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artifexinopere. L'artiste se cache dans l'oeuvre
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Van der Weyden

3 Reflets dans des armures : Pays du Nord

9 octobre 2020
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Les théories ne manquent pas sur le rôle du miroir dans l’art, sur la raison pour laquelle il s’est brusquement développé chez les primitifs flamands (conséquence technique de la peinture à l’huile, goût pour le détail et le réalisme, résurgence humaniste de l’antiquité), et sur le processus qui a vu apparaître quasi simultanément les reflets officiels dans un miroir bombé, et les reflets sauvages sur les casques ou les armures.

Plutôt que de reprendre ces théories impossibles à prouver sur un effet de mode dont il ne nous reste que des exemples épars, je propose ici un catalogue quasi exhaustif de ces exemples, classés selon la chronologie généralement admise.

Article précédent :  2 Le Bouclier-Miroir : scènes modernes

Van Eyck

On connaît les miroirs de sorcière de Van Eyck (Dans les Epoux Arnolfini ou dans le tableau disparu des Femmes aux bains). C’est aussi lui (ou son frère Hubert) qui a probablement inventé le procédé du reflet sur la cuirasse.

Van Eyck 1425-35 The Three Marys at the Tomb Van Eyck 1425-35 The Three Marys at the Tomb soldat

Les Trois Maries au Sépulcre
Hubert van Eyck, 1410-26, musée Boijmans Van Beuningen de Rotterdam

C’est ce reflet du paysage sur la cuirasse du soldat endormi qui semble être le tout premier conservé.



Van Eyck 1425-35 The Three Marys at the Tomb detail cuirasse
A mieux y regarder, il est plus complexe qu’il n’y paraît : il montre aussi le menton du soldat et son bras droit, avec même le reflet du reflet sur le canon d’arrière-bras.


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Jan_van_Eyck 1430 ca Diptyque de la Crucifixion et du Jugement dernier MET Van Eyck Crucifixion diptych

Diptyque de la Crucifixion et du Jugement dernier
Van Eyck, vers 1430, MET, New York

Le bouclier du soldat montre en contrejour le reflet de deux saintes Femmes, celle au foulard rouge et celle au foulard blanc.

Preimesberger [1] a proposé l’hypothèse que Van Eyck, dans ses différents reflets, se soit inspiré d’un texte de Pline. L’image du bouclier, notamment, y est convoquée pour parler des formes convexes :

Leur bizarrerie provient de la forme. Il importe beaucoup qu’elle soit concave comme une coupe, ou bien comme un bouclier de Thrace, que les parties centrales s’élèvent ou se creusent ; qu’elle soit oblique ou transverse, horizontale ou verticale. Ces circonstances font subir aux ombres qui viennent s’y projeter de nombreuses altérations.

Pline, Histoire Naturelle, livre XXXIII

Id evenit figura materiæ. Plurimumque refert concava sint et poculi modo, an parmæ threcidicæ , media depressa an elata , transversa an obliqua , supina an recta , qualitate excipientis figuræ torquente venientes umbras.


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Van Eyck 1432 Les chevaliers du Christ retable de Gand detail

Les chevaliers du Christ (détail)
Van Eyck, 1432, retable de Gand

La cuirasse d’un des chevaliers du Christ fonctionne sur le même principe que le soldat des Trois Maries : reflet indistinct du paysage, reflet distinct des objets proches : à gauche manche verte à crevés festonnés, en bas lames de la braconnière. Dans le même ordre d’idée, un jeu graphique oppose le reflet proche de la bandoulière de l’écu, et le reflet cassé de la lance, tenue par le reflet flou du gantelet.



Van Eyck 1432 Les chevaliers du Christ retable de Gand detail genouillere
Plus bas, la genouillère affiche le même paradoxe du fractionnement de la lance


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Saint Georges Triptyque Sforza (verso du panneau de droite), vers 1460 atelier de van der Weyden , Musees Royaux des Beaux Arts
Saint Georges (verso du panneau de droite du Triptyque Sforza )
Atelier de Van der Weyden, vers 1460, Musées Royaux des Beaux Arts, Bruxelles.

Ce Saint Georges de Van der Weyden est sans doute assez proche d’un tableau perdu de Van Eyck, qui avait été acheté par le roi de Naples Alphonse le Magnanime, et ne nous est plus connu que par cette description :

« Une oeuvre très louée, où le cavalier est vu tout incliné « incumbensque penitus in hastam », laquelle lance il avait fichée dans la bouche du dragon, et la pointe, passée tout dedans, n’avait plus à traverser que la peau qui, déjà gonflée, faisait une bosse à l’extérieur. C’était vraiment à voir un bon cavalier, tellement en avant et forcé contre le dragon, que sa jambe droite se voyait presque sortant de l’étrier et ipso déjà ébranlée de la selle. Dans la jambe gauche, l’image du dragon se reflétait, aussi bien représentée dans le reflet de l’armes que dans le verre d’un miroir. Sur l’arçon de la selle apparaissait une tâche de rouille, qui, dans cette zone de fer poli, se montrait de manière évidente. Bref, le bon Colantonio a recopié tout ce tableau, de sorte qu’on ne puisse discerner le sien de l’original sinon pour un arbre, qui dans l’un était de róvola et dans la copie il il voulut en faire un châtaignier, dans une belle étude. Ce portrait est maintenant à Naples dans la garde-robe de la plus illustre dame duchesse de Milan. »

,,opera assai laudata, dove si vede lo cavalero tutto inclinato incumbensque penitus in hastam, la qual ipso avea fixa nella bocca del dragone, e la punta, passata tutta in dentro, non avea da passare se non la pelle, che già gonfiata, facea una certa borsa in fora. Era, ad vedere, il bon cavalero tanto dato avanti e sforzato contro il dragone, che la gamba dextra si vedea quasi fora della staffa e ipso già scosso dalla sella. In la sinistra gamba riverberava la imagine del dragone, così ben rappresentata in la luce delle arme come in vetro di specchio. In lo arcione della sella apparea una certa ruggia, la quale, in quel campo lucido di ferro, si monstrava molto evidente. Insomma lo bon Colantonio la contrafece tutta questa pittura, di modo che por si discernea la sua da l’archetipo se non in un albero, che in quella era di róvola e in questa costui ad bel studio la volse fare di castagno. Questo tale ritratto adesso è in Napoli in la guardarobba della illustrissima signora duchessa di Milano ».”.

 Lettre de Pietro Summonte à Marcantonio Michiel, 1524


Van Eyck 1432 Les chevaliers du Christ retable de Gand detail arcon

Détail de l’arçon de la selle d’un des chevaliers du Christ, retable de Gand



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Van Eyck 1436 La Madonne au chanoine van der Paele Groeninge Museum Bruges VanEyck-paele-detail

La Madone au chanoine van der Paele (détail)
Van Eyck, 1436, Groeninge Museum, Bruges

Dans ces très célèbres reflets, la Vierge à l’Enfant apparaît multipliée sur les bosselures du casque, et on distingue Van Eyck tenant son pinceau sur la face argentée du revers du bouclier (j’ai consacré un article à tous les cas similaires : 2c Le peintre en son miroir : L’Artiste comme fantôme).


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Heures de Turin Milan photo durrieu (detruit en 1904) fol 24 planche XV Heures de Turin Milan photo durrieu (detruit en 1904) fol 24 planche XV detail

L’Arrestation du Christ
Van Eyck, 1422-24 ou Maître G, 1445-52, Heures de Milan-Turin, fol 24, miniature brûlée en 1904, photo Durrieu planche XV [2]

Cette miniature de très haute qualité a été attribuée au jeune Van Eyck, mais la tendance est actuellement de la dater d’une vingtaine d’années plus tard, après sa mort [3]. D’après cette photographie, seule trace qui nous reste, il semble que les reflets dans deux casques multipliaient la partie essentielle de la narration (le baiser de Judas à Jésus), et que d’autres reflétaient mutuellement les soldats [1]. Si c’est bien le cas, la sophistication de cet effet milite en faveur d’une date tardive



Van der Weyden

Van der Weyden Saint George and the dragon 1432-1435 NGA Washington Van der Weyden 1432-35 St Georges et le dragon NGA

St Georges et le dragon
Van der Weyden, 1432-35, NGA, Washington

Ce Saint Georges a également été proposé comme copie lointaine du Saint Georges perdu de Van Eyck. La cuirasse suit en tout cas les mêmes principes que celle du chevalier du Christ : reflet proche du poignard et de l’arçon, reflet cassé de la lance.



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Van des Weyden 1460 ca Sforza triptych Musées royaux des Beaux-Arts de Belgique, Bruxelles detail

Triptyque Sforza (détail)
Van des Weyden, vers 1460, Musées royaux des Beaux-Arts de Belgique, Bruxelles

De la braconnière à la cuirasse, le reflet passe du manche de l’épée à la main qui la manie, de la guerre à la prière.



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van der Weyden 1466. Retable d'Ambierle (panneau droit) M. de Chaugy with St. Michael, van der Weyden 1466. Retable d'Ambierle (panneau droit) M. de Chaugy with St. Michael detail,

Michel de Chaugy avec St. Michel (volet droit du retable d’Ambierlé )
Van der Weyden ou Maître d’Ambierlé, 1466, église d’Ambierlé

Le seul reflet distinct est ici celui du démon, que l’anamorphose rend encore plus hideux.



Memling

Memling est dans conteste le peintre qui a poussé le plus loin l’art flamand du reflet, et exploité toutes ses possibilités théoriques.

Le jugement dernier de Gdansk

La boule céleste

Memling 1467-1471 Jugement dernier Gdansk haut

Jugement dernier (partie haute)
Memling, 1467-1471, Muzeum Narodowe, Gdansk

Le panneau central du Jugement Dernier de Gdansk comprend deux célèbres reflets. Dans la partie céleste, le Christ est assis sur l’arc-en-ciel, les pieds posés sur un globe en métal doré (sur cette iconographie, voir 6 Le globe dans le Jugement dernier). Il est entouré par les douze apôtres assis, devant lesquels sont agenouillés Marie et Saint Jean Baptiste.



Memling 1467-1471 Jugement dernier Gdansk
Le reflet montre ces grands personnages aux deux bouts de l’arc en ciel, ainsi que l’ange en vert et l’ange en orange.



Memling 1467-1471 Jugement dernier Gdansk detail
Au centre, Saint Michel est vu d’en haut avec sa lance et sa balance, dominant les morts qui ressuscitent et sont jugés : à gauche les Elus, à droite les Damnés. Cette image dans la boule suffirait presque à reconstituer la moitié inférieure du panneau.


La question de la balance

Memling 1467-1471 Jugement dernier Gdansk bas

Jugement dernier (partie basse)

La lance dont Saint Michel se sert habituellement pour pourfendre le démon est ici transformée en une longue croix tenue en oblique, qui désigne comme damné le plus léger des deux prévenus : un diable l’entraîne déjà par les cheveux tandis que l’élu le regarde partir en priant. Le processus serait particulièrement inéquitable si les « prévenus » étaient tirés au sort deux par deux : il faut les comprendre non comme des individus particuliers, mais plutôt comme les personnifications de la Vertu et du Péché.


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Saint Michel pesant la Vertu et le Péché, détail du Jugement Dernier
Rogier Van der Weyden, 1445-50, Hospices de Beaune.

C’est le cas dans le retable de Beaune, qui précède de quelques années celui-ci, et où sont inscrit de part et d’autre les mots Virtus et Peccata. On remarquera que la position des plateaux y est inversée, anomalie qui a fait couler beaucoup d’encre et n’a été expliquée que récemment :

« Dans le Jugement dernier de Rogier, la seule fonction de Saint Michel, qui tient la balance contenant un élu et une âme damnée, est de participer à l’acte de jugement du Christ. Bien que dans le sous-dessin, Van der Weyden ait représenté la balance avec l’âme sauvée descendant et avec l’âme damnée s’élevant, conformément à la tradition iconographique basée sur les mots «  « tu as été pesé dans les balances et trouvé léger » (Daniel 5 : 27), dans l’exécution en peinture, il a utilisé la variante iconographique où l’âme sauvée monte en direction du ciel et l’âme damnée descend, comme si elle s’enfonçait en enfer. En raison de ce changement, les mains et la balance de saint Michel miment les gestes de bénédiction et de damnation du Christ, avec pour effet d’optimiser la connexion entre le Christ et saint Michel. Memling n’était pas intéressé par ce parallèle: il a dessiné la balance en respectant le passage de la Bible et a transformé Saint Michel en un soldat actif et militant, portant l’armure sous sa cape et frappant l’âme damnée dans le plateau avec son bâton » [4]


Un reflet optimiste (SCOOP !)

Memling-1467-1471-Jugement-dernier-Gdansk-reflet-maxi
Le reflet sur la cuirasse particularise deux personnages : la Vertu assise dans le plateau posé sur le sol, et un damné qui marche à quatre pattes.



Memling 1467-1471 Jugement dernier Gdansk armure
Le plateau avec le Péché est hors-champ, absorbé par la courbure comme par le feu de l’Enfer , dont le manche de la croix masque l’entrée.



Memling 1467-1471 Jugement dernier Gdansk reflet trois contacts

Diane H.Bodard [5] a remarqué que l’expulsion du Péché vers l’Enfer, au bout de la diagonale de la croix-lance, est réitérée par deux fois :

  • au bas du reflet sur la braconnière ;
  • au bas du reflet sur la cuirasse.

Ce même dispositif braconnière-cuirasse duplique le saint en le fractionnant :

  • la main qui tient la lance apparaît en haut à gauche du reflet sur la cuirasse,
  • la main qui tient la balance en haut à droite du reflet sur la braconnière.



Memling 1467-1471 Jugement dernier Gdansk armure
Tandis que le reflet exalte le Saint et escamote la partie infernale, il développe la vue sur l’entrée du Paradis : un grand portail gothique flanqué à gauche par une tour romane.



Memling 1467-1471 Jugement dernier Gdansk triptyque

Cette position semblerait à première vue une erreur, puisque le panneau gauche du triptyque montre la tour romane à droite du portail. Mais elle est en fait cohérente avec une conception panoramique dans laquelle il faut voir la cuirasse comme un miroir en relief, sortant en avant du plan du retable : le reflet reproduit l’ensemble comme un espace continu, et montre ce que le tableau ne montre pas, ce qui se trouve en avant de la balance : des morts sortant de terre, parmi lesquels le spectateur.

Ainsi le reflet est plus optimiste que le retable : il supprime le panneau Enfer et abolit la cloison entre l’espace du Jugement et celui du Paradis. Manière de confirmer au spectateur que la porte du Ciel lui est ouverte.



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Diptyque de Marie au buisson de roses, avec Saint Georges et un donateur,
Memling, vers 1480, Munich, Alte Pinakothek

Comme dans le saint Georges du chanoine van der Paele, le reflet sur la cuirasse a pour but de nous convaincre  que les personnages sacrés et les personnages profanes (le peintre ou ici le donateur) cohabitent dans le même espace (au moins l’espace virtuel reconstitué dans le tableau).



Memling_Diptyque_Marie_Buisson_Saint Georges_Reflet
Memling reprend les mêmes ingrédients à succès que dans le retable de Gdansk :

  • le reflet proche de l’épée,
  • le reflet plus lointain de la lance et du bras qui la tient ;
  • le reflet éloigné, mais encore discernable, du paysage et de trois des personnages.



En nous les montrant dans l’ordre inverse du tableau (donateur, vierge, ange à l’orgue), le reflet fait comme s’il inversait la position relative des objets : autrement dit comme s’il était faux. Il faut un peu de réflexion pour comprendre que, vu son emplacement latéral, la curasse reflète la réalité dans un ordre différent de celui qui apparaît au spectateur : le reflet est donc totalement fidèle.

En outre le donateur y apparaît en double position d’honneur : à la droite de la Vierge et sous l’église. La cuirasse du Saint a donc le pouvoir de montrer une réalité plus exacte encore que ce que voit le spectateur : le donateur accepté à l’intérieur du jardin clos de Marie.

Enfin le reflet résout ici une question théorique : en abolissant la frontière entre les deux panneaux, il nous prouve que celle-ci n’est plus, comme au tout début des diptyques de dévotion, la limite d’un espace profane rabattable sur un espace sacré. Mais une simple nécessité menuisière, une découpe purement conventionnelle dans une réalité continue. Sur d’autres exemples de diptyques continus chez Memling, voir 3.3 D’un livre à l’autre )



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Memling 1489 Chasse de Ste Ursule Martyre a Cologne A Hopital St Jean Bruges Memling 1489 Chasse de Ste Ursule Martyre a Cologne B Hopital St Jean Bruges

Panneaux 5 et 6, Châsse de Ste Ursule
Memling, 1489, Hôpital St Jean, Bruges

Les Romains ont demandé à leur allié Jules, roi des Huns, d’attendre Ursule et ses pèlerins à Cologne et de les mettre à mort.

Ces deux panneaux montrent Cologne depuis la rive orientale du Rhin (Bayenturm, St Severin avec les tours de St Maria Lyskirchen devant, Ste Maria im Kapitol, Gross St Martin et la cathédrale) dans une continuité spatiale : on voit la proue du second bateau à gauche du second panneau..

Il y a en revanche discontinuité temporelle :

  • dans le premier panneau Ursule reçoit dans ses bras Etherius poignardé à mort ;
  • dans le second Ursule, qui s’est refusée au Roi des Huns, est mise à mort.

Memling 1489 Chasse de Ste Ursule Martyre a Cologne A Hopital St Jean Bruges detail Martyrdom of the Saint Ursula, by Hans Memling

Les reflets jouent un rôle d’amplification dramatique. Dans les deux scènes ils démultiplient les soldats : noter comment celui de droite est répliqué dans la cuirasse et dans la braconnière.



Martyrdom of the Saint Ursula, by Hans Memling
Le reflet central réduit la scène à l’essentiel : faisant disparaître les personnages accessoires, il laisse la Sainte seule face à son bourreau.



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Memling 1490 Trittico della Resurrezione, Museo del Louvre Memling 1490 Trittico della Resurrezione, Museo del Louvre detail

Triptyque de la Résurrection
Memling, 1490, Louvre, Paris

Le reflet illustre ici les trois fonctionnalités principales qui se sont dégagées, après cinquante années d’évolution de la peinture flamande :

  • intégrer le tout dans la partie : le reflet du Christ ressuscité dans le casque ;
  • relier les paries entre elles : le reflet du visage de l’autre soldat sur la cuirasse ;
  • résumer graphiquement l’ensemble : la Résurrection endort les soldats.



Autres peintres

A côté des trois grands (Van Eyck, Van der Weyden et Memling), d’autres artistes influencés par l’art néerlandais ont suivi la mode du reflet sur la cuirasse ou le casque. Je les présente ici chronologiquement (les artistes italiens font l’objet d’un article sépare, voir 4 Reflets dans des armures : Italie).

1450 ca Master_of_the_Karlsruhe_Passion _Arrest_of_Christ Wallraf–Richartz Museum Cologne 1450 ca Master_of_the_Karlsruhe_Passion Arrest_of_Christ Wallraf–Richartz Museum Cologne detail

L’Arrestation du Christ
Maître de la Passion de Karlsruhe, vers 1450, Wallraf–Richartz Museum, Cologne

Dans les six panneaux sur la Passion du Christ réalisés par cet artiste profondément original [6], seul celui de L’Arrestation du Christ comporte un reflet significatif.

Mis en valeur et justifié par la torche allumée juste au dessus, le reflet révèle la nature démoniaque du soldat qui a perdu son casque.



1450 ca Master_of_the_Karlsruhe_Passion Arrest_of_Christ Wallraf–Richartz Museum Cologne detail 2
Et aussi sa destinée inflammable, puisque son bonnet est de la même paille que la torche.


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1468 San Michele trionfa sul diavolo. Bartolome Bermejo National Gallery 1468 San Michele trionfa sul diavolo. Bartolome Bermejo National Gallery cite celesteSaint Michel trionphe du démon


Bartolome Bermejo, 1468, National Gallery

Sur les aspects concernant le donateur dans cette oeuvre très commentée [7], voir 6-7 …dans les Pays du Nord.

Le reflet, contemporain de celui de Memling dans le Jugement Dernier de Gdansk (1467-71), sert ici encore à donner une image optimiste : celle de la Jérusalem céleste arrivant dans le ciel, après le Jugement dernier.

Comme l’a remarqué Diane H.Bodard, le reflet sert ici à inscrire dans le présent (la lutte de Saint Michel contre le Démon) une image du futur.


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Maestro de la Leyenda de Santa Lucía 1475 ca Triptyque de la Passion volet droit Saint Adrien avec Adrienne de Vos,2eme epouse de Donas de Moor Maestro de la Leyenda de Santa Lucía 1475 ca Triptyque de la Passion volet droit Thyssen Bornemisza detail

Triptyque de la Passion (volet droit) : Saint Adrien avec Adrienne de Vos, 2ème épouse de Donas de Moor
Maître de la Legende de Sainte Lucíe, vers 1475, Musée Thyssen Bornemisza, Madrid

Il s’agit ici d’un reflet technique : manche de l’épée et cubitière. Mais aussi peut être un hommage à la spécialité de Saint Adrien, patron des fabricants d’armes et dont l’attribut est une enclume.

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Triptyque du Buisson ardent (détail)
Nicolas Froment, 1476, Cathédrale Saint-Sauveur, Aix-en-Provence

Dans le panneau central de cet immense triptyque, l’Enfant Jésus tient un miroir qui le montre avec sa mère au centre du Buisson Ardent.



froment-triptyque-buisson-ardent -1476 _Aix-en-Provence,_Church_Saint-Sauveur
Comme pour flanquer ce reflet parfait, circulaire et intentionnel, les volets latéraux montrent des reflets imparfaits, indéfinis et fortuits.


froment-triptyque-buisson-ardent -1476 volet gauche detail saint Maurice froment-triptyque-buisson-ardent -1476 volet gauche detail saint Maurice epee

Dans le panneau gauche, le reflet de la tête de Saint Antoine sur la spalière spiralée de l’armure de Saint Maurice et, sur le canon d’avant-bras, le reflet du pommeau de l’épée.



froment-triptyque-buisson-ardent -1476 _Aix-en-Provence,_Church_Saint-Sauveur volet-droit detail saint Jean
Dans le panneau droit, les reflets des doigts de Saint Jean sur le calice de poison.


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1477-78 DERICK BAEGERT Cristo che porta la Croce e Veronica con il sudario Thyssen-Bornemisza, Madrid 1477-78 DERICK BAEGERT Cristo che porta la Croce e Veronica con il sudario Thyssen-Bornemisza, Madrid detail

Portement de croix et voile de Sainte Véronique
Derick Baegert, 1477-78, Musée Thyssen-Bornemisza, Madrid

De cette grande Crucifixion, seuls quelques fragments isolés ont été conservés. Le reflet sur le casque unifie comiquement les naseaux et le turban, et montre à droite les deux genoux du Crucifié.


Museo Thyssen- Bornemisza

Derick Baegert, 1477-78, Musée Thyssen-Bornemisza, Madrid

De l’autre côté de la croix, cet autre fragment oppose le bon Centurion (celui qui a reconnu Jésus comme Dieu) à un oriental ratiocineur, mais aussi deux types de peinture : portrait et caricature.


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1477 Master of 1477, Calvary, Bayerische Staatsgemaldesammlungen, Augsburg, 1477 Master of 1477, CalvaryBayerische Staatsgemaldesammlungen, Augsburg reflet

Calvaire
Maître de 1477, 1477, Bayerische Staatsgemaldesammlungen, Augsburg

La même scène se traduit ici par la même opposition…



1477 Master of 1477, CalvaryBayerische Staatsgemaldesammlungen, Augsburg reflet detail
…qui s’augmente d’un troisième terme : le reflet, caricature de la caricature.

Autant le dialogue entre le Bon Centurion et le juif outrancier est un incontournable des Crucifixions allemandes de l’époque, autant l’idée du reflet est rare. Mitchell Merback [8], qui a consacré à la question un grand article théorique, n’en a trouvé qu’un seul autre exemple, chez un peintre d’Augsburg de la génération suivante.


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1504, Burgkmair_S. Croce in Gerusalemme, Bayerische Staatsgemaldesammlungen, Augsburg, 1504, Burgkmair_S. Croce in Gerusalemme, Bayerische Staatsgemaldesammlungen, Augsburg centurion,

S. Croce in Gerusalemme
Burgkmair , 1504, Bayerische Staatsgemaldesammlungen, Augsburg

« Les soldats anonymes qui se tiennent en face du Bon Centurion dans de nombreuses images de la fin du Moyen Âge étaient considérés comme les agents du blasphème, opposant leur volonté à celle de Dieu en refusant d’identifier Jésus au Messie. Dans la crucifixion d’Augsbourg, ce refus s’exprime par le geste. Dégradant ce que le Centurion exalte, l’horrible soldat juif désigne le bas de sa main de fer, se joignant à ceux qui exigent que Jésus démontre sa divinité en descendant de la croix (Matt. 27:40-42). Ce que le personnage exprime est la résistance à la connaissance transformatrice, la rébellion contre Dieu, le refus obstiné de « voir » dans la Croix quoi que ce soit d’autre qu’une immolation charnelle, donc, la répugnance à s’associer à la conversion du Centurion. » Mitchell Merback ([8], p 300)



1504, Burgkmair_S. Croce in Gerusalemme, Bayerische Staatsgemaldesammlungen, Augsburg reflet sur cuirasse bon centurion,

« Et il y a plus… : un autre regard de jugement, celui qui est renvoyé au Juif par sa propre image. Ce doppelgänger spéculaire ne semble visible à personne dans la scène, encore moins à son homologue en chair et en os, qui regarde juste au-delà tout en souriant narquoisement au centurion. Et loin de mimer le sourire maussade du juif, comme nous l’avons déjà observé, cet Autre en miroir, scintillant sur la surface brillante, bouche bée, semble reculer d’horreur devant le spectacle qui s’offre à lui. Que voit le juif spectral dans cette réflexion métamorphique que le juif réel ne peut pas ou ne veut pas voir ? Que signifie le fait que le visage inversé exposé par le miroir, ce Moi « autre », connaisse la vérité sur le Moi qui l’ignore et le méconnait ? En supposant que Burgkmair ait emprunté le motif du reflet au Calvaire du Maître du 1477, et qu’il en ait saisi le potentiel réflexif en tant qu’image dans une image, qu’est-ce qui l’a poussé à le développer de cette manière particulière ? Il est tentant de n’y voir qu’une vanité picturale, ou un clin d’oeil antiquisant à ces masques grotesques qui décoraient les armes et les armures anciennes, une tête de Gorgone en repoussé transformée, pour ainsi dire, en un spectre animé qui se moque des vivants. Que Burgkmair ait pu aller au-delà de son propre milieu, en trouvant l’inspiration pour ce motif dans la tradition néerlandaise des reflets imbriquée, des couleurs à l’huile «auto-éclairantes» et des jeux picturaux sur les tropes classiques, est également concevable. » ([8], p 300)

Mais pour Merback, le reflet atteindrait ici une véritable profondeur théologique :

« Je soutiens que la cible morale de Burgkmair s’avère être cette partie «judaïsante» du Moi chrétien, le charnel ennemi de l’intérieur qui, par ses péchés incessants, trahit le Christ à ses ennemis, l’abandonne sur la croix et traite avec ingratitude son aimante miséricorde. La reconnaissance ratée de Dieu et la reconnaissance ratée de Soi se reflètent l’une l’autre et engendrent la même angoisse. » ([8], p 300)



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1485 ca Geertgen tot Sint Jans Adoration of the Magi, Narodni galerie Prague 1485 ca Geertgen tot Sint Jans Adoration of the Magi, Narodni galerie Prague detail

Adoration des Mages
Geertgen tot Sint Jans, vers 1485, Narodni galerie, Prague

Dans le panneau de droite, l’armure de Saint Adrien (et partiellement son casque) reflètent la donatrice agenouillée et l’Adoration des Mages, derrière la haute silhouette de Balthazar : comme si le métal complétait le reflet indistinct et inversé de l’autre dispositif optique, la boule de cristal.



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Master of Moulins, active c.1475-c.1505; Saint Maurice (or Saint Victor) with a Donor Master of Moulins, active c.1475-c.1505; Saint Maurice (or Saint Victor) with a Donor

Francis de Chateaubriand présenté par Saint Maurice
Jean Hey, vers 1500, Glasgow Museums and Art Galleries

Ce fragment de retable illustre un second usage du reflet, celui de coller ensemble deux personnages : abrité sous le manteau de son saint patron, le donateur s’incorpore ainsi à lui de manière encore plus intime.



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Anonyme debut XVIeme Art History Museum, Vienne. Anonyme debut XVIeme Art History Museum, Vienne detail.

Saint Michel et le dragon
Anonyme, début XVIème, Art History Museum, Vienne

Ce reflet particulièrement ambitieux supprime le dragon, montre les deux bras de l’archange embrassant le paysage et, en haut, son visage inversé. Le tableau a donc pour but d’illustrer un « miracle » parfaitement naturel du miroir sphérique : en repliant sur lui tout ce qui se trouve autour, il reflète fidèlement ce qui est devant lui, mais retourne ce qui se trouve au-dessus.


Image 2 - Main tenant un miroir spherique M. C. Escher lithographie 1935 Courtesy of the Palazzo Reale

Main tenant une sphère réfléchissante
Escher, 1935



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Le Jugement de Cambyse
Panneau de gauche : La capture du juge corrompu Sisamnes
Gérard David, 1498, Musée Groeninge, Bruges

Le reflet sur le casque, ce vieux procédé que les peintres de Bruges se transmettent depuis Van Eyck, n’a ici pas d’autre ambition que d’expliquer et étendre la topographie du lieu, en montrant une autre face du portique.



Juan de Flandes

En 1496, cet artiste d’origine flamande devient peintre de la reine Isabelle la Catholique. Il va importer en Espagne la mode des reflets militaires, au point d’en faire un véritable signe de reconnaissance.

JUAN DE FLANDES 1500-04 Les noces de Cana Met

Les noces de Cana
Juan de Flandes, 1500-04, MET, New York

Ce panneau fait partie d’une série de 47 panneaux avec des scènes de la vie du Christ et de la Vierge, commandées par Isabelle la Catholique pour le château de Toro [9].



JUAN DE FLANDES 1500-04 Les noces de Cana Met detail
Le reflet y joue les deux rôles classiques :

  • expliquer la topographie, en montrant que le portique possède des colonnes frontales ;
  • expliquer la scène, en isolant le couple des jeunes mariés.



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JUAN DE FLANDES 1504 ca Tabla del Retablo de San Miguel Catedral Vieja, Musee diocesain Salamanca JUAN DE FLANDES 1504 ca San Miguel Tabla del Retablo de San Miguel Catedral Vieja, Musee diocesain Salamanca detail

Retable de Saint Michel
Juan de Flandes, vers 1504, Musée diocésain, Salamanque

Il s’agit du panneau central d’un retable peint vers 1504 pour la niche du sépulcre de Don Diego Rodríguez de Isidro, dans la cathédrale de Salamanque.

Pour la première fois le reflet montre ce qui va devenir une véritable signature visuelle : une ville en feu vue à travers des colonnes. Tandis que le Saint Michel de Bermejo exhibait la face heureuse du Futur (l’arrivée de la Jérusalem Céleste à la fin de l’Apocalypse), celui de Juan de Flandes trahit sa contrepartie sombre : la destruction de Babylone.

La queue serpentine du monstre est intégrée dans le reflet sur le bouclier.


Juan Perez Casatus (1587) ,copie JUAN DE FLANDES Musee diocesain Salamanca

Juan Perez Casatus, 1587, copie, Musée diocésain, Salamanque

Sous les nuages ​​ noirs se cachaient des démons, effacés sur l’original, mais visibles sur cette copie : ces éléments maléfiques troublant le bleu du ciel confirment le rôle pessimiste que Juan de Flandes fait jouer au reflet flamand en l’adaptant au goût espagnol : exhiber le Mal qui règne devant le tableau.


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Juan de Flandes 1505–9 , Saints Michel and Francois MET Juan de Flandes 1505–9 Saints Michel and Franoois MET detail

Saint Michel et Saint François
Juan de Flandes, 1505–09, MET

Dans ce panneau au style très proche, peut être réalisé pour l’Université de Salamanque [10], le même reflet est appliqué de manière mécanique, sans y intégrer la lance ou la gueule du dragon.


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juan de flandes 1508 Resurrection Museo Soumaya Mexico

Résurrection
Juan de Flandes, 1508, Museo Soumaya Mexico

Ce panneau, peut être été réalisé pour l’église San Lázaro de Palencia [11], montre sur deux des casques la même vision d’une cité en flammes.


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juan de Flandes 1509 Le Christ devant Pilate RETABLO MAYOR DE LA CATEDRAL DE PALENCIA juan de Flandes 1509 Le Christ devant Pilate RETABLO MAYOR DE LA CATEDRAL DE PALENCIA detail

Le Christ devant Pilate
Juan de Flandes, vers 1509, Retable majeur de la cathédrale de Palencia

juan-de-flandes 1510 ca portement-de-croix Retablo de la catedral de Palencia juan-de-flandes 1510 ca portement-de-croix Retablo de la catedral de Palencia detail

Le portement de croix
Juan de Flandes, vers 1510, Retable majeur de la cathédrale de Palencia

Même reflet tragique sur les casques et les armures.

A noter que dans le Portement, le reflet reste braqué sur la Babylone virtuelle, alors qu’il pourrait être utilisé pour unifier le Christ et son bourreau.



Derniers reflets

1518 - 20 quentin Massys Christ presented to the People Prado 1518 - 20 quentin Massys Christ presented to the People Prado detail

Le Christ présenté au peuple
Quentin Massys, 1518-20, Prado, Madrid

Ce morceau de bravoure liminaire est un des dernier exemples du reflet à la Van Eyck, à visée à la fois panoramique et symbolique : il montre d’une part la ville hérissée de lances, et se focalise d’autre part sur le soldat qui relève le manteau du Christ, geste qui synthétise toute la scène de l’Ecce Homo.

La trouvaille visuelle est que c’est la face hébétée du soldat qui complète le reflet, se substituant au visage tragique du Christ : manière innovante de confronter la caricature au portrait.


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1532-33 Hans Holbein il giovane Ritratto di Sir Nicholas Carew Drumlanrig Castle, Thornhill

Portrait de Sir Nicholas Carew
Hans Holbein Le Jeune, 1532-33, Drumlanrig Castle, Thornhill

Ce tableau illustre bien ce qui va rester du reflet après sa période de gloire : un procédé pour accentuer le relief, sans vocation panoramique ni profondeur symbolique : c’est essentiellement ce type de reflet technique qu’utiliseront les peintres italiens, auxquels l’article suivant est consacré.


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Saint Georges et le dragon
Leonhard Beck, vers 1515, Kunsthistorisches Museum, Vienne

Mais avant d’abandonner les peintres du Nord, versons au dossier cette image très germanique d’un Saint Georges combattant sous un burg.

Voyez-vous où est le reflet ?

Voir la réponse...

C’est l’ensemble de la composition qui fonctionne comme un reflet : la partie gauche (la princesse tenant en laisse son mouton, le cheval et le cavalier) montre de dos ce que la partie droite montre de face. Mons le dragon, qui a définitivement débarrassé le paysage.



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Le_Chevalier_aux_Fleurs_1894_Georges_Rochegrosse Musee Orsay Le_Chevalier_aux_Fleurs_1894_Georges_Rochegrosse Musee Orsay detail

Le Chevalier aux fleurs
Rochegrosse, 1894, Musée d’Orsay

A la toute fin du XIXème siècle, le reflet sur le chevalier est ressuscité par Rochegrosse comme symbole d’imperméabilité aux séductions florales et charnelles :

« Le moment représenté est celui où Parsifal, le chaste héros prédestiné à reconquérir le Saint-Graal, vient de terrasser les gardiens du château du magicien Klingsor. Il s’éloigne dans le jardin enchanté, sourd aux appels des filles-fleurs, femmes fatales aux corps à peine couverts de narcisses, de pivoines, de roses, d’iris, de tulipes, de violettes et d’hortensias «  [12]


Article suivant : 4 Reflets dans des armures : Italie

Références :
[1] Preimesberger, « Zu Jan van Eycks Diptychon der Sammlung Thyssen-Bornemisza », Zeitschrift für Kunstgeschichte Bd. 54 (1991) S. 459-489 https://www.slideshare.net/guest94b484/van-eyck-german
[2] Paul Durrieu, « Heures de Turin : quarante-cinq feuillets à peintures provenant des Très belles heures de Jean de France, duc de Berry » https://archive.org/details/gri_33125003453699
[3] Carol Herselle Krinsky « The Turin-Milan Hours: Revised Dating and Attribution » https://jhna.org/articles/turin-milan-hours-revised-dating-attribution/
[4] Bernhard Ridderbos and Molly Faries « Hans Memling’s Last Judgement in Gdańsk: technical evidence and creative process » Oud Holland 130 (2017), no. 3/4, pp. 57-82 https://www.academia.edu/36604996/_Hans_Memling_s_Last_Judgement_in_Gda%C5%84sk_technical_evidence_and_creative_process_Oud_Holland_130_2017_no_3_4_pp_57_82
[5] Diane H.Bodard, « Le reflet, un détail-emblème de la représentation en peinture » dans Daniel Arasse, Historien de l’Art, Editions des Cendres, INHA, 2010
Conférence lors du colloque Arasse 2006 : http://web.archive.org/web/20130124215624/http://www.savoirs.ens.fr/diffusion/audio/2006_06_08_bodart.mp3
[6] https://de.wikipedia.org/wiki/Meister_der_Karlsruher_Passion
[7]
https://www.nationalgallery.org.uk/exhibitions/past/bartolome-bermejo/in-detail-saint-michael-triumphs-over-the-devil
https://www.nationalgallery.org.uk/paintings/bartolome-bermejo-saint-michael-triumphs-over-the-devil
[8] Mitchell Merback,  « Recognitions: Theme and Metatheme in Hans Burgkmair the Elder’s « Santa Croce in Gerusalemme » of 1504″, The Art Bulletin , September 2014, Vol. 96, No. 3 (September 2014), pp. 288-318 https://www.jstor.org/stable/43188882
[9] https://www.metmuseum.org/art/collection/search/436801
[10] Colin Eisler « Juan de Flandes’s Saint Michael and Saint Francis » The Metropolitan Museum of Art Bulletin New Series, Vol. 18, No. 4 (Dec., 1959), pp. 128-137 https://www.jstor.org/stable/3257823?seq=1#metadata_info_tab_contents
[11] https://es.wikipedia.org/wiki/La_resurrecci%C3%B3n_de_Cristo_(Juan_de_Flandes)
[12] https://www.musee-orsay.fr/fr/collections/oeuvres-commentees/recherche/commentaire/commentaire_id/le-chevalier-aux-fleurs-21227.html

La mort recto-verso : diptyques, triptyques

10 septembre 2020
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Un emplacement privilégié pour l’apparition théâtrale de la Mort : le revers d’un volet de diptyque ou de triptyque.

La formule de loin la plus courante est celle du diptyque accroché au mur, dans lequel la figure macabre se trouve au revers du panneau mobile et forme couvercle lorsque le diptyque est fermé.

Diptyques conjugaux

Commençons par les diptyques conjugaux dont un portraitiste célèbre, Barthel Bruyn l’Ancien, s’est fait une spécialité : l’abondance de crânes marque le moment où la formule perd son caractère expérimental et individuel, et devient un supplément courant plutôt qu’une preuve de particulière piété.

Barthel Bruyn l'Ancien 1516 portrait d'hommePortrait d’homme, 1516 Barthel Bruyn l'Ancien 1517 portrait de femmePortrait de femme, 1517

Barthel Bruyn l’Ancien, collection privée

Dans ce tout premier diptyque conjugal de Barthel Bruyn l’Ancien, les deux portraits sont sur fond sombre, l’homme tenant une orange et la femme un oeillet.

Revers du portrait féminin

Barthel Bruyn l'Ancien 1517 revers portrait feminin coll privee

Au revers du portrait féminin, une mouche est posée sur le crâne.


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Barthel Bruyn l Ancien 1524 Portrait-of-Gerhard-von-WesterburgPortrait de Gerhard von Westerburg, collection privée [1] Barthel Bruyn l Ancien 1524 portret-van-gertraude-von-leutz-e-barthel-bruyn-de-oude kroller-muller-museum rectoPortrait de Gertraude von Leutz, Kroller Muller museum, Otterlo

Barthel Bruyn l’Ancien, 1524

Ce diptyque du réformateur anabaptiste et de son épouse a été réalisé une année après leur mariage. Au revers du panneau féminin figure une nature morte très célèbre.


Barthel Bruyn l Ancien 1524 portret-van-gertraude-von-leutz-barthel-bruyn-de-oude kroller-muller-museum verso

Le panonceau porte une devise attribuée à Lucrèce :

Tout se disperse avec la mort, Mort, dernière ligne de tout

OMNIA CADUT MORS ULTIMA LINIA RERUM


ULTIMA LINIA RERUM (SCOOP !)

Le mot ULTIMA est illustré par la dernière dent, la dernière touffe de cheveu, le dernier filet de fumée qui s’échappe de la bougie…

Barthel Bruyn l Ancien 1524 portret-van-gertraude-von-leutz-barthel-bruyn-de-oude kroller-muller-museum verso detail pannonceau
… et la  dernière ligne de calligraphie, interrompue au milieu.


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Mis à part ce diptyque, les autres revers macabres de Bruyn seront très stéréréotypés : une tête de mort sans mâchoire inférieure, est posée au-dessus d’un écriteau dont le texte, au choix du client, représente en quelque sorte ce qu’elle ne peut plus dire. Elle occupe complètement une niche en arc de cercle, dont la rotondité épouse la voûte crânienne. Ainsi la niche n’est plus seulement un trompe-l’oeil imitant le mur d’un ossuaire : elle devient une métaphore du crâne, et nous fait comprendre que celui-ci n’est également qu’un récipient de pierre anonyme. Toute ce qui fait l’individu est, comme le papier, périssable.

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Barthel Bruyn l'Ancien Portrait de Gerhard et Anna Pilgrum 1528, Wallraf-Richartz-Museum, Koln

Portrait de Gerhard et Anna Pilgrum
Barthel Bruyn l’Ancien, 1528, Wallraf-Richartz-Museum, Köln [2]

Chaque époux a en main un chapelet portant un pomander ou pomme de senteur (Bisamäpfel) , sphère ouvragée contenant des parfums.


Verso du volet féminin

Barthel Bruyn l'Ancien Portrait de Gerhard et Anna Pilgrum 1528, Wallraf-Richartz-Museum, Koln revers volet droit

L’écho de la pomme

L’écriteau porte un texte de Job, qui relie peut-être la « pomme de senteur » avec celle qui a causé les malheurs de l’humanité :

« L’homme né de la femme vit peu de jours, et il est rassasié de misères. Comme la fleur, il naît, et on le coupe; il fuit comme l’ombre, sans s’arrêter. »

(Job, 14: 1-2)

homo natus de muliere brevi vivens tempore repletus multis miseriis, quasi flos egreditur et conteritur et fugit velut umbra et numquam in eodem statu permanet


Porteuse de mort

Chez Bruyn, c’est toujours le volet de droite qui porte le crâne au revers. C’est aussi le volet mobile, et celui du portrait féminin (à cause de l’ordre héraldique, voir Pendants solo : mari – épouse). Ainsi se crée mécaniquement une association entre la femme et le crâne : c’est elle qui, littéralement, porte la Mort dans le couple.

Alors que dans un panneau individuel, le crâne est celui du portraituré (effet travelling), dans un diptyque de couple il tend à représenter la Mort en général, à la fois dans un Futur immédiat et dans le Passé le plus lointain.

La fermeture et l’ouverture du diptyque, faisant succéder l’os à la chair et la chair à l’os, permettent de s’accoutumer, à domicile, à la Mort et à la Résurrection.


L’ombre qui parle

C’est peut être la phrase « il fuit comme l’ombre, sans s’arrêter » qui explique l’éclairage très élaboré du diptyque : l’homme (diptyque ouvert) et le crâne (diptyque fermé) sont éclairés, dans le sens habituel de la lecture, par la même source en haut à gauche : et la femme par une lumière « gauchère », contradictoire. Ces deux sources de lumière opposées ont pour effet de faire se rapprocher les deux ombres, comme si les deux époux se rejoignaient dans la Mort que la faute d’Eve a causée.

Dans tous les autres diptyques conjugaux de Bruyn les lumières sont parallèles, et viennent presque toujours du haut à gauche. En voici un exemple (sans revers macabre) :

Barthel Bruyn the Elder - Portrait of a man from the Weinsberg family 1538-1539
Portrait d’un couple de la famille Weinsberg
Barthel Bruyn l’Ancien, 1538-1539, Collection Thyssen-Bornemisza



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Barthel Bruyn l'Ancien 1530 revers portrait feminin localisation inconnue

Revers d’un portrait féminin
Barthel Bruyn l’Ancien, 1530, localisation inconnue

Diptyque conjugal avec homme tenant un billet et femme un oeillet.

Revers :

Bientôt nous allons mourir et aussitôt sous terre pourrir

Mox morimur et quali /ante dilabimur in terra


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Barthel Bruyn l'Ancien 1531 revers portrait feminin Schloss Schwarzenraben

Revers d’un portrait féminin
Barthel Bruyn l’Ancien, 1531, Schloss Schwarzenraben

Diptyque conjugal avec homme tenant un gant et femme un pomander

Revers :

Sur le parchemin :

Il n’y a pas de protection contre la mort. Vis jusqu’à ce que tu meures. Voyr den doyt en ys geyn schylt, dar u lebt als yu sterwe wilt

Sur le bandeau du bas :

La vie de l’homme est comme une fleur verdoyante dans un jardin, se levant au lever du soleil et se couchant à son coucher.

Vita quid est hominis viridanus / Flosculus horti, sole oriente / Oriens sole cadente cadens


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Barthel Bruyn l Ancien 1534 ca Portrait Diptych Of A Bourgeois Couple coll part

Portrait d’un couple bourgeois
Barthel Bruyn l’Ancien, 1534, collection particulière

Ce diptyque fait exception car les trois panneaux sont éclairés du haut à droite. Peut-être Bruyn a-t-il tenu compte, lors de la commande, de l’emplacement d’accrochage ?

Ici encore, chaque époux a en main un chapelet portant un pomander, dont c’est sans doute la fonction de protection contre les maladies qu’il faut relever ici.


Verso du volet féminin

Barthel Bruyn l Ancien 1534 ca There is no defence against death

Car l’inscription du verso dément immédiatement ce pouvoir :

Il n’y a pas de protection contre la mort. Vis jusqu’à ce que tu meures.

Voyr den doyt en ys geyn schylt, dar u lebt als yu sterwe wilt


Barthel Bruyn l Ancien Ermitage

Verso d’un portrait perdu
Barthel Bruyn l’Ancien, Ermitage, Saint Petersbourg

Un verso pratiquement identique, mais dont le recto a été perdu, est conservé à l’Ermitage.


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Barthel Bruyn l'Ancien 1544 Johannes et Maria Pastoir revers portrait feminin Rheinisches Landesmuseum Bonn

Johannes et Maria Pastoir, revers du portrait féminin .
Barthel Bruyn l’Ancien, 1544, Rheinisches Landesmuseum Bonn

Diptyque conjugal avec homme tenant un gant et femme un oeillet.

La devise sur le parchemin est ce que dit le crâne au jeune enfant qu s’endort en le prenant pour coussin :

Moi aujourd’hui, Toi demain

Hodie mihi / Cras tibi


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Barthel Bruyn l Ancien 1535-55 coll Richard Harris recto Barthel Bruyn l Ancien 1535-55 coll Richard Harris verso

Barthel Bruyn l’Ancien, 1535-55, collection Richard Harris

Le texte du verso emprunte à deux sources distinctes :

Qu’as tu à coeur, homme mortel, homme orgueilleux,
Quand tous les jours je prends les jeunes, comme les vieux
[3]

Quid tibi mortalis cordi est homo , quidne superbis
Cum capiam juvenes, quotidie atque senes.

 

Souviens-toi que tu seras poussière et (mangée) par les vers
Toi gelée et pourrie quand tu seras en terre.

Alain de Lille, Liber Parabolarum [4]

Esto memor quod pulvis eris,& vermibus.
Tu gelida putris quando jacebis humo.


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Cercle de Barthel Bruyn l'Ancien 1540-50 revers portrait masculin Jagdschloss Grunewald Berlin

Revers d’un portrait masculin
Cercle de Barthel Bruyn l’Ancien, 1540-50, Jagdschloss Grunewald Berlin

Portrait simple d’un homme tête nue, un bonnet à la main

Revers : Une mouche est posée sur le crâne.

Inscription :

L’homme est de la terre et sera détruit

Sa forme aimable ne dure pas longtemps

DER MYNSCH is erd und wyrd verzert. /

Lieflich gestalt nyer lang en wert


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Barthel Bruyn l Ancien Portrait d'homme tenant un œillet et un gant debut XVIe recto Palais des BA Lille Barthel Bruyn l Ancien Portrait d'homme tenant un œillet et un gant verso Palais des BA Lille

Portrait d’homme tenant un œillet et un gant
Barthel Bruyn l’Ancien, première moitié XVIe, Palais des Beaux Arts, Lille.

Ce gentilhomme, dont la blason n’a pas été identifié, tient en main un oeillet rouge : dans les pays germaniques, l’époux recherchait cette fleur, gage de virginité, sous les vêtements de son épouse. Celle-ci devait donc figurer à sa place traditionnelle, dans le volet droit aujourd’hui perdu ce ce diptyque de mariage
Le revers du portrait masculin montre un crâne avec un fémur, dépourvu de toute inscription.


Revers d'un triptyque louvre
Revers d’un triptyque, Louvre

Peut-être s’agissait-il d’un triptyque comme celui-ci, dont l’avers a été perdu.


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Diptyques conjugaux : autres artistes

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Portrait d'homme, vers 1520. Trier, Städlisches Museum Simenostift Portrait d'homme, vers 1520. Trier, Städlisches Museum Simenostift verso

Portrait d’homme,
Attribué à Pieter Gerritsz, vers 1520, Städlisches Museum Simeonstift, Trèves

Il s’agit ici encore d’une moitié de diptyque (ou de triptyque ?) où le crâne se trouve du côté masculin, avec « effet travelling ». L’inscription du revers est une partie de la devise latine ci-dessous :

Vis, pense à la mort, l’heure fuit

Vive, memor lethi, fugit hora

La même devise tripartite apparaît dans un autre portrait de Bruyn, voir La mort dissimulée (1/2) : par derrière



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Anoniem, Portret van Adriaen van den Broucke, genaamd Musch, Heer van Wildert Anoniem, Portret van Catharina Vrancx, echtgenote van Adriaen van den Broucke, genaamd Musch Stedelijk Museum Het Prinsenhof Delft

Portrait de Adriaen van den Broucke, dit Musch, Seigneur de Wildert et de son épouse Catharina Vrancx
Anonyme, 1500-1550, Stedelijk Museum Het Prinsenhof
Delft

Revers du panneau masculin

Anoniem, Anoniem, Portret van Adriaen van den Broucke, revers Stedelijk Museum Het Prinsenhof Delft

Le revers du portrait masculin montre encore un crâne et un fémur, avec une inscription que je n’ai pas pu déchiffrer :

Anoniem, Anoniem, Portret van Adriaen van den Broucke, revers Stedelijk Museum Het Prinsenhof Delft detail



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Portrait de Jacob Schwytzer et son épouse Elsbeth lochmann 1564 Tobias Stimmer , Bale Kunstmuseum

Portrait de Jacob Schwytzer et son épouse Elsbeth Lochmann
Tobias Stimmer, 1564 , Bale Kunstmuseum

Le panneau féminin était fixe et accroché au mur. Au revers du portrait masculin était figurée la mort tenant un sablier (aujourd’hui disparue), avec dans une banderole au dessus un poème en gothique exprimant que tout est poussière et qu’il faut espérer le séjour des Cieux.


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Heinrich Peyer et Barbara Schobinger, Abel et Tobias Stimmer,1566, detruit
Portraits de Heinrich Peyer et Barbara Schobinger, Abel et Tobias Stimmer,1566,
détruit en 1944, anciennement au musée Allerheiligen, Schaffhouse ([5]; p 201)

Heinrich Peyer et Barbara Schobinger, Abel et Tobias Stimmer,1566, detruit revers
Au revers du portrait de Barbara, 36 ans, une femme nue tient de la main gauche une horloge et touche de la main droite un crâne posé de face sur un guéridon. Le vase de fleurs fait écho à la petite fleur que tient Barbara au recto.L’inscription est la suivante :

« Rien n’est moins sûr que l’heure ».

Au revers de celui de Heinrich, 43 ans, un enfant assis par terre s’appuie du bras droit sur un crâne posé de profil, en tenant une pomme de la main gauche. L’inscription complète l’autre :

« Rien n’est plus sûr que la Mort ».

Par rapport aux squelettes culpabilisants du siècle précédent, les allégories du revers ont pratiquement perdu tout lien avec le Péché Originel : les fleurs et le fruit sont avant tout des symboles de fugacité et les scènes se réfèrent à l’activité emblématique de chaque sexe :

  • pour l’épouse embellir la maison (même si la beauté se fane) ;
  • pour l’homme faire des enfants (même si le fruit périt).



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Portrait d homme National Portrait Gallery Portrait d homme National Portrait Gallery reverse

Portrait d homme (autrefois dit de Richard Hooker), Anonyme, vers 1550, National Portrait Gallery

On ne sait pas grand chose sur ce portrait et son étonnant revers, avec son cadavre non pas inerte, mais en train de ressusciter. Il ne s’agit pas d’un panneau remployé (les deux faces ont été peintes en même temps) mais probablement du volet d’un retable privé, qui a de plus perdu une bande sur la droite [6]

De ce fait, au revers, seul le début du texte en hollandais a été conservée :

O HERE (O Dieu
ŇS INI (Notre -)
MET VWĒ (avec toi)


Le texte latin du cartouche,extrait du 112eme psaume, devait se poursuivre sur l’autre panneau :

je ne mourrai pas / mais je vivrai

NON MORIAR / SED VIVAM


Une reconstitution possible (SCOOP !)

La position de l’homme, à gauche, est la position normale du mari dans un diptyque conjugal. De plus, le fait que le buste barbu du recto et le corps barbu du verso regardent dans des directions opposées suggère fortement un dispositif « en médaille », dans laquelle les deux faces illustrent la même personne, dans le réel et dans l’idéal : soit, ici, vivante et ressuscitée.



Portrait d homme National Portrait Gallery reconstitution
Vu l’emplacement du point de fuite, il est fort probable que les revers étaient symétriques et que l’autre représentait l’épouse elle-aussi en train de ressusciter. Son dos un peu trop dénudé aurait pu lui valoir de disparaître, à une époque plus prude.



Diptyques de dévotion

Dans ce type de diptyque, un donateur est en prière face à une figure sacrée qui occupe en général la place d’honneur, sur le volet gauche (voir 3.1 Le diptyque de Marteen).

Du coup le crâne se retrouve mécaniquement au revers du donateur, comme une évocation de sa propre fin. Quelquefois, elle se décale au revers de l’image sainte, lorsque c’est le blason du donateur qui se trouve sur son revers.

Maitre de la Legende de Sainte Ursule 1480 Mintmuseum Maitre de la Legende de Sainte Ursule 1480 Mintmuseum verso

Maître de la Légende de Sainte Ursule, 1480, Mintmuseum, Charlotte

Ce panneau formait le volet gauche d’un diptyque de dévotion. Le donateur regarde vers la droite (où se trouvait probablement la Madone) tandis qu’au revers, le crâne en grisaille regarde vers la gauche   : il s’agit donc bien de son propre crâne, montré par l’effet « travelling ».

On comprend dès lors cet avertissement bien senti sur la vanité de la gloire :

Pourquoi, homme mortel, hausse-tu la tête, puisque tu mourras et seras chauve comme ce crâne.

Cur homo mortalis caput extruis at morieres en vertex talis sit modo calvus erit

On ignore en revanche pourquoi certaines lettres sont en rouge (CAPETRUSTOEN) : peut être l’anagramme du nom du donateur.



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1517 Mabuse diptyque Carondelet Louvre
Diptyque Carondelet
Jan Gossaert dit Mabuse, 1517, Louvre, Paris

L’iconographie complexe de ce diptyque ne peut être comprise que si on le voit en mouvement, en train de s’ouvrir ou de se fermer.

mabuse_diptyque_carondelet ouvert gauche mabuse_diptyque_carondelet ouvert droite

Voir 2 Le diptyque de Jean et Véronique pour comprendre, notamment, pourquoi le crâne de trouve au revers de l’image sainte.



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Master of the Legend of Mary Magdalene Mary with Child
Vierge à l’enfant allaitante, et portrait du moine chartreux Wilem Van Bibaut
Maître de la Légende de Marie-Madeleine, vers 1523, collection privée

L’analyse des bois (chêne pour la Vierge, noyer pour le portrait) suggère que le diptyque a été recomposé à partie de deux autres (ce qui explique pourquoi seul le revers du portrait est peint, ce qui est anormal pour un diptyque de dévotion portatif).



Master of the Legend of Mary Magdalene Cinq plaies du christ
Ce revers expose les Cinq plaies du Christ (mains, pieds et coeur représentant le coup de lance), une dévotion courante à l’époque et pas spécifiquement monastique. Le calice a pu être ajouté en écho au panneau de la Vierge, pour opposer le sang au lait. De même, l’emplacement du crâne d’Adam en bas à gauche (la direction vers laquelle regarde l’Enfant) suggère que le revers a été conçu en tenant compte de la superposition des panneaux : fermer le diptyque, c’est clore l’histoire, et faire coïncider la Passion avec l’Enfance.


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Barthel Bruyn le Jeune Diptyque de Peter Ulner 1560 Provinzial Museum Bonn

Diptyque de Peter Ulner
Barthel Bruyn le Jeune, 1560, Provinzial Museum Bonn

A la confession inscrite sur le cadre de Peter :

« Pieux je ne suis, ce dont je souffre. j’avoue mon péché, je cherche la Grâce dans le temps.
Au Christ je crois, serviteur inutile. Seul son sang me rend juste. »

répond l’Inscription sur le cadre du Christ :

« Mais toi, tu m’as été à charge par tes péchés, tu m’as fatigué par tes iniquités. C’est moi, c’est moi qui efface tes fautes pour l’amour de moi, et je ne me souviendrai plus de tes péchés ». Isaïe, 43, 23-24.

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Revers du volet du Christ

Le fils de Barthel Bruyn reprend la tradition familiale du revers avec crâne. Celui-ci a été largement repeint et complété au XVIIème siècle pour en faire une véritable nature morte : entre la bougie éteinte et le sablier (deux images du temps écoulé), le crâne avec ses deux orbites vides rivalise avec la coquille et ses deux bulles de savon, globes éphémères incapables de remplacer les yeux absents.



Les revers macabres de Jan Provoost

Jan_provost,_Donor with St Nicholas and his Wife with St Godelina_1515-1521_ca._02 Jan_provost,_Donor with St Nicholas and his Wife with St Godelina_1515-1521_ca._05

Saint Nicolas avec un donateur, Sainte Godelieve avec son épouse
Jan Proovost, vers 1515, Groeninge Museum, Bruges

On a perdu le panneau central de ce triptyque, probablement une Madone comme dans le triptyque postérieur que nous analyserons un peu plus loin. Les paysages à l’arrière-plan montrent des épisodes de la vie des deux patrons :

  • Saint Nicolas convainc les matelots de lui laisser un peu de blé (à leur arrivée à bon port, il leur en restera miraculeusement autant qu’avant) ; le port est celui d’Anvers, avec la cathédrale Notre Dame en construction ;
  • Sainte Godelieve étranglée par les deux serviteurs de son mari.


L’avare et la mort (revers)

Jan_Provoost_-_Death_and_the_Miser Groeninge Museum, Bruges
Le revers montre un memento mori dont le sens précis n’est pas connu (le texte du livre, surchargés de blanc, es- devenu indéchiffrable, celui du billet n’est que partiellement lisible [7])

L’idée générale semble être que le banquier a vendu son âme à la mort. Les trois index tendus ponctuent l’histoire :

  • celui du banquier montre le livre où il a noté la transaction ;
  • celui de la Mort montre la reconnaissance de dettes qu’il lui tend ;
  • celui du troisième homme (un autoportrait du peintre ?) lui intime d’interrompre son geste : la Mort n’a pas encore fini de déposer sur la table les pièces qu’elle cache dans sa main.

Il reste dans le tableau des subtilités qui nous échappent : sac de pièces d’argent s’opposant aux pièces en or, figure en croix que forment les pièces sur la table.


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Jan Provoost 1522 Diptyque christ Sint Janshospitaal Bruges Jan Provoost 1522 Diptyque franciscain Sint Janshospitaal Bruges

Diptyque avec Christ portant sa croix et un frère mineur
Jan Provoost, 1522, SintJanshospitaal, Bruges

Un frère franciscain joint les mains, en contemplation et en imitation du Christ aux outrages, sur la gauche duquel on voit les visages en pleurs de Saint Jean et de la Vierge Marie.

L’inscription du haut contient un rébus et un jeu de mots en latin:

La <corde> de François a tiré à lui

de nombreux <coeurs>.

FRANCISCI <chorda > TRAXIT 

AD SE PLURIMA <corda>


La corde invisible (SCOOP !)

Cette corde franciscaine est également celle qui, liant les mains de Jésus, tire par un lien invisible les mains jointes du frère mineur.


Le crâne et son rébus (SCOOP ! )

Jan Provoost 1522 Diptyque crane Sint Janshospitaal Bruges Jan Provoost 1522 Diptyque porphyre Sint Janshospitaal Bruges

Au revers de son portrait, son crâne (toujours l’effet travelling) contemple la plaque de porphyre rouge et noir qui matérialise les douleurs de Jésus.

Voici une nouvelle interprétation du rébus très énigmatique qui entoure le crâne :

Jan Provoost 1522 Diptyque rebus Sint Janshospitaal Bruges

La clé d’ut suivie d’un bémol, en haut à droite, doit se lire comme une clé de sol. Le crâne fait partie du rébus et remplace le mot Mort (tout comme la corde et les coeurs complétaient complétaient la phrase du recto). Ce qui donne :

« Il m’est amer de penser à la mort, il est bon de penser à moi (de se souvenir de moi) ».

On peut imaginer que celui qui parle est Jésus : la première phrase fait parler le panneau de gauche (la Passion), la seconde celui de droite (la Consolation).


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1525 ca Jan Provoost triptych-virgin-and-child-with-saints-and-donors Royal Collection Trust

Vierge à l’Enfant entre Saint Bernard et saint Benoît , Saint Jean Baptiste avec un donateur, Sainte Marthe avec son épouse
Jan Provoost, vers 1525, Royal Collection Trust

Pour la question des donateurs dans les triptyques flamands, voir 6-7 …dans les Pays du Nord. C’est ici le revers qui nous intéresse.



1525 ca Jan Provoost triptych-virgin-and-child-with-saints-and-donors Royal Collection Trust revers
Dans ce memento mori, un banquier tout à fait semblable à celui du triptyque de 1515 fait avec sa main droite des calculs à l’aide de jetons en cuivre, tout en élevant de la gauche un crâne au niveau de sa tête. Un sac d’or à gauche du crâne donne l’illusion d’une épaule : comme si la Mort en personne s’était assise en face de lui.


Trois optiques différentes (SCOOP !)

Originellement, le banquier portait des lunettes, soulignant sa courte vue [8] ; à l’opposé, le flacon d’eau pure à côté du crâne symbolise la lucidité. Au centre, le disque rouge presque complètement occulté par la cadre est un miroir dans lequel le spectateur est invité à se contempler en vérité.

De part et d’autre, la gravure de saint Hubert et le tableau de change illustrent deux types opposés de conversion : celle de l’âme et celle de l’argent.


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Jan_Provost_Valenciennes_avers_Saint_Jean_et_le_chanoine_donateurSaint Jean Baptiste avec un chanoine donateur (avers) Jan_Provost_Valenciennes_gisant_revers_Saint_Jean_et_le_chanoine_donateurGisant du chanoine (revers)

Jan Provoost, Musée des Beaux Arts de Valenciennes [9]

Ce panneau, retrouvé par hasard dans un confessionnal, formait certainement le volet mobile d’un diptyque. Le vers inscrit sur le phylactère (sélectionné dans un texte plus long qu’on retrouve dans d’autres épitaphes [10]) suggère que le panneau fixe représentait le Christ :

Donne à tous le repos, mon Dieu, à ceux enterrés ici et ailleurs,
pour qu’ils soient en repos grâce à tes cinq blessures.

Da requiem cunctis Deus hic et ubique sepultis,
Ut Sint in requie propter tu vulnera quinque.

Le donateur est un chanoine inconnu, la palme le désigne comme ayant effectué le pèlerinage en Terre Sainte. Sa physionomie est la même que celle du gisant, allongé sur une natte formant oreiller.

Il serait logique que l’ouverture du diptyque fasse apparaître un Christ ressuscité, prié par le chanoine lui aussi ressuscité, par le miracle de la peinture.



Triptyques de dévotion

The_Braque_Triptych_interior

Triptyque Braque, Rogier van der Weyden, vers 1452, Louvre, Paris

Ce triptyque de dévotion privée fut commandé par Catherine de Brabant en mémoire de son époux, Jehan Braque de Tournai, brutalement décédé en 1452.

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van_der_weyden triptyque braque fermé

 

Le crâne

Le panneau de gauche constitue un des tous premiers exemples de représentation d’un crâne comme sujet d’un revers, et pourrait être, selon Charles Sterling, le précurseur du genre de la Vanité [11] : ce que confirment, en haut et en bas du panneau, les paroles inscrites en caractères comme gravés dans la pierre :

« Regardez-vous ici, orgueilleux et avares. Mon corps fut beau, il est désormais la nourriture des vers. »

« Mires vous ci orgueilleux et avers. Mon corps fu beaux ore est viande a [vers] » 

Dans cette toute première occurrence, le statut du crâne pose problème :

  • s’agit-il de celui du défunt , comme le laissent penser les armoiries de la famille Braque et le fait qu’il soit situé au revers du panneau de son saint patron, Saint Jean Baptiste ?
  • s’agit-il d’un Mort générique, qui interpelle le passant avec les paroles gravées comme sur une tombe ?
  • s’agit-il du crâne d’Adam, qui complète la croix du panneau de droite ?

.

La brique

Selon l’interprétation retenue, on verra donc dans la brique brisée :

  • le symbole de la fin de toute dynastie, à l’attention des descendants de Jean Braque ;
  • un avertissement général sur le chute de toute construction humaine ;
  • une allusion au rocher du Golgotha.

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Le panneau droit et la croix

La croix porte une inscription latine tirée de l’Ecclésiaste (XLI, 1-2) :

Ô mort, que ton souvenir est amer à l’homme juste et qui vit en paix au sein de ses richesses, à l’homme exempt de soucis et qui prospère en tout, et qui est encore en état de goûter le plaisir de la table.

Ecclesiaste 41

O mors quam amara est memoria tua homin(i)iusto et pacem habente in substanciis suis viro quieto et cuius die directe sunt in omnibus et ad huc valenti accipere cibum. Eccl. xli.

Cette croix remplie de regrets peut être considérée comme représentant Catherine elle-même, d’autant que les armoiries de Brabant, en bas à droite de l’écu, comportent la même croix ancrée.

Van der Weyden aurait donc utilisé la latéralité habituelle des calvaires (où Marie-Madeleine la pécheresse est le plus souvent placée du mauvais côté de Jésus) pour faire du triptyque refermé un des tous premiers exemples de diptyque conjugal posthume avec, sous forme d’emblèmes, le défunt mari à gauche et sa veuve inconsolable à droite.



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Triptyque avec St Jean Baptiste St Jerome et St Antoine ap 1496 Suermondt-Ludwig-Museum, Aachen

Triptyque avec St Jean Baptiste, St Jérôme et St Antoine, après 1496, Suermondt-Ludwig-Museum, Aachen

Le recto associe trois saints connus pour leur vie ascétique dans le désert, chacun accompagné de son animal-fétiche : l’agneau, le lion et le cochon.

A noter plusieurs détails amusants :

  • à gauche le sous-vêtement en fourrure qui dépasse en une sorte de queue ;
  • au centre le tronc étêté servant de portemanteau, et dont la branche en Y fait écho aux bras du Christ ;
  • à droite le petit démon voleur de calice.


Triptyque avec St Jean Baptiste St Jerome et St Antoine ap 1496 Suermondt-Ludwig-Museum, Aachen reverse

Une fois fermé, le revers montre Moïse tenant les tables de la Loi au dessus d’un cadavre enveloppé dans son suaire.

Ouvrir le triptyque, c’est passer du monde de l’Ancien Testament, en grisaille et marqué par la mort,

à celui du Nouveau, coloré par l’espérance.



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KREUZIGUNGSTRIPTYCHON MIT DEN STIFTERN NIKOLAUS HUMBRACHT UND GREDA BRUN, Frankfurt am Main, Stadel Museum avers
Triptyque de la Crucifixion avec les donateurs Nikolaus Humbracht et Greda Brun, Meister von Frankfurt, 1504, Städel Museum, Francfort

Revers

Triptyque 1506 Frankfurt am Main, Stadel Museum revers

Même dispositif avec un gisant sur le revers. Il n’y plus d’allusion à l’Ancien Testament mais une simple exhortation à penser à la mort : COGITA + MORI.

Au-dessus, une longue banderole porte le distique suivant :

Vous qui passez, je demande que vous vous souveniez de nous :
ce que nous sommes vous le serez,
nous fûmes tantôt ce que vous êtes.

VOS + QVI + TRANCITIS + NOSTRE + MEMORES + ROGO + SITIS
QVOD + SVMVS + HOC + ERITIS + FVIMVS +
QVANDOQVE + QVOD + ESTIS +


Masaccio Fresque de la Trinite 1426-28 Santa Maria Novella a Firenze

Fresque de la Trinité
Masaccio, 1426-28, Santa Maria Novella, Florence

La composition s’inspire clairement de la fresque de Masaccio, dont l’histoire est assez mouvementée : cachée en 1568 par un autel de Vasari, elle fut redécouverte et transposée sur toile en deux temps : le haut en 1860 et le gisant en 1950 seulement. A l’origine, un autel en bois à deux colonnes faisait saillie au dessus de celui-ci, accentuant l’effet de crypte.[12]

Au dessus du squelette est inscrite la même maxime en italien :

« Io fui gia quel che voi siete e quel ch’io sono voi ancor sarete ».

Sous diverses formes, cette maxime servait déjà comme épitaphe à l’époque romaine [13]. Il s’agirait d’un chant spartiate compris dans un tout autre sens : la continuité de la patrie. Mais je n’ai pu retrouver la source de cette assertion de Renan, dans sa célèbre conférence, de 1882 « Qu’est ce qu’une nation ».


Références :
[1] Sur l’histoire mouvementée de ce portrait et sur son identification grâce aux armories sur la chevalière, voir https://visionsofthenorthconference.wordpress.com/barthel-bruyn/ et https://www.christies.com/lotfinder/paintings/barthel-bruyn-i-portrait-of-gerhard-von-5155173-details.aspx
[2] Mon interprétation complète et prolonge les explications de R. Krischel sur le site du musée : https://museenkoeln.de/portal/bild-der-woche.aspx?bdw=2009_22
[3] Dialogue dans lequel la Mort répond à César. Varia Sebastian Brant Carmina, Olpe, 1498. Cité dans Zeitschrift für Museologie und Antiquitätenkunde sowie verwandte Wissenschaften, 1882, p 115 http://digital.slub-dresden.de/id407977015-18820000
[4] La citation exacte est « Esto memor quod pulvis eris,& vermibus esca. In gelida putris quando jacebis humo »
https://books.google.fr/books?id=7NfODFURNjkC&pg=PA593&dq=gelida+putris&hl=fr&sa=X&ved=0ahUKEwiH48q0iPXcAhWwzYUKHZE5CW0Q6AEIVTAI#v=snippet&q=gelida&f=false
[5] Marianne Bournet-Bacot, Le portrait de couple en Allemagne à la Renaissance, 2015
[6] https://www.npg.org.uk/research/programmes/making-art-in-tudor-britain/case-studies/hidden-unseen-paintings-beneath-tudor-portraits
[7] Il nomme cependant le banquier comme étant Jan Lanckart (un homme connu pour avoir vendu son âme au diable) et insiste sur le geste des doigts :
« Ic Jan Labnckart kenne ontfaen / hebben van Leunis papp … / van Sarck ronddragen…/ offremits XLB … daat / zoe est ghewyst wel vernoughet / toirc. / van desen / by my lanckart »
[8] https://www.rct.uk/collection/405816/triptych-virgin-and-child-with-saints-and-donors
[9] http://moteur.musenor.com/application/moteur_recherche/consultationOeuvre.aspx?idOeuvre=393857
[10] ] Reinhard Lamp, « Florilegium: Four Sepulchral Brasses to Civilians John Asger (senior), d. 27.2.1436 », Norwich, NorfolkPegasus-Onlinezeitschrift XIV (2014), Heft 1   http://www.pegasus-onlinezeitschrift.de/2014_1/pegasus_2014-1_lamp-en_druck.pdf
[11] https://fr.wikipedia.org/wiki/Triptyque_Braque
[12] https://en.wikipedia.org/wiki/Holy_Trinity_(Masaccio)
[13] « The Epitaph of Alcuin: A Model of Carolingian Epigraphy » Luitpold Wallach, Speculum, Vol. 30, No. 3 (Jul., 1955), pp. 367-373 https://www.jstor.org/stable/2848075

– Le Diable dans la Crèche

14 décembre 2011
Comments (7)

Introduire le Diable dans une Nativité, c’est un peu comme dissimuler le bouc de Trotski dans l’ombre de la casquette  de Staline.

Il semble pourtant que quelques  maîtres Flamands s’y soient risqué, avec prudence. Bref aperçu de la question.

Retable Bladelin

Van Der Weyden,  après 1446, Berlin, Gemäldegalerie

Van_der_Weyden_Bladelin

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Van der Weyden s’est inspiré, vingt ans après, de la Nativité de Campin (voir 1 Soleil en Décembre) : même angle de vue pour la crèche, même attitude de Saint Joseph protégeant la bougie de sa main. Pour la première fois dans l’Histoire de l’Art est représentée la colonne à laquelle, selon les Apocryphes, Marie se serait adossée pendant l’accouchement.

Les deux cavités

Mais ce qui nous intéresse ici, c’est une autre innovation iconographique, exactement sous la colonne : une cavité protégée par une grille. Tandis qu’un peu plus à droite, s’ouvre un autre trou, celui d’une voûte crevée.


Les deux ères

Ici, le tableau se lit de droite à gauche, dans le sens inverse de Campin : la partie ancienne du bâtiment est à droite, du côté du trou béant. La partie rénovée est à gauche, du côté du trou grillagé. Les deux orifices sont donc clairement la représentation de l’Enfer, avant et après la Naissance de l’Enfant Jésus, lequel est placé exactement entre les deux.

Van_der_Weyden_Bladelin_Trous

De la bouche de l’Enfer, conjurée doublement par la grille et par la main protectrice de Joseph, ne sortent plus désormais que de négligeables courants d’air, bien incapables de souffler la bougie.


Il existe une autre interprétation de cette cavité  On sait que Van der Weyden s’est beaucoup inspiré, pour la conception du retable, du texte de la Légende Dorée. Or on y trouve l’anecdote suivante :

« Trois hommes vaillants furent envoyés par le roi David à Bethléem pour y chercher de l’eau d’une citerne, et les Trois Rois pour chercher l’eau de la Grâce éternelle. Les trois hommes vaillants puisèrent dans la citerne terrestre, et les trois Rois reçurent l’eau de la grâce de l’échanson céleste, né à Bethléem, qui pouvait donner la grâce à tous les hommes qui ont soif ». Légende dorée,  cité par Shirley Neilsen Blum [1]

Cependant rien dans le tableau ne souligne le thème de l’eau qui aurait pu faire reconnaître une citerne, et ceci n’explique pas la symétrie entre le trou grillagé et le trou ouvert.

[1] « Early Netherlandish Triptychs: A Study in Patronage », Shirley Neilsen Blum, University of California Press, 1969, p 20

Retable de Sainte Colombe

Van Der Weyden, entre 1450 et 1460, Münich, Alte Pinakothek

Van_der_Weyden_Sainte Colombe

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Dans ce retable, Van der Weyden a conservé l’idée des trous, en supprimant la grille : c’est Joseph, armé de son bâton, qui barre de son corps l’escalier des enfers, tandis que la voûte crevée, à sa droite, à peine visible au bord du tableau, a perdu tout caractère menaçant.

Le pivot du tableau est toujours le corps de l’Enfant Jésus, redondé par un crucifix accroché sur le poteau central : étrangeté iconographique et chronologique qui a fait couler beaucoup d’encre.

Van_der_Weyden_SainteColombe_Crucifix

Le tableau se lit cette fois de gauche à droite : à gauche l’Ancien Monde, construit sur des caves suspectes. A droite  le Nouveau Monde, bâti sur du dur : au point qu’on a pu y élever, en style gothique, un temple octogonal flambant neuf.

Nativité

Memling, 1470, Wallraf-Richartz-Museum, Cologne

Memling_Nativite_Cologne

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Vingt cinq ans après Van der Weyden, on trouve encore chez Memling le souvenir de la cave infernale : simple trou grillagé dans le coin inférieur droit de la Nativité.

Mais l’idée des deux ères a totalement disparu.

Adoration des Mages

Memling, 1470, Prado, Madrid

Ou bien, c’est le cadre du tableau qui remplace carrément la grille pour réduire à zéro  l’orifice infernal.

 Memling_Adoration_Mages_Prado

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Retable des Portinari

Hugo Van der Goes, 1469, Offices, Florence

Van_der_Goes_Portinari

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Dans ce retable célèbre, Robert Walker a découvert  en 1960, au dessus de la corne du boeuf, la figure d’un démon grimaçant avec une patte griffue.
Van_der_Goes_Portinari_Diable

Seul un artiste aussi original que Van de Goes a pu se permettre ce genre de liberté : encore la figure, dans l’ombre de la voûte, est-elle quasiment indiscernable.

Le Diable dans la Crèche

Le rapport entre les Enfers et la Nativité n’est expliqué dans aucun texte majeur. Dans la Légende Dorée de Jacques de Voragine, au chapitre Nativité, il est seulement dit que le Christ est venu « pour la confusion des démons ». A côté de la prudence officielle, de nombreuses traditions populaires se sont développées autour de la Nuit de Noël, nuit durant laquelle le Démon rode et se trouve dupé de diverses manières.

Si la représentation de l’Enfer dans les Nativités est rarissime, c’est que, nonobstant les difficultés théologiques, elle est picturalement périlleuse : comment ne pas contaminer l’innocence du nouveau-né, polluer le caractère à la fois humble et solennel de la scène, par la représentation d’un diable grimaçant ? On ne verrait  que lui, comme les moustaches de Duchamp sur la Joconde.

D’où la nécessité, pour les peintres qui s’y risquent, de représenter l’enfer sous une forme allusive, contournée, subreptice…

Catégories

  • Interprétations
    • = EN APARTE =
      • – La progéniture de Vénus
      • – Le Diable dans la Crèche
      • – Le temps des Innocents
      • – Naissances mythiques : Vénus et Attis
      • Vulcain, Vénus et Mars alchimiques
    • = ICONOGRAPHIE =
      • – Dieu sur le globe
      • – Donateurs
        • – avec la Madone
          • – Visions mystiques
      • – La croix du Bon Larron
      • – Le crâne et le papillon
      • – Le symbolisme du perroquet
      • – Publicités
        • Double-page
    • = PEINTRES =
      • Altdorfer
      • Annigoni
      • Anonyme
      • Anquetin
      • Balthus
      • Batoni
      • Bazille
      • Bellini
      • Bellotto
      • Béraud
      • Bernard (Emile)
      • Boilly
      • Böklin
      • Boldini
      • Bonnard
      • Bosch
      • Botticelli
      • Boucher
      • Bouguereau
      • Brueguel
      • Bruyn
      • Burne-Jones
      • Caillebotte
        • – Parquets de Paris
        • – Trottoirs de Paris
      • Campin
      • Canaletto
      • Caravage
        • – Le toucher de l'incrédule
      • Caroselli
      • Carpaccio
      • Carrache
      • Carrier-Belleuse (Pierre)
      • Casorati
      • Caspar-David Friedrich
        • – La vie, le chemin
        • – Paysage avec belvédère
      • Cecco del Caravaggio
      • Chardin
      • Chirico
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      • Debat Ponsan
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      • Dürer
        • MELENCOLIA I
          • 1 Les Objets de Melencolia I
          • 4 La question du Polyèdre
          • 5 Un peu de Philosophie Naturelle
          • 6 L'esprit dürerien
          • 7 En odeur d'Alchimie
          • 9 Un rien de Religion
        • Saint Jérôme dans son étude
      • Duvidal de Montferrier
      • Eckersberg
      • Egg
      • Escher
      • Fontana (Lavinia)
      • Forain
      • Ford Maddox Brown
      • Foujita
      • Fouquet
      • Fra Carnevale
      • Fragonard
      • Fredéric
      • Friant
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      • Garouste
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      • Hogarth
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      • Jordaens
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      • Klimt
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      • Larsson
      • Le Corrège
      • Le Lorrain
      • Lecomte du Nouÿ
      • Leighton
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      • Manet
      • Manfredi
      • Matisse
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      • Millais
      • Millet
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      • Monet
        • – Marées
        • – Paris
      • Mossa
      • Ochtervelt
      • Orchardson
      • Orpen
      • Pater
      • Patinir
      • Petrus Christus
      • Piero di Cosimo
      • Piranèse
      • Poussin
      • Poynter
      • Preti
      • Provoost
      • Puvis de Chavannes
      • Raoux
      • Raphaël
      • Rassenfosse
      • Redon
        • – L'oeil du Mal
      • Régnier
      • Rembrandt
      • Renoir
      • Rockwell
      • Romero de Torres
      • Rops
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      • Segantini
      • Serabriakova
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