immense majorité des couples Soleil-Lune se trouve dans les Crucifixions. Cet article regroupe d’autres cas, soit antérieurs à l’apparition de l’iconographie de la Crucifixion, soit figurant dans d’autres contextes.

Article précédent : Lune-soleil : cultes orientaux

Iconographies chrétiennes précédant la Crucifixion

L’art paléochrétien a longtemps reculé devant la représentation directe de la Crucifixion, remplacée par des abstractions.

Les symboles cosmiques dans les sarcophages de la Passion

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325-50 Sarcophage no 171 de la serie dit de la Passion, Museo Pio Cristiano, VaticanSarcophage de la Passion (détail), 325-50, N°71, Museo Pio Cristiano, Vatican

Dans ce sarcophage qui a donné son nom au « type de la Passion », deux soldats sont assis de part et d’autre d’une croix ; au dessus, une couronne bordant un chrisme est picorée par deux colombes, lesquelles symbolisent peut-être les fidèles qui bénéficient de la Résurrection [1]. Elles picorent la couronne,  sans s’effrayer de l’aigle qui la tient dans son bec.


325-50 Sarcophage de la Passion N° 71, Museo Pio Cristiano, Vatican DETAIL

Les figurations du Soleil et de la Lune, tout en haut, sont en tout cas le plus ancien exemple connu d’association entre les luminaires et la croix.



325-50 Sarcophage no 171 de la serie dite de la Passion, Museo Pio Cristiano, Vatican schema

Les scènes ne sont pas disposées selon la chronologie, mais selon des considérations de symétrie  :

  • le compartiment central (4) comporte deux soldats ;
  • les compartiments 2 et 1a comportent chacun  un soldat et Jésus ;
  • les compartiments  latéraux (3 et 1b)  sont centrifuges, entre Jésus sortant à gauche vers le calvaire, et Pilate à droite regardant dans l’autre sens.

On notera l’insistance sur les couronnes de lauriers (en vert). Celle de la scène 3 se substitue à la couronne d’épines, remplaçant l’outrage par l’hommage.  La couronne au dessus de la Croix peut avoir  un double sens :

  • lorsque, comme souvent, c’est la main de Dieu qui l’amène ici-bas, elle symbolise la  Victoire qui l’emporte sur le Martyre ;
  • lorsque, comme ici, c’est le bec de l’aigle qui l’emporte vers les hauteurs, elle symbolise la Résurrection qui l’emporte sur la Mort.

« C’est lui qui délivre ta vie de la fosse, qui te couronne de bonté et de miséricorde. C’est lui qui comble de biens tes désirs ; et ta jeunesse renouvelée a la vigueur de l’aigle.
Psaume 103,4-5

Cet aigle aux ailes déployées apparaît dans plusieurs sarcophages de la série ( [2], [3] ) mais c’est le seul cas où il forme comme un firmament portant le Soleil et la Lune. Pour Gerke [3], les trois renvoient au symbolisme du pouvoir cosmique impérial :

Auguste Prima porta cuirasse gros planAuguste Prima porta cuirasse gros plan schemaAuguste de Prima Porta, détail de la cuirasse [4

  • à gauche, SOL conduit son quadrige ;
  • au centre, CAELUS étend son voile ;
  • à droite, AURORA tient sa cruche de rosée devant LUNA qui éclaire la nuit avec son flambeau.



325-50 Sarcophage de la Passion N° 71, Museo Pio Cristiano, Vatican DETAILsoldats
Cette symbolique du Jour et de la Nuit est endossée par les deux soldats assis sous le patibulum :

  • celui qui veille, du côté du Soleil et de Jésus partant vers le supplice : le Croyant ;
  • celui qui dort, du côté de de la Lune et de Pilate regardant dans le vide : l’Incroyant ( [5], p 59).


La série des sarcophages de la Passion, assez tardive, a peu de représentants, dont seulement quatre  avec les luminaires.


Le sarcophage de Julia Latronilla

Sarcophage de Julia Latronilla 330 ca Bible Lands museum JerusalemSarcophage de Julia Latronilla, Bible Lands museum, Jerusalem

Très proche du sarcophage du Museo Pio Cristiano, ce sarcophage présente des personnifications plus nettes : Sol tient les rênes de son char et Luna une torche. Le lien avec le soldat réveillé et le soldat endormi est confirmé.


Le sarcophage de Manosque

Sarcophage anastasis type de la passion 5eme -Eglise_Notre_Dame_de_Romigier Manosque.Sarcophage de l’Anastasis, 5ème siècle, Eglise Notre Dame de Romigier, Manosque
Sarcophage anastasis type de la passion 5eme -Eglise_Notre_Dame_de_Romigier Manosque etat ancien Deustch Archeol Institut 60.1572Etat restauré (d’après un dessin de Péreisc), Deustch. Archeol. Institut 60.1572

Répartis des deux côtés de la croix, les douze apôtres élèvent leur bras droit dans un geste d’acclamation. Les deux soldats aujourd’hui supprimés (tout comme les autres restaurations) n’étaient pas assis, mais debout en miroir, comme les apôtres. Solennelle et éloignée de tout aspect narratif, la composition illustre le Triomphe de la Croix. Pas d’aigle pour emporter dans les airs le chrisme et sa couronne : ornée de lemnisques, elle est posée en haut de la croix comme un trophée de la Victoire, gardée par les deux soldats [6].

Représentés par leurs personnifications, comme dans les deux autres cas, les luminaires évoquent un au-delà divin, réservé au Christ seul ; représentés par leur symboles , ils s’inscrivent dans la continuité des douze étoiles des Apôtres, formant un firmament continu, accessible aux humains.


Le sarcophage disparu de Saint Rémy de Provence

Musee des Alpilles, Saint Remy de Provence Brigitte Christern-Briesenick Repertorium cat 502Musée des Alpilles, Saint Rémy de Provence ( [7], N° 504)

Dans cette composition très similaire, les luminaires ne sont pas inversés. On note que leur position est cohérente avec celle des deux soldats, l’un réveillé et l’autre assis, mais pas avec les deux scènes du couvercle : le soleil est au dessous de la scène négative (les Mages devant Hérode) et la lune au dessous de la scène positive (la Nativité avec l’Etoile). Il faut donc bien considérer les luminaires comme partie intégrante de la scène du bas.


L’inversion du sarcophage de Manosque (SCOOP !)

La particularité du sarcophage de Manosque est que les deux soldats sont debout dans des attitudes parfaitement symétriques : ils perdent donc toute notion d’Eveil et de Sommeil.

Comme l’a noté F.Benoit [8], cette posture les apparente aux  Dioscures « conservateurs », parfois représentés à pied, montant la garde avec leur lance. Dans l’iconographie païenne, ils sont associés à la préservation du cycle du Jour et de la Nuit (voir Lune-soleil : dans l’art gréco-romain). Ici, ils accompagnent les luminaires dans une sorte de garde d’honneur autour de la Croix.

L’inversion Lune-Soleil signifie très certainement qu’à la Nuit de la Mort succède la Lumière de la Résurrection.


Les étoiles sans les luminaires

Cathedrale de Palerme 375-400Cathédrale de Palerme, 375-400

Ce sarcophage présente lui aussi les deux soldats debout, regardant vers le haut et retournant leur lance vers le bas, manière sans doute de souligner la victoire écrasante du Christ. Les douze étoiles, situées cette fois en avant de chaque apôtre, n’ont pas laissé de place au centre pour rajouter les luminaires.


Sarcophage_de_l'Anastasis Arles-MuseeSarcophage de l’Anastasis, Musée d’Arles

Ce sarcophage démultiplie les étoiles, avec une alternance une/deux pour chaque apôtre.


Les luminaires dans une autre scène

Sarcophage du Christ au Globe Arles F.Benoit 1954 fig VI,1Sarcophage du Christ au Globe, Arles [9]

Le Soleil et la Lune apparaissent dans les écoinçons au dessus du Christ, à l’issue d’une gradation de motifs illustrant la récompense céleste : oiseau becquetant, corbeille de fruits, couronne. Les luminaires ont subi un embellissement graphique qui leur a fait perdre leur aspect cosmique : on ne reconnaît le soleil qu’à ses sept rayons, et la lune, englobant une étoile à six banche, a pratiquement perdu sa forme en croissant. On peut pratiquement les considérer ici comme des éléments de Majesté qui complètent le globe céleste sur lequel le Christ est assis. Dans les sarcophages de l’Anastasis, ils s’inscrivaient dans le Ciel étoilé qui unifiait les douze apôtres ; ici au contraire, ils contribuent à isoler le Christ, en magnifiant le compartiment central.


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Le panneau de Sainte Sabine

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5eme Santa Sabina Panneau Parousie422-432, panneau de la porte de Sainte Sabine, Rome

 La composition du panneau est claire  :

  • en haut une scène de Majesté : le Christ entouré du Tétramorphe, entre l’Alpha et l’Omega, écarte le bras droit et tient dans la main gauche un rouleau (la principale différence avec les futures Majestas domini est la posture debout, et non trônant) ;
  • en bas un groupe de trois personnes, un homme tenant un rotulus, une femme voilée et un homme chauve, regardent vers le haut, les deux hommes élevant le bras vers un objet cruciforme.

C’est l’assemblage unique de ces deux scènes qui pose problème, et a donné lieu à de nombreuses interprétations.  Celles encore propagées par la plupart des livres sont :

  • l’Ascension : la femme est Marie regardant Jésus monter au ciel ;
  • l’Assomption : la femme est Marie se préparant à le rejoindre ;
  • le Triomphe de l’Eglise : la femme est l’Ecclesia entre ses deux chefs Pierre et Paul, attendant de rejoindre le Christ son époux.

D’autres propositions, la femme est Sainte Sabine, ou bien l’Eglise de Rome couronnée par le Christ, sont aujourd’hui abandonnées.


Le rouleau et son texte mélangé (SCOOP !)

Vues de près, les choses se compliquent encore. Un premier casse-tête est le texte sur le rouleau du Christ, en écriture onciale grecque (avec le sigma lunaire) :
5eme Santa Sabina Panneau detail lettres
on lit verticalement ΙΧΥΘΣ (la sixième lettre, un P ou un K, est probablement un artefact ( [10], p 84]) , assez proche de IΧΘΥΣ (ichtus, le Poisson) mais avec une inversion inexpliquée, gênante pour un acronyme chrétien aussi célèbre : Iêsoûs Khristòs Theoû Huiòs Sôtếr, Jésus-Christ De Dieu Fils Sauveur.


Mosaique de l'abside detail 6eme s sant appolinare in classe RavenneMosaïque de l’abside (détail) 6eme siècle, Sant Appolinare in classe, Ravenne

Dans cette mosaïque représentant la Transfiguration, l’inscription IΧΘΥΣ en haut de la Croix (à l’emplacement du panonceau) est au contraire mise à l’honneur pour sa symétrie, qui s’étend aux autres inscriptions :

  • ΙΧ (Jésus-Christ) à gauche, du côté de la lettre alpha et du mot Salus ;
  • Θ (Théos) au centre, à l’aplomb du gemme portant le visage du Christ ;
  • ΥΣ (Fils Sauveur) à droite, du côté de la lettre oméga et du mot Mundi.

Il est probable qu’à Sainte Sabine, les deux lettres ont été interverties pour exploiter d’une autre manière cette symétrie :

  • ΙXY (Jésus-Christ Fils) à gauche, du côté de la lettre alpha,
  • ΘΣ (Dieu Sauveur) à droite, du côté de la lettre oméga.

La moitié gauche de l’inscription correspond ainsi au commencement de l’histoire (alpha, Jésus crucifié) et à la moitié droite à sa fin (oméga, le retour en tant que Dieu Sauveur).


L’objet en suspension

5eme Santa Sabina Panneau detail croix

Un second casse-tête est l’objet cruciforme au dessus du trio : une couronne à la forme bizarre ? un lustre suspendu à rien ?


5eme Santa Sabina Panneau detail croix inverse

Dans un article brillant, Kantorowicz [11] a montré qu’il s’agissait tout bonnement d’une croix entourée d’un halo circulaire : symbole courant, mais ici inversé verticalement. Il en a conclu qu’il s’agissait de la croix dont l’apparition précède le retour du Christ, lors de la Parousie : dans son trajet vers le bas, elle est en train de revenir vers les trois principaux protagonistes de l’événement inverse, l’Ascension : à savoir Marie et les deux principaux apôtres :

5eme Santa Sabina Panneau Parousie bas

On peut remarquer, par ailleurs, que le halo autour de la croix fait écho à la grande couronne de lauriers qui forme comme une gloire autour du Christ.


Entre Pierre et Paul

Le seul attribut distinctif, la calvitie de l’homme de droite, incite à y reconnaître l’apôtre Paul. Le chef des Apôtres et de l’Eglise, Pierre, est donc à gauche, à la place d’honneur par rapport à la femme voilée, qu’il s’agisse de Marie ou d’Ecclesia. [12]


Garrucci, Raffaele, 1812-1885 Vetri ornati di figure in oro trovati nei cimiteri cristiani di Roma (Roma Tipografia delle belle arti, 1864) planche IXGarrucci, Raffaele, 1812-1885 Vetri ornati di figure in oro trovati nei cimiteri cristiani di Roma (Roma Tipografia delle belle arti, 1864) planche IX

Au moins un fond de verre doré des Catacombes (N°7) montre entre Pierre et Paul une femme voilée en orante, nommée Maria. On la trouve également seule, entre deux arbres. D’autres fonds de verre du même type [13] présentent dans la même posture Sainte Agnès entre Pierre et Paul.


MARIA VIRGO MINESTER DE TEMPULO GEROSALE vers 375 Basilique de Sainte-Marie Madeleine, Saint-Maximin La-Sainte-BaumeLa Vierge-Marie, ministre du Temple de Jérusalem
vers 375 Basilique de Sainte-Marie Madeleine, Saint-Maximin La-Sainte-Baume ( [14], p 80)

Pour Ally Kateusz, cette posture de femme en orante serait la trace, censurée par la suite, du rôle sacerdotal qu’auraient tenu certaines femmes au début de la Chrétienté. L’interprétation officielle est qu’il s’agit d’une défunte (orantes anonymes des catacombes) ou d’Ecclesia. Mais on voit que rien ne s’oppose, iconographiquement, à interpréter l’orante voilée de Sainte Sabine comme étant Marie.


5eme Santa Sabina Panneau Pierre et PaulLe Christ entre Pierre et Paul
422-432, panneau de la porte de Sainte Sabine, Rome

Un petit panneau de la porte montre Pierre et Paul avec les mêmes caractéristiques physiques, cette fois debout autour du Christ. Les spécialistes considèrent cette scène comme une « Traditio legis » un peu bizarre (voir [15] , p 63) (voir 2 Epoque paléochrétienne). Elle s’en écarte pourtant sur plusieurs points essentiels :

  • le Christ est de plain-pied, au lieu d’être au sommet d’une petit tertre ;
  • le Christ tient dans sa main gauche un objet indistinct (perle, morceau de pain ?) au lieu de tenir un rouleau ;
  • Pierre est à gauche et tend ses mains voilées, au lieu d’être placé à droite pour recevoir le rouleau ;
    les trois sont auréolés, tandis que seul Jésus l’est (parfois) dans les « Traditio legis ».


Sarcophage de Probus, Grottes de Saint Pierre, VaticanSarcophage de Probus, Grottes de Saint Pierre, Vatican Pierre Paul Jesus Vatican Museum.Pierre et Paul autour du Christ, Vatican

Ces deux exemples sont ceux qui se rapprochent le plus de la scène, bien que le Christ soit distingué par sa surélévation (la montagne du paradis, avec ses quatre fleuves) ou son auréole. Dans le sarcophage, Pierre est privilégié par sa position, à la droite du Christ et de la Croix ; dans le fond de verre s’ajoutent deux autres éléments de distinction : son geste qui imite celui du Christ, le regard que celui-ci lui accorde.

On en est conduit à supposer que le panneau de Sainte Sabine, avec son parti-pris d’égalité dans la Sainteté (les trois auréoles), représente une iconographie dont il ne reste aucun autre exemplaire : le Christ accueillant Pierre et Paul au Paradis (les palmiers sont souvent le symbole de la félicité éternelle et l’objet oblong dans les mains du Christ pourrait être une datte).


Ciampini Mosaique Ste SabineMosaïque de Sainte Sabine, 5ème siècle, dessin de Ciampini, 17ème siècle

Notons qu’au revers du mur d’entrée de Sante Sabine, se trouve une mosaïque contemporaine à la porte, dont la partie haute ne nous est plus connue que par ce dessin : elle montrait une troisième fois le couple Pierre et Paul, dans le même ordre, l’un au dessus de l’Ecclesia ex Circumcisione (église s’adressant aux Juifs), l’autre de l’Ecclesia ex Gentibus (église s’adressant aux non-juifs). [16]


5eme Santa Sabina Panneau Pierre et Paul 5eme Santa Sabina Panneau Parousie bas

Les deux compositions « entre Pierre et Paul » de la porte de Sainte Sabine partagent avec les verres des catacombes leur caractère synthétique, sans rapport avec un événement précis. Ils composent une sorte de pendant, où le Christ (auréolé, au Paradis) fait écho à Marie (sans auréole, sous le firmament).


ASTOR and MARIA. Novalje Reliquary Box, late 300s. Zadar MuseumPASTOR et MARIA, Reliquaire de Novalje , fin 4ème siècle, Zadar Museum([14], p 121)

Ally Kateusz a rassemblé un certain nombre de composition fonctionnant sur ce principe d’appariement, vertical ou horizontal, entre la Mère et son Fils.


Parousie ou Dormition ?

5eme Santa Sabina Panneau AscensionAscension du Christ 5eme Santa Sabina Panneau ParousieParousie

Une autre type de dialogue, thématique cette fois, s’établit entre ces deux grands panneaux.

Dans celui de gauche, tout le monde s’accorde à reconnaître l’Ascension du Christ, accueilli au ciel par des anges.

Celui de droite représente, selon Kantorowicz, le mouvement inverse de descente du Christ vers la terre au moment de la seconde Parousie :

  • pro : cela explique la Croix, signe précurseur, dirigée vers le bas, ainsi que les signes cosmiques ;
  • anti : aucun texte parousiaque ne précise la présence, sur Terre, de Marie, Pierre et Paul.

Selon Ally Kateusz ( [17], p 292), dans certains apocryphes orientaux, Jésus descend du ciel chercher sa mère au moment de sa mort, en présence de tous les disciples, dont Pierre et Paul. Voici la partie du texte qui mentionne des phénomènes cosmiques survenus au moment de la Dormition :

« Et quand ils y arrivèrent (les gardes), voici, ils virent les portes du ciel ouvertes et des anges de Dieu descendre et entrer dans la maison de Marie. Et des éclairs et des tonnerres sortirent aussi de la maison de Marie et montèrent au ciel. Puis ils virent les disciples s’occuper de la sainte. Et ils virent aussi des nuages venant du ciel et répandant de l’humidité et de la brume sur Bethléem. Et ils virent aussi des étoiles descendre du ciel et se prosterner devant sainte Marie. Et ils virent aussi le soleil et la lune, qui illuminaient le monde entier, descendre du ciel et se prosterner devant Marie. Et ils virent aussi la sainte allongée sur son cercueil, avec l’ange Gabriel debout à sa tête et Michel au pied de son lit, et ils éventaient la sainte avec les éventails à la main. Et alors ils virent les apôtres debout près de son cercueil avec crainte et tremblement, levant les mains au ciel. » Dormition syriaque dite des Six Livres), manuscrit éthiopien [18]

Un peu plus loin dans le texte, le Christ descend enfin du Ciel sur un chariot de feu, accompagné d’une multitude qui fait des allers-retours avec le ciel.

Expliquer le panneau de Sainte Sabine par l’apocryphe de la Dormition, c’est sélectionner les détails qui nous arrangent et évacuer tous les autres phénomènes merveilleux surnuméraires où on peut trouver à peu près tout, sauf le détail-clé de la croix descendant du ciel.

J’en resterai donc à l’opinion de Kantorowicz : le panneau de sainte Sabine est une des premières tentatives pour représenter la Parousie, d’une manière schématique et conceptuelle, très imprégnée par l’esthétique symétrique des verres dorés des catacombes


L’inversion Soleil-Lune (SCOOP !)

Le Tétramorphe et les lettres Alpha et Omega sont des signes apocalyptiques. Le soleil, la lune, et les cinq étoiles aussi, surtout si l’on remarque, comme Maser ( [19] , p 37), leur taille démesurée.



5eme Santa Sabina Panneau detail soleil
Personne ne s’est appesanti sur le dessin très particulier des deux astres : la Lune est un disque contenant un petit croissant, et le grand soleil contient en lui-même un autre soleil plus petit et avec moins de rayons (ce n’est pas une main de Dieu, comme on le lit parfois). Si on y rajoute la pluie d’étoiles, on est tout de même très proche des phénomènes célestes décrits par un des textes sur la Parousie :

« Aussitôt après la tribulation de ces jours, le soleil s’obscurcira, la lune ne donnera pas sa clarté, les astres tomberont du ciel, et les puissances des cieux seront ébranlées. Alors apparaîtra dans le ciel le signe du Fils de l’homme, et alors toutes les tribus de la terre se lamenteront, et elles verront le Fils de l’homme venant sur les nuées du ciel avec grande puissance et gloire ». Matthieu 24,29-3O

Comme Kantorowitz, je proposerais une chose très simple : retourner non seulement la croix, mais toute la zone qui l’environne :

5eme Santa Sabina Panneau detail soleil - inverse
Tel que le voit le Christ lors de son atterrissage, le Monde retrouve sa hiérarchie, Soleil à gauche de la croix et Lune à gauche. Les deux astres, comme avalés par eux-mêmes, sont une première tentative de figurer l’extinction des luminaires, avant la solution, plus satisfaisante, des personnifications tenant un voile devant elles.



L’olifant de Saint Arnoul

Olifant, abbaye de Saint-Arnoul de Metz, sud de l'Italie, fin du 11ème, Musee de Cluny a Nouveaux_mélanges_d'archéologie_d'histoire_et_[...]Cahier_Charles

Olifant, sud de l’Italie, abbaye de Saint-Arnoul de Metz, fin du 11ème, Musée de Cluny

Cet olifant présente un mélange rare d’éléments orientaux (pour les bandes décoratives) et chrétiens : autour d’une Ascension du Christ au dessus de Marie en orante se développent sur les flancs les Apôtres, en deux colonnes de six. Sur la partie concave on trouve la main de Dieu, les quatre Evangélistes et un motif animal de remplissage (chien ou écureuil).

Charles Cahier, qui a le premier décrit cette iconographie déconcertante [19a], a noté l‘inversion de la Lune et du Soleil, sans proposer d’explication convaincante.

Faut-il faire le rapprochement avec la Parousie de Sainte Sabine, et postuler une tradition commune entre les deux, qui inverserait les luminaires pour signifier qu’il s’agit d’une descente et non d’une montée aux cieux ? Les Ascensions/Parousies avec luminaires sont si exceptionnelles qu’une convention graphique aussi particulière est impossible à établir.


Olifant, abbaye de Saint-Arnoul de Metz, sud de l'Italie, fin du 11ème, Musee de Cluny b Olifant, abbaye de Saint-Arnoul de Metz, sud de l'Italie, fin du 11ème, Musee de Cluny b schema

 

D’autant qu’une explication plus simple est ici facile à trouver : si on se centre sur la partie concave – celle qui était visible par le public – on voit la main de Dieu entourée par les Evangélistes et les Apôtres, avec les deux luminaires dans l’ordre canonique.

Confronté à cette configuration circulaire, l’ivoirier a simplement choisi de représenter au recto le Ciel éternel autour du Père, et au verso l’Ascension du Fils porté par les Anges. Sur les flancs, les Apôtres sont communs aux deux scènes : en tant que collège apostolique et en tant que témoins de l’Ascension.



Le Soleil et la Lune dans le psautier d’Utrecht

Ce manuscrit, daté des années 820, est la copie d’un manuscrit perdu datant probablement du début du 6ème siècle [20]. Les deux luminaires y sont employés de diverses manières, illustrant le texte des psaumes d’une manière créative, cohérente et étonnamment logique : ce qui donne la clé des quelques cas d’inversion Lune-Soleil.

Psaume 19 (inversion)

Utrecht Psalter Psaume 19 fol 10v

  • « Le jour crie au jour la louange, la nuit l’apprend à la nuit« . Psaume 19,3
  • « C’est là qu’il a dressé une tente pour le soleil« . Psaume 19,5

Le soleil et la lune illustrent le jour et la nuit, les médaillons doubles traduisant les monologues de chaque entité avec elle-même. L’inversion Lune-Soleil sert à ce que la « tente » soit encadrée par deux représentations solaires, l’une en médaillon, l’autre en buste sortant des nuages.


Psaume 30

Utrecht Psalter Psaume 30 fol 16vFol 16 v

  •  Seigneur, vous avez tiré mon âme du séjour des morts. Psaume 30,4
  • « Le soir viennent les pleurs, et le matin l’allégresse ». Psaume 30,6

Le soleil au dessus du personnage joyeux signifie ici le matin, la lune au dessus du personnage qui pleure, le soir.

Plutôt que d’inverser les luminaires pour suivre l’ordre du texte, le copiste a privilégié l’ordre logique où le matin vient avant le soir.  Mais ce choix permet surtout de placer l’Allégresse au dessus du Christ tirant le mort de la tombe, scène qui ne peut se trouver qu’en bas à gauche pour créer une lecture ascensionnelle, du séjour des morts à la main de Dieu.

Cette image inaugure une dissymétrie dans le couple  que nous rencontrerons à plusieurs reprises dans le manuscrit :  tandis que le soleil est personnifié dans un médaillon,  la lune est montrée de manière réaliste, comme un croissant entouré d’étoiles.

Nous verrons que le copiste emploie indifféremment toutes les formules graphiquement valides :

  • pour le soleil, la personnification (dans un médaillon ou sans),  afin d’éviter la confusion avec une simple étoile ;
  • pour la lune, quatre possibilités : la personnification (toujours dans un médaillon) ou le croissant, avec ou sans étoiles.

Je n’ai pas trouvé de « grammaire » cohérente pour ces combinaisons, qui relèvent plutôt d’un souci purement graphique de lisibilité et de  variété.


Psaume 49

Utrecht Psalter Psaume 49 fol 28vFol 28v

« Le Dieu des dieux, le Seigneur a parlé; il a convoqué la terre du levant au couchant« . Psaume 49,1

Les deux demi-soleils illustrent le levant (le soleil avec sa torche qui entre dans l’image) et le couchant (le soleil qui en sort).


Psaume 55 (inversion)

Utrecht Psalter Psaume 55 fol 31rFol 31r

  • « La crainte et l’effroi m’assaillent, et les ténèbres m’enveloppent. Et je dis: Qui me donnera des ailes comme celles de la colombe, pour prendre mon vol et trouver un lieu de repos ? » Psaume 55,6-7
  • « Le soir, le matin, au milieu du jour, je me plains, je gémis, et il entendra ma voix. » Psaume 55,18

Le croissant entouré d’étoiles illustre les ténèbres du verset 6, et la colombe qui s’envole vers la droite le verset 7.

Le soleil a été rajouté au couple pour signifier le soir et le matin, inversés pour suivre l’ordre du verset 18. Le troisième moment, « au milieu du jour« , est  évoqué par la main de Dieu au milieu du ciel.

Tandis que la colombe vole en plein ciel, le soleil est englobé dans le même nuage que la lune : c’est sans doute pour insister sur l’idée de ténèbres que l’artiste a représenté, unique cas dans le manuscrit, le soleil sans son médaillon : preuve que celui-ci vu comme une sorte de mandorle lumineuse.


Psaume 72 (inversion)

Utrecht Psalter Psaume 72 fol 40vFol 40v

  • « Que son empire subsiste tant que brillera le soleil, tant que la lune donnera sa lumière, d’âge en âge ». Psaume 72,5
  • « Qu’en ses jours apparaisse la justice, avec l’abondance de la paix, jusqu’à ce que la lune ait cessé d’exister«  Psaume 72,7

Face aux contradictions du texte, le copiste a trouvé une solution graphique tortueuse :

  • pour illustrer la luminosité pérenne du verset 5, il a fusionné les deux personnifications en une seule, sans aucune caractéristique (rayons ou croissant) ;
  • pour illustrer la disparition de la lune du verset 7, il a placé cette mandorle indifférenciée là  où la lune devrait se trouver : tout se passe en somme comme si le soleil s’était déplacé à droite pour l’absorber.


Psaume 73

Utrecht Psalter Psaume 73 fol 41vFol 41v

« Tout le jour je suis frappé, chaque matin mon châtiment est là « . Psaume 73,14

Sans surprise, le soleil illustre le matin.


Psaume 74

Utrecht Psalter Psaume 74 fol 42rFol 42r

« A toi est le jour, à toi est la nuit; c’est toi qui as créé l’aurore et le soleil. C’est toi qui as fixé toutes les limites de la terre; l’été et l’hiver, c’est toi qui les a établis ». Psaume 74 16,17

Le dessin suit strictement l’ordre du texte :

  • le jour et la nuit,
  • l’aurore et le soleil (la pluie de rayons représente la rosée),
  • l’été (personnage dévêtu) et l’hiver (personnage emmitouflé).


Psaume 91

Utrecht Psalter Psaume 91 fol 53vFol 53v

  • « Celui qui s’abrite sous la protection du Très Haut repose à l’ombre du Dieu du ciel.«  Psaume 91, 1
  • « Tu n’auras à craindre ni les épouvantes de la nuit, ni la flèche qui vole pendant le jour, ni les complots qui s’ourdissent dans les ténèbres, ni les attaques du démon du midi. » Psaume 91, 5-6

Le verset 1 est illustré par le Temple en haut à gauche (la protection du Très Haut) et par le soleil juste au dessus (à l’ombre du Dieu du ciel).

Le soleil et la lune représentent  le matin et le soir (non cités dans le psaume), ce qui permet de placer en dessous des ces deux bornes les archers qui illustrent « la flèche qui vole pendant le jour« . Très logiquement, le démon de midi est positionné entre le matin et le soir.


Psaume 96

Utrecht Psalter Psaume 96 fol 56rFol 56r

Chantez à Yahweh, bénissez son nom! Annoncez de jour en jour son salut. Psaume 96,2

Les deux soleils illustrent de jour en jour.


Psaume 103

Utrecht Psalter Psaume 103 fol 59rFol 59r

Autant l’orient est loin de l’occident, autant il éloigne de nous nos transgressions. Psaume 103,12

Le soleil illustre l’orient et la lune l’occident.


Psaume 104

Utrecht Psalter Psaume 104 fol 59vFol 59v

Vous avez fait la lune pour marquer les temps, et le soleil qui connaît l’heure et le lieu de son coucher. Vous amenez les ténèbres, et il est nuit. Psaume 104,19-20

Les luminaires suivent l’ordre du texte. De plus, la lune environnée d’étoiles illustre les ténèbres.


Psaume 110

Utrecht Psalter Psaume 110 fol 64vFol 64v

Du sein de l‘aurore vient à toi la rosée de tes jeunes guerriers. Psaume 110,3

Comme le psaume ne cite pas le soleil, le copiste a suivi littéralement le texte pour aboutir à une représentation très précise de l‘aurore : une étoile à huit branches (dont c’est la seule apparition dans le manuscrit) d’où pleuvent des rayons (la rosée), lesquels allument en bas les torches des jeunes guerriers.


Psaume 148

Utrecht Psalter Psaume 148 fol 82vFol 82v

« Louez-le, vous tous, ses anges; louez-le, vous toutes, ses armées. Louez-le, soleil et lune; louez-le, brillantes étoiles. Louez-le, ciel des cieux, et vous, eaux suspendues dans les régions célestes » Psaume 148, 2-4

Le géant barbu qui présente chaque luminaire est probablement une manière d’imager le « ciel des cieux ».



Le Soleil et la Lune chez les Wisigoths

Ermitage de quintanilla-de-las-vinas Burgos VIIeme wisigothique ensemble reliefsErmitage de Quintanilla de las Vinas, Burgos, VIIème ou IXème siècle

Cette église est particulièrement frustrante puisque deux datations s’affrontent : selon la thèse aujourd’hui dominante, l’édifice serait wisigothique ; selon la thèse alternative, il serait mozarabe, deux ou trois siècles plus tard. La présence de la Lune et du Soleil de part et d’autre de l’arc triomphal n’a pas éclairci la situation : certains ont cru y déceler une survivance de l’hérésie manichéene (Vème siècle), voire du culte de Mithra (IIème-IIème siècle) [21].


13eme s, Mar Tadros, Behdidat LibanEglise de Mar Tadros, 13ème siècle , Behdidat, Liban

La présence des luminaires sur l’arc triomphal n’a pratiquement aucun équivalent, mis à part deux églises libanaises (Behdidat, Kfar Chleymane) où ils encadrent le médaillon de l’Emmanuel, tout en haut de l’arc triomphal.


Le couple Luna-Sol

Ermitage de quintanilla-de-las-vinas Burgos VIIeme wisigothique detail
Côté Lune, le visage semble porter une discrète barbiche. Selon certains, cette Lune masculine renverrait à la langue germanique des Wisigoths ; mais l’inscription LUNA est bien du genre féminin.

Le bas-relief du Soleil comporte en plus une palmette (ou un épi) et une lyre (ou une coupe) : on peut donc y voir, au choix, une référence à Apollon ou au Christ.

Les deux luminaires s’inscrivent dans un clipeus porté par deux anges.


Autel de Ratchis VIIIeme siecle oratorio de Santa Maria in Valle de Cividale del FriuliAutel de Ratchis, VIIIème siècle, Oratoire de Santa Maria in Valle, Cividale del Friuli

Le rapprochement s’impose avec cette « Majestas Dei » lombarde, où la couronne de lauriers, tenue en haut par la main de Dieu, est elle-aussi en sustentation angélique.


L’inscription votive

A Quintanilla, le bas-relief du Soleil se distingue par une inscription votive :

L’infime dame Flammola offre cet infime présent à Dieu

HOC EXIGVVM EXIGVA OFF(ert) DO(mina) FLAMMOLA VOTUM D(eo)

Le répétition rhétorique de l’adjectif « exiguus » ne se retrouve que dans la dédicace d’un édifice beaucoup plus important, la Cathédrale d’Oviedo, par le roi des Asturies Alphonse II le Chaste en 812 (ce qui pourrait être un argument en faveur de la datation tardive) :

Les travaux déjà achevés de ce temple, moi Alphonse, ton infime serviteur, je te les dédie comme une infime offrande.

Uius perfectam fabricam templi exiguus servus tuus Adefonsus exiguum tibi dedico muneris votum.

En général, les tenants de la datation précoce considèrent que la Lune et le Soleil symbolisent l’Eglise et le Christ, en puisant dans un traité dédié au roi wisigoth Sisebut :

« Mais parfois aussi, la lune est encore considérée comme l’Eglise parce qu’elle est éclairée par le Soleil comme l’Eglise par le Christ » Isidore de Séville, De natura rerum, 18,6


Une Majestas Dei primitive

Christ au dessus de l’arc triomphal, photo Enrique Domínguez Perela [22]

Les deux impostes font système avec la figure bénissante au dessus de l’arc, qui ne peut être que le Christ Pantocrator.

Il semble donc plus raisonnable de considérer que les luminaires ne représentent rien d’autre qu’eux même (plus peut être un hommage discret à la donatrice, dont le prénom est très proche du latin flammula, petite flamme). Le sculpteur de Quintillina semble avoir voulu réaliser une sorte de Majestas Dei primitive, où Dieu règne du haut du ciel sur Luna et Sol dument christianisés, puisque propulsés par des anges.

Cette intention cosmique explique amplement l’inversion, le Soleil se trouvant ainsi côté Sud, qui est aussi le côté réservé aux hommes à l’intérieur de l’église (voir 1-3 Couples irréguliers ).


Couple céleste, couple terrestre (SCOOP !)

Ermitage de quintanilla-de-las-vinas Burgos VIIeme wisigothique ensemble reliefsDeux autres bas-reliefs, dont on ne connaît pas l’emplacement initial, montrent eux-aussi des anges, mais cette fois sans auréole et ne tenant pas de clipeus : il ne sont pas ici pour véhiculer dans le ciel, mais plutôt pour escorter sur la terre.

Ces deux « portraits terrestres », l’un sans attribut, avec une chevelure et des vêtements symétriques, l’autre tenant un crucifix, avec une chevelure à double torsade et un manteau dissymétrique, sont dans le même rapport de gradation que les deux médaillons célestes.

D’où mon hypothèse qu’il s’agisse des portraits d’une soeur et d’un frère, homologue au couple céleste.



Ermitage de quintanilla-de-las-vinas Burgos VIIeme wisigothique detail croix
On remarquera que, côté homme, les deux croix ne sont pas identiques : l’une est en lévitation au dessus de la main de l’ange tandis que l’autre est brandie par l’homme, comme si l’une descendait du ciel à la rencontre de l’autre. Si l’on rattache cette scène au calice et à la palme dans le bas-relief du luminaire masculin, on ne peut manquer d’imaginer une allusion à une mort « en martyre ».

Ainsi, plutôt qu’une hypothétique résurgence manichéenne ou mithraïque, l’iconographique si particulière de l’église de Qunitillina pourrait tout aussi bien s’expliquer par un objectif très ambitieux par rapport aux capacités graphiques du sculpteur : réaliser un monument commémoratif, dédié par Flammola à un frère disparu.



Le Soleil et la Lune dans quelques tympans espagnols

En aparté : les chrismes trinitaires en pierre

Tympan Chrisme AzpaEglise d’Azpa (Navarre) Tympan Chrisme PuilampaEglise de Puilampa (Aragon)

Selon Francisco Matarredona Sala [24], qui a établi un recensement complet de ce motif, son développement commence en Navarre sous le roi Sancho Ramírez (1076). Il résulte de la fusion de l’anagramme utilisé dans la chancellerie de Sancho III el Mayor, où figure déjà le S de Sauveur (Soter) , avec la roue, symbole trinitaire courant (avec son moyeu, ses rais et sa jante). Installé à la porte des églises, le chrisme trinitaire devient pendant deux siècles un instrument de lutte contre les hérésies  et un étendard du Christianisme, essentiellement en Navarre et en Aragon.

Parmi les centaines de chrismes recensés, ceux qui sont entourés des symboles solaire et lunaire sont très rares. En ne retenant que les cas indubitables (la lune représentée par un croissant, et non évoquée par une étoile ou une fleur), on trouve en Navarre quatre cas, tous dans la configuration Lune-Soleil, et en Aragon sept cas, dont six sont dans la configuration Soleil-Lune [25].

L’inversion est donc clairement une préférence navarraise.



Le chrisme de la Oliva

Tympan Chrisme 13eme Monasterio_de_la_Oliva Carcastillo schema 2Tympan, XIIIème siècle, Monasterio de la Oliva, Carcastillo (Navarre)

Ce chrisme tardif, un des plus complexes, se situe tout en haut du tympan de cette abbatiale cistercienne, à la façade pratiquement dépourvue d’ornements. Il présente l’inversion navarraise Lune-Soleil.



Tympan Chrisme 13eme Monasterio_de_la_Oliva Carcastillo schema 1
La lecture Début (en bleu clair) / Fin (en jaune), suggérée par l’alpha et l’oméga, explique les deux scènes latérales : l’Enfant-Jésus en majesté, avec ses parents, et le Christ en Majesté, avec le Tétramorphe.

La lecture Nuit (en bleu sombre) / Jour (en orange), suggérée par la Lune et le Soleil, explique les deux symboles du haut : l’étoile nocturne et le coq, qui annonce le retour du Jour. A noter que les deux symboles s’intègrent aussi dans la lecture Début/Fin, si on y voit l’Etoile de Noël et le coq dont le chant annonce le Reniement de Pierre et le jour de la Passion.


Le lion et le griffon

Les deux animaux du bas, un lion et un griffon affrontés, ne s’inscrivent pas directement dans ces binarités.

A première vue, leur position inférieure pourraient en faire des symboles négatifs, ceux  du démon vaincu par l’Agneau :

« Tu marcheras sur l’aspic et le basilic, et tu fouleras aux pieds le lion et le dragon. » Psaume 90,13.



Tympan Chrisme 13eme Monasterio_de_la_Oliva Carcastillo schema 2
En fait, leur voisinage avec les scènes latérales exclut cette connotation  négative : tout comme le Tétramorphe escorte le Christ en Majesté,  les deux quadrupèdes escortent l’Agneau en Majesté, tout en s’intégrant  à la dialectique Début-Fin :

  • le lion, côté Nativité,  pour évoquer l’ascendance royale du Christ (le Lion de Juda),
  • le griffon, côté Majestas,  en tant que symbole habituel de la Résurrection.


Crismon_Catedral_de_JacaTympan de la cathédrale de Jaca, XIème siècle

Pour être complet, signalons qu’il existe deux tympans aragonais antérieurs (Santa Cruz de la Serós et Jaca), où le chrisme est accosté par des quadrupèdes, en l’occurrence des lions affrontés. Leur symbolique n’a rien à voir : au tympan de Jaca, ils jouent le rôle d’intercesseur (à gauche) et de protecteur (à droite), comme l’indiquent les inscriptions :

Le lion sait pardonner aux humbles, et le Christ à ceux qui l’implorent

Le lion est fort en piétinant l’Empire de la Mort

PARCERE STERNENTI: LEO SCIT XPSQ PETEND.

IMP(ER)IVM MORT(I)S CON CVLCANS E(ST) LEO FORTIS

A gauche, le pénitent est représenté par un homme chassant un serpent ; à droite, les périls mortels par un lion et un basilic.

Le texte qui entoure le chrisme prétend en expliquer les composants, d’une manière très énigmatique :

P=Pater, alpha=Genitus, « duplex »= Spiritus Sanctus.

Le terme « duplex » est interprété par certains comme signifiant l’oméga ([25], p 63), par d’autres comme signifiant le X, l’ensemble donnant le mot PAX ( [26], p 129).



Inversions purement graphique

Les ivoires du Baptême

The-Baptism-of-Christ-Throne-of-Maximian-Ravenna-6thTrône de Maximien, Ravenne

British Museum

Le Baptême du Christ, 6ème siècle, Méditerranée orientale

Ces deux ivoires contemporains suivent le même schéma : un Saint Jean baptiste géant, le pied gauche sur un rocher, bénit un Jésus-enfant plongé dans l’eau jusqu’à mi-corps, avec en bas à droite une personnification du fleuve Jourdain. Au-dessus de Jésus la colombe descend du ciel, accompagnée dans le second ivoire par la main de Dieu et une patène. A droite deux anges préparent les serviettes : la composition suit donc, de gauche à droite, la chronologie de l’épisode.


6eme Baptism of Christ (Lune soleil jourdain, Eastern Mediteranean Lyon MBALe Baptême du Christ, ivoire du 6ème siècle, Est méditeranée, Musée des Beaux Arts, Lyon

Le troisième ivoire de la série est le seul à comporter les deux luminaires personnifiés, chacun tenant le globe cosmique quadriparti (voir 1 Epoque romaine). Leur inversion s’explique évidemment par les nécessités de la composition : le Soleil se place au dessus du personnage principal, Jésus.

Pour R. Jensen ( [27], p 100), les deux luminaires serviraient à évoquer le phénomène cosmique de l’ouverture des cieux :

« Jésus ayant été baptisé sortit aussitôt de l’eau, et voilà que les cieux s’ouvrirent pour lui, et il vit l’Esprit de Dieu descendre comme une colombe et venir sur lui. Et voilà que des cieux une voix disait:  » Celui-ci est mon Fils bien-aimé, en qui j’ai mis mes complaisances. «  Matthieu, 3,16-17

On peut aussi remarquer que les deux astres se substituent aux deux anges, qui conféraient à la scène un caractère divin. Reste qu’il en résulte une composition profondément symbolique :

  • d’une part le couple Lune/Soleil fonctionne, vis à vis de la lumière céleste, comme le couple Précurseur/Christ vis à vis de la Lumière évangélique : l’un la reflète, l’autre l’accomplit ;
  • d’autre part la partie droite de l’image conserve la même superposition trinitaire qu’au centre de l’ivoire du British Museum : la main du Soleil (à la place de la main du Père) , la Colombe, et le Fils.

Pour R. Jensen ([27], p 28), la représentation du Christ comme un enfant, fréquente dans l’iconographie paléochrétienne du baptême, évoquerait le retour, grâce au sacrement, à l’innocence originelle. Le caractère trinitaire de ces deux ivoires renverse la problématique : dans cette scène où nous est dit que Jésus est le Fils de Dieu, la taille géante de Saint Jean Baptiste fait voir ce Père qui se contente de parler.

sb-line

Le trésor de Karavas

Tresor de Karavas Chypre 629–30 Met et Musee archeologique de NicosieTrésor de Karavas, Chypre 629–30, MET et Musée archéologique de Nicosie, reconstitution de Steven H. Wander [28]

Ce trésor se composait de neuf plats d’argents de trois tailles différentes, racontant des épisodes de l‘histoire de David. Les scènes ont été identifiées par Steven H. Wander, qui a montré qu’elles se disposaient en croix autour du médaillon principal, le Combat de David et Goliath. Les médaillons 1,3 et 8 présentent, en haut, le couple Soleil-Lune, inversé dans le médaillon 1. Les deux petits médaillons, qui présentent une rencontre entre David et un messager, sont composés en pendant, avec David alternativement à droite et à gauche. La position du soleil suit simplement celle de David :

« Ces trois compositions similaires ont pour thème la sélection de David par rapport à une autre personne, en présence de symboles cosmiques. Le soleil suspendu au-dessus de sa tête marque l’acceptation par les cieux de ce statut d’élu ». [28]



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Les camées de la Nativité (SCOOP !)

Vettori Nummus æreus veterum 1737 p 37Vettori, « Nummus æreus veterum… » 1737 p 37

Nativite camee venitien XIIIe British museumBritish Museum

Nativité, Camée en pâte de verre, Venise, 13ème siècle

On a longtemps cru que le camée publié par l’antiquaire Vettori était le plus ancien exemple de la présence de l’âne et du boeuf. Il s’agit en fait d’un modèle vénitien, de style byzantin, dont on connaît plusieurs exemplaires (trois au British Museum, un au Bode Museum de Berlin, un au Musée archéologique de Naples).

On sait que les deux animaux sont associés dans Isaïe 1.3 : « Le boeuf connaît son possesseur, et l’âne la crèche de son maître ». Dans le monde juif, ces deux quadrupèdes étaient des bêtes de somme, mais il était interdit de les atteler ensemble ; en outre le boeuf était un animal pur, qu’on pouvait manger et sacrifier, et l’âne un animal impur parce qu’il ne ruminait pas (Lévitique). Le verset d’Isaïe associe donc deux animaux antagonistes, mais réunis par la commune reconnaissance de leur maître.

L’originalité du camée est la présence de la Lune, qui situe la scène de nuit. Il en résulte une composition parfaitement symétrique : à la Lune, à l’âne  et à Joseph s’opposent l’Etoile, le boeuf et Marie. Il est logique que l’Etoile soit associée à l’auréole de l’Enfant, et à Marie (stella maris , l’Etoile de la Mer).

La structure de l’image suggère une superposition de triades :

  • généalogique : Joseph / Marie / Jésus ;
  • domestique :  âne / boeuf / agneau (de Dieu) ;
  • cosmique : Lune / Etoile / Soleil (Christ).


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Le couronnement de la Vierge

1300–10 Virgin Mary, Coronation Victoria and Albert Museum

Dans le Couronnement de la Vierge, Marie est systématiquement en position d’honneur, à la droite de son fils. Lorsqu’on souhaite rajouter un aspect cosmique à la scène, l’inversion Lune-Soleil s’ensuit.


Jacopo_torriti,_coronation_of_the_virgin,_santa_maria_maggiore,_rome 1295-96Couronnement de la Vierge, Jacopo Torriti, 1295-96, mosaïque de Santa Maria Maggiore, Rome

Jacopo Torriti, dans cette mosaïque d’esprit très byzantin, est un précurseur isolé de la formule que Millard Meiss dénomme « surnaturelle » ( [29], p 43), dans laquelle le couple divin surplombe les autres personnages. Cette formule ne se développera à Venise qu’au beau milieu du Trecento, dans une sorte de « renaissance » byzantinisante.


En aparté : la Vierge de l’Humilité « magnifiée »

1345_ca Roberto_d'oderisio,_madonna_dell'umilta_.,_da_s._domenico_maggiore CapodimonteVierge de l’Humilité « magnifiée »
Roberto d’Oderisio, vers 1345 , Capodimonte, Naples (provient de l’église San Domenico Maggiore)

C’est exactement la période où on a l’idée, à Naples, de rajouter un croissant de lune sous les pieds de la Vierge de l’Humilité, pour magnifier Marie en l’identifiant à la Femme de l’Apocalypse.


1372 Andrea_da_bologna,_madonna_dell'umilta Pinacoteca parrocchiale (Corridonia)Vierge de l’Humilité magnifiée
Andrea da Bologna, 1372, Pinacoteca parrocchiale, Corridonia

Cette innovation va se développer un peu partout en Italie pendant la seconde moitié du Trecento Jésus (voir 3-3-1 : les origines). Dans de très rares cas, comme ici, elle frôle l’idée d’associer Marie avec la Lune et Jésus avec le Soleil (le médaillon solaire à côté de la tête de l’Enfant), mais il s’agit en premier lieu de traduire visuellement « la femme vêtue de soleil, et avec le croissant sous ses pieds »)



Les Couronnements des Veneziano

the-coronation-of-the-virgin-paolo veneziano 1350 Musee des BA Tours

Couronnement de la Vierge, Paolo Veneziano, vers 1350, Musée des Beaux-Arts, Tours

Tout autre est la démarche qui se fait jour à Venise à partir de 1350, dans plusieurs Couronnements de la Vierge de l’atelier des Veneziano : les luminaires sont placés sous les pieds du couple divin, au départ de manière discrète, parmi les décorations du carrelage.


the-coronation-of-the-virgin-paolo veneziano 1350 ca panneau central du Polyptyque de Santa Chiara, Accademia VenisePaolo Veneziano, vers 1350, panneau central du Polyptyque de Santa Chiara, Accademia, Venise the-coronation-of-the-virgin-paolo-and-giovanni-veneziano 1358 Frick Collection NYPaolo et Giovanni Veneziano, 1358, Frick Collection, New York

Mais bientôt on en arrive à des compositions où les luminaires deviennent des attributs à part entière de chacune des deux Personnes.


La justification théologique

Prise métaphoriquement, la comparaison ente les deux couples peut s’appuyer sur un vieux texte d’Albert le Grand :

« Jésus-Christ était le soleil, Marie était la lune; le soleil s’est obscurci, parce que Jésus-Christ a perdu la vie ; mais la lune s’est changée en sang et est devenue comme du sang, parce que Marie, étant au pied de la croix et voyant son Fils pendu à ce gibet avec sa tête couronnée et percée d’épines, fut noyée dans un déluge de douleur. » Albert le Grand, Sermon sur le deuxième dimanche de l’Avent

Mais la métaphore avait été expliquée plus récemment, et d’une manière moins tragique, par Saint Bonaventure, le grand prédicateur qui avait succédé à Saint François à la tête de l’Ordre franciscain :

 » Marie est comparée à la Lune parce qu’elle reçoit toute sa lumière du soleil, et qu’elle répand la lumière qu’elle reçoit. » Saint Bonaventure, Sermon 1 in ordine 37

Ce texte s’adapte comme un gand à l’iconographie du Couronnement : la transmission de la couronne, en haut, matérialise la transmission de la lumière, en bas.


Lorenzo_Veneziano,_Marriage_of_St_Catherine._1360._Gallerie_dell'Accademia,_VeniceMariage de Ste Catherine, Lorenzo Veneziano, 1360, Gallerie dell’Accademia, Venise

Lorenzo Veneziano, qui avait introduit à Venise la formule de la Vierge d’Humilité magnifiée, tente même d’ajouter les luminaires sous une Vierge à l’Enfant, formule qui restera sans lendemain.

Mis à part cette brève mode vénitienne, tous les Couronnements italiens qui suivront omettront les luminaires [30]. Sans doute parce que, lue au premier degré, la composition pouvait produire l’impression fâcheuse, contraire à la notion de co-royauté dans le Ciel, que la Mère et le Fils se partageaient les luminaires. Les artistes se contenteront donc des anges, des nuages et des étoiles pour signifier que la scène se passe dans les Cieux.


Giovanni_dal_ponte,_polittico_dell'incoronazione_della_vergine 1420-1430 AccademiaGiovanni dal Ponte, 1420-1430, panneau central du polyptyque du Couronnement de la Vierge, Gallerie dell’Accademia, Venise

Où bien ils se limiteront au Soleil, à équidistance diplomatique entre les deux.


Couronnement Vierge Gable portail central facade occi 1260 ca Cathedrale_de_Reims

Couronnement de la Vierge, vers 1260, Gâble du portail central, façade occidentale, Cathédrale de Reims

C’était déjà la solution retenue à Reims, avec le Soleil illuminant la couronne tandis que la Lune, fichée tout en bas sous les pieds de Marie, reflète à distance sa lumière. Contrairement à une croyance urbaine, il ne s’agit pas d’un boulet de la guerre de 14 [31].



Article suivant : Lune-soleil : le Quatrième Jour

Références :
[1] Anne Flammin « L’iconographie de la croix sur les sarcophages du haut Moyen Âge en Gaule » https://journals.openedition.org/cel/19130
[2] Hans Freiherrn von Campenhausen « Die Passionssarkophage: zur Geschichte Eines Altchristlichen Bildkreises » Marburger Jahrbuch für Kunstwissenschaft 5. Bd. (1929), pp. 39-85
[3] Gerke,. F., “Die Zeitbestimmung der Passionsarkophage”, Archaeologiai Értesitö, LII, Berlín, 1940, pp. 1-130 Budapest, 1939, N° 52 (en hongrois) http://real-j.mtak.hu/339/1/ARCHERT_1939_uf_052.pdf
[5] Erich Dinkler, « Signum crucis. Aufsätze zum Neuen Testament und zur christlichen Archäologie », 1967,
https://archive.org/details/signumcrucisaufs0000dink/page/59/mode/1up?q=mond&view=theater
[7] Brigitte Christern-Briesenick « Repertorium der christlich-antiken Sarkophage ». Band 3
[8] F.Benoit « Fouilles du Vieux-Port à Marseille » Bulletin de la Société nationale des Antiquaires de France 1947 p. 247 https://www.persee.fr/doc/bsnaf_0081-1181_1950_num_1945_1_4297
[9] F.Benoit , « Sarcophages paléochrétiens d’Arles et de Marseille », 1954, cat 10 p 37 fig VI,1
[10] Gisela Jeremias; Franz Xaver Bartl « Die Holztür der Basilika S. Sabina in Rom » Bilderhefte des Deutschen archäologischen Instituts Rom, 1980
[11] Ernst H. Kantorowicz « The « King’s Advent »: And The Enigmatic Panels in the Doors of Santa Sabina » The Art Bulletin Vol. 26, No. 4 (Dec., 1944), pp. 207-231 https://www.jstor.org/stable/3046963
[12] Sur la position prédominante de Pierre et ses exceptions dûes à des causes complexes, voir Robert Couzin, « Right and Left in Early Christian and Medieval Art », 2021 chapitre 6, p 136-37 notamment.
[13] Garrucci, Raffaele, 1812-1885 « Vetri ornati di figure in oro trovati nei cimiteri cristiani di Roma » (Roma Tipografia delle belle arti, 1864) planche XXI https://babel.hathitrust.org/cgi/pt?id=gri.ark:/13960/t44r49v81&view=1up&seq=183&skin=2021
[14] Ally Kateusz « Mary and Early Christian Women: Hidden Leadership » https://link.springer.com/content/pdf/10.1007/978-3-030-11111-3.pdf
[15] Jean-Michel Spieser « Le programme iconographique des portes de Sainte-Sabine » , Journal des Savants Année 1991 1-2 pp. 47-81 https://www.persee.fr/doc/jds_0021-8103_1991_num_1_1_1543
[16] Patricia Krupinski (2016) « Synagoga Under Erasure: Ecclesia And Text In Santa Sabina, » Art Journal: Vol. 2016: Iss. 1, Article 9 https://digitalcommons.providence.edu/art_journal/vol2016/iss1/9/
[17] Ally Kateusz « Ascension of Christ or Ascension of Mary? Reconsidering a Popular Early Iconography » 2015, Journal of Early Christian Studies https://www.academia.edu/14189231/Ascension_of_Christ_or_Ascension_of_Mary_Reconsidering_a_Popular_Early_Iconography
[18] Stephen Shoemaker « The Ancient Traditions of the Virgin Mary’s Dormition and Assumption » 2003 p 384
[19] P.Maser “Parusie Christi oder Triumph der Gottesmutter. Anmerkungen zu einem Relief der Tür von S. Sabina in Rom”, Römische Quartalschrift für christliche Altertumskunde und Kirchengeschichte 77 (1982)
[19a] Charles Cahier « Nouveaux mélanges d’archéologie, d’histoire et de littérature sur le Moyen-Age…. Décoration d’églises », 1874, p 43 https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k6522982j/f61.item
[20] Le psautier, avec des commentaires détaillés, est intégralement disponible sur le site de l’Université d’Utrecht https://psalter.library.uu.nl/
[21] Pour une synthèse des différentes hypothèses, voir JEAN-MARIE HOPPE Le décor sculpté sur pierre des monuments chrétiens de l’Espagne visigothique. Représentations anthropomorphes. v. 1 https://www.academia.edu/13235179/Le_d%C3%A9cor_sculpt%C3%A9_sur_pierre_des_monuments_chr%C3%A9tiens_de_lEspagne_visigothique_Repr%C3%A9sentations_anthropomorphes_v_1
[24] Francisco Matarredona Sala « Crismones trinitarios medievales. Un símbolo pétreo genuino de los reinos de Aragón y Navarra Épocas románica y protogótica (siglos XI – XIII) » https://www.academia.edu/20021465/Crismones_trinitarios_medievales._Un_s%25C3%25ADmbolo_p%25C3%25A9treo_genuino_de_los_reinos_de_Arag%25C3%25B3n_y_Navarra_%25C3%2589pocas_rom%25C3%25A1nica_y_protog%25C3%25B3tica_siglos_XI_-_XIII_
Base de données en ligne : http://www.claustro.com/Crismones/Webpages/Catalogo_crismon.htm
[25] Avec la numérotation du catalogue de Francisco Matarredona Sala, ces cas sont :
– en Navarre (Lune-Soleil) : Azpa (33) Fot. 26, Beorburu (350) Fot 72, La Oliva à Carcastillo (73), S. Miguel à Ujué (297) fot 75.’
– en Aragon (Soleil-Lune) : Cambrón (64), Ejea de los Caballeros (99) Fot. 46, El Bayo (100) Fot 42, Layana (167) Fot 43, Mallén (132), Puilampa (231) Fot 44.
La seule exception Lune-Soleil est San Juan de los Panetes à Saragosse, mais où le chrisme est clairement de type navarrais.
[26] Calvin Kendall « Allegory of the Church » https://books.google.fr/books?id=dV9_kQkUvuQC&pg=PA129
[27] R. Jensen, « Living Water, Images, Symbols, and Settings of Early Christian Baptism »
[28] Steven H. Wander « The Cyprus Plates: The Story of David and Goliath » Metropolitan Museum Journal Vol. 8 (1973), pp. 89-104 https://www.jstor.org/stable/1512675
[29] Millard Meiss « Painting in Florence and Siena After the Black Death: The Arts, Religion, and Society in the Mid-fourteenth Century » https://books.google.fr/books?id=QwFMpYG9gdQC&pg=PA44
[30] José María Salvador-González « THE ICONOGRAPHY OF THE CORONATION OF THE VIRGIN IN LATE MEDIEVAL ITALIAN PAINTING. A CASE STUDY » https://www.researchgate.net/publication/305641360_THE_ICONOGRAPHY_OF_THE_CORONATION_OF_THE_VIRGIN_IN_LATE_MEDIEVAL_ITALIAN_PAINTING_A_CASE_STUDY