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artifexinopere. L'artiste se cache dans l'oeuvre
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Giordano

1 Le Bouclier-Miroir : scènes antiques

9 octobre 2020
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Nous n’avons plus de boucliers et nos miroirs sont plats. La vieille association d’idée, par la forme et par la fonction, entre l’attribut de Mars et celui de Vénus, entre l’instrument de la Vaillance et celui de Prudence ou de la Coquetterie, qui a été une évidence pendant des siècles, nous demande maintenant un effort de reconstruction.
Petite revue des mythes et images sur la question.

Le bouclier de Mars

Fragment de fresque. Corinthe musee archeologique

Fragment de fresque. Corinthe, musée archéologique

Un type antique de Vénus ne nous est plus connu que par ce modeste fragment, et par une courte description d’une statue du temple d’Aphrodite sur l’acropole de Corinthe :

« […] ensuite était représentée la déesse cythéréenne [Aphrodite] aux tresses épaisses, tenant le bouclier facile à manier d’Arès […] ; en face d’elle, de manière très exacte, son image apparaissait visible dans le bouclier d’airain »Apollonios de Rhodes, Les Argonautiques, I, 742-746, trad. Chr. Cusset dans la base Callythea.


Venus de Milo. Retitution par Marianne Hamiaux

Vénus de Milo, restitution par Marianne Hamiaux

Il est possible que la Vénus de Milo ait suivi ce modèle [1].


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tintoret-venus-vulcain-et-mars
 
Mars et Vénus surpris par Vulcain,
Tintoret, 1551, Alte Pinakothek, Munich

 Une farce mythologique

Dans son analyse désormais classique [2],  Daniel Arasse a expliqué en détail cette scène de boulevard : la femme légère (Vénus), l’amant caché sous la table (Mars) et le mari légitime  (Vulcain), venant prendre à son insu la relève tandis que l’enfant (Cupidon) sommeille du sommeil du juste  sur le coffre : il n’est pas question ici d’Amour, mais de sexe.


Un reflet du futur ?

tintoret-venus-vulcain-et-mars-miroir
Le bouclier-miroir de Mars, posé contre le mur, joue un rôle-clé dans l’explication  :  fonctionnant comme le bouclier d’Enée, il montrerait le futur immédiat de la scène – Vulcain les deux genoux sur le lit alors que pour le moment seul son genou droit y est posé.

Mais outre  la distorsion dû à la sphéricité du bouclier, on peut se demander pourquoi Tintoret, dans le cas où il aurait vraiment voulu vraiment représenter un décalage temporel, l’aurait fait de manière aussi discrète : car  partout, dans ce vaudeville, il n’hésite pas à forcer la dose.


Un besoin animal

tintoret-venus-vulcain-et-mars chien
Ainsi les deux Dieux sont représentés de manière peu glorieuse, l’un en train de grimper à quatre pattes, l’autre rampant sur ses avant-bras : au point que le chien ressemble à l’un, par sa queue dressée, et à l’autre, par ses pattes avant et sa tête relevée, donnant à voir l’animalité qui   les habite.


tintoret-venus-vulcain-et-mars mars four
Mars en particulier, qui n’a eu le temps que de poser son bouclier, est particulièrement ridicule, encore coiffé de son casque-prépuce et pointant d’un index  impuissant l’orifice du four éteint de Vulcain…


tintoret-venus-vulcain-et-mars voile

…tandis que celui-ci, au moins, pointe le sien vers une source encore chaude.


Le miroir de Vénus

tintoret-venus-vulcain-et-mars-miroir second miroirSecond miroir dans le reflet tintoret-venus-vulcain-et-mars schema miroirReconstruction de E.Weddigen

Un détail à peine visible dans le reflet, remarqué par le grand spécialiste de Tintoret Erasmus Weddigen, a  fait rebondir l’interprétation de manière spectaculaire [3].


tintoret-venus-vulcain-et-mars reconstruction

Reconstruction de E.Weddigen

Un second miroir, celui de Vénus, est posé sur une crédence ou une cheminée sur l’autre mur de la chambre :

ainsi la déesse, prudente, peut surveiller pendant ses ébats les deux entrées de sa chambre.


Le rayon d’Apollon

Mais revenons à la mythologie, selon laquelle Vulcain fut averti de la tromperie par  Apollon, le Dieu du soleil qui voit tout.

tintoret-venus-vulcain-et-mars-vase
Or un vase de verre est posé, de manière incongrue, sur le rebord de la fenêtre


tintoret-venus-vulcain-et-mars plan
Trajet du rayon de lumière d’Apollon le perfide (reconstruction de E.Weddigen)

Weddingen en déduit le trajet à deux bandes du rayon de lumière qui, lancé par Apollon à travers la loupe du vase, rebondit sur le bouclier de Mars, puis sur le miroir de Vénus, pour alerter Vulcain au fond de sa forge.


Une  mythologie expérimentale

Ainsi l’invention de Tintoret ne serait pas, ou pas seulement – comme le veut Arasse –  une farce fantaisiste dans laquelle le vieux Vulcain, aveuglé par le désir, se précipiterait pour se contenter des restes. Mais surtout une mise en scène expérimentale visant à reproduire, de manière crédible, tous les ingrédients de la fable.


tintoret-venus-vulcain-et-mars voile
L‘instant choisi est celui où Vulcain lève le voile pour le constat d’adultère.


Dans la fable, il emprisonne ensuite les coupables sous un filet de métal, pour que les autres dieux puissent s’en moquer tout leur saoul.

Alexander Charles Guillemot – Mars and Venus Surpirsed by Vulcan 1827

Alexander Charles Guillemot – Mars et Vénus surpris par Vulcain,  1827


Afin de suggérer le filet de métal, Tintoret coince le couple sous le réseau des vitraux.

tintoret-venus-vulcain-et-mars-vitraux

Ne reste plus qu’à écouter, dans un instant, le rire olympien des autres Dieux, dès que Vénus qui commence à se lever aura pris la tangente par l’avant du tableau.



Le bouclier de Persée

Comme toutes les histoires que toute le monde croit connaître, celle-ci se révèle extrêmement embrouillée. Je m’appuie ici sur l’étude de Edward Phinney Jr. [4]

Le bouclier après le combat

Le bouclier-miroir n’est pas mentionné dans les plus anciennes versions du mythe. Ses représentations, extrêmement rares, n’apparaissent que dans trois vases du IVème siècle avant Jésus Christ :

Cratere en cloche collection Jatta LlMC VII, 2 (pg. 285) 400-375 BC400-375 avant JC, Collection Jatta, LlMC VII, 2 (pg. 285), Cratere en cloche ca 400 - 385 B.C Apulian Red Figure Museum of Fine Arts, Boston400-385 avant JC, Museum of Fine Arts, Boston

Cratères en cloche apuliens à figure rouge

Nous sommes après la bataille : Persée (resp. Athéna) montre à Athéna (resp. Persée) le reflet de la tête de Méduse dans le bouclier, afin d’éviter son regard pétrifiant (on remarquera qu’il reste dangereux même pour la Déesse).


Pelike apulienne a figures rouges, Collection Resta, Tarente

Pelike à figures rouges, Collection Resta, Tarente

Dans cette troisième et dernière image, la tête coupée de Méduse (appelée le Gorgoneion) apparaît aussi sur le pectoral d’Athéna : il s’agit de l’égide, un dispositif effrayant (peau écailleuse ou bouclier selon certains) porté selon l’Iliade par Zeus puis par Athéna, et sur laquelle celle-ci aurait fixé en trophée la tête coupée par Persée.


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Le bouclier pendant le combat : tenu par Athéna

Perseus killing Medusa, sarcophagus from Pecs-Aranyhegy (Hungary), mid 2nd c. BCSarcophage de Pècs-Aranyhegy, vers 150 avant JC Bas relief en terre cuite provenant du temple dApollon au Palatin epoque d'Auguste Musee du PalatinBas-relief en terre cuite provenant du temple d’Apollon au Palatin, époque d’Auguste, Musée du Palatin

L’idée que le bouclier-miroir avait servi pendant le combat, manipulé par Athéna, apparaît vers 150 avant JC. Cette version a le grand avantage de libérer la main gauche de Persée :

« Minerve lui mit un bouclier devant les yeux. Voici du moins ce que j’ai entendu Persée raconter à Andromède et ensuite à Céphée. Minerve donc lui fit voir sur ce bouclier, bien poli, ainsi que dans un miroir, la figure de Méduse, et lui, saisissant de la main gauche la chevelure qu’il voyait reflétée, et tenant de la main droite son cimeterre, coupa la tête et prit son vol, avant que les sœurs se fussent réveillées. » Lucien de Samosate, Dialogues marins, 14-2


1660 ca Luca_giordano,_perseo_taglia_la_testa_a_medusa,Museo di Capodimonte 1660 ca Luca_giordano,_perseo_taglia_la_testa_a_medusa,Museo di Capodimonte detail

Luca Giordano, vers 1660, Musée de Capodimonte, Naples

1680 Luca_giordano Memphis Brooks Museum of Art, Memphis 1680 Luca_giordano Memphis Brooks Museum of Art, Memphis detail

Persée décapitant Méduse
Luca Giordano, vers 1680, Memphis Brooks Museum of Art, Memphis

C’est la version que choisit Giordano pour son tableau de chevalet, et pour sa décoration de plafond vingt ans plus tard :

  • dans le premier, le bouclier montre la cible, ce qui met implicitement le spectateur à la place du héros ;
  • dans la seconde, il montre l’arme, ce qui est cohérent avec la situation du spectateur en contre-bas.


1702 Joseph Christophe Persee tranchant la tete de Meduse Musee de Tours

Joseph Christophe, 1702, Musée de Tours

Troisième possibilité : le spectateur reste à sa place naturelle, au centre, et voit le reflet de Persée (qui lui voit bien Méduse, le bouclier étant penché).


1786 Bernhard Rode Allegorie de Frederic le Grand en tant que fondateur de l'Alliance des princes allemands musee Bode BerlinAllégorie de Frédéric le Grand en tant que fondateur de l’Alliance des princes allemands, 1786  1756 Bernhard Rode Frederick the Great as Perseus musee Bode BerlinFrédéric le Grand en Persée (Allégorie du début de la Guerre de Sept ans en 1756), 1789

Bernhard Rode, musée Bode, Berlin

Dans le premier tableau, « Frédéric II, ayant mis au feu ses armes de guerre, enroule les lauriers de la Paix, que lui donne la Prudence de l’État, autour du faisceau de lances qui lui est présenté par la Déesse de l’Allemagne, derrière laquelle se tient la Déesse de l’Unité, reconnaissable à ses deux cornes d’adandance entremêlées» (Catalogue de l’exposition de l’Académie de Berlin de l’année 1787.)
« La Prudence tient un miroir en métal allongé et rond, dont la poignée porte un serpent enroulée, symbole de la ruse. Dans le miroir, la déesse voit ce qu’il y a derrière elle : tout comme un homme intelligent tire des conclusions du passé sur l’avenir. «  (Karl Wilhelm Ramler, Allegorische Personen zum Gebrauche der bildenden Künstler, 1. Band, 3. Stück, Berlin 1788.)

Le second tableau montre la scène inverse : en armes de parade, Frédéric se fait présenter par un Amour ses armes de guerre, tandis que la sage Athéna lui montre dans le bouclier sa victoire annoncée, à savoir les lauriers qui le couronnent déjà : l’allégorie justifie a posteriori la décision historique de Frédéric le Grand d’envahir la Saxe sans préavis, déclenchant ainsi la Guerre de Sept Ans.



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Le bouclier pendant le combat : tenu par Persée

La dernière variante narrative a été inventée par Ovide :

« Lui cependant ne regardait que la forme de l’horrible Méduse reflétée sur le bronze du bouclier que portait sa main gauche ; et tandis qu’elle et ses vipères dormaient d’un lourd sommeil, il lui avait séparé la tête du cou ». Ovide, Métamorphoses, IV, 785

Comme le remarque E.Phinney, la logique du geste voudrait que ce soit non pas l’extérieur, mais l’intérieur du bouclier qui ait été poli. Or un miroir concave inverse l’image dès que l’on dépasse la distance focale : Persée aurait donc dû repérer, très difficilement,  sa cible à l’envers.

Un seul artiste à ma connaissance s’est aventuré à donner corps à cette idée purement littéraire.


1731 Bernard Picart , Persee coupe la tete de Meduse

Persée coupe la tête de Méduse
Bernard Picart, gravure de 1731

Bernard Picart a affronté la difficulté en imaginant que Persée a disposé le bouclier, sans la réveiller, derrière la tête de Méduse, laquelle a opportunément pose son cou sur le rocher comme sur un billot.


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Le bouclier flottant

Avec prudence, Appolodore évite de mentionner qui tenait le bouclier, et laisse le lecteur se débrouiller, :

« Les Gorgones « se nommaient Sthenô, Euryale, Méduse. Cette dernière était la seule mortelle, et c’était sa tête qu’on avait demandée à Persée… Persée s’approcha d’elles, tandis qu’elles dormaient, détournant les yeux en arrière, et les tenant fixés sur un bouclier d’airain qui réfléchissait la figure de la Gorgone, il lui trancha la tête, à l’aide de Minerve qui lui dirigeait la main. » Apollodore, livre II (ch.4, § 1-5)



Perseus beheads Medusa. Attic Black-figure olpe by the Amasis Painter, middle of the 6th c. BC. British MuseumOlpé attique à figures noires du peintre Amasis, milizoooom u 6ème siècle avant JC, British Museum
1611 Baldassarre Francheschini dit Il Volterrano - Schleissheim, Staatsgalerie im Neuen Schloss, Bilderkabinett im Appartement der KurfurstinPersée et la tête de Méduse
Baldassarre Francheschini dit Il Volterrano, 1611, Staatsgalerie im Neuen Schloss, Bilderkabinett im Appartement der Kurfürstin, Schleißheim

Dans le même esprit, Francheschini ne « tranche » pas : sommes-nous avant ou après la décapitation ? Persée se protège en regardant de côté, comme dans les plus anciennes figurations antiques.

Et le bouclier ne sert à rien…


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Le bouclier substitué (SCOOP !)

Pendant dix ans, Burnes Jones a développé le thème du reflet dans un cycle de dix toiles sur le thème de Persée, destiné à Lord Balfour, le futur Premier ministre [5].

burne jones Cycle Persee 1 1877 L'appel de persee Southampton City Art GalleryL’appel de Persée (Cycle de Persée 1) burne jones Cycle Persee 3 1877 persee et les nymphes de la mer Southampton City Art GalleryPersée et les nymphes de la mer (Cycle de Persée 3)

Burne Jones, 1877 Southampton City Art Gallery

Dès la première toile, Burne Jones pose sa convention graphique d’éliminer le bouclier. On voit les deux temps de l’histoire : d’abord Persée désespéré se penche sur une rivière, cherchant vainement la solution pour vaincre Méduse ; puis Athéna la lui amène sous forme d’un miroir à main, transférant d’emblée Persée dans le camp des héros féminisés.

Dans la troisième toile, le cache-cache continue : le bouclier manquant réapparait dans cette flaque circulaire formant pavois au pied des trois nymphes, et dont la justification est purement symbolique (la vraie mer se trouve à l’arrière-plan).


burne jones Cycle Persee 4 1882 aquarelle Etude pour La decouverte de Meduse Birmingham Museum and Art GalleryBirmingham Museum and Art Gallery burne jones Cycle Persee 4 1882 aquarelle La decouverte de Meduse Southampton City Art GallerySouthampton City Art Gallery

Etudes à l’aquarelle pour La découverte de Méduse (Cycle de Persée 4), Burne Jones, 1882

Non réalisé, le quatrième opus aurait constitué une apothéose du narcissisme : Persée vêtu de reflets, équipé de sa lame miroitante et de son miroir face à main, le regard fixé sur son propre éclat, s’attaque à son antithèse symbolique : Méduse en noir et au regard vide.



burne jones Cycle Persee 10 1887 The-Baleful-Head-Southampton City Art Gallery,

La tête funeste (Cycle de Persée 10)
Burne-Jones, 1887, Southampton City Art Gallery

Pour cette dernière oeuvre du cycle de Persée et Andromède, Burne-Jones imagine une scène où les deux héros se retrouvent de part et d’autre d’une fontaine, miroir octogonal qui révèle ce que chacun regarde : Persée regarde sa femme directement, tandis qu’Andromède regarde le reflet de la tête de Méduse brandie au dessus d’eux.

Ainsi, à la fin de l’aventure, le miroir d’eau reproduit le stratagème du début, où Persée avait échappé au regard mortel de Méduse en la regardant par réflexion dans le bouclier d’Athéna. La capacité du miroir à désarmer le monstre est démontrée visuellement, puisque la face de Méduse y apparaît débarrassée des serpents qui la hérissent.

Ce dernier tableau est un condensé du procédé de collage et de substitution typique du préraphaélisme :

  • Andromède remplace Athéna,
  • le couple réuni sous le gorgoneion en cache un autre : Adam, Eve et le serpent dans le pommier ;
  • l’octogone de la fontaine florentine ressuscite le bouclier grec.


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Dans le reflet, le visage aux yeux clos du monstre autrefois terrifiant répond au problème implicite de la série : la synthèse entre les deux sexes est possible, mais dans le narcissisme et la mort.



Le bouclier de la bataille d’Issus

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La Bataille d’Issus, mosaïque d’après une peinture perdue de Philoxenos d’Erétrie ou d’Apelle (vers 315 avant JC)
120-100 avant JC, provenant de la Maison du Faune à Pompei, Museo Archeologico Nazionale, Naples.[6]

La scène confronte Alexandre, sur son cheval Bucéphale, et Darius, en difficulté sur son char.


Reconstruction_of_the_mosaic_depiction_of_the_Battle_of_Issus_after_a_painting_by_Apelles_found_in_the_House_of_the_Faun_at_Pompeii_(published_1893

Reconstitution de 1893

Dans un mouvement descendant, la composition montre trois manières de se sacrifier pour son roi :

  • un cavalier perse se laisse transpercer par la lance d’Alexandre ;
  • un autre a mis pied à terre pour faire barrage de son corps ;
  • un soldat, tombé par terre, est résigné à se faire écraser par le char qui bat en retraite, et à assister, dans le miroir du bouclier, au spectacle de sa propre agonie.

Battle_of_Issus_mosaic_-_Museo_Archeologico_Nazionale_-_Naples-detail-bouclier-photo-Steven-Zucker

Pour Yves Perrin [7] :

« le miroir est un objet féminin, le seul miroir masculin licite , c’est l’oeil d’un autre homme, celui du semblable et de l’égal… L’image d’un homme dans un miroir signifie chosification et défaite… le pâle reflet du soldat mourant dans son bouclier, c’est la mort même dans son anonymat ».

Paolo Moreno (2001) voit dans le reflet du visage l’autoportrait du peintre Apelle .

Enfin Cristina Noacco (2019) reconnaît dans ce motif une réminiscence du mythe de Persée :

« Même décalé, ce visage qui se reflète sans le reste du corps compose une image de tête coupée qui n’est pas sans évoquer celle d’un gorgoneion. Si la coiffure est différente et évoque plutôt les têtes de Phrygiens, l’encerclement de ce portrait par l’orbe du bouclier obéit à la logique mise en évidence par Fr. Frontisi-Ducroux, qui définit le gorgoneion comme « un motif figuratif circulaire centré sur une face de Gorgone ». [8]



Battle_of_Issus_mosaic_-_Museo_Archeologico_Nazionale_-_Naples-detail-alexandre.
Gorgoneion qui figure ici sur la cuirasse d’Alexandre, à l’image de l’égide d’Athéna.



Le mystère de Boscoreale

Room H of the Villa of P. Fannius Synistor at Boscoreale, ca. 40–30 B.C Standing woman holding a shield MET
Fresque du mur Est du grand triclinium (pièce H) de la villa de P. Fannius Synistor à Boscoreale, 40–30 av JC, MET, New York

Le MET est actuellement très prudent sur la signification de l’image :

« Il s’agit très probablement une voyante prédisant la naissance d’un héritier et futur roi. L’image d’un homme nu portant la bande blanche servait de couronne aux dirigeants hellénistiques apparaît comme un reflet sur son bouclier. » [9]


Room H of the Villa of P. Fannius Synistor at Boscoreale, ca. 40–30 B.C mur Est

Mur Est du grand triclinium (reconstitution)

La position de la fresque suggère que le miroir montre quelqu’un qui se trouverait derrière la porte, où bien dans le jardin, vu au travers de la fenêtre. La porteuse quant à elle regarde de l’autre côté, vers un couple assis sur un trône et, au delà une joueuse de lyre escortée d’une petite fille.


Room H of the Villa of P. Fannius Synistor at Boscoreale, ca. 40–30 B.C mur Ouest Pompejanischer_Maler_um_40 Museo Archeologico Nazionale di NapoliMur Ouest du grand triclinium (reconstitution)


Museo Archeologico Nazionale di Napoli

Le mur d’en face montre un autre couple, cette fois assis par terre, autour d’un autre bouclier : et en face de la porteuse de bouclier se trouve un vieillard appuyé sur un bâton, qui lui aussi observe le couple.

Ces symétries entre les deux murs suggèrent un sujet commun, et les interprétations d’ensemble n’ont pas manqué.

Pour le découvreur, Barbabei (1901), le sujet des fresques serait le Triomphe de l’Amour, et le bouclier représenterait Mars subjugué par Vénus.

Pour Studnizca (1923), les fresques montrent la famille royale de Macédoine  :

  • le mur Ouest représente le roi macédonien Antigonus Gonatas assis avec sa mère Phila, sous le regard de son mentor le vieux philosophe Menedemus d’Erétrie :
  • le couple du mur Est est le père d’Antigonus, Demetrius Poliorcetes, en visite chez sa belle soeur Eurydice, tandis que Ptolemais, la fille de celle-ci, le débarrasse de son bouclier.


Pour Phyllis Lehmann (1953), le sujet serait les Mystères de Vénus et d’Adonis :

  • sur le mur Ouest, le vieil homme appuyé sur son bâton est le père d’Adonis, le roi Kinyras de Chypre, et les deux femmes assises autour du bouclier sont Vénus en deuil et une servante ;
  • le couple du mur Est est Vénus et Adonis : à gauche la joueuse de lyre célèbre la résurrection de celui-ci, qui est montré à droite dans le reflet, revenant de la mort.


Pour Margaret Bieber, les fresques sont simplement les portraits de la famille des propriétaires :

  • sur le mur ouest le vieux père (probablement jadis équilibré par une vieille mère de l’autre côté) regardant son fils assis avec son épouse ;
  • sur le mur Est, un autre fils assis avec son épouse, et qui serait décédé : ce pourquoi il est représenté nu, la plus jeune soeur emportant son bouclier désormais inutile, tandis que la sœur aînée célèbre sa mémoire sur sa lyre.


Enfin en 1955, Martin Robertson [10] discute les hypothèses précédentes et se rapproche de celle de Studnizca :

  • sur le mur Ouest, le couple est une représentation allégorique de la Macédoine à gauche et de la Perse à droite, observées par un vieux philosophe qui pourrait être Zénon ;
  • le mur Est représente le mariage mixte d’un couple réel : Alexandre de Macédoine avec Statira, la fille de Darius, ou bien Seleucus et Apama. Le femme portant le bouclier illustrerait un rituel de mariage inconnu.

Ainsi la seule interprétation qui donne un sens au personnage du reflet est celle de Phyllis Lehmann : Adonis revenant de la Mort.



Achille et ses deux boucliers

Le premier bouclier

The Arming of Achilles, Archaic Greek Black-figure Neck Amphora by the Camtar Painter, ca. 550 BCE Museum of Fine Arts Boston.
Le premier armement d’Achille, amphore à figures noires du peintre Camtar, vers 550 avant JC, Museum of Fine Arts, Boston

Achille a eu deux boucliers forgés par Héphaïstos :

  • le premier lors du mariage de Pélée avec sa mère Thétis à Phtia ; prêté à son compagnon Patrocle pour son combat fatal avec Hector, il fut pris comme trophée par ce dernier ;
  • le second, forgé en remplacement et décrit en détail au chant XVIII de l’Iliade, comportait tout un microcosme sculpté.

Cette amphore montre très probablement le premier bouclier avec un gorgoneion [11], ornement effrayant qui est souvent figuré sur le bouclier d’Achille, d’Athéna ou d’autres guerriers.


Hephaistos polissant devant thetis le bouclier d'achille Amphore athenienne 460 BC, Museum of Fine Arts Boston

Héphaïstos polissant devant Thétis le bouclier d’Achille
Amphore athénienne, 460 BC, Museum of Fine Arts Boston

Cette amphore à figures rouges, plus récente, montre la même scène : le bouclier est très brillant (Héphaïstos finit de le polir), mais le gorgoneion est un ornement, pas un reflet comme dans l’histoire de Persée.


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Le second bouclier

triclinium de la maison de Paccius Alexander Pompeii IX 1. 7, inv 9529, Naples National Archaeological Museum

Thétys chez Vulcain
Triclinium de la maison de Paccius Alexander, Pompei IX 1. 7, National Archaeological Museum, Naples

Le scène est assez fidèle à la description par Homère du second armement, où Thétys se déplace dans l’atelier d’Héphaïstos [12] : on voit de nombreuses figures ciselées sur le bord du bouclier, qui reste si brillant qu’il reflète la silhouette de Thétys.



Achille entre bouclier et miroir

Pour lui éviter de mourir à la Guerre de Troie, sa mère avait caché Achille, déguisé en rousse, parmi les filles du roi Lycomède. Le rusé Ulysse trouve un stratagème pour le débusquer :

« Moi, afin de toucher sa fibre virile, j’ai introduit des armes, parmi des articles pour dames ; et il ne s’était pas encore défait de ses habits de fille, que déjà il avait en main un bouclier et une lance ». Virgile, Enéide, XIII, 165

Dans cette scène très souvent représentée, certains artistes ont joué sur l’opposition symbolique entre deux objets circulaires emblématiques de l’un et l’autre sexe : le miroir et le bouclier.

Achille a Skyros Pompei Maison des Dioscures

Achille à Skyros
Fresque de Pompei, Maison de Castor et Pollux

Sous les yeux du roi Lycomède qui trône entre deux soldats, Achille vient de saisir l’épée et le bouclier, et Ulysse l’agrippe par le poignet.

« Un autre Grec, Diomède, ou Phénix, ou Nestor, saisit en même temps le jeune héros et commence à le dépouiller de ses vêtements de femme ; à moins qu’on n’aime mieux voir dans ce personnage un confident des projets de Thétis, qui cherche à empêcher le fils de cette déesse de se trahir en saisissant les armes. Enfin, sur le second plan, paraît un personnage dont l’attitude, plus difficile à expliquer, a donné lieu à quelques méprises : c’est selon nous, Déidamie, qui, occupée à essayer pour son propre compte les parures féminines sous lesquelles Ulysse avait caché les armes, est effrayée tout à coup par la scène qui se passe entre Achille et le roi d’Ithaque ; si son état de nudité ne paraît point encore assez bien expliqué, il faut se rappeler que les artistes anciens, comme certains modernes, ne demandaient qu’un prétexte pour mettre dans leurs tableaux quelque chose de plus séduisant que des chairs d’homme et des draperies. » On remarquera que le bouclier offert au fils de Pélée est orné d’un sujet bien séduisant pour ce jeune héros, et bien fréquemment répété dans l’antiquité, ainsi que plusieurs exemples nous l’ont déjà prouvé : ce sujet est l’éducation d’Achille lui-même par le centaure Chiron. » [13]

On voit à gauche le miroir à main qu’Achille a dédaigné (ou laissé tomber) pour s’emparer du bouclier.


Achille a Skyros Maison d'Achille IX.5.2 Pompei Naples Archaeological Museum bis

Achille à Skyros
Fresque de Pompei, Maison d’Achille IX.5.2, Naples Archaeological Museum

Cette autre fresque pompéienne montre clairement que le soldat à gauche d’Achille, ainsi que ceux qui entourent le roi Lycomède sont tous des Grecs qui prêtent main forte à Ulysse. Le miroir est toujours tombé aux pieds d’Achille.


Achille a Skyros VI.7.23 Pompei Mosaic

Achille à Skyros
Mosaïque de Pompei, Maison VI.7.23

Cette composition plus simple confirme l’antithèse entre le miroir et le bouclier, dont la figure du centaure Chiron fait une icône de l’éducation virile. La femme nue, opposée à Ulysse, est bien Déidamie, la fille de Lycomède, dont Stace raconte qu’elle était devenue l’amante et l’épouse du héros déguisé :

« …la jeune Déidamie, seule de ses sœurs, avait découvert, caché sous les dehors d’un sexe menteur, le véritable sexe du petit fils d’Éaque… le son de sa voix, la force de ses étreintes, son indifférence pour les autres jeunes filles, ses regards avidement fixés sur elle, ses soupirs qui souvent interrompent ses discours, tout étonne Déidamie. Plus d’une fois Achille allait lui découvrir sa ruse, mais la vierge légère s’enfuit et arrête l’aveu. Ainsi, sous les yeux de sa mère Rhéa, le jeune roi de l’Olympe donnait à sa sœur confiante de perfides baisers ; il n’était encore que son frère, mais bientôt il ne respecta plus les liens du sang, et effraya sa sœur par les transports d’un véritable amour. »  Stace, Achilleide, I [14]


House Holconius Rufus VIII.4.4 Pompeii. Drawing by Nicola La Volpe of painting seen on east wall of triclinium Naples Archaeological Museum www.pompeiiinpictures.com

Achille à Skyros
Fresque de Pompei, Maison de Holconius Rufus VIII.4.4 Dessin de Nicola La Volte Naples Archaeological Museum via www.pompeiiinpictures.com

L’opposition entre bouclier et miroir n’avait cependant rien de systématique à Pompéi : cette fresque aujourd’hui effacée ne comporte aucun miroir. L’effet recherché est ici clairement érotique, par la comparaison entre le corps nu de Déidamie, levant un bras vers le ciel et tenant la jambe d’Achille de l’autre, et le corps dévoilé de ce dernier, levant le bouclier d’une main et tenant la lance de l’autre. Noter les chaussons de femme dispersés par terre, parmi les colifichets amenés par Ulysse, et la trompette qui sonne : deux motifs que nous allons voir reparaître.


Le miroir et la trompette

L’Achilleide de Stace, écrite en 94-96 (donc quinze ans après l’éruption de Pompei) est la source la plus détaillée, expliquant le travestissement volontaire d’Achille (par amour pour Déidamie), la durée de la supercherie (grâce à l’aide de celle-ci) et la révélation par étapes du pot au roses :

« Achille s’est approché de plus près ; l’éclat du bouclier réfléchit ses traits, et il reconnaît dans l’or sa fidèle image. A cette vue, il a horreur de lui-même et rougit de honte. Aussitôt Ulysse se penche à son côté, et lui dit à voix basse : « Pourquoi hésites-tu? nous le savons, c’est toi qui es l’élève du centaure Chiron, le petit-fils du Ciel et de l’Océan … Déjà Achille dégageait sa poitrine de sa robe, quand, sur l’ordre d’Ulysse, Agyrte fait entendre une fanfare guerrière ; les jeunes vierges s’enfuient aussitôt, jettent çà et là les présents, et courent implorer leur père: elles croient entendre le signal des combats. Mais la robe d’Achille est d’elle-même tombée de sa poitrine. Déjà un bouclier, une lance plus courte arment son bras. O prodige! il paraît surpasser de toutes ses épaules et le roi d’Ithaque et le héros d’Étolie… Déidamie pleurait à l’écart, en voyant la fraude découverte. Achille entend ces gémissements douloureux, et cette voix si chère à son cœur ; il hésite, et le feu secret qui le brûle abat son courage. »  Stace, Achilleide, II [14]

Finalement Achille révèle son identité et demande à Lycomède la main de sa fille, régularisant définitivement la situation.

Si la trompette, déclencheur sonore de la révélation, est couramment représentée dans l’Antiquité, la scène de l’introspection dans le miroir n’est montrée que de manière allusive, par la mise en écho du bouclier et du miroir.


Achille a Skyros mosaic_from_Zeugma musee archeologique de Gazi Antep
Achille à Skyros
Mosaïque provenant de Zeugma, avant 256, musée archéologique de Gazi Antep

Cette composition positionne, entre Lycomède et Ulysse, le couple Déidamie / Achille ; elle oppose clairement le bouclier au miroir, ce dernier étant placé autour du jet d’eau de la fontaine dont la mosaïque décorait le fond. A noter le détail du chausson de femme qu’Achille a jeté devant lui, signe d’impétuosité mais aussi marqueur graphique de sa transition sexuelle :

« L’image du monosandale, appliquée à Achille, illustrerait ainsi plus concrètement cette notion du passage à la vraie vie, après le travestissement de Skyros, passage qui était également celui de l’adolescence à l’âge adulte » Janine Balty [15].

Il se peut, comme le note également Janine Balty , que cette dissymétrie ait une signification encore plus précise :

« attirer l’attention sur un des pieds d’Achille ne reviendrait-il pas à rappeler que le fils de Thétis, bien que divin par sa mère, succombera par la flèche que le Troyen Pâris lui tirera dans le talon ? « 


PLat d'Achille vers 230 ap JC Musee d'AUGUSTA RAURICA Augst

Plat d’Achille; vers 230 ap JC, Musée d’AUGUSTA RAURICA, Augst

On retrouve le même détail assez souvent, notamment dans ce plat somptueux, qui a peut-être appartenu à l’empereur Julien l’Apostat (le pourtour montre douze scènes de l’histoire d’Achille). La composition met en parallèle :

  • Achille levant son bouclier et le soldat levant sa trompette,
  • Déidamie qui retient son amant et Ulysse qui l’entraîne.


Achille a Skyros Byzantin 4eme 5eme Musee d'art de Dallas

Achille à Skyros
Mosaïque byzantine 4ème-5ème siècle, Musée d’art de Dallas

Cette mosaïque tardive montre combien l’histoire était devenue populaire tout au long de l’Antiquité, s’enrichissant de personnages secondaires. La composition oppose les deux moments de l’histoire :

  • à gauche, Achille habillé en femme joue de la lyre entre Deidamia et une autre fille, Euphemia ;
  • a droite, il saisir la lance et le bouclier, entre trois femmes (Pophos, Deidamia et une troisième agenouillée), tandis qu’Ulysse montre le chemin vers de les murailles de Troie.et qu’Agyrte avec sa trompette sonne déjà la charge.

La dialectique des objet se joue ici entre la lyre et la trompette, vers laquelle le bouclier a définitivement penché.

L’importance croissante  de la trompette laisse penser que le motif avait acquis, au cours des siècles, une signification philosophique :

« Achille abandonnant ses vêtements féminins au signal de la trompette serait une allégorie du réveil de l’âme se dépouillant de son enveloppe charnelle pour vivre selon l’esprit » [15].



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Le renouveau baroque

L’Achilleide de Stace était connue au Moyen-Age, et sa première édition imprimée date de 1470. Mais c’est l’édition publiée à Anvers en 1616 par l’ami de Rubens, l’humaniste Jan G. Gevartius, qui a diffusé le thèmes d’abord chez les peintres baroques, puis chez les musiciens. Ne connaissant pas les images antiques, la plupart des artistes se contentent de la découverte de l’épée pour déclencher le coming-back d’Achille.

Mais certains réinventent l’opposition entre bouclier et miroir et retrouvent, sous l’alibi héroïque du choix de la guerre contre l’amour, le côté émoustillant du jeu à la limite des sexes.

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Pietro Paolini 1625 – 1630 Achilles among the Daughters of Lycomedes getty museum

Achilles parmi les filles de Lycomède
Pietro Paolini, 1625–30, Getty Museum

Vanité de la vue, vérité de la révélation (SCOOP !)

Toujours très original, Paolini développe brillamment le thème de la révélation au travers de trois paradoxes de la Vue :

  • la fille qui essaie son masque dans le miroir (autrement dit qui se voit ne pas être vue) ;
  • le vieux Lycomède qui essaie des lunettes en regardant des lunettes ;
  • la coquette au ruban rouge qui ne se voit pas telle qu’elle est, à savoir un caniche obéissant à sa mère.

Au milieu de ces caricatures, la plus belle des filles se revoit en garçon, par ce regard intérieur qui est celui du souvenir.

Et le marchand d’attrapes est un guerrier qui ne se fait pas voir, comme le montre la seconde épée dissimulée au premier plan.

Jan Boeckhorst 1650 ap Achilles among the daughters of Lycomedes National Museum in Warsawaprès 1650, National Museum in Warsaw Jan Boeckhorst 1655 ca Achilles among the daughters of Lycomedes Alte Pinakothek, Munichvers 1655, Alte Pinakothek, Munich

Achille parmi les filles de Lycomède, Jan Boeckhorst

Dans deux des tableaux qu’il consacre au thème, Boeckhorst distingue une des femmes par sa position debout, tenant le bouclier au dessus du miroir : mis à part l’accessoire, rien dans son apparence ne laisse soupçonner le héros sous la robe.

Poussin 1656 Achilles on Skyros Virginia museum of Fine Arts Richmond

Achille à Skyros
Poussin, 1656, Virginia museum of Fine Arts, Richmond

Poussin a traité le thème trois fois, mais seule cette version fait un usage, tout à fait contre-intuitif, du bouclier et du miroir. Achille est saisi au moment où, captif de sa psychologie féminine, il n’a pas encore porté son attention sur le bouclier posé à ses pieds, et se contemple dans le miroir : c’est le casque posé par coquetterie sur sa tête qui va le rappeler à sa vraie nature.

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Achille reconnu à la cour de Lycomède
Sébastien Le Clerc II, avant 1713, Musée des Beaux-Arts de Brest

Le chameau justifie le turban, accessoire androgyne qui résout à bon compte le problème de la féminisation du gaillard, tout en diluant dans l’orientalisme le côté douteux du sujet. Tandis que trois femmes exhibent, de droite à gauche, les accessoires de la Beauté (miroir, collier de perles et anneau), Achille s’est déjà saisi, par les mains et le regard, des instruments de la Gloire (épée, bouclier et casque).

Subleyras 1735 ca Achille a Skyros coll part

Achille a Skyros
Subleyras, vers 1735, collection particulière

Toujours dans le goût orientaliste, Subleyras propose au centre du tableau une sorte de rébus visuel en trois objets : miroir (SE VOIR) + masque (SE CACHER) = miroir masqué = bouclier retourné.

C’est sans doute la seule tentative d’illustration directe du récit de Stace :

« A cette vue, il a horreur de lui-même et rougit de honte. Aussitôt Ulysse se penche à son côté… »


Article suivant : 2 Le Bouclier-Miroir : scènes modernes

Références :
[1] Marianne Hamiaux « Le type statuaire de la Venus de Milo », Revue archéologique 2017/1 (n° 63), pages 65 à 84 https://www.cairn.info/revue-archeologique-2017-1-page-65.htm#
[2] « On n’y voir rien », Daniel Arasse, p 11 et suivantes
[3] Die vermessene Venus, Überlegungen zu Tintorettos Frauenbild http://erasmusweddigen.jimdo.com/tintoretto.php
[4] Edward Phinney Jr. « Perseus’ Battle with the Gorgons », Transactions and Proceedings of the American Philological Association Vol. 102 (1971), pp. 445-463 https://www.jstor.org/stable/2935950?seq=21#metadata_info_tab_contents
[5].Sur le cycle complet : https://eclecticlight.co/2016/04/21/the-story-in-paintings-perseus-and-edward-burne-jones-2/s
[6] https://fr.wikipedia.org/wiki/Mosa%C3%AFque_d%27Alexandre
[7], Yves Perrin « A propos de la « bataille d’Issos ». Théâtre, science et peinture : la conquête de l’espace ou d’Ucello à Philoxène » Cahiers du Centre Gustave Glotz Année 1998 9 pp. 83-116 https://www.persee.fr/doc/ccgg_1016-9008_1998_num_9_1_1467
[8] Cristina Noacco « Figures du maître: De l’autorité à l’autonomie », p 282 https://books.google.fr/books?id=H1unDwAAQBAJ&pg=PA282
[9] https://www.metmuseum.org/art/collection/search/247011
[10] Martin Robertson « The Boscoreale Figure-Paintings », The Journal of Roman Studies Vol. 45, Parts 1 and 2 (1955), pp. 58-67 https://www.jstor.org/stable/298744
[11] Dietrich von Bothmer « The Arming of Achilles » Bulletin of the Museum of Fine Arts Vol. 47, No. 270 (Dec., 1949), pp. 84-90 https://www.jstor.org/stable/4171055
[12] https://eduscol.education.fr/odysseum/thetis-chez-vulcain
[13] https://mediterranees.net/mythes/pompei/scyros.html
[14] http://remacle.org/bloodwolf/poetes/stace/achilleide.htm
[15] Janine Balty « Achille à Skyros. Polysémie de l’image mythologique » https://books.openedition.org/pupvd/7099

2 Le Bouclier-Miroir : scènes modernes

9 octobre 2020
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La plupart des héros au bouclier  datent de l’antiquité (voir article précédent : 1 Le Bouclier-Miroir : scènes antiques). Mais quelques boucliers-miroirs ont été réinventés par la suite…

Bouclier contre miroir : Renaud et Armide

La Jérusalem délivrée, poème épique écrit en 1581 par Le Tasse, offrait au lecteur le plaisir de découvrir, sous de nouveaux habits, des histoires bien connues. C’est ainsi que les amours du chevalier chrétien Renaud avec la magicienne Armide recyclent, de manière transparente, ceux d’Ulysse et de Circé. Rajouter un miroir permet au Tasse d’évoquer la toilette de Vénus, et un bouclier le retour d’Achille au sexe fort.

Parmi les nombreux tableaux illustrant les épisodes de l’histoire de Renaud et Armide,  j’ai retenu ceux qui mettent en scène ces deux ingrédients.

Episode 1 : La rencontre de Renaud et Armide

1628-29 Nicolas Poussin - Rinaldo et Armida , - Dulwich Picture Gallery, Londres

Armide tente de tuer Renaud
Poussin, 1628-29, Dulwich Picture Gallery, Londres

Les manigances de la séductrice traversent tout le poème, mais son aventure avec Renauld commence au livre XIV. Assez rarement représenté en peinture, l’épisode de la rencontre place d’emblée l’histoire sous le signe de Narcisse et du miroir. Par les sortilèges d’Armide, Renauld s’est endormi sur une île du fleuve Oronte, que Poussin a représenté en haut à gauche..

« Alors Armıde sort de sa retraite et se précipite vers le guerrier pour accomplir sa vengeance; mais, à peine a-t-elle fixé sur lui ses regards et contemplé ce visage calme et paisible, ces yeux fermés où erre un tendre et langoureux sourire (et que serait-ce s’ils étaient ouverts !), qu’elle s’arrête incertaine… Puis, elle s’assied à ses côtés et sent fuir son courroux. Ainsi penchée vers lui, on la prendrait pour Narcisse se mirant dans le cristal des eaux... O prodige incroyable ! ce coeur plus dur que le diamant, plus froid que la glace, s’amollit sous l’influence des feux que recèlent ces paupières fermées. De cruelle ennemie elle devient amante. » ([1], p 258)


1730 ca Lapis Gaetano, Armida tenta di uccidere Rinaldo Galleria nazionale delle Marche

Armide tente de tuer Renaud
Gaetano Lapis, vers 1730, Galleria nazionale delle Marche

Pour traduire picturalement la comparaison entre Armide et Narcisse, Lapis rajoute au sol, sous l’arc de Cupidon et le poignard, un bouclier qui faut coup double : montrer la vulnérabilité de Renaud et introduire le thème du reflet, à la fois narcissique et fondateur de l’amour.

« La suspension de l’acte meurtrier résulte du pouvoir de séduction de Renauld endormi, mais aussi de la fascination que subit Armide en se reflétant dans Renaud et en y retrouvant l’image d’elle-même. Dans la philosophie néoplatonicienne de Marsile Ficin, le thème de l’amour est central et devient un fondement de la pensée de la Renaissance. Les théories exprimées dans le Libro de Amore voient dans la similitude et le désir du même le mécanisme par lequel on se prend au piège de la passion amoureuse : pour Armide, le reflet du visage de Renaud se grave dans son âme et la haine se transforme en amour. Réciproquement, lorsque Renaud se réveillera dans les Iles Fortunées, il se reflétera dans un miroir féerique qui le fera tomber follement amoureux d’Armide, perdant sa virilité guerrière et se féminisant ». Isabella Chiappara Soria [2].



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Episode 2 :  Le miroir qui enferme

1601 ca rinaldo-armida Carrache Musee de Capodimonte

Renaud dans le jardin d’Armide
Carrache, vers 1601, Musée de Capodimonte

Au livre XVI, Armide retient donc Renauld prisonnier, par les sortilèges d’un miroir magique, dans un jardin enchanté où deux compagnons d’arme (Ubalde et Charles)  vont venir le délivrer. Vingt ans après la parution de la « Jésusalem délivrée », Carrache fixe ici l‘iconographie de référence :

« Les deux chevaliers, cachés derrière les arbres, contemplent cette scène voluptueuse : au côté de l’amant (amante) pend une arme étrange, un miroir. Armide soulève et place aux mains de son amant ce confident des amoureux mystères. Elle, d’un air riant, lui, avec des yeux. brillants, ne voient qu’un même objet dans les diverses figures qui s’y réfléchissent ; elle y cherche ses charmes; il se mire dans les yeux d’Armide ; elle ne voit qu’elle-même, et il ne voit qu’elle. Elle est fière de son empire, il est glorieux de ses fers. « Tourne, lui dit-il, ah ! tourne vers moi ces yeux qui font mon bonheur. Si tu l’ignores, sache que mes transports sont la fidèle peinture de tes attraits ! Bien mieux que ce cristal, mon amour te donnera une idée de la puissance de ta beauté. Si tu me dédaignes, hélas ! contemple du moins ton gracieux visage, et tes regards que rien ne peut satisfaire seront heureux ! Mais comment un miroir reproduirait-il tant de charmes ? Comment un si petit espace renfermerait-il tant de merveilles ? Le Ciel peut rendre tes perfections; c’est dans les astres que tu retrouveras ton image. » Armide sourit à ce langage, mais elle ne cesse de s’admirer et de composer ses atours. » ([1] p 275 et ss)


1601 ca rinaldo-armida Carrache Musee de Capodimonte detail regards

Dans le texte, les deux regardent ensemble dans le miroir, mais n’y voient pas la même chose : la solution picturale est un jeu de regards dissymétriques qui rend bien le fond, à défaut de la forme.


1601 ca rinaldo-armida Carrache Musee de Capodimonte detail

Le bouclier salvateur, encore caché, est annoncé par la rotondité des casques et de l’arcature.


Domenichino - Rinaldo ed Armida, 1620-21 - Musee du LouvreLe Dominiquin, 1620-21, Louvre, Paris 1635 Matiia Preti Rinaldo nel giardino di Armida Ambassade des Etats-Unis RomeMattia Preti, 1635, Ambassade des Etats-Unis, Rome

Renaud dans le jardin d’Armide

Le Dominiquin, en style classique et Mattia Preti, en style caravagesque, reprennent la même composition, et traduisent le mimétisme amoureux et la féminisation de Renaud de deux manières inventives :

  • par les bras droits identiquement levés, l’un tenant le manche du miroir et l’autre le fer à bouclettes ;
  • par le miroir qui semble refléter le visage d’Armide, alors qu’il s’agit de celui de Renaud.


1690 ca gregorio-lazzarini-rinaldo-e-armida Narodna galerija Slovenije Ljubljana

Renaud dans le jardin d’Armide
Gregorio Lazzarini, vers 1690, Narodna galerija Slovenije, Ljubljana

Lazzarini joue ici avec les codes désormais bien établis : il transforme en détail Charles and Ubalde et supprime le bouclier de cristal, pour mieux le suggérer dans l’arche brillante de l’arrière-plan.



1690 ca gregorio-lazzarini-rinaldo-e-armida Narodna galerija Slovenije Ljubljana detail
Le miroir montre une lanière délacée : emblème de la douce captivité et de la libération imminente. Mais aussi transcription graphique, à côté des perles, d’un nouveau détail, la ceinture magique que décrit ainsi le Tasse :

« Cependant le plus précieux ornement d’Armide est sa ceinture qu’elle ne quitte jamais. Pour la former, elle donna une substance à des choses impalpables, et la composa d’éléments qu’aucune autre main n’eût pu saisir. Les amoureux dépits, les attrayants refus, les tendres caresses, le calme heureux, le sourire, les mots entrecoupés, les larmes du plaisir, les soupirs interrompus, les doux baisers, tels sont les objets qu’elle réunit et qu’elle trempa au feu le plus doux. C’est ainsi qu’elle créa le tissu merveilleux qui entoure sa belle taille. » ([1] p 279)


1755 tiepolo rinaldo-et-armida-dans-son-jardin Art Institute of Chicago

Renaud dans le jardin d’Armide
Tiepolo, 1755, Art Institute of Chicago

En style rococo, Tiepolo se sert des deux sphères de pierre pour mettre en symétrie le poison et son antidote : le miroir et le bouclier.


1771 ca Angelica_Kauffmann_-_Rinaldo_and_Armida Yale center for British art

Renaud dans le jardin d’Armide
Angelica Kauffmann, vers 1771, Yale center for British art

En style néo-classique, Angelica Kauffmann revient à la composition de Carrache, en rajoutant l’idée originale du bouquet tenu au dessus de la tête, qui se réplique dans la couronne de fleurs, puis plus bas dans les fleurs tombées autour du miroir, emblème de la féminisation de Renaud….



1771 ca Angelica_Kauffmann_-_Rinaldo_and_Armida Yale center for British art detail
…bouquet qui se reflète à l’arrière dans le bouclier libérateur.


Kauffmann, Angelica, 1741-1807; Rinaldo and Armida

Renaud dans le jardin d’Armide
Angelica Kauffmann, vers 1772, Kenwood, National-Trust

Dans ce tableau réalisé l’année suivante (pour son pendant, voir 1766 -1782 (période anglaise) ), Angelica inverse la composition et remplace le bouquet par un autre symbole de doux esclavage : la guirlande, qui trouve son écho à terre dans le ruban serpentant autour du miroir.


1812 Rinaldo et Armida par Francesco Hayez Accademia Venise

Renaud dans le jardin d’Armide
Francesco Hayez, 1812, Accademia, Venise

Toujours en style néo-classique, cette oeuvre de jeunesse de Hayez lui a valu la prolongation d’un an de sa bourse d’études à Rome. Brigitte Urbani [3] a souligné les nombreux emprunts du jeune peintre à des oeuvres connues, et son application à démontrer sa connaissance du poème :

Rinaldo_e_Armida1812-13 Francesco_Hayez Accademia detail

  • par le détail rare de la ceinture dénouée, vers laquelle l’oeil est conduit en suivant le ruban violet du miroir, mollement tenu par la main droite d’Armide ;
  • par le trophée d’armes accroché au tronc, qui anticipe un passage postérieur :

« Ils se dirigent vers cette clarté, et bientôt ils en distinguent la cause. Ils voient, suspendues au tronc d’un arbre, des armes neuves que viennent frapper les rayons de l’astre des nuits. Sur un casque et une armure d’or, des pierres précieuses étincellent d’un feu plus vif que celui des étoiles. Une longue suite de tableaux est ciselée sur le vaste bouclier » Livre XVII ([1] p 302)


Un parcours optique et érotique (SCOOP !)

1812 Rinaldo et Armida par Francesco Hayez Accademia Venise schema

Graphiquement, la composition propose à l’oeil un parcours en zig-zag entre les points de lumière : depuis la colonnade du fond jusqu’au casque du soldat-voyeur puis, en passant par la cascade qui annonce la cotte de maille, jusqu’à celui de Renaud ; de là il se réfracte sur le lac, puis sur le bouclier inutile, où le reflet du pied d’Armide imprime sa domination ; la ceinture le renvoie au miroir, qui révèle la source de toute cette attraction : un succulent morceau de fessier.


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Episode 3 : Le bouclier qui libère

1650-55 Rinaldo and the Mirror-Shield Maffei Getty Museum
Renaud et le bouclier de cristal
Maffei, 1650-55, Getty Museum

« Dès que la magicienne, appelée par des soins plus sérieux, s’est retirée, les deux guerriers sortent du bosquet qui les cache et se présentent à Renaud, revêtus de leur pompeuse armure… A la vue de cette armure éclatante, le héros, quoique livré à la mollesse, quoiqu’engourdi par le plaisir, sent renaître son ardeur. Ubalde s’avance et place sous ses yeux le bouclier de diamant. Dans ce miroir fidèle, il voit ses vêtements et sa chevelure, disposés avec un art efféminé et imprégnés de parfums ; son glaive, chargé de vains ornements, n’est plus une arme terrible, mais un inutile jouet. Et tel qu’un mortel, au sortir d’un lourd et profond sommeil, ne reprend ses esprits qu’après une longue rêverie, tel le guerrier revient à lui. Bientôt il ne peut soutenir la vue de sa propre image. » ([1] p 275 et ss)


Armide dans les bras de Renaud, XVIIeme, musee de la Tapisserie, Aubusson

Armide dans les bras de Renaud, XVIIème siècle, Musée de la Tapisserie, Aubusson

En plus du côté boulevard des deux voyeurs, et décoratif du Jardin paradisiaque, le sujet avait pour avantage de recycler et superposer plusieurs thèmes bien connus : la Toilette de Vénus (grâce au miroir à mains), les Amours jouant avec les armes de Mars (grâce ici au miroir en diamant, confié à un amour au mépris de la narration). Formule « tout en un » qui avait tout pour séduire.


Rinaldo Views His Image in the Diamond Shield, carton Simon Vouet, Manufactory of Raphael de la Planche. ca. 1633-1637 Flint Institute of ArtsAteliers de Raphael de la Planche, vers 1633-1637, Flint Institute of Arts Rinaldo Views His Image in the Diamond Shield, carton Simon Vouet, Manufactory Alexander de Comans (active 1634-1654) coll privAteliers d’Alexandre de Comans, collection privée

Renaud voit son image dans le miroir en diamant
Cycle de tapisseries d’après des cartons de Simon Vouet

Le carton dessiné par Vouet laissait visiblement une certaine latitude d’interprétation : la première tapisserie illustre l’histoire à la lettre, en montrant dans le bouclier une tête efféminée ; le deuxième interprète le texte, avec une horrible tête barbue qui traduit le côté monstrueux de la situation.



Rinaldo Views His Image in the Diamond Shield, carton Simon Vouet, Aubusson coll part
Cette troisième version, en format horizontal, supprime le miroir à main et réveille un autre thème : et si la tête monstrueuse était celle de Méduse ?



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Episode 4 : Renaud abandonne Armide

La fin du livre XVI est consacrée à la longue séparation sur la plage : discours manipulateurs d’Armide, ferme résolution de Renaud soutenu par ses compagnons. A bout d’arguments et de colère, Armide s’évanouit.

« Ces mots expirent sur ses lèvres ; et, succombant à ses angoisses, elle tombe presque inanimée ; une sueur froide se répand sur son corps ; ses paupières s’abaissent… Tes yeux se ferment, Ô Armide! le Ciel avare te refuse cette dernière consolation. . Malheureuse! regarde et tu verras des larmes amères inonder les yeux de ton ennemi. Oh ! quelle douce joie si tu pouvais entendre ses soupirs !… C’est tout ce qu’il peut t’accorder… Ses derniers adieux sont des regards de tendresse et de commisération ! Il part. Déjà les légers Zephyrs se jouent dans la chevelure de leur guide, et la voile d’or pousse l’esquif vers la haute mer. Les yeux du héros sont fixés sur le rivage, qui bientôt disparait. »


1580-90 Andrea Semino Rinaldo guarda Armida nello specchio Palazzo Bianco Genes

Renaud abandonne Armide
Attribué à Andrea Semino, 1580-90, Palazzo Bianco, Gênes

Cette composition étrange et équivoque, imaginé très peu de temps après la parution du roman, montre Fortune guidant la barque vers la plage, et Renaud tenant le miroir de cristal (non mentionné dans le texte) dans lequel Armide évanouie est montrée au spectateur : le but étant de rapprocher l’image des deux concurrentes, mais aussi de superposer le départ subreptice de Renaud à un autre épisode spéculaire : Thésée s’approchant avec son glaive de Méduse endormie.


1614 Renaud abandonne Armide Lanfranc Kunsthaus Zurich

Renaud abandonne Armide
Lanfranc, 1614, Kunsthaus, Zürich

C’est Lanfranc, quelques années plus tard, qui met au point la représentation canonique de l’épisode : le bouclier, frontière entre les deux femmes, reflète vaguement la silhouette de Renaud.


1639-46 Charles Errrard les adieux de Renaud a Armide Bouxwiller, Musee du pays de Hanau

Renaud abandonne Armide
Attribué à Charles Errard, 1639-46, Musée du pays de Hanau, Bouxwiller

Errard inverse la composition et place le miroir de manière à ce qu’il reflète Fortune.


1750 ca Tiepolo Rinaldo+Abandoning+Armida Villa Valmarana Vicence

Renaud abandonnant Armide
Tiepolo, vers 1750, Villa Valmarana, Vicence

Dans cette composition d’une clarté parfaite, Tiepolo élimine Fortune et positionne en pendant, dans une symétrie terre / mer, le miroir qui a perdu son pouvoir et le bouclier désormais inutile.


1680 Ronaldo and Armida by Luca Giordano coll part

Renaud abandonne Armide
Luca Giordano, vers 1680, collection particulière



1680 Ronaldo and Armida by Luca Giordano detail
Giordano synthétise l’aventure dans le détail, plus rhétorique qu’optiquement réaliste, du bouclier qui ne reflète plus que l‘index décidé du héros requinqué.



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Tancrède et Herminie

poussin 1630 ca ermitage--Tancrede-et Herminie

Tancrède et Herminie
Poussin, vers 1630, Ermitage, Saint Pétersbourg

Ce tableau, consacré à un autre couple célèbre de la Jérusalem délivrée, montre toute une série d’objets brillants :

  • l’épée, qui reflète la main d’Herminie et sa chevelure qu’elle coupe en signe de deuil ;
  • les boucliers qui encadrent Tancrède agonisant ;
  • le soldat mort à l’arrière-plan.



poussin 1630 ca ermitage--Tancrede-et Herminie cuirasse de Vafrino
Mais c’est sur un reflet imperceptible dans le dos de l’armure de Tancrède que Jonathan Unglaub s’est concentré : il y voit un autoportrait mélancolique de Poussin, qui pourrait tout aussi bien relever de la paréidolie [4].



Néo-boucliers

Les boucliers se raréfiant, quelques artistes leur ont trouvé des équivalents circulaires, pour nous poser d’intéressantes devinettes graphiques…

Le « bol de soupe » de Hummel

La gigantesque vasque de granit commandée en 1826 par le roi de Prusse Friedrich Wilhelm III, la plus grande du monde, ne fut mise en place temporairement qu’en 1831, et installé officiellement en 1834. Hummel a réalisé quatre tableaux immortalisant la réalisation de ce chef d’oeuvre patriotique.


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Vasque de granit dans la polisseuse à vapeur
Hummel, 1831, Alte Nationalgalerie, Berlin

Après sa découpe et son transport fluvial, la coupe fut meulée et polie à Berlin pendant deux ans et demi, grâce à une machine spéciale installée à peu de distance de l’Altes Museum, inauguré en 1830, où il était prévu de l’installer [5].

Le professeur Hummel était un praticien bien connu de la perspective, des ombres et des reflets, et il a très certainement voulu ici égaler le réalisme des primitifs flamands, en l’appliquant à un sujet résolument moderne [6].


1831 Johann Erdmann Hummel Polishing the Granite Basin for the Lustgarten

Vasque de granit polie dans la polisseuse à vapeur
Hummel, 1831, Alte Nationalgalerie, Berlin

Il existe une seconde version du tableau, avec personnages : celui en haut de forme, à droite, est l’inspecteur en bâtiment et tailleur de pierre Christian Gottlieb Cantian, responsable du projet.


Un reflet-mystère (SCOOP !)

1831 Johann Erdmann Hummel Polishing the Granite Basin for the Lustgarten detail

Le seul reflet figuratif est celui des quatre fenêtres et de la porte de l’atelier, dans lequel les commentateurs s’étonnent de voir un lac qui n’existait pas à l’emplacement du bâtiment : certains l’interprètent comme une allusion au voyage fluvial qui a précédé le polissage.

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1831 Johann Erdmann Hummel Polishing the Granite Basin for the Lustgarten detail B

Il s’agit en fait d’un piège visuel que l’on comprend en observant la partie droite : la courbure de la vasque a la propriété de créer deux reflets, l’un dans le sens naturel sur sa partie supérieure, et l’autre tête-bêche sur sa partie inférieure. Hummel a réglé la perspective de manière à ce que le reflet dupliqué de la porte donne l’impression d’un lac.



Die Granitschale auf dem Transport by Hummel 1828 Stiftung Stadtmuseum Berlin, perte de guerre

La mise en place de la vasque en granit
Hummel, brûlé pendant la guerre au Märkischen Museum

Finalement, la vasque étant trop grande pour l’emplacement initialement prévu à l’intérieur du Musée, elle fut installée devant : on remarque les échafaudages sur la façade du musée encore en construction. La superstructure de levage donne l’occasion à Hummel d’une démonstration de géométrie projective, par ses reflets sur la vasque et ses ombres longues sur le sol.


1831 Hummel_Granitschale_im_Lustgarten_anagoria Alte National galerie Berlin
Vasque de granit au Lustgarten
Hummel, 1831, Alte Nationalgalerie, Berlin

Le quatrième tableau montre la vasque mise en place provisoirement (il reste des blocs à insérer dans le socle). On reconnaît à gauche Cantian en haut de forme à côté d’un militaire. A droite les deux enfants en vêtement vert sont les fils de Hummel, Fritz et Erdmann.



1831 Hummel_Granitschale_im_Lustgarten_anagoria Alte National galerie Berlin detail A
Mais le tableau est une avant tout une apothéose des reflets : inversés sur la face inférieure, ils se redressent sur la partie convexe et s’inversent à nouveau sur la partie concave (c’est la raison d’être du promeneur sur le chemin).


Lustgarten 2004

Lustgarten, 2004

La vasque se trouve toujours au Lustgarden, mais elle a perdu depuis longtemps son polissage et ses reflets.



sb-line
Stevan Dohanos' 19 octobre 1946 Saturday Evening Post

Big Game of the Season
Stevan Dohanos, Saturday Evening Post, 19 octobre 1946

Les cinq musiciens, quatre garçons et une fille, appartenaient à la fanfare de la Staples High School de Westport, Connecticut, la ville où vivait Dehanos. Ce qu’ils tentent désespérément de suivre des yeux n’est pas leur chef d’orchestre, mais l’action de football américain qui se déroule sur la droite (Dohanos a bien pris soin d’inverser les numéros sur les maillots).


Affiche Music-man 20012001 Affiche Music-man 20162016

Affiches pour le spectacle « Music-man » des Staples Players

La première version, en 2001, est auto-réflexive ; celle de 2016 montre dans le soubassophone le personnage d’Harold Hill, le «music man» du spectacle [7].



sb-line
desperate_measures Svetlin velinov

Desperate Measures, Carte « Le bouclier de la Foi », Wizards of the Coast, édition OBSCURE ASCENSION
Svetlin Velinov, 2011

Les trois monstres portent le même uniforme. On vérifiera facilement que la main droite de chair, en avant-plan, appartient nécessairement à un quatrième.

Article suivant : 3 Reflets dans des armures : Pays du Nord

Références :
[1] Le Tasse, La Jérusalem délivrée, Livre XIV, traduction Philipon de la Madeleine, 1855 https://books.google.fr/books?id=JHu6PboMg9EC
[2] Isabella Chiappara Soria « Armida nella pittura barocca Sei-Settecentesca » https://www.saladelcembalo.org/histories/armida1.html
[3] Brigitte Urbani. « Francesco Hayez et Le Tasse. Renaud et Armide. Les réécritures de la Jérusalem délivrée », José Guidi, Raymond Abbrugiati, 2002, Aix-en-Provence, France. pp.179-200. https://hal-amu.archives-ouvertes.fr/hal-01760688/document
[4] Jonathan Unglaub « Poussin’s Reflection », The Art Bulletin Vol. 86, No. 3 (Sep., 2004), pp. 505-528 https://www.jstor.org/stable/4134444
[5]
https://de.wikipedia.org/wiki/Granitschale_im_Lustgarten
https://nightoutatberlin.de/der-geist-der-maschine/#_edn30
https://sensetheatmosphere.wordpress.com/2013/06/21/johann-erdmann-hummel-das-schleifen-der-granitschale-die-granitschale-im-lustgarten-1831/
Images en haute définition :
https://sammlung-online.stadtmuseum.de/Details/Index/170899
https://sammlung-online.stadtmuseum.de/Details/Index/170900
[6] Marsha L. Morton « Johann Erdmann Hummel and the Flemish Primitives: The Forging of a Biedermeier Style » Zeitschrift für Kunstgeschichte 52. Bd., H. 1 (1989), pp. 46-67 (22 pages) https://www.jstor.org/stable/1482457
[7] https://06880danwoog.com/2016/10/19/76-trombones-5-musicians-2-posters-1-painting/

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