Bien que les commentateurs signalent ici ou là une figure qui dépasse du cadre, il semble que ces cas très particuliers n’aient pas été identifiés comme un procédé graphique récurrent et méritant explication. Cette série d’articles aborde donc un sujet pratiquement vierge, et qui s’est révélé étonnamment fécond.
Les débordements sont essentiellement concentrés dans un des manuscrits les plus tardifs, le Beatus de San Andrés de Arroyo, à la limite entre le roman et le gothique ; mais on en trouve également quelques prémisses dans trois Beatus antérieurs.
C’est dans les manuscrits anglais qu’apparaissent, dès la période préromane, des débordements nombreux et souvent très subtils. Leur variété suggère qu »ils ne résultent pas d’une transmission mécanique entre ateliers, mais plutôt d’une sensibilité autochtone vis à vis du cadre, qui tranche par rapport aux écoles continentales de la même période
En dehors de l’Angleterre, les débordements restent exceptionnels, avant l’art roman (dans l’enluminure ottonienne ou dans les Bibles ibériques préromanes) comme durant la période romane (manuscrits français et Bibles italiennes).
Tous les débordements que nous avons vu jusqu’ici sont des inventions ad hoc, pour une image particulière d’un manuscrit particulier. Il existe cependant quelques cas où le même type de débordement apparaît de manière répétée.
Dans les Bestiaires, les débordements sont plus fréquents que dans les manuscrits religieux : les scènes sont moins codifiéee, plus fantaisistes, et le cadre n’y est pas revêtu du même enjeu de sacralité. Néanmoins, les hors-cadre restent réservés à certains animaux, ou à des situations bien précises.
La période gothique manifeste une sévère normalisation : les débordements « ad hoc », à la convenance de l’artiste, disparaissent presque complètement. Seuls subsistent les débordements les plus classiques (ailes des anges ou des démons, pieds, tourelles, bout des armes).
A la période gothique, les débordements restent encore autorisés dans les scènes de bataille. On en rencontre également dans quelques manuscrits italiens exceptionnels.
Certaines Apocalypses anglo-normandes prolongent la mode des débordements, à une époque qui leur est devenue globalement défavorable. Comme si l’énergie explosive du texte de l’Apocalypse autorisait à s’affranchir des contraintes ordinaires.